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A-402-06

2007 CAF 308

Howard P. Knopf (appelant)

c.

Le Président de la Chambre des communes et le procureur général du Canada (intimés)

Répertorié : Knopf c. Canada (Président de la Chambre des communes) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Décary, Linden et Trudel, J.C.A.—Ottawa, 4 septembre; 5 novembre 2007.

Droit constitutionnel — Charte des droits— Droits linguistiques — Appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté le recours formé en vertu de la partie X de la Loi sur les langues officielles (la Loi) — Le Comité permanent de la Chambre des communes sur le patrimoine canadien (le comité) a décidé de ne pas distribuer à ses membres les documents que l’appelant avait soumis avant de témoigner devant le comité parce qu’ils n’étaient qu’en anglais —  L’art. 4(1) de la Loi reprend le droit de toute personne qui participe aux travaux parlementaires d’« employer » l’anglais ou le français, droit qui a d’abord été consacré par l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et proclamé à nouveau par l’art. 17(1) de la Charte canadienne des droits et libertés — La Cour fédérale a déclaré avec justesse que la demande formulée par l’appelant pour que ses documents soient distribués n’entre pas dans le cadre du droit consacré par l’art. 4(1) de la Loi — Le droit d’employer la langue officielle de son choix ne comprend pas le droit d’imposer au comité la diffusion immédiate à ses membres de documents déposés dans une seule langue officielle — Il n’y a pas eu atteinte aux droits linguistiques de l’appelant — Appel rejeté.

Interprétation des lois — Art. 4 de la Loi sur les langues officielles — Appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté le recours formé en vertu de la partie X de la Loi sur les langues officielles (la Loi) — Le Comité permanent de la Chambre des communes sur le patrimoine canadien a refusé de donner suite à la demande de l’appelant de distribuer des documents unilingues anglais à ses membres avant d’entendre son témoignage — La Cour fédérale n’a pas restreint le verbe anglais « speak » paraissant à l’art. 4(1) de la Loi à l’expression orale, mais a déclaré que cette disposition confère à toute personne le droit de s’adresser à la Chambre des communes dans la langue de son choix — Dans d’autres dispositions relatives aux droits linguistiques, le législateur a opté pour le terme « communiquer », qui suppose une interaction entre les parties, mais le verbe « employer » utilisé à l’art. 4(1) de la Loi n’englobe pas une telle interaction — Le droit prévu à l’art. 4(1) de la Loi d’utiliser la langue officielle de son choix devant la Chambre des communes est donc unilatéral.

Il s’agissait d’un appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté le recours que l’appelant avait formé en vertu de la partie X de la Loi sur les langues officielles (la Loi) après que le commissaire aux langues officielles a rejeté sa plainte selon laquelle il avait été porté atteinte à ses droits linguistiques garantis par l’article 4. Le Comité permanent de la Chambre des communes sur le patrimoine canadien (le comité) a décidé de ne pas distribuer à ses membres les documents que l’appelant avait soumis avant de témoigner devant le comité parce qu’ils n’étaient qu’en langue anglaise. Dans le recours qu’il a formé en vertu de la partie X de la Loi, l’appelant a allégué avoir subi une atteinte à ses droits linguistiques garantis par la Loi, la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et la Loi constitutionnelle de 1867. La Cour fédérale a statué que le paragraphe 4(1) protège le droit de toute personne d’employer la langue officielle de son choix et qu’il n’impose pas de conditions de forme aux échanges entre cette personne et le comité. Autrement dit, la demande formulée par l’appelant pour que ses documents soient distribués n’entre pas dans le cadre du droit consacré par le paragraphe 4(1) de la Loi. S’appuyant sur l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, la Cour fédérale a déclaré que dans le cas des débats et travaux parlementaires, le mot « usage » confère à l’appelant le droit de s’exprimer dans la langue officielle de son choix. La question en litige était celle de savoir si la Cour fédérale avait commis une erreur en concluant que le comité avait bien respecté le droit de l’appelant de s’adresser à ses membres dans la langue de son choix.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

