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2008 CAF 105

A-151-07

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

John MacKay (intimé)

A-149-07

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Derek Ross Lee (intimé)

A-150-7

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Robert MacDonald (intimé)

A-152-07

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Beach Avenue Holdings Company Ltd. (intimé)

A-153-07

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Timothy Wallace (intimé)

A-154-07

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

John Cassils  (intimé)

A-155-07

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Maria Wong  (intimé)

A-156-07

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Robert Glass  (intimé)

A-157-07

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

John Zaytsoff (intimé)

A-158-07

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Brian McGavin (intimé)

A-159-07

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Aebag Holdings Ltd. (intimé)

A-160-07

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Robert Lee Ltd. (intimée)

Répertorié : MacKay c. Canada (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Décary, Sharlow et Trudel, J.C.A.—Vancouver, 7 février; Ottawa, 19 mars 2008.

                Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions — Appels regroupés à l’encontre d’un jugement de la Cour canadienne de l’impôt portant que la règle générale anti-évitement (la RGAÉ) énoncée à l’art. 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu ne s’appliquait pas aux opérations donnant lieu au transfert de pertes de la Banque nationale du Canada aux intimés — La Banque a vendu le centre commercial aux intimés en contrepartie de 10 millions de dollars alors que la créance était  d’environ 16 millions de dollars — Dans le cadre d’une série d’opérations, la perte de 6 millions de dollars de la Banque a été transférée aux intimés, qui ont demandé des déductions dans leurs déclarations de revenus — Le ministre a invoqué la RGAÉ pour établir de nouvelles cotisations pour les intimés et les priver de la déduction — La décision de la Cour canadienne de l’impôt, soit qu’il n’y avait pas eu d’opération d’évitement parce que l’objet principal de toute la série d’opérations des intimés était véritable, était erronée — La Cour de l’impôt aurait dû établir si une des opérations de la série avait été effectuée principalement afin d’obtenir un avantage fiscal — L’objet principal des opérations entre la Banque et les intimés était de transférer de la Banque aux intimés la perte subie de 6 millions de dollars; il s’agissait donc d’une opération d’évitement — L’évitement fiscal était abusif au sens de l’art. 245(4) de la Loi — Appels accueillis.

                Interprétation des lois — Le jugement de la Cour canadienne de l’impôt, portant que la règle générale anti- évitement (la RGAÉ) énoncée à l’art. 245(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu était inapplicable parce que l’objet principal de la série d’opérations était véritable, était erronée parce qu’elle n’était pas compatible avec le libellé ou l’objet de la disposition — L’art. 245(3)b) exige que l’on détermine l’objet principal de toute opération d’une série d’opérations qui donnerait lieu à un avantage fiscal si la RGAÉ est inapplicable — Par conséquent, un sous-ensemble d’opérations dans une série d’opérations peut constituer une opération d’évitement.

                Il s’agissait d’un regroupement de 12 appels d’un jugement de la Cour canadienne de  l’impôt établissant que la règle générale anti-évitement (la RGAÉ) énoncée à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu ne s’appliquait pas aux opérations en cause, qui ont donné lieu au transfert de pertes d’une entreprise à des contribuables n’ayant aucun rapport avec cette entreprise. Avant 1992, la Banque nationale du Canada a consenti un prêt aux propriétaires de l’époque du Centre commercial Northills en Colombie-Britannique; ce prêt était garanti par une hypothèque grevant le centre commercial. En 1992, la créance était d’environ 16 millions de dollars et il y avait défaut de paiement. La Banque a pris une mesure de forclusion et a vendu le centre commercial aux intimés en contrepartie de 10 millions de dollars. L’acquisition du centre commercial a été structurée de façon à permettre aux intimés de tirer parti de la perte comptabilisée de 6 millions de dollars sur la créance hypothécaire de la Banque en transférant la perte aux intimées. En conséquence, la Banque et sa nouvelle filiale constituée en société, Northills Shopping Centre Ltd., ont formé une société en commandite du nom de Northills Shopping Centre Limited Partnership. La nouvelle filiale était le commandité, tandis que la Banque était le commanditaire. La société a acheté le centre commercial par le biais de la forclusion de sorte que, aux fins de l’impôt sur le revenu, le coût de 16 millions de dollars de la créance hypothécaire de la société est devenu le coût, pour elle, du centre commercial. Les parts de la société en commandite détenues par la Banque ont, en fin de compte, été rachetées et la Banque a cessé d’être une associée. Au terme de son premier exercice, la Société a réduit le coût du centre commercial à sa juste valeur marchande de l’époque (10 millions de dollars), ce qui a entraîné une perte de 6 millions de dollars.

