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[2008] 3 R.C.F. 248

DES-4-06

2007 CF 766

Le procureur général du Canada (demandeur)

c.

Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar et Maher Arar (défendeurs)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar) (C.F.)

Cour fédérale, juge Noël—Ottawa, (téléconférences) 25 avril et 14 mai 2007; (audiences publiques) 30 avril et 23 mai 2007; (audiences ex parte (à huis clos)) 1er, 2, 3 et 23 mai 2007; 24 juillet 2007.

Droit administratif — Demande présentée en application de l’art. 38.04 de la Loi sur la preuve au Canada (LPC) pour obtenir une ordonnance interdisant la divulgation de certaines parties expurgées du rapport public présenté par la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar au motif que la divulgation de ces renseignements porterait préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale — Maher Arar, un Canadien d’origine syrienne, a été expulsé vers la Syrie par des fonctionnaires américains alors qu’il transitait par un aéroport de la ville de New York — Il a été emprisonné, interrogé et torturé en Syrie — Une commission publique d’enquête a été établie pour enquêter et faire rapport sur les actions des responsables canadiens relativement à la détention et à l’expulsion de Maher Arar — Après l’enquête, le commissaire a préparé un rapport confidentiel et un rapport public — Le gouvernement contestait la divulgation de 1500 mots du rapport public — Pour établir si des renseignements peuvent être divulgués en vertu de l’art. 38.04 de la LPC, la Cour doit appliquer les critères exposés dans l’art. 38.06 — Une fois déposé auprès du gouverneur en conseil, le rapport qu’une commission prépare à la suite d’une enquête devient un document confidentiel du Conseil privé — C’est donc l’exécutif qui détient le pouvoir intégral de décider s’il convient ou non de rendre public le rapport final — A été autorisée la divulgation des renseignements dont la divulgation a été jugée non préjudiciable et à l’égard desquels les raisons d’intérêt public justifient la divulgation alors que les renseignements restants étaient visés par une ordonnance interdisant leur divulgation — Demande accueillie en partie.

Preuve — Demande présentée en application de l’art. 38.04 de la Loi sur la preuve au Canada (LPC) pour obtenir une ordonnance interdisant la divulgation de certaines parties expurgées du rapport public présenté par la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar au motif que la divulgation de ces renseignements porterait préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale — Les conclusions du commissaire sur la question de savoir si les renseignements en cause pouvaient être divulgués ne devaient bénéficier d’aucune retenue — La Cour devait appliquer les critères énoncés à l’art. 38.06 de la LPC pour établir si la divulgation des renseignements en cause devait être interdite — Le régime de l’art. 38.06 oblige la Cour à appliquer un critère en trois volets : 1) la partie qui sollicite la divulgation doit établir la pertinence des renseignements dont elle souhaite la divulgation; 2) le procureur général doit démontrer que la divulgation des renseignements en cause serait préjudiciable aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale; 3) si la Cour conclut à l’éventualité d’un préjudice, elle doit se demander si les raisons d’intérêt public qui militent pour la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui militent contre la divulgation, et donc si les renseignements en cause devraient être divulgués — La dernière étape porte sur l’appréciation de nombreux facteurs, notamment l’étendue du préjudice qui serait subi si les renseignements étaient divulgués, l’importance du principe de la publicité des débats judiciaires, etc. avant de prendre une décision — Examen de la règle des tiers et de l’ « effet de mosaïque ».

Renseignement de sécurité — Demande présentée en application de l’art. 38.04 de la Loi sur la preuve au Canada pour obtenir une ordonnance interdisant la divulgation de certaines parties expurgées du rapport public présenté par la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar au motif que la divulgation de ces renseignements porterait préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale — L’expression « sécurité nationale » s’entend au minimum de la préservation du mode de vie canadien, notamment de la protection de la sécurité des personnes, des institutions et des libertés au Canada — Examen des moyens pouvant rendre recevables les allégations fondées sur la sécurité nationale — La règle des tiers (entente entre des parties qui échangent des renseignements selon laquelle la partie qui communique les renseignements conserve un droit de regard sur leur divulgation et l’utilisation ultérieures) est essentielle pour garantir le bon fonctionnement des organisations modernes chargées du renseignement ou de l’application de la loi — La gravité du préjudice pouvant résulter d’un manquement à la règle des tiers pourra être mesurée lorsque le juge chargé du contrôle mettra en balance les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation et les raisons d’intérêt public qui justifient la non-divulgation.

Il s’agissait d’une demande présentée en application de l’article 38.04 de la Loi sur la preuve au Canada (LPC) pour obtenir une ordonnance interdisant la divulgation de certaines parties expurgées du rapport public présenté par la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar au motif que la divulgation de ces renseignements porterait préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale. Deux jugements ont été rendus, soit un jugement public et un jugement ex parte (à huis clos).

Le défendeur, Maher Arar, est un Canadien d’origine syrienne qui a été arrêté par des fonctionnaires américains alors qu’il transitait par l’aéroport international John F. Kennedy à New York et qui a été détenu pendant 12 jours. Il a ensuite été expulsé vers la Syrie et a été emprisonné pendant près de un an. Pendant son emprisonnement, il a été interrogé, torturé et détenu dans des conditions dégradantes et inhumaines. Il est par la suite revenu au Canada et l’épreuve qu’il a vécue a été largement commentée par les médias. La Commission publique d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar a été établie au moyen d’un décret pour enquêter et faire rapport sur les actions des responsables canadiens relativement à la détention et à l’expulsion de M. Arar et pour formuler des recommandations sur la création d’un mécanisme d’examen indépendant des activités de la GRC liées à la sécurité nationale. La demande en l’espèce ne concernait que le rapport public exposant les conclusions du commissaire dans l’enquête sur les faits. Le mandat, qui a établi la commission publique, conférerait au commissaire de larges pouvoirs sur les règles de procédure qui allait régir l’enquête. En application du mandat, le commissaire avait accès à tous les renseignements qu’il jugeait nécessaires pour enquêter pleinement sur les événements entourant l’affaire Maher Arar, mais les renseignements pouvant préjudicier aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale ne seraient pas divulgués sauf autorisation préalable du gouvernement. Plus précisément, l’alinéa k) du mandat précisait la manière dont la Commission allait gérer les renseignements devant rester secrets pour raison de sécurité nationale. À la suite de la principale audience, le gouvernement a contesté la communication d’environ 1 500 mots du rapport d’enquête sur les faits destiné au public. En outre, la Commission a préparé un rapport confidentiel. Lorsque le commissaire a envoyé au Conseil privé le rapport public dans lequel il a indiqué que les renseignements expurgés du rapport étaient des renseignements qui pouvaient être communiqués au public et qui étaient nécessaires pour une description objective des faits entourant l’affaire Arar, le gouvernement a déposé la demande en l’espèce. Comme la Cour fédérale a récemment statué que les dispositions précisant que les demandes au titre de l’article 38 de la LPC doivent être instruites à huis clos contrevenaient au principe de la publicité des débats judiciaires, principe inscrit dans l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, le contenu du dossier « privé » de la demande visée en l’espèce a été revu, et les documents qui pouvaient être classifiés comme documents « publics » sont devenus partie du dossier public, tandis que les renseignements et documents sensibles sont demeurés dans un dossier ex parte.

Il fallait déterminer si les conclusions du commissaire sur la question de savoir si les renseignements pouvant être divulgués pouvaient bénéficier de retenue judiciaire et ce qui était visé par certains des concepts en jeu.

Jugement : la demande doit être accueillie en partie.

Les conclusions du commissaire sur la question de savoir si les renseignements en cause pouvaient être divulgués ne devaient bénéficier d’aucune retenue étant donné le texte du mandat, le rôle de la Commission et sa structure, et enfin le texte de l’article 38 de la LPC. Lorsque la Cour fédérale est saisie d’une demande par laquelle elle est priée de dire si des renseignements peuvent être divulgués en vertu de l’article 38.04, c’est elle qui décide, après application des critères exposés dans l’article 38.06, si les renseignements en cause devraient ou non être divulgués. D’après les articles 38.04 et 38.06 de la LPC, le rôle de la Cour consiste à dire si des renseignements donnés peuvent être divulgués; cette obligation judiciaire ne peut être déléguée. Néanmoins, il ressort clairement de la jurisprudence que le rôle de la Cour selon l’article 38 de la LPC ne consiste pas à procéder au contrôle judiciaire d’une décision de divulguer des renseignements.

En règle générale, une commission agit indépendamment du gouvernement lorsqu’elle mène son enquête et lorsqu’elle présente ensuite son rapport sur ses conclusions et recommandations. Toutefois, en application de l’alinéa 39(2)a) de la LPC, le rapport d’une commission, une fois déposé auprès du gouverneur en conseil, devient un document confidentiel du Conseil privé. C’est donc l’exécutif qui détient le pouvoir intégral de décider s’il convient ou non de rendre public le rapport final d’une commission. En l’espèce, l’exécutif a décidé d’expurger environ 1 500 mots du rapport public avant de présenter une demande pour obtenir une ordonnance interdisant la divulgation des passages expurgés.

La Cour devait appliquer le régime de l’article 38.06 de la LPC pour savoir s’il était opportun d’interdire la divulgation des renseignements en cause en l’espèce. Le régime de l’article 38.06 oblige la Cour à appliquer un critère en trois volets. Dans un premier temps, la partie qui sollicite la divulgation doit démontrer que les renseignements dont elle souhaite la divulgation sont pertinents. Le mandat de la Commission Arar exposait en détail la manière dont elle devait traiter les renseignements protégés. Selon le mandat, la Commission pouvait recevoir des renseignements sensibles, en application de l’alinéa 38.01(6)d) et du paragraphe 38.01(8) de la LPC. Il fallait donc évaluer le facteur de la pertinence en tenant compte du caractère exceptionnel et de l’utilité des commissions d’enquête pour le gouvernement et pour le public. L’alinéa k) du mandat, ainsi que ses sous-alinéas, investissaient le commissaire du pouvoir de veiller à ce que les renseignements sensibles ne soient pas divulgués, et ils établissaient la procédure qu’il devait suivre pour savoir si des renseignements pouvaient être divulgués dans le respect de l’article 38 de la LPC. Chacun des passages expurgés du rapport public de la Commission était pertinent. Le commissaire a clairement dit que les renseignements expurgés étaient pertinents aux fins de son rapport et son avis comptait pour quelque chose.

Dans un deuxième temps, le procureur général doit démontrer que la divulgation des renseignements en cause serait préjudiciable aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale. L’article 38 de la LPC définit l’expression « renseignements potentiellement préjudiciables » et utilise la phrase « sont susceptibles de porter préjudice » aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales tandis que l’article 38.06 utilise les mots « porterait préjudice ». L’emploi des mots « porterait préjudice » par le législateur signale que, selon l’article 38.06 de la LPC, le gouvernement doit convaincre le juge chargé du contrôle que le préjudice allégué est une probabilité, et non simplement une possibilité ou une conjecture. Pour qu’il y ait « préjudice », il doit y avoir un détriment, un dommage ou une perte. Les « renseignements préjudiciables aux relations internationales » s’entendent des renseignements qui, s’ils étaient divulgués, seraient préjudiciables aux relations du Canada avec des nations souveraines. Contrairement à l’expression « défense nationale », dont la définition est largement comprise comme signifiant « les moyens pris par une nation pour se protéger contre ses ennemis », le sens de l’expression « sécurité nationale » demeure imprécis. Cette expression s’entend au minimum de la préservation du mode de vie canadien, notamment de la protection de la sécurité des personnes, des institutions et des libertés au Canada.

Pour bien comprendre les allégations fondées sur la sécurité nationale qui sont en cause en l’espèce, il fallait connaître certains des moyens pouvant rendre recevables ces allégations. La Cour s’est penchée sur certains de ces moyens, notamment la règle des tiers et l’effet de mosaïque.

Les organismes d’application de la loi et les agences de renseignements se rapportent à la règle des tiers pour garantir le flux constant de renseignements. Il s’agit d’une entente conclue entre parties qui échangent des renseignements selon laquelle la partie qui communique les renseignements conserve un droit de regard sur la divulgation et l’utilisation ultérieures des renseignements. Les organismes qui reçoivent des renseignements en application de cette règle promettent de ne pas divulguer les renseignements qu’ils reçoivent sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de la source. Cette règle est essentielle pour garantir le bon fonctionnement des organisations modernes chargées du renseignement ou de l’application de la loi. Passer outre à la règle des tiers risquerait de causer un préjudice et de compromettre le flux des renseignements que reçoit le Canada. Lorsqu’on se demande si la divulgation de renseignements causera un préjudice, il importe également de considérer la nature de la relation du Canada avec l’agence de renseignement ou l’agence d’application de la loi d’où proviennent les renseignements. La gravité du préjudice pouvant résulter d’un manquement à la règle des tiers pourra être mesurée à la faveur du troisième volet du critère de l’article 38.06 lorsque le juge chargé du contrôle mettra en balance les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation et les raisons d’intérêt public qui justifient la non-divulgation.

Le principe de l’effet de mosaïque pose que des renseignements, qui, pris isolément, paraissent sans signification ou sans valeur, pourraient, combinés les uns aux autres, donner une bonne idée des renseignements qui sont protégés. Cependant, l’effet de mosaïque ne saurait en général, par lui-même, constituer une raison suffisante d’empêcher la divulgation de ce qui semblerait pouvoir par ailleurs être qualifié de renseignement anodin. D’autres preuves seront en général nécessaires pour convaincre la Cour qu’un renseignement particulier, s’il était divulgué, serait préjudiciable aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale. Le simple fait d’alléguer un « effet de mosaïque » ne suffit pas.

Enfin, si la Cour conclut à l’éventualité d’un préjudice, elle doit, selon le dernier volet du critère prévu à l’article 38.06, se demander si les raisons d’intérêt public qui militent pour la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui militent contre la divulgation, et donc si les renseignements en cause devraient être divulgués. Le juge n’entreprendra en principe une telle analyse que s’il conclut à la probabilité de préjudice pour les relations internationales, la défense nationale ou la sécurité nationale. Dans le cas présent, qui concerne une commission d’enquête, la divulgation de ces renseignements ne serait pas préjudiciable. De nombreux facteurs doivent être appréciés dans le cadre de la mise en balance des deux ensembles de raisons d’intérêt public, notamment la pertinence des renseignements expurgés, l’étendue du préjudice qui serait subi si les renseignements étaient divulgués, l’importance du principe de la publicité des débats judiciaires et le point de savoir s’il y a des intérêts supérieurs en jeu, par exemple des droits de la personne. Ce n’est qu’une fois ces facteurs dûment étudiés et mis en balance qu’une décision touchant la divulgation peut être prise. En l’espèce, a été autorisée la divulgation des renseignements dont la divulgation a été jugée non préjudiciable et à l’égard desquels les raisons d’intérêt public justifient la divulgation alors que les renseignements restants ont été visés par une ordonnance interdisant leur divulgation.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2b).

Décret C.P. 2004-48.

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 15.

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 38 (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 141(4), 38.01 (édicté, idem, art. 43), 38.02 (édicté, idem, art. 43, 141(5)), 38.04 (édicté, idem, art. 43, 141(7)), 38.06 (édicté, idem, art. 43), 38.11 (édicté, idem), 38.12 (édicté, idem), 39 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 5(F)).

