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[2017] 4 R.C.F. 310

T-1248-15

2017 CF 114

A.T. (demandeur)

c.

Globe24h.com et Sebastian Radulescu (défendeurs)

et

Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada (codéfendeur)

Répertorié : A.T. c. Globe24h.com

Cour fédérale, juge Mosley—Calgary, 9 novembre 2016; Ottawa, 30 janvier 2017.

Protection des renseignements personnels — Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques — Demande fondée sur l’art. 14 de la LPRPDE découlant d’un rapport du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (CPVP), dans lequel ce dernier a déterminé que les requêtes du demandeur contre les défendeurs sont bien fondées — Le défendeur Sebastian Radulescu republie des décisions de cours et de tribunaux canadiens sur un site Web situé en Roumanie, Globe24h.com — Les décisions publiées sur ce site sont indexées et révèlent le nom d’une personne et des renseignements personnels de nature délicate si l’on utilise un moteur de recherche comme Google — Une instance de relations de travail du demandeur a été republiée sur Globe24h.com — Le défendeur exigeait que le demandeur paie des frais pour supprimer ses renseignements personnels du Globe24h.com — Le CPVP a conclu, entre autres, que la LPRPDE peut s’appliquer au site Globe24h.com; que l’exception « à des fins journalistiques » (art. 4(2)c) de la LPRPDE) et que l’exception concernant un renseignement réglementaire auquel le public a accès (7(1)d), 7(2)c.1) et 7(3)h.1 de la LPRPDE) ne s’appliquaient pas aux activités de Globe24h.com; et que l’objectif sous-jacent du site Globe24h.com n’était pas acceptable en vertu de l’art. 5(3) de la LPRPDE — Il s’agissait de savoir si la LPRPDE a une portée extraterritoriale et si elle s’applique au site Globe24h.com; si l’objectif du défendeur est « acceptable » et si l’exception de l’accessibilité au public s’applique — La LPRPDE s’applique aux activités des défendeurs — La question en l’espèce était de savoir s’il y a eu un lien réel et important entre les défendeurs et le Canada — Le lieu physique n’est pas un facteur déterminant — Le contenu en question, le public cible et les répercussions sur les Canadiens sont des facteurs de rattachement — Le principe de la courtoisie n’est pas enfreint lorsqu’une activité se déroule à l’étranger, mais qu’elle a des conséquences illégales au Canada — Étant donné la participation de l’équivalent roumain du CPVP, les conclusions de la Cour ajouteraient un complément aux mesures prises devant la Cour roumaine — Le défendeur est une « organisation » au sens de l’art. 4(1)a) de la LPRPDE — L’objectif déclaré du défendeur ne peut être considéré comme « journalistique » — L’exemption de l’art. 4(2)c) ne s’applique que lorsque les renseignements sont collectés, utilisés ou publiés exclusivement à des fins journalistiques — Il faut trouver un équilibre entre le principe de la transparence de la justice et l’accès en ligne accru aux dossiers judiciaires où la vie privée et la sécurité des participants aux procédures judiciaires feront l’objet de débats — Les gestes du défendeur entraînent une visibilité inutile des renseignements personnels confidentiels des participants au système de justice — Le défendeur ne peut s’appuyer sur l’exception de « l’accessibilité au public » selon l’art. 7 de la LPRPDE — Les dossiers ou documents judiciaires sont accessibles au public sous certaines conditions — Une ordonnance de mesure corrective élaborée en termes généraux a été accordée conformément à l’art. 16a) de la LPRPDE — Des dommages-intérêts ont été accordés — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande fondée sur l’article 14 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) découlant d’un rapport de conclusions préparé par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (CPVP), dans lequel ce dernier a déterminé que les requêtes du demandeur contre les défendeurs sont bien fondées.

Le défendeur Sebastian Radulescu est le seul propriétaire et exploitant de Globe24h.com, un site Web situé en Roumanie qui republie des documents publics, notamment des décisions de cours et de tribunaux canadiens qui sont également accessibles à partir de sites Web juridiques canadiens. Il convient de noter que le contenu des sites Web juridiques canadiens n’est généralement pas indexé par les moteurs de recherche comme Google, alors que les décisions republiées sur Globe24h.com le sont. Ainsi, une décision comportant le nom d’une personne apparaît généralement dans les résultats de recherche lorsque le nom de cette personne est recherché au moyen de ces moteurs de recherche. De nombreuses personnes se sont plaintes au CPVP et ont affirmé que les décisions affichées sur Globe24h.com comportaient des renseignements personnels de nature délicate à leur sujet ou au sujet des membres de leur famille. Les plaignants s’opposaient particulièrement au fait que le défendeur demandait un paiement pour la suppression des renseignements personnels du site Web.

Le demandeur était partie à une instance de relations de travail visant son ancien employeur. Une décision de l’Alberta Labour Board concernant son cas avait été republiée par Globe24h.com. Le demandeur a communiqué avec Globe24h.com et a demandé que ses renseignements personnels soient supprimés. Le défendeur lui a dit qu’il devrait payer des frais pour le faire. L’équivalent roumain du CPVP a infligé une amende au défendeur pour avoir enfreint les lois roumaines en matière de protection des données. Le CPVP a conclu, entre autres, que la LPRPDE s’applique au site Globe24h.com en tant qu’organisation étrangère; que l’exception « à des fins journalistiques » prévue à l’alinéa 4(2)c) de la LPRPDE ne s’applique pas aux activités du défendeur; que l’objectif sous-jacent du site Globe24h.com ne peut être considéré comme étant à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables en vertu du paragraphe 5(3) de la LPRPDE; et que l’exception concernant un renseignement réglementaire auquel le public a accès (7(1)d), 7(2)c.1) et 7(3)h.1) de la LPRPDE) ne s’applique pas aux activités de Globe24h.com.

Il s’agissait principalement de savoir si la LPRPDE a une portée extraterritoriale et si elle s’applique au site Globe24h.com en tant qu’organisation étrangère; si l’objectif du défendeur en ce qui concerne la collecte, l’utilisation et la publication des renseignements personnels est « acceptable » au sens du paragraphe 5(3) de la LPRPDE; et si l’exception de l’accessibilité au public s’applique aux renseignements personnels reproduits sur Globe24h.com selon l’article 7 de la LPRPDE.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Étant donné que les défendeurs sont basés à l’étranger, la question en l’espèce était de savoir s’il y a eu un lien réel et important entre eux et le Canada pour conclure que la LPRPDE s’applique à leurs activités. Lorsque les activités d’une organisation se déroulent exclusivement par l’intermédiaire d’un site Web, le lieu d’origine de l’exploitant du site Web ou du serveur hôte n’est pas un facteur déterminant parce que les télécommunications se situent « à la fois ici et à l’autre endroit ». Le CPVP a souligné trois facteurs de rattachement clés entre Globe24h.com et le Canada : le contenu dont il est question est constitué de décisions de cours et de tribunaux canadiens et il contient des renseignements personnels; le site Web cible directement les Canadiens; et les répercussions du site Web sont ressenties par les membres du public canadien. Le fait que les autorités roumaines aient agi pour restreindre les activités du défendeur et qu’elles ont coopéré à l’enquête du CPVP n’est pas suffisant pour ne pas exercer la compétence de la LPRPDE dans ce contexte. Le principe de la courtoisie n’est pas enfreint lorsqu’une activité se déroule à l’étranger, mais qu’elle a des conséquences illégales ici. Il convient de respecter et d’exécuter les actes judiciaires légitimes et non pas de les écarter ou d’en faire abstraction. Les actes judiciaires légitimes de la Cour ne seraient pas considérés comme une violation du principe de la courtoisie. Étant donné la participation de l’équivalent roumain du CPVP, les conclusions de la Cour ajouteraient un complément aux mesures prises devant la Cour roumaine plutôt que d’aller à leur encontre.

Le défendeur est une « organisation » au sens de l’alinéa 4(1)a) de la LPRPDE et ses activités sont de nature commerciale. L’objectif déclaré du défendeur de « rendre la loi accessible gratuitement sur Internet » par l’intermédiaire de Globe24h.com ne peut être considéré comme « journalistique ». Le premier objectif du défendeur consiste à inciter les individus à payer pour que leurs renseignements personnels soient retirés du site Web. Même si les activités du défendeur peuvent être considérées comme partiellement journalistiques, l’exemption de l’alinéa 4(2)c) ne s’applique que lorsque les renseignements sont collectés, utilisés ou publiés exclusivement à des fins journalistiques. Aucune personne raisonnable ne considérerait que le défendeur a un véritable intérêt commercial. Il faut trouver un équilibre entre le principe de la transparence de la justice et l’accès en ligne accru aux dossiers judiciaires où la vie privée et la sécurité des participants aux procédures judiciaires feront l’objet de débats. Les gestes du défendeur entraînent, par le biais des moteurs de recherche, une visibilité inutile des renseignements personnels confidentiels des participants au système de justice.

Il n’existe aucun fondement raisonnable permettant au défendeur de s’appuyer sur l’exception de « l’accessibilité au public » selon l’article 7 de la LPRPDE. L’article 7 doit se lire conjointement avec l’alinéa 1d) du Règlement précisant les renseignements auxquels le public a accès, qui précise que les dossiers ou documents des organismes judiciaires et quasi-judiciaires doivent être considérés comme accessibles au public à condition que certaines exigences soient respectées. Les objectifs du défendeur en reproduisant les décisions ne sont pas « directement reliés » à l’objectif pour lequel les renseignements personnels apparaissent dans les décisions.

Enfin, une ordonnance de mesure corrective élaborée en termes généraux exigeant que le défendeur corrige ses pratiques afin de se conformer aux dispositions des articles 5 à 10 de la Loi a été accordée conformément à l’alinéa 16a) de la LPRPDE. L’infraction du défendeur était grave, parce que celui-ci a fait essentiellement un commerce de l’exploitation de la vie privée de personnes dans un but lucratif. Des dommages-intérêts ont été accordés compte tenu principalement du comportement du défendeur.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 53.

Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5, art. 2 « organisation », « renseignement personnel », 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 14, 16, ann. I, art. 4.3.

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42.

Personal Information Protection Act, S.A. 2003, ch. P-6.5.

Règlement précisant les renseignements auxquels le public a accès, DORS/2001-7, art. 1d).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 38, 305.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, La Haye, 15 novembre 1965, [1989] R.T. Can. no 2.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427; Equustek Solutions Inc. v. Google Inc., 2015 BCCA 265, 386 D.L.R. (4th) 224, autorisation de pourvoi à la C.S.C. accordée [2016] 1 R.C.S. xi; Libman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 178; Chevron Corp. c. Yaiguaje, 2015 CSC 42, [2015] 3 R.C.S. 69.

