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A-391-06

2008 CAF 6

Association canadienne des télécommunications
sans fil, Bell Mobilité Inc.
et Telus Communications Company (demanderesses)

c.

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (défenderesse)

Répertorié : Assoc. canadienne des télécommunications sans fil c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Sexton, Sharlow et Ryer, J.C.A.—Toronto, 22 octobre 2007; Ottawa, 9 janvier 2008.

Droit d’auteur — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission du droit d’auteur du Canada a autorisé la cueillette de redevances pour la transmission sans fil de sonneries au motif que ces transmissions sont visées par l’art. 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur (qui précise que le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre) — La transmission sans fil de sonneries (un fichier audionumérique) à des cellulaires constitue une « communication », c.-à-d. la transmission d’informations d’une personne à une autre — Il s’agit d’une communication « au public » même si les clients répondent à l’offre un par un et qu’ils reçoivent un par un la transmission sans fil — Une série de transmissions de la même œuvre musicale à un grand nombre de destinataires différents peut constituer une communication au public si les destinataires constituent le public ou une partie importante du public — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission du droit d’auteur du Canada a homologué le tarif de redevances autorisant la défenderesse à percevoir des redevances pour la transmission sans fil de sonneries (un fichier audionumérique) par des entreprises de télécommunications sans fil à des téléphones cellulaires à la demande des propriétaires de téléphones cellulaires, sur paiement de certains frais. La Commission a estimé que ces transmissions constituaient des communications au sens de l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur, qui précise que le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre.

Arrêt : la demande doit être rejetée.

La Commission a eu raison de conclure que la transmission d’une sonnerie musicale constitue l’étape finale dans la communication au public par télécommunication et, en tant que telle, tombe sous le coup de l’alinéa 3(1)f) de la Loi.
La conclusion de la Commission était compatible avec le libellé de cette disposition et avec son contexte. Le terme « communication » s’entend de la transmission d’informations d’une personne à une autre. Une sonnerie musicale est une information présentée sous forme d’un ficher audionumérique apte à être communiqué. La transmission sans fil d’une sonnerie musicale à un téléphone cellulaire constitue donc une communication, que le propriétaire du cellulaire y accède immédiatement, pour écouter la musique, ou plus tard. Le fait que la technologie employée pour la transmission de la sonnerie ne permet pas au propriétaire du cellulaire d’écouter la musique au cours de la transmission ne signifie pas qu’il n’y a pas de communication. C’est la réception de la transmission qui complète la communication.

Il s’agit d’une communication « au public ». Le fait que les clients répondent à l’offre un par un et qu’ils reçoivent un par un la copie des sonneries par transmission sans fil ne change pas cela. Une série de transmissions de la même œuvre musicale à un grand nombre de destinataires différents peut constituer une communication au public si les destinataires constituent le public ou une partie importante du public. Le fait que les sonneries soient offertes au public, ou à un segment important du public, assure le degré requis d’« ouverture ».


lois et règlements cités

Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis d’Amérique, L.C. 1988, ch. 65, annexe, partie A.

Convention de Rome sur le droit d’auteur, 1928, S.C. 1931, ch. 8, annexe A, Art. 11 bis.

Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange Canada–États-Unis, L.C. 1988, ch. 65.

Loi modificative du droit d’auteur, 1931, S.C. 1931, ch. 8, art. 3.

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 2 « œuvre musicale » (mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 53), « télécommunication » (édicté par L.C. 1988, ch. 65, art. 61), 3(1)f) (mod., idem, art. 62; L.C. 1997, ch. 24, art. 3).

Loi sur le droit d’auteur, S.R.C. 1952, ch. 55, art. 2p) « œuvre musicale », q) « représentation » ou « exécution » ou « audition », 3(1)f).

jurisprudence citée

décisions examinées :

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, [2004] 2 R.C.S. 427; 2004 CSC 45; Composers, Authors and Publishers Assoc. of Canada Limited v. CTV Television Network Limited et al., [1968] R.C.S. 676; confirmant [1966] R.C.É. 872; Réseau de télévision CTV Ltée c. Canada (Commission du droit d’auteur), [1993] 2 C.F. 115 (C.A.); Assoc. canadienne de télévision par câble c. Canada (Commission du droit d’auteur), [1993] 2 C.F. 138 (C.A.); CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339; 2004 CSC 13; CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2002] 4 C.F. 213; 2002 CAF 187.