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21.

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 2 (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 89).

Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11.

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47, art. 19.

Principes de Johannesbourg : Sécurité nationale, liberté d’expression et accès à l’information, Doc. NU E/CN.4/1996/39 (1996).

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97; Canada (Procureur général) c. Ribic, [2005] 1 R.C.F. 33; 2003 CAF 246; Canada (Procureur général) c. Khawaja, [2008] 1 R.C.F. 547; 2007 CF 490; Jose Pereira E Hijos, S.A. c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 470; Babcock c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 3; 2002 CSC 57.

DÉCISION DIFFÉRENCIÉE :

Canada (Procureur général) c. Ribic, [2005] 1 R.C.F. 33; 2003 CAF 246 (quant aux faits).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Toronto Star Newspapers Ltd. c. Canada, [2007] 4 R.C.F. 434; 2007 CF 128; Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3; 2002 CSC 75; K.F. Evans Ltd. c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), [1997] A.C.F. no 30 (1re inst.) (QL); Attorney-General v. Guardian Newspapers Ltd. (No. 2), [1990] 1 A.C. 109 (H.L.); Carey c. Ontario, [1986] 2 R.C.S. 637; Commonwealth of Australia v. John Fairfax & Sons Ltd. (1980), 147 C.L.R. 39 (H.C. Aust.); Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589 (C.A.); Secretary of States for the Home Department v. Rehman, [2001] UKHL 47; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350; 2007 CSC 9; Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 C.F. 229 (1re inst.); conf. par [1992] A.C.F. no 100 (C.A.) (QL).

DÉCISIONS CITÉES :

Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; 2002 CSC 1; United States v. Reynolds, 345 U.S. 1 (1953).

DOCTRINE CITÉE

Black’s Law Dictionary, 7e éd. St. Paul, Minn. : West Group, 1999, « injury ».

Cohen, Stanley. Privacy, Crime and Terror : Legal Rights and Security in a Time of Peril, Markham : LexisNexis Canada, 2005.

Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar. Rapport sur les événements concernant Maher Arar : Analyse et recommandations, Ottawa : La Commission, 2006. en ligne : <http://www.commissionarar.ca>.

Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar. Rapport sur les événements concernant Maher Arar : Les faits, vol. I, Ottawa : La Commission, 2006. en ligne : <http://www.commissionarar.ca>.

Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar. Décision relative à la confidentialité, 29 juillet 2004. en ligne : <http://www.commissionarar.ca>.

Dictionnaire de droit québécois et canadien avec lexique anglais-français, 2e tirage. Montréal : Wilson & Lafleur, 1996, « préjudice », « préjudiciable ».

Forcese, Craig. “Through a Glass Darkly : The Role and Review of ‘National Security’ Concepts in Canadian Law” (2006), 43 Alta. L. Rev. 963.

Oxford English Dictionary, 2e éd. Oxford : Clarendon Press, 1989, « injury ».

Petit Robert 1 : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris : Le Robert, 1992. « préjudice », « préjudiciable ».

DEMANDE présentée en application de l’article 38.04 de la Loi sur la preuve au Canada pour obtenir une ordonnance interdisant la divulgation de certaines parties expurgées du rapport public présenté par la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar au motif que la divulgation de ces renseignements porterait préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale. Demande accueillie en partie.

ONT COMPARU :

Alain Préfontaine pour le demandeur.

Paul J. J. Cavalluzzo, Veena Verma et Ronald George Atkey pour la défenderesse la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar.

Lorne Waldman et Marlys A. Edwardh pour le défendeur Maher Arar.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar, Ottawa, pour la défenderesse la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar.

Waldman & Associates, Toronto, pour le défendeur Maher Arar.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Noël : Le procureur général du Canada sollicite, en application de l’article 38.04 [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 141(7)] de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5 (la LPC), une ordonnance de la Cour fédérale interdisant la divulgation de certaines portions expurgées du rapport public présenté par la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar (la Commission ou l’Enquête), au motif que la divulgation de ces renseignements porterait préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale. Il s’agit ici du jugement public. Un jugement parallèle ex parte (à huis clos) a également été rendu aujourd’hui. Dans ledit jugement, j’ai appliqué aux faits particuliers du dossier les principes qui sont expliqués dans le présent jugement.

1.         Le contexte et les faits

A)        Lancement de l’Enquête

[2]        Maher Arar est un citoyen canadien qui n’a jamais été accusé d’une infraction criminelle au Canada, aux États-Unis ou en Syrie. Le 26 septembre 2002, alors qu’il transitait par l’aéroport international John F. Kennedy à New York, M. Arar a été arrêté et détenu par des fonctionnaires américains durant 12 jours. Il a ensuite été expulsé, contre son gré, vers la Syrie, son pays d’origine. M. Arar a été emprisonné en Syrie durant près de un an, période durant laquelle il fut interrogé, torturé et détenu dans des conditions dégradantes et inhumaines. Le 5 octobre 2003, M. Arar est revenu au Canada. Cette affaire a été largement commentée par les médias et a suscité des interrogations sur le rôle qu’avaient pu jouer les fonctionnaires canadiens dans la détention de M. Arar aux États-Unis, dans son expulsion vers la Syrie, ainsi que dans son incarcération en Syrie et dans le traitement qu’il a subi durant cette période.

[3]        Le 5 février 2004, après recommandation de la vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, le gouverneur en conseil a pris le décret C.P. 2004-48 (mandat). Le mandat établissait une commission publique d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar, aux termes de la partie I de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11. L’honorable Dennis O’Connor, juge en chef adjoint de l’Ontario, fut nommé commissaire. Son mandat était double : a) enquêter et faire rapport sur les actions des responsables canadiens relativement à la détention et à l’expulsion de Maher Arar (l’enquête sur les faits); et b) formuler des recommandations sur la création d’un mécanisme d’examen indépendant des activités de la Gendarmerie royale du Canada liées à la sécurité nationale (l’examen de la politique). Par décret ultérieur en date du 12 février 2004, l’Enquête fut ajoutée à l’annexe de la LPC, où sont énumérées les entités qui peuvent recevoir des renseignements susceptibles de porter préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale, sans devoir en informer le procureur général comme le requiert l’article 38.01 [édicté, idem, art. 43] de la LPC.

[4]        Il importe de noter que la présente demande ne concerne que le rapport public exposant les conclusions du commissaire dans l’enquête sur les faits.

B)        Mandat du commissaire

[5]        Le juge Cory, s’exprimant pour les juges majoritaires dans un arrêt de la Cour suprême du Canada, Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, décrivait ainsi, au paragraphe 62, l’objet et l’intérêt d’une commission d’enquête :

L’une des principales fonctions des commissions d’enquête est d’établir les faits. Elles sont souvent formées pour découvrir la « vérité », en réaction au choc, au sentiment d’horreur, à la désillusion ou au scepticisme ressentis par la population. Comme les cours de justice, elles sont indépendantes; mais au contraire de celles-ci, elles sont souvent dotées de vastes pouvoirs d’enquête. Dans l’accomplissement de leur mandat, les commissions d’enquête sont, idéalement, dépourvues d’esprit partisan et mieux à même que le Parlement ou les législatures d’étudier un problème dans la perspective du long terme. Les cyniques dénigrent les commissions d’enquête, parce qu’elles seraient un moyen utilisé par le gouvernement pour faire traîner les choses dans des situations qui commanderaient une prompte intervention. Pourtant, elles peuvent remplir, et remplissent de fait, une fonction importante dans la société canadienne. Dans les périodes d’interrogation, de grande tension et d’inquiétude dans la population, elles fournissent un moyen d’informer les Canadiens sur le contexte d’un problème préoccupant pour la collectivité et de prendre part aux recommandations conçues pour y apporter une solution. Le statut et le grand respect dont jouit le commissaire, ainsi que la transparence et la publicité des audiences, contribuent à rétablir la confiance du public non seulement dans l’institution ou la situation visées par l’enquête, mais aussi dans l’ensemble de l’appareil de l’État. Elles constituent un excellent moyen d’informer et d’éduquer les citoyens inquiets.

[6]        Le mandat de la Commission au regard de l’enquête sur les faits imposait au commissaire :

a) de faire enquête et de faire rapport sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar (l’enquête sur les faits), notamment en ce qui concerne :

(i) la détention de M. Arar aux États-Unis,

(ii) son expulsion vers la Syrie via la Jordanie,

(iii) son emprisonnement et le traitement qu’il a subi en Syrie,

(iv) son retour au Canada,

(v) toute autre question directement liée à M. Arar que le commissaire juge utile à l’accomplissement de son mandat.

[7]        Pour permettre au commissaire de remplir pleinement ses fonctions, le mandat lui conférait de larges pouvoirs sur les règles de procédure qui allaient régir l’Enquête. Parmi les paramètres les plus importants que devait suivre la commission, il y avait les suivants :

e) que le commissaire soit autorisé à adopter les procédures et méthodes qui lui paraîtront indiquées pour la conduite de l’enquête et à siéger aux moments et aux endroits au Canada qu’il jugera opportuns;

f) que le commissaire soit autorisé à donner à la personne qui le convainc qu’elle a un intérêt direct et réel dans l’objet de l’enquête sur les faits la possibilité, au cours de celle-ci, de témoigner ou d’interroger et de contre-interroger tout témoin, personnellement ou par l’intermédiaire d’un avocat, à l’égard de la preuve l’intéressant;

[…]

k) que le commissaire reçoive instruction de prendre, au cours de l’enquête, les mesures nécessaires pour prévenir la divulgation de renseignements qui, s’ils étaient divulgués, porteraient selon lui préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales et, s’il y a lieu, de tenir les audiences conformément à la procédure suivante :

(i) à la demande du procureur général du Canada, le commissaire reçoit à huis clos et en l’absence de toute personne qu’il désigne les renseignements qui, s’ils étaient divulgués, porteraient selon lui préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales,

(ii) afin de maximiser la diffusion de renseignements pertinents pour le public, le commissaire peut diffuser une partie des renseignements communiqués pendant la partie de l’audience tenue à huis clos, ou un résumé de ceux-ci, après avoir avisé le procureur général du Canada et lui avoir donné l’occasion d’émettre ses commentaires,

(iii) si le commissaire est d’avis que les renseignements diffusés aux termes du sous-alinéa (ii) sont insuffisants pour le public, il peut en aviser le procureur général du Canada, l’avis étant réputé un avis prévu à l’article 38.01 de la Loi sur la preuve au Canada;

l) que le commissaire reçoive instruction de rédiger tout rapport destiné au public en prenant les mesures nécessaires pour prévenir la divulgation de renseignements qui, s’ils étaient divulgués, porteraient selon lui préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales;

[8]        En application du mandat qui lui était assigné, le commissaire avait accès à tous les renseignements qu’il jugerait nécessaire pour enquêter pleinement sur les événements entourant l’affaire Maher Arar, mais les renseignements pouvant préjudicier aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale ne seraient pas divulgués sauf autorisation préalable du gouvernement. Plus précisément, l’alinéa k) du mandat précise la manière dont la Commission allait gérer les renseignements devant rester secrets pour raison de sécurité nationale.

[9]        Par décision du 29 juillet 2004 relative aux renseignements confidentiels, le commissaire faisait savoir qu’il appliquerait le critère qu’un juge chargé du contrôle appliquerait en vertu du paragraphe 38.06(2) [édicté, idem] de la LPC lorsqu’il serait appelé à dire si des renseignements prétendument confidentiels pour raison de sécurité nationale devraient ou non être divulgués en application de l’alinéa k) du mandat. À la page 16 de la décision [Décision relative à la confidentialité, 29-07-04, le commissaire écrivait ce qui suit (la décision est accessible en ligne à l’adresse suivante : <http://www.ararcommission.ca>) :

[…] j’estime que la procédure présentée dans le Mandat [alinéa k)] envisage que je devrais, à ce stade, appliquer le même critère qu’un juge chargé du contrôle appliquerait en vertu du paragraphe 38.06(2) de la Loi sur la preuve au Canada.

Le gouvernement n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision du 29 juillet 2004 du commissaire.

C)        Protection des renseignements sensibles

[10]      Le commissaire a élaboré et publié des règles de fonctionnement (les règles), en application du pouvoir que lui conférait l’alinéa e) du mandat. Les règles exposaient en détail la méthode à suivre pour la recevabilité de preuves dont la nature secrète serait alléguée pour raison de sécurité nationale. Selon les règles, le commissaire devait convoquer une audience à huis clos pour entendre tous les témoignages à l’égard desquels le gouvernement alléguait la confidentialité pour raison de sécurité nationale. Après l’audition de tous les témoignages à huis clos, le commissaire devait statuer périodiquement sur la validité de l’argument alléguant le caractère confidentiel d’une preuve pour raison de sécurité nationale. Comme je l’ai dit plus haut, le commissaire allait rendre les décisions de ce genre en appliquant le critère qu’un juge chargé du contrôle appliquerait en vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC.

[11]      Les règles prévoyaient aussi que le commissaire pouvait nommer un conseiller juridique indépendant qui agirait en qualité d’amicus curiae au cours des audiences à huis clos, pour étudier, dans un contexte contradictoire, les arguments du gouvernement selon lesquels telle ou telle preuve devait être tenue confidentielle pour raison de sécurité nationale. Le commissaire a nommé M. Ron Atkey à titre d’amicus curiae, à cause de son expérience étendue des questions de sécurité nationale, et en raison du fait qu’il avait occupé la charge de ministre fédéral de l’Emploi et de l’Immigration et celle de président du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS). M. Atkey était assisté de M. Gordon Cameron, qui lui aussi a une expérience étendue des questions de sécurité nationale, puisqu’il a été durant plus de 10 ans un avocat externe du CSARS. Il convient aussi de noter que M. Atkey était l’un des avocats du commissaire dans la présente demande.

[12]      Après avoir présidé des audiences au cours desquelles des témoins du gouvernement se sont exprimés sur la validité des allégations de confidentialité fondées sur la sécurité nationale, la Commission a aussi entendu le témoignage de M. Reid Morden, un ancien directeur du SCRS [Service canadien du renseignement de sécurité] et ancien sous-ministre des Affaires étrangères, qui connaît bien tout ce qui concerne les questions de confidentialité au titre de la sécurité nationale. M. Morden a été engagé comme conseiller et témoin expert chargé d’aider le commissaire dans les décisions touchant la divulgation. Dans l’accomplissement de ses tâches, M. Morden a passé en revue les renseignements dont le gouvernement affirmait le caractère confidentiel pour raison de sécurité nationale, ainsi que les motifs allégués à l’appui du caractère confidentiel de tels renseignements, puis il a témoigné sur les possibles conséquences préjudiciables que risquait d’entraîner la divulgation de tels renseignements.