L’argument de l’appelant selon lequel la Cour fédérale a, en utilisant le terme « s’exprimer » (« speak » dans la version anglaise du jugement), restreint la portée du terme « employer » dans le paragraphe 4(1) de la Loi et donc le champ d’application de la législation aux seules déclarations verbales a été rejeté. Le verbe anglais « speak » vise plus que l’expression orale. La Cour fédérale a déclaré que le paragraphe 4(1) de la Loi donne à l’appelant le droit de s’adresser à la Chambre des communes dans la langue de son choix. La position adoptée par la Cour fédérale selon laquelle la demande formulée par l’appelant pour faire diffuser ses documents n’était pas visée par le paragraphe 4(1) de la Loi était juste.

Le paragraphe 4(1) de la Loi reprend le droit qui a d’abord été consacré par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et proclamé à nouveau par le paragraphe 17(1) de la Charte. Selon ces trois dispositions, toute personne qui participe aux travaux parlementaires a le droit d’« employer » (« to use ») l’anglais ou le français. Le paragraphe 4(1) de la Loi et le paragraphe 17(1) de la Charte créent un régime d’unilinguisme au choix de l’intéressé, qui ne peut être contraint par le Parlement à s’exprimer, oralement ou par écrit, dans une langue autre que celle qu’il choisit. Cependant, dans d’autres dispositions relatives aux droits linguistiques, comme le  paragraphe  20(1)  de  la  Charte  et  l’article  25  de  la  Loi,  le  législateur  a opté pour le terme « communiquer » (« to communicate »). Bien que le terme « communiquer » suppose une interaction, des actions bilatérales entre les parties, le verbe « employer » n’englobe pas une telle interaction. Ce droit est unilatéral : on a le droit de s’adresser à la Chambre des communes dans la langue officielle de son choix. L’appelant a fait connaître son opinion sur des sujets précis intéressant le comité et il a déposé des documents. Là s’arrêtait le droit qu’il pouvait invoquer en vertu du paragraphe 4(1) de la Loi. Le paragraphe 4(1) de la Loi n’oblige pas le comité à diffuser à ses membres des documents dans une des langues officielles, cette disposition ne conférant à l’appelant que le droit de s’adresser au comité dans la langue de son choix. Lorsque ce droit a été exercé, le paragraphe 4(1) de la Loi n’oblige pas le comité à agir de telle ou telle manière relativement aux renseignements qui lui ont été présentés verbalement ou par écrit. Le droit d’employer la langue officielle de son choix ne comprend pas le droit d’imposer au comité la diffusion immédiate et la lecture de documents déposés par le témoin à l’appui de sa déposition. Comme c’est au comité qu’il revient de décider quoi faire des renseignements présentés par le témoin, et à quel moment, il n’y a pas eu atteinte aux droits linguistiques de l’appelant.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 16, 17, 20(1).

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 133.

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 3 « institutions fédérales » (mod. par L.C. 2002, ch. 7, art. 224; 2006, ch. 9, art. 20), 4, 25, 58, 76 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 183), 77 (mod. par L.C. 2005, ch. 41, art. 2), 81.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106,  règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 400 (mod. par DORS/2002-417, art. 25(F)).

jurisprudence citée

décisions citées :

Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation),  [2003] 3 R.C.S. 3; 2003 CSC 62; Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, [2000] 1 R.C.S. 3; 2000 CSC 1; R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768; R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; MacDonald c. Ville de Montréal et autres, [1986] 1 R.C.S. 460; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1999] A.C.F. no 522 (C.A.) (QL); Bellemarre c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 231.

doctrine citée

Brun, Henri et Guy Tremblay. Droit constitutionnel, 4e éd. Cowansville (Qué). : Éditions Y. Blais, 2002.

Canada.  Chambre  des  communes.  Comité permanent du patrimoine canadien. Procès-verbaux. 24 février 2004.

Canada.  Chambre  des  communes.  Comité permanent du patrimoine canadien. Procès-verbaux, 18 octobre 2004.

Canadian Oxford Dictionary, 2e éd. Toronto : Oxford University Press, 2004, « speak ».

Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, Student ed. Scarborough, Ont. : Thomson Carswell, 2006.

APPEL de la décision (2006 CF 808) par laquelle la Cour fédérale a rejeté le recours que l’appelant avait formé en vertu de la partie X de la Loi sur les langues officielles selon lequel il avait été porté atteinte à ses droits linguistiques garantis par l’article 4 de la Loi. Appel rejeté.

ont comparu :

Howard P. Knopf pour son propre compte.

Steven R. Chaplin et Melanie J. Mortensen pour l’intimé, le président de la Chambre des communes.

Alain Préfontaine et Agnieszka Zagorska pour l’intimé, le procureur général du Canada.

avocats inscrits au dossier :

Chambre des communes, Affaires juridiques, Ottawa, pour l’intimé le président de la Chambre des communes.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé, le procureur général du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]La juge Trudel, J.C.A. : Il s’agit d’un appel interjeté de la décision de la juge Layden‑Stevenson de la Cour fédérale (2006 CF 808) par laquelle elle a rejeté le recours que l’appelant avait formé en vertu de la partie X [articles 76 à 81] de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31 (la Loi).

Les faits

[2]Le 20 avril 2004, l’appelant s’est présenté devant le Comité permanent de la Chambre des communes sur le patrimoine canadien à titre d’avocat spécialisé afin de témoigner sur des questions relatives à la réforme du droit d’auteur, à la ratification du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle et à la copie privée.

[3]Avant de se présenter devant le Comité, il avait envoyé quatre documents au greffier du Comité et il lui avait demandé de les diffuser aux membres. Le greffier a reçu les documents et en a fait des copies. Cependant, les membres du Comité ont décidé de ne pas les diffuser parce qu’ils n’étaient qu’en langue anglaise.

[4]Cette décision était conforme à la règle de procédure qui avait été adoptée auparavant par le Comité, selon laquelle des documents ne peuvent être diffusés à ses membres que lorsqu’ils sont disponibles dans les deux langues officielles (Procès‑verbaux des travaux du Comité, le 24 février 2004). Le Comité a confirmé cette règle lors de sa réunion d’organisation pour la 1re session de la 38e législature le 18 octobre 2004.

[5]L’appelant est d’avis que le témoin qui dépose devant un comité parlementaire a le droit de présenter dans l’une ou l’autre des langues officielles des documents destinés à être diffusés immédiatement aux membres de ce comité dans le cadre de son témoignage. Selon l’appelant, lorsque le témoin se présente devant le Comité :

[traduction] [. . .] Il me semble qu’il est plus important que le Comité soit informé que tout soit bilingue [. . .]

[6]Le 11 novembre 2004, l’appelant a porté plainte auprès du commissaire aux langues officielles en vertu de l’article 58 de la Loi. Il a répété sa déclaration antérieure : [traduction] « J’ai le droit de demander aux membres de lire mes documents dans la langue de mon choix. Je préfère qu’ils ne soient pas lus par certains membres plutôt qu’ils soient mal ou inexactement traduits ». Par sa lettre du 1er mars 2005, le commissaire a rejeté sa plainte.

[7]L’appelant a donc formé un recours en vertu de la partie X de la Loi et il a allégué avoir subi une atteinte à ses droits linguistiques garantis par la Loi, la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]  (la Charte) et la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]].

[8]La juge Layden‑Stevenson a rejeté le recours sans adjuger de dépens. Elle a soigneusement passé en revue les faits et la thèse des parties. Elle a tranché le différend en statuant sur les questions suivantes :

a) Y a‑t‑il eu atteinte aux droits linguistiques de M. Knopf?

b) Le privilège parlementaire était‑il applicable aux travaux du Comité?

[9]Le Comité a bien respecté le droit de M. Knopf de s’adresser à ses membres dans la langue de son choix. La juge de première instance a correctement conclu que le Comité, lorsqu’il avait décidé de ne pas diffuser les documents envoyés par l’appelant, n’avait pas porté atteinte aux droits linguistiques de M. Knopf énoncés dans l’article 4 de la Loi.