                Le traitement fiscal des profits et pertes d’une société en commandite est régi par l’article 96 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Selon cette disposition, la perte de 6 millions de dollars résultant de la dépréciation du coût du centre commercial, moins les profits d’exploitation, a été attribuée aux personnes (dont les intimés) qui étaient associées de la société à la fin de l’exercice. Les intimés ont alors demandé des déductions pour leur part respective de la perte nette de la société dans leurs déclarations de revenus. Dans certains cas, la déduction a donné lieu à une perte autre qu’en capital, qui a été reportée à une autre année. Le ministre a invoqué la RGAÉ pour établir de nouvelles cotisations pour les intimés et les priver de la déduction de la perte de la société et de tout report de perte qui s’ensuivrait.

                L’analyse de la Cour canadienne de l’impôt était axée sur la définition d’« opération d’évitement » du paragraphe 245(3) de la Loi. Elle a conclu qu’il n’y avait pas eu d’opération d’évitement parce que l’objet principal de toute la série d’opérations des intimés était de leur permettre de réaliser un profit sur l’acquisition et la vente du centre commercial  Northills, ce qui constituait un objet véritable autre que l’obtention d’un avantage fiscal.

                Il s’agissait de savoir si la Cour canadienne de l’impôt avait commis une erreur en concluant que la RGAÉ ne s’appliquait pas aux opérations ayant permis aux intimés de réaliser cette perte parce qu’il ne s’agissait pas d’opérations d’évitement.

                Arrêt : les appels doivent être accueillis.

                L’interprétation que la Cour de l’impôt a donnée au paragraphe 245(3) de la Loi était erronée parce qu’elle n’était pas compatible avec le libellé ou l’objet de la disposition, plus particulièrement avec l’alinéa 245(3)b). Cet alinéa exige que l’on détermine l’objet principal de toute opération (ou des opérations) d’une série d’opérations qui donnerait lieu à un avantage fiscal si la RGAÉ n’est pas applicable. Par conséquent, un sous-ensemble d’opérations dans une série d’opérations constitue une opération d’évitement, sauf s’il est raisonnable de considérer que les opérations du sous-ensemble en question ont été effectuées principalement pour des objets véritables autres que l’obtention d’un avantage fiscal. La conclusion qu’une série d’opérations a été principalement effectuée pour de véritables objets non fiscaux n’interdit pas de conclure que l’objet principal d’une ou de plusieurs mesures intermédiaires était l’obtention d’un avantage fiscal. La Cour de l’impôt aurait dû poursuivre son analyse pour examiner l’allégation selon laquelle une ou plusieurs des opérations de la série avaient été effectuées principalement aux fins d’obtention d’un avantage fiscal. Par conséquent, les opérations dans le cadre desquelles la Banque est devenue une associée de la Société, a transféré la créance hypothécaire à la Société et est restée associée de celle-ci pendant au moins 30 jours après le transfert constituaient une opération d’évitement. L’objet principal de ces opérations était de transférer de la Banque à la Société la perte subie de 6 millions de dollars sur la créance hypothécaire pour que cette somme puisse être déduite par les intimés dans le calcul de leur revenu.

                Enfin, l’évitement fiscal en cause en l’espèce était abusif au sens du paragraphe 245(4) de la Loi. Les opérations en l’espèce étaient semblables à celles en cause dans l’arrêt Mathew c. Canada. Cet arrêt, où la Cour suprême du Canada a conclu que les opérations destinées à permettre le transfert de la perte constituaient un évitement fiscal abusif, a été appliqué.

                lois et règlements cités

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 10(1), 18(13) (mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 79), 96 (mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 44; 1996, ch. 21, art. 17; 1997, ch. 25, art. 21; 1998, ch. 19, art. 123), 245(1) « attribut fiscal », « avantage fiscal » (mod. par L.C. 2005, ch. 19, art. 52), « opération », (2), (3), (4) (mod., idem), (5) (mod., idem).

                jurisprudence citée

décisions appliquées :

Mathew c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 643; 2005 DTC 5563; 2005 CSC 55; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601; 2005 DTC 5547; 2005 CSC 54.

décisions examinées :

OSFC Holdings Ltd. c. Canada, [2002] 2 C.F. 288; 2001 CAF 260; Canada c. Canadien Pacifique Ltée, [2002] 3 C.F. 170; 2001 CAF 398; Lipson c. Canada, [2007] 4 R.C.F. 641; 2007 CAF 113.

                APPELS d’un jugement de la Cour canadienne de l’impôt ([2007] 3 C.T.C. 2051; 2007 DTC 425; 2007 CCI 94) établissant que la règle générale anti-évitement énoncée à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu ne s’appliquait pas aux opérations en cause, qui ont donné lieu au transfert de pertes d’une entreprise à des contribuables n’ayant aucun rapport avec cette entreprise. Appels accueillis.

              ont comparu :

Robert Carvalho et Ron D. F. Wilhelm pour l’appelante.

