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T‑1996‑05

2007 CF 764

Le Chef Lloyd Chicot, agissant en son nom et au nom de tous les membres de la Première nation Ka’a’Gee Tu et la Première nation Ka’a’Gee Tu (demandeurs)

c.

Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et Paramount Resources Ltd. (défendeurs)

Répertorié : Première nation Ka’a’Gee Tu c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (C.F.)

Cour fédérale, juge Blanchard —Vancouver, 19 et 20 juin; Ottawa, 20 juillet 2007.

Peuples autochtones  —  Obligation de consultation  —  Contrôle judiciaire de la décision de l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie de délivrer un permis d’utilisation des terres modifié à Paramount Resources Ltd. en vertu de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie à la suite de l’approbation de l’expansion d’un projet de mise en valeur de ressources pétrolières et gazières  —  La Cour fédérale a une compétence concurrente avec la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest à l’égard des demandes de réparation extraordinaire contre les décisions de l’Office  —  Dans une demande connexe, la Cour a conclu que la Couronne ne s’était pas acquittée de son obligation de consultation et d’accommodement quant à l’approbation du projet d’expansion  —  La Couronne n’a donc pas tenu compte des préoccupations des Autochtones, comme le prescrit l’art. 114 de la Loi  —  En conséquence, l’Office ne pouvait, en vertu de l’art. 62 de la Loi, délivrer le permis d’utilisation des terres modifié  —  Demande accueillie.

Compétence de la Cour fédérale — Contrôle judiciaire de la décision de l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie de délivrer un permis d’utilisation des terres modifié — L’art. 32(1) de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie accorde à la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest une compétence concurrente avec la Cour fédérale à l’égard des demandes de réparation extraordinaire contre l’Office alors que l’art. 32(2) de la Loi lui confère la compétence exclusive de connaître de toute question relative à la compétence de l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie ou de l’Office d’examen des répercussions environnementales de la vallée du Mackenzie  — La « compétence » que confère l’art. 32(2) n’inclut pas « contre l’office, toute réparation », mais se limite aux questions relatives à la perte ou à l’absence du pouvoir législatif d’agir  —  L’art. 32 n’exclut pas la compétence de la Cour fédérale en l’espèce.

Environnement — Contrôle judiciaire de la décision de l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie de délivrer un permis d’utilisation des terres modifié à Paramount Resources Ltd. en vertu de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie à la suite de l’approbation de l’expansion d’un projet de mise en valeur de ressources pétrolières et gazières L’Office a effectué une enquête après l’évaluation environnementale pour savoir si la Couronne avait pris des mesures de consultation et d’accommodement appropriées auprès des demandeurs  —  Par la suite, il a délivré le permis d’utilisation des terres, affirmant qu’il n’était pas de son ressort d’évaluer le caractère approprié des mesures de consultation et d’accommodement de la Couronne  —  L’art. 114 de la Loi expose l’objet de la partie 5 (qui a trait à l’Office d’examen des répercussions environnementales de la vallée du Mackenzie), soit, entre autres, de veiller à ce qu’il soit tenu compte, dans le cadre du processus des projets de développement, des préoccupations des Autochtones et du public en général La Couronne n’a pas tenu compte de ces préoccupations avant d’approuver le projet  —  En conséquence, l’Office ne pouvait, en vertu de l’art. 62 de la Loi, délivrer le permis d’utilisation des terres modifié.

 Il s’agissait d’une demande modifiée de contrôle judiciaire de la décision de l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie (l’Office) de délivrer un permis d’utilisation des terres modifié (le permis) à Paramount Resources Ltd. (Paramount) en vertu de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie (la Loi). Le permis a été délivré à la suite de l’approbation du « projet d’expansion », soit la troisième étape d’un projet de mise en valeur de ressources pétrolières et gazières dans la vallée du Mackenzie. Les demandeurs ont contesté cette décision, soutenant qu’elle enfreignait l’obligation de consultation et d’accommodement qui incombait à la Couronne fédérale. (Cette décision a été contestée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire distincte (no de dossier T‑1379‑05) entendue en même temps que les présentes.) L’Office a examiné la demande modifiée et, après avoir reçu des observations des parties intéressées (le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, Paramount et les demandeurs), a rendu la décision en cause en l’espèce déclarant, entre autres, qu’il n’était pas de son ressort d’évaluer le caractère approprié des mesures de consultation et d’accommodement de la Couronne. Les questions litigieuses étaient celles de savoir si : 1) la Cour avait compétence pour entendre la demande; et 2) le fait que la Couronne n’ait pas consulté la demanderesse, la Première nation, ni pris de mesures d’accommodement à son endroit constituait un défaut de remplir les conditions prévues par la Loi.

 Jugement : la demande doit être accueillie.

 1) Pour répondre à la question de la compétence de la Cour, il fallait procéder à une interprétation de l’article 32 de la Loi. Le paragraphe 32(1) accorde à la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest une compétence concurrente avec la Cour fédérale à l’égard des demandes de réparation extraordinaire contre l’Office. Cependant, le paragraphe 32(2) confère à la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest la compétence exclusive de connaître de toute question relative à la « compétence » de l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie ou de l’Office d’examen des répercussions environnementales de la vallée du Mackenzie. Le mot « compétence » ici n’inclut pas « contre l’office, toute réparation » comme le dit le paragraphe 32(1) « par voie de bref ‑ certiorari, mandamus, quo warranto ou prohibition — ou d’ordonnance de même nature ». Si le législateur avait voulu exclure totalement la compétence de la Cour fédérale, il l’aurait indiqué clairement. La compétence exclusive que confère le paragraphe 32(2) se limite aux questions relatives à la perte ou à l’absence du pouvoir législatif d’agir des deux offices. À ce titre, l’article 32 de la Loi n’exclut pas la compétence concurrente de la Cour fédérale à l’égard de questions mettant en cause la justice naturelle et l’équité procédurale. La Cour avait donc compétence pour connaître des questions qui étaient en litige en l’espèce.

 2) L’article 114 de la Loi expose l’objet de la partie 5, qui a trait à l’Office d’examen des répercussions environne-mentales de la vallée du Mackenzie, soit d’« instaurer un processus comprenant un examen préalable, une évaluation environnementale et une étude d’impact relativement aux projets de développement » pour, entre autres, « veiller à ce qu’il soit tenu compte, dans le cadre du processus, des préoccupations des Autochtones et du public en général ». Dans la demande no T‑1379‑05, la Cour a conclu que la Couronne ne s’était pas acquittée de son obligation de consultation et d’accommodement avant de prendre une décision finale quant à l’approbation du projet d’expansion. L’obligation de consultation de la Couronne comporte en soi l’obligation de veiller à ce que l’on tienne compte des préoccupations des Autochtones. On ne peut donc pas dire que la Couronne, en omettant de s’acquitter de son obligation de consultation et d’accommodement dans les circonstances de l’espèce, a tenu compte des préoccupations des Autochtones, comme le prescrit l’article 114 de la Loi, avant de décider d’approuver le projet d’expansion. Comme les conditions prévues par la partie 5 n’ont pas été remplies, l’Office ne pouvait, selon l’article 62 de la Loi, délivrer le permis en cause en l’espèce. La décision de l’Office a donc été annulée. Cependant, étant donné que le prononcé immédiat d’une ordonnance qui annulerait le permis aurait peut‑être un effet contre‑productif pour l’ensemble du processus, les parties ont eu l’occasion de traiter de la question de savoir s’il convenait de suspendre pendant un certain temps l’effet d’une ordonnance annulant le permis afin qu’elles puissent tenir des consultations.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi constitutionnelle de l982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], s. 35.

Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, L.C. 1998, ch. 25, art. 9, 9.1, 12, 32 (mod. par L.C. 2005, ch. 1, art. 28), 62, 101.1 (édicté, idem, art. 58), 102 (mod., idem), 114.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 26), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27), 50.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 16; 2002, ch. 8, art. 47).

Règlement sur l’utilisation des terres de la vallée du Mackenzie, DORS/98‑429, art. 22(2)b).

jurisprudence citée

décision appliquée :

Canada 3000 Inc. (Re); Inter‑Canadien (1991) Inc. (Syndic de), [2006] 1 R.C.S. 865; 2006 CSC 24.

décisions examinées :

Première nation Ka’a’Gee Tu c. Canada (Procureur général), 2007 CF 763; Conseil canadien des relations du travail c. Transair Ltd., [1977] 1 R.C.S. 722; Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d’Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684; Nation haïda c. Colombie‑ Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511; 2004 CSC 73.

décisions citées :

R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559; 2002 CSC 42.

doctrine citée

Canada. Parlement. Comité sénatorial permanent des Peuples autochtones. Délibérations, 36e législature, 1re session, no 10 (17 juin 1998).

Débats de la Chambre des communes, vol. 135, no 023, 36e législature, 1re session (29 octobre 1997).

 DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision de l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie de délivrer un permis d’utilisation des terres modifié à Paramount Resources Ltd. en vertu de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie. Demande accueillie.

ont comparu :

Timothy J. Howard pour les demandeurs.

Donna Tomljanovic et Maria A. Mendola‑Dow pour le défendeur le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.

Everett L. Bunnell, c.r. et E. Jung Lee pour la défenderesse Paramount Resources Ltd.

Ronald M. Kruhlak pour le défendeur l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie.

avocats inscrits au dossier :

Mandell Pinder, Vancouver, pour les demandeurs.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.

Macleod Dixon LLP, Calgary, pour la défenderesse Paramount Resources Ltd.

McLennan Ross LLP, Edmonton, pour le défendeur l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Blanchard :

1.            Introduction

[1]Les demandeurs introduisent la présente demande modifiée de contrôle judiciaire en rapport avec la décision de l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie (l’Office des terres et des eaux [ou l’Office]) de délivrer un permis d’utilisation des terres modifié MV2002A0046 (le PUT) à Paramount Resources Ltd. (Paramount) le 29 septembre 2005, conformément aux pouvoirs que lui confère la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie [L.C. 1998, ch. 25] (la Loi) et ses règlements d’application.

2.             Le contexte

[2]Le PUT a été délivré à la suite de l’approbation du « projet d’expansion ». Ce dernier, la troisième étape d’un projet de mise en valeur de ressources pétrolières et gazières dans la vallée du Mackenzie, dans une région connue sous le nom de « collines Cameron », a marqué le début des travaux de production. Dans une demande de contrôle judiciaire distincte, portant le no T‑1379‑05, les demandeurs ont contesté la décision d’approuver le projet d’expansion, alléguant que la Couronne ne s’était pas acquittée de l’obligation de consultation et d’accommodement qui lui incombait. L’audition de cette affaire a été fixée au même moment que celle de la présente demande. Les questions soulevées dans la demande no T‑1379‑05 sont maintenant tranchées, et mes motifs d’ordonnance sont déposés en même temps que les présents motifs [2007 CF 763]. Dans mes motifs concernant la demande no T‑1379‑05, j’expose en détail le contexte factuel, y compris l’historique du projet de mise en valeur de ressources pétrolières et gazières dans la vallée du Mackenzie et j’examine le processus réglementaire et les traités applicables. Je ne répéterai pas ici tous les faits qui sont également importants pour la présente demande, et je me limiterai aux circonstances dont il n’a pas été question antérieurement et qui ont une incidence sur les questions soulevées en l’espèce.

La nomination de M. Todd Burlingame

[3]M. Todd Burlingame était le président de l’Office d’examen des répercussions environnementales de la vallée du Mackenzie (l’Office d’examen) à l’époque de l’évaluation environnementale du projet d’expansion. Cette nomination a pris fin le 1er février 2005.

[4]Le 21 janvier 2005, l’Office des terres et des eaux a fourni au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (AINC) une liste de trois candidats recommandés pour le poste de président de l’Office, comme le prévoit le paragraphe 12(1) de la Loi. Le nom de M. Burlingame n’y figurait pas. Le 25 février 2005, l’Office a écrit une fois de plus au ministre, lui faisant part de son inquiétude à l’égard du fait qu’il envisageait de nommer un président ne faisant pas partie des candidats que l’Office recommandait. L’Office a souligné qu’il avait appliqué un processus équitable et il a demandé que le ministre collabore avec lui pour procéder à la nomination.

[5]Le ministre n’a pas répondu aux lettres de l’Office datées du 21 janvier et du 25 février. Le 9 mars 2005, ou aux environs de cette date, le ministre a nommé M. Burlingame au poste de président de l’Office des terres et des eaux. L’Office en a été informé par télécopieur, le 10 mars 2005.

Modification du permis d’utilisation des terres

[6]Paramount a cherché à faire modifier son PUT le 21 janvier 2005. L’Office des terres et des eaux a fait savoir qu’il ne traiterait la demande modifiée qu’après avoir obtenu l’accord des ministres compétents. Ceux‑ci ont rendu leur décision d’approuver le projet d’expansion, sous réserve de certaines mesures d’atténuation, le 5 juillet 2005.

[7]Par des lettres datées du 20 et du 28 juillet 2005, les demandeurs ont informé l’Office des terres et des eaux que la décision des ministres enfreignait l’obligation de consultation et d’accommodement qui incombait à la Couronne fédérale et qu’on ne les avait pas encore consultés de manière appropriée.

[8]Le 22 juillet 2005, l’Office des terres et des eaux a demandé aux intervenants, dont les demandeurs faisaient partie, quel était leur point de vue sur la demande modifiée. Le 26 juillet 2005, l’Office des terres et des eaux a répondu à la lettre des demandeurs du 20 juillet 2005, informant ces derniers que les demandes de Paramount avaient été l’objet d’une évaluation environnementale qui était maintenant terminée. L’Office des terres et des eaux a informé les demandeurs qu’il ferait part des résultats de l’évaluation environnementale aux collectivités et aux parties ayant participé au processus d’examen de permis et que, sous réserve des commentaires reçus, il procéderait ensuite à la conclusion du processus d’octroi de permis.

