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A‑240‑05

2007 CAF 273

The Moresby Explorers Ltd. et Douglas Gould (appelants) (demandeurs)

c.

Le procureur général du Canada et le Conseil de la nation haïda (intimés) (défendeurs)

Répertorié : Moresby Explorers Ltd. c. Canada (Procureur général) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Nadon, Sharlow et Pelletier, J.C.A.—Vancouver, 26 mars; Ottawa, 30 août 2007.

Parcs nationaux — Appel du rejet du contrôle judiciaire de la décision délivrant un permis de voyagiste visant la réserve du parc national de Gwaii Haanas, mais y limitant l’accès conformément à une politique qui répartit l’accès de façon égale entre trois groupes d’utilisateurs — La politique opère une distinction entre les voyagistes haïdas et les voyagistes non-haïdas — Cette discrimination (au sens du droit administratif) n’est pas prohibée par la Loi sur les parcs nationaux du Canada ou le Règlement sur l’exploitation de commerces dans les parcs nationaux du Canada — Le directeur est autorisé à assortir un permis d’exploitation de commerce de conditions qui tiennent compte du type de commerce visé — Rien ne fait obstacle à la distinction entre les voyagistes haïdas et les voyagistes non-haïdas parce qu’elle n’est pas contraire à l’intérêt public — Appel rejeté.

Droit administratif — Contrôle judiciaire de la délivrance d’un permis de voyagiste dans un parc national, mais l’accès est limité selon le type d’entreprise, c.‑à‑d. non-haïda — Il s’agissait de savoir s’il était question de discrimination administrative — À l’encontre du droit municipal, où la discrimination est interdite à moins qu’elle ne soit expressément autorisée, lorsqu’il s’agit d’une législation conférant au gouverneur en conseil un pouvoir général de prise de règlements, la discrimination (au sens du droit administratif) est autorisée à moins qu’elle ne soit expressément prohibée — La Loi sur les parcs nationaux du Canada ne prévoit pas de telle interdiction — La distinction opérée en l’espèce n’est pas contraire à l’intérêt public puisqu’elle vise à améliorer la situation de personnes historiquement désavantagées.

Il s’agissait du second et dernier ensemble de motifs ayant trait à un appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande, présentée par les appelants, de contrôle judiciaire de la décision du directeur de la réserve du parc national de Gwaii Haanas (le parc). Le directeur a délivré un permis de voyagiste aux appelants, mais ce permis limitait leur accès au parc conformément à une politique adoptée par le Conseil de gestion de l’archipel (CGA), une structure adoptée pour permettre au gouvernement du Canada et au Conseil de la nation haïda d’assurer la gestion conjointe du parc. La question litigieuse en l’espèce était celle de savoir si le CGA, par l’entremise du directeur, était autorisé par la législation habilitante à limiter l’accès au parc en répartissant 33 000 jours/nuitées‑utilisateurs de façon égale entre des utilisateurs indépendants, des voyagistes haïdas et des voyagistes non-haïdas (la politique d’attribution de quotas aux Haïdas).

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

À l’encontre du droit municipal, où la discrimination est interdite à moins qu’elle ne soit expressément autorisée, lorsqu’il s’agit d’une législation conférant au gouverneur en conseil un pouvoir général de prise de règlements, la discrimination (au sens du droit administratif) est autorisée à moins qu’elle ne soit expressément prohibée (Sunshine Village Corp. c. Canada (Parcs)). En l’espèce, les appelants contestaient une politique adoptée en application du Règlement sur l’exploitation de commerces dans les parcs nationaux du Canada. La Loi sur les parcs nationaux du Canada et le Règlement ne sont assortis d’aucune restriction qui empêcherait d’établir des distinctions entre diverses catégories de commerces. En fait, le Règlement autorise expressément le directeur à assortir un permis d’exploitation de commerce de conditions qui tiennent compte du type de commerce visé. Ces conditions tiennent compte d’éléments nécessaires « à la préservation, à la surveillance et à l’administration du parc ». Qui plus est, la répartition de l’accès au parc entre des voyagistes haïdas et non-haïdas, qui opère une distinction selon l’origine raciale ou ethnique des propriétaires des entreprises voyagistes, n’est pas contraire à l’intérêt public puisqu’elle vise à améliorer la situation de personnes historiquement désavantagées.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 15(2).

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6, art. 16 (mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 16).

Loi sur l’équité en matière d’emploi, L.C. 1995, ch. 44.

Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32, art. 16.

Règlement sur l’exploitation de commerces dans les parcs nationaux du Canada, DORS/98‑455 (mod. par DORS/2002‑370, art. 1), art. 4.1 (édicté, idem, art. 5), 5 (mod., idem, art. 10(F)).

jurisprudence citée

décision appliquée :

Sunshine Village Corp. c. Canada (Parcs), [2004] 3 R.C.F. 600; 2004 CAF 166; infirmant [2003] 4 C.F. 459; 2003 CFPI 546.

décisions examinées :

Moresby Explorers Ltd. c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 144; Aerlinte Eireann Teoranta c. Canada (Ministre des Transports) (1990), 68 D.L.R. (4th) 220; 107 N.R. 120 (C.A.F.); confirmant [1987] 3 C.F. 383 (1re inst.).

décisions citées :

Moresby Explorers Ltd. c. Canada (Procureur général), [2001] 4 C.F. 591; 2001 CFPI 780; Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; (1959), 16 D.L.R. (2d) 689; Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.).

APPEL de la décision (2005 CF 592) de la Cour fédérale rejetant la demande, de contrôle judiciaire présentée par les appellants de la décision du directeur de la réserve du parc national de Gwaii Haanas, qui a délivré aux appelants un permis de voyagiste limitant leur accès au parc sur le fondement d’une politique qui opère une distinction entre des voyagistes haïdas et non- haïdas. Appel rejeté.

ont comparu :

Christopher Harvey, c.r. pour les appelants.

Sean Gaudet pour l’intimé, le procureur général du Canada.

Louise Mandell, c.r. et Mary Locke Macaulay pour l’intimé, le Conseil de la nation haïda.

avocats inscrits au dossier :

MacKenzie Fujisawa LLP, Vancouver, pour les appelants.

Le sous‑procureur général du Canada pour l’intimé, le procureur général du Canada.

Mandell Pinder, Vancouver, pour l’intimé, le Conseil de la nation haïda.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Pelletier, J.C.A.:

INTRODUCTION

[1]Dans Moresby Explorers Ltd. c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 144, notre Cour d’appel a fait remarquer que les appelants Moresby Explorers Ltd. et Douglas Gould (collectivement Moresby) avaient déclaré contester la Politique d’attribution de quotas aux Haïdas (définie ci‑dessous) uniquement sur le fondement de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], de sorte qu’elle n’avait pas à examiner l’argument de Moresby selon lequel la politique était invalide pour motif de discrimination administrative. Moresby a par la suite fait savoir qu’en fait, elle ne renonçait pas à son argumentation relative à la discrimination administra-tive, et qu’elle demandait un nouvel examen de cet élément de la décision de la Cour d’appel. Par conséquent les parties ont été convoquées à nouveau pour qu’elles présentent leur argumentation sur la question de savoir si la Politique d’attribution de quotas aux Haïdas était invalide au motif que la législation habilitante ne permettait pas au directeur du parc d’établir entre divers voyagistes des distinctions fondées sur la race ou la taille du commerce.

LES FAITS

[2]Le présent différend s’est soulevé dans le cadre de l’administration de la réserve du parc national de Gwaii Haanas (le parc) par le Comité de gestion de l’archipel (CGA). Le CGA a été adopté comme structure pour permettre au gouvernement du Canada et au Conseil de la nation haïda d’assurer la gestion conjointe du parc sans que cela porte atteinte à la position de l’une ou l’autre partie dans les négociations entourant la revendication par la nation haïda d’un territoire qui comprend le parc. Pour obtenir des détails sur la structure du CGA et son cadre juridique, l’on peut se reporter à Moresby Explorers Ltd. c. Canada (Procureur général), [2001] 4 C.F. 591 (1re inst.), au paragraphe 67.

[3]Dans le cadre de son mandat, le CGA a adopté un ensemble de politiques limitant l’accès au parc en vue d’en protéger les ressources naturelles et culturelles. Comme élément premier de ces politiques, on a établi que la capacité d’utilisation du parc était de 33 000 jours/nuitées‑utilisateurs. Le CGA a ensuite réparti cette capacité de façon égale entre trois groupes, soit les utilisateurs indépendants du parc, les voyagistes haïdas et les voyagistes non‑haïdas. Résultat, chacun de ces groupes disposait d’un nombre maximal de 11 000 jours/nuitées‑utilisateurs. Le CGA a également fixé des « plafonds de visiteurs », une politique visant à attribuer à tout voyagiste un nombre maximal de 22 clients par jour et de 2 500 jours/nuitées‑utilisateurs par année. Cette politique a pour but d’empêcher qu’aucun voyagiste ne puisse monopoliser à lui seul les ressources du parc.

