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CSIS-18-05

2008 CF 300

Dans l’affaire d’une demande de mandats présentée par [. . .] en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), chap. C-23

Et dans l’affaire visant le [. . .]

Répertorié : Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re) (C.F.)

Cour fédérale, juge Noël—Ottawa, 30 juin, 20 décembre 2005, 11 janvier, 10 et 31 mars, 10 et 12 mai et 13 juillet 2006.

Renseignement de sécurité — Directive du juge responsable de la gestion de l’instance dans le cadre d’une demande de mandats présentée en vertu de l’art. 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité — La demande soulevait une question de droit préliminaire (question de compétence) — Il s’agissait de savoir si la question de compétence pouvait être débattue en public — Interprétation de l’art. 27 — Les mandats décernés en vertu de la Loi sur le SCRS sont une mesure extraordinaire, à caractère envahissant et axée sur l’obtention d’informations — Le régime du contrôle judiciaire prévu dans la Loi sur le SCRS vise à assurer la légalité des activités du SCRS et le secret des informations communiquées à la Cour — Il est nécessaire d’établir un équilibre entre la sécurité nationale et les droits fondamentaux — La Cour n’a pas le pouvoir discrétionnaire de permettre la tenue d’une audience publique relativement à une demande de mandat en vertu de l’art. 27 de la Loi sur le SCRS — Il n’est pas possible de débattre la question de compétence en public.

Juges et Tribunaux — Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a demandé à la Cour de décerner des mandats en vertu de l’art. 21 de la Loi sur le SCRS — La question de droit préliminaire (la question de compétence) doit être entendue à huis clos — Il appartient à la Cour fédérale d’examiner et d’établir le processus de délivrance des mandats parce que ceux-ci conféreraient au SCRS des pouvoirs considérables — En vertu de la Partie II de la Loi sur le SCRS, le juge désigné a comme rôle d’exercer un contrôle judiciaire sur la légalité, la nécessité et le caractère raisonnable des méthodes d’enquête du SCRS — Pour décider s’il est possible d’effectuer un examen public ou non des questions de compétence, la Cour doit examiner à la fois les droits fondamentaux (p. ex. l’accès aux tribunaux) et la sécurité nationale.

Interprétation des lois — Art. 27 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS) — L’art. 2 précise que la demande de mandat est « entendue à huis clos » — La confidentialité d’une demande de mandat a pour but de préserver le secret des informations sensibles en général et d’assurer l’exécution du mandat — La formulation impérative de l’art. 27 indique que le législateur avait clairement l’intention que la demande de mandat soit « entendue à huis clos » — Un juge ne peut pas permettre la tenue d’une audience publique relativement à une demande de mandat elle-même — Les questions incidentes pourraient être examinées en audience publique dans certaines circonstances — Chaque cas est un cas d’espèce — Il est nécessaire d’établir un équilibre entre la sécurité nationale et les droits fondamentaux.

Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) demandait à la Cour, pour la première fois depuis l’adoption de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS), de décerner des mandats en vertu de l’article 21 de cette Loi. À titre de question préliminaire, il fallait décider si une question de droit (la question de compétence) soulevée par la demande pourrait être examinée séparément dans le cadre d’une audience publique. L’article 27 de la Loi sur le SCRS précise qu’une demande de mandat ou de renouvellement de mandat faite à un juge en vertu de l’article 21, 22 ou 23 est entendue à huis clos en conformité avec les règlements d’application de l’article 28. Le sous-procureur général du Canada a fait valoir que l’expression « à huis clos » est employée seule et ne prévoit pas une application restreinte dans le temps. Il a ajouté que ni l’article 27 ni aucun autre article de la Partie II ne prévoient la divulgation de renseignements sensibles et que si le législateur avait voulu que les audiences prévues à l’article 27 de la Loi sur le SCRS se tiennent en public, il l’aurait dit explicitement. L’amicus curiae a reconnu que certaines informations doivent rester confidentielles, mais il a soutenu que la question de compétence doit et peut être débattue en public. De même, il a indiqué que l’article 27 est assujetti à l’application de l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés et qu’il faut respecter le principe de la publicité des débats judiciaires pour inspirer confiance et assumer son obligation de rendre compte. L’amicus curiae était d’avis que la question de l’interprétation de la Loi sur le SCRS devrait et pourrait être débattue en public. La question litigieuse était celle de savoir si la question de compétence pouvait être débattue en public.

Jugement : la question de compétence sera entendue à huis clos.

Le mandat décerné en vertu de la Loi sur le SCRS est une mesure extraordinaire, à caractère envahissant, qui vise la réalisation de vastes enquêtes non circonscrites, axée sur l’obtention d’informations, et qui met l’accent sur la réalisation d’enquêtes, l’analyse et la production de renseignements. Compte tenu de la nature ainsi que du caractère envahissant et sensible des activités du SCRS, ces activités doivent être assujetties à un contrôle judiciaire complet et rigoureux. Le régime de contrôle judiciaire adopté en 1984 (articles 21 à 28 — partie II de la Loi sur le SCRS) vise à assurer à la fois la légalité des activités du SCRS et le secret des informations communiquées à la Cour dans le cadre d’une demande et de l’obtention de mandats. Les personnes visées (cibles) ne doivent pas être présentes ou ne doivent pas être au courant de la demande de mandat; autrement, l’objet d’une telle demande n’aurait aucune utilité pratique. Le public ne doit pas avoir accès à l’information parce que celle-ci se rapporte à la sécurité nationale et que l’efficacité des méthodes et des activités du SCRS reposent sur le secret. En vertu de la partie II de la Loi sur le SCRS, le juge désigné a comme rôle d’exercer un contrôle judiciaire sur la légalité, la nécessité et le caractère raisonnable des méthodes d’enquête du SCRS, en gardant à l’esprit que l’exigence de confidentialité des demandes de mandat est justifiée compte tenu des préoccupations en matière de sécurité nationale qui sont en jeu.

Pour décider s’il est possible d’effectuer un examen public ou non des questions de compétence liées à des demandes de mandat, il faut examiner à la fois les droits fondamentaux et les préoccupations en matière de sécurité nationale. L’accès aux tribunaux est un aspect fondamental de notre régime démocratique. La transparence dans l’administration de la justice favorise la confiance dans le système judiciaire. Elle protège également l’intégrité du système judiciaire en garantissant la primauté du droit et contribue à maintenir l’indépendance et l’impartialité des tribunaux. Une interdiction d’accès du public aux tribunaux doit reposer sur une justification solide eu égard à la situation et aux valeurs en jeu. Dans certaines circonstances, il est nécessaire d’établir un juste équilibre entre la sécurité nationale et les droits fondamentaux.

La formulation impérative de l’article 27 de la Loi sur le SCRS indique que le législateur avait clairement l’intention que la demande de mandat soit « entendue à huis clos ». Un juge ne peut pas permettre la tenue d’une audience publique relativement à une demande de mandat elle-même présentée en vertu de l’article 27 de la Loi sur le SCRS. Toutefois, des réserves doivent être formulées en ce qui a trait aux questions « incidentes ». Les questions « incidentes » liées à une demande de mandat, notamment les questions de compétence, pourraient être examinées en audience publique dans certaines circonstances. Compte tenu du libellé précis de l’article 27 de la Loi sur le SCRS et de l’équilibre à maintenir entre la sécurité nationale et les droits fondamentaux, chaque cas est un cas d’espèce. Les faits et les documents en l’espèce ont amené la Cour à la conclusion qu’il n’était pas possible d’examiner publiquement la question de la compétence. Les questions de fait et de droit étaient si inextricablement liées en l’espèce qu’il serait impossible de débattre en public des questions de droit sans révéler des informations sensibles qui seraient préjudiciables à la sécurité nationale et qui révéleraient vraisemblablement les méthodes employées par le SCRS. La question de droit ne pouvait pas être examinée dans l’abstrait.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2b).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 51(2),(3).

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 2 « menaces envers la sécurité du Canada » (mod. par L.C. 2001, ch. 4, art. 89), 12, 16 (mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25; 2001, ch. 27, art. 224), 21, 22, 23, 24, 25 (mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 49), 26, 27, 28, 48, 52.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 17 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3; 2002, ch. 8, art. 25), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26).