[9]Dans une lettre datée du 29 juillet 2005 et adressée à l’Office, le ministre a fait part de son point de vue sur la demande modifiée. Il s’est enquis de certains aspects techniques du projet et a exprimé l’avis que tous les éléments de ce dernier concordaient avec la demande initiale et qu’aucune activité additionnelle n’était proposée. Il a également exprimé l’opinion que l’on conserve, pour le projet modifié, les mesures recommandées à la suite de l’évaluation environnementale.

[10]Le 10 août 2005, l’Office des terres et des eaux a tenu une réunion en vue d’examiner la demande de modification ainsi que la totalité des observations soumises, y compris les lettres transmises par avocat pour le compte des demandeurs.

[11]Par une lettre datée du 3 août 2005 et transmise par télécopieur le 11 août suivant au directeur général régional d’AINC, l’Office des terres et des eaux a informé le ministre qu’il exerçait les pouvoirs que lui confèrait l’alinéa 22(2)b) du Règlement sur l’utilisation des terres de la vallée du Mackenzie, DORS/98‑429 (le Règlement) pour effectuer une enquête afin de savoir si la Couronne fédérale avait pris des mesures de consultation et d’accommodement appropriées auprès des demandeurs. Il a de plus indiqué au ministre qu’il ne délivrerait pas le PUT modifié avant d’avoir reçu un sommaire détaillé des efforts de consultation faits par la Couronne en rapport avec les demandeurs.

[12]Le 29 août 2005, le ministre a informé l’Office des terres et des eaux qu’il croyait que, dans les circonstances, la Couronne s’était acquittée de son obligation légale de consultation, mais qu’il lui était impossible de fournir plus de renseignements sur cette obligation car les renseignements demandés faisaient l’objet d’un litige.

[13]Le 31 août 2005, répondant à la lettre du ministre datée du 29 août, Paramount a écrit à l’Office pour indiquer qu’elle s’opposait à tout délai dans le processus d’autorisation réglementaire étant donné que l’autorisation ministérielle requise avait déjà été reçue.

[14]Le 13 septembre 2005, répondant à la lettre du ministre datée du 29 août 2005, les demandeurs ont écrit à l’Office pour dire qu’AINC n’avait pas répondu à la demande de renseignements de l’Office et ils ont demandé que l’Office ne délivre pas le PUT modifié avant d’avoir reçu l’assurance que des consultations appropriées avaient eu lieu.

[15]L’Office a tenu une réunion le 22 septembre 2005 afin de discuter de la demande modifiée de Paramount. M. Burlingame était présent. Le 29 septembre 2005, au nom de l’Office des terres et des eaux, M. Burlingame a délivré le permis d’utilisation des terres no MV2002A0046, c’est‑à‑dire le PUT qui est en litige dans la présente demande, de même que le permis d’utilisation des eaux no MV2002L1‑00007, pour les cinq puits mentionnés dans la demande. Le 11 octobre 2005, au nom de l’Office des terres et des eaux, M. Burlingame a fait connaître les motifs étayant la décision.

[16]Par une lettre datée du 17 octobre 2005 et destinée à l’Office des terres et des eaux, les demandeurs ont exprimé leur désaccord à l’égard de la décision et ont demandé que l’Office suspende l’application des permis modifiés. L’Office des terres et des eaux a répondu par une lettre datée du 31 octobre 2005 dans laquelle il a affirmé qu’il n’était pas de son [traduction] « ressort d’évaluer le caractère approprié des mesures de consultation et d’accommodement de la Couronne envers la Première nation Ka’a’Gee Tu (la PNKT), d’autant plus que la question a été soumise aux tribunaux ». La lettre confirmait également que l’Office avait obtenu d’AINC l’assurance que la Couronne s’était acquittée de son obligation de consulter la PNKT au sujet des activités que Paramount se proposait d’exécuter dans les collines Cameron.

[17]Par la présente demande, les demandeurs contestent la validité de la décision de l’Office des terres et des eaux de délivrer le permis d’utilisation des terres qui se rapporte aux cinq puits. Ils ne contestent pas la décision de délivrer le permis d’utilisation des eaux.

Historique des procédures entourant la demande T‑1996‑05

[18]La demande no T‑1996‑05 a été déposée le 4 novembre 2005. Après avoir été informés que les défendeurs étaient d’avis que les questions soulevées dans cette demande ne relevaient pas de la compétence de la Cour fédérale du fait du paragraphe 32(2) [mod. par L.C. 2005, ch. 1, art. 28] de la Loi, les demandeurs ont déposé une demande identique liant les mêmes parties devant la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest, dans le cadre de l’action no S‑0001‑CV‑ 2005‑000326. Cette instance a été ajournée sine die en attendant que la présente demande soit tranchée.

[19]Les demandeurs ont ensuite demandé par voie de requête de modifier leur demande en supprimant la demande visant l’obtention d’une déclaration portant que le ministre avait outrepassé les pouvoirs que lui confèrait le paragraphe 12(2) de la Loi en nommant M. Burlingame au poste de président. Ils ont demandé que l’Office des terres et des eaux et M. Burlingame, en sa qualité de président, soient radiés à titre de défendeurs.

[20]Les défendeurs ont demandé que la demande no T‑1996‑05 soit radiée pour absence de compétence ou, subsidiairement, qu’elle soit suspendue en application de l’article 50.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 16; 2002, ch. 8, art. 47] de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod., idem, art. 14)].

[21]Les requêtes ont été entendues ensemble devant le protonotaire Lafrenière le 7 février 2006.

[22]La requête en modification de l’avis de demande a été accordée et la requête des défendeurs a été rejetée. En rejetant la requête en radiation ou en suspension de la demande, le protonotaire a conclu que, en l’absence de jurisprudence concernant l’interprétation correcte du paragraphe 32(2), les défendeurs n’étaient pas parvenus à établir que l’instance était [traduction] « dépourvue de toute possibilité de succès » ou qu’il s’agissait là d’une affaire exceptionnelle dans laquelle il convenait de radier l’avis de demande introductif. Il a conclu qu’il fallait soulever l’affaire à l’audition de la demande.

3.             Les questions en litige

[23]Les demandeurs soulèvent les questions suivantes dans leur demande :

A. Le fait que la Couronne fédérale n’ait pas consulté la Première nation Ka’a’Gee Tu ni pris de mesures d’accommodement à son endroit constitue‑t‑il un défaut de remplir les conditions prévues par la partie 5 de la Loi?

B. Le ministre a‑t‑il agit illégalement et outrepassé les pouvoirs que lui confèrent l’article 12 de la Loi en nommant M. Burlingame, avec le résultat que la décision de délivrer la PUT, à laquelle ce dernier a pris part, est nulle?