[4]Le problème que posent les politiques ainsi adoptées par le CGA, c’est qu’il n’y a pas de voyagiste haïda, alors que le quota de jours/nuitées‑utilisateurs attribué aux voyagistes non-haïdas ne suffit pas pour ces derniers. Moresby allègue dans ce cadre que le nombre maximal de 11 000 jours/nuitées‑utilisateurs attribués aux voyagistes non-haïdas limite illicitement leur potentiel de croissance.

LES PRÉTENTIONS DE MORESBY

[5]Moresby conteste la Politique d’attribution de quotas aux Haïdas et les plafonds de visiteurs pour motif de discrimination administrative; autrement dit, [traduction] « les pouvoirs délégués à une autorité subordonnée (p. ex. le directeur d’un parc national) doivent être strictement exercés dans les limites prévues par la législation habilitante, particulièrement lorsqu’ils restreignent l’emploi ou le droit au travail » (mémoire de Moresby, au paragraphe 27).

[6]Cet argument est résumé succinctement comme suit, au paragraphe 31 du mémoire de Moresby:

[traduction]

Rien, que ce soit dans la Loi sur les parcs nationaux du Canada (la Loi) ou dans le Règlement sur l’exploitation de commerces dans les parcs nationaux du Canada (le Règlement), n’autorise moindrement une autorité à faire de la discrimination sur le fondement de la race ou de la taille d’un commerce. On fait expressément mention à l’article 4 de la Loi « du peuple canadien » en son entier, et les articles 4.1 et 5 du Règlement recourent, pour énoncer le pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis, à des termes relativement restrictifs. Les dispositions législatives concernées s’articulent toutes autour du parc et non de caractéristiques personnelles du titulaire de permis. Le mieux qu’on puisse dire, c’est que l’autorité subordonnée qui délivre des permis peut, par voie de conséquence nécessaire, évaluer les qualités et compétences des demandeurs de permis individuels en vue d’établir s’ils peuvent réaliser les fins visées par la législation. Aucune disposition législative ne dénote toutefois une intention quelconque d’autoriser le directeur à écarter ou restreindre une catégorie entière de demandeurs sur le fondement de leur race ou de la taille de leur commerce. Les dispositions législatives en cause n’ont pas cette portée, et on ne peut faire transmigrer dans la Loi les buts visés par la Loi sur la concurrence.

ANALYSE

[7]Il est indiqué de formuler certaines observations préliminaires.

[8]L’argumentation de Moresby s’appuie sur des principes d’impartialité et de compétence du droit administratif, et non sur des motifs liés aux droits de la personne ou aux droits à l’égalité. Par conséquent, la question des motifs de discrimination illicites n’est pas soulevée en l’espèce, comme Moresby prétend qu’établir des distinctions entre des commerces pour quelque motif que ce soit, y compris la race, est ultra vires de la législation habilitante, et non pas que cela est contraire à la Charte ou à la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H‑6]. Les arguments de Moresby fondés sur la Charte ont été examinés dans notre décision initiale. La seule question dont nous sommes saisis est de savoir si le CGA, par l’entremise du directeur, était autorisé par la législation habilitante à réglementer comme il l’a fait l’industrie des voyagistes.

[9]Il est nécessaire à ce stade d’établir plus précisément ce qui est en question dans la Politique d’attribution de quotas aux Haïdas. Nous avons distingué, dans notre décision initiale, entre cette politique et les plafonds de visiteurs. Nous avons traité de manière distincte des plafonds de visiteurs, que nous avons conclu être légitimes. On a désigné la répartition de quotas entre voyagistes haïdas et non-haïdas comme étant la Politique d’attribution de quotas aux Haïdas, et c’est cette politique uniquement que nous n’avons pas analysée sous l’angle de la discrimination administra-tive. La légitimité de ce critère de distinction n’étant pas contestée, la question en litige est simplement de savoir si le directeur est mandaté ou non par la loi pour établir des distinctions entre des catégories de commerces, ou créer de telles catégories, à des fins de réglementation et d’octroi de permis.

