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IMM-6297-06

2008 CF 82

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (demandeur)

c.

Glendon St. Patrick Stephenson (défendeur)

Répertorié : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Stephenson (C.F.)

Cour fédérale, juge DawsonToronto, 6 décembre 2007; 23 janvier 2008.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Contrôle judiciaire de la décision de révision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en vertu de l’art. 68(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) annulant la mesure de renvoi — Il a été sursis à la mesure de renvoi à la condition que le défendeur ne trouble pas l’ordre public et ait une bonne conduite — Le défendeur a ensuite été déclaré coupable de trois infractions au Code de la route de l’Ontario — Lors du réexamen, la SAI a déclaré que les déclarations de culpabilité prononcées en vertu du Code de la route ne constituaient pas une violation de la condition « de ne pas troubler l’ordre public » 1) La SAI doit tenir compte des facteurs énoncés dans Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) lorsqu’elle réexamine un sursis d’une mesure de renvoi en vertu de l’art. 68(3) — La SAI s’est seulement penchée sur la question de savoir si le défendeur avait ou non respecté les conditions du sursis; elle n’a pas tenu compte de la gravité des infractions et de l’existence de motifs exceptionnels possibles pour accueillir l’appel — 2) La Cour fédérale a conclu que pour « avoir une bonne conduite », une personne doit se conformer aux lois et aux règlements fédéraux, provinciaux et municipaux — Si les déclarations de culpabilité prononcées en vertu des lois ou des règlements fédéraux, provinciaux et municipaux donnent lieu à la violation de la condition « d’avoir une bonne conduite », elles n’entraînent pas nécessairement la révocation du sursis d’une mesure de renvoi — Il incombe à la SAI d’examiner la question « vu les autres circonstances de l’affaire » — Demande accueillie.

Juges et Tribunaux — Stare decisis — La Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est tenue de suivre les décisions de la Cour fédérale — Il n’était pas loisible à la SAI de conclure que les déclarations de culpabilité prononcées en vertu du Code de la route ne constituaient pas une violation de la condition « d’avoir une bonne conduite » assortie au sursis à l’exécution de la mesure de renvoi à la lumière des décisions de la Cour fédérale portant que pour « avoir une bonne conduite » une personne doit se conformer aux lois et aux règlements fédéraux, provinciaux et municipaux.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de révision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en vertu du paragraphe 68(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) annulant la mesure de renvoi. Le défendeur est un Ja maïcain et un résident permanent du Canada qui a été frappé d’une mesure de renvoi par suite de condamnations pour trafic de stupéfiants. En appel, la SAI a sursis à l’exécution de la mesure de renvoi pendant trois ans à condition que le défendeur ne trouble pas l’ordre public et ait une bonne conduite. Par la suite, le défendeur a été déclaré coupable de trois infractions au Code de la route de l’Ontario. Lors du réexamen qui a eu lieu trois ans après la décision initiale de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi, la SAI a déclaré qu’elle n’était pas convaincue que les déclarations de culpabilité pour les infractions au Code de la route constituaient une violation de la condition de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite, mais si elles constituaient effectivement une violation de cette condition, que la violation en question était mineure et ne menait pas à la mise en question du comportement global du défendeur.

Les questions litigieuses étaient celles de savoir si la SAI 1) a omis de tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire; et 2) a commis une erreur en concluant que les déclarations de culpabilité prononcées en vertu du Code de la route ne donnaient pas lieu à une violation de la condition « de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite ».

Jugement : la demande doit être accueillie.

1) Bien que la Loi prévoie expressément que la SAI doit tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire lorsqu’elle fait droit à un appel ou sursoit à une mesure de renvoi, la Loi est muette quant aux facteurs dont la SAI doit tenir compte lorsqu’elle réexamine, en application du paragraphe 68(3) de la Loi, une ordonnance de sursis d’une mesure de renvoi. À la lumière de la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale sur la question et de la similarité entre l’ancienne disposition et la disposition actuelle, les facteurs énoncés dans l’arrêt Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) demeurent les facteurs dont la SAI doit tenir compte lorsqu’elle réexamine une décision en vertu du paragraphe 68(3) de la Loi. Bien que la SAI ait dit aux parties qu’elle tiendrait compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire, elle n’a pas expressément fait mention des facteurs énoncés dans Ribic et elle s’est seulement penchée sur la question de savoir si le défendeur avait ou non respecté les conditions en vertu desquelles le sursis de la mesure de renvoi avait été accordé et les conséquences de ne pas les avoir respectées. Elle n’a pas évalué la gravité des infractions qui avaient donné lieu à la mesure de renvoi et n’a pas non plus tenu compte de motifs exceptionnels possibles pour accueillir l’appel comme le degré d’enracinement du défendeur au Canada, la situation de sa famille au Canada et l’importance des difficultés que lui causerait son retour en Jamaïque. Le défendeur n’a fourni à la SAI aucun renseignement ou document autre que sa déclaration selon laquelle il a respecté les conditions du sursis. Rien ne démontrait que les facteurs d’ordre humanitaire ayant donné lieu initialement à l’octroi du sursis subsistaient. Aucun poids n’a donc été accordé à la déclaration de la SAI selon laquelle elle était consciente de sa responsabilité de tenir compte de l’ensemble des circonstances. La SAI a commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire lorsqu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire pour accueillir l’appel et annuler la mesure de renvoi.