[13]      À la suite de la principale audience convoquée par le commissaire pour recueillir les témoignages, l’avocat du gouvernement a engagé une série de pourparlers avec le commissaire à propos des renseignements que le commissaire pourrait souhaiter inclure dans le rapport d’enquête sur les faits. Ces pourparlers ont permis de résoudre la grande majorité des contestations portant sur les renseignements qui ne pouvaient pas être divulgués pour raison de sécurité nationale. Néanmoins, après lesdits pourparlers, il restait certains passages qui, affirmait le gouvernement, devaient être soustraits à la divulgation pour raison de sécurité nationale, mais qui, insistait le commissaire, devaient être révélés au public. Ces passages ont été examinés par de hauts fonctionnaires du gouvernement, notamment plusieurs sous-ministres, ce qui a conduit le gouvernement à autoriser la divulgation de certains passages, nonobstant les conséquences préjudiciables possibles d’une telle divulgation. Les ministres ont ensuite été mis au fait des passages expurgés restants, et ils ont décidé de ne pas autoriser leur divulgation, bien que le commissaire fût d’avis que leur divulgation était conforme à l’intérêt public et restait nécessaire pour une description objective des faits entourant l’affaire Arar. Pour l’heure, environ 99,5 p. 100 du rapport public ont été révélés au public, et seule la communication d’environ 1 500 mots est contestée.

[14]      Dans le rapport public, les passages qui d’après le gouvernement doivent être soustraits à la divulgation sont désignés par [***], sans égard au fait que la désignation puisse remplacer un mot, une phrase ou un paragraphe. La décision d’utiliser cette désignation a été prise par le gouvernement, mais cela a déclenché une polémique, car par le passé le gouvernement a jugé bon de masquer des textes renfermant des renseignements sensibles, notamment durant l’Enquête, au cours de laquelle le gouvernement avait décidé de masquer des renseignements sensibles contenus dans ses pièces publiques.

[15]      Il importe aussi de noter que le commissaire s’est déclaré satisfait du contenu du rapport public. Il écrivait à divers endroits du rapport public qu’il était satisfait des conclusions de l’enquête sur les faits, et cela malgré l’expurgation des 1 500 mots. Il écrivait que le rapport donnait une bonne idée des épreuves qu’avait traversées M. Arar. À la page 10 du volume du rapport public intitulé Rapport sur les événements concernant Maher Arar : Analyse et recommandations, le commissaire écrivait ce qui suit :

Le processus d’enquête sur les faits a été exhaustif et approfondi, et je suis convaincu d’avoir été capable d’examiner toute l’information canadienne pertinente dans le cadre du mandat […] Le processus était compliqué à cause de la nécessité de garder confidentielle une partie de l’information pertinente pour protéger les intérêts touchant la sécurité nationale et les relations internationales […] Toutefois, je suis heureux d’indiquer que je suis capable de publier toutes mes conclusions et recommandations, y compris celles qui sont fondées sur la preuve entendue durant les audiences à huis clos.

Aux pages 11 et 12 du volume I intitulé Rapport sur les événements concernant Maher Arar : Les faits, le commissaire fait l’affirmation suivante, qui est sans équivoque :

Une bonne part des témoignages recueillis durant l’enquête ont été reçus lors d’audiences à huis clos. Cependant, une importante partie des témoignages à huis clos peut être divulguée en public sans compromettre la confidentialité liée à la sécurité nationale. C’est pourquoi ce rapport contient un résumé plus détaillé des témoignages que ce n’aurait été le cas dans une enquête publique où toutes les audiences sont ouvertes au public et toutes les transcriptions des témoignages sont aisément accessibles. Bien que certains éléments aient été omis pour protéger la sécurité nationale et les intérêts relevant des relations internationales, le commissaire estime que ce compte rendu expurgé n’omet aucun détail essentiel et constitue une bonne base pour comprendre ce qui est arrivé à M. Arar, d’après les sources canadiennes officielles.

Enfin, il faut noter que certaines portions de cette version publique ont été expurgées à la demande du gouvernement pour des raisons de confidentialité liées à la sécurité nationale que le commissaire n’accepte pas. Ce différend sera réglé de façon définitive après la publication de cette version publique. L’information expurgée pourra être divulguée à l’avenir, en tout ou en partie, après le règlement final du différend entre le gouvernement et la Commission. [Non souligné dans l’original; notes de bas de pages omises.]

Par ailleurs, à la page 328 du volume intitulé Analyse et recommandations, le commissaire écrivait ce qui suit :

La Commission d’enquête a maintenant terminé ses travaux et je suis confiant d’avoir été en mesure d’aller au fond des questions soulevées par le mandat, puisque j’ai eu accès à tous les documents pertinents malgré les réclamations CSN. Dans le présent rapport, j’ai divulgué de l’information qui n’était pas disponible lors des audiences publiques.

D)        Avis de communication du commissaire

[16]      La Commission a rédigé deux rapports distincts après la conclusion de l’enquête sur les faits : un rapport confidentiel, qui comprend des renseignements sensibles pouvant être préjudiciables aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale; et un rapport public, qui a été diffusé le 18 septembre 2006. Comme je l’écris plus haut, le gouvernement n’était pas d’accord avec quelques-uns des renseignements contenus dans le rapport public et il a donc décidé d’expurger certaines portions du rapport au motif que la divulgation desdites portions du rapport causerait un préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale du Canada.

[17]      Le 18 septembre 2006, le commissaire envoyait au Conseil privé le rapport public, en détaillant les conclusions de l’enquête sur les faits. Le commissaire joignait au rapport une lettre adressée au greffier du Conseil privé, dans laquelle il écrivait que les renseignements expurgés du rapport étaient des renseignements qui pouvaient être communiqués au public et qui étaient nécessaires pour une description objective des faits entourant l’affaire Arar. Le gouvernement a réagi en déposant la présente demande, en application de l’article 38.04 de la LPC, demande dans laquelle il prie la Cour d’interdire la divulgation des portions expurgées du rapport public, au motif qu’elles renferment des renseignements qui, s’ils sont divulgués, risquent de préjudicier aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale.

[18]      Le 26 septembre 2006, le sous-ministre adjoint principal de la Justice informait le commissaire que le procureur général avait reçu avis, conformément au paragraphe 38.02(1.1) [édicté, idem] de la LPC, que des renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables allaient sans doute être divulgués dans le cadre de l’Enquête et que [traduction] « en conséquence, le commissaire, ayant signifié un avis en ce sens le 18 septembre 2006, est libre de divulguer les renseignements à l’expiration d’un délai de 10 jours » (dossier de demande du procureur général, affidavit de Simon Fothergill, pièce C, page 30).

[19]      Le même jour, le sous-procureur général écrivait au commissaire pour l’informer que le gouvernement s’apprêtait à déposer une demande devant la Cour fédérale, en application de l’article 38.04 de la LPC, afin d’obtenir une ordonnance interdisant à la Commission de divulguer les renseignements expurgés.

2.         Survol de la procédure

[20]      Le 6 décembre 2006, le procureur général a déposé la présente demande auprès de la Cour fédérale, en vertu de l’article 38.04 de la LPC, afin d’interdire la divulgation des portions expurgées du rapport public du commissaire.

[21]      Conformément à l’article 38.11 [édicté, idem] de la LPC, le dossier de demande tout entier était au départ de nature confidentielle. Le 20 décembre 2006, le juge en chef Lutfy, avec l’assentiment du procureur général, a rendu une ordonnance autorisant la publication de certains documents versés dans le dossier. Il convient de noter que, contrairement à la plupart des autres affaires faisant intervenir l’article 38 [mod., idem, art. 43, 141(4)] de la LPC, l’un des défendeurs (la Commission) a eu accès à l’intégralité du dossier et a participé à toutes les procédures à huis clos, puisque l’avocat de la Commission avait accès à tous les renseignements en cause au cours de l’Enquête. Ainsi, seul le défendeur Maher Arar s’est vu refuser l’accès aux documents « confidentiels » et a été exclu de l’audience tenue à huis clos.

[22]      Le 5 février 2007, le juge en chef Lutfy a rendu son jugement dans l’affaire Toronto Star Newspapers Ltd. c. Canada, [2007] 4 R.C.F. 434 (le jugement Toronto Star). Dans son jugement, le juge en chef s’est référé à un arrêt de la Cour suprême du Canada, Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, où des dispositions semblables à l’article 38.11 de la LPC, contenues dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, furent jugées d’une portée excessive sur le plan constitutionnel. Dans son jugement, le juge en chef a conclu que les dispositions selon lesquelles les demandes au titre de l’article 38 de la LPC doivent être instruites à huis clos contrevenaient à l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte), et qu’elles ne pouvaient pas être justifiées par l’article premier de la Charte. Plus précisément, le juge en chef Lutfy estimait que l’effet combiné des paragraphes 38.04(4), 38.11(1) et 38.12(2) [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43] de la LPC constituait une atteinte au principe de la publicité des débats judiciaires, principe inscrit dans l’alinéa 2b) de la Charte, et que cette atteinte ne pouvait pas être justifiée par l’article premier (jugement Toronto Star, aux paragraphes 39 et 70 à 72). Selon le juge en chef, le redressement qui s’impose pour corriger cette atteinte à la Charte consisterait à donner une interprétation atténuante des dispositions contestées de la LPC, de façon à ce qu’elles ne s’appliquent qu’aux observations ex parte dont parle le paragraphe 38.11(2) de la LPC (jugement Toronto Star, au paragraphe 83). En conséquence de ce jugement, le contenu du dossier « privé » de la présente demande a été revu, et les documents qui pouvaient être classifiés comme documents « publics » sont devenus partie du dossier public, tandis que les renseignements et documents sensibles sont demeurés dans un dossier ex parte (à huis clos).

[23]      Le 30 avril 2007, la Cour a consacré la journée tout entière à l’audition d’observations publiques dans cette affaire. Par la suite, de nombreuses journées ont été consacrées à la présentation d’observations ex parte (à huis clos) (en l’absence du défendeur Maher Arar et de son avocat).

[24]      Après que la Cour eut demandé que soient réexaminés les affidavits ex parte (à huis clos) déposés dans l’affaire, vu le jugement rendu et l’approche adoptée par le juge en chef Lutfy dans l’affaire Toronto Star, l’avocat du procureur général a écrit à la Cour le 10 mai 2007 pour l’informer que le procureur général et la Commission avaient consenti à la divulgation de cinq affidavits ex parte (à huis clos), si certains passages de ces cinq affidavits demeuraient expurgés. Le 14 mai 2007, la Cour a donc procédé à la communication publique des versions expurgées de certains des affidavits ex parte (à huis clos), à savoir celui de M. Reid Morden, celui du surintendant principal Richard Evans, celui de M. Geoffrey O’Brian, celui de X (un représentant anonyme de la GRC), et celui de M. Daniel Livermore. Ces affidavits sont devenus partie du dossier public. Leur contenu est examiné dans la section « Analyse » du présent jugement.

[25]      En réponse à la communication de ces affidavits, la Cour a convoqué une audience publique le matin du 23 mai 2007 pour permettre au défendeur, Maher Arar, de faire des représentations sur les affidavits ainsi communiqués. Après cette audience, l’audience ex parte (à huis clos) a repris. Elle a pris fin ce même jour.

[26]      Je mentionne également que j’ai prié les avocats des deux parties de dire si le rapport confidentiel de la Commission, qui fut présenté au Conseil privé, devrait être mis à la disposition de la Cour. Les parties ont accédé à cette requête, et le rapport confidentiel de la Commission a été mis à la disposition de la Cour.

[27]      Comme je l’ai dit précédemment, j’ai décidé de rédiger dans cette affaire à la fois un jugement public et un jugement ex parte (à huis clos). Le jugement public traitera des principes généraux en cause dans la présente demande, tandis que le jugement ex parte (à huis clos) appliquera les principes exposés plus en détail dans le jugement public aux renseignements particuliers qui sont en cause dans la présente demande.

3.         Cadre législatif (le critère judiciaire à observer)

[28]      Par souci d’exhaustivité et à des fins de référence, je reproduis ci-après les dispositions de la LPC qui intéressent tout particulièrement la présente demande [art. 38.02 (mod., idem, art. 43, 141(5)].

38.01 (1) Tout participant qui, dans le cadre d’une instance, est tenu de divulguer ou prévoit de divulguer ou de faire divulguer des renseignements dont il croit qu’il s’agit de renseignements sensibles ou de renseignements potentiellement préjudiciables est tenu d’aviser par écrit, dès que possible, le procureur général du Canada de la possibilité de divulgation et de préciser dans l’avis la nature, la date et le lieu de l’instance.

[…]

38.02 (1) Sous réserve du paragraphe 38.01(6), nul ne peut divulguer, dans le cadre d’une instance :

a) les renseignements qui font l’objet d’un avis donné au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4);

b) le fait qu’un avis est donné au procureur général du Canada au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4), ou à ce dernier et au ministre de la Défense nationale au titre du paragraphe 38.01(5);

c) le fait qu’une demande a été présentée à la Cour fédérale au titre de l’article 38.04, qu’il a été interjeté appel d’une ordonnance rendue au titre de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) relativement à une telle demande ou qu’une telle ordonnance a été renvoyée pour examen;

d) le fait qu’un accord a été conclu au titre de l’article 38.031 ou du paragraphe 38.04(6).

(1.1) Dans le cas où une entité mentionnée à l’annexe rend, dans le cadre d’une application qui y est mentionnée en regard de celle-ci, une décision ou une ordonnance qui entraînerait la divulgation de renseignements sensibles ou de renseignements potentiellement préjudiciables, elle ne peut les divulguer ou les faire divulguer avant que le procureur général du Canada ait été avisé de ce fait et qu’il se soit écoulé un délai de dix jours postérieur à l’avis.

(2) La divulgation des renseignements ou des faits visés au paragraphe (1) n’est pas interdite :

a) si le procureur général du Canada l’autorise par écrit au titre de l’article 38.03 ou par un accord conclu en application de l’article 38.031 ou du paragraphe 38.04(6);

b) si le juge l’autorise au titre de l’un des paragraphes 38.06(1) ou (2) et que le délai prévu ou accordé pour en appeler a expiré ou, en cas d’appel ou de renvoi pour examen, sa décision est confirmée et les recours en appel sont épuisés.

[…]

38.04 (1) Le procureur général du Canada peut, à tout moment et en toutes circonstances, demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance portant sur la divulgation de renseignements à l’égard desquels il a reçu un avis au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4).

[…]

(4) Toute demande présentée en application du présent article est confidentielle. Sous réserve de l’article 38.12, l’administrateur en chef du Service administratif des tribunaux peut prendre les mesures qu’il estime indiquées en vue d’assurer la confidentialité de la demande et des renseignements sur lesquels elle porte.

(5) Dès que la Cour fédérale est saisie d’une demande présentée au titre du présent article, le juge :

a) entend les observations du procureur général du Canada — et du ministre de la Défense nationale dans le cas d’une instance engagée sous le régime de la partie III de la Loi sur la défense nationale — sur l’identité des parties ou des témoins dont les intérêts sont touchés par l’interdiction de divulgation ou les conditions dont l’autorisation de divulgation est assortie et sur les personnes qui devraient être avisées de la tenue d’une audience;

b) décide s’il est nécessaire de tenir une audience;

c) s’il estime qu’une audience est nécessaire :

(i) spécifie les personnes qui devraient en être avisées,

(ii) ordonne au procureur général du Canada de les aviser,

(iii) détermine le contenu et les modalités de l’avis;

d) s’il l’estime indiqué en l’espèce, peut donner à quiconque la possibilité de présenter des observations.