[10]Bien que l’argumentation de Moresby soit axée sur la répartition de quotas entre les voyagistes haïdas et non-haïdas, la Politique d’attribution de quotas aux Haïdas vise en fait trois groupes: les utilisateurs indépendants, les voyagistes haïdas et les voyagistes non-haïdas. La politique s’inscrit ainsi au sein d’une politique plus générale de gestion de l’accès des touristes au territoire du parc de manière à en préserver le patrimoine naturel et culturel. La capacité d’utilisation du parc n’est pas fonction de la disponibilité de voyagistes, mais plutôt de l’aptitude à recevoir des visiteurs dans le parc, selon l’appréciation raisonnable du CGA, sans porter atteinte à ses ressources naturelles et culturelles. À ce titre, l’établissement de la capacité d’utilisation du parc n’est pas une question relevant du Règlement sur l’exploitation de commerces dans les parcs nationaux du Canada, DORS/98‑455 [mod. par DORS/2002‑370, art. 1] (le Règlement), mais plutôt une question liée à l’administration du parc en tant que tel.

[11]La répartition entre trois groupes de la capacité totale d’utilisation constitue une attribution de l’accès au parc, ce n’est pas une attribution liée aux possibilités des voyagistes. En attribuant un tiers de l’accès au parc aux touristes indépendants, on réserve clairement une partie de cet accès à ceux qui préfèrent ne pas recourir aux services de voyagistes. En répartissant les deux tiers restants de la capacité d’utilisation du parc entre deux types de voyagistes, on fait cette fois bel et bien une distinction entre différents voyagistes. Ce que Moresby conteste, c’est le pouvoir du directeur d’établir ce type de distinction.

[12]Moresby énonce comme suit sa position dans son mémoire (au paragraphe 8):

[traduction]

Les  appelants  ne  contestent  pas  les limites imposées à l’« utilisation du parc » sous la forme d’un plafond général de 33 000 jours/nuitées‑utilisateurs par année, d’un plafond quotidien de 300 visiteurs et d’un plafond de groupe de 12 visiteurs par site. Ces limites ont un lien rationnel avec les fins visées de préservation du parc. Ce que les appelants contestent toutefois, ce sont d’autres restrictions se fondant sur des caractéristiques personnelles du titulaire de permis, à savoir la taille de son commerce ainsi que sa race ou son origine ancestrale.

[13]Au paragraphe 11 du mémoire de Moresby, on décrit ensuite comme suit l’effet de la Politique d’attribution de quotas aux Haïdas:

[traduction] En 1999, toutefois, Parcs Canada (par l’entremise du CGA) a établi la Politique d’attribution de quotas aux Haïdas, qui soumettait le quota à ségrégation interdisant aux non‑Haïdas l’accès aux 11 000 jours/ nuitées‑utilisateurs réservés aux Haïdas. L’effet immédiat en a été que les non‑Haïdas ne pouvaient plus faire croître leur entreprise, que ce soit au moyen de répartitions ou de regroupements, jusqu’à ce que soit descendu sous 11 000 le nombre total de jours/nuitées‑utilisateurs du quota attribués aux « non‑Haïdas ». Comme la cour de première instance l’a conclu, puisque le nombre total de jours/nuitées‑utilisateurs était de 13 778 en 2004 quant au quota attribué aux « non‑Haïdas », il n’y avait pas de possibilité de croissance pour l’entreprise d’un titulaire de permis si ce dernier était un « non‑Haïda ». L’origine haïda est devenue ainsi une condition préalable à l’attribution d’un quota nouveau ou supérieur. Et il n’est pas permis de partager avec des non‑Haïdas une partie du quota attribué aux Haïdas.

[14]Essentiellement, la capacité de croissance de Moresby est restreinte et elle ne peut atteindre son plafond individuel de 2 500 jours/nuitées‑utilisateurs du fait que les voyagistes non-haïdas ne peuvent se partager entre eux que le quota de 11 000 jours/nuitées‑ utilisateurs qui leur a été attribué. Si tous les voyagistes pouvaient se partager les 22 000 jours/nuitées‑ utilisateurs réservés aux voyagistes, la capacité d’utilisa-tion totale ne serait pas atteinte et Moresby pourrait faire croître son entreprise à concurrence de son plafond de visiteurs de 2 500 jours/nuitées‑utilisateurs.

[15]Le problème soulevé par Moresby en est simplement un de concurrence à l’égard d’une ressource restreinte. Tout système de quotas est susceptible par nature d’engendrer le problème dont se plaint Moresby. À un certain stade, la demande pour l’objet d’un tel système dépasse le quota total disponible. Cela, en soi, ne donne pas droit à réparation. Si le système de quotas est licite—et nous avons conclu qu’il l’est —, la concurrence qui en résulte pour les jours/nuitées‑ utilisateurs en constitue une conséquence normale.