2) La Cour fédérale a conclu dans le passé que dans le contexte d’une condition qui était imposée par la SAI alors qu’elle sursoyait à une mesure de renvoi, pour « avoir une bonne conduite » une personne doit se conformer aux lois et aux règlements fédéraux, provinciaux et municipaux. La SAI est tenue de suivre les décisions de la Cour fédérale. La doctrine du stare decisis empêche la SAI de tirer une conclusion contraire à celle de la Cour fédérale, même lorsqu’elle estime que la Cour fédérale a tiré une conclusion erronée. Dans le cas de déclarations de culpabilité prononcées en vertu de lois ou de règlements fédéraux, provinciaux et municipaux, la violation de la condition « d’avoir une bonne conduite » qui en découle n’entraîne pas nécessairement la révocation du sursis d’une mesure de renvoi. Il incombe à la SAI d’examiner la question « vu les autres circonstances de l’affaire ». L’ensemble des circonstances comprend la nature et la gravité des infractions en vertu desquelles les déclarations de culpabilité ont été prononcées. À la lumière de la preuve selon laquelle les déclarations de culpabilité avaient été prononcées contre le défendeur en vertu du Code de la route de l’Ontario, il n’était pas loisible, en droit, à la SAI de conclure que ces déclarations de culpabilité ne constituaient pas une violation de la condition « d’avoir une bonne conduite ». Cependant, il lui était permis de tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire du défendeur, y compris la nature et la gravité de sa violation des conditions du sursis, et de décider de la façon qu’elle devait exercer son pouvoir discrétionnaire.

lois et règlements cités

Code de la route, L.R.O. 1990, ch. H.8.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 70(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13), 74(3) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 63(2), 66, 67(1), 68(1),(2)a),d),(3).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 251.

Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230, règle 26(3).

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Ivanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] 2 R.C.F. 502; 2007 CAF 315; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539; 2005 CSC 51; Cooper c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1253.

décisions examinées :

Stephenson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] D.S.A.I. no 1157 (QL); Stephenson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] D.S.A.I. no 1705 (QL); Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84; 2002 CSC 3; Cao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] D.S.A.I. no 101 (QL); R. v. R.(D.) (1999), 178 Nfld. & P.E.I.R. 200; 138 C.C.C. (3d) 405; 27 C.R. (5th) 366 (C.A. T.-N.); R. v. S.S. (1999), 178 Nfld. & P.E.I.R. 210; 138 C.C.C. (3d) 430 (C.A. T.-N.); R. v. Borland (1968), 66 W.W.R. 751; [1970] 2 C.C.C. 172; 5 C.R.N.S. 251 (C.T. T.N.-O.).

décisions citées :

Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL); Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1218; inf. pour d’autres motifs par [2007] 4 R.C.F. 332; 2007 CAF 24; autorisation de pourvoi à la C.S.C. accordée [2007] S.C.C.A. no 155 (QL); Huynh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1426.

doctrine citée

Chasse, Kenneth « Breach of Probation as an Offense » (1969), 5 C.R.N.S. 255.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision de révision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en vertu du paragraphe 68(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés annulant le sursis du défendeur, accueillant son appel et annulant la mesure de renvoi dont il a été frappé. Demande accueillie.

ont comparu :

Janet Chisholm pour le demandeur.

Alp Debreli pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Alp Debreli, Toronto, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]      La juge Dawson : Glendon St. Patrick Stephenson est un citoyen de la Jamaïque et un résident permanent du Canada. Le 15 janvier 2003, une mesure de renvoi du Canada a été prise à l’endroit de M. Stephenson parce qu’il a été déclaré coupable de trafic de stupéfiants. M. Stephenson a interjeté appel de l’ordonnance de renvoi devant la Section d’appel de l’immigration (la Section) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission).