C. L’Office des terres et des eaux a‑t‑il manqué aux règles de l’équité procédurale et de la justice naturelle en permettant à M. Burlingame de prendre part à la décision relative à l’enquête entreprise par l’Office des terres et des eaux en vertu de l’alinéa 22(2)b) du Règlement en vue de décider si la Cour fédérale s’était acquittée ou non de son obligation de consultation et d’accommodement?

D. L’Office des terres et des eaux a‑t‑il manqué aux règles de l’équité procédurale et de la justice naturelle en permettant à M. Burlingame de prendre part à la décision d’autoriser et de délivrer le PUT modifié?

4. Compétence

[24]Avant d’examiner les arguments des parties au sujet des questions soulevées en l’espèce, il me faut d’abord vérifier si j’ai compétence pour entendre la demande. Les défendeurs sont d’avis que la Cour n’est pas compétente pour entendre la demande. Ils soutiennent qu’aux termes du paragraphe 32(2) de la Loi, c’est la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest qui l’est.

[25]Pour déterminer si la présente Cour a compétence pour entendre la demande, il est nécessaire de vérifier si la nature de la réparation demandée s’inscrit dans le cadre du ou des objets à l’égard desquels la présente Cour est compétente. Pour ce faire, il faut garder à l’esprit que la Cour fédérale est un tribunal d’origine législative et que sa compétence dépend de celle que lui confère une loi fédérale.

[26]La présente demande modifiée concerne une décision de l’Office des terres et des eaux de délivrer un permis d’utilisation des terres en vertu de la Loi, et les demandeurs sollicitent la réparation suivante :

[traduction]

a)            une déclaration portant que le manquement des ministres responsables à l’égard de leur obligation constitutionnelle et légale de consulter la Première nation Ka’a’Gee Tu (la PNKT) et de prendre des mesures d’accommodement à l’égard des droits ancestraux et issus de traités de la PNKT constitue une violation de la partie 5 de la Loi;

b)            une ordonnance prescrivant aux ministres responsables de consulter la PNKT et de prendre des mesures d’accommodement à l’égard de ses droits ancestraux et issus de traités avant d’autoriser la poursuite du projet d’expansion, tel que défini ci‑après;

c)            une ordonnance annulant le permis d’utilisation des terres modifié;

d)            [supprimé]

e)             [supprimé]

f)            une déclaration portant que, à cause de la participation de M. Burlingame à la décision de délivrer le permis d’utilisation des terres modifié, cette décision est contraire à la loi;

g)            une déclaration portant que le permis d’utilisation des terres modifié a été délivré en violation des obligations d’équité procédurale et de justice naturelle;

h)            une ordonnance suspendant le permis d’utilisation des terres modifié et empêchant Paramount de procéder à toute activité autorisée par ce permis en attendant que la présente demande soit tranchée;

i)             les dépens;

j)             toute autre réparation que la Cour estime appropriée.

[27]Les demandeurs sollicitent essentiellement un jugement déclaratoire et une ordonnance annulant le permis d’utilisation des terres et suspendant toutes les activités que celui‑ci autorise.

[28]Il n’est pas contesté que la demande des demandeurs est fondée sur une loi fédérale existante et applicable, la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, qui relève de la compétence législative du Parlement du Canada. Il s’ensuit donc que la Cour fédérale a compétence pour entendre la demande, à moins qu’une loi fédérale n’indique le contraire.

[29]Les défendeurs sont d’avis que, en adoptant le paragraphe 32(2) de la Loi, le législateur a conféré à la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest une compétence exclusive à l’égard de la réparation sollicitée dans la présente demande modifiée, privant ainsi la Cour fédérale de toute compétence pour ce qui est d’entendre la demande.

[30]L’article 32 de la Loi prévoit ce qui suit  [art. 32(1) (mod. par L.C. 2005, ch. 1, art. 28)] :

32. (1) Indépendamment de la compétence exclusive accordée par l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, le procureur général du Canada ou quiconque est directement touché par l’affaire peut présenter une demande à la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest afin d’obtenir, contre l’office, toute réparation par voie d’injonction, de jugement déclaratoire, de bref—certiorari, mandamus, quo warranto ou prohibition—ou d’ordonnance de même nature.

(2) Malgré le paragraphe (1) et l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest a compétence exclusive en première instance pour connaître de toute question relative à la compétence de l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie ou de l’Office d’examen des répercussions environnementales de la vallée du Mackenzie, qu’elle soit soulevée ou non par une demande du même type que celle visée au paragraphe (1).

[31]Pour répondre à la question de la compétence dans les circonstances de l’espèce, il est nécessaire de procéder à une interprétation législative du paragraphe 32(2) de la Loi et, pour ce faire, je me fie au principe moderne de l’interprétation des lois qu’a réitéré le juge Binnie dans l’arrêt Canada 3000 Inc. (Re); Inter‑ Canadien (1991) Inc. (Syndic de), [2006] 1 R.C.S. 865.  Au paragraphe 36 de ses motifs, le juge Binnie mentionne ce qui suit :

Suivant une formulation plus moderne et plus exhaustive, on dit qu’[traduction] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global et en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87).

[32]Il est utile, tout d’abord, d’examiner l’article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 26] de la Loi sur les Cours fédérales, auquel il est fait expressément référence dans la Loi. J’examinerai aussi la relation qui existe entre les articles 18 et 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, un facteur sur lequel les demandeurs se sont fondés.

[33]L’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales donne compétence à la Cour fédérale pour accorder la réparation extraordinaire qui est sollicitée en l’espèce. Le texte de cet article est le suivant :

18. (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral.

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

(2) Elle a compétence exclusive, en première instance, dans le cas des demandes suivantes visant un membre des Forces canadiennes en poste à l’étranger : bref d’habeas corpus ad subjiciendum, de certiorari, de prohibition ou de mandamus.

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

[34]Par application de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale a compétence exclusive pour connaître de toute demande de réparation par voie de recours extraordinaires contre tout office fédéral. Aux termes du paragraphe 18(3), cette réparation ne peut être obtenue que par présentation d’une demande de contrôle judiciaire visée à l’article 18.1. Le paragraphe 18.1(4) énonce les motifs de contrôle pour lesquels la Cour peut accorder réparation, notamment si cette dernière est convaincue que l’office fédéral a agi sans compétence ou a outrepassé celle‑ci, ou alors n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter.

[35]Au dire des défendeurs, il faut tenir compte de la relation qui existe entre les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales lorsqu’on examine l’objet de la compétence conférée à la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest. Au dire des défendeurs, le paragraphe 32(1) de la Loi a pour effet d’accorder une compétence concurrente à la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest à l’égard d’un recours extraordinaire contre un office créé par la Loi, lorsque les motifs sont liés à un excès, une perte ou une absence de pouvoir législatif et à des allégations de manquement à un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale. Ils soutiennent par ailleurs que la présence du mot « malgré » au début du paragraphe 32(2) de la Loi a pour effet d’éliminer la compétence à la fois concurrente et exclusive de la Cour fédérale à l’égard d’un recours extraordinaire contre l’un ou l’autre des deux offices lorsque les motifs sont liés à un excès, une perte ou une absence de pouvoir législatif ou à des allégations de manquement à un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale.