Loi sur les secrets officiels, S.R.C. 1970, ch. O-3, art. 16 (édicté par S.C. 1973-74, ch. 50, art. 6).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 78d),h).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 3, 4, 109(3), 383 (mod., idem, art. 22; 2007-214, art. 2), 385 (mod. par DORS/2002-417, art. 24; 2007-214, art. 4; 2007-301, art. 10(A)).

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3; 2002 CSC 75; Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1992] A.C.F. no 100 (C.A.) (QL); conf. [1989] 2 C.F. 229 (1re inst.); Demande fondée sur l’art. 83.23 du Code criminel, [2004] 2 R.C.S. 248; 2004 CSC 42.

décision examinée :

Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, [2005] 2 R.C.S. 188; 2005 CSC 41.

décisions citées :

Vancouver Sun (Re), [2004] 2 R.C.S. 332; 2004 CSC 43; Moumdjian c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1997] A.C.F. no 1574 (C.A.) (QL); Züundel (Re), 2005 CF 295; Alemu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 997; Harkat (Re), 2003 CFPI 285.

doctrine citée

Black’s Law Dictionary, 8e éd. St. Paul, Minn. : Thomson West, 2004, s.v. « private ».

Canada. Comité sénatorial permanent de la sécurité na­tionale et de la défense. Procès-verbaux, fascicule no 2 (29 mai 2006).

Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Deuxième rapport : La liberté et la sécurité devant la loi, vol. 1. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981.

Canada. Parlement. Sénat. Rapport du Comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité : Équilibre délicat : Un Service du renseignement de sécurité dans une société démocratique. Ottawa : Le Comité, 1983.

Reid, Hubert. Dictionnaire de droit québécois et canadien : avec lexique anglais-français. Montréal : Wilson & Lafleur, 1994, s.v. « huis clos ».

DIRECTIVE du juge responsable de la gestion de l’instance portant qu’une question de compétence préliminaire soulevée dans le cadre d’une demande de mandats présentée en vertu de l’article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité sera entendue à huis clos.

ont comparu :

John R. O’Hallaran et Robert F. Batt pour le demandeur.

Ronald G. Atkey, C.P., c.r. à titre d’amicus curiae.

avocats inscrits au dossier :

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Voici les motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus en français par

Le juge Noël :

I. Introduction et questions en litige

[1]      Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) demande à la Cour, pour la première fois depuis l’adoption de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23 (Loi sur le SCRS), de décerner, en vertu de l’article 21 de cette Loi, des mandats qui [...]* Le SCRS est représenté par le sous-procureur général du Canada (SPGC).

[2]      En vue d’assurer que la présente instance englobe l’examen de toutes les répercussions qu’elle est susceptible de comporter, le juge en chef a affecté le soussigné et lui-même à titre de juges responsables de la gestion de l’instance, conformément à la règle 383 [mod. par DORS/2004-283, art. 22] des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [règle 1 (mod., idem, art. 2)] (les Règles).

[3]      En l’espèce, l’une des principales questions en litige est une question de droit, [...] À l’issue d’une audience, le SCRS a accepté que la Cour nomme un amicus curiae et l’honorable Ron G. Atkey, C.P., c.r. a été nommé en cette qualité. Il est devenu évident qu’il fallait un amicus curiae car le SCRS ne pouvait objectivement présenter pleinement à la Cour tous les différents points de vue soulevés par la question de droit. L’intérêt de la justice exigeait clairement qu’un amicus curiae soit nommé par la Cour afin que puisse être examiné le point de vue opposé à celui présenté par le SCRS à l’appui de la demande de mandats [...]

[4]      A titre de question préliminaire, le soussigné a demandé si la question de droit énoncée au paragraphe précédent pourrait être examinée séparément de la demande de mandats, dans le cadre d’une audience publique, ou si elle doit être entendue à huis clos? Autrement dit, est-ce que cette question de droit peut être débattue au cours d’une audience publique sans qu’il soit porté atteinte aux préoccupations de sécurité nationale, compte tenu des documents qui ont été déposés devant la Cour? Le mandat de l’amicus curiae a été élargi pour inclure la présentation d’observations sur cette question préliminaire.

[5]      L’amicus curiae soutient que c’est possible, mais le SCRS s’y objecte.

[6]      Puisque la Cour a soulevé cette question préliminaire dans le cadre des fonctions de gestion d’instance que lui confèrent les règles 3, 4 et 385 [mod. par DORS/2004-417, art. 24], des motifs d’ordonnance et une ordonnance seront prononcés.

[7]      L’interprétation de l’article 27 de la Loi sur le SCRS se situe au cœur de la présente affaire. En voici le texte :

27. Une demande de mandat ou de renouvellement de mandat faite à un juge en vertu de l’article 21, 22 ou 23 est entendue à huis clos en conformité avec les règlements d’application de l’article 28.

II. Observations

A. SPGC

[8]      En résumé, le SPGC soutient d’une part que toute demande, selon l’interprétation qu’il convient de donner à l’article 27 de Loi sur le SCRS, doit être entendue à huis clos et d’autre part, qu’il ne peut être fait divulgation de l’existence de la demande, des détails de celle-ci ou de la décision à laquelle elle donne lieu.

[9]      Le SPGC fait valoir que l’expression « à huis clos » figurant à l’article 27 est employée seule et ne prévoit pas une application restreinte dans le temps, et qu’il n’est pas loisible à la Cour de son propre chef ni aux parties qui y consentent d’écarter les exigences impératives relatives au huis clos, qui seraient prévues dans une loi (voir Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 58).

[10]   À l’appui de sa position portant que l’article 27 ne peut signifier autre chose qu’une audience « à huis clos », le SPGC attire l’attention de la Cour sur les articles 48 et 52 de la Loi sur le SCRS. L’article 48 prévoit que le comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) tient les enquêtes sur les plaintes « en secret ». L’article 52 établit que le comité envoie des rapports contenant des recommandations au directeur, au ministre et au plaignant. Le SPGC fait également un parallèle avec les alinéas 78d) et 78h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Ces dispositions prévoient expressément que les audiences se déroulent « à huis clos », mais qu’un résumé de l’information ou de la preuve est fourni à l’étranger ou au résident permanent. Le SPGC fait de nouveau valoir que ni l’article 27 ni aucun autre article de la partie II [articles 21 à 28] de la Loi sur le SCRS ne prévoient la divulgation de renseignements sensibles. Le SPGC soutient essentiellement que, si le législateur avait voulu que les audiences prévues à l’article 27 se tiennent en public, il l’aurait dit explicitement.

[11]   Le SPGC affirme également que les demandes de mandats délivrés en vertu du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, sont entendues à « huis clos » et qu’il n’existe aucun accès à ces demandes ou aux ordonnances rendues jusqu’à l’exécution des mandats (voir Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, [2005] 2 R.C.S. 188, aux paragraphes 19 et 20, et Vancouver Sun (Re), [2004] 2 R.C.S. 332, aux paragraphes 33 à 38, 60 et 72). De l’avis du SPGC, il n’existe aucun motif de s’écarter du libellé de l’article 27 et de déroger aux arrêts susmentionnés de la Cour suprême, sous réserve des particularités propres à une demande de mandat sous le régime de la Loi sur le SCRS.

[12]   Le SPGC est également préoccupé par les conséquences qu’un examen et un débat publics de la question de droit auront sur les méthodes d’enquête du SCRS. Les demandes soumises en vertu de l’article 21 ont trait à des menaces pour la sécurité du Canada; il y est question des méthodes utilisées pour obtenir secrètement des informations. La présente demande ne fait pas exception et décrit en détail les méthodes qui seront utilisées. La Cour fédérale a toujours protégé ces informations sensibles en conformité avec la jurisprudence établie depuis longtemps (voir Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1992] A.C.F. no 100 (C.A.) (QL)). De l’avis du SPGC, les méthodes décrites dans la présente demande constituent une approche innovatrice de la collecte de renseignements et la Cour doit en assurer la protection.

[13]   Enfin, le SPGC précise que la Cour est saisie d’une demande de mandat en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS et non d’une requête en jugement déclaratoire. Il allègue qu’une telle requête ne constituerait pas le recours approprié pour l’examen de la question de droit, et donc, que l’on se trouverait à faire indirectement ce que l’on ne peut faire directement en considérant ladite demande de mandat comme s’il s’agissait d’une requête en jugement déclaratoire.

