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2007 CAF 199

A‑164‑06

Jorge Luis Restrepo Benitez (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

et

La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (intervenante)

A‑187‑06

Edwin Ernesto Carrillo Mejia (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

A‑188‑06

Juvinny Balmore Flores Gomez, Yaneth Beatrix Castillo Campos et Konny Beatrix Flores Castillo (appelants)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

A‑196‑06

Majid Reza Yonge Savagoli (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

A‑197‑06

Gerardo Martin Rosales Rincon, Erlis Beatrix Delgado Ocando, Gerly Joanny Rosales Delgado et Wanda Sofia Rosales Delgado (appelants)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

A‑198‑06

Mena Guirguis, Marie Goorgy, Monica Guirguis et Malak Guirguis (appelants)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

A‑199‑06

Afua Gyankoma (appelante)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

A‑200‑06

Inthikhab Hussain Matheen (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié  : Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Décary, Evans et Sharlow, J.C.A.—Toronto, 17 avril; Ottawa, 25 mai 2007.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration  — Appels à l’encontre de décisions rejetant les demandes de contrôle judiciaire visant des décisions défavorables rendues par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié relativement à des demandes d’asile — Il s’agissait de déterminer si les Directives no 7, qui précisent que le demandeur d’asile est d’abord interrogé par l’agent de protection des réfugiés ou le commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), ou les deux, pendant l’audience de la SPR, étaient valides — Application des arrêts Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 R.C.F. 107 (C.F.) et Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198 — Les Directives no 7 n’entraînent pas un manquement à l’obligation d’équité et ne font pas naître une crainte raisonnable de partialité — Les questions ne concernant pas les Directives no 7 n’étaient pas fondées — Appels rejetés.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Les Directives no 7 données par le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié précisent que le demandeur d’asile est d’abord interrogé par l’agent de protection des réfugiés ou le commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), ou les deux, pendant l’audience de la SPR — Les Directives ne violent pas l’art. 7 de la Charte — Aucune règle de droit ne permet d’affirmer que les principes de justice fondamentale exigent que les parties ayant le fardeau de la preuve aient le droit de se faire entendre en premier dans les instances où il sera statué sur leurs droits — Il faut prendre en considération le contexte décisionnel plus large — De même, les Directives no 7 ne font pas naître une crainte raisonnable de partialité.

Il s’agissait d’un groupe d’appels interjetés à l’encontre des décisions de la Cour fédérale rejetant les demandes de contrôle judiciaire visant des décisions défavorables rendues par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié relativement à des demandes d’asile. Ces demandes contestaient la validité des Directives no 7, données par le président de la Commission et prévoyant que, selon l’ordre habituel des interrogatoires pendant les audiences de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), le demandeur d’asile est interrogé d’abord par l’agent de protection des réfugiés (l’APR) ou par le commissaire de la SPR qui préside l’audience (l’ordre habituel des interrogatoires). Sept questions relatives aux Directives no 7 ont été certifiées à des fins d’appel. La majorité de la Cour a récemment statué dans Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) que les Directives no 7 n’entraînent pas un manquement à l’obligation d’équité en privant les demandeurs d’asile de la possibilité de présenter des arguments ou en déformant le rôle du commissaire de la SPR au point de faire naître une crainte raisonnable de partialité. De plus, les Directives no 7 n’entravent pas illégalement l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la SPR et la loi n’exige pas qu’elles soient données en vertu du pouvoir légal du président d’établir des règles de procédure sous réserve de l’approbation du Cabinet.

Les questions à trancher étaient celles de savoir si les Directives no 7 sont incompatibles avec les principes de justice fondamentale parce qu’elles privent ceux qui ont le fardeau de la preuve du droit d’être interrogés en premier lieu par leur conseil et si l’obligation retrouvée aux Directives no 7, à savoir que les commissaires de la SPR interrogent le demandeur d’asile en premier, risque d’entraîner une crainte raisonnable de partialité.

Arrêt  : les appels doivent être rejetés.