[16]En l’espèce, le problème est plus irritant du fait que, alors qu’un quota réservé pour des commerces inexistants (les voyagistes haïdas) demeure inutilisé, les voyagistes en activité ne peuvent faire croître leur entreprise parce que le quota qui leur est réservé est, lui, tout utilisé. L’élimination de la distinction faite entre voyagistes haïdas et voyagistes non-haïdas remédierait dans l’immédiat à la situation de ces derniers, mais le même problème réapparaîtrait lorsque la demande pour l’accès au parc excéderait dans l’avenir le quota attribué à l’ensemble des voyagistes.

[17]En outre, une fois atteint son plafond individuel de 2 500 jours/nuitées‑utilisateurs, Moresby ne pourra tirer profit de tout quota additionnel réservé aux voyagistes non-haïdas qui serait disponible. Sa croissance restera restreinte par son plafond de visiteurs individuel de 2 500 jours/nuitées‑utilisateurs, que nous avons également jugé être valide.

[18]Dans cette perspective, l’allégation de discrimination en fonction de la taille du commerce portée par Moresby est sans fondement. Le plafond individuel de 2 500 jours/nuitées‑utilisateurs vise à assurer que toutes les entreprises demeureront de petite taille, même si certaines pourront être de plus grande envergure que d’autres et avoir davantage de succès. Tout voyagiste ayant du succès dans le parc se heurtera éventuellement au plafond de visiteurs de 2 500 jours/nuitées‑utilisateurs. Il n’y a là aucune discrimina-tion fondée sur la taille du commerce. La croissance de tous les voyagistes en effet, haïdas ou non‑haïdas, se trouvera arrêtée par ce plafond de visiteurs.

[19]La seule question qu’il reste à trancher est de savoir si la législation autorise le directeur à établir des distinctions entre différentes catégories de commerces, ou à créer de telles catégories. Une question analogue a été soulevée dans l’affaire Sunshine Village Corp. c. Canada (Parcs), [2004] 3 R.C.F. 600 (C.A.F.) (Sunshine Village Corp.), où Sunshine Village soutenait que la fixation de droits pour un permis de construire plus élevés à l’égard des parcs nationaux de Banff et Jasper qu’à l’égard d’autres parcs nationaux constituait de la discrimination illicite, cette mesure étant ultra vires du gouverneur en conseil. La Section de première instance de la Cour fédérale du Canada (sa désignation à l’époque) a admis l’argument de Sunshine Village et a statué que la fixation de droits différents était discriminatoire (au sens du droit administratif) et n’était pas autorisée, expressément ou par déduction nécessaire, par la législation habilitante (Sunshine Village Corp. c. Canada (Parcs), [2003] 4 C.F. 459 (1re inst.).

[20]Notre Cour d’appel a accueilli l’appel de la Couronne, au motif que la loi autorisant la prise du règlement prétendument discriminatoire conférait ce pouvoir en des termes suffisamment généraux pour que le gouverneur en conseil puisse établir des distinctions entre les utilisateurs de parcs nationaux différents. La Cour d’appel a distingué comme suit la situation en cause de la règle habituelle dans les affaires de droit municipal, qui interdit les règlements discriminatoires (Sunshine Village Corp., (C.A.F.), aux paragraphes 18 et 22):

Contrairement à la pratique traditionnelle des provinces consistant à accorder aux municipalités des pouvoirs particuliers, ces mots confèrent à première vue un pouvoir général au gouverneur en conseil. Il n’apparaît pas qu’ils soient de quelque façon limités. La Cour doit prendre le texte tel qu’il existe. En l’absence de mots restrictifs dans le texte, la Cour n’y présumera l’existence d’aucune limite.

[. . .]

Les tribunaux ont toujours exigé une autorisation expresse ou nécessairement implicite dans les lois organiques des municipalités avant que celles‑ci ne soient autorisées à prendre des règlements discriminatoires. Inversement, lorsque le législateur confère un pouvoir de réglementation au gouverneur en conseil en des termes généraux, en ce qui concerne les droits applicables aux services fournis par l’État, c’est avec retenue et circonspection que les tribunaux s’appliqueront à analyser la validité de tels règlements. Il s’agira simplement d’interpréter, dans leur contexte, les mots que le législateur a employés, d’une manière qui s’accorde avec leur sens ordinaire et grammatical.