[14]   Le SPGC indique que la Cour a, dans le passé, rendu des motifs de jugement (voir les documents 84-01, 84-04, onglets 8 et 9, des observations du SPGC) qui ont été utiles dans l’établissement de lignes directrices. Il soutient qu’il est possible de faire de même en l’espèce.

B. Amicus curiae

[15]   L’amicus curiae reconnaît que certaines informations ne doivent pas être rendues publiques et doivent demeurer confidentielles, par exemple la cible du mandat demandé, les moyens (méthodes) d’interception, les endroits où le mandat sera exécuté, etc. Cependant, il soutient que la question de compétence doit et peut être débattue en public.

[16]   Pour assurer la confidentialité des informations, l’amicus curiae fait valoir que la Cour pourrait s’en remettre aux « critères » établis par le SCRS dans le document intitulé « CSIS National Security Claims » (NSC). Ce document établit les critères qui, au sein du gouvernement du Canada, permettent d’établir ce qui constitue des renseignements qui, s’ils sont divulgués, seraient « préjudiciables aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité nationale ». Voici le texte de ces définitions (voir le paragraphe 7 des observations écrites de M. Ronald G. Atkey, l’amicus curiae) :

1)       Révèlent ou tendent à révéler l’intérêt du Service pour des individus, des groupes ou des questions, y compris l’existence ou l’absence d’enquêtes ou de dossiers antérieurs ou actuels, l’intensité des enquêtes ou le degré de réussite ou l’échec des enquêtes.

2)  Révèlent ou tendent à révéler l’identité de sources humaines du Service ou le contenu des informations fournies par une source humaine.

3)  Révèlent ou tendent à révéler les techniques d’enquête et les méthodes opérationnelles du Service.

4)  Révèlent ou tendent à révéler l’identité d’employés du Service ou les procédures internes et les méthodes administratives du Service, comme des noms et des numéros de dossier, etc.

5)   Révèlent ou tendent à révéler les relations que le Service entretient avec des services de police et d’autres organismes de sécurité et de renseignement au Canada et ailleurs, et révéleraient des informations reçues à titre confidentiel de pareilles sources.

6)  Révèlent ou tendent à révéler des informations sur le système de télécommunications utilisé par le Service.

7)  Compromettent ou tendent à compromettre des relations internationales essentielles. [Soulignement dans l’original.]

À partir de cette définition, les informations contenues dans la demande pourraient faire l’objet d’un examen et pourraient être exclues.

[17]   Après avoir signalé que l’article 27 de la Loi sur le SCRS renvoie aux règlements d’application de l’article 28 et que de tels règlements n’existent pas, l’amicus curiae soutient que les règles régissant le contrôle judiciaire, exposés aux articles 21 à 28, sont incomplètes et que l’article 27 doit être tempéré par les droits et recours prévus par la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)] et les Règles.

[18]   L’amicus curiae a fait état de deux recours prévus dans la Loi sur les Cours fédérales, en vertu desquels il serait possible de protéger les informations entrant dans les catégories visées par les NSC tout en permettant que les questions de compétence soient débattues en public. Il a fait précisément valoir qu’une requête en jugement déclaratoire, en vertu de l’article 17 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3; 2002, ch. 8, art. 25] ou 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] de la Loi sur les Cours fédérales, serait une solution appropriée. Dans ses observations, l’amicus curiae a ensuite expliqué comment une telle procédure serait exécutée, qui intenterait le recours, quelle décision ferait l’objet d’un examen et quelles questions seraient abordées. Aux fins de la présente décision provisoire, il n’est pas nécessaire de discuter en détail de ces différents points. L’important est de se rappeler que l’amicus curiae estime qu’il existe des solutions valables à envisager pour établir une tribune publique où sera débattue la question de savoir si la Loi sur le SCRS autorise ou non la Cour fédérale à décerner des mandats [...], sans pour autant que soient divulguées des informations qui seraient préjudiciables aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale.

[19]   En outre, dans ses observations, l’amicus curiae indique que l’article 27 de la Loi sur le SCRS est assujetti à l’application de l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte) et qu’il faut respecter le principe de la publicité des débats judiciaires pour inspirer confiance et assumer son obligation de rendre compte (voir Vancouver Sun (Re), ci-dessus, aux paragraphes 24 à 26).

[20]   Bref, l’amicus curiae est d’avis que la question
de l’interprétation de la Loi sur le SCRS devrait et pourrait être débattue en public. Selon l’amicus curiae, la Loi sur les Cours fédérales et les Règles prévoient les recours nécessaires et, en se fondant sur les catégories d’informations visées par les NSC, la Cour pourrait exclure, élément par élément, toute information pouvant être préjudiciable aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale.

[21]   L’amicus curiae soutient subsidiairement qu’à tout le moins les observations des avocats des deux parties devraient être rendues publiques, à la condition qu’elles ne comprennent aucune information entrant dans les catégories visées par les NSC, le tout conformément à la règle 4 (« Cas non prévus») et au paragraphe 109(3) des Règles ( « Directives » ou « Interventions »).

III. Analyse

[22]   J’examinerai maintenant le principe du contrôle judiciaire en vertu de la partie II de la Loi sur le SCRS. Je me pencherai ensuite sur l’interprétation de l’article 27 et les particularités de la présente affaire.

A. La nature d’une demande de mandat et le principe du contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur le SCRS

1) Histoire et buts du principe du contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur le SCRS

[23]     Avant l’adoption de la Loi sur le SCRS, les mandats étaient décernés par le solliciteur général en vertu de l’article 16 de la Loi sur les secrets officiels, S.R.C. 1970, ch. O-3. L’article 16 a été ajouté par voie de modification de la Loi en 1973 [S.C. 1973-74, ch. 50, art. 6].

[24]   L’idée de prévoir une intervention judiciaire dans le processus de délivrance des mandats remonte au début des années 1980, lorsque la Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada (la Commission) a publié son rapport (voir Canada, Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada, Deuxième rapport : La liberté et la sécurité devant la loi, vol. 1, à Ottawa, août 1981, aux pages 623 et 624, paragraphes 179 à 181) :

179. Nos recommandations assujettiraient à l’obtention d’un mandat décerné par un juge de la Cour fédérale l’exercice, par le service de renseignements pour la sécurité, de quatre pouvoirs extraordinaires. Ces quatre pouvoirs sont l’interception des communications par l’écoute électronique, la perquisition dans des locaux ou des biens privés dans des circonstances où il est impossible d’obtenir un tel mandat aux fins d’une enquête criminelle, l’examen du courrier et l’accès aux renseignements personnels, autres que les « renseignements biographiques », que possède le gouvernement fédéral. Nous qualifions ces pouvoirs d’ « extraordinaires » parce qu’ils donnent lieu à des actes qui seraient des infractions à la loi s’ils étaient accomplis par les citoyens ordinaires, et parce que, contrairement aux pouvoirs spéciaux de police, ils peuvent être exercés dans des circonstances où il n’y a pas de preuve qu’un crime particulier a été commis ou est sur le point de l’être. Deux autres méthodes, qui ne sont pas extraordinaires dans le sens indiqué, savoir la surveillance de lieux privés par des dispositifs optiques ou des appareils photo ou caméras dissimulés et l’emploi d’enregistreurs de numéros de téléphone, devraient également être assujetties à ce système de contrôle par mandat judiciaire.