décision citée :

Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision (SOCAN Tarif 24 — Sonneries (2003 - 2005). Commission du droit d’auteur du Canada, motifs de la décision en date du 18-8-2006) autorisant la défenderesse à percevoir des redevances pour la transmission sans fil de sonneries par des entreprises de télécommunications sans fil à des téléphones cellulaires. Demande rejetée.

ont comparu :

Thomas G. Heintzman, c.r., Barry B. Sookman et Daniel G. C. Glover pour les demanderesses.

Gilles M. Daigle et C. Paul Spurgeon pour la défenderesse.

avocats inscrits au dossier :

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., Toronto, pour les demanderesses.

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., Ottawa, et Services juridiques et du contentieux, SOCAN, Toronto, pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]      La juge Sharlow, J.C.A. : Le 18 août 2006, la Commission du droit d’auteur du Canada a homologué le tarif de redevances intitulé SOCAN Tarif 24 – Sonneries (2003-2005). Le tarif 24 autorise la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (la SOCAN) à percevoir des redevances pour la transmission sans fil de sonneries par des entreprises de télécommunications sans fil à des téléphones cellulaires à la demande des propriétaires de téléphones cellulaires. L’Association canadienne des télécommunications sans fil et deux de ses membres, Bell Mobilité Inc. et Telus Communications Company, demandent le contrôle judiciaire de cette décision au motif que le tarif 24 n’est pas autorisé par la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42.

Décision de la Commission du droit d’auteur

[2]      Pour homologuer le tarif 24, la Commission du droit d’auteur s’est fondée sur l’alinéa 3(1)f) [mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 62; 1997, ch. 24, art. 3] de la Loi sur le droit d’auteur, dont voici les dispositions pertinentes (non souligné dans l’original) :

3. (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :

[. . .]

f) de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique;

[. . .]

Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d’autoriser ces actes.

[3]      Les termes « œuvre musicale » [mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 53] et « télécommunication » [édicté par L.C. 1988, ch. 65, art. 61] sont définis comme suit
[à l’article 2] :

2. [. . .]

« œuvre musicale » Toute œuvre ou toute composition musicale — avec ou sans paroles — et toute compilation de celles-ci.

[. . .]

« télécommunication » Vise toute transmission de signes, signaux, écrits, images, sons ou renseignements de toute nature par fil, radio, procédé visuel ou optique, ou autre système électromagnétique.

[4]      La Commission du droit d’auteur a estimé que la transmission d’une sonnerie musicale à un téléphone cellulaire dans les conditions prévues au tarif 24 constituait une communication au sens de l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur.

Norme de contrôle

[5]      La question en litige dans la présente demande porte sur l’interprétation de l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Je suis du même avis (voir Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, [2004] 2 R.C.S. 427, aux paragraphes 48 à 50 [l’arrêt SOCAN]).

Les faits

[6]      Les faits ne sont pas contestés. Ils sont bien relatés dans la décision de la Commission, qui les a exposés en détail. Pour les besoins de la présente demande, il suffira de les résumer.

[7]      Une sonnerie est un fichier audio numérique qui peut être emmagasiné dans la mémoire d’un téléphone cellulaire et être programmé de manière à signaler à l’abonné qu’on cherche à le joindre. Par sonnerie, on entend tout effet sonore, y compris de la musique. Une sonnerie musicale peut être composée de musique synthétisée, laquelle peut être monophonique (une note à la fois) ou polyphonique (jusqu’à 16 notes à la fois). Une sonnerie peut également être constituée d’un extrait ou d’une séquence de l’enregistrement sonore original d’une œuvre musicale.

[8]      Normalement, un téléphone cellulaire est vendu avec une ou plusieurs sonneries déjà emmagasinées
dans sa mémoire. Le client peut acheter des sonneries supplémentaires et les ajouter à la mémoire de son téléphone cellulaire. Au moyen de divers outils promotionnels, les entreprises de télécommunications sans fil invitent leurs clients à acheter des sonneries en les commandant sur leur site Web.

