Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

IMM-940-07

IMM-940-07

2007 CF 1069

Ikejiani Ebele Okoloubu (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié  : Okoloubu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Harrington—Montréal, 3 octobre; Ottawa, 17 octobre, 9 novembre 2007.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Motifs d’ordre humanitaire — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agente d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a affirmé ne pas avoir compétence pour trancher des questions de droit international et des questions constitutionnelles soulevées dans le cadre d’une demande de dispense d’application des conditions d’obtention d’un visa de résident permanent en vertu de l’art. 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) — Le demandeur est marié à une résidente permanente au Canada et il est père d’un enfant né au Canada, mais son casier judiciaire l’empêchait de faire partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada — Le demandeur n’a pas eu une audience équitable étant donné que l’agente a refusé d’examiner certains arguments qu’il avait avancés — L’agente d’ERAR était tenue d’examiner des questions de droit et des questions constitutionnelles puisqu’elle exerçait le pouvoir discrétionnaire du ministre au titre de l’art. 25 de la LIPR — En outre, elle n’a pas apprécié l’importance de la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l’affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), qui soulignait l’importance de tenir compte de l’intérêt des enfants dans une décision d’ordre humanitaire — Incidences de l’arrêt R. c. Hape, qui portait sur l’application extraterritoriale de la Charte dans le contexte de l’immigration — L’agente d’ERAR aurait dû se demander si le fait de renvoyer le demandeur serait contraire au droit canadien, droit qui doit être interprété conformément au droit international — Certification de la question de savoir si la compétence de l’agente d’immigration de se pencher sur la question de savoir si le renvoi serait contraire au Pacte international relatif aux droits civils et politiques — Demande accueillie.

Droit international — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agente d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a affirmé ne pas avoir compétence pour trancher des questions de droit international et des questions constitutionnelles soulevées dans le cadre d’une demande de dispense d’application des conditions d’obtention d’un visa de résident permanent en vertu de l’art. 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) — Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), la Cour suprême du Canada a déclaré que les conventions internationales n’avaient pas d’application directe en droit canadien à moins d’avoir été mises en œuvre par le Parlement, mais les valeurs qui y sont illustrées peuvent néanmoins servir pour l’interprétation du droit interne — La Cour d’appel fédérale a interprété l’art. 3(3)f) de la LIPR comme ne donnant pas aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme priorité d’application sur les dispositions incompatibles de la LIPR et elle a décrit le rôle accru donné au droit international dans l’interprétation du droit interne — Incidences de la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l’arrêt R. c. Hape, portant que les règles prohibitives du droit international coutumier sont incorporées directement au droit canadien interne en application de la common law, sans que le législateur n’ait à intervenir quant à l’applicabilité continue des principes de droit international posés dans l’arrêt Baker — Certification de la question de savoir si la compétence de l’agente d’immigration de se pencher sur la question de savoir si le renvoi serait contraire au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3, art. 3.

Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme, adoptée à la Neuvième Conférence Internationale Américaine, Bogot_, Colombie, 1948.

Déclaration universelle des droits de l’homme, Rés. AG 217 A (III), Doc. off. AGNU, 10 décembre 1948, art. 25.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(3)f), 25.

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47, préambule, art. 17, 23.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 72(2) (mod. par DORS/2004-167, art. 26).

jurisprudence citée

décisions appliquées  :

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292; 2007 CSC 26.

décision différenciée  :

Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 3 R.C.F. 169; 2006 CAF 365.

décisions examinées  :

Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358; 2002 CAF 125; de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 655; 2005 CAF 436; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2006] S.C.C.A. no 70 (QL); Trendtex Trading Corp. v. Central Bank of Nigeria, [1977] 1 Q.B. 529 (C.A.).

décisions citées  :

Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 555; 2002 CAF 475; Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada— Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202; Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 403 (1re inst.) (QL).

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agente d’examen des risques avant renvoi a affirmé ne pas avoir compétence pour trancher des questions de droit international et des questions constitutionnelles soulevées dans le cadre d’une demande de dispense d’application des conditions d’obtention d’un visa de résident permanent en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande accueillie.

ont comparu  :

Stewart Istvanffy pour le demandeur.

Patricia Nobl pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier  :

Stewart Istvanffy, Montréal, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]Le juge Harrington : Généralement, une demande de résidence permanente doit être présentée de l’extérieur du Canada. Cependant, si des motifs d’ordre humanitaire le justifient, y compris l’intérêt supérieur des enfants, l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [L.C. 2001, ch. 27] (LIPR) autorise le ministre à exempter une personne de cette condition. Le ministre ne prend pas souvent une telle décision personnellement. Il délègue plutôt cette responsabilité à quelqu’un d’autre. M. Okoloubu a demandé à être dispensé d’une telle condition. Les facteurs invoqués étaient les suivants : il est marié à une résidente permanente au Canada, qui a des problèmes de santé, et il est père d’un jeune enfant né au Canada. Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision défavorable.