L’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés précise que chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Cependant, aucune règle de droit ne permet d’affirmer que les principes de justice fondamentale exigent que les parties ayant le fardeau de la preuve aient le droit de se faire entendre en premier dans les instances où il sera statué sur leurs droits. Bien que les droits individuels en cause dans une instance administrative soient importants pour déterminer la teneur, sur le plan procédural, des principes de justice fondamentale, le contexte décisionnel plus large dans lequel la question se pose doit aussi être pris en considération. Le caractère inquisitoire des audiences de la SPR sur une demande d’asile doit être pris en compte. Pour les motifs exposés par la Cour fédérale en l’espèce et ceux exposés par notre Cour dans Thamotharem, les Directives no 7 ne violent pas le droit des demandeurs d’asile de participer à une audience de la SPR respectant les principes de l’équité procédurale.

Les Directives no 7 ne violent pas l’article 7 de la Charte en créant une crainte raisonnable de partialité, individuelle ou institutionnelle, en tenant compte, une fois de plus, du contexte du modèle inquisitoire établi pour des audiences de la SPR.

De plus, il n’y avait aucune raison de modifier la décision de la Cour fédérale relativement aux questions ne concernant pas les Directives no 7.

La juge Sharlow, J.C.A. (motifs concordants)  : Même si le président de la Commission a commis une erreur de droit en se servant du pouvoir de donner des directives qui lui est conféré à l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour établir une norme de pratique applicable aux audiences sur une demande d’asile, cette erreur ne justifie pas en soi que soit annulée une décision défavorable rendue à la suite d’une audience où le demandeur d’asile est tenu de répondre aux questions de l’APR ou du commissaire avant de faire valoir ses propres arguments.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 74d), 159(1)h), 167(2).

Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 (mod. par DORS/2005‑339, art. 1), art. 22 (mod. par DORS/2002‑232, art. 11).

jurisprudence citée

décisions appliquées  :

Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 R.C.F. 107; 2006 CF 461; Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198.

décisions examinées  :

Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 168; 2006 CF 16; Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350; 2007 CSC 9; Stumf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 148.

décision citée  :

Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623.

doctrine citée

Canada. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Directives no 7 : Directives concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés : directives données par le président en application de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Ottawa : CISR, 2003.

APPELS à l’encontre de la décision de la Cour fédérale (Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 R.C.F. 107; 2006 CF 461) rejetant un groupe de demandes de contrôle judiciaire contestant la validité des Directives no 7 et à l’encontre des décisions de la Cour fédérale (Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 391; confirmant [2004] D.S.P.R. no 838 (QL); Guirguis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 413; confirmant [2005] D.S.P.R. no 303 (QL); Matheen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 395; confirmant Hussain Matheen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] D.S.P.R. no 96 (QL)) rejetant les demandes de contrôle judiciaire visant des décisions défavorables rendues par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Appels rejetés.

ont comparu  :

Matthew Jeffrey pour l’appelant dans l’affaire A‑164‑06.

Cynthia T. Mancia pour les appelants dans les affaires A‑187‑06 et A‑188‑06.

Jack Davis pour les appelants dans les affaires A‑196‑06 et A‑197‑06.

Hart A. Kaminker pour les appelants dans l’affaire A‑198‑06.

Kumar Sriskanda pour l’appelante dans l’affaire A‑199‑06.

Amina S. Sherazee pour l’appelant dans l’affaire A‑200‑06.

Jamie R. D. Todd et John Provart pour l’intimé.

 avocats inscrits au dossier :

Matthew Jeffrey, Toronto, pour l’appelant dans l’affaire A-164-06.

Mancia & Mancia, Toronto, pour les appelants dans les affaires A‑187‑06 et A‑188‑06.

Davis & Associates, Toronto, pour les appelants dans les affaires A‑196‑06 et A‑197‑06.

Hart A. Kaminker, Toronto, pour les appelants dans l’affaire A‑198‑06.

Kumar Sriskanda, Scarborough (Ontario), pour l’appelante dans l’affaire A‑199‑06.

Downtown Legal Services, Toronto, pour l’appelant dans l’affaire A‑200‑06.

Le sous‑procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A. :

A. INTRODUCTION

[1]Il s’agit d’un groupe d’appels interjetés à l’encontre des décisions de la Cour fédérale rejetant les demandes de contrôle judiciaire présentées par les appelants afin de faire annuler les décisions par lesquelles la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté leurs demandes d’asile au Canada.