180. Selon nos recommandations relatives au contrôle du niveau de l’enquête, le service de renseignements ne pourrait amorcer une demande de mandat en vue d’utiliser l’une ou l’autre de ces techniques pour recueillir des renseignements sur un individu ou un groupe donné tant qu’une enquête « complète » n’a pas été approuvée en ce qui concerne l’individu ou le groupe. On se rappellera que la décision de mener une enquête complète doit être approuvée par le solliciteur général sur une proposition qui, après avoir reçu l’appui du directeur général, a été examinée attentivement par un comité composé d’agents supérieurs du service de sécurité, d’un avocat du ministère de la Justice et d’un fonctionnaire supérieur du ministère du solliciteur général. Au moment où il demande au solliciteur général d’approuver une enquête complète, le Service de sécurité pourrait lui demander d’approuver une demande, à l’adresse d’un juge, de mandat autorisant le recours à une technique particulière. Il pourrait même, à ce moment-là, lui demander d’approuver des demandes de mandat autorisant le recours à plus d’une méthode, mais il serait alors extrêmement important que le service de sécurité et le solliciteur général étudient attentivement la nécessité de recourir à chaque technique. Tout doit être mis en œuvre pour que la méthode choisie soit celle qui permet le mieux au service de mener à bien une enquête avec le moins d’ingérence possible dans la vie privée. Selon nous, les diverses techniques exigeant un mandat judiciaire ne sont pas mesurables en fonction du degré d’intrusion qu’elles comportent. De fait, l’emploi d’un informateur secret n’exige pas le mandat d’un juge et peut, dans certains cas, être considéré comme un moyen qui, bien que moins efficace, nécessite un degré d’intrusion supérieur à celui d’une des techniques qui exigent un tel mandat.

181. Lorsqu’il étudie une demande de mandat comportant le recours à deux méthodes ou plus, le juge de la Cour fédérale devrait apprécier le poids des arguments apportés à l’appui de la nécessité d’employer chaque technique. Il devrait également être mis au courant, au moment de l’étude de la demande, des mandats qui ont pu être décernés relativement à d’autres techniques à l’égard du même objet d’enquête ainsi que des résultats qu’ils ont produits. Il est indispensable que le juge soit en mesure de voir si la preuve est faite de la nécessité d’employer une technique particulière considérant les résultats déjà obtenus ou ceux que l’on peut raisonnablement espérer de l’emploi d’autres techniques et considérant aussi l’injonction, dans la loi, de réduire au minimum l’ingérence dans la vie privée. [Non souligné dans l’original.]

La Commission était d’avis que l’intervention de la Cour fédérale dans le processus de délivrance des mandats était nécessaire pour que les critères établis dans la loi soient dûment respectés (voir Canada, Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada, Deuxième rapport : La liberté et la sécurité devant la loi, vol. 2, Ottawa, août 1981, aux pages 930 et 931, paragraphe 5) :

Compte tenu de la nature secrète de ces techniques et de l’absence de toute obligation de prévenir les personnes à l’endroit desquelles elles sont utilisées, nous croyons que le meilleur moyen d’assurer le respect de la loi dans chaque cas est d’exiger l’autorisation d’un juge. [C’est moi qui souligne.]

[25]   En 1983, un comité spécial du Sénat (le Comité
du Sénat) a examiné l’objet du projet de loi C-157 [ce projet de loi a expiré au Feuilleton] (le prédécesseur du projet de loi C-9, Loi constituant le Service canadien du renseignement de sécurité, édictant la Loi concernant la poursuite de certaines infractions en matière de sécurité et dans les domaines connexes et modifiant certaines lois en conséquence ou de façon corrélative, 2e session, 32e législature, 1984—qui est devenu la Loi sur le SCRS
en 1984—voir la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, ch. 21) et il a convenu avec la Commission que les mandats qui seraient décernés conféreraient au SCRS des pouvoirs considérables et qu’il appartient à la Cour fédérale d’examiner et d’établir le processus de délivrance des mandats (voir Canada, Rapport du Comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité: Équilibre délicat : Un Service du renseignement de sécurité dans une société démocratique, novembre 1983, aux pages 20 à 24, paragraphes 56 à 67).

[26]   Il existe des similitudes entre les objectifs d’une demande de mandat présentée en vertu de la Loi sur le SCRS et ceux d’une demande de mandat présentée en vertu du Code criminel. Il importe néanmoins de souligner que les buts respectifs de ces deux types de demande sont totalement différents. Le Comité du Sénat a de fait établi cette distinction lorsqu’il a examiné le projet de loi C-157 (voir Canada, Rapport du Comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité, ci-dessus, aux pages 5 et 6, paragraphes 13 à 15) :

Une fois qu’on a admis la nécessité d’un service spécial du renseignement de sécurité, il faut bien expliquer les différences fondamentales qui existent entre les organismes d’application des lois et un service établi pour protéger la sécurité. Ces deux entités se ressemblent et, dans certains domaines, se chevauchent, par exemple lorsqu’une force policière s’intéresse, en même temps que le service du renseignement de sécurité, à certains crimes commis contre l’État ou contre des individus.

Mais les deux entités diffèrent considérablement l’une de l’autre. L’application des lois est une activité réactive qui, si elle n’exclut pas la collecte de renseignements et des mesures de prévention, n’intervient, dans l’ensemble, qu’après la perpétration d’un acte criminel précis. La protection de la sécurité ne se contente pas simplement de réagir aux événements, elle vise à détecter à l’avance les menaces à la sécurité et ne s’intéresse pas nécessairement aux infractions à la loi. Une publicité considérable accompagne les activités visant à faire respecter la loi et en fait même essentiellement partie. Le travail du renseignement de sécurité, à l’inverse, exige le secret. Faire respecter la loi est une activité « qui cherche des résultats », notamment l’appréhension et le jugement du coupable, les
« intervenants » du système — policiers, procureurs, avocats de la défense et juges — jouissant d’une très grande autonomie d’action. Le renseignement de sécurité est, tout au contraire,
« tourné vers l’information ». Le rôle des intervenants est beaucoup moins clairement défini et la direction et le contrôle dans un cadre hiérarchique sont absolument nécessaires. Enfin, faire respecter la loi est une activité qui se déroule pratiquement en « vase clos » et dans des limites bien définies — perpétration, enquête, appréhension, jugement. Les opérations du renseignement de sécurité sont beaucoup moins délimitées : l’accent est mis sur l’enquête, l’analyse et l’énoncé de renseignements.

Les différences entre ces deux domaines d’activité ont de profondes répercussions sur les divers aspects d’un organisme de sécurité. Elles peuvent influer sur un grand nombre de questions de portée générale, comme celle de savoir quelle doit être la liberté ou le pouvoir d’action d’une personne employée dans un service de sécurité; ou, inversement, de quelle protection peut jouir une personne qui fait l’objet d’une enquête, compte tenu de la différence entre les moyens opérationnels et les fins de l’enquête. Une enquête de sécurité peut avoir des conséquences graves sur la vie d’une personne. D’où l’importance que revêtent le contrôle et l’obligation de rendre compte, en l’absence d’une tierce partie capable de juger de façon impartiale du bien-fondé d’une enquête. Puisque la collecte des renseignements de sécurité est si confidentielle et si indéterminée, elle doit être soumise à un appareil complet et strict de contrôle, de direction et d’examen, où la responsabilité politique occupe une large place. Or, une surveillance si serrée est incompatible avec l’idée que nous nous faisons d’habitude des organismes chargés de faire respecter la loi. [Non souligné dans l’original.]

[27]   Dans l’affaire Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 C.F. 229 (1re inst.), aux pages 241 et 242, le juge Addy de la Cour fédérale [Division de première instance] a reconnu que la distinction entre ces deux types d’enquête devait être prise en considération dans l’évaluation des questions de sécurité nationale :

En cherchant à savoir si la divulgation de renseignements particuliers pourrait nuire à la sécurité nationale et en appréciant l’étendue possible de ce tort, il faut se rappeler que l’objectif fondamental et de fait la raison d’être d’une enquête en matière de renseignement de sécurité diffèrent et se distinguent considérablement de ceux d’une enquête qui porte sur l’application de la loi en matière criminelle, où l’on est généralement en présence d’une infraction commise fournissant un cadre dans les paramètres duquel l’enquête doit se tenir et peut facilement être contenue. Son but est l’obtention d’éléments de preuve admissibles dans des poursuites au criminel. D’autre part, les enquêtes de sécurité visent la collecte de renseignements et elles tendent généralement à prédire des événements futurs en reconnaissant des tendances dans les événements passés et présents.