[…]

38.06 (1) Le juge peut rendre une ordonnance autorisant la divulgation des renseignements, sauf s’il conclut qu’elle porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales.

(2) Si le juge conclut que la divulgation des renseignements porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, mais que les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non-divulgation, il peut par ordonnance, compte tenu des raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation ainsi que de la forme et des conditions de divulgation les plus susceptibles de limiter le préjudice porté aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, autoriser, sous réserve des conditions qu’il estime indiquées, la divulgation de tout ou partie des renseignements, d’un résumé de ceux-ci ou d’un aveu écrit des faits qui y sont liés.

(3) Dans le cas où le juge n’autorise pas la divulgation au titre des paragraphes (1) ou (2), il rend une ordonnance confirmant l’interdiction de divulgation.

(3.1) Le juge peut recevoir et admettre en preuve tout élément qu’il estime digne de foi et approprié — même si le droit canadien ne prévoit pas par ailleurs son admissibilité — et peut fonder sa décision sur cet élément.

(4) La personne qui veut faire admettre en preuve ce qui a fait l’objet d’une autorisation de divulgation prévue au paragraphe (2), mais qui ne pourra peut-être pas le faire à cause des règles d’admissibilité applicables à l’instance, peut demander à un juge de rendre une ordonnance autorisant la production en preuve des renseignements, du résumé ou de l’aveu dans la forme ou aux conditions que celui-ci détermine, dans la mesure où telle forme ou telles conditions sont conformes à l’ordonnance rendue au titre du paragraphe (2).

(5) Pour l’application du paragraphe (4), le juge prend en compte tous les facteurs qui seraient pertinents pour statuer sur l’admissibilité en preuve au cours de l’instance.

4.         Questions en litige

A)        La question de la retenue judiciaire

B)        Quelques-uns des principes et concepts en jeu

5.         Analyse

A)        La question de la retenue judiciaire

[29]      Les défendeurs font tous deux valoir que la Cour devrait montrer de la retenue envers les décisions du commissaire pour ce qui concerne les renseignements qui peuvent être divulgués. Dans ses arguments, la Commission utilise l’approche pragmatique et fonctionnelle pour dire que les conclusions du commissaire sur la question de savoir si certains renseignements peuvent être divulgués, nonobstant la confidentialité revendiquée par le gouvernement au titre de la sécurité nationale, devraient être revues selon la norme de la décision raisonnable.

[30]      Le procureur général, pour sa part, n’a pas directement abordé, dans ses arguments, la question de la retenue judiciaire envers les conclusions du commissaire. Toutefois, l’avocat du procureur général s’est exprimé sur cet aspect lors de l’audience publique. Dans ses arguments verbaux, le procureur général a fait valoir que les conclusions du commissaire sur la question de savoir si les renseignements en cause peuvent être divulgués ne devraient bénéficier d’aucune retenue, étant donné le texte du mandat de la Commission, le rôle de la Commission et sa structure, et enfin le texte de l’article 38 de la LPC.

[31]      Je partage l’avis du procureur général. La position des défendeurs n’est pas convaincante sur ce point. La LPC est claire : lorsque la Cour fédérale est saisie d’une demande par laquelle elle est priée de dire si des renseignements peuvent être divulgués en vertu de l’article 38.04, c’est elle qui décide, après application des critères exposés dans l’article 38.06, si les renseignements en cause devraient ou non être divulgués. D’après les articles 38.04 et 38.06 de la LPC, le rôle de la Cour consiste à dire si des renseignements donnés peuvent être divulgués. Cette obligation judiciaire ne peut pas être déléguée. Ainsi, si la Cour devait déférer aux conclusions du commissaire comme le voudraient les défendeurs, cela équivaudrait pour elle à abdiquer son rôle et à se soustraire à ses obligations aux termes de la LPC.

[32]      Cela dit, il ressort tout aussi clairement de la jurisprudence que le rôle de la Cour selon l’article 38 de la LPC ne consiste pas à procéder au contrôle judiciaire d’une décision de divulguer des renseignements. Ainsi que l’écrivait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ribic, [2005] 1 R.C.F. 33 (arrêt Ribic) [au paragraphe 15] :

Il importe de se rappeler que la procédure introduite en application de l’article 38.04 de la Loi pour que soit rendue une ordonnance portant sur la divulgation de renseignements n’est pas une procédure de contrôle judiciaire. Ce n’est pas une procédure destinée à réformer une décision du procureur général de ne pas divulguer des renseignements sensibles. L’interdiction de divulguer des renseignements sensibles est une interdiction édictée par l’alinéa 38.02(1)a) [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43] de la Loi […] [Non souligné dans l’original.]

Ce point a aussi été confirmé récemment par le juge Mosley dans la décision Canada (Procureur général) c. Khawaja, [2008] 1 R.C.F. 547 (C.F.), au paragraphe 61 (le jugement Khawaja).

[33]      Pour autant, la Cour est tout à fait consciente que la Commission a examiné en détail les aspects évoqués dans son mandat. Par ailleurs, elle reconnaît aussi que le point de vue exprimé par le commissaire dans ses décisions, tout comme ses rapports ultérieurs, sont précieux pour le jugement qui doit être rendu dans la présente demande.

[34]      En règle générale, une commission agit indépendamment du gouvernement lorsqu’elle mène son enquête et lorsqu’elle présente ensuite son rapport sur ses conclusions et recommandations. Toutefois, en application de l’alinéa 39(2)a) de la LPC, le rapport d’une commission, une fois déposé auprès du gouverneur en conseil, devient un document confidentiel du Conseil privé. C’est donc l’exécutif qui détient le pouvoir intégral de décider s’il convient ou non de rendre public le rapport final d’une commission. Néanmoins, il va sans dire que, si l’exécutif décide de ne pas rendre public le rapport d’une commission, il lui faudra certainement s’en expliquer devant le public canadien.

[35]      Dans le cas qui nous intéresse, l’exécutif, agissant sur l’avis des ministres consultés, a décidé d’expurger environ 1 500 mots du rapport public que le commissaire a remis au Conseil privé. L’exécutif a ensuite pris des mesures, en application de l’article 38 de la LPC, pour obtenir de la Cour une ordonnance interdisant la divulgation des passages expurgés.

[36]      C’est là la situation à laquelle donne lieu la présente demande. Je crois qu’il est nécessaire de rappeler que la Cour a eu, comme ce n’est pas le cas pour d’autres demandes fondées sur l’article 38, l’avantage d’évaluer sous divers angles les audiences ex parte (à huis clos), étant donné que la Commission et le procureur général ont tous deux présenté des arguments au cours de telles audiences. J’ai entendu s’exprimer à la fois le demandeur et l’un des défendeurs, et cela peut être utile pour rendre jugement. Cela dit, la Cour accomplira maintenant à tous égards l’intégralité de ses obligations selon la LPC.

B)        Quelques-uns des principes et concepts en jeu

I)          Le critère en trois volets de l’arrêt Ribic

[37]      Les parties reconnaissent que la Cour doit appliquer le régime de l’article 38.06 de la LPC pour savoir s’il est opportun d’interdire la divulgation des renseignements en cause dans la présente demande. Le régime de l’article 38.06 oblige la Cour à appliquer un critère en trois volets, qui a été précisé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ribic, aux paragraphes 17 à 21. Dans un premier temps, la partie qui sollicite la divulgation doit démontrer que les renseignements dont elle souhaite la divulgation sont pertinents. Dans un deuxième temps, le procureur général doit démontrer que la divulgation des renseignements en cause serait préjudiciable aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale. Et finalement, si la Cour conclut à l’éventualité d’un préjudice, elle doit se demander si les raisons d’intérêt public qui militent pour la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui militent contre la divulgation, et donc si les renseignements en cause devraient être divulgués.

[38]      Je crois qu’il est important de souligner que l’arrêt Ribic de la Cour d’appel fédérale n’est nullement remis en cause dans le présent jugement. Toutes les parties s’accordent à dire qu’il faut appliquer le cadre établi dans l’arrêt Ribic pour savoir si les renseignements en cause dans la présente demande peuvent être divulgués. Cela dit, les faits à l’origine de l’arrêt Ribic sont très différents des faits à l’origine de la présente demande. En l’espèce, nous avons affaire à une commission d’enquête dont le mandat est d’enquêter sur les actions de fonctionnaires canadiens dans l’affaire Arar, tandis que, dans l’arrêt Ribic, il s’agissait de savoir quels renseignements devaient être divulgués dans un procès criminel parmi ceux qu’avaient fournis deux témoins. À mon avis, les intérêts en jeu sont différents dans ces deux contextes : dans un procès criminel, c’est le droit d’une personne à la liberté et à la sécurité qui est en jeu, tandis qu’une commission d’enquête joue un rôle exceptionnel et utile car elle cherche à établir des faits afin d’informer le public et de présenter des recommandations au gouvernement à propos d’une situation de crise, pour ainsi rétablir la confiance du public dans l’action gouvernementale.

[39]      Par conséquent, j’appliquerai le critère de l’arrêt Ribic, tout en m’efforçant de l’adapter au contexte, étant donné les particularités de la présente demande, c’est-à-dire que ce à quoi nous avons affaire ici, c’est une enquête publique.

II)         La pertinence des renseignements expurgés

[40]      Le premier volet du critère de l’article 38.06 oblige la partie qui sollicite la divulgation des renseignements à prouver que les renseignements en cause sont « très probablement des éléments de preuve pertinents » (Ribic, au paragraphe 17). Selon la Cour d’appel fédérale, il s’agissait là, à ce stade, d’un seuil de faible niveau (Ribic, au paragraphe 17). Puis la Cour d’appel écrivait que cette première étape reste une étape nécessaire parce que, si les renseignements ne sont pas pertinents, l’analyse prévue par l’article 38.06 prendra fin (Ribic, au paragraphe 17).

[41]      Je rappelle que, contrairement à l’affaire Ribic, qui était un procès criminel, la présente demande concerne une commission d’enquête. Pour ce qui intéresse la Commission Arar, le mandat de cette commission expose en détail la manière dont elle doit traiter les renseignements protégés. Selon le mandat, la Commission peut recevoir des renseignements sensibles, en application de l’alinéa 38.01(6)d) et du paragraphe 38.01(8) de la LPC. Par conséquent, dans le cas qui nous occupe, il faut évaluer le facteur de la pertinence en tenant compte du caractère exceptionnel et de l’utilité des commissions d’enquête pour le gouvernement et pour le public.

[42]      Comme je l’ai expliqué précédemment, l’alinéa k) du mandat, ainsi que ses sous-alinéas, investissent le commissaire du pouvoir de veiller à ce que les renseignements sensibles ne soient pas divulgués, et ils établissent la procédure qu’il doit suivre pour savoir si des renseignements peuvent être divulgués, tout cela dans le respect de l’article 38 de la LPC. À cette fin, le commissaire peut envisager la diffusion d’un résumé des témoignages entendus à huis clos et, si le commissaire estime qu’un tel résumé est insuffisant, il peut en aviser le demandeur. Un tel avertissement constitue un avis aux termes de l’article 38.01 de la LPC. C’est à la suite de cette procédure que le procureur général du Canada a déposé la présente demande auprès de la Cour.

[43]      Selon le procureur général, le contenu des passages expurgés du rapport public est étranger aux attributions de la Commission, et le commissaire n’a jamais expliqué la pertinence de tels renseignements.

[44]      Pour sa part, le commissaire, dans sa décision ex parte (à huis clos), a considéré le facteur de la pertinence au moment d’examiner les raisons d’intérêt public qui justifiaient la divulgation. Dans sa décision, le commissaire expliquait que certains des renseignements en cause, s’ils étaient divulgués, aideraient le public à comprendre ses recommandations. La lecture des trois volumes du rapport du commissaire montre que l’Enquête a porté sur un bon nombre des questions d’intérêt public soulevées par la présente demande, dont les suivantes : les questions touchant les droits de la personne dans les relations avec d’autres pays; l’utilisation par le Canada de renseignements obtenus au moyen de méthodes discutables telles que la torture; et les pratiques internationales en matière de partage des renseignements suite aux événements du 11 septembre 2001.

[45]      Ayant examiné chacun des passages expurgés du rapport public de la Commission, sachant que le seuil à observer pour établir la pertinence de renseignements est de faible niveau et enfin gardant à l’esprit les propos tenus par le juge Cory, de la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Phillips, précité, sur l’importance des commissions d’enquête, en particulier le paragraphe 62 de cet arrêt, reproduit au paragraphe 5 du présent jugement, je conclus à la pertinence des passages expurgés. Après tout, le commissaire a clairement dit que les renseignements expurgés étaient pertinents aux fins de son rapport. Son avis en la matière n’est certainement pas anodin. Je relève aussi que les conclusions du commissaire quant à la pertinence des renseignements peuvent aussi avoir une certaine utilité pour le troisième volet du critère de l’arrêt Ribic, parce que parfois plus les renseignements expurgés sont pertinents, plus grandes seront les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation. Inversement, les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation seront d’autant moins convaincantes que les renseignements expurgés seront moins pertinents. Naturellement, la « pertinence » doit être mise en balance avec d’autres facteurs avant qu’une décision finale ne soit rendue en matière de divulgation.

III)        Signification du concept de « préjudice »

[46]      La seconde étape du régime de l’article 38.06 consiste pour la Cour à dire si la divulgation serait préjudiciable aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale. C’est en principe l’exécutif, après examen des renseignements, qui décide si la divulgation serait préjudiciable ou non. Il est bien établi en droit, au Canada comme dans de nombreux autres pays régis par la common law, que les tribunaux doivent montrer de la retenue à l’égard des décisions de l’exécutif pour ce qui concerne les questions de sécurité nationale, de défense nationale et de relations internationales, parce que le pouvoir exécutif détient davantage de connaissances spécialisées en ces matières que le pouvoir judiciaire (arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 33; arrêt Ribic, au paragraphe 19; United States v. Reynolds, 345 U.S. 1 (1953), à la page 10 (Cour suprême des États-Unis); Secretary of States for the Home Department v. Rehman, [2001] UKHL 47, au paragraphe 31 (Chambre des lords)). Le juge Létourneau, de la Cour d’appel fédérale, écrivait ce qui suit au paragraphe 18 de l’arrêt Ribic : « Il est de règle qu’il n’appartient pas au juge de reconsidérer l’avis du pouvoir exécutif ni de lui substituer son propre avis ». Tout aussi pertinentes sont les observations suivantes faites par lord Hoffmann, de la Chambre des lords, dans un post-scriptum [au paragraphe 62] de l’arrêt Rehman, précité :

[traduction] […] en matière de sécurité nationale, le prix de l’erreur peut être élevé. Cette constatation fait selon moi ressortir la nécessité pour le pouvoir judiciaire de respecter les décisions des ministres du gouvernement […] Non seulement le pouvoir exécutif a accès à des sources d’information et d’expertise particulières en la matière, mais ces décisions, susceptibles d’avoir de graves répercussions sur la collectivité, doivent avoir une légitimité qui ne peut exister que si elles sont confiées à des personnes responsables devant la collectivité dans le cadre du processus démocratique. Pour que la population accepte les conséquences de ces décisions, elles doivent être prises par des personnes que la population a choisies et qu’elle peut écarter.