[2]L’historique des procédures en l’espèce est quelque peu inusité. La Cour fédérale a réuni plusieurs demandes de contrôle judiciaire contestant la validité des Directives no 7 [Directives no 7 : Directives concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés : Directives données par le président en application de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, Ottawa : CISR, 2003]. Ces directives ont été données par le président de la Commission en 2003 en vertu du pouvoir de donner des directives en vue d’aider les commissaires dans l’exécution de leurs fonctions qui lui est conféré à l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[3]Selon les Directives no 7, le demandeur d’asile est interrogé d’abord par l’agent de protection des réfugiés (l’APR) ou le commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) qui préside l’audience, ou par les deux, lors des audiences de la SPR sur une demande d’asile. Le commissaire peut toutefois, dans des cas exceptionnels, permettre au demandeur d’asile d’être interrogé en premier lieu par son conseil.

[4]Le juge Mosley de la Cour fédérale a entendu les demandes réunies de contrôle judiciaire en cause en l’espèce [se rapportant aux Directives no 7] et a statué que les Directives no 7 étaient valides : Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigra-tion), 1 R.C.F. 107. Il a certifié les sept questions suivantes à des fins d’appel conformément à l’alinéa 74d) de la LIPR [au paragraphe 243] :

1. Les Directives no 7, prises en vertu du pouvoir du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, contreviennent‑elles aux principes de justice fondamentale consacrés par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés en limitant indûment le droit d’un demandeur d’asile d’être entendu et son droit à un procureur?

2. L’application des paragraphes 19 et 23 des Directives no 7 prises par le président contrevient‑elle aux principes de justice naturelle?

3. L’application des Directives no 7 constitue‑t‑elle une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés?

4. Une conclusion selon laquelle les Directives no 7 entravent l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés signifie‑t‑elle nécessairement que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, sans qu’il soit tenu compte du fait que l’équité procédurale a autrement été assurée au demandeur dans ce cas particulier ou qu’il y a un autre fondement permettant de rejeter la revendication?

5. Le rôle des commissaires de la Section de la protection des réfugiés au cours de l’interrogatoire des demandeurs d’asile, tel que prévu par les Directives no 7, donne‑t‑il lieu à une crainte raisonnable de partialité?

6. Les Directives no 7 sont‑elles illégales parce qu’elles excèdent le pouvoir du président de donner des directives en vertu de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

7. Quand un demandeur doit‑il soulever une objection à l’application des Directives no 7 pour être en mesure de la plaider dans le cadre d’un contrôle judiciaire?

[5]Nous avons instruit les appels visant la décision du juge Mosley tout de suite après avoir entendu un appel interjeté à l’encontre d’une décision du juge Blanchard de la Cour fédérale, qui avait conclu que les Directives no 7 entravaient illégalement l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de déterminer la procédure à suivre lors des audiences sur une demande d’asile : Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 168.

[6]Malgré des motifs dissidents, la Cour a, à l’unanimité, accueilli l’appel du ministre dans Thamotharem et rejeté l’appel incident interjeté par M. Thamotharem à l’encontre de la conclusion du juge Blanchard selon laquelle les Directives no 7 n’entraînent pas un manquement à l’obligation d’équité. L’arrêt de la Cour est répertorié sous l’intitulé Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198.

[7]Toutes les questions en litige dans Thamotharem étaient également soulevées dans les appels réunis en l’espèce et ils devraient être tranchées de la même manière que dans Thamotharem et pour les motifs exposés par la majorité dans cet arrêt. En d’autres termes, les Directives no 7 n’entraînent pas un manquement à l’obligation d’équité en privant les demandeurs de la possibilité de présenter des arguments ou en déformant le rôle du commissaire de la SPR qui est saisi de la demande d’asile au point de faire naître une crainte raisonnable de partialité. De plus, elles n’entravent pas illégalement l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires et la loi n’exige pas qu’elles soient données en vertu du pouvoir légal du président d’établir des règles de procédure sous réserve de l’approbation du Cabinet.

[8]Il est inutile dans les présents motifs de réexaminer ces questions encore une fois. Les arguments avancés par les avocats sur ces questions en l’espèce ont été pris en considération dans la rédaction des motifs de Thamotharem. Les présents motifs traitent des questions soulevées en l’espèce relativement à la validité des Directives no 7 qui ne l’étaient pas dans Thamotharem.

[9]Certains des demandeurs ont aussi, dans le cadre des demandes de contrôle judiciaire qui ont été réunies, soulevé des questions ne concernant pas les Directives no 7 pour contester le rejet de leurs demandes d’asile par la Commission. Les demandes ont été instruites sur ces questions par les juges Gibson et Snider de la Cour fédérale, qui les ont rejetées. Certains des appelants en l’espèce ont interjeté appel du rejet de leurs demandes de contrôle judiciaire sur les questions ne concernant pas les Directives no 7.