Il existe peu de limites aux sortes de renseignements de sécurité, souvent obtenus à long terme, qui peuvent aider à reconnaître une menace. Celle-ci pourrait se rapporter à n’importe quel aspect de nos activités nationales et elle pourrait être immédiate ou viser délibérément un avenir relativement lointain. Un renseignement, qui en lui-même pourrait sembler anodin, se révélera souvent, rapproché d’autres renseignements, extrêmement utile et même vital à la reconnaissance d’une menace. La nature et la source mêmes du renseignement le rendent bien souvent irrecevable en preuve devant tout tribunal judiciaire. Certains renseignements sont le résultat d’échanges d’informations entre des pays amis du monde occidental, et leur source ou leur mode d’obtention est rarement divulgué par le pays informateur.

Les enquêtes criminelles se tiennent généralement pendant une période assez brève alors que les enquêtes de sécurité s’étendent systématiquement sur une période de plusieurs années, aussi longtemps qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner l’existence d’activités qui constitueraient une menace envers la sécurité de la nation. [Non souligné dans l’original.]

[28]   Un mandat délivré en vertu de la Loi sur le SCRS est une mesure extraordinaire, à caractère envahissant, qui vise la réalisation de vastes enquêtes non circonscrites, axées sur l’obtention d’informations, et qui met l’accent sur la réalisation d’enquêtes, l’analyse et la production de renseignements. Les personnes qui présentent un intérêt dans de telles procédures peuvent avoir un lien avec des pays présentant un intérêt pour le Canada en raison de leur rôle à titre de représentants ou de leurs activités relativement aux « menaces envers la sécurité du Canada » [mod. par L.C. 2001, ch. 4, art. 89] au sens de l’article 2 de la Loi sur le SCRS. Il existe donc une vaste gamme de cibles potentielles. Compte tenu de la nature, du caractère envahissant et sensible des activités du SCRS, les activités de ce dernier doivent être assujetties à un contrôle judiciaire complet et rigoureux.

[29]   Bref, le régime du « contrôle judiciaire » adopté en 1984 (articles 21 à 28 — partie II de la Loi sur le SCRS) vise à assurer à la fois la légalité des activités du SCRS et le secret des informations communiquées à la Cour dans le cadre d’une demande et de l’obtention de mandats. J’explique ci-après les dispositions de la Loi sur le SCRS.

2) Le principe du contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur le SCRS

[30]   Le directeur du SCRS ou un employé désigné à cette fin présente d’abord, avec l’approbation du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, une demande de mandat en vertu du paragraphe 21(1) de la Loi sur le SCRS :

21. (1) Le directeur ou un employé désigné à cette fin par le ministre peut, après avoir obtenu l’approbation du ministre, demander à un juge de décerner un mandat en conformité avec le présent article s’il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada ou d’exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l’article 16.

[31]   En vertu de l’alinéa 21(2)a), le SCRS est tenu d’expliquer, dans une demande écrite, les raisons pour lesquelles il croit que la délivrance d’un mandat est nécessaire afin d’enquêter sur des menaces pour la sécurité du Canada (articles 2 et 12 de la Loi sur le SCRS) ou de recueillir des informations sur des pays ou des ressortissants étrangers (article 16 [mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25; 2001, ch. 27, art. 224] de la Loi sur le SCRS). Il doit présenter un affidavit à l’appui de la demande en vertu du paragraphe 21(2). L’affidavit doit comporter ce qui suit :

-         les faits sur lesquels le demandeur s’appuie pour avoir des motifs raisonnables de croire qu’un mandat est nécessaire;

-   les faits établissant que d’autres méthodes d’enquête n’ont pas eu de succès ou n’en auraient pas, que l’urgence justifie de ne pas avoir recours à des méthodes traditionnelles et que, sans mandat, des informations utiles ne pourront être acquises;

-   les catégories d’informations recherchées et de celles qui seront obtenues par accès à un lieu, l’enlèvement d’information ou autrement;

-   l’identité des personnes ou des groupes de personnes visés par le mandat;

-   si possible, une description du lieu où le mandat demandé est à exécuter;

-   la durée de validité des mandats (60 jours dans le cas des enquêtes visées par l’alinéa 2d) de la définition des « menaces envers la sécurité du Canada » (activités qui visent la destruction ou le renversement du régime de gouvernement établi au Canada), mais au plus un an dans les autres cas;

-   des détails touchant des demandes antérieures qui visaient les mêmes personnes ou les mêmes groupes.

[32]   En vertu du paragraphe 21(4) et de l’article 23, les mandats doivent comporter les points suivants :

-         les catégories de communications dont l’interception est autorisée, les catégories d’informations, de documents ou d’objets dont l’obtention est autorisées;

-   l’identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;

-   l’identité des personnes ou des catégories de personnes visées par le mandat;

-   la mention du lieu (si possible avec une description) où l’accès est demandé et où la recherche sera effectuée, et de la possibilité de l’enlèvement d’une chose installée;

-   la durée de validité du mandat;

-   les autres conditions susceptibles d’être examinées par un juge.

[33]   Il est possible d’obtenir le renouvellement d’un mandat en vertu de l’article 22 de la Loi sur le SCRS. Le mandat a pour effet de conférer à la personne concernée le pouvoir nécessaire pour l’exécuter, par dérogation à toute autre règle de droit (voir les articles 25 [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 49], 26 et 27 de la Loi sur le SCRS).

[34]   En vertu de l’article 27, la demande de mandat
« est entendue à huis clos » (« private » dans la version anglaise). Par « private », on entend « confidential; secret » dans le Black’s Law Dictionary, 8e éd., (Bryan A. Garner, St Paul:Thomson West, 2004), et par
« private » et « huis clos » dans le Dictionnaire de droit québécois et canadien: avec lexique anglais–français (Hubert Reid, Montréal: Wilson & Lafleur, 1994), « une exception au principe de la publicité des débats, qui consiste à interdire au public l’accès à la salle d’audience ». Une fois de plus, la confidentialité d’une demande de mandat a pour but de garantir le secret des informations sensibles en général et l’exécution du mandat. La personne visée (cible) ne doit pas être présente ou ne doit pas être au courant de la demande de mandat; autrement, l’objet d’une telle demande n’a aucune utilité pratique. Le public ne doit pas avoir accès à l’information parce que celle-ci se rapporte à la sécurité nationale et que l’efficacité des méthodes et des activités du SCRS reposent sur le secret. Enfin, l’information fournie par des tiers est souvent communiquée à condition qu’elle ne soit pas divulguée. Si les mandats étaient l’objet d’un examen public, des informations sensibles seraient probablement divulguées consciemment ou par inadvertance. Ce qui empêcherait le SCRS d’être informé des menaces qui pèsent sur la sécurité du Canada, rendrait l’enquête inutile, serait dangereux pour les informateurs concernés et risquerait de mettre en péril les relations du Canada avec les pays alliés.

[35]   Bref, en vertu de la partie II de la Loi sur le SCRS, le juge désigné a comme rôle d’exercer un contrôle judiciaire de la légalité, de la nécessité et du caractère raisonnable des méthodes d’enquête du SCRS, en gardant à l’esprit que l’exigence de confidentialité des demandes de mandat est justifiée compte tenu des préoccupations en matière de sécurité nationale qui sont en jeu.

B. Considérations de fond

1) Sécurité nationale et droits fondamentaux

[36]   Nos tribunaux n’ont pas explicitement examiné de demandes de mandats liées à des questions de sécurité nationale et d’obtention de renseignements. Pour décider s’il est possible d’effectuer un examen public ou non des questions de compétence liées à de telles demandes de mandat, la Cour doit examiner à la fois les droits fondamentaux et les préoccupations en matière de sécurité nationale.

[37]   Dans l’arrêt Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, aux paragraphes 1 à 3, le juge Fish a déclaré ce qui suit :

Dans tout environnement constitutionnel, l’administration de la justice s’épanouit au grand jour — et s’étiole sous le voile du secret.

Cette leçon de l’histoire a été consacrée dans la Charte canadienne des droits et libertés. L’alinéa 2(b) de la Charte garantit, en termes plus généraux, la liberté de communication et la liberté d’expression. La vitalité de ces deux libertés fondamentales voisines repose sur l’accès du public aux informations d’intérêt public. Ce qui se passe devant les tribunaux devrait donc être, et est effectivement, au cœur des préoccupations des Canadiens.

Bien que fondamentales, les libertés que je viens de mentionner ne sont aucunement absolues.