[9]      Les entreprises de télécommunications sans fil utilisent deux moyens pour vendre et distribuer des sonneries à partir de leur site Web. Le premier consiste à recourir à un protocole appelé wireless application protocol ou WAP. À partir de son cellulaire, l’abonné consulte le catalogue numérique de l’entreprise de télécommunications sans fil dans lequel sont décrites diverses sonneries. L’abonné envoie un message à l’entreprise de télécommunications sans fil pour l’informer de son choix de sonnerie. En contrepartie de certains frais, l’entreprise de télécommunications sans fil transmet la sonnerie ainsi choisie au cellulaire de l’abonné, où elle est immédiatement emmagasinée dans la mémoire du cellulaire. Environ 80 pour 100 des sonneries sont achetées de cette façon.

[10]   L’autre moyen employé consiste à utiliser un « service d’envoi de messages courts » ou SMS. À partir d’un ordinateur, le client consulte le catalogue de sonneries sur le site Web de l’entreprise de télécommunications sans fil. Il lit la description de la sonnerie ou fait jouer celle-ci. Il envoie ensuite un message à l’entreprise de télécommunications sans fil pour lui indiquer la sonnerie qu’il a choisie. Moyennant le paiement de certains frais, l’entreprise de télécommunications sans fil transmet au cellulaire du client un message auquel elle joint une copie du fichier contenant la sonnerie choisie, qui est ensuite sauvegardée dans la mémoire du cellulaire.

[11]   Les deux moyens employés pour se procurer une sonnerie pour un téléphone cellulaire supposent la transmission d’un fichier audionumérique entre l’entreprise de télécommunications sans fil et le cellulaire du client, sur paiement de certains frais. Une fois que le fichier a été emmagasiné dans la mémoire du cellulaire, l’abonné peut accéder à ce fichier pour écouter la sonnerie ou pour s’en servir pour être averti si quelqu’un cherche à le joindre. Aucun de ces modes de transmission ne permet de faire jouer ou entendre la sonnerie en même temps qu’elle est transmise.

[12]   Les entreprises de télécommunications sans fil pourraient employer d’autres moyens pour livrer des sonneries à leurs abonnés. Ainsi, elles pourraient charger un plus grand nombre de sonneries au point de vente ou elles pourraient vendre les sonneries sous forme de disques compacts audionumériques dont le contenu pourrait ensuite être copié dans la mémoire du cellulaire. Aucune de ces méthodes ne tomberait sous le coup du tarif 24. Cependant, aucune de ces solutions de rechange ne serait aussi efficace du point de vue des entreprises de télécommunications sans fil.

L’idée de la double rémunération

[13]   Aux termes des contrats qu’ils concluent avec des sociétés de droits de reproduction (l’Agence canadienne des droits de reproduction musicaux limitée (la CMRRA) et la Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada (la SODRAC)), les auteurs, compositeurs et éditeurs de musiques de sonneries musicales reçoivent une rémunération pour la reproduction d’œuvres musicales associées aux sonneries.

[14]   Les demanderesses soutiennent qu’on ne devrait pas permettre aux auteurs, compositeurs et éditeurs d’œuvres musicales de « fractionner » l’exercice de leurs droits entre différentes sociétés de gestion collective de manière à percevoir des redevances une seconde fois pour la même utilisation d’œuvres musicales pour lesquelles ils ont déjà été rémunérés. Les demanderesses ne prétendent cependant pas que la transmission d’œuvres musicales par les moyens déjà décrits est expressément ou implicitement autorisée par les contrats susmentionnés. Les demanderesses ne prétendent pas non plus que l’existence des accords en question suffit, en droit, pour justifier la conclusion que le tarif 24 est invalide.

[15]   Il est de jurisprudence constante que, sous le régime de la Loi sur le droit d’auteur, le droit de reproduire une œuvre musicale et le droit de la communiquer au public par télécommunication constituent des droits légaux distincts (Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467). Si la Commission du droit d’auteur a eu raison de conclure que la transmission d’une sonnerie musicale constitue l’étape finale dans la communication au public par télécommunication, force est alors de constater que le tarif 24 prévoit une rémunération pour un droit qui n’est pas visé par les ententes portant sur les droits de reproduction. Si la Commission du droit d’auteur a tort sur ce point, le tarif 24 n’est par conséquent pas autorisé par la Loi sur le droit d’auteur et la décision de la Commission du droit d’auteur d’homologuer le tarif 24 doit être annulée.