[10]Il n’est donc pas nécessaire de se pencher sur la question du privilège parlementaire. Par conséquent, mon résumé du jugement rendu par la juge de première instance et des observations des parties de même que mon analyse du droit pertinent, ne porteront que sur cette question précise.

[11]À ce stade, il est utile de reproduire les dispositions légales pertinentes :

Loi constitutionnelle de 1867, article 133 :

133. Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l’usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais dans la rédaction des archives, procès‑verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l’usage de ces deux langues sera obligatoire; et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par‑devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l’autorité de la présente loi, et par‑devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, de l’une ou de l’autre de ces langues.

Les lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.

Charte canadienne des droits et libertés, paragraphes 17(1) et 20(1) :

17. (1) Chacun a le droit d’employer le français ou l’anglais dans les débats et travaux du Parlement.

[. . .]

20. (1) Le public a, au Canada, droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec le siège ou l’administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l’égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas :

a) l’emploi du français ou de l’anglais fait l’objet d’une demande importante;

b) l’emploi du français et de l’anglais se justifie par la vocation du bureau.

Loi sur les langues officielles, paragraphe 4(1) et article 25 :

4. (1) Le français et l’anglais sont les langues officielles du Parlement; chacun a le droit d’employer l’une ou l’autre dans les débats et travaux du Parlement.

[. . .]

25. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que, tant au Canada qu’à l’étranger, les services offerts au public par des tiers pour leur compte le soient, et à ce qu’il puisse communiquer avec ceux‑ci, dans l’une ou l’autre des langues officielles dans le cas où, offrant elles‑mêmes les services, elles seraient tenues, au titre de la présente partie, à une telle obligation.

Le jugement de la Cour fédérale

[12]La juge qui a statué sur la demande est d’avis que le paragraphe 4(1) de la Loi protège le droit de toute personne d’employer la langue officielle de son choix. Il n’impose pas de conditions de forme aux échanges entre cette personne et le Comité (au paragraphe 39) :

Me Knopf avait le droit de s’adresser au Comité dans la langue officielle de son choix. Ce droit a été respecté. La demande formulée par Me Knopf pour que ses documents soient distribués n’entre pas dans le cadre du droit consacré au paragraphe 4(1) de la Loi. En fait, il s’en prend à la façon dont le Comité exerce ses activités. Il conteste la procédure adoptée par le Comité en ce qui concerne la distribution des documents. Il ne s’agit pas, à mon avis, d’une question de droits linguistiques.

[13]S’appuyant sur l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, elle ajoute [au paragraphe 36] que « [d]ans le cas des débats et travaux parlementaires, le mot “usage” prévu à l’article 133 confère à M. Knopf le droit de s’exprimer dans la langue officielle de son choix »; elle conclut donc que le choix de M. Knopf de s’adresser au Comité de la Chambre en anglais ou en français a été respecté.

La position des parties au présent appel en ce qui concerne la question des droits linguistiques

[14]L’appelant soutient que la juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu à l’absence d’atteinte à la Loi, à la Charte et à la Loi constitutionnelle de 1867. Il déclare, contrairement à ce qu’a affirmé la Cour fédérale, que sa demande n’est pas fondée sur sa déception due au fait que le Comité n’a pas suffisamment pris en compte ses observations. Il dit qu’est en jeu un droit linguistique, non pas un droit politique.

[15]Il fait valoir qu’il est erroné de restreindre la portée du terme « employer », au paragraphe 4(1) de la Loi, aux déclarations orales au détriment du droit du témoin de présenter, dans l’une ou l’autre langue officielle, des observations écrites ou des documents écrits qui se rattachent à l’ensemble de sa déposition.

[16]Enfin, l’appelant conteste les conclusions de la juge  de  première  instance  sur  les dépens. Invoquant le paragraphe 81(2) de la Loi, il fait valoir qu’[traduction] « il y a un important principe en jeu en l’occurrence sur lequel les tribunaux ne se sont pas prononcés, qui est au cœur de la démocratie parlementaire dans une société bilingue ».