Edwin G. Kroft, Elizabeth A. Junkin et Laura Zumpano pour les intimés.

              avocats inscrits au dossier :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., Vancouver, pour les intimés.

                Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1] La juge Sharlow, J.C.A. : Le présent appel regroupe 12 appels d’un jugement rendu par la juge Campbell de la Cour canadienne de l’impôt ([2007] 3 C.T.C. 2051) concernant des opérations semblables à celles qui ont été examinées dans Mathew c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 643 et dans OSFC Holdings Ltd. c. Canada, [2002] 2 C.F. 288 (C.A.). Dans ces affaires, on a jugé que le ministre du Revenu national avait eu raison d’appliquer la règle générale anti-évitement (la RGAÉ) énoncée à l’article 245 [art. 245(1) « avantage fiscal » (mod. par L.C. 2005, ch. 19, art. 52), (4) (mod., idem), (5) (mod., idem)] de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 pour ne pas autoriser le transfert de pertes d’une entreprise à des contribuables n’ayant aucun rapport avec cette entreprise. Les opérations en cause dans les 12 affaires qui nous occupent ont donné lieu au même genre de transfert des pertes, mais la juge Campbell a estimé que la RGAÉ n’était pas applicable. La question est de savoir si, en parvenant à cette conclusion, la juge Campbell a commis une erreur de droit.

La règle générale anti-évitement

[2] Les parties pertinentes de l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu sont libellées comme suit :

                245. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

« attribut fiscal » S’agissant des attributs fiscaux d’une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l’impôt ou l’autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable.

« avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant exigible en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi. Y sont assimilés la réduction, l’évitement ou le report d’impôt ou d’un autre montant qui serait exigible en application de la présente loi en l’absence d’un traité fiscal ainsi que l’augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi qui découle d’un traité fiscal.

« opération » Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement.

                (2) En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.

                (3) L’opération d’évitement s’entend:

                a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

                b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables—l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

                (4) Le paragraphe (2) ne s’applique qu’à l’opération dont il est raisonnable de considérer, selon le cas :

                a) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, s’il n’était pas tenu compte du présent article, un abus dans l’application des dispositions d’un ou de plusieurs des textes suivants :

          (i) la présente loi,

          (ii) le Règlement de l’impôt sur le revenu,

          (iii) les Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu,

          (iv) un traité fiscal,

          (v) tout autre texte législatif qui est utile soit pour le calcul d’un impôt ou de toute autre somme exigible ou remboursable sous le régime de la présente loi, soit pour la détermination de toute somme à prendre en compte dans ce calcul;

                b) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans l’application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans leur ensemble.

                (5) Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2) et malgré tout autre texte législatif, dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d’une personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l’avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d’une opération d’évitement :

                a) toute déduction, exemption ou exclusion dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l’impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

                b) tout ou partie de cette déduction, exemption ou exclusion ainsi que tout ou partie d’un revenu, d’une perte ou d’un autre montant peuvent être attribués à une personne;

                c) la nature d’un paiement ou d’un autre montant peut être qualifiée autrement;

                d) les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l’application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.

[3] Dans Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 66, la juge en chef McLachlin et le juge Major, s’exprimant au nom de la Cour, dressent le cadre analytique suivant pour déterminer quand il y a lieu d’appliquer la RGAÉ (italique dans l’original) :

1.             Trois conditions sont nécessaires pour que la RGAÉ s’applique :

    (1) il doit exister un avantage fiscal découlant d’une opération ou d’une série d’opérations dont l’opération fait partie (par. 245(1) et (2));

    (2) l’opération doit être une opération d’évitement en ce sens qu’il n’est pas raisonnable d’affirmer qu’elle est principalement effectuée pour un objet véritable — l’obtention d’un avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

    (3) il doit y avoir eu évitement fiscal abusif en ce sens qu’il n’est pas raisonnable de conclure qu’un avantage fiscal serait conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions invoquées par le contribuable.

2.             Il incombe au contribuable de démontrer l’inexistence des deux premières conditions, et au ministre d’établir l’existence de la troisième condition.

3.             S’il n’est pas certain qu’il y a eu évitement fiscal abusif, il faut laisser le bénéfice du doute au contribuable.        

4.             Les tribunaux doivent effectuer une analyse textuelle, contextuelle et téléologique unifiée des dispositions qui génèrent l’avantage fiscal afin de déterminer pourquoi elles ont été édictées et pourquoi l’avantage a été conféré. Le but est d’en arriver à une interprétation téléologique qui s’harmonise avec les dispositions de la Loi conférant l’avantage fiscal, lorsque ces dispositions sont lues dans le contexte de l’ensemble de la Loi.