[38]   La présente affaire fait clairement ressortir que les libertés fondamentales garanties par la Charte canadienne des droits et libertés doivent parfois être évaluées par rapport à d’autres valeurs. Les décisions prises dans l’abstrait peuvent parfois donner lieu à des situations préjudiciables même lorsqu’elles ont été prises au départ dans le but de protéger nos libertés fondamentales.

[39]   L’accès à nos tribunaux est un aspect fondamental de notre régime démocratique. Il permet un examen public du processus judiciaire et il ouvre aux médias l’accès à des renseignements d’intérêt public. En ce sens, la liberté d’expression est inextricablement liée au principe de la publicité des procédures judiciaires. La transparence dans l’administration de la justice favorise la confiance dans le système judiciaire. Elle protège également l’intégrité du système judiciaire en garantissant la primauté du droit et contribue à maintenir l’indépendance et l’impartialité des tribunaux (voir Vancouver Sun (Re), précité, aux paragraphes 23 à 26, les juges Iacobucci et Arbour s’exprimaient au nom de la majorité). Une interdiction d’accès du public aux tribunaux doit reposer sur une justification solide eu égard à la situation et aux valeurs en jeu.

[40]   La sécurité nationale a toujours été une source de préoccupation de nos tribunaux dans le cadre de l’examen de nos droits fondamentaux. Dans certaines circonstances, il est nécessaire d’établir un juste équilibre entre la sécurité nationale et les droits fondamentaux. Dans l’affaire Demande fondée sur l’art. 83.23 du Code criminel, [2004] 2 R.C.S. 248, les juges Iacobucci et Arbour ont fait ressortir ce point aux paragraphes 5 à 7 :

Le défi que les démocraties sont appelées à relever dans la lutte contre le terrorisme n’est pas de savoir si elles doivent réagir, mais plutôt comment elles doivent le faire. Cela s’explique par l’importance que les Canadiens et les Canadiennes attachent à la vie et à la liberté de l’être humain, ainsi qu’à la protection de la société grâce au respect de la primauté du droit. En effet, l’existence même d’une démocratie repose sur la primauté du droit. Par ailleurs, bien que Cicéron ait jadis écrit, dans Pro Milone 14, que « inter arma silent leges » (les lois se taisent quand les armes parlent), nous devons, comme bien d’autres, être en profond désaccord [. . .]

Quoiqu’il modifie nécessairement le contexte dans lequel doit s’appliquer le principe de la primauté du droit, le terrorisme ne commande pas la renonciation à ce principe. Mais en même temps, s’il est vrai que la réaction au terrorisme doit respecter la primauté du droit, il reste que la Constitution n’est pas un pacte de suicide, pour paraphraser le juge Jackson, dissident, dans l’arrêt Terminiello c. Chicago, 337 U.S. 1 (1949), p. 37.

Par conséquent, le défi qu’un État démocratique doit relever en réagissant au terrorisme consiste à prendre des mesures qui soient à la fois efficaces et conformes aux valeurs fondamentales de la primauté du droit. Dans une démocratie, tout n’est pas permis pour contrer le terrorisme. Ce qui peut sembler un désavantage, au premier abord, n’en est pas un en réalité. La réaction au terrorisme, qui respecte la primauté du droit, protège et renforce les libertés précieuses qui sont essentielles à une démocratie. Comme l’a affirmé avec éloquence le président Aharon Barak de la Cour suprême d’Israël :

[traduction] Tel est le destin d’une démocratie : dans un régime démocratique, la fin ne justifie pas tous les moyens et il n’est pas possible non plus de recourir à toutes les méthodes utilisées par l’ennemi. Il arrive parfois qu’une démocratie doive se battre en ayant une main attachée derrière le dos. Elle est néanmoins en position de force. Le maintien de la primauté du droit et la reconnaissance des libertés individuelles représentent un aspect important de sa conception de la sécurité. En définitive, ils accroissent son enthousiasme et son dynamisme et lui permettent de venir à bout de ses difficultés.

(H.C. 5100/94, Public Committee Against Torture in Israel v. Israel, 53(4) P.D. 817, p. 845, cité dans Barak, loc. cit.,
p. 148.) [Non souligné dans l’original.]

[41]     Dans l’affaire Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), précité, le juge Addy exprime sa préoccupation (à la page 238) au sujet de l’équilibre qui s’impose entre le principe de l’accès du public aux tribunaux et l’intérêt opposé de l’État en matière de sécurité nationale :

L’intérêt qu’a le public dans l’administration de la justice exige l’entière transparence du processus judiciaire. Ce principe doit être jalousement préservé et rigoureusement appliqué, surtout lorsque sont en jeu des éléments de preuve qui semblent pertinents à une décision judiciaire. Cette règle cardinale ne protège pas seulement les droits des plaideurs en général, mais, plus important encore, elle est essentielle à l’intérêt qu’a le public dans le maintien de notre société libre et démocratique. Il existe toutefois des circonstances très limitées et bien définies où le principe de l’entière transparence doit jouer un rôle secondaire et où, en matière de recevabilité de la preuve, l’intérêt public servi par la non-divulgation de cette dernière peut l’emporter sur l’intérêt du public dans sa divulgation. Cela se produit fréquemment lorsqu’il est question de la sécurité nationale, pour la simple raison que l’existence même de notre société libre et démocratique aussi bien que la protection continue des droits des plaideurs dépendent en fin de compte de la sécurité et du maintien de notre nation et de ses institutions et de ses lois.

La Cour d’appel fédérale a adopté ce raisonnement dans l’arrêt Moumdjian c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1997] A.C.F. no 1574 (QL), au paragraphe 6.

[42]   À mon avis, il convient de garder à l’esprit cet équilibre nécessaire entre la sécurité nationale et les droits fondamentaux dans l’interprétation de l’article 27 de la Loi sur le SCRS.

2) Interprétation de l’article 27 de la Loi sur le SCRS

a) La demande de mandat

[43]   En l’espèce, je n’ai aucun doute que le texte de l’article 27 de la Loi sur le SCRS est très important. La formulation impérative de la disposition indique que le législateur avait clairement l’intention que la demande de mandat soit « entendue à huis clos ». En outre, le fait que le gouverneur en conseil n’a pas pris, en conformité avec l’article 28 de la Loi sur le SCRS, de règlement visant à déterminer la forme des mandats, à prévoir les règles de pratique et de procédure ainsi que les conditions de sécurité applicables à l’audition d’une demande ne modifie en rien l’intention du législateur.

[44]   Comme l’a fait ressortir le SPGC, je conviens qu’un juge ne peut pas permettre la tenue d’une audience publique relativement à une demande de mandat. À mon avis, l’analogie que le SPGC propose de faire avec l’arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général) de la Cour suprême, précité, est exacte. Dans cette affaire, la juge Arbour, s’exprimant au nom de la Cour, a fait des observations sur les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, qui prévoient une procédure obligatoire à huits clos et ex parte lorsqu’une personne remet en question la décision de lui refuser l’exemption personnelle pour des motifs liés à la sécurité nationale ou à la protection de renseignements confidentiels de source étrangère. Les paragraphes 51(2) et (3) de la Loi sur la protection des renseignements personnels précisent ce qui suit :

51. [. . .]

(2) Les recours visés au paragraphe (1) font, en premier ressort ou en appel, l’objet d’une audition à huis clos; celle-ci a lieu dans la région de la capitale nationale définie à l’annexe de la Loi sur la capitale nationale si le responsable de l’institution fédérale concernée le demande.

(3) Le responsable de l’institution fédérale concernée a, au cours des auditions en première instance ou en appel et sur demande, le droit de présenter des arguments en l’absence d’une autre partie.

Le texte de la disposition est différent de celui de l’article 27 de la Loi sur le SCRS, mais il énonce au fond les mêmes restrictions en ce qui concerne la présence des intéressés et l’accès du public.