[36]Les demandeurs sont d’avis qu’il convient d’interpréter de manière plus restrictive la compétence exclusive que le paragraphe 32(2) de la Loi confère à la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest. S’agissant de la relation entre les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, ils sont d’avis que le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit des motifs de contrôle distincts. Ils estiment que le fait d’avoir agi sans compétence, outrepassé celle‑ci ou refusé de l’exercer, aux termes de l’alinéa 18.1(4)a), constitue un motif de contrôle distinct de celui qui est prévu à l’aliéna 18.1(4)b), où il est question de ne pas avoir observé les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale. Comme le paragraphe 32(2) ne confère une compétence exclusive à la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest que pour « connaître de toute question relative à la compétence de l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie » (non souligné dans l’original), il s’ensuit donc, d’après les demandeurs, que la compétence exclusive que confère le paragraphe 32(2) n’englobe pas les affaires qui mettent en cause des questions de justice naturelle et d’équité procédurale ou, du reste, celles qui mettent en cause les autres motifs énumérés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales.

[37]Pour ce qui est d’interpréter la compétence exclusive qui est conférée à la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest, les demandeurs soutiennent que la Cour fédérale conserve sa compétence, quoique de façon concurrente avec la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest, pour entendre les objets visés par la présente demande et accorder la réparation demandée car, à strictement parler, les questions soulevées ne sont pas des objets qui concernent le pouvoir que la loi confère à l’Office des terres et des eaux.

[38]À l’appui de leur position, les demandeurs invoquent les arrêts suivants de la Cour suprême du Canada : Conseil canadien des relations du travail c. Transair Ltd., [1977] 1 R.C.S. 722 et Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d’Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684. Ces deux arrêts ont trait au principe qu’il faudrait qu’un tribunal administratif soit constitué partie à une procédure de certiorari et que ce dernier bénéficie du droit d’appel dont jouit n’importe quelle autre partie pour défendre sa compétence. La question en litige consistait à savoir si la « compétence », dans le sens où ce mot était employé dans ces arrêts, incluait toute transgression de la part du tribunal par l’inobservation des règles de justice naturelle ou d’équité procédurale. Dans Transair [à la page 747], la Cour suprême a considéré la question comme étant « simplement une façon de permettre à la Cour d’avoir recours au certiorari et non une question qui touche à la compétence que le tribunal prétend avoir ». En décidant qu’un tel manquement à l’équité procédurale n’est pas une question qui touche à la compétence que le tribunal prétend avoir, le juge Estey, s’exprimant au nom de la Cour dans l’arrêt Northwestern Utilities Ltd., a écrit ce qui suit, à la page 710 du recueil :

Au sens où j’ai employé ce mot ici, la « compétence » n’inclut pas la transgression du pouvoir d’un tribunal par l’inobservation des règles de justice naturelle. Dans un tel cas, lorsqu’une partie aux procédures devant ce tribunal est également partie aux procédures de révision, c’est le tribunal lui‑même qui fait l’objet de l’examen. Accorder au tribunal administratif la possibilité de défendre sa conduite et en fait de se justifier donnerait lieu à un spectacle auquel nos traditions judiciaires ne nous ont pas habitués. Dans l’arrêt Re Conseil canadien des relations du travail c. Transair Ltd. et autres, [1977] 1 R.C.S. 722, le juge Spence a écrit à ce sujet (pp. 746‑7) :

Il est exact qu’on a souvent utilisé la conclusion selon laquelle un tribunal administratif a manqué aux principes de justice naturelle pour décider qu’il a renoncé à l’exercice de sa compétence et par conséquent qu’il se trouvait dans l’impossibilité de statuer, comme il prétendait le faire. Cependant, j’estime que c’est là simplement une façon de permettre à la Cour d’avoir recours au certiorari et non une question qui touche à la compétence que le tribunal prétend avoir. Il est évident qu’il n’appartient pas au Conseil qui voit sa façon d’exercer ses fonctions contestée, de plaider en appel, à titre d’intéressé, sur la question de savoir s’il a ou non agi conformément aux principes de justice naturelle; c’est là un point dont doivent débattre en appel les parties et non le tribunal dont les actions sont soumises à examen. [Renvois omis.]

[39]Bien que la question soumise à la Cour suprême fût nettement différente de celle qui nous occupe en l’espèce, il est évident que la Cour, dans les circonstances, n’était pas disposée à assimiler un défaut du tribunal d’agir conformément aux principes de justice naturelle au pouvoir ou à la compétence d’agir du tribunal.

[40]Examinons maintenant le principe de l’interprétation législative dont il a été question plus tôt dans les présents motifs. Il est nécessaire d’examiner tout d’abord le libellé de la Loi dans son sens ordinaire et dans son contexte tout entier. Le texte du paragraphe 32(1) confère à la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest la compétence d’instruire les demandes concernant « toute » réparation extraordinaire contre un « office ». Selon l’article 9 de la Loi, le mot « office » s’entend de n’importe quel office constitué en vertu de cette Loi. Dans le cas qui nous occupe, cela engloberait l’Office des terres et des eaux. Cette compétence est conférée « indépendamment » de la compétence exclusive qu’accorde l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales en ce domaine. Par conséquent, par l’application du paragraphe 32(1) de la Loi, la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest a compétence concurrente avec la Cour fédérale à l’égard des demandes de réparation extraordinaire contre l’Office des terres et des eaux. Cela, les parties ne le contestent pas.

[41]Le libellé du paragraphe 32(2) de la Loi confère à la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest la compétence « exclusive » de connaître de toute question relative à la « compétence » de l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie ou de l’Office d’examen des répercutions environnementales de la vallée du Mackenzie.

[42]Le libellé de la Loi doit être interprété en harmonie avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[43]Dans le préambule de la Loi, les attendus font référence à l’Entente sur la revendication territoriale globale des Gwich’in et à l’Entente sur la revendication territoriale globale des Dénés et des Métis du Sahtu. Ces ententes prévoient la mise en place d’offices à titre d’organismes gouvernementaux dans le but de régir la planification de l’utilisation des terres, les terres, les eaux et l’examen des impacts environnementaux. Elles ont pour objet d’établir ces offices dans le but de réglementer toute forme d’utilisation des terres et des eaux, y compris le dépôt de déchets, dans les régions pour lesquelles ils ont été établis dans la vallée du Mackenzie.