Systèmes de redevances ailleurs dans le monde

[16]   Les parties se réfèrent, pour diverses raisons, aux dispositions d’autres pays qui prévoient le versement de redevances pour la transmission de sonneries. Il ressort de ces dispositions qu’il existe une foule de régimes législatifs et de modalités administratives qui prévoient le versement d’une rémunération aux auteurs, compositeurs et éditeurs de musique pour les divers droits afférents au droit d’auteur associés aux œuvres musicales. Aucun de ces régimes étrangers ne comporte de dispositions législatives qui s’apparentent suffisamment à celles de notre Loi sur le droit d’auteur pour nous être utiles pour trancher les questions de droit en litige dans la présente demande.

Analyse

[17]   Pour contester la légalité du tarif 24, les demanderesses invoquent deux moyens subsidiaires. Elles affirment, dans un premier temps, que la transmission d’une sonnerie à un téléphone cellulaire par l’une des méthodes décrites plus haut ne répond pas à la définition de « communication ». À titre subsidiaire, elles soutiennent qu’il ne s’agit pas d’une « communication au public ».

1) Premier moyen : « communication »

[18]   Se fondant sur une analyse contextuelle de la Loi sur le droit d’auteur, les demanderesses affirment qu’on ne peut assimiler une transmission à une communication et que, en conséquence, le mot « communication » ne doit s’entendre que d’une transmission qui est censée être entendue ou perçue par le destinataire en même temps que la transmission ou immédiatement après.

[19]   À mon avis, les demanderesses proposent une définition du terme « communication » qui est trop limitative. Le terme « communication » s’entend de la transmission d’informations d’une personne à une autre. Une sonnerie musicale est une information présentée sous forme de fichier audionumérique apte à être communiqué. Le mode normal de communication d’un fichier audionumérique est sa transmission. La transmission sans fil d’une sonnerie musicale à un téléphone cellulaire constitue une communication, que le propriétaire du cellulaire y accède immédiatement, pour écouter la musique, ou plus tard. Le fait que la technologie employée pour la transmission ne permet pas au propriétaire du cellulaire d’écouter la musique au cours de la transmission ne signifie pas qu’il n’y a pas de communication. À mon avis, dans le contexte d’une transmission sans fil, c’est la réception de la transmission qui complète la communication.

[20]   Cette conclusion s’accorde avec l’arrêt SOCAN (précité). Dans cet arrêt, le juge Binnie, qui écrivait pour la majorité, a expliqué que la transmission d’informations par Internet constitue une « communication » une fois que l’information est reçue (voir le paragraphe 45). On ne sait pas avec certitude si cette question était en litige dans cette affaire, ou si elle a été débattue. Il se peut qu’il s’agisse d’une observation incidente. Dans un cas comme dans l’autre, cette affirmation est incontestablement véridique. S’agissant du sens du mot « communication », je ne perçois aucune distinction digne de mention entre les transmissions dont il était question dans l’affaire SOCAN et les transmissions en cause dans la présente espèce. Je conclus que les transmissions constituent des communications.

[21]   À l’appui de leur thèse au sujet du sens du mot « communication », les demanderesses tablent fortement sur la décision rendue par la Cour suprême l’affaire Composers, Authors and Publishers Assoc. of Canada Limited v. CTV Television Network Limited et al., [1968] R.C.S. 676, confirmant [1966] R.C.É. 872 (l’affaire CAPAC de 1968) ainsi que sur deux décisions ultérieures (qui seront analysées plus loin) s’inspirant du même raisonnement.

[22]         L’affaire CAPAC de 1968 concernait la CAPAC (le prédécesseur de la SOCAN), qui possédait les droits d’auteur sur certaines œuvres musicales et qui avait autorisé la diffusion de ces œuvres musicales par des stations de télévision affiliées au réseau CTV. Pour faciliter la diffusion, les œuvres musicales avaient été enregistrées sur bande magnétoscopique. Au lieu d’envoyer des copies des bandes magnétoscopiques aux stations en question, CTV avait transmis le contenu de ces bandes magnétoscopiques à ses stations affiliées par ondes hertziennes en se servant des installations de Bell Telephone Co. La CAPAC affirmait que CTV avait ainsi contrevenu à l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur [S.R.C. 1952, ch. 55], qui disposait, dans sa rédaction alors en vigueur :

3. (1) [. . .]

f) s’il s’agit d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de transmettre cette œuvre au moyen de la radiophonie [. . .]