[10]À mon avis, tous les appels devraient être rejetés en l’espèce. Je ne suis pas convaincu que les juges de première instance ont commis une erreur importante sur la question concernant les Directives no 7 ou sur les autres questions.

B. ANALYSE

1. Directives no 7

i) Article 7 de la Charte

a) Droits de participation

[11]Les avocats font valoir que l’article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] s’applique aux audiences de la SPR sur une demande d’asile et que les Directives no 7 sont incompatibles avec les principes de justice fondamentale parce qu’elles privent ceux qui ont le fardeau de la preuve (les demandeurs d’asile) du droit d’être interrogés en premier lieu par leur conseil s’ils le désirent.

[12]À l’appui de cet argument, les avocats invoquent la difficulté, pour des demandeurs d’asile vulnérables, de raconter leur histoire avec cohérence après que l’APR a déjà fait à peu près le tour de la question en leur posant des questions ou en faisant ressortir les faiblesses de leur demande. En raison de la relation de confiance qu’ils établissent avec leur conseil, lequel connaît leur dossier, les demandeurs d’asile sont susceptibles de présenter leur demande plus efficacement s’ils sont interrogés d’abord par leur conseil.

[13]Aucune règle de droit ne permet d’affirmer que les principes de justice fondamentale exigent que les parties ayant le fardeau de la preuve aient le droit de se faire entendre en premier dans les instances où il sera statué sur leurs droits. L’avocat rappelle cependant que la Cour suprême du Canada a dit récemment dans Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350, que la teneur des principes de justice fondamentale dépend des droits individuels qui sont en cause. En l’espèce, les appelants soutiennent que les intérêts qui peuvent être touchés par l’issue des audiences devant la SPR sont de la plus grande importance, les demandeurs d’asile risquant l’expulsion vers des pays où ils craignent pour leur vie, leur liberté personnelle et leur intégrité physique.

[14]Ce n’est pas tout à fait vrai, à mon avis. Bien que les droits individuels en cause dans une instance administrative soient importants pour déterminer la teneur, sur le plan procédural, des principes de justice fondamentale, le contexte décisionnel plus large dans lequel la question se pose doit aussi être pris en considération. Comme la juge en chef McLachlin l’a dit dans Charkaoui (au paragraphe 20) :

L’article 7 de la Charte exige non pas un type particulier de procédure, mais une procédure équitable eu égard à la nature de l’instance et des intérêts en cause [. . .]. Les mesures procédurales requises par la justice fondamentale dépendent du contexte [. ..]. [Non souligné dans l’original.]

[15]À mon avis, le caractère inquisitoire des audiences de la SPR sur une demande d’asile doit être pris en compte car il fait partie de la « nature de l’instance ». En outre, bien que la plupart des litiges au Canada suivent le modèle contradictoire, je ne peux admettre que le modèle inquisitoire est, en soi, contraire aux principes de justice fondamentale.

[16]Compte tenu essentiellement des motifs exposés par le juge Mosley (aux paragraphes 47 à 67) pour conclure que les demandeurs d’asile n’ont aucun droit constitutionnel d’être interrogés d’abord par leur conseil et des motifs pour lesquels nous avons, dans Thamotharem (aux paragraphes 34 à 51), statué que les Directives no 7 n’établissent pas une procédure contraire à l’obligation d’équité, j’estime que les Directives no 7 ne violent pas le droit des demandeurs d’asile de participer à une audience de la SPR respectant les principes de justice fondamentale.

b) Partialité et manque d’indépendance

[17]On prétend que les principes de justice fondamentale exigent également des membres d’un tribunal administratif comme la SPR, qui statuent sur des droits protégés par l’article 7 de la Charte, qu’ils soient et paraissent impartiaux et indépendants, à la fois sur une base individuelle et sur une base institutionnelle. Les Directives no 7 ont pour effet de « lancer dans la bataille » les commissaires de la SPR saisis de demandes d’asile, en particulier lorsqu’aucun APR n’est présent, en les obligeant à interroger les demandeurs en premier, sauf dans des cas exceptionnels. Le fait que les commissaires interrogent les demandeurs d’asile en premier risque d’amener une personne raisonnable qui connaît bien les faits et qui a étudié la question en profondeur et de façon pratique à craindre que les commissaires ne soient pas impartiaux.