[45]     La juge Arbour [dans l’arrêt Ruby] a indiqué aux paragraphes 57 et 58 qu’il n’est pas loisible au juge de s’écarter du texte de ces dispositions ni de permettre la tenue d’une audience publique relativement à la demande de mandat, sauf dans le cas de questions constitutionnelles:

Dans la présente affaire, les avocats du solliciteur général ont, pendant les plaidoiries, informé la Cour que le juge MacKay avait entendu à huis clos les arguments relatifs au bien-fondé des exceptions invoquées, alors que les questions constitutionnelles avaient été débattues devant madame le juge Simpson dans le cadre d’audiences publiques. Ils ont en outre fait valoir que le ministère de la Justice avait interprété l’art. 51 de manière restrictive, n’exigeant le huis clos que pendant l’audition des arguments relatifs au bien-fondé des exceptions invoquées en application de l’al. 19(1)a) ou b) ou de l’art. 21 et autorisant ses représentants à consentir à l’audition publique des questions « incidentes » (de nature constitutionnelle ou procédurale par exemple).

Abstraction faite de la question constitutionnelle, cette interprétation du par. 51(2) ne peut raisonnablement s’appuyer sur le texte de la loi. Le paragraphe 51(2) prescrit l’audition à huis clos, en premier ressort et en appel, de tout recours en révision exercé en vertu de l’art. 41 à la suite du refus d’une institution fédérale, sur le fondement de l’al. 19(1)a) ou b) ou de l’art. 21, de communiquer des renseignements personnels. Contrairement à la pratique qui, selon le solliciteur général, aurait cours devant les tribunaux, la Loi ne limite pas l’application de l’obligation relative au huis clos uniquement à l’audition des arguments portant sur le bien-fondé d’une exception. En effet, il n’est pas loisible aux parties, même si elles y consentent toutes, d’écarter les dispositions impératives de l’art. 51 relatives au huis clos. Il n’est pas non plus loisible au tribunal de tenir une audience publique et, de ce fait, de contrevenir directement à la loi, quoi que puissent proposer les parties à cet égard. À moins que la disposition créant l’exigence impérative ne soit jugée inconstitutionnelle et que, à titre de réparation d’ordre constitutionnel, on ne lui donne une interprétation « atténuante », elle ne saurait être interprétée d’une manière permettant de faire abstraction de son caractère impératif. [Non souligné dans l’original.]

Par conséquent, à mon avis, je ne possède aucun pouvoir discrétionnaire d’autoriser la tenue d’une audience publique relativement à la demande de mandat présentée en vertu de l’article 27 de la Loi sur le SCRS. Toutefois, des réserves doivent être formulées en ce qui a trait à des questions « incidentes ».

b) Questions « incidentes »

[46]   À mon avis, les questions « incidentes » liées à une demande de mandat, notamment les questions de compétence, pourraient être examinées en audience publique dans certaines circonstances. Il faut signaler qu’aucun règlement n’a été pris en vertu de l’article 28 de la Loi sur le SCRS, qui pourrait aider la Cour à décider quelles sont les informations qui devraient demeurer confidentielles.

[47]   Dans ce contexte, en gardant à l’esprit le libellé précis de l’article 27 de la Loi sur le SCRS et l’équilibre à maintenir entre la sécurité nationale et les droits fondamentaux, je crois que chaque cas est un cas d’espèce. Dans certaines circonstances, un débat public au sujet d’une question de compétence, de nature procédurale ou constitutionnelle risque de porter atteinte à la sécurité nationale ou d’empêcher la bonne exécution d’un mandat. On peut aussi imaginer des cas où la tenue d’une audience publique serait autorisée relativement à certaines questions de droit, alors que d’autres demeureraient confidentielles. J’examinerai ci-après les particularités de la présente affaire afin d’établir s’il serait possible de permettre la tenue d’une audience publique relativement à la question de compétence.

[48]   Le passage ci-après tiré de la décision Henrie, précitée, est également intéressant quant à la nature des informations dont la communication serait préjudiciable à la sécurité nationale. Le juge Addy écrit ce qui suit, à la page 242 :

Lorsqu’on fait la part des avantages relatifs, pour le public, de la divulgation et de la non-divulgation de la preuve, il est évident que les considérations et les circonstances dont il faut tenir compte et qui pourraient militer contre le contrôle ou la suppression appropriés des menaces envers la sécurité nationale sont beaucoup plus nombreuses et beaucoup plus complexes que les considérations visant un intérêt national différent de ceux qui sont énoncés à l’article 36.2 de la Loi sur la preuve au Canada. En matière criminelle, le bon fonctionnement de la capacité investigatrice de l’administration de la justice exige seulement que lorsque la situation l’exige, l’identité de certaines sources humaines de renseignements demeure cachée. Par contraste, en matière de sécurité, existe la nécessité non seulement de protéger l’identité des sources humaines de renseignements mais encore de reconnaître que les types suivants de renseignements pourraient avoir à être protégés, compte tenu évidemment de l’administration de la justice et plus particulièrement de la transparence de ses procédures : les renseignements relatifs à l’identité des personnes faisant l’objet d’une surveillance, qu’il s’agisse de particuliers ou de groupes, les moyens techniques et les sources de la surveillance, le mode opérationnel du service concerné, l’identité de certains membres du service lui-même, les systèmes de télécommunications et de cryptographie et, parfois, le fait même qu’il y a ou non surveillance. Cela signifie par exemple que des éléments de preuve qui, en eux-mêmes, peuvent ne pas être particulièrement utiles à reconnaître une menace, pourraient néanmoins devoir être protégés si la simple révélation que le SCRS les a en sa possession rendait l’organisme visé conscient du fait qu’il est placé sous surveillance ou écoute électronique, ou encore qu’un de ses membres a fait des révélations.

[49]   Aux pages 242 et 243, il ajoute ce qui suit au sujet de la communication d’informations (qui en soit sont neutres) et la compréhension que pourrait en avoir une personne informée :

Il importe de se rendre compte qu’un [Traduction]
« observateur bien informé », c’est-à-dire une personne qui s’y connaît en matière de sécurité et qui est membre d’un groupe constituant une menace, présente ou éventuelle, envers la sécurité du Canada, ou une personne associée à un tel groupe, connaîtra les rouages de celui-ci dans leurs moindres détails ainsi que les ramifications de ses opérations dont notre service de sécurité pourrait être relativement peu informé. En conséquence de quoi l’observateur bien informé pourra parfois, en interprétant un renseignement apparemment anodin en fonction des données qu’il possède déjà, être en mesure d’en arriver à des déductions préjudiciables à l’enquête visant une menace particulière ou plusieurs autres menaces envers la sécurité nationale. Il pourrait, par exemple, être en mesure de déterminer, en tout ou en partie, les éléments suivants : (1) la durée, l’envergure et le succès ou le peu de succès d’une enquête; (2) les techniques investigatrices du Service; (3) les systèmes typographiques et de téléimpression utilisés par le SCRS; (4) les méthodes internes de sécurité; (5) la nature et le contenu d’autres documents classifiés; (6) l’identité des membres du service ou d’autres personnes participant à une enquête. [Non souligné dans l’original.]

Ce passage de la décision du juge Addy a été cité à maintes reprises par la Cour; il est souvent cité comme ayant un « effet mosaïque » (voir Zündel (Re), 2005 CF 295, au paragraphe 109). Dans de nombreuses affaires, la Cour fédérale a cité ces deux paragraphes en tant que référence à utiliser pour décider si la communication d’informations porterait atteinte à la sécurité nationale (voir par exemple Alemu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 997, au paragraphe 14; Harkat (Re), 2003 CFPI 285, au paragraphe 20).

3) Évaluation des faits soumis à la Cour

[50]   En l’espèce, l’amicus curiae soutient qu’il est possible d’examiner en public la question visant à établir si la Loi sur le SCRS permet ou non à la Cour fédérale de délivrer des mandats qui [. . .] Il s’agit donc pour la Cour de déterminer s’il est possible d’aborder cette question sans aller à l’encontre de l’intention du parlement.

[51]   Les faits et les documents présentés à la Cour m’amènent à la conclusion qu’il n’est pas possible d’examiner publiquement la question de la compétence.

[52]   Premièrement, le simple fait de soulever publiquement la question révélerait […], il serait préjudiciable à la sécurité nationale et aux activités du SCRS de la publiciser.