[21]Comme la législation habilitante ne restreignait aucunement le pouvoir du gouverneur en conseil d’établir des barèmes de droits différents pour les permis de construire dans des parcs différents, la Cour d’appel n’était pas disposée à interpréter cette législation comme comportant de telles restrictions. Cette situation est ainsi exactement contraire à celle qui prévaut en droit municipal, où la discrimination est interdite à moins qu’elle ne soit expressément autorisée. Lorsqu’on a plutôt affaire à une législation conférant au gouverneur en conseil un pouvoir général de prise de règlements, la discrimination (au sens du droit administratif) est autorisée à moins qu’elle ne soit expressément prohibée.

[22]Des vues semblables ont été exprimées dans l’arrêt Aerlinte Eireann Teoranta c. Canada (Ministre des Transports) (1990), 68 D.L.R. (4th) 220 (C.A.F.) (Aerlinte Eireann Teoranta), où le litige portait sur des taxes d’aéroport d’arrivée. Dans certains aéroports des taxes plus élevées que dans d’autres étaient exigées. Dans cette affaire, notre Cour d’appel a reconnu le droit du gouverneur en conseil d’exiger des taxes différentes dans des aéroports différents. Tout en confirmant la décision du juge de première instance [[1987] 3 C.F. 383 (1re inst.)], le juge Heald a déclaré ce qui suit (Aerlinte Eireann Teoranta, à la page 228):

Je suis également d’accord avec lui pour dire que: « Le pouvoir d’établir des règlements prescrivant une taxe pour l’utilisation d’installations et de services sans entraves comporte le pouvoir de créer des catégories d’usagers. »

[23]On conteste en l’espèce non pas le pouvoir du gouverneur en conseil de prendre le Règlement, mais plutôt l’exercice du pouvoir conféré par le Règlement au directeur. L’intimé allègue (au paragraphe 46 du mémoire du procureur général) que, puisque l’objet de la contestation de Moresby est une politique adoptée en vertu du Règlement et non le Règlement lui‑même, la demande ne peut être accueillie, les simples politiques (par opposition aux décisions se fondant sur des politiques) n’étant pas susceptibles d’examen.

[24]Les motifs possibles de contestation d’une politique sont restreints. On fait habituellement preuve d’une grande retenue à l’égard des politiques; il n’est ainsi pas loisible de soumettre à examen judiciaire la sagesse ou le bien‑fondé d’une politique gouverne-mentale (Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8). La Cour peut toutefois statuer sur la légalité d’une politique donnée Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, aux pages 751 et 752; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la page 140). Parce que l’illégalité a trait à la validité d’une politique plutôt qu’à son application, une politique illégale peut être contestée en tout temps; le demandeur n’a pas à attendre que la politique ait été appliquée à son cas particulier (Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A), au paragraphe 16).

[25]Quant au fond maintenant de l’affaire, l’article 16 de la Loi sur les parcs nationaux du Canada [L.C. 2000, ch. 32] autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements concernant ce qui suit:

16. (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant:

[. . .]

n) la  réglementation  des  activités—notamment en matière de métiers, commerces, affaires, sports et divertissements—, telles que, entre autres, les activités relatives aux installations commerciales de ski visées à l’article 36, y compris en ce qui touche le lieu de leur exercice;

[26]Le Règlement traite pour sa part du contrôle de l’exploitation de commerces au moyen de la délivrance de permis. Les dispositions pertinentes en sont les suivantes [articles 4.1 (édicté par DORS/2002‑370, art. 5), 5 (mod., idem, art. 10(F))]:

4.1 Le directeur peut, sur présentation d’une demande conforme à l’article 4 et après avoir pris en considération les éléments mentionnés au paragraphe 5(1), délivrer un permis visant l’exploitation du commerce mentionné dans la demande.

5. (1) Le directeur doit, pour décider s’il y a lieu de délivrer un permis et, le cas échéant, en déterminer les conditions, prendre en considération les conséquences de l’exploitation du commerce sur les éléments suivants:

a) les ressources naturelles et culturelles du parc;

b) la sécurité, la santé et l’agrément des visiteurs et des résidents du parc;

c) la sécurité et la santé des personnes qui se prévalent des biens ou services offerts par le commerce;

d) la préservation, la surveillance et l’administration du parc.