DÉCISION DIFFÉRENCIÉE :

Club Resorts Ltd. c. Van Breda, 2012 CSC 17, [2012] 1 R.C.S. 572.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

United Food and Commercial Workers, Local 401 v. Alberta (Attorney General), 2012 ABCA 130 (CanLII), 522 A.R. 197, conf. par 2013 CSC 62, [2013] 3 R.C.S. 733; Barrick Gold Corp. v. Lopehandia, 2004 CanLII 12938, 71 O.R. (3d) 416 (C.A.); Englander c. Telus Communications Inc., 2004 CAF 387, [2005] 2 R.C.F. 572; Donaghy c. Scotia Capital Inc., 2007 CF 224; Jodhan c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 161, [2014] 1 R.C.F. 185, confirmant 2010 CF 1197, [2011] 2 R.C.F. 355; Nammo c. TransUnion of Canada Inc., 2010 CF 1284, [2012] 3 R.C.F. 600; Girao c. Zarek Taylor Grossman, Hanrahan LLP, 2011 CF 1070.

DÉCISIONS CITÉES :

A.B. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 325, [2010] 2 R.C.F. 75; E.F. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 842; Lawson c. Accusearch Inc., 2007 CF 125, [2007] 4 R.C.F. 314; Davydiuk c. Internet Archive Canada, 2014 CF 944; Desjean c. Intermix Media, Inc., 2006 CF 1395, [2007] 4 R.C.F. 151, conf. par 2007 CAF 365; Turner c. Telus Communications Inc., 2005 CF 1601, conf. par 2007 CAF 21, [2007] 4 R.C.F. 368; Impulsora Turistica de Occidente, S.A. de C.V. c. Transat Tours Canada Inc., 2007 CSC 20, [2007] 1 R.C.S. 867; APC c. Auchan Telecom, 11/60013, jugement (28 novembre 2013) (Tribunal de grande instance de Paris); Mc Keogh v. John Doe 1 & Ors, [2012] IEHC 95; Mosley c. Google, 11/07970, jugement (6 novembre 2013) (Tribunal de grande instance de Paris); ECJ Google Spain SL, Google Inc. v. Agencia Espanola de Protección de Datos, Mario Costeja González, C-131/12 [2014], CURIA; Townsend c. Financière Sun Life, 2012 CF 550; Chitrakar c. Bell TV, 2013 CF 1103.

DOCTRINE CITÉE

Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. Rapport de conclusions d’enquête en vertu de la LPRPDE no 2015-002, le 5 juin 2015.

Conseil canadien de la magistrature. Modèle de politique sur l’accès aux archives judiciaires au Canada, septembre 2005.

Organisation de coopération et de développement économiques. Lignes directrices régissant la protection de la vie privée et les flux transfrontières de données de caractère personnel.

Sharpe, Robert J. Injunctions and Specific Performance, feuilles mobiles, Toronto : Canada Law Book, novembre 2002.

DEMANDE fondée sur l’article 14 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques découlant d’un rapport de conclusions (Rapport de conclusions sur la LPRPDE no 2015-002) préparé par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada ayant déterminé que les requêtes du demandeur contre les défendeurs sont bien fondées. Demande accueillie.

ONT COMPARU

A.T., pour son propre compte.

Regan Morris et Sarah Speevak pour le codéfendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, Gatineau, pour le codéfendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Mosley :

I.          INTRODUCTION

[1]        La présente demande de novo fondée sur l’article 14 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 (la LPRPDE ou la Loi) soulève des questions à l’égard du principe de la publicité des débats judiciaires, de la courtoisie internationale et de l’extraterritorialité à l’ère numérique.

[2]        La demande découle d’un rapport de conclusions daté du 5 juin 2015 [Rapport de conclusions d’enquête en vertu de la LPRPDE no 2015-002], préparé par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (CPVP), dans lequel ce dernier a déterminé que les requêtes du demandeur contre les défendeurs situés en Roumanie, Sebastian Radulescu et Globe24h.com, sont bien fondées.

[3]        Pour les motifs qui suivent, la demande sera accueillie et le jugement prononcé en faveur du demandeur.

II.         CONTEXTE

A.        Les parties

[4]        Le demandeur, A.T., réside à Calgary, en Alberta. Il est originaire de la Roumanie où il a encore de la famille. À sa demande, et après avoir examiné le principe de la publicité des débats judiciaires, la Cour a accepté de remplacer son nom par des initiales pour offrir une certaine protection de son identité. Son nom complet apparaît dans les documents judiciaires qui ont été signifiés aux défendeurs en l’espèce, mais n’apparaîtra pas dans la version publique en ligne de la présente décision.

[5]        Le défendeur Sebastian Radulescu est le seul propriétaire et exploitant de Globe24h.com, un site Web situé en Roumanie qui republie les documents publics d’un certain nombre de pays, notamment le Canada. Bien que Globe24h.com ait également été nommée en tant que défendeur dans la présente demande, aucune preuve au dossier n’indique que le site Web est une entité juridique distincte ou que toute autre personne que M. Radulescu contrôle le site Web. Je désignerai donc collectivement M. Radulescu et Globe24h.com sous défendeur.

[6]        Le 30 octobre 2015, le défendeur s’est vu signifier l’avis de demande et les pièces justificatives en vertu de la Convention relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, La Haye, 15 novembre 1965, [1989] R.T. Can. no 2 (la Convention de La Haye). Il n’a déposé aucun avis de comparution en vertu de la règle 305 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles) et n’a pas participé à cette instance. Lorsqu’elle a été convaincue que le défendeur avait été avisé de la date et du lieu de l’audience, la Cour a procédé en l’absence du défendeur, conformément à la règle 38 des Règles.

[7]        Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada (le commissaire), nommé en vertu de l’article 53 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, se voit confier des responsabilités en vertu de la LPRPDE, y compris l’examen des plaintes visées à l’article 12. Le 15 mars 2016, la requête du commissaire afin de comparaître en tant que partie à la présente demande a été accueillie par le juge responsable de la gestion de l’instance, Roger R. Lafrenière. Le commissaire a participé en qualité de codéfendeur, a déposé une preuve documentaire et a présenté des observations écrites et orales. Je désignerai le codéfendeur en tant que commissaire et son bureau, en tant que CPVP.

[8]        Bien qu’aucun dossier de réponse n’ait été déposé par M. Radulescu ou Globe24h.com, le dossier présenté par le commissaire comporte des communications de M. Radulescu dans lesquelles il expose plusieurs positions à l’égard de la plainte déposée contre lui et son site Web. Dans ces communications, M. Radulescu a démontré une certaine connaissance du droit canadien, en particulier la LPRPDE, ainsi que du processus de traitement des plaintes du CPVP. Il démontre également qu’il est au courant des rapports des médias canadiens portant sur la controverse que son site Web a suscitée. Rien n’indique que le défendeur ne savait pas qu’il pouvait contester la demande s’il avait décidé de le faire.

B.        Plaintes au CPVP

[9]        Le défendeur exploite Globe24h.com à partir de Constanta, en Roumanie. Le serveur qui héberge le site Web se trouve également en Roumanie. Le CPVP a remis de nombreux éléments de preuve sur les activités du défendeur et les plaintes de citoyens et de résidents canadiens à l’égard de l’information divulguée sur le site Web du défendeur.

[10]      En juillet 2013, Globe24h.com a commencé à republier des décisions de cours et de tribunaux canadiens qui sont également accessibles à partir de sites Web juridiques canadiens comme CanLII.org. La différence entre ces autres sites et Globe24h.com est que le défendeur a permis que les décisions republiées sur son site Web soient indexées par des moteurs de recherche tiers comme Google. De plus, étant donné que les décisions figurant sur Globe24h.com sont indexées par des moteurs de recherche, une décision comportant le nom d’une personne apparaît généralement dans les résultats de recherche lorsque le nom de cette personne est recherché au moyen de ces moteurs de recherche.

[11]      Il convient de noter que le contenu des sites Web juridiques canadiens n’est généralement pas indexé et une personne qui demande ce genre de renseignements doit consulter directement chaque site et effectuer une recherche en indiquant le nom des parties, l’intitulé de la cause ou la référence de la décision pour obtenir le contenu.

[12]      En octobre 2013, le CPVP a commencé à recevoir des plaintes de personnes affirmant que des liens vers des décisions de cours et de tribunaux canadiens comportant leurs renseignements personnels apparaissaient de manière évidente dans les résultats de recherche lorsque leurs noms étaient saisis dans des moteurs de recherche courants. Entre octobre 2013 et juin 2015, le CPVP a reçu au total 38 plaintes concernant Globe24h.com. De juin 2015 à la date de dépôt du dossier du CPVP, ce dernier avait reçu 11 autres plaintes, dont la plus récente avait été déposée en avril 2016. Le CPVP a examiné les plaintes de 27 personnes, dont le demandeur. Le site Web de l’Institut canadien d’information juridique (CanLII) a également reçu plus de 150 plaintes concernant Globe24h.com avant le mois d’avril 2016.

[13]      Les plaignants ont affirmé que les décisions affichées sur Globe24h.com comportaient des renseignements personnels de nature délicate à leur sujet ou au sujet des membres de leur famille relativement à des questions personnelles comme des procédures de divorce, des questions d’immigration, des questions de santé et des faillites personnelles. Par exemple, l’une des plaintes concernait le contrôle judiciaire devant la Cour d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié se rapportant à une personne séropositive parrainée par son époux aux fins de son admission au Canada. Parmi les plaintes déposées en preuve par le CPVP, il y a beaucoup d’autres exemples de renseignements personnels de nature très délicate traités dans les jugements et les décisions affichés sur Globe24h.com.

[14]      Selon le CPVP, les plaignants comprenaient généralement que les décisions seraient publiées quelque part pour maintenir un dossier de la procédure et aider les tribunaux, les membres de la profession juridique et le public à comprendre l’évolution du droit et l’application de la loi. Cependant, ils ne comprenaient pas pourquoi les décisions apparaîtraient à la suite d’une recherche occasionnelle au moyen d’un moteur de recherche comme Google. Ces recherches occasionnelles pourraient être effectuées par des membres de leurs familles, des employeurs ou des voisins qui n’auraient aucune connaissance préalable des renseignements de nature délicate. Les exemples fournis comprenaient le risque que des enfants, des étudiants ou des collègues tombent sur des renseignements de nature très personnelle.

[15]      Les plaignants s’opposaient particulièrement au fait que le défendeur demandait un paiement pour la suppression des renseignements personnels du site Web. Les frais sollicités pour le faire variaient considérablement. En outre, si un paiement était fait pour la suppression d’une version de la décision, des paiements supplémentaires pouvaient être exigés pour la suppression d’autres versions de la même information. Cela comprenait, par exemple, la traduction de la même décision dans une instance de la Cour fédérale ou des décisions antérieures de la même affaire.

[16]      En réponse à ces plaintes, le défendeur a offert un service de suppression « gratuit ». Cependant, cela exigeait une demande par écrit et pouvait prendre 180 jours ou plus. En outre, afin de faire supprimer leurs renseignements personnels du site Web gratuitement, les personnes étaient invitées à fournir des renseignements personnels à Globe24h.com sur un « formulaire de demande ». Les demandeurs étaient aussi menacés d’être référés aux autorités pénales si le défendeur soupçonnait l’existence d’une fraude. En revanche, le paiement pour la suppression de renseignements pouvait être facilement transféré par un service de paiement en ligne, sans fournir de renseignements supplémentaires. En d’autres termes, la suppression était accélérée si le demandeur était prêt à payer, mais retardée et entravée si aucun paiement n’était effectué.