[2]      Le 14 octobre 2003 [[2003] D.S.A.I. no 1157 (QL)], la Section a accordé au défendeur un sursis de trois ans à l’exécution de la mesure de renvoi, mais lui a imposé de nombreuses conditions. Les conditions pertinentes sont les suivantes :

• M. Stephenson doit informer le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (le Ministère) et la Section par écrit et au préalable de tout changement d’adresse;

• M. Stephenson doit demander la prolongation de la validité de son passeport avant qu’il ne vienne à expiration et fournir subséquemment une copie du nouveau passeport au Ministère;

• M. Stephenson ne doit pas troubler l’ordre public et il doit avoir une bonne conduite.

[3]      La Section a également annoncé qu’elle réexaminerait la situation de M. Stephenson aux alentours de septembre 2006.

[4]      Le 18 août 2006, la Section a avisé les parties que, en vertu du paragraphe 68(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), elle reprendrait l’appel de M. Stephenson sans tenir d’audience, aux alentours du 27 septembre 2006. Cet avis, en application du paragraphe 26(3) des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230 (les Règles), impliquait que chaque partie transmette à la Section une déclaration écrite portant sur le respect ou non, par M. Stephenson, des conditions du sursis de la mesure de renvoi.

[5]      Par la suite, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) a sollicité la tenue d’une audience. Il a également déclaré que M. Stephenson n’avait pas respecté les conditions en vertu desquelles le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi lui avait été accordé. Le ministre a fait remarquer que M. Stephenson :

• n’avait pas informé la Section de son dernier changement d’adresse;

• n’avait pas fourni au Ministère une copie de son nouveau passeport, ce qui était nécessaire parce que son ancien passeport était venu à expiration le 3 mars 2006;

•  avait été déclaré coupable de trois infractions au Code de la route de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. H.8.

Les trois infractions en cause résultaient de deux incidents distincts. En avril 2004, M. Stephenson avait brûlé un feu rouge et avait conduit un véhicule motorisé sans permis valide. En juillet 2006, M. Stephenson avait négligé de remettre son permis de conduire. Il s’est vu infliger une amende pour chacune de ces infractions.

[6]      La seule déclaration écrite formulée par M. Stephenson en réponse à l’avis de la Section, c’était qu’il avait respecté les conditions du sursis.

La décision de la Section

[7]      La Section a abordé la question du réexamen de sa décision antérieure et a exposé de brefs motifs écrits [[2006] D.S.A.I. no 1705 (QL)]. Dans ces motifs, la Section a rejeté la demande du ministre de tenir une audience sur le sursis accordé à M. Stephenson, parce qu’à son avis, une audience n’était pas nécessaire et qu’il était raisonnable de rendre une décision en chambre.

[8]      Sur le fond, la Section a considéré ce qui suit :

• Elle était convaincue que M. Stephenson n’avait pas respecté les deux premières conditions du sursis, susmentionnées au paragraphe 2. Cependant, à son avis, cela ne constituait que des violations mineures parce que M. Stephenson avait remis une copie de son nouveau passeport [au paragraphe 6] « à peine quelques mois plus tard ». De plus, bien que M. Stephenson eût omis d’informer la Section de son changement d’adresse, comme il était tenu de le faire, il semblait qu’il eût communiqué cette information au Ministère.

• En se fondant sur la preuve dont elle était saisie, la Section n’était pas convaincue que les trois déclarations de culpabilité pour des infractions au Code de la route de l’Ontario constituaient une violation de la condition de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite.

• Par contre, même si les déclarations de culpabilité constituaient effectivement une violation de cette condition, la Section a conclu que la violation en question était mineure. Les déclarations de culpabilité n’avaient pas [au paragraphe 8] « men[é] à la mise en question du comportement global de l’appelant, même si l’appelant a[vait] omis de communiquer son changement d’adresse à la SAI et de fournir, dans les plus brefs délais, une copie de son passeport ».

[9]      La Section a conclu ce qui suit [au paragraphe 9] : « En se fondant sur la preuve dont il a été saisie et en assumant sa responsabilité de tenir compte de l’ensemble des circonstances en l’espèce, le tribunal est prêt à révoquer le sursis accordé à l’appelant, à faire droit à l’appel et à casser la mesure de renvoi. »

Les questions en litige

[10]   Même si le ministre a soulevé de nombreuses questions, il suffit, à mon avis, de se pencher sur deux d’entre elles :

1. La Section a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de l’ensemble des circonstances en l’espèce?

2. La Section a-t-elle commis une erreur en concluant que les déclarations de culpabilité prononcées en vertu du Code de la route de l’Ontario ne donnaient pas lieu à une violation de la condition « de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite »?