[23]   À l’époque, l’expression « œuvre musicale » [à l’alinéa 2p)] était définie comme « Toute combinaison de mélodie et d’harmonie, ou l’une ou l’autre, imprimée, manuscrite, ou d’autre façon produite ou reproduite graphiquement ». Sous la plume du juge Pigeon, la Cour suprême du Canada a conclu que l’alinéa 3(1)f), dans sa rédaction alors en vigueur, ne s’appliquait pas.

[24]   Pour en arriver à cette conclusion, le juge Pigeon n’a pas dit qu’il n’y avait pas eu de communication. Il a plutôt estimé que ce qui avait été communiqué n’était pas une « œuvre musicale » (une représentation graphique d’une mélodie ou d’une harmonie), mais « l’exécution » d’une œuvre, un acte qui n’était pas visé par l’alinéa 3(1)f). À l’époque, la Loi définissait comme suit les mots « représentation », « exécution » ou « audition » [à l’alinéa 2q)] : « toute reproduction sonore d’une œuvre ou toute représentation visuelle de l’action dramatique qui est tracée dans une œuvre, y compris la représentation à l’aide de quelque instrument mécanique ou par transmission radiophonique ».

[25]         Le juge Pigeon ne s’est pas arrêté à son interprétation littérale de l’alinéa 3(1)f), mais a poursuivi son analyse en examinant cet alinéa en fonction de son contexte législatif et historique. Il n’a rien trouvé dans ce contexte qui permettait de s’écarter de l’interprétation littérale. L’alinéa 3(1)f), qui avait été édicté pour la première fois en 1931 [Loi modificative du droit d’auteur, 1931, S.C. 1931, ch. 8, art. 3] visait à donner effet au paragraphe (1) de l’Article 11 bis de la Convention de Berne, revisée par la Convention de Rome sur le droit d’auteur, 1928 [S.C. 1931, ch. 8, annexe A], qui était ainsi libellé :

Article 11 bis

(1) Les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser la communication de leurs œuvres au public par la radiodiffusion.

[26]   Le juge Pigeon a conclu que cette disposition de la Convention de Berne visait l’exécution en public par radiodiffusion, ce qui s’accorde avec la définition générale du « droit d’auteur » à l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur, qui englobe non seulement tous les droits de reproduction, mais aussi tous les droits d’exécution de l’œuvre à condition que cette exécution ou représentation ait lieu « en public ». Le système de transmission par ondes hertziennes facilitait la diffusion des émissions au public par les stations affiliées de CTV, conformément à l’autorisation donnée par la CAPAC, mais elles ne constituaient pas elles-mêmes des communications au public.

[27]         En 1988, la Loi sur le droit d’auteur a été modifiée, principalement pour donner effet à l’Accord de libre-échange [Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis d’Amérique, L.C. 1988, ch. 65, annexe, partie A] (Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis, LC. 1988, ch. 65 [art. 61 à 65] ). À l’époque, la définition précitée du mot « télécommunication » avait été insérée dans la Loi sur le droit d’auteur, et d’autres dispositions avaient été ajoutées pour traiter de questions de diffusion qui ne nous intéressent pas en l’espèce. Par la même occasion, l’alinéa 3(1)f) a été modifié pour devenir la version qui s’applique dans le cas qui nous occupe. La version de 1988 de l’alinéa 3(1)f) a déjà été citée, mais nous la reproduisons ici par souci de commodité (non souligné dans l’original) :

3. (1) [. . .]

f) de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique.