[17]      Une pièce déposée en preuve concernait un service nommé « reputation.ca », qui prétendait être en mesure de supprimer des renseignements gênants de Globe24h.com pour un montant de 1 500 $. Bien qu’aucun élément de preuve ne lie le défendeur à ce site, cette pièce démontre l’incidence des activités du défendeur.

[18]      Les éléments de preuve mènent à la conclusion que le défendeur se livrait à un stratagème lucratif pour exploiter la publication en ligne des décisions de cours et de tribunaux canadiens comportant des renseignements personnels.

C.        Les faits relatifs au demandeur

[19]      Le demandeur était partie à une instance de relations de travail visant son ancien employeur. En juin 2014, il a découvert, en utilisant le moteur de recherche Google, que la décision de l’Alberta Labour Board concernant son cas avait été republiée par Globe24h.com.

[20]      La LPRPDE définit le « renseignement personnel » de façon très générale à l’article 2 comme étant tout renseignement concernant un individu identifiable. Le demandeur craignait que les renseignements personnels figurant dans l’instance de relations de travail, facilement accessibles sur Google ou tout autre moteur de recherche en ligne, nuisent à ses perspectives d’emploi futures. Bien qu’il ne soit pas certain que cela soit arrivé, il croit que cela s’est produit dans au moins un cas où un éventuel employeur a décidé de ne pas lui faire d’offre.

[21]      Le 13 juin 2014, le demandeur a communiqué avec Globe24h.com et a demandé que ses renseignements personnels soient supprimés. Le défendeur lui a dit qu’il devrait payer des frais pour le faire.

[22]      Le 14 juin 2014, le demandeur a déposé une plainte contre Globe24h.com en vertu de la LPRPDE. L’enquête du commissaire, achevée en juin 2015, a permis de conclure que la plainte du demandeur était bien fondée. Le commissaire a informé le demandeur de son droit de porter sa cause devant la Cour en vertu de l’article 14 de la LPRPDE. Il l’a fait par avis de demande déposé le 27 juillet 2015. Un avis de demande modifié a été déposé le 28 août 2015.

[23]      Le demandeur comprend que les renseignements relatifs à son conflit de relations de travail demeurent toujours accessibles sur un site Web situé au Canada. Lors de l’audience, il a informé la Cour qu’il croit avoir demandé une ordonnance de confidentialité devant la Commission du travail, mais a été informé que cela exigerait le consentement de l’employeur, qui n’a pas été fourni. L’essentiel de la plainte du demandeur ne réside pas dans la publication de la décision par la Commission, mais dans la facilité d’accès aux renseignements relatifs à son cas par des moteurs de recherche en ligne.

[24]      Le demandeur a également déposé une plainte auprès de l’Autorité nationale de supervision du traitement des données personnelles (ANSTDP) de la Roumanie, l’équivalent roumain du CPVP. En octobre 2014, l’ANSTDP a infligé une amende au défendeur pour avoir enfreint les lois roumaines en matière de protection des données. Le défendeur a interjeté appel de cette amende auprès d’un tribunal roumain. En date de l’audition de la présente demande, comme on en a informé la Cour, ces procédures sont en cours.

[25]      Lors de l’audience, le demandeur a informé la Cour que lui et sa famille en Roumanie ont été victimes de menaces verbales depuis le dépôt de la plainte. Pour cette raison, et parce qu’il craint que la publication de cette décision porte à nouveau ses renseignements personnels à l’attention du public, le demandeur a demandé à la Cour d’ordonner que son identité soit protégée.

[26]      Tel qu’indiqué ci-dessus, j’ai accepté sa demande en remplaçant son nom par ses initiales dans l’intitulé de la cause. À mon avis, cela établit un juste équilibre entre le principe de la publicité des débats judiciaires et la nécessité d’assurer la sécurité du demandeur et de sa famille : A.B. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 325, [2010] 2 R.C.F. 75, au paragraphe 5; E.F. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 842, au paragraphe 8.

[27]      Le demandeur s’est représenté lui-même dans la présente instance.

D.        L’enquête du CPVP sur Globe24h.com

[28]      En mai 2014, le CPVP a ouvert une enquête sur Globe24h.com et M. Radulescu en vertu du paragraphe 12(1) de la LPRPDE. Au cours de son enquête, le CPVP a communiqué avec le défendeur et a obtenu des renseignements détaillés de la part de M. Radulescu.

[29]      Le défendeur a reconnu avoir recueilli et republié des décisions 1) des sites Web des tribunaux judiciaires et administratifs, 2) du site Web de CanLII et 3) du site Web de la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ). Il a également reconnu avoir republié des décisions sans la connaissance et le consentement des personnes concernées ou des tribunaux et des cours et avoir permis que les décisions soient indexées par des moteurs de recherche. Cependant, il a déclaré que le consentement n’était pas requis parce que le but du site Web est exclusivement journalistique et que le contenu était déjà accessible au public.

[30]      À la fin de 2012, CanLII a détecté des téléchargements en masse de décisions à partir de son site Web faits à partir d’adresses IP enregistrées auprès d’un fournisseur d’accès Internet appelé « RCS & RDS », basé en Roumanie. CanLII a ensuite bloqué l’accès de son site Web à l’ensemble des utilisateurs de RCS & RDS. En décembre 2013, CanLII a reçu des plaintes selon lesquelles des décisions publiées sur son site Web pouvaient faire l’objet de recherches sur Google à partir du nom des parties. Le rédacteur en chef de CanLII a examiné les types de contenu publiés sur le site Globe24h.com et a constaté que les décisions avaient été téléchargées en masse à partir du site Web de CanLII.

[31]      En janvier 2014, le rédacteur de chef de CanLII a communiqué avec le défendeur afin de l’informer d’une interdiction de publication exigeant l’anonymat des parties, qui avait été ordonnée par le tribunal et visait une décision reproduite sur son site Web. Le site Globe24h.com a informé CanLII de la procédure à suivre pour demander la suppression du contenu et des frais applicables. En mai 2016, la décision figurait toujours sur le site Web du défendeur sous sa forme originale, et n’était pas conforme à l’interdiction de publication.

[32]      Tout au long de l’enquête de la CPVP, le défendeur a soutenu que le site Globe24h.com visait à [traduction] « diffuser de l’information à caractère public, particulièrement de l’information gouvernementale auprès d’un public plus large, à l’échelle internationale ».

[33]      Le défendeur a déclaré que des frais de suppression avaient été établis afin de limiter le volume de demandes anonymes reçues par courriel et pour éviter les demandes frauduleuses de suppression de renseignements. Le processus appliqué par le défendeur pour supprimer les renseignements personnels a changé plusieurs fois au cours de l’enquête du CPVP, ce qui pourrait être interprété comme des tentatives d’entraver le processus.

[34]      Initialement, le défendeur a annoncé que les personnes visées devaient payer 19 euros pour une suppression « express » en 72 heures. Les personnes visées pouvaient également demander que leurs renseignements personnels soient supprimés gratuitement; toutefois, ce processus prenait 180 jours et il fallait jusqu’à un an pour que les renseignements soient retirés des index des moteurs de recherche. Au début de 2014, le défendeur a commencé à proposer une suppression plus rapide en 12 heures qu’il facturait 120 euros. En mai 2014, la durée du processus de suppression sans frais était réduite à 15 jours. Toutefois, la demande devait être envoyée par la poste en Roumanie et devait comporter des renseignements tels que le nom et l’adresse du demandeur, une copie d’une pièce d’identité et une copie de la décision précisant les renseignements précis à supprimer. En revanche, pour le service de suppression payant, la personne visée n’avait qu’à envoyer un courriel mentionnant la décision et la modification était apportée quelques jours après le transfert du paiement.

[35]      En juillet 2014, le défendeur a informé le CPVP qu’il n’exigeait plus de frais pour la suppression de renseignements personnels de son site Web. Cependant, en octobre 2014, le CPVP a été informé par un des plaignants que M. Radulescu lui avait proposé, plutôt que rendre les décisions anonymes, de retirer l’intégralité des décisions du site Web, moyennant 200 euros par décision.

[36]      Certains plaignants ont payé pour que leurs renseignements personnels soient retirés du site Web, mais ils ont par la suite découvert qu’il existait d’autres décisions ou versions d’une même décision les concernant qui apparaissaient toujours sur le site Web. Par contre, selon Globe24h.com, les frais qu’ils avaient réglés ne couvraient qu’une seule décision et de nouveaux paiements devaient être effectués pour les autres décisions ou versions de la décision.

[37]      Le CPVP a également découvert que le site Web du défendeur affichait des publicités à côté des décisions et vendait de l’espace aux annonceurs sur le site. Certaines de ces publicités semblent comporter des liens vers des sites pornographiques. Le 12 juin 2016, le défendeur a informé le commissaire qu’à compter du 10 juin 2016, il avait supprimé toute publicité du site Globe24h.com. Par conséquent, a-t-il affirmé, les activités du site Globe24h.com sont maintenant entièrement à but non lucratif et il ne tire aucun revenu du site Web.

[38]      Au cours de l’enquête, le défendeur a indiqué que le recueil des décisions canadiennes apparaissant sur le site Globe24h.com n’avait pas été mis à jour depuis 2013. Cependant, le commissaire a constaté que le site Web comportait des décisions de 2014 et de 2015.

[39]      Alors que l’enquête était en cours, le CPVP a demandé à M. Radulescu de supprimer du site Web les renseignements personnels des plaignants, à titre de mesure provisoire. Initialement, le défendeur a obtempéré et a indiqué qu’il avait supprimé des décisions les renseignements personnels des plaignants, même si les décisions demeuraient sur le site. Cependant, en novembre 2014, le défendeur a indiqué qu’il ne modifierait plus les décisions à la demande du CPVP et que les personnes devaient présenter à Globe24h.com un formulaire de demande accompagné de documents justificatifs.

E.        Le rapport final de conclusions du CPVP

[40]      En janvier 2015, le CPVP a publié un rapport d’enquête préliminaire destiné au défendeur qui concluait que la LPRPDE s’appliquait aux activités de ce dernier. Il concluait également que les activités du défendeur ne constituaient pas des fins acceptables au sens du paragraphe 5(3) de la LPRPDE.

[41]      Le 5 juin 2015, le Commissariat a publié son rapport final de conclusions concernant les 27 plaintes sur lesquelles il a enquêté. On peut résumer les conclusions finales du CPVP comme suit :

•           Le site Globe24h.com est une organisation qui recueille, utilise et communique des renseignements personnels dans le cadre d’activités commerciales au sens de la LPRPDE;

•           La LPRPDE peut s’appliquer au site Globe24h.com en tant qu’organisation étrangère, car il existe un « lien réel et substantiel » entre les parties et les faits ayant donné lieu aux plaintes au Canada;

•           L’exception « à des fins journalistiques » prévue à l’alinéa 4(2)c) de la LPRPDE ne s’applique pas aux activités du défendeur dans la mesure où l’objectif sous-jacent du site Globe24h.com est de générer des revenus en incitant les personnes à payer pour la suppression de leurs renseignements personnels;

•           L’objectif sous-jacent du site Globe24h.com — qui consiste à rendre publiques les décisions des cours et des tribunaux canadiens par l’intermédiaire de moteurs de recherche, ce qui permet la divulgation fortuite de renseignements personnels de nature délicate — ne peut être considéré comme étant à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances, en vertu du paragraphe 5(3) de la LPRPDE;

•           L’exception concernant un « renseignement réglementaire auquel le public a accès » ne s’applique pas aux activités du site parce que l’objectif de celui-ci, qui consiste à permettre que les décisions soient indexées par des moteurs de recherche couramment utilisés n’est pas « directement lié » aux fins pour lesquelles les renseignements personnels apparaissent dans le dossier ou le document. Par conséquent, les exceptions aux exigences en matière de connaissance et de consentement énoncées aux alinéas 7(1)d), 7(2)c.1) et 7(3)h.1) de la LPRPDE ne s’appliquent pas à la présente situation.