5.             La question de savoir si les opérations obéissaient à des motivations économiques, commerciales, familiales ou à d’autres motivations non fiscales peut faire partie du contexte factuel dont les tribunaux peuvent tenir compte en analysant des allégations d’évitement fiscal abusif fondées sur le par. 245(4). Cependant, toute conclusion à cet égard ne constituerait qu’un élément des faits qui sous-tendent l’affaire et serait insuffisante en soi pour établir l’existence d’un évitement fiscal abusif. La question centrale est celle de l’interprétation que les dispositions pertinentes doivent recevoir à la lumière de leur contexte et de leur objet.

6. On peut conclure à l’existence d’un évitement fiscal abusif si les rapports et les opérations décrits dans la documentation pertinente sont dénués de fondement légitime relativement à l’objet ou à l’esprit des dispositions censées conférer l’avantage fiscal, ou si ces rapports et opérations diffèrent complètement de ceux prévus par les dispositions.

7.             Si le juge de la Cour de l’impôt s’est fondé sur une interprétation correcte des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu et sur des conclusions étayées par la preuve, les tribunaux d’appel ne doivent pas intervenir en l’absence d’erreur manifeste et dominante.

[4] Dans Mathew comme dans OSFC, on a concédé qu’il y avait eu un avantage fiscal et une opération d’évitement. Le litige concernait la troisième exigence de la RGAÉ, à savoir si l’évitement fiscal était abusif. En l’espèce, il a été admis devant la Cour de l’impôt qu’il y avait eu un avantage fiscal, mais pas qu’il y avait eu une opération d’évitement. La juge Campbell a conclu qu’il n’y avait pas eu d’opération d’évitement, ce qui a rendu inutile la poursuite de l’analyse.

[5] La principale question en litige est de savoir si la juge Campbell a commis une erreur de droit en concluant qu’il n’y avait pas eu d’opération d’évitement. La question de l’abus ne se pose que si la juge a effectivement commis une erreur en concluant à l’inexistence de l’opération d’évitement.

Les faits

[6] Les faits ne sont pas contestés et sont énoncés de façon complète dans les motifs de la juge Campbell. Pour les fins qui nous occupent, un résumé suffit.

[7] Dans le présent résumé, j’emploie le terme «intimés » pour désigner l’ensemble des intimés. Dans ses motifs, la juge Campbell énonce en détail quels intimés ont participé aux différents aspects des opérations visées par le présent appel. Comme tous les intimés ont finalement accepté toutes les opérations, je n’ai pas jugé nécessaire d’indiquer le rôle de chacun pour les besoins du présent appel.

[8] À un certain moment antérieur à 1992, la Banque nationale du Canada (ci-après la Banque) a prêté de l’argent aux propriétaires de l’époque du Centre commercial Northills de Kamloops, en Colombie- Britannique. Ce prêt était garanti par une hypothèque sur le centre commercial. En 1992, la créance était d’environ 16 millions de dollars, et il y avait défaut de paiement. La Banque a intenté une action en forclusion cette année-là. Un administrateur-séquestre a été désigné, et la Banque a été autorisée à vendre le Centre commercial Northills. Le Centre a été mis en vente au prix de 12,5 millions de dollars.

[9] Les intimés participaient tous d’une façon ou d’une autre à des activités d’investissement, d’aménagement ou de vente d’immeubles. En août 1993, ils ont été informés de la possibilité d’acheter le Centre commercial Northills. Après négociations, la Banque a accepté en principe de céder le Centre aux intimés pour la somme de 10 millions de dollars. Les intimés étaient convaincus qu’à ce prix, ils pourraient vendre le Centre commercial Northills en faisant un bénéfice après y avoir apporté certaines améliorations.

[10]         Certains éléments de preuve, acceptés par la juge Campbell, attestaient que les intimés souhaitaient détenir le Centre commercial Northills par l’entremise d’une société de personnes et que cette société acquière le centre commercial au moyen d’une action en forclusion hypothécaire: ces deux mécanismes commerciaux sont courants lors d’acquisition de biens commerciaux. Pour les besoins de l’appel, je supposerai que les intimés ont fait ces choix pour des raisons commerciales valables et non pour des raisons fiscales, quoique le dossier ne permette pas de savoir clairement quelles étaient ces raisons commerciales.