[44]Les débats en comité sur la composition des offices à mettre en place en vertu de la Loi et sur le rôle des membres de ces derniers aident à clarifier l’intention du législateur. Voici un extrait des Débats (Hansard) du mercredi 29 octobre 1997 reproduits dans le Hansard  [Débats  de  la  Chambre  des  communes,   vol.   135, no 023, 36e législature, 1re session, à la page 1296] :

Le projet de loi C‑6 exige que la moitié des membres des offices soient nommés par les premières nations, l’autre moitié l’étant par les gouvernements des Territoires du Nord‑Ouest et du Canada. L’objectif du projet de loi est de donner aux peuples autochtones et aux autres habitants du Nord un plus grand rôle dans la prise de décisions relatives à la gestion des ressources. C’est un objectif très louable.

[45]Une opinion semblable a été exprimée lors des débats entourant l’avant‑projet de loi devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. La ministre responsable d’AINC, l’honorable Jane Stewart, a indiqué que l’une des intentions du projet de loi était de réduire la participation d’AINC au processus décisionnel et de déléguer aux habitants de la région les questions relatives à l’utilisation des terres et des eaux dans la vallée. Je reproduis ci‑dessous des extraits des commentaires de la ministre, qui sont tirés de la transcription des Délibérations du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, en date du 17 juin 1998, à Ottawa  [36e législature, 1re session, no 10]:

[…] le projet de loi que les sénateurs étudient est donc historique. Pour la première fois, mon ministère se retirera complètement de la gestion des ressources dans la vallée du MacKenzie. Nous ne prendrons plus de décision sans tenir compte des gens qui habitent dans la région; mon ministère ne délivrera plus par lui‑même des permis d’utilisation des terres et ne surveillera plus l’évaluation environnementale.

Grâce à ce projet de loi, les autochtones prendront des décisions en partenariat avec le gouvernement sur la façon dont les ressources seront gérées. Les décisions qui touchent la vallée du MacKenzie seront prises par les habitants de la vallée.

[. . .]

Cette approche intégrée permettra aux Premières nations de jouer un rôle décisionnel important pour toutes les terres, pas seulement pour les terres faisant l’objet d’un règlement. Cela donne aux Premières nations un pouvoir décisionnel dans des projets extérieurs à leurs terres, mais qui pourraient avoir une incidence sur elles.

[46]Les objectifs susmentionnés se reflètent dans la Loi. L’objet de l’établissement des offices est clairement indiqué à l’article 9.1 de la Loi : « permettre la partici-pation des habitants de la vallée du Mackenzie à la gestion des ressources de cette région, et ce tant dans leur propre intérêt que dans celui des autres Canadiens ».

[47]Un examen attentif de la Loi, les trois ententes sur les revendications territoriales globales dont il est question dans la Loi ainsi que les passages du Hansard que je viens de citer me permettent de faire les observations suivantes au sujet de l’économie de la loi, de l’objet de la loi et de l’intention du législateur. L’un des objets fondamentaux de la Loi est de donner un rôle important aux Autochtones et aux autres habitants dans les décisions qui sont prises au sujet de la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie. Il est évident que le législateur a pris grand soin de veiller à ce que les Autochtones et les habitants de la vallée du Mackenzie soient bien placés pour traiter des questions visées par la Loi et l’Office des terres et des eaux, et pour le faire au sein de leur propre région. La Loi souligne à maintes reprises l’importance d’établir un processus qui reconnaît le rôle que jouent les habitants de l’endroit et leur mode de vie dans la gestion des ressources naturelles de la vallée du Mackenzie. De nombreuses dispositions de la Loi prévoient la consultation des diverses collectivités touchées. En outre, les ententes sur les revendications globales territoriales prescrivent que c’est la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest qui a compétence sur toutes les questions susceptibles de survenir en vertu des ententes. Dans le cas de l’Entente Tlicho, cette Cour a compétence exclusive pour ce qui est de contrôler une question de droit ou de compétence. Il ressort du dossier que ces ententes sur des revendications territoriales sont les instruments qui ont servi de base à l’adoption de la Loi et elles sont en fait expressément mentionnées dans le préambule de cette dernière.

[48]Le libellé du paragraphe 32(2) de la Loi, selon son sens grammatical et ordinaire, prévoit que la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest a compétence exclusive pour connaître de toute question « relative à la compétence » des deux offices. Ici, le mot « compéten-ce » n’inclut pas « contre l’office, toute réparation » comme le dit le paragraphe 32(1) « par voie d’injonc-tion, de jugement déclaratoire, de bref—certiorari, mandamus, quo warranto ou prohibition—ou d’ordonnance de même nature ».

[49]À mon avis, si le législateur avait voulu exclure totalement la compétence de la Cour fédérale il l’aurait indiqué clairement. Si tel avait été le résultat souhaité, le législateur aurait simplement modifié le paragraphe 32(1) en conférant à la Cour suprême des Territoires du Nord‑Ouest une compétence exclusive pour accorder « contre l’office, toute réparation ». En ne changeant pas le paragraphe 32(1) et en utilisant un libellé différent au paragraphe 32(2), un libellé restreignant la compétence exclusive à toute question « relative à la compétence » des deux offices, le législateur a forcément voulu, vu le paragraphe 32(1), employer le mot « compétence » dans son sens étroit, c’est‑à‑dire, la compétence à l’égard de questions qui sont liées au pouvoir d’agir des offices.

[50]Je suis donc d’accord avec les demandeurs que la compétence exclusive que confère le paragraphe 32(2) se limite aux questions relatives à la perte ou à l’absence du pouvoir législatif d’agir des offices. Selon mon interprétation, l’article 32 de la Loi n’exclut pas la compétence concurrente de la Cour fédérale à l’égard de questions mettant en cause la justice naturelle et l’équité procédurale. J’estime que cette interprétation cadre avec le libellé de l’article 32 de la Loi, lu dans son contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[51]Je conclus donc que la présente Cour a compétence pour connaître des questions qui sont en litige dans la présente demande.

[52]Voyons maintenant les questions de fond que comporte la présente demande.

A.            Le fait que la Couronne fédérale n’ait pas consulté la Première nation Ka’a’Gee Tu ni pris de mesures d’accommodement à son endroit constitue‑t‑il un défaut de remplir les conditions prévues par la partie 5 de la Loi?

[53]Dans la demande no T‑1379‑05, j’ai conclu que la Couronne du chef du Canada ne s’était pas acquittée de son obligation de consultation et, le cas échéant, d’accommodement, avant de prendre la décision définitive d’autoriser le projet d’expansion. J’ai motivé cette décision‑là.

[54]Les demandeurs soutiennent que le défaut de la Couronne de s’acquitter de son obligation de consultation constitue aussi une violation du pouvoir législatif en vertu duquel la Couronne prétend agir en l’espèce.

[55]Les demandeurs soutiennent aussi qu’étant donné que la Couronne du chef du Canada ne s’était pas acquittée de son obligation de consultation, l’Office n’était pas habilité à délivrer le PUT et que, de ce fait, le PUT doit être annulé. Ils invoquent l’article 62 de la Loi, dont le texte est le suivant :

62. L’office ne peut délivrer de permis ou d’autorisation visant à permettre la réalisation d’un projet de développement au sens de la partie 5 avant que n’aient été remplies les conditions prévues par celle‑ci. Il est en outre tenu d’assortir le permis ou l’autorisation des conditions qui sont imposées par les décisions rendues sous le régime de cette partie.