III.        MESURE DE REDRESSEMENT DEMANDÉE

[42]      Le demandeur sollicite les réparations suivantes :

a)         une ordonnance en dommages-intérêts, y compris des dommages-intérêts généraux, punitifs, exemplaires et discrétionnaires, ainsi que des dommages pour l’humiliation et la détresse subies par le demandeur;

b)         une ordonnance contraignant le défendeur à revoir ses pratiques de façon à respecter les articles 5 à 10 de la LPRPDE;

c)         une ordonnance contraignant le défendeur à publier un avis énonçant les mesures prises ou envisagées pour corriger ses pratiques et se conformer à la LPRPDE;

d)         une ordonnance d’injonction;

e)         un jugement déclaratoire indiquant que le défendeur a enfreint la législation sur la protection des renseignements personnels;

f)          une ordonnance enjoignant le défendeur à supprimer de son site Web et de ses serveurs l’ensemble des décisions des cours et des tribunaux qui sont reproduits et qui contiennent des renseignements personnels; et à supprimer les décisions des mémoires caches des moteurs de recherche;

g)         une ordonnance déclarant que le défendeur est un plaideur quérulent;

h)        l’adjudication des dépens, y compris notamment sur la base avocat-client et sur la base d’une indemnisation intégrale.

[43]      Au cours de l’audience, le demandeur a reconnu que plusieurs des mesures qu’il proposait n’étaient pas des recours acceptables ou qu’il pouvait soulever en vertu de la Loi. À titre d’exemple, il ne s’agit pas d’une décision dans laquelle on peut rendre une ordonnance déclarant que le défendeur est un plaideur quérulent. Par ailleurs, aucuns dépens sur la base avocat-client et sur la base d’une indemnisation intégrale ne pourra être accordé puisque le demandeur se représente seul. Nous reviendrons plus loin sur la question des dommages-intérêts.

[44]      Le CPVP a proposé la déclaration et les ordonnances suivantes :

[traduction]

1. Le défendeur, Sebastian Radulescu, a contrevenu à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC 2000, c 5, par la collecte, l’utilisation et la divulgation sur son site Web, www.Globe24h.com (« Globe24h.com »), de renseignements personnels contenus dans des décisions de cours et de tribunaux canadiens, et ce, à des fins inappropriées et sans le consentement des personnes concernées;

2. Le défendeur, Sebastian Radulescu, doit retirer de Globe24h.com toutes les décisions de cours et de tribunaux canadiens contenant des renseignements personnels et prendre les mesures nécessaires pour retirer ces décisions de la mémoire cache des moteurs de recherche;

3. Le défendeur, Sebastian Radulescu, doit s’abstenir de copier et de republier de nouveau des décisions de cours et de tribunaux canadiens contenant des renseignements personnels d’une manière qui contrevient à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques;

4. Le défendeur, Sebastian Radulescu, doit verser au demandeur des dommages-intérêts totalisant XXXX; [aucun montant proposé].

IV.       DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[45]      Les dispositions législatives pertinentes sont jointes aux présents motifs en annexe (annexe A) afin de faciliter la lecture de la présente décision.

V.        QUESTIONS EN LITIGE

[46]      Après avoir examiné les questions soulevées par le demandeur et le commissaire, je les formulerais comme suit :

A.        La LPRPDE a-t-elle une portée extraterritoriale et celle-ci s’applique-t-elle au site Globe24h.com en tant qu’organisation étrangère?

B.        L’objectif du défendeur en ce qui concerne la collecte, l’utilisation et la publication des renseignements personnels est-il « acceptable » au sens du paragraphe 5(3) de la LPRPDE?

C.        L’exception prévue à l’article 7 de la LPRPDE « [lorsqu’]il s’agit d’un renseignement réglementaire auquel le public a accès » s’applique-t-elle aux renseignements personnels reproduits sur Globe24h.com?

D.        Quelles réparations la Cour peut-elle accorder conformément à l’article 16 de la LPRPDE?

VI.       ANALYSE

[47]      Les motifs porteront principalement sur les observations du commissaire. Au cours de la présente procédure, le demandeur s’est représenté seul avec l’aide du CPVP. Ses observations étaient brèves mais concises et claires, et il a fourni une liste de la jurisprudence pertinente en vue d’aider la Cour. Outre ses intérêts personnels dans l’affaire, il a soutenu que les activités du défendeur étaient susceptibles de déconsidérer l’administration de la justice dans la mesure où des personnes peuvent maintenant être dissuadées de recourir au système judiciaire de peur que leurs renseignements personnels deviennent encore plus accessibles en ligne.

A.        La LPRPDE a-t-elle une portée extraterritoriale et celle-ci s’applique-t-elle au site Globe24h.com en tant qu’organisation étrangère?

1)         Le critère du « lien réel et important ».

[48]      La partie I [articles 1 à 30] de la LPRPDE a pour objet ce qui suit :

Objet

3 […] fixer, dans une ère où la technologie facilite de plus en plus la circulation et l’échange de renseignements, des règles régissant la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels d’une manière qui tient compte du droit des individus à la vie privée à l’égard des renseignements personnels qui les concernent et du besoin des organisations de recueillir, d’utiliser ou de communiquer des renseignements personnels à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances.

[49]      La LPRPDE a été adoptée en réponse aux Lignes directrices régissant la protection de la vie privée et les flux transfrontières de données de caractère personnel que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publiées en 1980. Elle a été conçue afin de s’intégrer à un système international visant à protéger la vie privée des personnes, comme en témoigne la directive européenne sur la protection des données adoptée en octobre 1995. Entre autres, la directive européenne comprenait une disposition qui empêchait la transmission de renseignements personnels en dehors de l’Union européenne, à moins que le pays destinataire ne dispose d’une législation en vigueur qui offrirait une protection similaire. La LPRPDE visait à offrir cette protection au Canada afin d’éviter que ce dernier ne soit concerné par la portée extraterritoriale de la directive européenne. La Roumanie est liée par la directive européenne. La question est donc de savoir si la LPRPDE peut s’appliquer à des activités à l’étranger ayant des retombées sur des personnes résidant au Canada.

[50]      L’article 4 de la LPRPDE, la disposition relative à l’application de la partie I, ne prévoit pas la portée territoriale de la Loi. Cependant, aucun passage ne limite expressément son application au Canada. En l’absence d’orientations claires de la Loi, la Cour peut l’interpréter comme s’appliquant dans toutes les circonstances où il existe un « lien réel et important » avec le Canada, en s’appuyant sur le jugement de la Cour suprême du Canada dans la décision Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427 (SOCAN), aux paragraphes 54 à 63 et les autres précédents qui y sont cités.

[51]      Dans la décision SOCAN, le juge Binnie a examiné les principes généraux en ce qui a trait à l’exterritorialité de la loi canadienne et a conclu que la Loi sur le droit d’auteur [L.R.C. (1985), ch. C-42] peut s’appliquer aux activités transfrontalières lorsqu’il y a un « lien réel et important » avec le Canada (aux paragraphes 54 à 63) :

Même si, contrairement aux législatures provinciales, le Parlement du Canada a le pouvoir d’adopter une loi ayant une portée extraterritoriale, en l’absence d’un libellé clair ou d’une déduction nécessaire à l’effet contraire, il est présumé ne pas avoir voulu le faire. Il en est ainsi parce qu’« [é]tant donné la facilité de voyager dans le monde moderne et l’émergence d’un ordre économique mondial, la situation deviendrait souvent chaotique si le principe de la compétence territoriale n’était pas respecté, du moins de façon générale »; voir Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022, p. 1051, le juge La Forest.

Bien que la notion de courtoisie ne soit pas reconnue constitutionnellement entre les États indépendants comme elle l’est entre les provinces de la fédération canadienne (Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, p. 1098) et qu’elle n’ait pas pour effet de restreindre la compétence législative du Parlement, les tribunaux tiennent néanmoins pour acquis, à défaut d’un libellé manifestement contraire, que le législateur n’a pas voulu conférer à une loi une portée extraterritoriale.

Les dispositions législatives sur le droit d’auteur respectent le principe de la territorialité, reflétant la mise en œuvre d’un [traduction] « réseau de traités internationaux interreliés » compte tenu du principe du traitement national (voir D. Vaver, Copyright Law (2000), p. 14).

L’applicabilité de la Loi sur le droit d’auteur à une communication à laquelle participent des ressortissants d’autres pays dépend de l’existence entre le Canada et la communication d’un lien suffisant pour que le Canada applique ses dispositions conformément aux « principes d’ordre et d’équité […] qui assurent à la fois la justice et la sûreté des opérations [transfrontalières] »; voir Morguard Investments, précité, p. 1097; voir aussi Unifund Assurance Co. c. Insurance Corp. of British Columbia, [2003] 2 R.C.S. 63, 2003 CSC 40, par. 56; Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002), p. 601-602.

Dans l’arrêt Libman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 178, le juge La Forest a clarifié la question de la compétence. Il s’agissait d’une affaire de combine frauduleuse pour vendre des actions. Des vendeurs se trouvant à Toronto sollicitaient au téléphone des acheteurs aux États-Unis, et l’argent investi par ces derniers (que l’accusé à Toronto faisait passer par l’Amérique centrale) se retrouvait finalement au Canada. L’accusé soutenait que le crime, à supposer qu’il y en ait eu un, avait été perpétré aux États-Unis. Or, le juge La Forest a estimé que « [c]e genre de raisonnement a provoqué, peut-être pas tout à fait à juste titre, le reproche selon lequel un avocat est une personne qui peut considérer des choses connexes comme non reliées entre elles. En effet, tout le monde sait que l’opération en l’espèce se situe à la fois ici et à l’autre endroit » (p. 208 (je souligne)). S’exprimant au nom de notre Cour, il a formulé comme suit le principe de la territorialité applicable (p. 212-213) :

Je pourrais résumer ainsi ma façon d’aborder les limites du principe de la territorialité. Selon moi, il suffit, pour soumettre une infraction à la compétence de nos tribunaux, qu’une partie importante des activités qui la constituent se soit déroulée au Canada. Comme l’affirment les auteurs modernes, il suffit qu’il y ait un « lien réel et important » entre l’infraction et notre pays… [Souligné par le juge Binnie.]