[11]         Quelque temps après que les intimés ont estimé que l’achat du Centre commercial Northills était une occasion commerciale réalisable, il leur est venu à l’esprit que l’acquisition pourrait être structurée de façon à leur permettre de tirer parti de la perte comptabilisée de 6 millions de dollars sur la créance hypothécaire pendant que celle-ci était détenue par la Banque. Pour les fins qui nous occupent, je supposerai que les intimés auraient accepté d’acheter le Centre commercial Northills pour 10 millions de dollars même s’il n’avait pas été possible de tirer parti de la perte de 6 millions de dollars sur la créance hypothécaire. Cette hypothèse semble raisonnable, car il semble, d’après le dossier, que le plan d’entreprise dressé par les intimés pour le Centre commercial Northills, fondé sur un coût d’acquisition de 10 millions de dollars, a été préparé avant qu’ils ne pensent aux questions d’ordre fiscal. Par ailleurs, les parties avaient accepté le prix de 10 millions de dollars quelques jours avant d’entamer des discussions sur la façon de structurer l’acquisition pour réaliser le transfert de la perte de 6 millions de dollars.

[12]         Les opérations visées par les présents appels ont été conçues par les intimés et proposées à la Banque, qui les a acceptées. La Banque et les intimés ont convenu à l’avance de l’ordre et des dates des opérations. Ils savaient tous que les opérations avaient pour but de concrétiser l’acquisition du Centre commercial Northills par les intimés au moyen d’une structure permettant à ces derniers de réaliser leurs objectifs commerciaux et de transférer la perte comptabilisée de 6 millions de dollars sur la créance hypothécaire.

[13]         Je résume comme suit les opérations en cause en l’espèce et leurs attributs fiscaux recherchés (à supposer que la RGAÉ ne soit pas applicable) :

a) Le 5 novembre 1993, la Banque et sa nouvelle filiale constituée en société, Northills Shopping Centre Ltd., ont formé une société en commandite (la société) du nom de Northills Shopping Centre Limited Partnership. La nouvelle filiale était le commandité, tandis que la Banque était le commanditaire. Le premier exercice de la société devait se terminer le 31 décembre 1993. Compte tenu des questions soulevées dans le présent appel, il importe peu que la Banque ait été le commanditaire plutôt que le commandité. Aux fins de l’impôt sur le revenu, le commanditaire et le commandité sont traités de la même façon, à quelques exceptions qui ne s’appliquent pas en l’espèce.

b) Le 23 novembre 1993, la Banque a cédé à la société la créance hypothécaire et ses intérêts dans l’action en forclusion, s’attribuant en contrepartie 10 000 actions de la société à raison de 1 000 dollars l’action, pour un total de 10 millions de dollars. La Banque a accepté de rester associée de la société pendant au moins 30 jours.

c) Aux fins de l’impôt sur le revenu, le coût de la créance hypothécaire de la Banque s’élevait à 16 millions de dollars, mais, selon le paragraphe 18(13) [mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 79] de la Loi de l’impôt sur le revenu, la Banque aurait eu le droit de demander une déduction pour la perte de 6 millions de dollars subie lors de la disposition de la créance hypothécaire pour 10 millions de dollars. Cependant, comme la Banque et la société avaient un lien de dépendance au moment du transfert et durant les 30 jours suivants, le paragraphe 18(13) était applicable, interdisant à la Banque de déduire la perte. Par ailleurs, ce même paragraphe permettait à la société d’ajouter le montant de la perte au coût de sa créance hypothécaire, calculée aux fins de l’impôt sur le revenu, faisant passer ce coût de 10 à 16 millions de dollars. Le paragraphe 18(13) a effectivement permis le transfert de la perte comptabilisée de 6 millions de dollars sur la créance hypothécaire de la Banque à la société.

d) Les opérations suivantes ont eu lieu le 29 décembre 1993:

i) Les intimés (et deux autres qui ne sont pas parties à l’appel) sont devenus des commandités de la société. Ils ont acheté 2 000 parts de commandités de la société pour un total de 2 millions de dollars.

ii) La Banque a prêté environ 9,7 millions de dollars à la société, dont 8,6 millions devaient servir à financer une partie du rachat des parts de la société en commandite de la Banque. Le reste de l’argent devait servir à financer les améliorations apportées au Centre commercial Northills.

iii) La société a été officiellement substituée à la Banque dans l’action en forclusion, et la société a acheté le Centre commercial Northills par le biais de la forclusion. Aux fins de l’impôt sur le revenu, cette forclusion s’est soldée par le coût de 16 millions de dollars de la créance hypothécaire de la société, devenant le coût du Centre commercial Northills pour la société.

e) Le 30 décembre 1993, la société a racheté 8 600 des parts de la société en commandite de la Banque pour 8,6 millions de dollars en se servant de l’argent que la Banque lui a prêté. Le 31 décembre 1993, la société a racheté les 1 400 autres parts de la société en commandite de la Banque pour 1,4 million de dollars en prélevant cette somme sur les 2 millions fournis par les intimés pour acheter leurs parts de commandités. Au moment du rachat des actions de la Banque, celle-ci a cessé d’être une associée de la société.

f) Le 31 décembre 1993, la Banque a vendu ses actions du Centre commercial à deux des intimés. À ce stade, le seul intérêt de la Banque dans la société était à titre de créancière.