[2]N’eût été sa déclaration de culpabilité au criminel, le demandeur aurait pu rester au Canada pendant l’évaluation de sa demande de visa de résident permanent. Cependant, cette déclaration de culpabilité l’empêchait de faire partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Par l’intermédiaire d’un avocat, il a invoqué la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], le Pacte international relatif aux droits civils et politiques [19 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47] et la Déclaration des droits et devoirs de l’homme [adoptée à la Neuvième Conférence Internationale Américaine, Bogotà, Colombie, 1948] de l’Organisation des États américains. Il a fait valoir que la protection de sa famille et que les droits de sa femme et de son enfant devaient être examinés adéquatement. La décideure, qui avait le titre d’agente d’examen des risques avant renvoi (ERAR), a affirmé ne pas avoir compétence pour trancher des questions de droit international et des questions constitutionnelles. Elle a également soutenu qu’une demande de dispense d’application des conditions d’obtention d’un visa de résident permanent n’était pas le recours qui convenait [traduction] « pour résoudre de telles questions juridiques complexes touchant l’interprétation de la Constitution » et [traduction] que « la question de savoir si le renvoi du demandeur constitue un manquement au droit international ne sera pas traitée dans la présente décision ».

[3]L’agente d’ERAR a admis que l’intérêt des enfants doit être bien cerné et défini conformément à la loi (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.F.); Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 555 (C.A.F.)). Elle a affirmé à juste titre que l’intérêt supérieur des enfants est un facteur important auquel il faut accorder une attention considérable, mais que cet intérêt ne l’emporte pas sur les autres facteurs; il n’est pas déterminant. Elle a également fait remarquer que l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant [20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3] est invoqué dans la décision Baker.

[4]Dans Legault, la Cour d’appel a noté ce qui suit au paragraphe 12 :

Ce n’est pas parce que l’intérêt des enfants voudra qu’un parent qui se trouve illégalement au Canada puisse demeurer au Canada […] que le ministre devra exercer sa discrétion en faveur de ce parent.

Il appartient au ministre et, en l’espèce, à l’agente d’ERAR, de décider du poids à accorder aux différents facteurs invoqués. Ce n’est pas le rôle des tribunaux.

[5]M. Okoloubu n’a donc pas eu une audience équitable étant donné que l’agente a refusé d’examiner certains arguments qu’il avait avancés. Cela ne veut pas dire que l’examen de ces arguments aboutirait nécessairement à un résultat précis, mais comme la Cour suprême l’a affirmé dans Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643 [à la page 661], la négation du droit à une audience équitable rend une décision invalide. « Il n’appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d’hypothèses sur ce qu’aurait pu être le résultat de l’audition. » La décision était de nature discrétion-naire, mais fondée sur l’application d’un principe erroné (Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2). Il ne s’agit pas d’une affaire pour laquelle un seul résultat était possible (Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada—Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202).

LE DROIT INTERNATIONAL

[6]Les articles 17 et 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le Canada a ratifié mais sur lequel il ne s’est pas fondé pour légiférer, prévoient que la famille est l’élément naturel et fondamental de la société et qu’elle a droit à la protection de l’État. Un enfant [article 24] « a droit, de la part de sa famille, de la société et de l’État, aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur ». La Déclaration des droits et devoirs de l’homme de l’Organisation des États américains, qui en fait précède le Pacte, n’est pas réellement un traité. Sa portée n’est pas plus vaste que celle du Pacte ou de la Convention relative aux droits de l’enfant. Le Canada est membre de l’Organisation des États américains.

[7]L’observation de M. Okoloubu selon laquelle [traduction] « le fait d’expulser le père d’un enfant, qui habite avec la mère canadienne de cet enfant, constitue une atteinte arbitraire à la vie familiale et n’est pas en harmonie avec la notion de société démocratique » est mal fondée en droit. Cependant, il faut souligner que Mme Baker et Mme Hawthorne étaient des mères seules et que M. Legault était divorcé de sa première épouse et séparé de sa deuxième conjointe. L’agente d’ERAR a estimé qu’elle n’avait pas compétence pour trancher des questions de droit international et qu’une demande de dispense d’application des conditions d’obtention d’un visa de résident permanent n’était pas le recours qui convenait pour régler des questions juridiques complexes. Toutefois, en se référant à Baker, elle semble estimer que la Cour pourrait prendre ces questions en considération lors du contrôle judiciaire et ensuite renvoyer l’affaire au ministre pour qu’il procède à un nouvel examen conformément aux motifs exposés.