(2) Le directeur doit indiquer à titre de condition dans le permis:

a) les types de biens et services qu’offrira le commerce;

b) l’adresse du commerce, le cas échéant, ou une description des lieux du parc où il sera exploité.

(3) Compte tenu du type de commerce visé, le directeur peut, en sus des conditions visées au paragraphe (2), assortir le permis de conditions portant sur ce qui suit:

a) les heures d’ouverture;

b) l’équipement à utiliser;

c) les exigences visant la santé, la sécurité, la prévention des incendies et la protection de l’environnement;

d) tout autre élément nécessaire à la préservation, à la surveillance et à l’administration du parc.

[27]Le pouvoir de prise de règlements prévu dans la Loi sur les parcs nationaux du Canada n’est assorti d’aucune restriction qui empêcherait d’établir des distinctions entre diverses catégories de commerces. Le Règlement promulgué en vertu de ce pouvoir traite de la réglementation de commerces grâce au pouvoir de délivrer des permis. Ce pouvoir est très général, et le Règlement ne prévoit aucune restriction expresse du pouvoir du directeur d’établir des distinctions entre diverses catégories de commerces. Au contraire, le paragraphe 5(3) autorise le directeur à assortir un permis d’exploitation de commerce de conditions qui tiennent compte du type de commerce visé. Parmi ces conditions, en outre, on compte les éléments nécessaires « à la préservation, à la surveillance et à l’administration du parc ». Je n’ai donc aucun mal à conclure que la Loi et le Règlement sont suffisamment généraux pour permettre au directeur d’assortir les permis d’exploitation de conditions qui varient selon le type de commerce visé.

[28]Selon l’argumentation de Moresby, c’est une chose que d’établir des distinctions entre une quincaillerie et un restaurant, mais une toute autre chose que d’en établir entre un commerce qui appartient à un Haïda et un commerce qui appartient à un non‑Haïda. La nature du commerce réglementé pourrait rendre nécessaire l’établissement de conditions particulières; les caractéristiques personnelles du propriétaire du commerce ne le pourraient pas. D’ailleurs, compte tenu de la législation sur les droits de la personne et des dispositions sur les droits à l’égalité de la Charte, des conditions ou des restrictions fondées sur la race seront généralement considérées contraires à l’intérêt public.

[29]La question de la discrimination administrative se règle, à mon avis, de la façon que je vais maintenant exposer. Le pouvoir de prise de règlements conféré au gouverneur en conseil par la Loi sur les parcs nationaux du Canada n’est pas restreint de manière à empêcher l’établissement de distinctions entre différentes catégories de commerces. Le gouverneur en conseil a ainsi compétence pour promulguer en l’occurrence des règlements qui autorisent la discrimination (au sens administratif) entre différentes personnes et différents commerces. Cet élément à lui seul permet de différencier la présente affaire des affaires de droit municipal invoquées par Moresby où l’autorité déléguée, le conseil municipal, ne dispose pas du pouvoir de discriminer, à moins que la législation ne le lui ait expressément conféré.

[30]Le Règlement pris par le gouverneur en conseil prévoit que des distinctions peuvent être établies entre divers commerces, mais pas, selon Moresby, le type de distinction qui a été faite en l’espèce. Or comme il a été dit, ce qu’on examine en droit administratif en matière de discrimination c’est l’établissement de distinctions, et non pas le motif pour lequel une distinction est faite. Ainsi, à moins qu’on puisse démontrer que la distinction établie par le directeur est contraire à l’intérêt public, rien dans le Règlement ne pourrait faire obstacle au type de distinction dont il est question en l’espèce. En dernière analyse, la question à trancher est de savoir si la répartition de l’accès au parc entre voyagistes haïdas et non-haïdas est contraire ou non à l’intérêt public.

[31]Le concept d’intérêt public s’harmonise au contexte dans lequel on l’invoque. La discrimination fondée sur la race est contraire à l’intérêt public lorsqu’elle vient simplement renforcer des caractéris-tiques stéréotypées que l’on prête à un groupe. Diverses dispositions législatives permettent toutefois de faire valoir que la discrimination visant à améliorer la situation d’un groupe historiquement désavantagé est acceptable. Par exemple, le législateur autorise par l’article 16 [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 16] de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6, l’adoption de programmes spéciaux destinés à prévenir ou diminuer les désavantages que subit un groupe d’individus pour des motifs illicites de distinction. On peut penser également à la Loi sur l’équité en matière d’emploi, L.C. 1995, ch. 44, qui prescrit l’adoption de programmes visant à accroître la proportion au sein de la main‑d’œuvre des personnes faisant partie de minorités, visibles ou non. La Charte canadienne des droits et libertés elle‑même, au paragraphe 15(2), établit comme réserve que la garantie constitutionnelle des droits à l’égalité « n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés ». L’on ne peut par conséquent soutenir de manière générale que la discrimination fondée sur la race est contraire à l’intérêt public. Les dispositions discriminatoires visant à améliorer la situation de personnes historiquement désavantagées, en effet, ne sont pas contraires à cet intérêt public.