[17]Il demande donc à la Cour d’appel a) d’infirmer le jugement de première instance; b) de déclarer que le Comité a porté atteinte à ses droits linguistiques, énoncés dans les articles 16 et 17 de la Charte et dans l’article 4 de la Loi; c) de déclarer que les membres du grand public ont le droit, lorsqu’ils se présentent devant un comité de la Chambre des communes, de présenter les documents pertinents dans l’une ou l’autre des langues officielles pour diffusion immédiate aux membres de ce comité; d) de déclarer que tous les comités parlementaires, conformément à la Loi et à la Charte, autoriseront la diffusion à leurs membres des documents pertinents dans l’une ou l’autre langue officielle, sans qu’il soit nécessaire de les faire traduire au préalable.

[18]En ce qui concerne les dépens, l’appelant demande à la Cour : a) de ne pas rendre d’ordonnance quant aux dépens entre lui et le président de la Chambre des communes; b) de rendre une ordonnance contre le procureur général du Canada en vertu du paragraphe 81(2) de la Loi ou, subsidiairement, de ne pas adjuger les dépens dans la présente affaire.

[19]Le président de la Chambre des communes fait valoir que la Cour n’a pas compétence pour statuer sur les droits de l’appelant qui relèvent de la Charte ou pour statuer sur les décisions, rapports ou travaux du Comité. Son mémoire des faits et du droit porte surtout sur la question du privilège parlementaire; comme je l’ai signalé, il n’est pas nécessaire de se pencher sur cette question.

[20]De toute manière, il convient, et il appuie en cela la position du commissaire aux langues officielles et du procureur général, qu’il n’y a pas eu atteinte aux droits de l’appelant garantis par la Loi et la Charte. Le président de la Chambre des communes demande le rejet de l’appel, sans adjudication des dépens.

[21]Le procureur général prétend que l’interprétation téléologique de la Loi confirme la validité du jugement rendu en première instance. En l’espèce, il demande le rejet de l’appel avec dépens devant la Cour d’appel.

Analyse

[22]Aux termes de la partie X de la Loi, la personne qui a saisi le commissaire d’une plainte au sujet de droits ou d’obligations visés par l’article 4 peut former un recours devant la Cour fédérale (paragraphe 77(1) [mod. par L.C. 2005, ch. 41, art. 2]).

[23]Le paragraphe 77(4) se lit comme suit :

77. [. . .]

(4) Le tribunal peut, s’il estime qu’une institution fédérale ne s’est pas conformée à la présente loi, accorder la réparation qu’il  estime  convenable  et  juste  eu  égard aux circonstances.

[24]La Chambre des communes est une « institution fédérale » : article 3 [mod. par L.C. 2002, ch. 7, art. 224; 2006, ch. 9, art. 20] de la Loi; nul doute que la Cour fédérale a compétence pour connaître de l’appel de M. Knopf concernant son allégation selon laquelle on aurait porté atteinte à ses droits linguistiques.

[25]Je vais maintenant me pencher sur les arguments de l’appelant. Je conclus qu’il n’a pas établi que la juge a commis une erreur en première instance lorsqu’elle a apprécié la preuve. Pour l’essentiel, l’exposé conjoint des faits relate tous les faits de l’affaire. Les faits supplémentaires résultent des affidavits de l’appelant et du président, qui n’ont pas été contestés.

[26]L’appelant conteste la conclusion de la juge Layden‑Stevenson selon laquelle il faisait essentielle-ment grief au Comité de n’avoir pas suffisamment pris en compte sa déposition et que sa demande soulevait une question politique, plutôt que linguistique.

[27]Certains éléments de preuve au dossier justifient cette conclusion. L’appelant a exprimé sans équivoque, tant dans sa plainte adressée au commissaire aux langues officielles que dans son affidavit, sa déception de ce que le Comité n’avait pas accepté sa déposition.

[28]Au cours des débats, l’appelant a demandé avec insistance à la Cour d’examiner ses prétentions dans un esprit prospectif, de sorte que, à l’avenir, les témoins qui se présenteraient devant un comité parlementaire puissent exiger la diffusion de documents écrits ou publiés dans l’une des langues officielles.