[28]   Notre Cour a examiné la version de 1988 de l’alinéa 3(1)f) dans deux affaires instruites simultanément en 1993. La première, CTV Television Network Ltd. c. Canada (Commission du droit d’auteur), [1993] 2 C.F. 115 (C.A.), portait sur des faits qui étaient semblables à ceux de l’affaire CAPAC de 1968, à cette exception près que la transmission d’œuvres musicales de CTV à ses stations affiliées avait été effectuée par satellite et non par les ondes hertziennes. La Cour a souscrit au raisonnement suivi dans la décision CAPAC de 1968 pour en arriver au même résultat, en l’occurrence que les transmissions en question ne tombaient pas sous le coup de l’alinéa 3(1)f). La Cour a également conclu que les transmissions ne constituaient pas une exécution d’œuvres musicales en public.

[29]   Dans la seconde affaire, Assoc. canadienne de télévision par câble c. Canada (Commission du droit d’auteur), [1993] 2 C.F. 138 (C.A.), la Cour a une fois de plus souscrit au raisonnement suivi dans l’affaire CAPAC de 1968 pour conclure que la transmission d’une œuvre musicale aux abonnés du câble ne constituait pas une communication d’une œuvre au public au sens de l’alinéa 3(1)f). La Cour a toutefois jugé que la transmission constituait une exécution d’une œuvre musicale en public, parce que le résultat de la transmission était la représentation visuelle et acoustique de l’œuvre musicale à un vaste segment du public.

[30]   À mon avis, l’affaire CAPAC de 1968 et les deux décisions ultérieures rendues en 1993 par notre Cour ne laissent planer aucun doute au sujet de la conclusion que les transmissions en litige dans le cas qui nous occupe sont effectivement des communications.

2) Moyen subsidiaire : Communication « au public »

[31]   La seule question qu’il nous reste à trancher est celle de savoir si la transmission de sonneries à partir du site Web d’une entreprise de télécommunications sans fil au téléphone cellulaire d’un abonné constitue, comme la Commission du droit d’auteur l’a conclu, la dernière étape de la communication de la sonnerie « au public ».

[32]   Le groupe constitué de l’ensemble des clients d’une entreprise de télécommunications sans fil est suffisamment grand et diversifié pour qu’on puisse légitimement le considérer comme étant « le public ». Les demanderesses ne prétendent pas le contraire. Elles soutiennent essentiellement que, lorsqu’une entreprise de télécommunications sans fil offre à l’ensemble de ses clients la possibilité d’acheter des sonneries, le fait que ses clients répondent à son offre un par un et qu’ils reçoivent un par un la copie des sonneries par transmission sans fil signifie nécessairement que chaque transmission est une communication privée et qu’il n’y a donc pas de communication au public. En d’autres termes, la thèse des demanderesses est qu’une série de communications identiques, peu en importe le nombre, ne peuvent constituer une communication au public si chacune de ces communications est entreprise à la demande du destinataire.

[33]   La seule décision qui nous soit un tant soit peu utile sur ce point est l’arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339 (l’affaire CCH). Cette affaire portait sur un service de photocopie sur demande qui était offert par le Barreau du Haut-Canada à ses membres, aux juges et aux autres chercheurs autorisés. Les documents photocopiés consistaient en des extraits d’ouvrages conservés à la Grande bibliothèque de Toronto. Un des moyens qui était employé pour transmettre les documents demandés était le télécopieur, lequel constitue un moyen de télécommunication.

[34]   Parmi les nombreuses questions en litige dans l’affaire CCH, il y avait celle de savoir si la transmission sur demande de photocopies par télécopieur en conformité avec la politique de la Grande bibliothèque sur le service de photocopie constituait une communication au public par télécommunication au sens de l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur. La Cour a répondu par la négative à cette question. Comme le motif de cette conclusion est très bref, je le reproduis intégralement (paragraphes 77 à 79, la juge en chef McLachlin, écrivant pour la Cour) :

En première instance, les éditeurs ont soutenu qu’en transmettant des copies de leurs œuvres à des avocats de l’Ontario, le Barreau les communiquait « au public, par télécommunication » et violait donc l’al. 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur. Le juge de première instance a conclu que les transmissions par télécopieur en cause n’équivalaient pas à une communication au public par télécommunication parce qu’elles « provenaient d’un seul point et étaient destinées à n’atteindre qu’un seul point » (par. 167). La Cour d’appel partageait cette opinion, même si elle a reconnu qu’une série de transmissions séquentielles pouvait violer le droit du titulaire de communiquer une œuvre au public.