[56]Les demandeurs sont d’avis que le défaut de la Couronne de se conformer à l’obligation de consultation et d’accommodement est un défaut de remplir les conditions prévues par la partie 5 de la Loi et qu’il s’agit, de par l’application de l’article 62, d’une lacune à laquelle il faut remédier avant que l’Office des terres et des eaux puisse délivrer d’autres permis.

[57]La nature de la question qui se pose ici consiste à déterminer si le manquement établi à l’obligation de consultation dont la Couronne fédérale devait s’acquitter amène à conclure que l’on n’a pas rempli les conditions prévues par la partie 5 de la Loi. À mon avis, il s’agit là d’une question de droit qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[58]Les demandeurs font valoir que le défaut de remplir les conditions prévues par la partie 5 est dû au fait qu’il faut interpréter la Loi d’une manière qui concorde avec l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], c’est‑à‑dire, de l’avis des demandeurs, d’une manière qui cadre avec l’obligation, ancrée dans la Constitution, de consultation et d’accommodement dont la Couronne fédérale doit s’acquitter. Il faut donc interpréter cette obligation comme faisant partie de la Loi et, de ce fait, le défaut de la Couronne de s’acquitter de son obligation de consultation enfreindrait non seulement l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 mais aussi la partie 5 de la Loi.

[59]Les défendeurs soutiennent que l’argument des demandeurs est injustifié parce que la décision du ministre n’est pas visée par la présente demande de contrôle judiciaire. Il aurait fallu plutôt, disent‑ils, soulever cet argument dans le cadre de la demande no T‑1379‑05.

[60]Les défendeurs soutiennent en outre que l’obligation de consultation n’est pas une obligation constitutionnelle, mais plutôt une obligation qui découle du principe de l’honneur de la Couronne (Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, au paragraphe 16). Selon eux, l’obligation de consultation est davantage assimilable à une « obligation » de la Couronne qu’à un « droit » de même nature que les droits fondamentaux consacrés par la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. En fait, dans l’arrêt Nation haïda, la Cour suprême n’a pas qualifié cette obligation de droit fondamental, malgré le fait que les Premières nations souhaitaient que ce soit le cas.

[61]Les défendeurs soutiennent que l’argument des demandeurs selon lequel il est présumé que le législateur envisageait que sa loi soit conforme aux principes constitutionnels et que, de ce fait, l’obligation de consultation devrait être interprétée comme faisant partie de la Loi, est vicié. Ils ajoutent que les demandeurs tentent d’ajouter une nouvelle disposition à la Loi. Selon eux, les principes de l’interprétation législative ne permettent pas d’intégrer de la sorte des dispositions ou d’en ajouter. Un tribunal ne peut remanier une loi en vue d’y intégrer un terme que le législateur n’envisageait pas.

[62]En outre, les défendeurs soutiennent que les ministres ont le pouvoir de rendre une décision définitive et que, dans le cas présent, ces derniers ont recommandé que le permis d’utilisation des terres soit délivré avec modifications et ils ont fait savoir qu’ils s’étaient acquittés de l’obligation de consultation. Les défendeurs maintiennent que l’Office n’a pas le pouvoir législatif de réviser des mesures ministérielles. Les articles 101.1 [édicté par L.C. 2005, ch. 1, art. 58] et 102 [mod., idem] de la Loi décrivent le mandat et la compétence de l’Office des terres et des eaux, et cela n’inclut pas le pouvoir de réviser le processus décisionnel des ministres :

101.1 (1) L’Office a pour mission d’assurer la préservation, la mise en valeur et l’exploitation des terres et des eaux de la façon la plus avantageuse possible pour tous les Canadiens et, en particulier, pour les habitants de la vallée du Mackenzie.

(2) Les formations régionales de l’Office visées au paragraphe 99(2) ont pour mission d’assurer la préservation, la mise en valeur et l’exploitation des terres et des eaux de la façon la plus avantageuse possible pour les habitants de leur zone de gestion, ceux de la vallée du Mackenzie et tous les Canadiens.

(3) La formation régionale de l’Office visée au paragraphe 99(2.1) a pour mission d’assurer la préservation, la mise en valeur et l’exploitation des terres et des eaux de la façon la plus avantageuse possible pour tous les Canadiens et, en particulier, pour les habitants de sa zone de gestion.

102. (1) L’Office a compétence en ce qui touche toute forme d’utilisation des terres ou des eaux ou de dépôt de déchets réalisés dans la vallée du Mackenzie pour laquelle un permis est nécessaire sous le régime de la partie 3 ou aux termes de la Loi sur les eaux des Territoires du Nord‑Ouest. Il exerce à cet égard les attributions conférées aux offices constitués en vertu de cette partie, exception faite toutefois de celles prévues aux articles 78, 79 et 79.2 à 80.1, la mention de la zone de gestion dans les dispositions pertinentes de cette partie valant mention de la vallée du Mackenzie, sauf au paragraphe 61(2) où cette mention continue de viser le Wekeezhii.

[63]Les défendeurs signalent que, dans sa décision du 22 septembre 2005, l’Office des terres et des eaux a reconnu les limites de sa compétence :

[traduction] Les ministres responsables ont informé l’Office que l’obligation légale qu’a la Couronne de consulter la PNKT a été satisfaite dans ces circonstances particulières. Le [Règlement sur l’utilisation des terres de la vallée du Mackenzie] ne comporte pas le pouvoir de retarder encore la délivrance des modifications au permis d’utilisation des terres; l’Office a donc décidé de délivrer le permis d’utilisation des eaux et des terres modifié sous réserve des mesures approuvées par le ministre fédéral et des conditions dont les deux permis étaient assortis.

[64]Il est admis que, étant donné que la tâche du juge est d’interpréter la loi, et non de la créer, il ne faudrait pas, de façon générale, que cette interprétation amplifie les dispositions de la loi. Une loi est réputée être bien rédigée et exprimer complètement ce que le législateur entendait dire. Voir R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, au paragraphe 26. En outre, le principe d’interprétation fondé sur le respect des « valeurs de la Charte », à savoir qu’il convient de privilégier les interprétations qui tendent à favoriser les principes et les valeurs consacrés par la Charte plutôt que celles qui n’ont pas cet effet, ne s’applique qu’en cas d’ambiguïté véritable, c’est‑à‑dire lorsqu’une disposition législative se prête à des interprétations divergentes, mais par ailleurs tout aussi plausibles l’une que l’autre. Voir Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 62.

[65]À mon avis, il n’est pas nécessaire dans les circonstances de recourir au principe d’interprétation fondé sur les « valeurs de la Charte », pas plus qu’il ne faut décider si l’obligation de consultation de la Couronne est une obligation constitutionnelle qui se prête à l’application dudit principe. En l’espèce, le libellé de la loi est clair et non ambigu. Il n’est nul besoin de se fonder sur des principes d’interprétation.