La Section a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de l’ensemble des circonstances en l’espèce?

[11]   Au départ, il est utile d’examiner brièvement les dispositions pertinentes de la Loi.

[12]   Un résident permanent peut interjeter appel d’une mesure de renvoi devant la Section : voir le paragraphe 63(2) de la Loi.

[13]   Conformément à l’article 66 de la Loi, la Section, après avoir examiné l’appel, doit faire droit à l’appel, surseoir à la mesure de renvoi ou rejeter l’appel.

[14]   Pour que la Section puisse faire droit à l’appel, une erreur doit avoir été commise, il doit y avoir eu un manquement à un principe de justice naturelle, ou encore, il doit y avoir — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales; voir le paragraphe 67(1) de la Loi.

[15]   Dans le même ordre d’idées, pour que la Section puisse surseoir à la mesure de renvoi, il doit y avoir — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales; voir le paragraphe 68(1) de la Loi.

[16]   Dans les cas où il y a sursis de la mesure de renvoi, la Section doit imposer toute condition prévue par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement); voir l’alinéa 68(2)a) de la Loi. Les conditions prescrites sont énoncées à l’article 251 du Règlement et comprennent les deux premières conditions imposées à M. Stephenson (susmentionnées au paragraphe 2).

[17]   Lorsqu’un sursis a été accordé, la Section peut, sur demande ou d’office, le révoquer; voir l’alinéa 68(2)d) de la Loi. De plus, dans les cas où il y a sursis de la mesure de renvoi, la Section peut, à tout moment, sur demande ou d’office, reprendre l’appel; voir le paragraphe 68(3) de la Loi.

[18]   Ces dispositions sont reproduites en annexe des présents motifs.

[19]   Quant à savoir ce qui constitue des « motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales », la Cour a conclu qu’il convient que la Section tienne compte des facteurs énoncés dans la décision Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL); voir Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1218, au paragraphe 6; infirmée pour d’autres motifs par [2007] 4 R.C.F. 332 (C.A.F.), l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada ayant été accordée [[2007] S.C.C.A. no 155 (QL)].

[20]   Cette conclusion va dans le même sens que l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84. Dans cette affaire, la Cour suprême devait interpréter le sens de l’expression « eu égard aux circonstances particulières de l’espèce », qui figurait à l’alinéa 70(1)b) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, soit la loi qui s’appliquait avant la loi actuelle. Le paragraphe 70(1) de la Loi sur l’immigration prévoyait ce qui suit :

70. (1) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les résidents permanents et les titulaires de permis de retour en cours de validité et conformes aux règlements peuvent faire appel devant la section d’appel d’une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel en invoquant les moyens suivants :

a) question de droit, de fait ou mixte;

b) le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada. [Non souligné dans l’original.]

[21]   Au paragraphe 39 de ses motifs dans Chieu, la Cour suprême a souligné qu’elle approuvait depuis longtemps une interprétation large de l’alinéa 70(1)b) de la Loi sur l’immigration et de la disposition qui l’avait précédé, et elle a conclu au paragraphe 90 de ses motifs que les facteurs énoncés dans Ribic demeuraient les facteurs dont la Section devait tenir compte dans un appel interjeté par un résident permanent à l’encontre d’une mesure de renvoi.

[22]   Bien que la Loi prévoie expressément que la Section doit tenir compte de l’ensemble des circonstances en l’espèce lorsqu’elle fait droit à un appel ou sursoit à une mesure de renvoi, la Loi est muette quant aux facteurs dont la Section doit tenir compte lorsqu’elle réexamine, en application du paragraphe 68(3), une ordonnance de sursis d’une mesure de renvoi.

[23]   Cette situation est semblable à celle que créait la Loi sur l’immigration. Comme je l’ai dit précédemment, la Section devait alors, aux termes de l’alinéa 70(1)b), avoir « égard aux circonstances particulières de l’espèce » au moment de décider si un appelant devait ou non être renvoyé du Canada. Cependant, le paragraphe 74(3) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de la Loi sur l’immigration, qui autorisait la Section à modifier les conditions en vertu desquelles un sursis avait été accordé ou à révoquer un sursis, était muet quant aux facteurs à prendre en compte. Le paragraphe 74(3) prévoyait ce qui suit :

74. […]

(3) Dans le cas visé au paragraphe (2), la section d’appel peut, à tout moment :

a) modifier les conditions imposées ou en imposer de nouvelles;

b) annuler son ordre de surseoir à l’exécution de la mesure, et parallèlement :

(i) soit rejeter l’appel et ordonner l’exécution dès que les circonstances le permettent,

(ii) soit procéder conformément au paragraphe (1).