Je souscris à ces conclusions. Transmettre une seule copie à une seule personne par télécopieur n’équivaut pas à communiquer l’œuvre au public. Cela dit, la transmission répétée d’une copie d’une même œuvre à de nombreux destinataires pourrait constituer une communication au public et violer le droit d’auteur. Toutefois, aucune preuve n’a établi que ce genre de transmission aurait eu lieu en l’espèce.

Compte tenu de la preuve, les transmissions par télécopieur ne constituaient pas des communications au public. Je suis d’avis de rejeter ce moyen d’appel incident.

[35]   Suivant ce raisonnement, il me semble que, pour déterminer si l’alinéa 3(1)f) s’applique à la transmission d’une œuvre musicale sous forme de fichier audionumérique, il ne suffit pas de se demander si l’on a affaire à une communication entre un expéditeur unique et un destinataire unique ou à une communication unique demandée par le destinataire. La réponse à l’une et l’autre de ces questions ne serait pas nécessairement déterminante parce qu’une série de transmissions de la même œuvre musicale à un grand nombre de destinataires différents peut constituer une communication au public si les destinataires constituent le public ou une partie importante du public.

[36]   La Commission du droit d’auteur a conclu que la présente affaire comportait une série de transmissions des mêmes œuvres à divers destinataires et, partant, au public. La Commission explique cette conclusion dans les termes suivants au paragraphe 68 de ses motifs :

Les entreprises de télécommunications sans fil tentent de vendre le plus grand nombre possible de copies de chaque sonnerie, afin de maximiser ventes et bénéfices. Leur intention, leur souhait même, est d’effectuer une série de transactions répétées concernant la même œuvre avec de nombreux destinataires. Cette situation, croyons-nous, constitue une communication au public.

[37]   L’exposé des faits qu’a formulé la Commission du droit d’auteur est approprié et il repose amplement sur la preuve versée au dossier.

[38]   Les demanderesses soutiennent que la Commission du droit d’auteur a commis une erreur dans son appréciation de la notion de « série de transmissions ». Elles se fondent sur l’arrêt rendu par notre Cour dans l’affaire CCH ([CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada] [2002] 4 C.F. 213 (C.A.)), et particulièrement sur les propos suivants tenus par le juge Linden au paragraphe 100 :

Le juge de première instance a estimé (paragraphe 167) qu’une seule télécommunication provenant d’un seul point et destinée à n’atteindre qu’un seul point ne constitue pas habituellement une communication au public. Je suis d’accord. À mon avis, le sens courant de l’expression « au public » indique que la communication doit viser ou cibler les « personnes en général » ou la « collectivité » (voir le New Oxford Dictionary of English, sous « public » (Oxford: Clarendon Press, 1998). Le paragraphe 1721(2) de l’ALÉNA, précité, qui ne lie pas la Cour mais est néanmoins utile puisque le terme « public » n’est pas défini autrement, précise que le public comprend « tout groupe de personnes à qui s’adressent des communications ou exécutions d’œuvres et qui sont en mesure de les recevoir ». Une communication qui ne vise qu’un segment du public peut cependant être aussi une communication au public. L’alinéa 2.4(1)a) [. . .] explique qu’une communication peut être faite au public si elle est « destinée » aux personnes qui « font partie du public », plus précisément les personnes qui occupent un appartement, une chambre d’hôtel, ou un logement dans un même immeuble. Ainsi, pour être faite « au public », une communication doit être destinée à un groupe de personnes, ce qui est plus qu’une personne mais pas nécessairement tout le public en général.

 [39]  À mon avis, ces propos ne se veulent pas une explication détaillée du sens de l’expression « communication au public ». Il n’y a aucune raison de croire qu’en les tenant, le juge Linden songeait à une série de transmissions entre expéditeurs uniques et destinataires uniques, destinataires qui formeraient un groupe qu’on pourrait légitimement considérer comme constituant le grand public, comme c’est le cas en l’espèce.