[18]Je ne suis pas de cet avis. Comme je l’ai déjà mentionné, l’analyse de la teneur des principes de justice fondamentale doit tenir compte du contexte décisionnel entourant le litige. En l’espèce, le contexte comprend le modèle inquisitoire établi pour les audiences de la SPR. L’examen du contexte est aussi pertinent quand il s’agit de déterminer ce qui constitue un parti pris entraînant l’inhabilité que pour circonscrire la portée du droit d’une personne de participer au processus décisionnel : comparer avec Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, à la page 638 (obligation d’impartialité en common law).

[19]J’ai expliqué dans Thamotharem (aux paragraphes 45 à 48) pourquoi, à mon avis, les Directives no 7 ne font pas naître une crainte raisonnable de partialité au sens de la common law. Pour les mêmes raisons, je conclurais que les Directives no 7 ne violent pas l’article 7 de la Charte en créant une crainte raisonnable de partialité, individuelle ou institutionnelle. Il est question de l’indépendance des commissaires de la SPR aux paragraphes 83 à 88 des motifs donnés dans Thamotharem.

ii) Dépens

[20]Les demandes de contrôle judiciaire ou les appels introduits en application des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 [mod. par DORS/2005-339, art. 1], ne donnent pas lieu à des dépens, sauf ordonnance contraire rendue « pour des raisons spéciales » : règle 22 [mod. par DORS/2002‑232, art. 11]. À mon avis, il n’y a pas de « raisons spéciales » en l’espèce.

[21]Premièrement, il n’y a eu aucun retard injustifié dans le déroulement de l’instance, ni aucune autre erreur ou faute attribuables au ministre. Deuxièmement, bien que la contestation de la validité des Directives no 7 par les appelants soulève des questions qui peuvent influer sur le déroulement des audiences de la SPR sur une demande d’asile dans tout le pays, les appels sont tranchés sur la foi de principes juridiques bien connus. Troisièmement, même si la réunion des appels et la décision inhabituelle de dissocier les questions concernant les Directives no 7 des autres points en litige peuvent avoir compliqué la gestion de l’instance, ces deux facteurs ne justifient pas l’exercice, par la Cour, du pouvoir discrétionnaire résiduel d’adjuger des dépens dans une instance relative à l’immigration et au statut de réfugié.

[22]En dernier lieu, je constate que la Cour fédérale n’a  pas  rendu  d’ordonnance  sur  les  dépens  et que les  parties  ne  semblent pas en avoir fait la demande. En appel, les dépens ont été demandés expressément dans  seulement  deux  des mémoires des faits et du droit.

2. Questions ne concernant pas les Directives no 7

[23]Aucune des questions ne concernant pas les Directives no 7 qui ont été soulevées en l’espèce n’a été certifiée par le juge de première instance en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR. La Cour n’était pas convaincue que ces questions étaient fondées et n’a pas jugé nécessaire de demander à l’avocat du ministre d’y répondre à l’audience. Néanmoins, j’examinerai brièvement les arguments présentés relativement aux questions ne concernant pas les Directives no 7.

i) Benitez (A‑164‑06)

[24]Dans une décision rendue le 3 novembre 2004 [[2004] D.S.P.R. no 838 (QL)], la SPR a rejeté la demande d’asile de M. Benitez au motif qu’aucun élément de preuve crédible ne démontrait qu’il serait persécuté s’il était renvoyé en Colombie. En particulier, la SPR était préoccupée par certaines contradictions non expliquées touchant des faits importants entre le Formulaire de renseignements personnels de M. Benitez et son témoignage. En rejetant la demande de contrôle judiciaire de M. Benitez, le juge Gibson de la Cour fédérale a statué que la conclusion d’absence de crédibilité de la SPR n’était pas manifestement déraisonnable : Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 391.

[25]À mon avis, il n’y a aucune raison de modifier la décision du juge Gibson. Les conclusions de fait relèvent particulièrement de l’expertise de la SPR, que la conclusion se fonde sur le comportement du demandeur d’asile pendant son témoignage ou sur la manière dont il a répondu aux questions à l’audience, ou encore sur l’invraisemblance de la preuve, ce qui constitue habituellement une déduction de fait. Je rejetterais cet appel.

ii) Guirguis (A‑198‑06)

[26]Dans une décision rendue le 10 janvier 2005 [[2005] D.S.P.R. no 303 (QL)], la SPR a rejeté les demandes d’asile des membres de la famille Guirguis, des chrétiens coptes et des citoyens de l’Égypte. La SPR a jugé que les demandeurs d’asile n’avaient pas produit suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour démontrer, comme ils devaient le faire, qu’ils craignaient avec raison d’être persécutés du fait de leur religion s’ils étaient renvoyés en Égypte.