[24]   Dans l’arrêt Ivanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] 2 R.C.F. 502, au paragraphe 5, la Cour d’appel fédérale a conclu que, malgré une telle lacune, la Section devait tenir compte des facteurs énoncés dans Ribic au moment de révoquer un sursis en application du paragraphe 74(3) de la Loi sur l’immigration.

[25]   Me fondant sur la jurisprudence citée par la Cour d’appel fédérale dans Ivanov et sur la similarité entre l’ancienne disposition et l’actuelle, je conclus que, en droit, les facteurs énoncés dans Ribic demeurent les facteurs dont la Section doit tenir compte lorsqu’elle réexamine une décision en vertu du paragraphe 68(3) de la Loi.

[26]   Je souligne que cette conclusion correspond à l’avis que la Section a donné aux parties de la présente affaire, qui figure dans son avis de réexamen, selon lequel elle [traduction] « tiendra compte de l’ensemble des circonstances de leur affaire », ainsi qu’à la déclaration de la Section formulée dans ses motifs selon laquelle elle était consciente de « sa responsabilité de tenir compte de l’ensemble des circonstances en l’espèce ».

[27]   Cette conclusion est également compatible avec le fait que, comme la Cour suprême du Canada l’a mentionné dans l’arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539, au paragraphe 37, l’octroi d’un sursis n’est qu’une mesure temporaire. La Section conserve en tout temps un pouvoir de contrôle. Un appel interjeté devant la Section n’est tranché que lorsqu’il est accueilli ou rejeté. Le Parlement a affirmé à l’alinéa 67(1)c) de la Loi que, pour pouvoir faire droit à un appel, la Section doit tenir compte de l’ensemble des circonstances en l’espèce. Cette affirmation est conforme à l’intention du Parlement selon laquelle il faut tenir compte des facteurs énoncés dans Ribic, que l’appel soit accueilli par la Section dès le début, ou après qu’une ordonnance provisoire de sursis de la mesure de renvoi a été rendue.

[28]   Je me penche maintenant sur la question de savoir si la Section a tenu compte de l’ensemble des circonstances en l’espèce, comme elle devait le faire, lorsqu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire. Il s’agit là d’une question de droit à laquelle la décision raisonnable s’applique comme norme.

[29]   Les facteurs considérés comme pertinents dans Ribic sont, notamment, les suivants :

• la gravité de l’infraction ayant donné lieu à la mesure d’expulsion;

• la possibilité de réadaptation;

• le temps passé au Canada par l’appelant et son degré d’enracinement;

• la présence de la famille de l’appelant au pays et les bouleversements que son expulsion occasionnerait à sa famille;

• le soutien que l’appelant peut obtenir de sa famille et de la collectivité;

• l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le retour dans son pays de nationalité.

[30]   Dans ses motifs, la Section n’a pas expressément fait mention des facteurs énoncés dans Ribic. La Section s’est seulement penchée sur la question de savoir si M. Stephenson avait ou non respecté les conditions en vertu desquelles le sursis de la mesure de renvoi avait été accordé et les conséquences de ne pas les avoir respectées. La Section n’a pas évalué la gravité des infractions qui avaient donné lieu à la mesure de renvoi et n’a pas non plus tenu compte de motifs exceptionnels possibles pour accueillir l’appel comme, par exemple, le degré d’enracinement de M. Stephenson au Canada, la situation de sa famille au Canada et l’importance des difficultés que lui causerait son retour en Jamaïque.

[31]   J’ai noté que la Section a déclaré être consciente de sa responsabilité de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes en l’espèce. Cependant, une affirmation générale en ce sens ne sera pas suffisante dans tous les cas. Dans la présente affaire, M. Stephenson n’a fourni à la Section aucun renseignement ou document; il a seulement déclaré avoir respecté les conditions du sursis. Rien ne démontrait que les facteurs d’ordre humanitaire ayant donné lieu initialement à l’octroi du sursis subsistaient. Dans ces circonstances, je n’accorde aucun poids à la déclaration de la Section selon laquelle elle était consciente de sa responsabilité de tenir compte de l’ensemble des circonstances en l’espèce.