[66]L’article 114 de la Loi expose l’objet de la partie 5 : « instaurer un processus comprenant un examen préalable, une évaluation environnementale et une étude d’impact relativement aux projets de développement » pour, entre autres objectifs, « veiller à ce qu’il soit tenu compte, dans le cadre du processus, des préoccupations des autochtones et du public en général ». Les conditions prévues par la partie 5 ne visent pas un office ou les ministres, mais plutôt le processus lui‑même, qui doit veiller à ce que l’on tienne compte des préoccupations des Autochtones.

[67]Dans la demande no T‑1379‑05, même si la Couronne du chef du Canada a suivi le processus de consultation pour fins de modification prévu par la Loi, j’ai néanmoins conclu que la Couronne ne s’est pas acquittée de son obligation de consulter la collectivité autochtone. J’ai jugé que le processus de consultation pour fins de modification permettait d’apporter des changements de fond à d’importantes recommandations sans l’apport des demandeurs. J’ai conclu, de ce fait, que l’on ne pouvait pas dire que le processus de consultation pour fins de modification avait été menée dans l’intention véritable de pouvoir intégrer les préoccupations de la PNKT à la décision finale. Il s’agit là du même processus que celui dont il est question à l’article 114 de la Loi.

[68]L’obligation de consultation de la Couronne comporte en soi l’obligation de veiller à ce que l’on tienne compte des préoccupations des Autochtones. Il s’agit là, selon moi, de l’objet fondamental de cette obligation. On ne peut donc pas dire que la Couronne, en omettant de s’acquitter de son obligation de consulta-tion et d’accommodement dans les circonstances de l’espèce, a tenu compte des préoccupations des Autochtones, comme le prescrit l’article 114 de la Loi, avant de décider d’approuver le projet d’expansion. Toute autre conclusion ne cadrerait pas avec ma conclusion antérieure. Il importe peu dans les circonstances que l’obligation de consultation soit qualifiée de constitutionnelle ou non puisque qu’il n’est pas nécessaire de l’inclure. L’article 114 de la Loi prévoit expressément que le processus a pour objet de veiller à ce que l’on tienne compte des préoccupations des Autochtones. On ne peut donc pas dire que cette condition fondamentale de la partie 5 de la Loi a été remplie.

[69]Comme je l’ai signalé plus tôt, les défendeurs soutiennent que, étant donné que les ministres ont un pouvoir de décision définitif, l’Office n’est pas habilité à réviser les décisions qu’ils prennent. Cela est peut‑être vrai, mais cet argument ne peut servir à remédier à une lacune fondamentale du processus. Les efforts faits par la Couronne à l’égard de l’obligation de consultation, conformément au processus prévu par la Loi, ont été jugés incompatibles avec l’honneur de la Couronne. Il n’importe donc pas de savoir si l’Office était habilité à mettre en doute le processus que les ministres responsables ont suivi. Ce qui importe, c’est qu’il y a eu manquement à l’obligation et qu’il n’a pas été tenu compte des préoccupations des Autochtones.

[70]C’est la Loi qui régit le pouvoir qu’a l’Office de délivrer le PUT. Une fois qu’il est établi que les conditions prévues par la partie 5 n’ont pas été remplies, le libellé explicite de l’article 62 de la Loi s’applique et l’Office des terres et des eaux « ne peut délivrer de permis ou d’autorisation visant à permettre la réalisation d’un projet de développement ». En définitive, le PUT contesté doit être annulé.

[71]Dans la présente demande, les demandeurs sollicitent essentiellement une réparation qui entraîne l’annulation du PUT modifié. Étant donné que ma conclusion qui précède est déterminante, j’estime qu’il est inutile de traiter des autres questions que les demandeurs ont soulevées en l’espèce.

5.            Réparation

[72]Comme le PUT modifié a été délivré irrégulièrement, l’article 62 de la Loi exige qu’il soit annulé. Ce résultat découle du fait que la Couronne ne s’est pas acquittée de son obligation de consultation. Comme je l’ai décidé dans mes motifs d’ordonnance relatifs à la demande no T‑1379‑05, la Couronne a manqué à son obligation de consultation en rapport avec le processus de « consultation pour fins de modification » que prévoit la Loi. Dans cette décision, j’ai ordonné aux parties d’entreprendre un processus de consultation véritable, conformément à mes motifs, dans le but de tenir compte des préoccupations de la PNKT et, le cas échéant, d’y répondre.

[73]Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nation haïda,  la nature de l’obligation de consultation se rapproche de l’objectif de conciliation qui est au cœur des rapports qui existent entre la Couronne et les Autochtones. Compte tenu de l’objectif de conciliation qui sous‑tend l’obligation de consultation et compte tenu que, par conséquent, il est souhaitable de faire en sorte que les parties règlent les questions en suspens dans une affaire aussi complexe, le prononcé immédiat d’une ordonnance qui annulerait le PUT aurait peut‑être un effet contre‑productif pour l’ensemble du processus. Une telle ordonnance aurait essentiellement pour conséquence d’immobiliser le projet. Je doute qu’un tel résultat soit dans l’intérêt des parties, et cela comprend les demandeurs.

[74]Dans les circonstances, j’inviterais les parties à examiner s’il est souhaitable de suspendre l’ordonnance annulant le PUT pendant une période déterminée afin qu’elles puissent entamer le processus de consultation. À cette fin, je donnerai aux parties la possibilité de soumettre à mon examen une ébauche d’ordonnance qui donnerait effet aux motifs et aux conclusions que j’ai formulés précédemment.

[75]À défaut d’une entente entre les parties, il est ordonné aux demandeurs de signifier et de déposer d’ici le 15 août 2007 des observations écrites, d’un maximum de 10 pages, sur les conditions de l’ébauche d’ordonnance. Les défendeurs signifieront et déposeront, d’ici le 31 août 2007, des observations en réponse, d’un maximum de 10 pages, et toute réplique de la part des demandeurs, d’un maximum de 5 pages, sera signifiée et déposée avant le 7 septembre 2007.

6. Conclusion

[76]Pour les motifs qui précèdent, la présente demande sera accueillie parce que la Couronne ne s’est pas acquittée de son obligation de consultation et n’a pas tenu compte des préoccupations des Autochtones avant l’approbation du projet d’expansion. Les conditions prévues par la partie 5 de la Loi n’ont donc pas été remplies. Par l’application de l’article 62 de la Loi, l’Office des terres et des eaux n’aurait pas dû délivrer le permis d’utilisation des terres modifié no MV2002A0046, et il sera par conséquent annulé.

[77]Les parties auront l’occasion de traiter de la question de savoir s’il convient de suspendre pendant un certain temps l’effet d’une ordonnance annulant le PUT afin qu’elles puissent tenir des consultations et présenter des observations sur une ébauche d’ordonnance donnant effet aux motifs et aux conclusions que j’ai formulés précédemment.

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