[32]La raison d’être de la Politique d’attribution de quotas aux Haïdas est expliquée comme suit, au paragraphe 45 de l’affidavit souscrit le 28 mars 2004 par Anna Gadja (onglet 6—recueil de la preuve du procureur général du Canada, intimé):

[traduction] L’un des principaux motifs de la mise en réserve au profit des voyagistes commerciaux haïdas d’une partie du quota global c’était que le CGA avait « exclu » les commerces haïdas dans la réserve du parc après l’instauration du système de délivrance de permis en 1996 et la décision  de n’accorder de permis à aucun nouveau commerce. Telle n’était pas la situation en 1993 à l’adoption de l’Entente sur Gwaii Haanas, et l’Entente ne traite pas de cette question directement. Compte tenu de l’esprit de l’Entente sur Gwaii Haanas, voulant que les deux parties assument ensemble et en collaboration les responsabilités de planification, d’exploitation et d’administration à l’égard de l’Archipel, le CGA a décidé de remédier au « gel » par inadvertance des occasions pour les Haïdas d’exercer des activités de voyagistes commerciaux à Gwaii Haanas en leur réservant une part distincte du quota attribué.

[33]L’exclusion des commerces Haïdas mentionnée par Mme Gadja a découlé de la décision prise par le CGA de « geler » les activités de voyagistes au parc au moment de l’instauration du système de délivrance de permis pour l’exploitation de commerces. Comme il n’y avait à l’époque qu’un voyagiste (qui a par la suite perdu son permis pour motif d’inactivité) qui était un Haïda, les Haïdas ont ainsi été empêchés dans les faits d’acquérir des permis de voyagistes en raison de la propre politique du CGA.

[34]Une autre raison pour laquelle on a attribué un tiers du quota disponible aux voyagistes haïdas est mentionnée dans l’affidavit d’Ernie Gladstone, souscrit le 1er avril 2004 (onglet 15—recueil de la preuve du procureur général du Canada) (au paragraphe 11):

[traduction] Étant donné l’importance de la culture haïda pour la réserve du parc et pour l’expérience vécue par le visiteur, le CGA a jugé inacceptable la possibilité qu’aucun Haïda n’exerce des activités de voyagiste commercial dans la réserve du parc. Il y aurait sinon eu une grande lacune dans l’interprétation du patrimoine naturel et culturel de la région.

[35]Cela cadre parfaitement avec le mandat conféré au directeur en vertu des alinéas 5(1)a) et d) du Règlement.

[36]J’en arrive ainsi à la conclusion que le Règlement autorise le directeur à établir des distinctions entre différentes catégories de commerces, et que la distinction établie en fonction de l’origine raciale ou ethnique des propriétaires d’entreprises voyagistes n’est pas une distinction invalide parce que contraire à l’intérêt public.

[37]Il s’ensuit que l’argumentation de Moresby relative à la discrimination administrative ne peut être retenue. Je rejetterais par conséquent l’appel de Moresby.

DISPOSITIF

[38]À mon avis, en conclusion, la distinction établie par le directeur, par l’entremise du CGA, entre les voyagistes haïdas et non-haïdas n’est pas ultra vires du directeur du fait qu’elle constituerait une discrimination opérée entre des catégories de commerces que n’autorise pas la législation habilitante. J’estime que la portée du Règlement est suffisamment générale pour inclure le pouvoir d’établir de telles distinctions, ou sinon encore, suivant en cela la décision Sunshine Village Corp. de notre Cour d’appel, que rien dans la Loi ou le Règlement n’interdirait qu’on fasse de telles distinctions.

[39]Je rejetterais par conséquent cet aspect de l’appel. Cette décision, combinée à notre décision quant au reste des questions en litige, me conduirait à rejeter l’appel de Moresby en son entier.

Le juge Nadon, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

La juge Sharlow, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

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