[32]   Vu que la Section a omis de mentionner expressément les facteurs énoncés dans Ribic ou d’examiner les questions abordées précédemment au paragraphe 30, et vu qu’elle ne disposait d’aucune preuve démontrant que les facteurs d’ordre humanitaire subsistaient, je conclus qu’elle a commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de l’ensemble des circonstances en l’espèce lorsqu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire pour accueillir l’appel et annuler la mesure de renvoi.

[33]   Il s’ensuit que la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

La Section a-t-elle commis une erreur en concluant que les déclarations de culpabilité prononcées en vertu du Code de la route de l’Ontario ne donnaient pas lieu à une violation de la condition « de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite »?

[34]   Je reconnais que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie en tout état de cause. Cependant, vu l’importance de la question, j’estime utile de l’examiner.

[35]   Dans deux décisions récentes, soit Huynh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1426; et Cooper c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1253, la Cour a conclu, dans le contexte d’une condition qui était imposée par la Section alors qu’elle sursoyait à une mesure de renvoi, que pour « avoir une bonne conduite », une personne doit se conformer aux lois et aux règlements fédéraux, provinciaux et municipaux.

[36]   Dans Cooper, la Cour a conclu que de nombreuses déclarations de culpabilité pour des infractions au code de la route provincial constituaient une violation de la condition « d’avoir une bonne conduite ».

[37]   Malgré la jurisprudence, la Section, dans la présente affaire, n’était pas convaincue que les trois déclarations de culpabilité prononcées contre M. Stephenson en vertu du Code de la route de l’Ontario constituaient une violation de la condition « d’avoir une bonne conduite ».

[38]   Les motifs exposés par la Section pour justifier cette conclusion étaient brefs [au paragraphe 7] :

En ce qui a trait aux trois condamnations prononcées en vertu du Code de la route, il y a lieu de se demander si les condamnations en question constituent un manquement à la condition de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite. Le ministre renvoie aux décisions de la Cour fédérale dans Cooper et Huynh, où il est précisé que « […] la jurisprudence en matière criminelle établit clairement que pour “avoir une bonne conduite”, il faut se conformer aux lois et aux règlements fédéraux, provinciaux et municipaux », ce qui suppose, de l’avis du tribunal, que toute condamnation en vertu d’une loi ou d’un règlement fédéral, provincial ou municipal constitue un manquement à l’exigence de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite. Comme je l’ai déjà précisé ailleurs, le tribunal est d’avis qu’il y a eu des erreurs de lecture dans ces deux affaires. Selon le tribunal, ces affaires ainsi que la décision sous-jacente prise par la Cour fédérale dans R. c. R. (D.) appuient, de façon plus pertinente, la proposition selon laquelle, pour ne pas avoir une bonne conduite, il faut nécessairement enfreindre les lois ou règlements fédéraux, provinciaux et municipaux. Mais le fait de ne pas se conformer à une loi fédérale, provinciale ou municipale ne correspond pas nécessairement à une mauvaise conduite. [Renvois omis.]

[39]   Sur ce point, la Section a fait un renvoi à sa décision dans Cao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] D.S.A.I. no 101 (QL), et a adopté les motifs qu’elle avait exposés. Dans cette affaire, le même commissaire de la Section avait rédigé ce qui suit (aux paragraphes 14 à 19) :

Dans Cooper, la juge Mactavish a déclaré :

La condition selon laquelle un individu est tenu « de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite » est celle qui figure généralement dans les ordonnances de sursis d’une mesure d’expulsion en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration et elle constitue également une condition légale dans toutes les ordonnances de probation en matière criminelle : voir le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, alinéa 732.1(2)a).

Bien qu’il reste à décider si la condition intimant à un individu « d’avoir une bonne conduite » peut être transgressée sans que l’individu ait enfreint une loi ou un règlement (voir R. c. Gosai, [2002] O.J. no 359, paragraphe 27), la jurisprudence en matière criminelle établit clairement que pour « avoir une bonne conduite », il faut se conformer aux lois et aux règlements fédéraux, provinciaux et municipaux : R. c. R. (D.) (1999), 138 C.C.C. (3d) 405 (C.A. T.-N.).

En outre, la jurisprudence de la Cour établit tout aussi clairement que l’on interprétera de manière semblable les ordonnances conditionnelles rendues dans un contexte d’immigration : Huynh c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2003] A.C.F. no 1844, paragraphe 7.