[53]   […] le SCRS mène des activités à l’étranger par l’entremise d’agents de renseignements. En effet, M. Jack Hooper, sous-directeur des Opérations au SCRS, a déclaré devant un comité du Sénat que le Canada est actif à l’étranger (voir Canada, Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense [Procès-verbaux, fascicule no 2], 29 mai 2006) [aux pages 2:27 et 2:28]:

Le sénateur Campbell : […] L’activité du SCRS à l’étranger tient-elle exclusivement à la collecte de renseignements sur les menaces pour la sécurité du Canada? Comment répond-on aux besoins en renseignements étrangers du Canada?

M. Hooper : En fait, la loi ne nous permet pas de recueillir des renseignements étrangers à l’extérieur du Canada — par renseignements « étrangers », on entend des renseignements concernant les intentions et les capacités de personnes ou d’États étrangers. Habituellement, quand les gens parlent de renseignements étrangers, dans notre modèle juridique en tout cas, ils parlent de renseignements politiques, économiques et militaires. En réponse à votre première question, sénateur, tout ce que nous faisons à l’étranger a pour but de recueillir des renseignements de sécurité.

Quant à la façon de le faire, nous sommes en train de passer d’un modèle à un autre. Par le passé, le service — et le service de la sécurité de la GRC avant lui — affectait ce que nous appelons des agents de liaison de sécurité dans de nombreux pays. Le rôle premier de ces agents est d’assurer la liaison avec d’autres services de renseignements et d’autres corps policiers en qui nous avons confiance.

Le cas de l’Afghanistan a modifié notre façon de penser au sujet de ce que doit être notre activité à l’étranger. Cela nous a appris qu’une grande partie de l’information sur les menaces au pays doit être obtenue à l’extérieur du pays.

Nous nous y employons de diverses façons. Par l’intermédiaire d’agents de collecte étrangers, des officiers traitants de passage au pays et d’éléments que nous chargeons de recueillir des renseignements à l’étranger. Il existe divers moyens, l’un des plus importants étant notre interaction avec les services de renseignements alliés dans une instance internationale.

Le sénateur Campbell : Combien avez-vous de gens à l’étranger qui rassemblent de l’information? Il doit s’agir de vos agents de liaison, j’imagine.

M. Hooper : Nous avons moins de 50 agents de renseignements à l’étranger.

Le sénateur Campbell : Comme le nombre de terroristes et de groupes terroristes est resté relativement constant, avons-nous grossi nos moyens depuis 1998? Même si le nombre est resté stable, la menace, elle, je pense, a grandi. Avez-vous pu augmenter votre personnel à l’étranger depuis 1998?

M. Hooper : Pas autant que nous l’aurions voulu. Nous avons reçu du financement dans deux enveloppes ces deux dernières années pour renforcer notre programme de collecte à l’étranger et une grande partie de cet argent était destinée à envoyer du personnel à l’étranger.

Depuis quelques années, nous empruntons aux programmes nationaux de collecte et ceux qui font ce travail sont envoyés à l’étranger pour y faire de la collecte de renseignements. Nous avons investi l’argent que le gouvernement nous a donné au début dans diverses formes de soutien aux infrastructures, car nous pouvons dépenser cet argent immédiatement. Il faut un peu plus de temps pour recruter et former quelqu’un qui puisse ensuite aller à l’étranger ou remplacer quelqu’un qui travaille déjà à l’étranger.

Le public est au courant que le SCRS réalise des activités à l’étranger […]

[54]   Une autre considération m’a amené à la conclusion qu’il n’est pas possible de débattre de la question de compétence en public, soit le fait que les questions de droit et de fait sont liées. Dans certaines circonstances, les questions de fait et celles de droit sont tellement inextricablement liées qu’il n’est pas possible de débattre de la question de droit en l’absence de tout contexte. La Cour suprême du Canada a fait cette observation à l’égard du terrorisme dans l’affaire Demande fondée sur l’art. 83.23 du Code criminel, précitée, dont il est question plus haut, aux paragraphes 30 et 31.

Pour commencer, bien que certaines dispositions précises de la Loi soient directement soumises à notre attention, il se peut que d’autres dispositions soient en cause, sur lesquelles nous ne souhaitons pas nous prononcer en l’absence de fondement factuel. De même, nous entendons nous prononcer uniquement sur ce qui est nécessaire pour régler le différend dont il est question en l’espèce. Bien que nous ne le souhaitions pas, il se présentera probablement d’autres cas qui nécessiteront des explications supplémentaires, et nous préférons attendre qu’ils se présentent pour apporter ces explications.

De plus, le contexte a certes en matière de terrorisme la même importance vitale qu’il en a droit. Les propos que nous tenons dans les présents motifs sont influencés par les faits en litige qui nous ont été soumis. Bien que la formulation d’une opinion constitutionnelle sur des faits législatifs soit un tout autre exercice, nous tenons, là encore, à souligner qu’il importe d’examiner le contexte factuel particulier de chaque affaire pour déterminer le résultat que commande la loi. [Non souligné dans l’original.]

[55]   Comme le soutient le SPGC, débattre en public de la question de droit pourrait avoir pour effet de révéler les méthodes employées pour obtenir secrètement des informations. Une demande de mandats a été déposée et il faut y donner suite conformément à la Loi sur le SCRS et à toutes ses dispositions. Le SCRS n’a pas retenu un autre moyen aux fins de l’examen de la question de droit. La Cour doit donner suite à la demande de mandats qui a été présentée. Dans la demande, les questions de fait et de droit sont inextricablement liées; il serait donc impossible dans ce contexte de débattre en public des questions de droit sans révéler des informations sensibles qui seraient préjudiciables à la sécurité nationale.

[56]   Un débat public sur la question de droit révélerait vraisemblablement les méthodes employées par le SCRS. La question de droit en elle-même ne contient pas d’informations de cette nature. Toutefois, la demande de mandats déposée ne peut être divisée en questions de fait et en questions de droit. Dans les circonstances, je ne crois pas que la question de droit puisse être pleinement examinée dans l’abstrait. La question de droit soulèverait plusieurs questions sous-jacentes, par exemple :

- Comment cela se fera-t-il?

- Comment le mandat sera-t-il exécuté […]?

- Qui exécutera le mandat?

- Qui seront les intervenants?

- Quels mandats demande-t-on au juste?

- Qui est ciblé?

Pour des raisons évidentes, il est impossible de répondre à ces questions. Le SPGC et l’amicus curiae devraient débattre de ces questions. Leurs observations pourraient révéler au public certaines des méthodes employées par le SCRS et certaines des activités auxquelles se livrent [...] Ce qui limiterait vraisemblablement la communication par les avocats du SPGC au juge désigné de renseignements pertinents aux questions de droit à trancher. Par contre, si l’audience se tient à huis clos, le juge aura entre les mains toutes les informations pertinentes et le débat est plus susceptible d’être exhaustif.

C. Conclusion

[57]   Puisque j’ai précisé que la question de droit enclenche l’examen automatique des faits relatifs à la demande de mandats et que j’ai relevé certaines des conséquences possibles de l’examen de la question de droit, il me faut conclure que la question de compétence telle qu’elle a été présentée ne peut être examinée publiquement. Si une requête en jugement déclaratoire avait été présentée relativement à la question de compétence seulement (sans preuve factuelle), il aurait alors été possible d’envisager sérieusement la tenue d’une audience publique. Or ce n’est pas la décision qu’a prise le SCRS.

[58]   Enfin, je suis conscient que le texte de l’article 27 de la Loi sur le SCRS peut être interprété comme prévoyant uniquement la tenue d’audiences à huis clos. Par contre, on peut soutenir que le texte de l’article 27, quoique très clair quant au caractère confidentiel de l’audience relative à la demande de mandat, ne précise pas que la décision ni les documents déposés sont aussi confidentiels. Je laisse au juge du procès le soin de trancher cette question, avoir après donné aux parties l’occasion d’en faire l’examen. Cela étant dit, par voie d’instruction, je demanderai aux avocats s’il est possible de rendre publique la présente décision ou certaines de ses parties.

[59]   En attendant une autre décision, les motifs de l’ordonnance et l’ordonnance doivent être gardés
« confidentiels ».

EN CONSÉQUENCE, LA COUR REND L’ORDONNANCE SUIVANTE :

- La demande présentée en vertu de l’article 21 sera entendue « à huis clos ».

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