[14]         La société a enregistré un profit d’exploitation au cours de son premier exercice, qui se terminait le 31 décembre 1993. Au terme de cet exercice, la société a été autorisée, en vertu du paragraphe 10(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, à réduire le coût du centre commercial à sa juste valeur marchande de l’époque, soit 10 millions de dollars. La société a donc exécuté cette mesure, qui a donné lieu à l’enregistrement d’une perte de 6 millions de dollars.

[15]         Le traitement fiscal des profits et pertes d’une société en commandite est régi par l’article 96 [mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 44; 1996, ch. 21, art. 17; 1997, ch. 25, art. 21; 1998, ch. 19, art. 123] de la Loi de l’impôt sur le revenu. Selon cette disposition, la perte de 6 millions résultant de la dépréciation du coût du centre commercial, moins les profits d’exploitation, a été attribuée aux personnes (dont les intimés) qui étaient associées de la société au 31 décembre 1993.

[16]         Lorsqu’ils ont remis leurs déclarations de revenus pour l’année incluant le 31 décembre 1993, les intimés ont demandé des déductions pour leur part respective de la perte nette de la société. Dans certains cas, cette déduction a donné lieu à une perte autre qu’une perte en capital, qui a été reportée à une autre année. Le ministre a invoqué la RGAÉ pour établir de nouvelles cotisations pour les intimés et les priver de la déduction de la perte de la société et de tout report de perte qui s’ensuivrait.

Analyse

[17]         Nul ne conteste que les intimés ont tiré un avantage fiscal de la déduction de la perte de 6 millions de dollars transférée de la Banque à la société. La question à laquelle devait répondre la juge Campbell était de savoir si la série d’opérations ayant permis aux intimés de réaliser cette perte était une opération d’évitement. C’est pourquoi l’analyse de la juge a été axée sur la définition d’« opération d’évitement » du paragraphe 245(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu. La définition est citée plus haut, mais je la reproduis à nouveau pour plus de commodité.

                245. (1) […]

                (3) L’opération d’évitement s’entend:

                a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

                b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

[18]         Après avoir analysé la partie du jugement Trustco Canada ayant trait au paragraphe 245(3) (voir les paragraphes 27 à 35 de Trustco Canada), la juge Campbell a conclu qu’il n’y avait pas eu d’opération d’évitement parce que l’objet principal de toute la série d’opérations des intimés était de leur permettre de réaliser un profit sur l’acquisition et la vente du Centre commercial Northills, ce qui constitue un objet véritable autre que l’obtention d’un avantage fiscal.

[19]         La juge Campbell a expliqué que le paragraphe 245(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu suppose que l’on détermine l’objet de chaque opération d’une série d’opérations, mais seulement dans le cadre de l’analyse qui doit être effectuée pour déterminer l’objet principal de la série. Elle a conclu que chaque opération de la série d’opérations en l’espèce avait eu un objet véritable autre que l’obtention d’un avantage fiscal. Elle n’a cependant pas tiré cette conclusion en déterminant séparément l’objet de chaque opération de la série. Elle a plutôt établi l’objet principal de la série d’opérations et l’a attribué à chacune des opérations, estimant que toute autre méthode aurait compromis l’objet du paragraphe 245(3).

[20]                      Selon la Couronne, la juge Campbell a commis une erreur de droit en omettant de circonscrire, dans toute la série d’opérations, les opérations précises qui ont donné lieu à l’avantage fiscal, puis de déterminer si ces opérations-là avaient été effectuées principalement pour un objet véritable autre que l’obtention d’un avantage fiscal. Les intimés défendent l’interprétation adoptée par la juge Campbell au motif qu’elle est imposée par la jurisprudence.

[21]         Avec égards, je ne partage pas l’interprétation de la juge Campbell du paragraphe 245(3). À mon avis, cette interprétation est erronée parce qu’elle n’est pas compatible avec le libellé ou l’objet de la disposition, plus particulièrement avec l’alinéa 245(3)b). Selon la lecture que j’en fais, l’alinéa 245(3)b) exige que l’on détermine l’objet principal de toute opération (ou des opérations) d’une série d’opérations qui donnerait lieu à un avantage fiscal si la RGAÉ n’est pas applicable. Il s’ensuit qu’un sous-ensemble d’opérations dans une série d’opérations constitue une opération d’évitement, sauf s’il est raisonnable de considérer que les opérations du sous-ensemble en question ont été effectuées principalement pour des objets véritables autres que l’obtention d’un avantage fiscal. Selon moi, la conclusion qu’une série d’opérations a été principalement effectuée pour de véritables objets non fiscaux n’interdit pas de conclure que l’objet principal d’une ou de plusieurs mesures intermédiaires était l’obtention d’un avantage fiscal. Il me semble que c’est ce que la juge en chef McLachlin et le juge Major avaient à l’esprit lorsqu’ils ont écrit ce qui suit dans Trustco Canada (au paragraphe 34) :