Dans Huynh, le juge O’Reilly a affirmé :

Je souligne qu’en droit criminel, l’exigence « de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite » est une condition prescrite par la loi dans toutes les ordonnances de probation : Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, alinéa 732.1(2)a). Pour « avoir une bonne conduite », une personne doit se conformer aux lois et règlements fédéraux, provinciaux et municipaux : R. c. R. (D.) (1999), 138 C.C.C. (3d) 405 (C.A. T.-N.). Je ne vois rien qui s’oppose à ce que le même point de vue s’applique en l’espèce.

Le tribunal s’intéresse au renvoi à R. c. R. (D.) dans Cooper et Huynh, ainsi qu’aux déclarations identiques faites par la juge Mactavish et le juge O’Reilly dans ces décisions : « Pour “avoir une bonne conduite”, une personne doit se conformer aux lois et règlements fédéraux, provinciaux et municipaux : R. c. R. (D.) ». Selon le tribunal, le ministre a conclu que cette déclaration voulait dire que, s’il y a eu déclaration de culpabilité en vertu d’une loi ou d’un règlement fédéral, provincial ou municipal, il y a automatiquement eu violation de la condition qui exige « de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite ». Après son examen de R. c. R. (D.) et d’autres cas de jurisprudence, le tribunal ne peut pas être d’accord avec le ministre.

R. c. R. (D.) est une longue décision dans laquelle la Cour explore en profondeur la signification de l’expression « ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite ». Le contexte de cette décision — et ceci est important — est que la question examinée par le tribunal consistait à déterminer si l’accusé, qui était un jeune homme, avait violé son ordonnance de probation qui exigeait qu’il ne trouble pas l’ordre public et qu’il ait une bonne conduite lorsqu’il s’est sauvé de son foyer de groupe. La Cour a fait remarquer que la fugue ne constitue pas, en soi, une infraction prévue par un texte législatif, ni une violation d’une ordonnance particulière du tribunal. Le jeune homme en question n’était pas, non plus, tenu par la loi d’obéir aux règlements du foyer de groupe. Autrement dit, il s’agissait d’une affaire dans laquelle le tribunal devait déterminer si la fugue, qui n’était pas une infraction à une loi, constituait une violation de la condition générale de l’ordonnance de probation « de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite ». La Cour a conclu que la bonne conduite — un concept qui, selon elle, va au-delà du simple fait de ne pas troubler l’ordre public — se limitait à la notion d’observation de la loi. Comme l’appelant n’avait commis aucune infraction en vertu d’une loi ou d’un règlement fédéral, provincial ou municipal, on ne pouvait pas affirmer qu’il avait troublé l’ordre public ou qu’il n’avait pas eu une bonne conduite, et sa déclaration de culpabilité a été annulée.

Dans R. c. R. (D.), la Cour étudie la jurisprudence et souligne qu’il existe deux points de vue contradictoires en ce qui concerne la signification de « bonne conduite ». La Cour est d’avis que, selon l’une des positions, qui est illustrée dans R. c. Stone, l’inobservation de la condition d’avoir une bonne conduite ne suppose pas nécessairement qu’il y a eu violation d’une loi ou d’un règlement fédéral, provincial ou municipal, et qu’il peut s’agir d’une conduite inférieure à la norme de comportement à laquelle on s’attend de citoyens respectables et respectueux de la loi. La Cour laisse entendre que, selon le point de vue contraire présenté dans la jurisprudence, la notion de « bonne conduite » se limite au respect de la loi. La Cour affirme ensuite :

[traduction] J’ai conclu, malgré mon respect de la position contraire affirmée dans Stone, que le fait de ne pas « avoir une bonne conduite », dans les conditions réglementaires d’une ordonnance de probation, se limite au non-respect des obligations légales en vertu des lois et des dispositions réglementaires fédérales, provinciales ou municipales, ainsi que des obligations en vertu d’ordonnances d’un tribunal, qui s’appliquent tout particulièrement à l’accusé, et ne s’applique pas à un comportement licite, même si l’on peut affirmer que le comportement en question est inférieur à certaines normes que des citoyens paisibles devraient respecter.

Cependant, la Cour poursuit immédiatement son raisonnement au paragraphe 13 :

[traduction] Cela ne veut toutefois pas dire que toute violation de la loi, aussi banale soit-elle, donnera nécessairement lieu à une conclusion selon laquelle l’accusé n’a pas eu une bonne conduite. Aux fins de la présente affaire, il suffit d’affirmer que le fait de ne pas respecter la loi est nécessaire pour que l’on conclue que l’accusé n’a pas respecté l’obligation d’avoir une bonne conduite.