[8]Cependant, dans l’arrêt Baker, la Cour a noté que le décideur était le ministre ou son délégué et que «[l]e ministre a une certaine expertise par rapport aux tribunaux en matière d’immigration, surtout en ce qui concerne les dispenses d’application des exigences habituelles » (paragraphe 59).

.

[9]À mon avis, l’agente d’ERAR n’a pas apprécié l’importance de l’arrêt Baker. Dans ses motifs, la juge L’Heureux‑Dubé, qui parlait également au nom des juges Gonthier, McLachlin (maintenant juge en chef), Bastarache et Binnie, a traité du droit international aux paragraphes 69, 70 et 71. Elle a affirmé qu’un « indice de l’importance de tenir compte de l’intérêt des enfants dans une décision d’ordre humanitaire [était] la ratification par le Canada de la Convention relative aux droits de l’enfant », qui reflète la Déclaration universelle des droits de l’homme [Rés. AG 217 A (III), Doc. off. AGNU, 10 décembre 1948], qui à son tour reconnaît que [article 25] « l’enfance [a] droit à une aide et à une assistance spéciales ». Bien qu’une convention non mise en œuvre par le Parlement n’avait pas d’application directe en droit canadien, les valeurs qui y étaient illustrées pouvaient néanmoins servir pour l’interprétation du droit interne.

[10]Comme pour la Convention relative aux droits de l’enfant, le Canada est également un pays signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est évident que l’article 25 de la Loi peut donner lieu à la prise en compte de ce traité.

[11]La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés actuelle fut adoptée à la suite de l’arrêt Baker. L’alinéa 3(3)f) prévoit que « [l’]interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet [. . .] de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire ». Cet alinéa a été examiné par la Cour d’appel fédérale dans de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 655; l’autorisation d’appel à la Cour suprême a été refusée [[2006] S.C.C.A. no 70 (QL)]. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Evans a conclu que cet alinéa ne donnait pas aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme priorité d’application sur les dispositions incompatibles de la LIPR. Cependant, aux paragraphes 62 et suivants, il décrit l’évolution de la common law et le rôle accru donné au droit international dans l’interprétation du droit interne.

[12]Quelles sont donc les incidences de l’arrêt récemment rendu par la Cour suprême dans l’affaire R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292, qui portait sur l’application extraterritoriale de la Charte dans le contexte de l’immigration? Le juge LeBel recourt à la méthode de l’adoption pour la réception du droit international coutumier, par laquelle [au paragraphe 36] « [l]es règles prohibitives du droit international coutumier [sont] incorporées directement au droit interne en application de la common law, sans que le législateur n’ait à intervenir ».

[13]Il a affirmé ce qui suit au paragraphe 39 :

Malgré ce silence de notre Cour dans certaines affaires récentes, la doctrine de l’adoption n’a jamais été rejetée au Canada. En fait, un fort courant jurisprudentiel la reconnaît formellement ou, du moins, l’applique. À mon avis, conformément à la tradition de la common law, il appert que la doctrine de l’adoption s’applique au Canada et que les règles prohibitives du droit international coutumier devraient être incorporées au droit interne sauf disposition législative contraire. L’incorporation automatique des règles prohibitives du droit international coutumier se justifie par le fait que la coutume internationale, en tant que droit des nations, constitue également le droit du Canada à moins que, dans l’exercice légitime de sa souveraineté, celui‑ci ne déclare son droit interne incompatible. La souveraineté du Parlement permet au législateur de contrevenir au droit international, mais seulement expressément. Si la dérogation n’est pas expresse, le tribunal peut alors tenir compte des règles prohibitives du droit international coutumier pour interpréter le droit canadien et élaborer la common law.

[14]Il a également fait mention des motifs de jugement exposés par lord Denning dans Trendtex Trading Corp. c. Central Bank of Nigeria, [1977] 1 Q.B. 529 (C.A.). Le juge LeBel affirme ce qui suit au paragraphe 36 :

Lord Denning y a examiné la doctrine de l’adoption et celle de la transformation, suivant laquelle le Parlement doit mettre en oeuvre une règle de droit international pour qu’un tribunal interne puisse l’appliquer. À son avis, la doctrine de l’adoption est celle qu’il convient d’appliquer en droit anglais. Les règles du droit international et leurs modifications sont automatiquement incorporées, à moins qu’elles n’entrent en conflit avec une loi. Je cite un extrait de ses motifs (p. 554):

[traduction] Il est certain que le droit international évolue. Tout comme la terre, selon l’expression employée par Galilée : « Et pourtant elle bouge ». Le droit international évolue et les tribunaux ont tenu compte de cette évolution sans que le Parlement n’ait à intervenir. . .