[27]La SPR a dit qu’un des incidents invoqués par les demandeurs d’asile au soutien de leurs demandes était isolé et que les éléments de preuve concernant les autres incidents étaient vagues, hypothétiques et non corroborés par des éléments de preuve indépendants, comme des rapports médicaux ou des rapports de police. En outre, la SPR a jugé que la demandeure d’asile principale répondait aux questions de façon évasive et que d’autres aspects de l’histoire des demandeurs d’asile étaient invraisemblables.

[28]Le juge Gibson a rejeté les demandes de contrôle judiciaire des appelants parce que les conclusions de fait de la SPR n’étaient pas manifestement déraisonnables et que la décision n’était pas par ailleurs viciée par une erreur susceptible de contrôle : Guirguis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 413. Il a souligné que la recherche des faits est au cœur de l’expertise particulière de la SPR et que celle‑ci ne doit pas obligatoirement, dans ses motifs, traiter de chaque élément de preuve présenté par un demandeur d’asile.

[29]En appel, l’avocat a tenté de nous persuader de substituer notre opinion sur les éléments de preuve à celle de la SPR. Or, ce n’est pas le rôle de la Cour fédérale dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire ni de la Cour dans le cadre d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision rendue en première instance. Je rejetterais l’appel.

iii) Gyankoma (A‑199‑06)

[30]L’avocat de l’appelante, Afua Gyankoma, a tenté de soulever plusieurs questions ne concernant pas les Directives no 7 qu’il n’avait pas soumises à la Cour fédérale. La seule décision rendue par la Cour fédérale à l’égard de la demande de contrôle judiciaire de Mme Gyankoma portait sur la validité des Directives no 7. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il soulevait d’autres questions pour la première fois devant la Cour, l’avocat s’est contenté de répondre qu’il avait peut‑être commis une [traduction] «erreur stratégique» en ne le faisant pas plus tôt.

[31]Un appelant ne peut généralement pas soulever de nouvelles questions en appel parce que la cour d’appel serait alors obligée de se prononcer sur une question sans bénéficier de l’opinion du tribunal inférieur. Le rôle d’une cour d’appel se limite généralement à examiner la décision de l’instance inférieure pour déterminer si une erreur justifie l’infirmation de cette décision.

[32]Il y a cependant des exceptions. Par exemple, dans Stumf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 148, la Cour a annulé le refus, par la Section du statut de réfugié (la SSR) (telle qu’elle était alors désignée), de rouvrir une décision sur le désistement, au motif qu’un représentant aurait dû être commis d’office à l’un des revendicateurs du statut de réfugié, un mineur. Ce point n’avait pas été soulevé devant la SSR ou devant la Cour fédérale lors du contrôle judiciaire. S’exprimant au nom de la Cour, la juge Sharlow a déclaré (au paragraphe 5) :

Nous avons conclu qu’il est approprié d’en tenir compte présentement, même si la question n’a jamais été soulevée auparavant. Le dossier contient tous les faits pertinents et rien ne suggère que le ministre en souffrirait préjudice si la question était examinée. D’autre part, la désignation d’un représentant dans ce dossier aurait pu influer sur l’issue du litige.

[33]Il est essentiel pour la protection des mineurs, de même que pour l’équité de l’audience, que les personnes qui sont chargées de trancher les demandes d’asile considèrent la nécessité de nommer une personne pour représenter les intérêts d’un enfant mineur, comme la loi l’exige : voir le paragraphe 167(2) de la LIPR. Dans Stumf, la SSR avait clairement omis de se conformer à son obligation à cet égard.