[47]      Cela dit, à ce stade, c’est à la partie qui s’oppose à la divulgation qu’il appartient de convaincre la Cour que la divulgation serait préjudiciable aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale (Ribic, au paragraphe 21; Khawaja, au paragraphe 65). Selon la jurisprudence, pour pouvoir conclure que la divulgation porterait préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale, le juge chargé du contrôle doit être persuadé que l’avis de l’exécutif sur le préjudice éventuel repose sur des faits attestés par la preuve (Ribic, au paragraphe 18). En outre, dans l’arrêt Ribic, la Cour d’appel fédérale, utilisant le vocabulaire de la norme de contrôle, écrit que « [s]i l’évaluation qu’il [le procureur général] fait du préjudice est raisonnable, le juge doit l’accepter » (Ribic, au paragraphe 19).

[48]      Étant donné qu’il appartient au procureur général de prouver que la divulgation serait préjudiciable aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale, la question devient la suivante : qu’est-ce qu’un « préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale »? J’ai tenté de donner une signification à ce concept dans les paragraphes qui suivent.

[49]      L’article 38 de la LPC donne la définition suivante de l’expression « renseignements potentiellement préjudiciables » :

38. […]

« renseignements potentiellement préjudiciables » Les renseignements qui, s’ils sont divulgués, sont susceptibles de porter préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales. [Je souligne.]

Fait intéressant à noter, cette définition emploie l’expression « sont susceptibles de porter préjudice », tandis que l’article 38.06 de la LPC dispose que le juge doit dire si la divulgation des renseignements « porterait préjudice » aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale. Dans l’arrêt Jose Pereira E. Hijos, S.A. c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 470, au paragraphe 14, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée sur le sens de ces deux mots dans le contexte de la LPC :

L’avocat des appelants a également soutenu que même s’il est possible de dire que les parties D et E de l’attestation de M. Buckley ont effectivement été adoptées par l’intimé, l’attestation est en soi défectueuse parce qu’il n’y est nulle part dit, conformément au paragraphe 38(1), que la divulgation des renseignements « porterait » préjudice aux relations internationales du Canada. Ce libellé laisse entendre qu’afin de se prévaloir des articles 37 et 38, une partie doit démontrer qu’il existe une probabilité qu’un préjudice redouté résulte de la divulgation. Or, le dossier ne renferme rien qui montre que la divulgation des renseignements demandés dans la série de questions relatives à l’« achat de votes » « porterait préjudice aux relations internationales ». Il est noté que, dans les parties D et E de l’attestation, M. Buckley emploie les mots [traduction] « pourrait » et [traduction] « risquerait » plutôt que le mot [traduction] « porterait ». La loi semblerait exiger que l’on démontre la probabilité d’un préjudice plutôt qu’une simple possibilité. [Non souligné dans l’original.]

Je souscris aux propos de la Cour d’appel fédérale. L’emploi de l’expression « porterait préjudice » par le législateur signale que, selon l’article 38.06 de la LPC, le gouvernement doit convaincre le juge chargé du contrôle que le préjudice allégué est une probabilité, et non simplement une possibilité ou une conjecture.

[50]      Cela dit, la définition de l’expression « renseignements potentiellement préjudiciables », dans la LPC, est plutôt redondante. Je passe donc au sens ordinaire du mot « préjudice ».

[51]      Le Oxford English Dictionary [2e éd. Oxford : Clarendon Press, 1989] définit ainsi le mot « injury » (« préjudice ») :

[traduction]

1. Acte ou événement nuisible aux intérêts de quelqu’un; atteinte aux droits d’autrui; dommage volontairement et injustement causé. Acte dommageable infligé ou subi. 2. Paroles intentionnellement blessantes ou offensantes; injure, insulte, calomnie; raillerie, affront. Vieilli. [Cf. en français, une injure est une parole offensante, outrageuse.] 3. a. Dommage ou perte causé à une personne ou chose, ou subi par elle; tort, détriment, endommagement. b. Concret. Blessure ou douleur corporelle. Vieilli, rare. 4. Attribut et compos. Préjudiciable attentatoire simulateur de blessure n. verb et adj. particip.; se dit du temps de prolongation accordé à la fin d’un match de soccer ou autre pour compenser les arrêts de jeu entraînés par les blessures.

S’agissant de l’article 38 de la LPC, c’est évidemment la définition numéro 3 qui convient le mieux. Cette définition dit, tout comme les autres dans une certaine mesure, que, pour qu’il y ait « préjudice », il doit y avoir un détriment, un dommage ou une perte. Pour sa part, le Black’s Law Dictionary, 7e éd. St. Paul., Minn. : West Group, 1999, définit ainsi le mot « injury » (« préjudice ») :

[traduction] 1. L’atteinte aux droits d’autrui, à l’égard de laquelle la loi prévoit un recours; tort, injustice. Voir tort. 2. Lésion ou dommage.—préjudicier à, vb.—préjudiciable, adj.

Là encore, la notion de tort et de dommage transparaît dans cette définition.

[52]      J’examinerai maintenant la définition du mot « préjudiciable », le mot employé dans la version française de la LPC. Le Petit Robert 1 : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris : Le Robert, 1992, définit ainsi ce mot : « Qui porte, peut porter préjudice ». Le même dictionnaire définit ainsi le mot « préjudice » :

1. Perte d’un bien, d’un avantage par le fait d’autrui; acte ou événement nuisible aux intérêts de qqn et le plus souvent contraire au droit, à la justice. Causer un préjudice à qqn. Porter préjudice : causer du tort. Subir un préjudice. V. Dommage. Préjudice matériel, moral, esthétique, d’agrément, de jouissance. V. Dam, désavantage, détriment. 2. Ce qui est nuisible pour, ce qui va contre (qqch.) Causer un grave préjudice à une cause, à la justice. Au préjudice de l’honneur, de la vérité. V. Contre, malgré.

Pour sa part, le Dictionnaire de droit québécois et canadien avec lexique anglais-français, 2e tirage, Montréal : Wilson & Lafleur, 1996, définit ainsi le mot « préjudiciable » : « qui cause ou peut causer un préjudice », et définit ainsi le mot « préjudice » :

1. Dans un sens général, atteinte portée aux droits ou aux intérêts de quelqu’un. Ex. L’administrateur du bien d’autrui est tenu de réparer le préjudice causé par sa démission si elle est donnée sans motif sérieux. 2. Dommage corporel, matériel, ou moral subi par une personne par le fait d’un tiers et pour lequel elle peut éventuellement avoir le droit d’obtenir réparation.

La définition française reprend la même notion que la définition anglaise, c’est-à-dire que, pour qu’il y ait « préjudice », il faut que se produise un tort ou un dommage.

[53]      Pour expliquer davantage ces principes, il est utile de considérer tant la jurisprudence canadienne que la jurisprudence étrangère. La jurisprudence ne définit pas expressément ce qu’est un « préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale », mais elle donne, en particulier celle émanant du Royaume-Uni, certains indices de ce qui peut être considéré comme un tel préjudice.

a)         Renseignements qui relèvent du domaine public

[54]      Dans l’arrêt Babcock c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada a jugé que les renseignements qui relèvent du domaine public ne peuvent pas être protégés par l’article 39 de la LPC, qui traite des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada. Au paragraphe 26 de cet arrêt, la juge en chef McLachlin écrivait ce qui suit :

Lorsqu’un document a déjà été divulgué, l’art. 39 cesse de s’y appliquer. Il n’est alors plus nécessaire d’en demander la production, compte tenu de sa divulgation antérieure. Lorsque l’art. 39 ne s’applique pas, il se pourrait que le gouvernement puisse faire valoir d’autres motifs justifiant la protection contre toute nouvelle divulgation en s’appuyant sur la common law […] Cette question ne se pose toutefois pas dans le cadre du présent pourvoi. De même, l’instance ne soulève pas la question de la divulgation accidentelle, car la Couronne a divulgué certains documents délibérément au cours de l’instance.

L’arrêt Babcock, précité, concerne l’article 39 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 5 (F)] de la LPC, mais le même principe s’applique dans le contexte de l’article 38 de la LPC, c’est-à-dire que les renseignements qui relèvent du domaine public ne sauraient être soustraits à la divulgation. Dans le jugement K.F. Evans Ltd. c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), [1996] A.C.F. n° 30 (1re inst.) (QL), au paragraphe 35, le juge Rothstein (alors juge de la Cour fédérale) examinait le principe dans le contexte de l’article 38 de la LPC :

Nombre de ces renseignements confidentiels sont des observations sur les politiques et pratiques en vigueur et sur ce qui se passerait en cas de contestation en justice. Je suis enclin à conclure des arguments de l’avocat de l’intimé qu’une grande partie de ce qui est soi-disant confidentiel est déjà connue du public sous une forme ou sous une autre. Il appert que tout au plus, la divulgation pourrait causer un certain embarras à l’intimé, mais on ne voit pas comment cet embarras pourrait compromettre des relations internationales ou fédérales-provinciales. Je pense que ce que nous avons surtout en l’espèce, c’est une exagération du préjudice que pourrait causer aux intérêts du Canada la divulgation que les paragraphes 37(1) [sic] et 38(1) [sic] de la Loi sur la preuve au Canada visent à restreindre.

[55]      La jurisprudence du Royaume-Uni confirme elle aussi le principe selon lequel les renseignements qui relèvent du domaine public ne sauraient être protégés par les tribunaux. Dans un arrêt rendu par la Chambre des lords, Attorney-General v. Guardian Newspapers Ltd. (No. 2), [1990] 1 A.C. 109 [ci-après Observer Ltd.], lord Brightman écrivait ce qui suit, à la page 267 :

[traduction] La Couronne n’est fondée à restreindre la publicité d’informations et de renseignements que lorsque telle publicité serait contraire à l’intérêt public, comme elle le sera en général s’il n’y a pas eu jusque-là divulgation. Mais, si l’information que l’on voudrait rendre publique n’est plus secrète, aucun préjudice ne sera probablement causé à l’intérêt public par la réimpression de ce que le monde entier a déjà eu l’occasion de lire. [Non souligné dans l’original.]

Cependant, plus intéressant encore est le jugement rendu dans cette affaire par le juge Scott, de la Chancery Division [[1990] 1 A.C. 109, à la page 117], jugement qu’allaient confirmer plus tard à la fois la Cour d’appel d’Angleterre [[1990] 1 A.C. 109, à la page 174] et la Chambre des lords. Dans son jugement, reproduit à la page 117, le juge Scott exposait les cinq critères qu’il convient de considérer pour savoir si l’accès du public à des renseignements rend illusoire toute tentative d’en interdire la divulgation. Ces critères sont les suivants :

1) la nature des renseignements—lorsque les renseignements sont très préjudiciables, le tribunal sera plus enclin à en faire cesser la divulgation;

2) la nature de l’intérêt que l’on cherche à protéger;

3) la relation entre le demandeur (qui cherche à faire interdire la divulgation) et le défendeur;

4) la manière dont le défendeur est venu en possession des renseignements—si l’attitude du défendeur n’est pas irréprochable, le tribunal sera plus enclin à interdire la divulgation des renseignements;

5) les circonstances dans lesquelles les renseignements ont été rendus publics, et la mesure dans laquelle ils l’ont été.

[56]      J’observe que la règle selon laquelle les renseignements qui relèvent du domaine public ne sauraient être soustraits à la divulgation n’est pas une règle absolue. Maintes circonstances justifieraient la protection de renseignements qui relèvent du domaine public, par exemple les suivantes : une partie seulement des renseignements a été divulguée au public; les renseignements ne sont pas généralement connus ou accessibles; l’authenticité des renseignements n’est ni confirmée ni démentie; enfin, les renseignements ont été divulgués par inadvertance.

[57]      Au Canada, la Cour suprême a laissé la porte ouverte à la possibilité pour les tribunaux d’interdire la divulgation de renseignements qui sont tombés dans le domaine public après divulgation par inadvertance (voir l’arrêt Babcock, précité, dont le paragraphe 26 est reproduit au paragraphe 54 du présent jugement). Dans le jugement Khawaja, le juge Mosley s’est lui aussi exprimé sur les effets d’une divulgation par inadvertance. Au paragraphe 111 de sa décision, il écrivait ce qui suit :

[…] la renonciation par inadvertance ne suffit pas à justifier la divulgation. Puisque, en ce qui concerne le critère, chaque cas est un cas d’espèce, l’approche la plus indiquée consiste à procéder selon la même évaluation en trois étapes, en tenant compte du fait qu’il y a eu divulgation par inadvertance des renseignements. La divulgation par inadvertance pourrait par exemple rendre plus difficile pour le gouvernement de prouver un préjudice à la seconde étape de l’évaluation. La divulgation par inadvertance peut aussi être considérée à l’étape du critère relative à la mise en balance des intérêts publics contradictoires, car elle pourrait avoir pour effet que la Cour envisagera la communication des renseignements sous réserve de conditions propres à dissiper les doutes restants concernant le préjudice.

À mon avis, les circonstances de la « divulgation par inadvertance » sont capitales lorsqu’on se demande si des renseignements divulgués par inadvertance peuvent être protégés par la Cour. Comme l’expliquait le juge Mosley, c’est une décision qu’il faut prendre tout en gardant à l’esprit le critère en trois volets établi en application de l’article 38.06 de la LPC.

b)         Renseignements qui critiquent le gouvernement ou qui sont susceptibles de l’embarrasser

[58]      Comme on peut le voir dans l’extrait du jugement K.F. Evans Ltd. reproduit ci-dessus (au paragraphe 54 du présent jugement), la Cour n’interdira pas la divulgation de renseignements lorsque la raison unique ou principale pour laquelle le gouvernement veut faire interdire la divulgation est sa volonté de se soustraire à la critique ou d’éviter un embarras. Ce principe a également été confirmé par la Cour suprême dans l’arrêt Carey c. Ontario, [1986] 2 R.C.S. 637, à la page 673, où le juge La Forest, s’exprimant pour la Cour, écrivait ce qui suit :

Il y a un autre facteur qui milite en faveur de la divulgation des documents en l’espèce. L’appelant allègue une conduite peu scrupuleuse de la part du gouvernement. À mon sens, il importe que ce point soit débattu non seulement dans l’intérêt de l’administration de la justice mais aussi dans l’intérêt du bon fonctionnement du pouvoir exécutif du gouvernement, ce qui a été avancé comme but de la demande de non-divulgation des documents. Car, si le pouvoir exécutif a agi de façon sévère ou abusive envers un particulier, il faut que cela émerge au grand jour. Le secret en matière gouvernementale a pour objet de favoriser la bonne marche du gouvernement et non pas de lui faciliter les abus. Cela a été dit relativement à des accusations criminelles dans l’arrêt Whitlam et, malgré le caractère civil de la présente affaire, il s’agit d’un cas où l’on reproche au gouvernement une conduite abusive.

La divulgation est d’autant plus importante de nos jours que le public revendique un gouvernement plus ouvert. La divulgation sert à renforcer la confiance du citoyen en ses institutions gouvernementales. Cela est lourd de conséquences pour l’administration de la justice qui constitue une préoccupation majeure pour les tribunaux. Comme l’a souligné lord Keith of Kinkel dans l’arrêt Burmah Oil, précité, à la p. 725, elle a un effet sur la perception du justiciable et du public que justice a été faite. [Non souligné dans l’original.]