Aussi, à mon avis, une télécommunication effectuée à partir d’un pays étranger vers le Canada ou à partir du Canada vers un pays étranger « se situe à la fois ici et à l’autre endroit ». Le lieu de réception peut constituer un facteur de rattachement tout aussi « important » que le lieu d’origine (sans compter l’emplacement physique du serveur hôte, qui peut se trouver dans un pays tiers). Voir, dans le même sens, Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, par. 52; et Kitakufe c. Oloya, [1998] O.J. No 2537 (QL) (Div. gén.). Dans la décision Citron c. Zundel, précitée, par exemple, le fait que le serveur hôte était situé en Californie était peu concluant dans la mesure où tant le fournisseur de contenu (Zundel) que la majeure partie de son public cible se trouvaient au Canada. La décision rendue s’appuyait sur des motifs liés à la Loi canadienne sur les droits de la personne, mais pour les besoins du présent pourvoi, l’illustration demeure néanmoins instructive.

Notre Cour a adopté puis développé le critère du « lien réel et important » dans Morguard Investments Ltd., précité, p. 1108-1109; Hunt c. T&N plc, [1993] 4 R.C.S. 289, p. 325, 326 et 328; et Tolofson, précité, p. 1049. Ce critère a été confirmé et appliqué plus récemment dans Holt Cargo Systems Inc. c. ABC Containerline N.V. (Syndics de), [2001] 3 R.C.S. 907, 2001 CSC 90, par. 71; Spar Aerospace Ltée c. American Mobile Satellite Corp., [2002] 4 R.C.S. 205, 2002 CSC 78; Unifund, précité, par. 54; et Beals c. Saldanha, [2003] 3 R.C.S. 416, 2003 CSC 72. Dès le départ, le critère du lien réel et important a été considéré comme un moyen approprié d’« éviter que l’on aille trop loin […] et [de] restrei[ndre] l’exercice de compétence sur les opérations extraterritoriales et transnationales » (le juge La Forest dans Tolofson, précité, p. 1049). Il reflète la réalité sous-jacente de « la territorialité des lois selon l’ordre juridique international » et du respect des mesures légitimes prises par un autre État qui est inhérent au principe de la courtoisie internationale (Tolofson, p. 1047). L’existence d’un lien réel et important avec le Canada suffit pour que notre Loi sur le droit d’auteur s’applique aux transmissions Internet internationales conformément au principe de la courtoisie internationale et aux objectifs d’ordre et d’équité.

En ce qui concerne l’Internet, le facteur de rattachement pertinent est le situs du fournisseur de contenu, du serveur hôte, des intermédiaires et de l’utilisateur final. L’importance à accorder au situs de l’un d’eux en particulier varie selon les circonstances de l’affaire et la nature du litige.

Il est clair que l’information qui entre au Canada et qui en sort présente un intérêt considérable pour notre pays. Le Canada réglemente la réception des signaux de radiodiffusion sur son territoire indépendamment de leur origine; voir Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42. Nos tribunaux judiciaires et administratifs se penchent régulièrement sur la responsabilité délictuelle découlant de transmissions en provenance de l’étranger qui sont reçues et ont des répercussions au pays; voir WIC Premium Television Ltd. c. General Instrument Corp. (2000), 8 C.P.R. (4th) 1 (C.A. Alb.); Re World Stock Exchange (2000), 9 A.S.C.S. 658.

Notre Cour a généralement reconnu l’existence d’un « lien » justifiant l’exercice de la compétence lorsque le Canada était le pays de transmission (Libman, précité) ou de réception (Liberty Net, précité). Sa position est dans le droit fil des pratiques internationales en matière de droits d’auteur.

[52]      Étant donné que M. Radulescu et Globe24h.com sont basés à l’étranger, la Cour doit déterminer s’il y a eu un lien réel et important entre eux et le Canada pour conclure que la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) s’applique à leurs activités. La question clé sous-jacente au critère est « l’existence entre le Canada et l’[activité en question] d’un lien suffisant pour que le Canada applique ses dispositions conformément aux “principes d’ordre et d’équité” » et à la courtoisie internationale : SOCAN, précité, aux paragraphes 57 et 60.

[53]      La Cour a appliqué la LPRPDE à une organisation basée à l’étranger lorsqu’il existait un lien suffisant entre les activités de l’organisation et le Canada : Lawson c. Accusearch Inc., 2007 CF 125, [2007] 4 R.C.F. 314 (Lawson), aux paragraphes 38 à 43. Parmi les facteurs de rattachement pertinents figurent 1) l’emplacement du public cible du site Web, 2) la source du contenu du site Web, 3) l’emplacement de l’exploitant du site Web et 4) l’emplacement du serveur hôte : SOCAN, précité, aux paragraphes 59 et 61; voir également Lawson, précité, au paragraphe 41; Davydiuk c. Internet Archive Canada, 2014 CF 944 (Davydiuk), aux paragraphes 31 et 32; Desjean c. Intermix Media, Inc., [2006] CF 1395, [2007] 4 R.C.F. 151, au paragraphe 42, conf. par 2007 CAF 365; Equustek Solutions Inc. c. Google Inc., 2015 BCCA 265, 386 D.L.R. (4th) 224 (Equustek), autorisation de pourvoi devant la C.S.C. accordée [2016] 1 R.C.S. xi.

[54]      Dans cette affaire, l’emplacement de l’exploitant du site Web et du serveur hôte est en Roumanie. Cependant, lorsque les activités d’une organisation se déroulent exclusivement par l’intermédiaire d’un site Web, le lieu d’origine de l’exploitant du site Web ou du serveur hôte n’est pas un facteur déterminant parce que les télécommunications se situent « à la fois ici et à l’autre endroit » : Libman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 178 (Libman), à la page 208.

[55]      Dans ses observations, le CPVP a souligné trois facteurs de rattachement clés entre le site Web basé à l’étranger et le Canada. En premier lieu, le contenu dont il est question est constitué de décisions de cours et de tribunaux canadiens; il contient des renseignements personnels qui ont été copiés par le défendeur sur des sites Web juridiques canadiens. En second lieu, le site Web cible directement les Canadiens, en particulier en faisant publiant qu’il fournit un accès à « Canadian Caselaw »/« Jurisprudence de Canada ». La preuve démontre que la majorité des visiteurs de Globe24h.com sont originaires du Canada. En troisième lieu, les répercussions du site Web sont ressenties par les membres du public canadien. Cela est prouvé par le fait que les plaintes reçues à la fois par le CPVP et les articles de presse rapportant la détresse, l’embarras et l’atteinte à la réputation des personnes visées parce que Globe24h.com republiait leurs renseignements personnels, les rendant ainsi accessibles par l’intermédiaire de moteurs de recherche. Le défendeur est au courant de ces plaintes.

[56]      Il existe des éléments de preuve démontrant que les autorités roumaines ont agi pour restreindre les activités du défendeur et qu’elles ont coopéré à l’enquête du CPVP. Est-ce une raison suffisante pour ne pas exercer la compétence de la LPRPDE dans ce contexte? Je ne crois pas. Je souscris à l’observation du CPVP selon laquelle le principe de la courtoisie n’est pas enfreint lorsqu’une activité se déroule à l’étranger, mais qu’elle a des conséquences illégales ici : Libman, précité, à la page 209.

[57]      Dans la décision Chevron Corp. c. Yaiguaje, 2015 CSC 42, [2015] 3 R.C.S. 69 (Chevron), on a demandé à la Cour suprême de déterminer si les tribunaux ontariens ont compétence à l’égard d’une filiale canadienne de Chevron, une société américaine, qui n’est pas partie au jugement étranger dont on demande la reconnaissance et l’exécution au Canada. Dans ce cas précis, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé le jugement équatorien à l’encontre de Chevron.

[58]      En confirmant la décision de la Cour d’appel de l’Ontario, le juge Gascon a souligné que : « Les tribunaux canadiens, à l’instar de bien d’autres, ont adopté une approche souple et libérale en ce qui concerne la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers. » : Chevron, précitée, au paragraphe 27. Pour la reconnaissance et l’exécution de ces jugements, la seule condition préalable est que le tribunal étranger ait eu un lien réel et substantiel avec les parties au litige ou avec l’objet du litige, ou que les fondements traditionnels de la compétence soient respectés : Chevron, précitée, au paragraphe 27.

[59]      Sur le principe de la courtoisie, le juge Gascon fait remarquer que « le besoin de reconnaître et respecter les mesures juridiques prises par d’autres États est invariablement demeuré un des éléments au cœur de ce principe » : Chevron, précitée, au paragraphe 53. À cet égard, la courtoisie milite en faveur de la reconnaissance et de l’exécution. Le principe de la courtoisie prévoit en outre qu’il convient de respecter et d’exécuter les actes judiciaires légitimes et non pas de les écarter ou d’en faire abstraction : Chevron, précitée, au paragraphe 53.

[60]      En l’espèce, puisque les autorités roumaines ont coopéré avec le CPVP dans le cadre de l’enquête et pris des mesures pour restreindre les activités du défendeur, les actes judiciaires légitimes de notre Cour ne seront pas considérés comme une violation du principe de la courtoisie. Le défendeur a reçu une amende pour avoir enfreint les lois roumaines sur la protection des données, entre autres, pour avoir facturé des frais afin de supprimer des renseignements personnels de Globe24h.com. Le défendeur a interjeté appel de cette amende auprès d’un tribunal roumain. Étant donné la participation de l’équivalent roumain du CPVP, les conclusions de la Cour ajouteraient un complément aux mesures prises devant la Cour roumaine plutôt que d’aller à leur encontre.

[61]      Pendant l’enquête du CPVP, le défendeur s’est fondé sur une décision de la Cour suprême dans l’arrêt Club Resorts Ltd. c. Van Breda, 2012 CSC 17, [2012] 1 R.C.S. 572 (Van Breda) pour soutenir que la LPRPDE ne s’appliquait pas à ses activités en Roumanie. L’arrêt Van Breda concernait deux personnes ayant subi un préjudice pendant leurs vacances à l’extérieur du Canada. Des poursuites ont été intentées en Ontario contre plusieurs parties, notamment Club Resorts Ltd., une société constituée aux îles Caïmans.

[62]      Club Resorts Ltd., l’appelante dans l’arrêt Van Breda, a invoqué le défaut de compétence des tribunaux ontariens. Pour déterminer la question de la compétence, la Cour suprême a appliqué le critère du « lien réel et substantiel ». La Cour devait déterminer si l’exploitation d’une entreprise dans la province pouvait être considérée comme un lien factuel adéquat. En définitive, la Cour a conclu que la notion d’exploitation d’une entreprise exige une forme de présence effective — et non seulement virtuelle — dans le ressort en question, par exemple le fait d’y tenir un bureau ou d’y effectuer régulièrement des visites : Van Breda, précité, au paragraphe 87.

[63]      Toutefois, je constante que la Cour suprême a pris soin de faire la distinction entre les catégories d’affaires et le commerce en ligne. Le juge LeBel a fait remarquer que l’on n’avait pas demandé à la Cour si le commerce en ligne dans une juridiction nécessitait une présence dans ladite juridiction. S’il y avait eu une discussion sur la juridiction dans le contexte du commerce en ligne, j’aurais considéré les facteurs de rattachement discutés dans l’arrêt Van Breda comme utiles à l’analyse en l’espèce.