…Constatant que les règles du droit international ont changé — et continuent d’évoluer — et que les tribunaux ont donné effet à ces changements sans qu’une seule loi du Parlement n’ait dû être adoptée, il s’ensuit inexorablement, selon moi, que les règles du droit international applicables à un moment donné font partie de notre droit anglais. Il s’ensuit aussi qu’une décision de notre cour sur la règle de droit international applicable il y a 50 ou 60 ans ne lie plus notre cour aujourd’hui. Il n’y a pas de stare decisis en droit international. Si elle est aujourd’hui convaincue qu’une règle de droit international n’est plus la même qu’il y a 50 ou 60 ans, la cour peut prendre acte de la nouvelle règle — et l’incorporer au droit anglais — sans attendre que la Chambre des lords ne le fasse.

[15]L’arrêt Baker doit‑il être réévalué en fonction de l’arrêt Hape? L’intégrité familiale devrait‑elle être réévaluée même si l’expulsion d’un membre de la famille provoque presque toujours une rupture et un déchirement? (Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 403 (1re inst.) (QL)).

[16]Comme le juge LeBel l’a mentionné, et comme il ressort de l’arrêt Baker, non seulement la conformité au droit international est un principe d’interprétation de notre droit interne, mais encore nos tribunaux se sont appuyés sur le droit international pour interpréter la Charte canadienne des droits et libertés.

[17]Le ministre soutient qu’un agent d’ERAR n’a pas compétence pour trancher des questions de droit complexes. Il s’est fondé sur l’arrêt Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 3 R.C.F. 169 dans lequel la Cour d’appel fédérale affirme ce qui suit, au paragraphe 56 :

La Cour reconnaît que les agents d’ERAR rendent des décisions extrêmement importantes et que, pour un nombre appréciable de gens, l’évaluation qui est faite à l’étape de l’ERAR est susceptible de constituer le dernier examen des risques dont ils peuvent faire l’objet avant leur expulsion. Toutefois, compte tenu des considérations susmentionnées et du fait que la LIPR confère expressément à d’autres organes décisionnels le pouvoir d’examiner des questions de droit et des questions constitutionnelles, je suis d’accord avec le juge de première instance et avec le juge Russell (voir le jugement Singh) pour dire qu’un agent d’ERAR n’a pas la compétence implicite pour examiner des questions de droit et qu’il n’a notamment pas la compétence implicite pour déclarer inopérants des paragraphes de la LIPR dont l’application entraînerait une violation des droits garantis à une personne en vertu de la Charte.

[18]Cette affaire est nettement différente de l’espèce. Ici, l’agente ne procédait pas à un examen des risques avant renvoi. Elle exerçait le pouvoir discrétionnaire du ministre au titre de l’article 25 de la Loi. Comme dans l’arrêt Baker, le ministre était obligé d’examiner des questions de droit et des questions constitutionnelles. Il en allait de même pour l’agente.

[19]Pour résumer, l’agente a mal caractérisé la question. Elle aurait dû se demander si le fait de renvoyer M. Okoloubu serait contraire au droit canadien, ce droit devant si possible être interprété conformément au droit international. Vu l’affaire Hape, une autre question se pose. Étant donné que dans le préambule du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui est entré en vigueur en mars 1976, on emploie les termes « considérant », « reconnaissant » et « prenant en considération le fait » pour indiquer que les États parties « conviennent » de certains principes, ces principes sont‑ils alors des règles prohibitives du droit international coutumier qui ont été incorporées directement au droit interne, sans qu’il y ait eu intervention législative?

[20]Tel que discuté à l’audience, les incidences de l’arrêt Hape devraient être examinées avec soin par une instance supérieure. Le ministre a jusqu’au 27 octobre 2007 pour soumettre une question ou des questions de portée générale qui serviraient de fondement à un appel devant la Cour d’appel fédérale. Le demandeur aura sept jours pour y répondre. Par la suite, une ordonnance sera émise. Aucune des remarques qui sont faites dans la présente ordonnance ne doit être considérée comme une acceptation ou un rejet des autres parties de la décision. L’affaire sera renvoyée pour un tout nouvel examen sur la base de novo, qui fera le point sur l’état de santé de l’épouse de M. Okoloubu et sur sa situation financière.

ORDONNANCE

VU LES MOTIFS DE LA COUR rendus le 17 octobre 2007;

ET VU les observations écrites des parties concernant la présentation d’une question grave à certifier;

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.         L’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il effectue un nouvel examen sur la base de novo conformément aux motifs exposés.

3.         Aux fins de l’article 74 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la question grave de portée générale qui suit est certifiée et énoncée  :

Est-ce qu’un agent d’immigration chargé de l’évaluation d’une demande présentée en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (pour une exemption de l’obligation de présenter une demande de visa d’immigrant de l’extérieur du Canada) a compétence pour décider si le renvoi d’un demandeur contrevient au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, plus particulièrement à ses articles 17, 23 et 24?

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.