[59]      Également digne d’intérêt est la décision rendue par le juge Mason, de la Haute Cour d’Australie, dans l’affaire Commonwealth of Australia v. John Fairfax & Sons Ltd. (1980), 147 C.L.R. 39, aux pages 51 et 52 :

[traduction] Mais il est difficile de croire que le gouvernement subira un préjudice du seul fait que la divulgation de documents concernant sa ligne de conduite risque de l’exposer, sans plus, au débat public et à la critique publique. Il est inacceptable dans notre société démocratique que l’on puisse restreindre la publicité de l’information relative à l’action gouvernementale quand le seul vice de cette information est de permettre au public de débattre, d’examiner et de censurer l’action gouvernementale.

Par conséquent, c’est par référence à l’intérêt public que la Cour se prononcera sur la confidentialité revendiquée par le gouvernement. Si la divulgation n’est pas susceptible de préjudicier à l’intérêt public, l’information ne sera pas protégée.

Ces propos ont plus tard été cités avec approbation par lord juge Bingham et lord Keith of Kinkel dans les jugements respectifs qu’ils ont rendus à propos de l’affaire Observer Ltd., précitée.

[60]      Le même principe a aussi été exprimé dans les Principes de Johannesbourg : Sécurité nationale, liberté d’expression et accès à l’information, Doc. NU E/CN.4/1996/39 (1996), un outil d’interprétation de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques [19 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47] des Nations Unies. Le Principe 2b) est ainsi formulé

2. […]

b) En particulier, une restriction qu’un gouvernement tenterait de justifier par des raisons de sécurité nationale n’est pas légitime si son véritable but et son effet démontrable est de protéger des intérêts ne concernant pas la sécurité nationale, comme par exemple de protéger un gouvernement de l’embarras ou de la découverte de ses fautes, ou pour dissimuler des informations sur le fonctionnement des institutions publiques, ou pour imposer une certaine idéologie, ou pour réprimer des troubles sociaux.

Vu l’abondance de la jurisprudence et des instruments juridiques qui nous enseignent que les renseignements qui sont susceptibles de critiquer ou d’embarrasser le gouvernement ne sauraient être soustraits à la divulgation, il me semble qu’il n’y a ici aucune raison de s’écarter de l’application de ce principe.

IV)       Signification du concept de « relations internationales »

[61]      J’examinerai maintenant ce qu’il faut entendre par l’expression « relations internationales ». La jurisprudence canadienne ne définit pas cette expression. Cependant, le Black’s Law Dictionary [7e éd. St. Paul, Minn. : West Group, 1999] définit ainsi l’expression, « international relations » (« relations internationales ») :

[traduction] 1. Politique à l’échelle mondiale. 2. Interaction politique à l’échelle planétaire, principalement entre nations souveraines. 3. La discipline qui se consacre à l’étude de la politique à l’échelle mondiale, et qui inclut le droit international, l’économie internationale, ainsi que l’histoire et l’art de la diplomatie.

Vu cette définition ainsi que l’objet de l’article 38 de la LPC, les « renseignements préjudiciables aux relations internationales » s’entendent des renseignements qui, s’ils étaient divulgués, seraient préjudiciables aux relations du Canada avec des nations souveraines.

V)        Signification du concept de « défense nationale »

[62]      Quant à l’expression « défense nationale », le Black’s Law Dictionary la définit ainsi :

[traduction] 1. Tous les moyens pris par une nation pour se protéger contre ses ennemis. La protection, par une nation, de son idéal collectif et de ses valeurs collectives est comprise dans la notion de défense nationale. 2. L’arsenal militaire d’une nation.

À mon avis, compte tenu de l’objet de l’article 38, qui est d’empêcher la diffusion de renseignements pouvant être préjudiciables, la définition étendue que donne le Black’s Law Dictionary de ce qui constitue la défense nationale est satisfaisante.

VI)       Signification du concept de « sécurité nationale »

[63]      Contrairement aux expressions « relations internationales » et « défense nationale », dont la définition est largement et plus facilement comprise, le sens de l’expression « sécurité nationale » demeure imprécis, et la controverse règne parmi les spécialistes sur les contours à lui assigner. La Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, en son article 2 [mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 89], donne la définition suivante de l’expression « menaces envers la sécurité du Canada » :

2. […]

« menaces envers la sécurité du Canada » Constituent des menaces envers la sécurité du Canada les activités suivantes :

a) l’espionnage ou le sabotage visant le Canada ou préjudiciables à ses intérêts, ainsi que les activités tendant à favoriser ce genre d’espionnage ou de sabotage;

b) les activités influencées par l’étranger qui touchent le Canada ou s’y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts, et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque;

c) les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger;

d) les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence.

La présente définition ne vise toutefois pas les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord qui n’ont aucun lien avec les activités mentionnées aux alinéas a) à d).

Pour sa part, la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, en son article 15, parle de « la détection, […] la prévention ou […] la répression d’activités hostiles ou subversives ». Au paragraphe 15(2) de la Loi, l’expression « activités hostiles ou subversives » est ainsi définie :

15. (2) […]

« activités hostiles ou subversives »

a) L’espionnage dirigé contre le Canada ou des États alliés ou associés avec le Canada;

b) le sabotage;

c) les activités visant la perpétration d’actes de terrorisme, y compris les détournements de moyens de transport, contre le Canada ou un État étranger ou sur leur territoire;

d) les activités visant un changement de gouvernement au Canada ou sur le territoire d’États étrangers par l’emploi de moyens criminels, dont la force ou la violence, ou par l’incitation à l’emploi de ces moyens;

e) les activités visant à recueillir des éléments d’information aux fins du renseignement relatif au Canada ou aux États qui sont alliés ou associés avec lui;

f) les activités destinées à menacer, à l’étranger, la sécurité des citoyens ou des fonctionnaires fédéraux canadiens ou à mettre en danger des biens fédéraux situés à l’étranger.

[64]      La jurisprudence attribue elle aussi une signification à l’expression. Dans l’arrêt Suresh, précité, la Cour suprême du Canada s’exprimait sur le sens de l’expression « danger pour la sécurité du Canada ». Aux paragraphes 88 à 90, la juge Arbour (alors juge de la Cour suprême du Canada), s’exprimant pour les juges majoritaires, écrivait ce qui suit :

Ces considérations nous amènent à conclure que serait trop exigeant un critère requérant la preuve directe d’un risque précis pour le Canada afin de décider si une personne constitue un « danger pour la sécurité du Canada ». Il doit exister une possibilité réelle et sérieuse d’un effet préjudiciable au Canada. Néanmoins, il n’est pas nécessaire que la menace soit directe; au contraire, elle peut découler d’événements qui surviennent à l’étranger, mais qui, indirectement, peuvent réellement avoir un effet préjudiciable à la sécurité du Canada.

Bien que l’expression « danger pour la sécurité du Canada » doive recevoir une interprétation souple, et que les tribunaux ne soient pas tenus d’exiger la preuve directe que la menace vise précisément le Canada, il demeure que l’al. 53(1)b) ne permet le refoulement d’un réfugié dans un pays où il risque la torture que s’il est établi que la sécurité nationale est gravement menacée. En laissant entendre qu’un facteur moins exigeant que de graves menaces étayées par la preuve suffirait pour expulser un réfugié dans un pays où il risque la torture, on cautionnerait l’application inconstitutionnelle de la Loi sur l’immigration. Dans la mesure du possible, les lois doivent recevoir une interprétation conforme à la Constitution. Ces éléments appuient la conclusion que, bien que l’expression « danger pour la sécurité du Canada » doive recevoir une interprétation large et équitable, elle exige néanmoins la preuve d’une menace potentiellement grave.

Ces considérations nous amènent à conclure qu’une personne constitue un « danger pour la sécurité du Canada » si elle représente, directement ou indirectement, une grave menace pour la sécurité du Canada, et il ne faut pas oublier que la sécurité d’un pays est souvent tributaire de la sécurité d’autres pays. La menace doit être « grave », en ce sens qu’elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve, et en ce sens que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable. [Non souligné dans l’original.]

[65]      Pour sa part, la Chambre des lords, sous la plume de lord Slynn of Hadley, écrivait ce qui suit dans l’arrêt Rehman, précité, aux paragraphes 15 et 16 :

[traduction] […] Les « intérêts touchant la sécurité nationale » ne sauraient servir à justifier n’importe quelle raison qu’aurait le Secrétaire d’État de vouloir expulser quelqu’un du Royaume-Uni. Il doit y avoir une possibilité de risque ou de danger pour la sécurité et le bien-être de la nation, possibilité qui, d’après le Secrétaire d’État, rend souhaitable pour le bien public que l’intéressé soit expulsé. Mais je ne puis admettre que ce risque doive être le résultat d’une « menace directe » pour le Royaume-Uni […] Je ne puis admettre non plus que les intérêts touchant la sécurité nationale se limitent à des agissements dont on peut dire qu’ils « visent » le Royaume-Uni, son mode de gouvernement ou sa population […]

[…]

Le raffinement des moyens existants, la vitesse de circulation des personnes et des biens, la rapidité des communications modernes, tous ces facteurs pourraient devoir être pris en compte dans la question de savoir s’il est véritablement possible que la sécurité nationale du Royaume-Uni soit, dans l’immédiat ou plus tard, mise en péril […] Dire que les aspects en cause doivent pouvoir entraîner « directement » une menace pour la sécurité nationale, c’est limiter à l’excès le pouvoir discrétionnaire de l’exécutif de décider comment les intérêts de l’État, y compris non seulement la défense militaire, mais aussi la démocratie, le système juridique et le système constitutionnel, doivent être protégés. J’admets qu’il doive exister une possibilité réelle d’un effet préjudiciable sur le Royaume-Uni par suite des agissements de la personne visée par l’enquête, mais je n’admets pas que la menace doive être directe ou immédiate. [Non souligné dans l’original.]

[66]      Je passe maintenant aux définitions de l’expression « sécurité nationale » qui sont données par certains jurisconsultes. Dans son ouvrage intitulé Privacy, Crime and Terror : Legal Rights and Security in a Time of Peril (Markham : LexisNexis Canada, 2005), aux pages 161 et 163 à 164, M. Stanley Cohen donne la définition suivante de la sécurité nationale :

[traduction] Bien qu’il s’agisse d’une notion essentielle, l’expression « sécurité nationale » et l’expression connexe, sinon équivalente, « danger pour la sécurité du Canada », sont considérées comme des expressions notoirement difficiles à définir. Néanmoins, malgré son degré d’imprécision, la notion de « danger pour la sécurité du Canada » n’est pas inconstitutionnellement vague. Dans l’arrêt Suresh, au niveau de la Cour d’appel fédérale, le juge Robertson, qui avait affaire à une procédure d’expulsion, a estimé que l’expression était suffisante sur le plan constitutionnel. Il a reconnu que l’expression était imprécise, mais a fait valoir que le point de savoir si une personne constitue un danger pour la sécurité du Canada peut être décidé d’après le « degré d’association ou de complicité de cette personne avec une organisation terroriste ».

[…]

L’expression « sécurité nationale » est également circonscrite dans la Loi sur la preuve au Canada (LPC), par l’effet des définitions qu’on y trouve des expressions « renseignements potentiellement préjudiciables » et « renseignements sensibles ». Dans les deux cas, la notion est rattachée aux renseignements qui intéressent la défense nationale et la sécurité nationale, encore que, manifestement, ces deux notions n’aient pas la même portée.

Comme le font observer Lustgarten et Leigh dans leur excellent texte, In From the Cold : National Security and Parliamentary Democracy, l’expression « sécurité nationale » est en réalité un ajout plutôt récent dans le lexique des affaires internationales et de la science politique. Au Royaume-Uni, une foule de lois et règlements conférant des pouvoirs extraordinaires à l’exécutif et à ses fonctionnaires portent un titre générique et tirent leur justification de la nécessité de défendre le Royaume. La « sécurité nationale », du moins aux États-Unis et au Royaume-Uni, tire, semble-t-il, sa signification actuelle de la pratique et de l’expérience américaines.

L’emploi de l’expression « sécurité nationale » plutôt que « défense nationale » a d’importantes conséquences pour la politique étrangère, car elle signale « une conception largement plus ambitieuse du rôle de cette nation [les États-Unis] dans les affaires mondiales ». À l’évidence, l’expression « sécurité nationale » est largement employée aussi au Canada, en dépit des prétentions plus modestes de ce pays sur la scène internationale.

[67]      Le professeur Craig Forcese, quant à lui, écrivait ce qui suit à propos de la définition de « sécurité nationale » dans son article publié en 2006, « Through a Glass Darkly : The Role and Review of “National Security” Concepts in Canadian Law » ((2006), 43 Alta. L. Rev. 963) [à la page 966] :

[traduction] […] Le Collège de la défense nationale du Canada définissait en 1980 la sécurité nationale comme

la préservation d’un mode de vie acceptable pour la population canadienne, et compatible avec les besoins et les aspirations légitimes d’autrui. Elle comprend le fait d’être à l’abri d’une agression ou coercition militaire, d’une subversion intérieure et de l’érosion des valeurs politiques, économiques et sociales qui sont essentielles pour la qualité de la vie au Canada.

[…]

Une définition légèrement plus étroite de la sécurité nationale a été donnée par le Département de la défense des États-Unis :

L’expression « sécurité nationale » est une expression générale englobant à la fois la défense nationale et les relations internationales des États-Unis. Plus précisément, il s’agit de la situation qui est procurée par :

a) un avantage militaire ou en matière de défense par rapport à une nation étrangère ou à un groupe de nations étrangères;

b) une position favorable en matière de relations avec l’étranger; ou

c) une position de défense permettant de résister avec succès à une action hostile ou destructive, venant de l’intérieur ou de l’extérieur, qu’elle soit déclarée ou voilée.

[…]

Puis une autre définition, qui décrit largement ce qu’est la sécurité nationale, est la suivante :

Il faut une sorte de politique en matière de sécurité nationale…[qui soit fondée sur la préservation d’un mode de vie acceptable pour la population canadienne et sur la sécurité de la population, sur les institutions nationales et sur le fait d’être à l’abri d’un préjudice illicite, d’agressions armées et autres actes de violence] et trois cadres principaux : prévention contre les agressions; défense contre les agressions que l’on peut détecter; enfin aptitude crédible à faire échouer les agressions contre notre sécurité nationale. [Notes de bas de pages omises.]

[68]      D’après ces définitions, la « sécurité nationale » s’entend au minimum de la préservation du mode de vie canadien, notamment de la protection de la sécurité des personnes, des institutions et des libertés au Canada.

[69]      Cela dit, pour bien comprendre les allégations fondées sur la sécurité nationale qui sont en cause dans la présente demande, il faut connaître certains des moyens pouvant rendre recevables lesdites allégations. Brièvement, le procureur général dit que les renseignements des genres suivants ne devraient pas être divulgués :

a) renseignements recueillis qui sont en la possession d’agences de renseignement et d’organismes d’application de la loi (jusqu’à un certain point);

b) renseignements obtenus d’agences étrangères de renseignement ou d’organismes étrangers d’application de la loi (règle des tiers);

c) renseignements se rapportant à des cibles d’enquêtes ou à des personnes suscitant un intérêt;

d) noms des sources, modes opérationnels, et évaluations de situations faites par des agences de renseignement et organismes d’application de la loi;

e) renseignements qui, une fois intégrés dans le tableau général, peuvent donner une compréhension globale des renseignements protégés (effet de mosaïque).