[64]      L’arrêt Van Breda se limitait au contexte spécifique des réclamations en responsabilité civile délictuelle. La Cour suprême indiquait clairement qu’il ne s’agissait pas de fournir « une liste complète des facteurs de rattachement concernant les conditions permettant aux tribunaux de se déclarer compétents à l’égard de tous les recours connus en droit » : Van Breda, précité, au paragraphe 85. La Cour s’est inquiétée de créer l’équivalent d’une forme de juridiction universelle en ce qui concerne les réclamations en responsabilité civile délictuelle issues de certaines catégories d’affaires ou d’activité commerciale. Ainsi, le juge LeBel a limité l’application de l’arrêt Van Breda au domaine du droit international privé et de la faute internationale : Van Breda, précité, au paragraphe 87; voir aussi Chevron, précitée, aux paragraphes 38 et 39; Davydiuk, précité, aux paragraphes 28 et 29.

B.        Le défendeur collecte, utilise et publie des renseignements personnels au cours « d’activités commerciales »

[65]      La Cour estime que le défendeur est une « organisation » au sens de l’alinéa 4(1)a) de la LPRPDE. Premièrement, M. Radulescu est une « personne » et relève donc d’une « organisation » telle que définie au paragraphe 2(1) de la LPRPDE. Aucun élément de preuve ne démontre que Globe24h.com constitue autre chose qu’un site Web créé pour l’exécution des activités de M. Radulescu. Deuxièmement, le défendeur collecte, utilise et publie des décisions de cours et tribunaux canadiens qui contiennent des renseignements personnels sur les plaideurs et autres personnes dont les noms apparaissent dans ces décisions. Troisièmement, les activités du défendeur sont de nature commerciale en ce sens que ce dernier a généré des revenus à partir des annonces sur le site Web et qu’il facture des frais de transaction avant d’accepter de retirer les renseignements personnels des personnes concernées.

[66]      La plus récente allégation du défendeur portant qu’il ne facture pas le retrait des données et qu’il ne génère plus de revenus à partir de Globe24h.com n’est pas crédible. Le dossier du CPVP établit que le défendeur a fait des réclamations similaires par le passé, mais qu’il a exigé des frais de 200 euros lorsque des individus lui ont demandé de retirer les décisions de son site Web. De toute manière, il ne peut échapper à l’application de la LPRPDE en alléguant que ses activités futures ne seront pas de nature commerciale.

C.        Les objectifs du défendeur ne sont pas exclusivement de nature « journalistique »

[67]      Lors de communications avec le CPVP, le défendeur a allégué que ses objectifs d’exploitation de Globe24h.com devraient être considérés comme étant exclusivement journalistiques. Dans l’éventualité où la Cour accepterait cette affirmation, la première partie de la LPRPDE ne s’applique pas à ses activités puisque les renseignements collectés, utilisés ou publiés correspondent à l’exception formulée à l’alinéa 4(2)c) de la LPRPDE.

[68]      L’exception d’objectif « journalistique » n’est pas définie dans la LPRPDE et n’a pas été traitée de façon substantielle dans la jurisprudence. Le CPVP fait valoir que l’Association canadienne des journalistes a suggéré qu’une activité ne devrait être qualifiée de journalistique que lorsque son objectif est 1) d’informer la collectivité sur des questions qui l’intéresse, 2) lorsqu’elle concerne un élément de la production originale et 3) une « auto-discipline visant à présenter une description exacte et juste des faits, des opinions et des débats d’une situation ». Ces critères semblent constituer un cadre raisonnable permettant de définir une exception. Aucun d’entre eux ne s’applique aux actions du défendeur.

[69]      La Cour d’appel de l’Alberta a interprété une formulation législative similaire dans la Personal Information Protection Act de l’Alberta, S.A. 2003, ch. P-6.5 : United Food and Commercial Workers, Local 401 v. Alberta (Attorney General), 2012 ABCA 130 (CanLII), 522 A.R. 197, conf. par 2013 CSC 62, [2013] 3 R.C.S. 733 (United Food). Plus précisément, dans le cas de l’adjectif « journalistique », la Cour d’appel [de l’Alberta] a fait remarquer qu’il est [traduction] « déraisonnable de penser que le législateur l’a conçu assez large pour tout inclure à l’intérieur de la phrase “liberté d’opinion et d’expression” » : United Food, précité, au paragraphe 56. En outre, la Cour a fait remarquer que [traduction] « ce [n’]est pas chaque élément d’information publié sur Internet qui peut être qualifié de [journalisme] » : United Food, précité, au paragraphe 59.

[70]      À mon avis, l’objectif déclaré du défendeur de « rendre la loi accessible gratuitement sur Internet » par l’intermédiaire de Globe24h.com ne peut être considéré comme « journalistique ». Dans ce cas, il n’est pas nécessaire de publier de nouveau les décisions pour les rendre accessibles étant donné qu’elles le sont déjà gratuitement sur les sites du Canada. Le défendeur n’ajoute rien à la publication par des commentaires, des renseignements supplémentaires ou une analyse. Il exploite le contenu en exigeant paiement pour le retirer.

[71]      La preuve indique que le premier objectif du défendeur consiste à inciter les individus à payer pour que leurs renseignements personnels soient retirés du site Web. Un deuxième objectif, jusqu’à tout récemment, consistait à générer des revenus de publicité en orientant le trafic vers son site Web grâce à la visibilité accrue des renseignements personnels sur les moteurs de recherche. Aucun élément de preuve ne permet d’établir que l’intention du défendeur est d’informer les gens sur des sujets d’intérêt public.

[72]      Même si les activités du défendeur peuvent être considérées comme partiellement journalistiques, l’exemption de l’alinéa 4(2)c) ne s’applique que lorsque les renseignements sont collectés, utilisés ou publiés exclusivement à des fins journalistiques. Il est clair à partir du dossier que les objectifs de Globe24h.com s’étendent au-delà du journalisme.

D.        Est-ce que l’objectif du défendeur dans sa collecte, son utilisation et sa publication des renseignements personnels est « approprié » selon le paragraphe 5(3) de la LPRPDE?

[73]      Le paragraphe 5(3) énonce qu’une organisation « ne peut recueillir, utiliser ou communiquer des renseignements personnels qu’à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances ». Cela doit aussi être interprété à la lumière de l’objectif sous-jacent de la partie 1 de la LPRPDE, à l’article 3.

[74]      Afin de déterminer si une organisation respecte le paragraphe 5(3) de la LPRPDE, par le passé, la Cour a déjà cherché à savoir si 1) la collecte, l’utilisation ou la publication de renseignements personnels étaient dirigés vers un véritable intérêt commercial et 2) si la perte de confidentialité était proportionnelle aux avantages obtenus : Turner c. Telus Communications Inc., 2005 CF 1601, au paragraphe 48, conf. par 2007 CAF 21, [2007] 4 R.C.F. 368.

[75]      Je suis d’accord avec l’opinion du CPVP selon laquelle aucune personne raisonnable ne considérerait que le défendeur a un véritable intérêt commercial. En présentant cet argument, le Commissaire s’appuie sur le Modèle de politique sur l’accès aux archives judiciaires au Canada (Modèle de politique) du Conseil canadien de la magistrature (CCM) et sur le propre document d’orientation du CPVP en ce qui concerne les tribunaux administratifs fédéraux. Le Modèle de politique du CCM décourage l’indexation des décisions publiées en ligne, car il empêche l’accès à l’information lorsque l’objectif de la recherche ne consiste pas à trouver des dossiers de cour. Le Modèle de politique reconnaît qu’il faut trouver un équilibre entre le principe de la transparence de la justice et l’accès en ligne accru aux dossiers judiciaires où la vie privée et la sécurité des participants aux procédures judiciaires feront l’objet de débats.

[76]      Le CCM a trouvé un équilibre en conseillant aux tribunaux d’empêcher la découverte involontaire des jugements au moyen des moteurs de recherche. À cette fin, le CCM a recommandé que les jugements publiés en ligne ne soient pas indexés par les moteurs de recherche. Le CPVP fait remarquer que CanLII et d’autres sites Web sur les cours et les tribunaux suivent généralement le Modèle de politique du CCM et empêchent que leurs décisions soient indexées par des moteurs de recherche grâce à des protocoles d’exclusion des robots informatiques et d’autres moyens. En effet, la Cour fédérale a pris des mesures pour empêcher l’indexation des décisions de la Cour. Cela n’interdit pas à quiconque de visiter le site Web de la Cour fédérale et de faire une recherche par nom des parties. Mais cela empêche de tomber sur une liste de cas dans une recherche générale par mots clés. Les gestes du défendeur entraînent, par le biais des moteurs de recherche, une visibilité inutile des renseignements personnels confidentiels des participants au système de justice.

E.        Est-ce que l’exception de « l’accessibilité au public », selon l’article 7 de la LPRPDE, s’applique aux renseignements personnels reproduits sur Globe24h.com?

[77]      Le CPVP estime que l’article 7 doit se lire conjointement avec l’alinéa 1d) du Règlement précisant les renseignements auxquels le public a accès, DORS/2001-7, qui précise que les dossiers ou documents des organismes judiciaires et quasi-judiciaires doivent être considérés comme accessibles au public à condition que certaines exigences soient respectées :

1 Les renseignements et catégories de renseignements ci-après sont précisés pour l’application des alinéas 7(1)d), (2)c.1) et (3)h.1) de la [LPRPDE] :

[…]

d) les renseignements personnels qui figurent dans un dossier ou document d’un organisme judiciaire ou quasi judiciaire, qui est accessible au public, si la collecte, l’utilisation et la communication de ces renseignements sont directement liées à la raison pour laquelle ils figurent dans le dossier ou document;

[78]      La Cour convient avec le commissaire que les objectifs du défendeur en reproduisant les décisions ne sont pas « directement reliés » à l’objectif pour lequel les renseignements personnels apparaissent dans les décisions. Les objectifs du défendeur n’ont aucun rapport avec le principe de la publicité des débats judiciaires. Le site Web du défendeur contribue plutôt à miner l’administration de la justice en risquant de causer des préjudices aux participants du système de justice. Comme le demandeur l’a fait valoir, la publication d’une telle information sur un site Web indexé pourrait bien décourager les gens d’avoir accès au système de justice.

[79]      De l’avis de la Cour, il n’existe aucun fondement raisonnable permettant au défendeur de s’appuyer sur l’exception de « l’accessibilité au public » selon l’article 7 de la LPRPDE.

F.         Quelles réparations la Cour peut-elle accorder conformément à l’article 16 de la LPRPDE?

1)         Imposition de mesures correctives

[80]      Le CPVP soutient la requête du demandeur d’imposer au défendeur la correction de ses pratiques afin de se conformer à l’alinéa 16a) de la LPRPDE. Le fait que le défendeur ne réside pas au Canada n’empêche pas de rendre une ordonnance extraterritoriale où le fond du litige fait partie de la juridiction de la Cour : Impulsora Turistica de Occidente, S.A. de C.V. c. Transat Tours Canada Inc., 2007 CSC 20, [2007] 1 R.C.S. 867, au paragraphe 6; Barrick Gold Corp. v. Lopehandia, 2004 CanLII 12938, 71 O.R. (3d) 416 (C.A.) (Barrick Gold), aux paragraphes 73 à 77; Equustek, précité, aux paragraphes 81 à 99.