                Si au moins une opération qui fait partie d’une série d’opérations constitue une « opération d’évitement », la RGAÉ permet alors de supprimer l’avantage fiscal qui découle de la série. C’est ce qui ressort du libellé du par. 245(3). À l’inverse, si chaque opération de la série a été principalement effectuée pour de véritables objets non fiscaux, la RGAÉ ne permet pas de supprimer un avantage fiscal.

[22]         Je suis d’accord avec la Couronne pour dire que la juge Campbell aurait dû déterminer l’objet principal des opérations par lesquelles la Banque s’est associée à la société au départ, a transféré la créance hypothécaire à la société avant que les intimés deviennent eux-mêmes associés et est restée associée à la société pendant une durée de plus de 30 jours après le transfert. Rien dans le dossier ne permet de conclure que les objets commerciaux non fiscaux des intimés exigeaient que l’on prenne ces mesures. Si la juge Campbell avait tenu compte de ce point, elle aurait été contrainte de conclure que l’objet principal de ces opérations était l’obtention d’un avantage fiscal.

[23]                      Les intimés ont cité un certain nombre de décisions à l’appui de l’interprétation de la juge Campbell du paragraphe 245(3). À mon avis, aucune d’entre elles n’étaye la position adoptée par la juge en l’espèce. Je commenterai deux de ces décisions.

[24]         La première est Canada c. Canadien Pacifique Ltée, [2002] 3 C.F. 170 (C.A.). La question dans cette affaire était de savoir si la RGAÉ était applicable pour priver l’intéressé de l’avantage fiscal tiré d’un emprunt en devises étrangères plutôt qu’en dollars canadiens. La Couronne avait fait valoir que le choix de devises étrangères était en soi une « opération », dont l’objet pouvait être évalué en fonction du paragraphe 245(3) en dehors de l’objet de l’emprunt en soi. La Cour a rejeté cette interprétation. Les intimés ont cité la partie soulignée ci-dessous du paragraphe 26 des motifs rédigés par le juge Sexton au nom de la Cour :

                Le libellé de la Loi requiert l’examen d’une opération dans son intégralité et il n’est pas loisible à la Couronne d’en détacher artificiellement les divers aspects afin de produire une opération d’évitement. En l’espèce, l’emprunt en dollars australiens était une opération complète, qu’il est impossible de séparer en deux opérations pour ensuite appeler « opération distincte » l’action de libeller cet emprunt en dollars australiens. [Non souligné dans l’original.]

Je ne trouve rien dans Canadien Pacifique qui interdise la possibilité qu’il y ait, dans une série d’opérations donnée, une ou plusieurs opérations effectuées principalement aux fins d’obtention d’un avantage fiscal, même si l’ensemble de la série est effectué pour un objet véritable autre que l’obtention d’un avantage fiscal. Tout au contraire, cette possibilité est reconnue aux paragraphes 16 et 17 de cette décision.

[25]         La deuxième décision est Lipson c. Canada, [2007] 4 R.C.F. 641 (C.A.F.), citée par les intimés à l’appui de la proposition selon laquelle l’objet principal d’une série d’opérations est pertinent pour déterminer si une opération d’évitement est abusive. Les intimés font valoir que, selon le même raisonnement, l’objet principal d’une série d’opérations est pertinent pour déterminer s’il y a eu une opération d’évitement. Je suis d’accord pour dire qu’il est toujours utile de déterminer l’objet principal d’une série d’opérations. Si cet objet principal est l’obtention d’un avantage fiscal, toute la série est une opération d’évitement. L’inverse n’est cependant pas nécessairement vrai. L’existence d’un objet commercial véritable non fiscal pour la série d’opérations n’exclut pas la possibilité qu’une ou plusieurs opérations de la série aient pour objet l’obtention d’un avantage fiscal.

[26]         Les intimés soutiennent qu’il était raisonnable que la juge Campbell conclue que la série complète des opérations en cause avait été effectuée principalement pour un objet véritable autre que l’obtention de l’avantage fiscal représenté par le transfert des 6 millions de dollars de perte subie sur la créance hypothécaire de la Banque aux intimés. J’en conviens. En fait, la Couronne ne conteste pas cette conclusion. Mais l’interprétation erronée que la juge Campbell a donnée au paragraphe 245(3) l’a incitée à mettre un terme à son analyse à ce stade, alors qu’elle aurait dû aller plus loin pour examiner l’allégation de la Couronne selon laquelle une ou plusieurs des opérations de la série avaient été effectuées principalement aux fins d’obtention d’un avantage fiscal.