[29]Je ne me propose pas d’élargir le débat et de me pencher sur des problèmes théoriques, comme lorsque des documents ont été refusés par le greffier d’un comité, ou que le témoin s’est exprimé autrement que verbalement. L’espèce ne le requiert pas, et il n’y a pas lieu non plus d’examiner les privilèges parlementaires dont jouissent les comités de la Chambre des communes.

[30]En l’espèce, l’appelant a déposé devant le Comité en anglais, la langue de son choix, et a fait référence à ses documents écrits, comme le révèle la transcription partielle déposée à l’appui de son affidavit. Il avait envoyé ces documents avant sa déposition, ils ont été reçus par le greffier du Comité et copie en a été faite. Ils n’ont tout simplement pas été diffusés. La présidente du Comité a expliqué la procédure à l’appelant en ces termes :

[traduction] Je suis consciente du fait que vous ne connaissez peut‑être pas notre politique. Le Comité s’instruit dans les deux langues officielles. Cela ne veut donc pas dire que nous ne verrons pas le document. Nous le verrons dans les deux langues officielles. Nous ne nous interdisons pas de le lire parce qu’il est unilingue. Nous nous instruisons dans les deux.

[31]Comme cela a été mentionné plus haut, l’appelant soutient que, en utilisant le terme « s’exprimer » (« speak » dans la version anglaise du jugement—plus littéralement « parler »), la juge Layden‑Stevenson a restreint la portée du terme « employer » dans le paragraphe 4(1) de la Loi et donc le champ d’application de la législation aux seules déclarations verbales. Il prétend que la législation donne aussi le droit au témoin de présenter, dans l’une ou l’autre langue officielle, des observations par écrit ou des documents écrits qui se rattachent intégralement à sa déposition.

[32]Une lecture attentive du jugement rendu en première instance infirme l’interprétation de l’appelant. Ce jugement de même que la jurisprudence et la doctrine citées par la juge ne permettent pas de penser qu’elle envisageait une restriction de ce genre.

[33]Pour être juste, il faut lire la conclusion de la juge Layden‑Stevenson dans son intégralité. Elle s’est exprimée en ces termes [au paragraphe 36] :

[En résumé, les personnes ont le choix de s’adresser à la Chambre en anglais ou en français.] Dans le cas des débats et travaux parlementaires, le mot « usage » prévu à l’article 133 confère à Me Knopf le droit de s’exprimer [« speak » dans la version anglaise] dans la langue officielle de son choix. [Non souligné dans l’original.]

[34]Le verbe anglais « speak » vise plus que l’expression orale. Le Canadian Oxford Dictionary, 2e éd., en donne la définition suivante :

[traduction] [. . .] 2. transitif a prononcer (des mots). b faire connaître ou communiquer (une opinion, la vérité, etc.) de cette manière. 3 intransitif a [. . .] tenir une conversation (lui a parlé pendant une heure, leur a parlé au sujet de leur travail). b [. . .] mentionner dans un écrit etc. (en parle dans son roman). c [. . .] exprimer les sentiments (d’une autre personne, etc.) verbalement ou par écrit (il parle pour notre génération). 4 intransitif [. . .] a s’adresser à; converser avec (une personne etc.) [. . .]

[35]La juge Layden‑Stevenson n’a pas limité le terme « speak » à l’expression orale. Elle a plutôt dit que le paragraphe 4(1) de la Loi donne à l’appelant le droit de s’adresser à la Chambre dans la langue de son choix. Elle était d’avis que la demande de l’appelant de faire diffuser ses documents n’était pas visée par cette disposition. Je suis d’accord avec elle pour les motifs suivants.

[36]La règle est bien établie que les droits linguistiques doivent faire l’objet d’une interprétation large et libérale (Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3; Arsenault‑Cameron c. Île‑du‑Prince‑Édouard, [2000] 1 R.C.S. 3; R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768).