[81]      Cependant, comme le fait remarquer la Cour d’appel de l’Ontario dans la décision Barrick Gold, précité, au paragraphe 73, les cours ont traditionnellement été réticentes à prononcer un redressement par injonction contre des défendeurs qui résident à l’extérieur de la juridiction. On en trouve les raisons dans le texte de Robert J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance, édition à feuilles mobiles (Toronto : Canada Law Book, novembre 2002), aux pages 1-54 à 1-55 :

[traduction] Les demandes d’injonction contre des parties étrangères présentent des contraintes de nature juridictionnelle que l’on ne rencontre pas dans les cas d’injonction à la suite des jugements de nature pécuniaire. Dans le cas d’une réclamation pécuniaire, les Cours n’ont pas à limiter leur compétence présumée aux cas où le caractère exécutoire est assuré. L’équité agit cependant in personam et l’efficacité d’une ordonnance équitable dépend du contrôle qui peut être exercé sur la personne du défendeur. Si le défendeur est présent physiquement, il sera possible d’exiger de lui ou d’elle qu’elle fasse ou qu’elle permette des actions à l’extérieur de la juridiction. Les Cours ont toutefois évité consciencieusement de rendre des ordonnances qui ne peuvent être appliquées. Il en résulte que les Cours sont réticentes à accorder des injonctions contre des parties extérieures à la juridiction et l’importation pratique de règles autorisant la signification ex juris des demandes d’injonction est nécessairement limitée. Les règles de la Cour sont généralement limitées aux cas où l’on recherche à empêcher le défendeur de faire quoi que ce soit à l’intérieur de la juridiction. De façon pratique, le défendeur « qui fait quoi que ce soit à l’intérieur de la juridiction » y sera physiquement présent pour permettre la signification.

[82]      La jurisprudence indique clairement que les cours doivent agir avec retenue dans l’octroi de réparations qui ont des ramifications internationales. Ce qui signifie qu’en certaines circonstances, les cours rendent des ordonnances extraterritoriales là où il y a « des liens véritables et étroits » entre les activités de l’organisation et le Canada : Equustek, précité, aux paragraphes 51 à 56.

[83]      Le CPVP a présenté de la preuve considérable concernant la nature de l’entreprise du défendeur basée en Roumanie et la mesure dans laquelle on peut affirmer que cette entreprise mène des activités au Canada. Tel que mentionné précédemment, le site Globe24h.com dont il est question contient des décisions de cours et de tribunaux canadiens. Les éléments de preuve du CPVP démontrent que ces décisions contenant des renseignements personnels ont été téléchargées délibérément par le défendeur à partir de sites Web juridiques canadiens, comme CanLII, et republiés sur Globe24h.com. En outre, le défendeur a réalisé un profit auprès de Canadiens en exigeant de ceux-ci le paiement de frais pour retirer leurs renseignements personnels du site Web en question.

[84]      Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Equustek, précité, au paragraphe 85, [traduction] « [u]ne fois qu’il a été accepté qu’un tribunal détient la compétence in personam à l’égard d’une personne, le fait que son ordonnance puisse avoir une incidence sur des activités dans d’autres ressorts territoriaux n’est pas un obstacle à l’émission d’une ordonnance par ce tribunal ». De plus, dans le contexte des abus sur Internet, les tribunaux ou cours de nombreux ressorts ont conclu que des ordonnances ayant des effets internationaux sont nécessaires : Equustek, précité, au paragraphe 95, citant APC c. Auchan Telecom, 11/60013, jugement (28 novembre 2013) (Tribunal de grande instance de Paris); Mc Keogh v. John Doe 1 & Ors, [2012] IECH 95 (Haute Cour irlandaise, arrêt no 2012 1254 P); Mosley c. Google, 11/07970, jugement (6 novembre 2013) (Tribunal de grande instance de Paris); ECJ Google Spain SL, Google Inc. v. Agencia Espanola de Protección de Datos, Mario Costeja González, C-131/12 [2014], CURIA.

[85]      J’avais des réserves au sujet de la force exécutoire de toute ordonnance émise contre le défendeur, étant donné que celui-ci et son serveur ne sont pas présents physiquement au Canada. Toutefois, après avoir étudié l’affaire, je suis persuadé que l’émission d’une ordonnance de mesure corrective au Canada peut aider le demandeur à poursuivre ses recours en Roumanie. En outre, comme l’a fait valoir le commissaire, une telle ordonnance peut aider à persuader les exploitants de moteurs de recherche à désindexer les pages affichées sur le site Web du défendeur.

[86]      L’alinéa 16a) de la LPRPDE autorise la Cour à accorder une ordonnance de mesure corrective exigeant que le défendeur corrige ses pratiques afin de se conformer aux dispositions des articles 5 à 10 de la Loi. Ayant passé en revue les pouvoirs pertinents et conclu que le litige relève de la compétence de la Cour, j’estime qu’il n’y a pas d’obstacle pratique ni en matière de compétence à l’octroi d’une ordonnance de mesure corrective avec effets extraterritoriaux.

2)         Jugement déclaratoire

[87]      Le CPVP estime qu’en vertu de l’article 16 de la LPRPDE, le demandeur peut solliciter un jugement déclaratoire étant donné que les réparations accordées sont explicitement « en sus de toute autre réparation [que la Cour] accorde ».

[88]      Un jugement déclaratoire voulant que le défendeur a contrevenu à la LPRPDE, combinée à une ordonnance de mesure corrective, permettrait au demandeur ainsi qu’à d’autres plaignants de soumettre une requête à Google ou à d’autres exploitants de moteurs de recherche pour faire retirer de leurs résultats de recherche les hyperliens vers des décisions affichées sur le site Globe24h.com. Google est le principal moteur de recherche concerné, et ses politiques permettent aux utilisateurs de soumettre leur requête dans les cas où un tribunal a déclaré que le contenu d’un site Web est illégal. Il convient de noter que la politique de Google sur les annonces légales énonce que le fait de remplir et de soumettre le formulaire Google en ligne ne garantit pas qu’une quelconque mesure sera prise comme suite à la demande. Néanmoins, une telle requête demeure une voie qui s’offre au demandeur et à d’autres personnes touchées d’une façon similaire. Le CPVP considère que cette voie peut être le moyen le plus pratique et efficace d’atténuer le préjudice causé à des personnes, étant donné que le défendeur réside en Roumanie et ne dispose pas d’actifs connus.

[89]      Lors de l’audience du 9 novembre 2016, j’ai demandé que le CPVP fournisse des précédents supplémentaires concernant spécifiquement le pouvoir de la Cour fédérale d’accorder des réparations systémiques (c.-à-d. des réparations qui vont au-delà des circonstances relatives à un demandeur) dans des cas appropriés.

[90]      Dans ses observations postérieures à l’audience, le CPVP a signalé que le libellé de l’article 16 de la LPRPDE habilite la Cour à élaborer des réparations pour corriger une non-conformité systémique. Le CPVP a notamment fait valoir que de telles réparations iraient nécessairement au-delà de la situation du demandeur concerné, et ne profiteront pas uniquement à celui-ci, étant donné que leur but est de corriger la façon dont une organisation collecte, utilise et divulgue des renseignements personnels d’une façon générale.

[91]      Dans l’arrêt Englander c. Telus Communications Inc., 2004 CAF 387, [2005] 2 R.C.F. 572 (Englander), la Cour d’appel fédérale a conclu que l’intimée, Telus Communications Inc., avait enfreint l’article 5 de la LPRPDE. La Cour a fait remarquer que l’appelant, M. Englander, n’avait pas été touché personnellement par l’infraction commise par l’intimée. Toutefois, parce que la commission d’une infraction continue à la LPRPDE avait été établie, la Cour était disposée à émettre une ordonnance « de nature prospective » exigeant de l’intimée de changer ses pratiques de manière à ce qu’elles soient conformes à la LPRPDE : Englander, précité, au paragraphe 90.

[92]      Dans la décision Donaghy c. Scotia Capital Inc., 2007 CF 224 (Donaghy), le juge Strayer, en conformité avec l’alinéa 16a) de la LPRPDE, a ordonné à une banque de clarifier la façon dont elle utilisait un relevé de travail qui était censé servir à consigner les heures travaillées, y compris les heures supplémentaires, pour des employés qui n’avaient pas le droit de faire des heures supplémentaires : Donaghy, précitée, aux paragraphes 15 et 18. Dans l’affaire en question, le demandeur n’était notamment plus un employé de la banque et n’aurait pas profité de l’ordonnance de mesure corrective accordée par la Cour.

[93]      En outre, compte tenu du statut quasi constitutionnel de la LPRPDE, le Commissariat considère que l’on peut trouver de l’orientation dans des arrêts relatifs à des réparations qui peuvent être accordées en vertu de la Charte canadienne des droits et liberté, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte).

[94]      Dans l’arrêt Jodhan c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 161, [2014] 1 R.C.F. 185 (Jodhan), l’objet était la portée de la réparation pouvant être accordée en vertu de la Charte après avoir déterminé que le gouvernement fédéral avait omis de rendre accessibles les sites Web de ministères et organismes gouvernementaux aux personnes ayant une déficience visuelle. La Cour fédérale [2010 CF 1197, [2011] 2 R.C.F. 355] avait conclu qu’il y avait de la part du gouvernement un « échec systémique » à rendre ses sites Web accessibles, et elle avait donc déclaré qu’elle avait une obligation constitutionnelle de corriger l’anomalie. En appel, le Procureur général avait fait valoir que la réparation aurait dû être limitée aux entités nommées dans l’avis de requête. La Cour d’appel fédérale avait rejeté cet argument en faisant remarquer que des réparations systémiques étaient tout à fait appropriées dans des affaires où une violation systémique avait été établie : Jodhan, précité, aux paragraphes 81 à 83 et 90.

[95]      Ces causes démontrent que des réparations peuvent transcender les circonstances particulières relatives à un demandeur, lorsqu’on a établi que les pratiques d’une organisation sont déficientes. Dans de telles affaires, des réparations élaborées dans une visée générale étaient requises pour faire en sorte qu’à l’avenir, les pratiques de l’organisation concernée ne violent plus des droits constitutionnels ou quasi constitutionnels.

[96]      La demande d’une réparation systémique dans la présente affaire est justifiée, car la preuve démontre que les effets des actions du défendeur ne sont pas confinés au seul demandeur nommé dans la requête. Au total, le CPVP a reçu 49 plaintes liées au site Globe24h.com. En outre, la preuve par affidavit déposée par le Commissariat montre que CanLII a reçu plus de 150 plaintes concernant des renseignements personnels trouvés sur Globe24h.com. Par conséquent, je suis d’accord pour dire que les circonstances de cette affaire justifient une ordonnance de mesure corrective élaborée en termes généraux, conformément à l’alinéa 16a) de la LPRPDE.