J’examinerai tour à tour dans les paragraphes qui suivent la règle des tiers, l’effet de mosaïque et l’incidence d’une divulgation sur les relations internationales.

VII)      La règle des tiers

[70]      Afin de consolider et de garantir un flux constant de renseignements, les organismes d’application de la loi et les agences de renseignement s’en sont de tout temps rapportés à la règle des tiers. Cette règle est une entente conclue entre parties qui échangent des renseignements, selon laquelle la partie qui communique les renseignements conserve un droit de regard sur la divulgation et l’utilisation ultérieures des renseignements. Autrement dit, les organismes qui reçoivent des renseignements en application de la règle des tiers promettent de ne pas divulguer les renseignements qu’ils reçoivent sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de la source. Cela dit, la règle des tiers est une règle sacro-sainte parmi les organismes d’application de la loi et les agences de renseignement, une règle fondée sur la confiance mutuelle, la fiabilité et la loyauté. X (au nom de la GRC), auteur d’un affidavit déposé pour le demandeur, décrit cette règle dans son affidavit comme une [traduction] « entente entre parties échangeant des renseignements, selon laquelle la partie qui communique les renseignements conserve un droit de regard sur la diffusion et l’utilisation ultérieures de tels renseignements au-delà de la partie qui les a reçus » (affidavit public de X (au nom de la GRC), paragraphe 23).

[71]      Selon le procureur général, si la règle des tiers est enfreinte, la relation bilatérale entre la partie qui a communiqué les renseignements et le Canada risque d’en souffrir. Le procureur général dit aussi que, parce que les organismes d’application de la loi et les agences de renseignement sont relativement peu nombreux, si le Canada est perçu par un pays comme un pays auquel on ne peut se fier, cette perception pourrait être adoptée par d’autres pays susceptibles d’avoir accès à des renseignements présentant de l’intérêt pour le Canada. D’après l’affidavit de X (au nom de la GRC), le respect strict de la règle des tiers est nécessaire si l’on veut préserver nos relations avec les organismes d’application de la loi et les agences de renseignement et continuer de recevoir des renseignements de ces organismes et agences.

[72]      Dans ses conclusions et ses affidavits, le procureur général explique aussi que, selon la règle des tiers, il est possible d’obtenir de la source des renseignements un consentement à leur divulgation. Ce consentement est généralement sollicité dans le contexte de l’application de la loi, quand l’organisme qui reçoit les renseignements souhaite engager des poursuites sur la foi des renseignements obtenus. Dans son affidavit, X (au nom de la GRC) explique que, bien qu’il existe une procédure permettant d’obtenir un consentement à la divulgation, si la GRC devait obtenir un consentement à la divulgation des renseignements en l’espèce, l’engagement de la GRC à observer la règle des tiers pourrait être mis en doute puisque la divulgation serait demandée pour une fin autre que l’application de la loi, et donc en dehors des paramètres généralement admis pour l’obtention d’un consentement (affidavit de X (au nom de la GRC), paragraphe 42).

[73]      Le défendeur Maher Arar dit que la règle des tiers ne s’applique pas si les renseignements obtenus par le Canada ne sont pas expressément étiquetés « confidentiels » ou s’ils ne sont pas autrement désignés comme renseignements protégés par la règle des tiers. Ainsi, ce n’est que lorsque les renseignements sont désignés « confidentiels » que le Canada sera tenu d’obtenir un consentement avant de les divulguer. L’avocat de M. Arar s’est référé à un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589, qui fait un examen détaillé de la règle des tiers dans le contexte de la Loi sur l’accès à l’information. Les juges Létourneau et Robertson, s’exprimant pour la Cour d’appel fédérale, écrivaient ce qui suit, aux paragraphes 101, 103, 110 et 111 :

L’article 19 prévoit une exception obligatoire conditionnelle : le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de renseignements personnels obtenus à titre confidentiel d’un autre gouvernement ou d’une organisation internationale d’États à moins que ce gouvernement ou cette institution ne consente à la communication ou ne rende les renseignements publics. C’est ce que l’on appelle généralement l’exception relative aux tiers.

[…]

Il est vrai que le but premier de l’exception prévue à l’article 19 est la non-communication de renseignements mais, comme nous l’avons déjà mentionné, il ne s’agit pas d’une interdiction absolue. Cette exception, comme les autres, doit être interprétée dans le contexte général de la Loi, qui favorise la communication des renseignements qui sont conservés. Le paragraphe 19(2) autorise le responsable d’une institution fédérale à communiquer les renseignements si le tiers a donné son consentement.

[…]

À notre avis, en demandant au responsable d’une institution fédérale la communication des renseignements personnels le concernant, le demandeur demande également au responsable de cette institution de faire des efforts raisonnables pour obtenir le consentement du tiers qui a fourni les renseignements en question.

Cela veut dire que le juge qui effectue l’examen devrait s’assurer que le SCRS a fait des efforts raisonnables pour solliciter le consentement du tiers qui avait fourni les renseignements en question. Au besoin, le juge qui effectue l’examen devrait accorder une période raisonnable au SCRS pour lui permettre de se conformer à l’exigence relative au consentement prévue à l’alinéa 19(2)a).

En bref, dans l’arrêt Ruby, la Cour d’appel fédérale dit que le consentement à la divulgation est nécessaire au respect de la règle des tiers et que les organismes d’application de la loi et les agences de renseignement doivent prouver qu’ils ont pris les moyens raisonnables pour obtenir un consentement à la divulgation, ou prouver qu’une demande de consentement à la divulgation leur serait refusée.

[74]      M. Arar fait aussi valoir que le procureur général n’a donné aucune idée précise de la raison pour laquelle le fait de demander un consentement à la divulgation causerait un préjudice au Canada. Selon M. Arar, l’argument selon lequel la recherche d’un consentement à la divulgation n’a pas le même sens selon que l’on a affaire à l’application de la loi ou à la tenue d’une enquête publique n’est pas convaincant. M. Arar explique que les buts de l’Enquête, c’est-à-dire l’examen des méfaits qu’ont pu commettre les fonctionnaires canadiens dans l’affaire Arar ainsi que la recommandation d’un mécanisme de contrôle des activités de la GRC en matière de sécurité nationale, constituent des raisons aussi impérieuses que des poursuites criminelles de vouloir obtenir un consentement à la divulgation.

[75]      Par ailleurs, M. Arar affirme que, si le fait de solliciter un consentement entraîne en tant que tel un préjudice pour le Canada, alors, en fonction du pays auquel tel consentement est demandé, la probabilité du préjudice est sans doute limitée. Si les renseignements viennent de pays tels que le Royaume-Uni ou les États-Unis, ou d’autres démocraties occidentales, l’obtention d’un consentement n’est guère susceptible d’entraîner un préjudice, car ces pays ont des systèmes juridiques semblables à celui du Canada et comprennent par conséquent le rôle et l’importance des enquêtes publiques pour la sauvegarde d’une démocratie. Selon M. Arar, cela est particulièrement vrai pour les États-Unis, puisque ce pays, invité par la Commission à participer à l’Enquête, a décliné l’offre. Finalement, M. Arar dit que la quête d’un consentement à la divulgation est peu susceptible en tant que telle d’entraîner un préjudice, d’autant que la quête d’un tel consentement ne signifie pas que le consentement sera donné et que les renseignements en cause seront divulgués.

[76]      En outre, M. Arar dit que, s’agissant d’autres régimes tels que le régime syrien, il est peu probable qu’un consentement à la divulgation desservirait davantage la relation entre la Syrie et le Canada. Le fait que la Commission ait étayé les dires de M. Arar selon lesquels il a été torturé par des fonctionnaires syriens, ajouté au fait que le gouvernement du Canada a déposé une plainte officielle auprès du gouvernement syrien à propos de la torture subie par M. Arar alors qu’il était dans une prison syrienne, a probablement contribué à la dégradation des relations entre les deux pays plus que ne pourrait le faire la quête d’un consentement à la divulgation.

[77]      Pour autant, la règle des tiers est à mon avis essentielle pour garantir le bon fonctionnement des organisations modernes chargées du renseignement ou de l’application de la loi. Cela est d’autant plus vrai que les activités criminelles organisées ne se limitent pas au territoire géographique d’un pays donné et que l’histoire récente a clairement montré que la planification d’activités terroristes n’a pas nécessairement lieu dans le pays visé par l’attaque, réduisant ainsi les possibilités de détection. Par conséquent, des liens étroits avec les agences étrangères de renseignement et d’application de la loi, à quoi s’ajoutent une solide coopération et un échange de renseignements entre telles agences, sont essentiels pour leur bon fonctionnement partout dans le monde.

[78]      Par ailleurs, je relève que l’échange de renseignements est particulièrement important dans le contexte canadien car il est reconnu que nos agences de renseignement et d’application de la loi ont besoin des informations obtenues par les agences étrangères de renseignement et d’application de la loi pour pouvoir mener leurs propres enquêtes. Il a été reconnu maintes fois que le Canada est un importateur net de renseignements ou, autrement dit, que le Canada est dans une situation déficitaire lorsqu’on tient compte de la quantité de renseignements qu’il communique aux pays étrangers. La Cour suprême écrivait ce qui suit au paragraphe 68 de l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350 :

La protection de la sécurité nationale du Canada et des sources en matière de renseignement constitue assurément un objectif urgent et réel […] Les faits à cet égard ne sont pas contestés. Le Canada est un importateur net de renseignements sur la sécurité. Or, ces derniers sont essentiels pour la sécurité et la défense du Canada, et leur divulgation nuirait à la circulation et à la qualité de ces renseignements […]

[79]      À mon avis, passer outre à la règle des tiers peut se comparer à un manquement à des obligations contractuelles. En droit des contrats, l’effet de la rupture d’un contrat n’est pas nécessairement évident au moment de la rupture. Cependant, après la rupture, de nombreux scénarios possibles peuvent se réaliser. Le premier est que la partie lésée par la rupture pourra introduire une procédure contre la partie à l’origine de la rupture pour obtenir réparation. Le deuxième est que la partie lésée par la rupture n’introduira aucune procédure judiciaire, mais considérera la partie à l’origine de la rupture comme quelqu’un à qui l’on ne peut se fier, ce qui risque de nuire à la relation à des degrés divers, qui sont en général connus seulement de la partie victime de la rupture. Le troisième est l’absence de toute action suite à la rupture. Cela pourra se produire pour diverses raisons, notamment le fait que le contrat est jugé sans importance, le fait que la partie victime de la rupture souhaitait que le contrat prenne fin, ou bien le fait que la partie victime de la rupture se montre compréhensive parce qu’elle aurait pris la même décision que la partie à l’origine de la rupture, etc. Selon moi, ces mêmes scénarios sont possibles en cas de manquement à la règle des tiers. Si le Canada devait enfreindre la règle des tiers, il pourrait en résulter un préjudice, en fonction des circonstances. Cependant, l’étendue du préjudice possible ne serait pas facile à mesurer car il est impossible de prédire l’avenir. Autrement dit, passer outre à la règle des tiers risquerait de causer un préjudice et de compromettre le flux de renseignements que reçoit le Canada. Cependant, dans de nombreux cas, seule la partie innocente connaîtra véritablement l’effet d’un manquement à cette règle.

[80]      Lorsqu’on se demande si la divulgation de renseignements causera un préjudice, il importe également de considérer la nature de la relation du Canada avec l’agence de renseignement ou l’agence d’application de la loi d’où proviennent les renseignements. Il est admis que certaines agences présentent une importance plus grande pour le Canada et donc qu’il faut faire davantage pour protéger nos relations avec elles. Par conséquent, il faut agir avec circonspection lorsqu’on envisage la possibilité de transgresser la règle des tiers à l’égard de renseignements obtenus de nos alliés les plus importants.

[81]      Cela dit, la gravité du préjudice pouvant résulter d’un manquement à la règle des tiers pourra être mesurée à la faveur du troisième volet du critère de l’article 38.06, lorsque le juge chargé du contrôle mettra en balance les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation et les raisons d’intérêt public qui justifient la non-divulgation.

VIII)     L’effet de mosaïque

[82]      La Cour et bien d’autres juridictions se sont exprimées en détail sur l’« effet de mosaïque ». Ce principe pose que des renseignements, qui, pris isolément, paraissent sans signification ou sans valeur, pourraient, combinés les uns aux autres, donner une bonne idée des renseignements qui sont protégés. Dans le jugement Khawaja, au paragraphe 136, le juge Mosley se réfère, pour décrire l’« effet de mosaïque », à la décision Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 C.F. 229 (1re inst.), aux pages 242 et 243, confirmée par [1992] A.C.F. no 100 (C.A.) (QL) :

L’effet de mosaïque a été exposé judicieusement par la Cour fédérale dans la décision Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 C.F. 229, paragraphe 30 (1re inst.), confirmé : 88 D.L.R. (4th) 575 (C.A.) [la décision Henrie], où la Cour s’est exprimée en ces termes :

30 Il importe de se rendre compte qu’un [traduction] « observateur bien informé », c’est-à-dire une personne qui s’y connaît en matière de sécurité et qui est membre d’un groupe constituant une menace, présente ou éventuelle, envers la sécurité du Canada, ou une personne associée à un tel groupe, connaîtra les rouages de celui-ci dans leurs moindres détails ainsi que les ramifications de ses opérations dont notre service de sécurité pourrait être relativement peu informé. En conséquence de quoi l’observateur bien informé pourra parfois, en interprétant un renseignement apparemment anodin en fonction des données qu’il possède déjà, être en mesure d’en arriver à des déductions préjudiciables à l’enquête visant une menace particulière ou plusieurs autres menaces envers la sécurité nationale […] [Souligné par le juge Mosley.]

[83]      Selon le procureur général, s’agissant des renseignements particuliers qui sont en cause dans la présente demande, un préjudice sera probablement causé si les renseignements sont divulgués, et cela en raison de l’« effet de mosaïque ». X (au nom de la GRC), dans son affidavit, explique que [traduction] « un lecteur bien informé sera d’autant mieux à même de déterminer les cibles, les sources et les modes opératoires de l’organisme que la diffusion de certains des renseignements sera restreinte » (affidavit de X (au nom de la GRC), paragraphe 48). Dans son affidavit, M. O’Brian explique également que le SCRS est particulièrement sensible à l’effet de mosaïque. Aux paragraphes 32 et 33 de son affidavit, M. O’Brian écrivait ce qui suit :

[traduction] […] dans les mains d’un lecteur bien informé, des renseignements apparemment sans rapport entre eux, qui par eux-mêmes ne sont pas nécessairement très sensibles, pourront servir à dresser un tableau plus détaillé une fois comparés à des renseignements déjà connus du destinataire ou pouvant être obtenus d’une autre source.

En intégrant les renseignements divulgués par le Service à ceux qui sont déjà connus, le lecteur informé pourra en apprendre bien davantage sur les cibles du Service et sur la profondeur de ses connaissances que ce qu’un document révélera à première vue à un lecteur non informé. En outre, une personne qui a une connaissance personnelle des évaluations et conclusions du Service sur un individu, ou une connaissance personnelle de l’ampleur des renseignements du Service, ou de son manque de renseignements, touchant telle ou telle menace, sera en mesure de savoir que ses activités ont échappé à la vigilance du Service.