[34]Aucune raison comparable ne justifie en l’espèce de permettre à l’avocat de soulever des questions ne concernant pas les Directives no 7 pour la première fois devant la Cour, alors qu’il aurait pu et aurait dû le faire devant la Cour fédérale. Je rejetterais l’appel.

iv) Matheen (A‑200‑06)

[35]L’avocat d’Inthikhab Hussain Matheen n’a pas pu assister à l’audition de l’appel. Une avocate a cependant, en son nom, attiré l’attention de la Cour sur les paragraphes du mémoire des faits et du droit qu’il jugeait particulièrement importants. Même si ces paragraphes ne comprenaient pas ceux qui traitaient des questions ne concernant pas les Directives no 7, je vais en parler brièvement en m’appuyant sur les observations écrites des parties.

[36]Dans une décision rendue le 16 mars 2005 [[2005] D.S.P.R. no 96 (QL)], la SPR a rejeté la demande d’asile de M. Matheen parce qu’il n’avait produit aucune preuve crédible démontrant qu’il craignait avec raison d’être persécuté s’il était renvoyé au Sri Lanka. La SPR a conclu que M. Matheen avait inventé les incidents sur lesquels il appuyait sa demande d’asile en raison du caractère vague et contradictoire de son témoignage sur des points critiques et de l’absence d’éléments de preuve documentaire à l’appui de ses prétentions qui auraient pu et auraient dû être produits.

[37]Le juge Gibson a conclu, après avoir appliqué la norme de contrôle du caractère manifestement déraisonnable, que la preuve était amplement suffisante pour étayer les conclusions de fait de la Commission, et il a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. Matheen : Matheen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 395. Je ne vois aucune raison de modifier la décision du juge Gibson et je rejetterais l’appel.

C. CONCLUSION

[38]Pour ces motifs, je rejetterais tous les appels, à la fois sur la question concernant les Directives no 7 et sur les autres questions. Une copie des présents motifs devrait être versée dans chacun des dossiers des présents appels. Je répondrais comme suit aux questions certifiées par le juge Mosley relativement à la validité des Directives no 7 :

1. Les Directives no 7, prises en vertu du pouvoir du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, contreviennent‑elles aux principes de justice fondamentale consacrés par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés en limitant indûment le droit d’un demandeur d’asile d’être entendu et son droit à un procureur?

Réponse : Non.

2. L’application des paragraphes 19 et 23 des Directives no 7 prises par le président contrevient‑elle aux principes de justice naturelle?

Réponse : Non.

3. L’application des Directives no 7 constitue‑t‑elle une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés?

Réponse : Non.

4. Une conclusion selon laquelle les Directives no 7 entravent l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés signifie‑t‑elle nécessairement que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, sans qu’il soit tenu compte du fait que l’équité procédurale a autrement été assurée au demandeur dans ce cas particulier ou qu’il y a un autre fondement permettant de rejeter la revendication?

Réponse : Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.

5. Le rôle des commissaires de la Section de la protection des réfugiés au cours de l’interrogatoire des demandeurs d’asile, tel que prévu par les Directives no 7, donne‑t‑il lieu à une crainte raisonnable de partialité?

Réponse : Non.

6. Les Directives no 7 sont‑elles illégales parce qu’elles excèdent le pouvoir du président de donner des directives en vertu de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

Réponse : Non.

7. Quand un demandeur doit‑il soulever une objection à l’application des Directives no 7 pour être en mesure de la plaider dans le cadre d’un contrôle judiciaire?

Réponse : Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.

Le juge Décary, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[39]La juge Sharlow : Je suis d’accord avec mon collègue le juge Evans lorsqu’il dit que les appels interjetés à l’encontre de la décision du juge Mosley devraient être rejetés et qu’aucune des questions ne concernant pas les Directives no 7 soulevées dans Benitez (A‑164‑06), Guirguis (A‑198‑06), Gyankoma (A‑199‑06) et Matheen (A‑200‑06) ne justifie l’infirmation de la décision du juge Gibson.

[40]Quant aux questions certifiées, je répondrais aux questions 1, 2, 3, 4, 5 et 7 de la manière proposée par le juge Evans. Je refuserais de répondre à la question 6. Pour les motifs concordants que j’ai prononcés dans Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, je suis d’avis que, même si le président de la Commission a commis une erreur de droit en se servant du pouvoir de donner des directives qui lui est conféré à l’alinéa 159(1)h) de la LIPR pour établir une norme de pratique applicable aux audiences sur une demande d’asile, cette erreur ne justifie pas en soi que soit annulée une décision défavorable rendue à la suite d’une audience où le demandeur d’asile est tenu de répondre aux questions de l’APR ou du commissaire avant de faire valoir ses propres arguments.

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