[37]Il faut ainsi s’inspirer de la nature et des objets plus généraux de la Charte et de la Loi, des origines historiques des notions consacrées par ces textes, de la formulation du droit en question et des conséquences à tirer du contexte, notamment des autres parties de la Charte ou de la Loi (R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295, à la page 344; Renvoi: Motor Vehicle Act de la Colombie‑Britannique, [1985] 2 R.C.S. 486, aux pages 499 et 500; Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 2006 Student ed. (Scarborough, Ont. : Thomson Carswell, 2006), à la page 770; Henri Brun et Guy Tremblay, Droit constitutionnel, 4e éd. (Cowansville, Qc : Éditions Y. Blais, 2002), à la page 929).

[38]Le paragraphe 4(1) de la Loi reprend le droit qui a d’abord été consacré par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et proclamé à nouveau par le paragraphe 17(1) de la Charte. Aux termes de ces trois dispositions, toute personne qui participe aux travaux parlementaires a le droit d’« employer » (to use) l’anglais ou le français. Le paragraphe 4(1) de la Loi et le paragraphe 17(1) de la Charte créent un régime d’unilinguisme au choix de l’intéressé, qui ne peut être contraint par le Parlement à s’exprimer, oralement ou par écrit, dans une langue autre que celle qu’il choisit (voir MacDonald c. Ville de Montréal et autres, [1986] 1 R.C.S. 460, à la page 483).

[39]Cependant, dans d’autres dispositions relatives aux droits linguistiques, comme le paragraphe 20(1) de la Charte et l’article 25 de la Loi, le législateur a opté pour le terme « communiquer » (to communicate). Je suis d’avis que cela était délibéré.

[40]Le terme « communiquer » suppose une interaction, des actions bilatérales entre les parties. Le verbe « employer » n’englobe pas une telle interaction. Ce droit est unilatéral : on a le droit de s’adresser à la Chambre des communes dans la langue officielle de son choix. En l’espèce, M. Knopf a fait connaître son opinion sur des sujets précis intéressant le Comité et il a déposé ses documents. Là s’arrête le droit qu’il peut invoquer en vertu du paragraphe 4(1) de la Loi.

[41]À mon sens, le paragraphe 4(1) de la Loi n’oblige pas le Comité à diffuser à ses membres des documents dans une des langues officielles. Selon le paragraphe 4(1) de la Loi, l’appelant a seulement le droit de s’adresser au Comité dans la langue de son choix. Lorsque ce droit a été exercé, cette disposition n’oblige pas le Comité à agir de telle ou telle manière relativement aux renseignements qui lui ont été présentés verbalement ou par écrit.

[42]La juge Layden‑Stevenson a correctement conclu que la diffusion de documents n’était pas visée par le paragraphe 4(1) de la Loi. Le droit d’employer la langue officielle de son choix ne comprend pas le droit d’imposer au Comité la diffusion immédiate et la lecture de documents déposés par le témoin à l’appui de sa déposition. C’est bien évidemment au Comité qu’il revient de décider quoi faire des renseignements présentés par le témoin, et à quel moment. Je conclus donc qu’il n’y a pas eu atteinte aux droits linguistiques de l’appelant.

[43]Aux termes de l’article 81 de la Loi, la Cour fédérale, qui est le « tribunal » au sens de l’article 76 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 183] de la même partie de la Loi, peut, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, accorder les dépens à l’auteur du recours. La Cour fédérale peut exercer son pouvoir discrétionnaire même si l’auteur du recours est débouté, dans les cas où elle estime que l’objet du recours a soulevé un principe important et nouveau quant à la Loi (voir Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1999] A.C.F. no 522 (C.A.) (QL), au paragraphe 36; Bellemare c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 31, aux paragraphes 11 à 15; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2004] S.C.C.A. no 379 (QL)).

[44]La juge Layden‑Stevenson a exercé son pouvoir discrétionnaire et l’appelant n’a pas convaincu la Cour qu’elle devait intervenir.

[45]Le procureur général demande les dépens à la suite de l’appel, conformément à la règle 400 [mod. par DORS/2002-417, art. 25(F)] des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)].

[46]Je propose de rejeter l’appel sans dépens en ce qui concerne le président et avec dépens contre le procureur général.

Le juge Décary, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Linden, J.C.A. : Je suis d’accord.

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