G.        Dommages-intérêts

[97]      La Cour a déterminé que l’octroi de dommages-intérêts en vertu de la LPRPDE a trois fonctions : 1) l’indemnisation; 2) la dissuasion; 3) la défense : Nammo c. TransUnion of Canada Inc., 2010 CF 1284, [2012] 3 R.C.F. 600 (Nammo), aux paragraphes 72 à 76; voir aussi Townsend c. Financière Sun Life, 2012 CF 550, au paragraphe 31; Chitrakar c. Bell TV, 2013 CF 1103, au paragraphe 26.

[98]      Le commissaire fait valoir que, compte tenu de la nature quasi constitutionnelle de la LPRPDE, des dommages-intérêts peuvent être accordés « même lorsqu’aucune perte financière réelle n’a été prouvée » : Nammo, précité, aux paragraphes 71 et 74. Outre l’indemnisation, les buts de défense, et de dissuasion visant à prévenir d’autres infractions, sont tout aussi importants. Le commissaire n’a pas pris de position concernant la question de savoir si des dommages-intérêts sont également requis pour indemniser le demandeur pour tout préjudice que celui-ci pourrait avoir subi en raison des actions du défendeur.

[99]      Dans l’arrêt Nammo, précité, au paragraphe 76, la Cour a proposé une liste non exhaustive de facteurs pour justifier une requête en dommages-intérêts en vertu de la LPRPDE, c’est-à-dire : 1) la question de savoir si l’octroi de dommages-intérêts est conforme à l’objet de la LPRPDE et aux valeurs qui y sont enchâssées; 2) la question de savoir si des dommages-intérêts doivent être accordés afin de décourager la perpétration d’autres violations; 3) la gravité de l’infraction.

[100]   Je souscris à l’argument du CPVP portant que l’infraction du défendeur est grave, parce que celui-ci a fait essentiellement un commerce de l’exploitation de la vie privée de personnes dans un but lucratif. Dans au moins un cas, le défendeur a refusé de retirer des renseignements qui sont assujettis à une interdiction de publication au Canada.

[101]   La preuve démontre que la divulgation contestée a été importante. Le défendeur effectuait des téléchargements en vrac de décisions de cours et de tribunaux canadiens, republiait ces décisions sur Globe24h.com et rendait les renseignements personnels en question accessibles sur Internet en permettant que les décisions soient indexées par des moteurs de recherche, notamment les noms de parties et d’autres personnes mentionnées dans les décisions. Les actions du défendeur ont violé les droits au respect de la vie privée accordés aux personnes, y compris au demandeur dans la présente affaire, sans le consentement des personnes concernées.

[102]   L’article 16 de la LPRPDE ne donne aucune indication quant au montant des dommages-intérêts qui peuvent être accordés. Dans l’arrêt Nammo, précité, [au paragraphe 71] un montant de 5 000 $ a servi à indemniser pour une « grave violation concernant des renseignements de nature financière d’une grande importance sur le plan personnel et professionnel ». Dans l’arrêt Girao c. Zarek Taylor Grossman, Hanrahan LLP, 2011 CF 1070, j’ai accordé 1 500 $ en dommages-intérêts en prenant en compte l’incidence de l’infraction sur le demandeur, qui avait fait valoir une souffrance morale, le comportement du défendeur tant avant qu’après l’infraction, et la question de savoir si le défendeur avait tiré profit de l’infraction. Dans l’affaire en question, seule l’incidence de l’infraction avait été un facteur important, étant donné que le défendeur n’avait obtenu aucun avantage matériel et avait agi promptement pour corriger la situation.

[103]   Dans la présente affaire, je suis persuadé que l’octroi de dommages-intérêts serait approprié, compte tenu principalement du comportement du défendeur. Il est clair, d’après le dossier, que le défendeur a tiré un profit commercial de l’infraction par une publicité ciblée et en exigeant des frais pour le retrait des renseignements personnels de personnes figurant dans les décisions. Le défendeur a également agi de mauvaise foi en n’assumant pas sa responsabilité et en omettant de corriger la situation. Dans ces circonstances, je considère que l’octroi d’un montant de 5 000 $ en dommages-intérêts serait approprié.

VII.      DÉPENS

[104]   Le CPVP n’a pas demandé l’adjudication des dépens. Étant donné que le demandeur s’est représenté lui-même, il a droit uniquement au remboursement des dépenses engagées. Puisqu’il a éprouvé certaines difficultés à rassembler tous ses reçus, je pense qu’une modeste somme de 300 $ couvrirait probablement toutes ces dépenses.

JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.         Il est déclaré que le défendeur, Sebastian Radulescu, a contrevenu à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5, par la collecte, l’utilisation et la divulgation sur son site Web, www.Globe24h.com (Globe24h.com) de renseignements personnels contenus dans des décisions de cours et de tribunaux canadiens, et ce, à des fins inappropriées et sans le consentement des personnes concernées;

2.         Le défendeur, Sebastian Radulescu, doit retirer de Globe24h.com toutes les décisions de cours et de tribunaux canadiens contenant des renseignements personnels et prendre les mesures nécessaires pour retirer ces décisions de la mémoire cache des moteurs de recherche;

3.         Le défendeur, Sebastian Radulescu, doit s’abstenir de copier et republier encore des décisions de cours et de tribunaux canadiens contenant des renseignements personnels d’une manière qui contrevient à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5;

a)         Le défendeur, Sebastian Radulescu, doit verser au demandeur des dommages-intérêts totalisant 5 000 $;

b)         Le montant des dépens accordé au demandeur est de 300 $;

c)         L’intitulé de l’affaire est modifié en remplaçant le nom du demandeur par les initiales « A.T. ».

ANNEXE A

Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5

Définitions

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

[…]

organisation S’entend notamment des associations, sociétés de personnes, personnes et organisations syndicales. (organization)

[…]

Objet

3 La présente partie a pour objet de fixer, dans une ère où la technologie facilite de plus en plus la circulation et l’échange de renseignements, des règles régissant la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels d’une manière qui tient compte du droit des individus à la vie privée à l’égard des renseignements personnels qui les concernent et du besoin des organisations de recueillir, d’utiliser ou de communiquer des renseignements personnels à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances.

Champ d’application

4 (1) La présente partie s’applique à toute organisation à l’égard des renseignements personnels :

a) soit qu’elle recueille, utilise ou communique dans le cadre d’activités commerciales;

[…]

Limite

(2) La présente partie ne s’applique pas :

[…]

c) à une organisation à l’égard des renseignements personnels qu’elle recueille, utilise ou communique à des fins journalistiques, artistiques ou littéraires et à aucune autre fin.

[…]

Obligation de se conformer aux obligations

5 (1) Sous réserve des articles 6 à 9, toute organisation doit se conformer aux obligations énoncées dans l’annexe 1.

[…]

Fins acceptables

(3) L’organisation ne peut recueillir, utiliser ou communiquer des renseignements personnels qu’à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances.

[…]

Collecte à l’insu de l’intéressé ou sans son consentement

7 (1) Pour l’application de l’article 4.3 de l’annexe 1 et malgré la note afférente, l’organisation ne peut recueillir de renseignement personnel à l’insu de l’intéressé ou sans son consentement que dans les cas suivants :

[…]

d) il s’agit d’un renseignement réglementaire auquel le public a accès;

[…]

Utilisation à l’insu de l’intéressé ou sans son consentement

(2) Pour l’application de l’article 4.3 de l’annexe 1 et malgré la note afférente, l’organisation ne peut utiliser de renseignement personnel à l’insu de l’intéressé ou sans son consentement que dans les cas suivants :

[…]

c.1) il s’agit d’un renseignement réglementaire auquel le public a accès;

[…]

Communication à l’insu de l’intéressé ou sans son Consentement

(3) Pour l’application de l’article 4.3 de l’annexe 1 et malgré la note afférente, l’organisation ne peut communiquer de renseignement personnel à l’insu de l’intéressé ou sans son consentement que dans les cas suivants :

[…]

h.1) il s’agit d’un renseignement réglementaire auquel le public a accès;

[…]

Examen des plaintes par le commissaire

12 (1) Le commissaire procède à l’examen de toute plainte dont il est saisi à moins qu’il estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

a) le plaignant devrait d’abord épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par le droit fédéral — à l’exception de la présente partie — ou le droit provincial;

c) la plainte n’a pas été déposée dans un délai raisonnable après que son objet a pris naissance.

[…]

Audience de la Cour

Demande

14 (1) Après avoir reçu le rapport du commissaire ou l’avis l’informant de la fin de l’examen de la plainte au titre du paragraphe 12.2(3), le plaignant peut demander que la Cour entende toute question qui a fait l’objet de la plainte — ou qui est mentionnée dans le rapport — et qui est visée aux articles 4.1.3, 4.2, 4.3.3, 4.4, 4.6, 4.7 ou 4.8 de l’annexe 1, aux articles 4.3, 4.5 ou 4.9 de cette annexe tels qu’ils sont modifiés ou clarifiés par les sections 1 ou 1.1, aux paragraphes 5(3) ou 8(6) ou (7), à l’article 10 ou à la section 1.1.

[…]

Réparations

16 La Cour peut, en sus de toute autre réparation qu’elle accorde :

a) ordonner à l’organisation de revoir ses pratiques de façon à se conformer aux articles 5 à 10;

b) lui ordonner de publier un avis énonçant les mesures prises ou envisagées pour corriger ses pratiques, que ces dernières aient ou non fait l’objet d’une ordonnance visée à l’alinéa a);

c) accorder au plaignant des dommages-intérêts, notamment en réparation de l’humiliation subie.

[…]

ANNEXE 1

(article 5)

Principes énoncés dans la norme nationale du Canada intitulée Code type sur la protection des renseignements personnels, CAN/CSA-Q830-96

[…]

4.3 Troisième principe — Consentement

Toute personne doit être informée de toute collecte, utilisation ou communication de renseignements personnels qui la concernent et y consentir, à moins qu’il ne soit pas approprié de le faire.

Note : Dans certaines circonstances, il est possible de recueillir, d’utiliser et de communiquer des renseignements à l’insu de la personne concernée et sans son consentement. Par exemple, pour des raisons d’ordre juridique ou médical ou pour des raisons de sécurité, il peut être impossible ou peu réaliste d’obtenir le consentement de la personne concernée. Lorsqu’on recueille des renseignements aux fins du contrôle d’application de la loi, de la détection d’une fraude ou de sa prévention, on peut aller à l’encontre du but visé si l’on cherche à obtenir le consentement de la personne concernée. Il peut être impossible ou inopportun de chercher à obtenir le consentement d’un mineur, d’une personne gravement malade ou souffrant d’incapacité mentale. De plus, les organisations qui ne sont pas en relation directe avec la personne concernée ne sont pas toujours en mesure d’obtenir le consentement prévu. Par exemple, il peut être peu réaliste pour une oeuvre de bienfaisance ou une entreprise de marketing direct souhaitant acquérir une liste d’envoi d’une autre organisation de chercher à obtenir le consentement des personnes concernées. On s’attendrait, dans de tels cas, à ce que l’organisation qui fournit la liste obtienne le consentement des personnes concernées avant de communiquer des renseignements personnels.

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