[27]         Pour résumer, je conclus que constituent une opération d’évitement les opérations par lesquelles la Banque est devenue une associée de la société, a transféré la créance hypothécaire à la société et est restée associée de celle-ci pendant au moins 30 jours après le transfert. L’objet principal de ces opérations était de transférer de la Banque à la société la perte subie de 6 millions de dollars sur la créance hypothécaire pour que cette somme puisse être déduite par les intimés dans le calcul de leur impôt sur le revenu.

[28]         Il ne reste qu’à examiner la question de savoir si l’évitement fiscal était abusif au sens du paragraphe 245(4). Selon Canada Trustco, c’est à la Couronne qu’il incombe de démontrer que l’opération d’évitement est abusive (voir le no 1, point 2 du paragraphe 66 de Trustco Canada). En l’espèce, le ministre a formulé les allégations nécessaires dans ses actes de procédure devant la Cour canadienne de l’impôt, et les intimés ne les ont pas réfutées. Les intimés ont fait valoir qu’ils n’avaient rien concédé à cet égard; ils ne les avaient pas contestées simplement parce qu’ils ont préféré contester les nouvelles cotisations au motif qu’il ne s’agissait pas d’une opération d’évitement. Le résultat est le même dans l’un ou l’autre cas. La Couronne obtient gain de cause par défaut.

[29]         Même si les intimés avaient contesté l’allégation de la Couronne concernant le caractère abusif de l’opération d’évitement, leurs arguments n’auraient pas tenu étant donné l’arrêt Mathew de la Cour suprême du Canada. Comme nous l’avons vu, il s’agissait, dans cette affaire, du transfert d’une perte au moyen d’une série d’opérations semblables à celle de l’espèce. La Cour suprême du Canada a conclu que les opérations destinées à permettre le transfert de la perte constituaient un évitement fiscal abusif. Les motifs de cette conclusion sont résumés comme suit au paragraphe 58 (non souligné dans l’original) :

                Nous sommes d’avis que permettre aux appelants de demander la déduction des pertes en l’espèce contrecarrerait les objets du par. 18(13) et des dispositions relatives aux sociétés de personnes, et que le ministre a eu raison de leur refuser cette déduction en application de la RGAÉ. Lorsqu’ils sont interprétés de manière textuelle, contextuelle et téléologique, le par. 18(13) et l’art. 96 ne permettent pas aux parties sans lien de dépendance d’acheter les pertes fiscales maintenues par le par. 18(13) et d’en demander la déduction comme s’il s’agissait de leurs propres pertes. Le paragraphe 18(13) a pour objet de transférer une perte à une partie avec lien de dépendance, afin d’empêcher le contribuable qui exploite une entreprise de prêt d’argent de réaliser une perte apparente. Le traitement général du partage de pertes entre associés a pour objet de favoriser la mise en place d’une structure organisationnelle permettant à ces derniers d’exploiter ensemble une entreprise dans le cadre de rapports avec lien de dépendance. Le paragraphe 18(13) permet le maintien et le transfert d’une perte en tenant pour acquis qu’elle sera réalisée par un contribuable ayant un lien de dépendance avec l’auteur du transfert. Le législateur ne peut pas avoir voulu que les règles relatives aux sociétés de personnes et le par. 18(13) aient pour effet combiné de maintenir et de transférer une perte devant être réalisée par un contribuable n’ayant aucun lien de dépendance avec l’auteur du transfert. Utiliser ces dispositions pour maintenir et vendre une perte non réalisée à une partie sans lien de dépendance donne lieu à un évitement fiscal abusif au sens du par. 245(4). De telles opérations ne sont pas conformes à l’esprit et à l’objet du par. 18(13) et de l’art. 96 interprétés correctement.

[30]         On peut dire la même chose de l’espèce. Je conclus que l’opération d’évitement était abusive au sens du paragraphe 245(4) de la RGAÉ. Il s’ensuit que le ministre a eu raison d’établir de nouvelles cotisations pour priver les intimés de la déduction des pertes transférées.

Conclusion

[31]         Pour ces motifs, j’accueillerais les 12 appels avec dépens en cette Cour et devant la Cour canadienne de l’impôt. J’annulerais les jugements de la Cour canadienne de l’impôt dans chaque affaire et rejetterais chacun des appels relatifs aux nouvelles cotisations de l’impôt sur le revenu.

                Le juge Décary, J.C.A. : Je suis d’accord.

                La juge Trudel, J.C.A. : Je suis d’accord.

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