[40]         Les demanderesses soulignent par ailleurs que, dans le cas qui nous occupe, les transmissions ne sont pas effectuées « de manière ouverte, sans dissimulation » et qu’il leur manque donc une caractéristique essentielle, celle d’être « publiques ». On songe ici à l’arrêt Association canadienne de télévision par câble c. Canada (Commission du droit d’auteur), précité, dans lequel notre Cour a jugé que la transmission d’une œuvre musicale par télévision par câble constituait une exécution « en public » de l’œuvre. Le juge Létourneau, qui écrivait au nom de la Cour, explique cette conclusion comme suit [aux pages 152 et 153] :

L’appelante soutient par ailleurs, dans le cas où la Cour conclurait que ses activités de transmission équivalent à une exécution, que celle-ci n’est pas publique puisque, au Canada, quatre-vingt-dix-sept pour cent des abonnements au service de télévision par câble sont résidentiels et que la transmission est acheminée à la résidence privée de chacun des abonnés.

J’aurais été enclin à croire, à partir du simple bon sens, que lorsque, à partir de sa résidence ou de son bureau, le premier ministre du Canada s’adresse aux citoyens, lesquels se trouvent dans leurs demeures, au moyen de la radio ou de la télévision, son allocution est publique et est exécutée en public. Je n’aurais pas demandé mieux que d’en rester là n’eût été de l’existence de jugements antérieurs contradictoires sur le sujet.

Dans Canadian Admiral Corpn. Ltd. v. Rediffusion, Inc. ([1954] R.C.É. 382), le tribunal a statué que ni la radiodiffusion ni la télédiffusion n’équivalaient à une exécution en public lorsqu’elles étaient captées dans des demeures privées [. . .]

Avec déférence pour l’avis contraire, je partage plutôt le point de vue exprimé par les tribunaux britanniques, indiens et australiens, lequel est compatible avec notre Loi. Ces tribunaux se sont en effet prononcés de manière réaliste quant aux effets de l’essor technologique, et leurs conclusions sont compatibles avec le sens courant de l’expression « en public », c.-à-d. de manière ouverte, sans dissimulation et au su de tous. [Notes en bas de page omises.]

[41]   Dans cette affaire, le débat portait sur la question de savoir si l’exécution avait eu lieu en public, et non si une communication avait été faite au public. Les mots « de manière ouverte, sans dissimulation » étaient employés pour désigner la nature de l’auditoire visé et de l’auditoire potentiel de la prestation qui était transmise par télévision, par opposition à une prestation privée chez un particulier.

[42]   En l’espèce, personne hormis l’entreprise de télécommunications sans fil et le destinataire n’est normalement conscient de la transmission d’une sonnerie au cellulaire, et en ce sens, la transmission n’est pas faite « de manière ouverte ». Il ne s’ensuit cependant pas nécessairement que l’alinéa 3(1)f) ne s’applique pas. La transmission d’une émission de télévision est une exécution en public, même si personne ne la regarde ou même si chaque personne qui la regarde le fait en privé, parce qu’elle est mise à la disposition d’un groupe de personnes suffisamment large et diversifié. De même, dans le cas qui nous occupe, tous les clients d’une entreprise de télécommunications sans fil (c’est-à-dire tous les membres du segment concerné du public) ont accès à toutes les sonneries offertes par cette entreprise de télécommunications sans fil. Le fait que les sonneries soient offertes au public, ou à un segment important du public, assure le degré requis d’« ouverture ».

[43]   À mon avis, la conclusion de la Commission du droit d’auteur suivant laquelle les transmissions en litige en l’espèce tombent sous le coup de l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur est compatible avec le libellé de cette disposition et avec son contexte. Elle s’accorde aussi avec le bon sens. Si une entreprise de télécommunications sans fil devait transmettre une sonnerie déterminée simultanément à tous les abonnés qui l’ont demandée, cette transmission constituerait une communication au public. Il serait illogique d’en arriver à un résultat différent pour la simple raison que les transmissions sont effectuées une par une et qu’elles ont donc lieu à des moments différents.

Conclusion

[44]   À mon avis, la Commission du droit d’auteur a eu raison en droit de conclure que la transmission sur demande de sonneries à leurs clients par des entreprises de télécommunications sans fil constitue une communication au public par télécommunication au sens de l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur. Je rejetterais la présente demande avec dépens.

Le juge Sexton, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Ryer, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

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