[84]      Cela dit, l’effet de mosaïque est évidemment une notion importante. Toutefois, je souscris à la récente conclusion tirée par mon collègue le juge Mosley dans le jugement Khawaja, au paragraphe 136, conclusion selon laquelle l’effet de mosaïque ne saurait en général, par lui-même, constituer une raison suffisante d’empêcher la divulgation de ce qui semblerait pouvoir par ailleurs être qualifié de renseignement anodin. Ainsi, d’autres preuves seront en général nécessaires pour convaincre la Cour qu’un renseignement particulier, s’il était divulgué, serait préjudiciable aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale. Par conséquent, le procureur général devra à tout le moins apporter une preuve propre à convaincre la Cour que la divulgation serait préjudiciable en raison de l’effet de mosaïque. Le simple fait d’alléguer un « effet de mosaïque » ne suffit pas. Il doit y avoir un fondement ou une réalité à l’appui d’une telle allégation, compte tenu des éléments du dossier considéré.

IX)       Les conséquences de la divulgation sur les relations internationales

[85]      Le procureur général, en particulier par l’intermédiaire de l’affidavit de M. Daniel Livermore, explique en quoi la divulgation des renseignements pourrait être préjudiciable aux relations internationales. J’ai détaillé ci-après les divers effets qu’aurait la divulgation, selon le procureur général, ainsi que le préjudice qui découlerait de chacun d’eux. Je relève que certains des effets préjudiciables évoqués ne s’appliquent pas expressément au contexte de la présente demande, mais, par souci d’exhaustivité, et pour référence future, j’en fais état dans le présent jugement.

a)         Divulgation de commentaires faits par des agents étrangers

[86]      Dans son affidavit, M. Livermore écrit que, dans le cours normal des échanges diplomatiques, des renseignements sont communiqués à titre confidentiel à des agents étrangers, et il est de règle que tels renseignements restent confidentiels. Puis, M. Livermore écrit que la communication de renseignements acquis par le Canada à la faveur d’échanges diplomatiques mettrait en péril la crédibilité du Canada comme interlocuteur privilégié des agents étrangers et du gouvernement étranger en cause. M. Livermore donne aussi à entendre que, d’après la pratique internationale, les renseignements communiqués à titre confidentiel par des agents étrangers doivent rester confidentiels, tout comme les noms des agents étrangers qui les communiquent. Selon M. Livermore, passer outre à cette pratique compromettrait gravement la capacité du Canada d’atteindre ses objectifs de politique étrangère.

[87]      Reid Morden, auteur d’un affidavit déposé au nom de la Commission, souscrit en partie à l’avis de M. Livermore. Il écrit ce qui suit, au paragraphe 18 de son affidavit :

[traduction] Sans aucun doute, il faut faire preuve de discernement avant de divulguer des observations faites par des agents étrangers. Ce discernement requiert de mettre en balance la communication des renseignements et l’intérêt public général. Toutefois, cette mise en balance doit se faire au cas par cas.

b)         Critique publique de gouvernements étrangers

[88]      Selon M. Livermore, les commentaires publics défavorables faits par des diplomates canadiens à propos de gouvernements étrangers peuvent causer un préjudice. Dans son affidavit, il explique que l’objet fondamental de la présence diplomatique du Canada dans un pays est d’entretenir des canaux influents de communication afin de protéger les Canadiens et de défendre un large éventail d’intérêts canadiens, notamment le respect des droits de la personne, la démocratie et la primauté du droit. Par ailleurs, M. Livermore écrit dans son affidavit que le fait de permettre aux fonctionnaires canadiens de faire publiquement des commentaires défavorables à propos d’un gouvernement étranger nuirait au prestige du Canada dans le pays visé par les commentaires et réduirait sa capacité de protéger par des services consulaires les Canadiens en difficulté.

[89]      M. Livermore croit aussi que la communication d’évaluations confidentielles portant sur le bilan de tel ou tel pays étranger en matière de droits de l’homme, tout comme la communication d’autres évaluations portant sur la situation qui a cours dans un pays étranger, pourraient rendre l’État étranger concerné moins disposé à dialoguer avec le Canada sur les sujets de ce genre.

[90]      Pour sa part, la Commission estime, par l’intermédiaire de l’affidavit de Reid Morden, que la critique publique du bilan d’un pays en matière de droits de l’homme n’aurait pas nécessairement de conséquences négatives sur les relations du Canada avec ce pays, ni sur l’échange de renseignements. M. Morden signale que les États-Unis critiquent publiquement des pays où les droits de l’homme sont bafoués et publient leurs évaluations dans des rapports affichés sur le site Web officiel du Département d’État, tout en entretenant de bonnes relations avec nombre de ces pays.

X)        S’il y a préjudice, quelles raisons d’intérêt public ont priorité, les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation ou les raisons d’intérêt public qui justifient la non-divulgation?

[91]      La dernière étape de l’analyse que requiert l’article 38.06 de la LPC oblige le juge chargé du contrôle à se demander si les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non-divulgation. Il convient de noter que le juge n’entreprendra en principe une telle analyse que s’il conclut à la probabilité d’un préjudice pour les relations internationales, la défense nationale ou la sécurité nationale. Cependant, dans le cas présent, qui concerne une commission d’enquête, et en raison des questions en jeu, j’ai fait cette analyse alors même que je suis arrivé à la conclusion que la divulgation de certains des renseignements ne serait pas préjudiciable.

[92]      Cela dit, et compte tenu que la présente demande se rapporte à une commission d’enquête, la mise en balance des deux ensembles de raisons d’intérêt public requiert d’apprécier de nombreux facteurs. Ces facteurs ne peuvent être inventoriés qu’après que sont bien compris les points de fait en cause. Une fois inventoriés les facteurs en cause dans une procédure donnée, chacun est examiné, puis mis en balance avec les autres. Ce n’est qu’après avoir fait cela que l’on sera en mesure de dire si l’intérêt public milite en faveur de la divulgation ou de la non-divulgation. Dans les paragraphes suivants, j’indiquerai certains des facteurs étudiés dans la présente demande, tout en gardant à l’esprit qu’elle concerne une commission d’enquête.

[93]      L’un des facteurs étudiés était la pertinence des renseignements expurgés. Dans certains cas, plus les renseignements expurgés sont pertinents, plus les raisons d’intérêt public qui militent en faveur de la divulgation sont évidentes et, inversement, moins les renseignements expurgés sont pertinents, plus les raisons d’intérêt public qui militent en faveur de la non-divulgation sont évidentes. Je le rappelle, une telle évaluation ne saurait en elle-même déterminer l’intérêt public, puisqu’elle ne peut avoir lieu qu’après que tous les facteurs en cause dans une procédure donnée sont inventoriés et évalués. Un deuxième facteur que l’on peut considérer est l’étendue du préjudice qui résulterait d’une divulgation des renseignements. Il se pourrait que les raisons d’intérêt public justifiant la divulgation soient d’autant plus évidentes que le préjudice sera moindre et, inversement, que les raisons d’intérêt public justifiant la non-divulgation soient d’autant plus évidentes que le préjudice sera élevé. À titre d’exemple, lorsqu’une source humaine ou une technique d’enquête risque d’être révélée, le préjudice pouvant être causé serait très grave et donc l’intérêt public militerait en faveur de la non-divulgation; cependant, lorsque l’unique préjudice est la perte d’une mainmise sur les renseignements, le préjudice serait moins grave et donc l’intérêt public militerait en faveur de la divulgation. Encore une fois, cette évaluation n’est pas en soi déterminante, puisque la décision quant à savoir si l’intérêt public milite en faveur de la divulgation ou de la non-divulgation ne peut être prise qu’après que tous les facteurs en cause dans une procédure donnée auront été définis et évalués.

[94]      J’ai exposé en détail ci-après les divers intérêts invoqués par les deux défendeurs à l’appui d’une divulgation publique. Je note qu’il m’est impossible de m’exprimer sur la force de persuasion des arguments touchant l’intérêt public qui sont invoqués dans le présent jugement public. Néanmoins, je peux affirmer que j’ai examiné chacun de ces arguments dans la mise en balance des raisons d’intérêt public justifiant la divulgation et des raisons d’intérêt public justifiant la non-divulgation.

[95]      Selon la Commission, la divulgation est nécessaire pour faire prévaloir le principe de la publicité des débats judiciaires. Les enquêtes publiques jouent un rôle important dans une démocratie puisque, dans le cadre de ces dernières, les fonctionnaires du gouvernement sont appelés à rendre des comptes. L’aptitude d’une commission à révéler la vérité au public à propos de telle ou telle polémique peut avoir pour effet de rétablir la confiance du public dans les institutions qui nous gouvernent. La Commission dit aussi que ce n’est que par un maximum de divulgation que le gouvernement sera exposé à l’examen du public, lequel, selon la Commission, est [traduction] « indiscutablement l’instrument le plus efficace pour rendre comptables de leurs actes ceux qui sont interrogés » (exposé des faits et du droit présenté par la Commission, paragraphe 59). Ces notions bien comprises, il importe de se rappeler que le commissaire s’est déclaré satisfait du contenu du rapport public (voir paragraphe 15 du présent jugement). Selon moi, cette opinion est un élément à prendre en compte dans la mise en balance des raisons d’intérêt public justifiant la divulgation et des raisons d’intérêt public justifiant la non-divulgation.

[96]      Le défendeur, M. Arar, pour sa part, dit que la non-divulgation des renseignements expurgés mettrait en péril l’objet même de l’Enquête. Selon M. Arar, il a le droit de connaître les faits liés à sa détention, à son expulsion et aux tortures qu’il a subies. Par ailleurs, il dit que les passages expurgés du rapport public pourraient contenir des renseignements qui sont nécessaires pour que le public comprenne les agissements de la GRC et du SCRS dans l’affaire Arar. Plus précisément, il croit qu’au moins quelques-uns des passages expurgés concernent la sincérité de certains agents du SCRS, qui ont pu induire en erreur leurs supérieurs. M. Arar fait aussi valoir que les passages expurgés dissimulent le fait que l’information communiquée à de nombreux ministres était insuffisante et que l’enquête de la GRC était déficiente, tout comme son adhésion aux protocoles régissant le partage de l’information. M. Arar estime donc que la divulgation est conforme à l’intérêt qu’a le public de comprendre pleinement les carences des diverses organisations et divers fonctionnaires qui ont joué un rôle dans l’affaire le concernant, et de faire prévaloir la transparence et une administration responsable.

[97]      M. Arar dit aussi que la divulgation est conforme à l’intérêt public car elle éclaircirait la question de savoir si une « information achetée » produit des renseignements fiables pouvant servir de base à une décision, surtout lorsque telle information est obtenue par la torture. Selon M. Arar, une divulgation complète est essentielle pour savoir si nos services de renseignement se fondent sur des informations extorquées sous la torture. Selon M. Arar, c’est là une question importante car la torture est un crime condamnable à l’échelle universelle et, si de l’information obtenue sous la torture est utilisée par les agences de renseignement au Canada, alors ces organisations pourraient être taxées de complicité d’actes de torture. Vu ces conclusions, M. Arar croit que l’Enquête est « inexorablement liée » aux cas d’Abdullah Almalki et d’Ahmed El Maati. Par conséquent, il croit que la divulgation dans l’Enquête Arar est nécessaire pour un examen en règle des dossiers Almalki et El Maati, et que ce n’est que par la divulgation que pourront être révélées [traduction] « la conduite généralement adoptée par les agences canadiennes de renseignement et l’utilisation possible de la Syrie et d’autres régimes autoritaires comme tortionnaires par procuration » (mémoire du défendeur Maher Arar, 19 avril 2007, paragraphe 42).

[98]      Cela dit, aux fins de la présente instance, qui concerne l’application de l’article 38 de la LPC dans le contexte d’une commission d’enquête, j’ai dressé une liste non exhaustive de quelques facteurs qu’il convient d’évaluer et de mettre en balance pour savoir si l’intérêt public milite en faveur de la divulgation ou de la non-divulgation :

a) l’étendue du préjudice;

b) la pertinence des renseignements expurgés pour la procédure dans laquelle ils seraient utilisés, ou les objectifs de l’organisme qui recherche la divulgation des renseignements;

c) le point de savoir si les renseignements expurgés sont déjà connus du public et, dans l’affirmative, la manière dont les renseignements sont tombés dans le domaine public;

d) l’importance du principe de la publicité des débats judiciaires;

e) l’importance des renseignements expurgés dans le contexte de la procédure d’origine;

f) le point de savoir s’il y a des intérêts supérieurs en jeu, par exemple les droits de la personne, le droit de présenter une défense pleine et entière dans le contexte criminel, etc.;

g) le point de savoir si les renseignements expurgés se rapportent aux recommandations d’une commission et, dans l’affirmative, si les renseignements sont importants pour une bonne compréhension desdites recommandations.

[99]      La mise en balance des raisons d’intérêt public justifiant la divulgation et des raisons d’intérêt public justifiant la non-divulgation doit, je le rappelle, tenir compte d’un certain nombre de facteurs. Ce n’est qu’une fois ces facteurs dûment étudiés et mis en balance qu’une décision touchant la divulgation pourra être prise.

6.         Brefs commentaires sur la décision ex parte (à huis clos)

[100]   Comme je le disais au début de ce jugement, je rends également aujourd’hui une décision parallèle ex parte (à huis clos) de 82 pages (178 paragraphes). La décision ex parte (à huis clos) tient compte de certains des principes (et aussi de la situation particulière du dossier) évoqués dans le jugement public. En définitive, j’ai souscrit en partie à l’avis du procureur général et en partie à celui de la Commission.

7.         Conclusion

[101]   Par souci de transparence, et pour faciliter la compréhension du présent jugement public, je joins l’ordonnance rendue dans le jugement ex parte (à huis clos), sans le tableau qui donne le détail de ma décision en matière de divulgation pour chacun des passages expurgés. Naturellement, la non-inclusion du tableau s’explique par la nécessité de protéger les renseignements sensibles contenus dans les passages expurgés, sous réserve du droit d’appel prévu par la LPC.

ORDONNANCE

CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 38.04 ET 38.06 DE LA LPC, LA COUR ORDONNE :

- Les renseignements dont la divulgation est jugée non préjudiciable et/ou à l’égard desquels les raisons d’intérêt public justifiant la divulgation ont préséance, qui figurent dans le tableau faisant partie de l’ordonnance ex parte (à huis clos) (non comprise dans la présente ordonnance publique afin que soient respectés les objectifs de la LPC), sont autorisés pour divulgation, sous réserve du droit d’appel à l’encontre de ladite ordonnance selon ce que prévoit la Loi.

- Les renseignements restants, dont la divulgation est jugée préjudiciable et/ou à l’égard desquels les raisons d’intérêt public justifiant la non-divulgation ont priorité, qui figurent dans le tableau faisant partie de l’ordonnance ex parte (à huis clos) (non comprise dans la présente ordonnance publique afin que soient respectés les objectifs de la LPC), ne sont pas autorisés pour divulgation, et la présente ordonnance confirme l’interdiction de leur divulgation.

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