Cet éclaircissement est, pour ainsi dire, important, particulièrement compte tenu du fait que les juges dans Cooper et Huynh semblent affirmer que, pour « avoir une bonne conduite », une personne doit respecter les lois et les dispositions réglementaires fédérales, provinciales et municipales. De plus, les juges citent directement R. c. R. (D.) en tant que décision faisant autorité. À la suite de son examen de R. c. R. (D.), le tribunal est convaincu que cette décision appuie tout à fait l’assertion selon laquelle pour ne pas avoir une bonne conduite, il ne faut pas avoir respecté les lois et les dispositions réglementaires fédérales, provinciales et municipales, mais que le fait de ne pas respecter une de ces lois ou dispositions réglementaires n’équivaut pas nécessairement à un manquement à la bonne conduite. [Renvois omis.]

[40]   Deux problèmes ressortent immédiatement des motifs de la Section.

[41]   Premièrement, la Section est tenue de suivre les décisions de la Cour. Contrairement à ce qu’affirme la Section au paragraphe 7 des motifs de sa décision ici contestée, la décision rendue dans R. v. R.(D.) (1999), 178 Nfld. & P.E.I.R. 200 (C.A. T.-N.), n’est pas une décision de la Cour fédérale, mais plutôt de la Cour suprême de Terre-Neuve et Labrador (Cour d’appel). La Cour a conclu, dans le contexte des ordonnances conditionnelles délivrées en vertu de la Loi, que la condition « d’avoir une bonne conduite » exige qu’une personne se conforme aux lois et aux règlements fédéraux, provinciaux et municipaux. La doctrine du stare decisis empêche la Section de tirer une conclusion contraire à celle de la Cour fédérale, même lorsqu’elle estime que la Cour a tiré une conclusion erronée, comme elle l’a laissé entendre dans la présente affaire ainsi qu’au paragraphe 19 de ses motifs dans Cao.

[42]   Deuxièmement, la déclaration tirée du paragraphe 13 de la décision R. v. R.(D.) sur laquelle s’est fondée la Section ne constitue qu’une remarque incidente parce que l’accusé dans cette affaire n’avait pas commis d’infraction. De plus, bien que cette remarque fût incidente, la Cour suprême de Terre-Neuve et Labrador (Cour d’appel) a jugé inutile de trancher la question de savoir si toute violation de la loi, aussi banale soit-elle, donne nécessairement lieu à la conclusion selon laquelle l’accusé n’a pas eu une bonne conduite.

[43]   Comme la Cour suprême de Terre-Neuve et Labrador (Cour d’appel) l’explique dans la décision connexe R. v. S.S. (1999), 178 Nfld & P.E.I.R. 210, au paragraphe 22 :

[traduction] Dans D.R., la Cour a conclu que le fait de ne pas « avoir une bonne conduite », dans les conditions réglementaires d’une ordonnance de probation, se limite au non-respect des obligations légales en vertu des lois ou des dispositions réglementaires fédérales, provinciales ou municipales ainsi que des ordonnances d’un tribunal, qui s’appliquent tout particulièrement au contrevenant, et ne s’applique pas à un comportement licite, même si l’on peut affirmer que le comportement en question est inférieur à certaines normes que des citoyens paisibles devraient respecter.

[44]   C’est ce que la décision R. v. R.(D.) signifie. Même si la Section pouvait refuser de suivre les décisions de la Cour, ce qu’elle ne peut pas faire, la décision R. v. R.(D.) ne va pas à l’encontre des décisions rendues par la Cour dans Huynh et Cooper, précitées.

[45]   La Section s’est également fondée sur la décision R. v. Borland (1968), 66 W.W.R. 751 (C.T. T.N.-O.). Cependant, dans cette affaire, la Cour a conclu [au paragraphe 11] [traduction] « qu’une déclaration de culpabilité en vertu de lois territoriales telles que la Vehicles Ordinance et la Liquor Ordinance, mentionnées précédemment, pourrait servir de fondement à une allégation de la Couronne selon laquelle l’accusé n’a pas “eu une bonne conduite” ».

[46]   La partie de la décision Borland sur laquelle s’est fondée la Section traitait de la façon de prouver la violation d’une condition; par conséquent, cette partie n’est pas pertinente quant à savoir si la violation d’une disposition légale ou réglementaire provinciale peut donner lieu à une violation de la condition « d’avoir une bonne conduite ». Au contraire de ce que laisse entendre la Section, cette décision n’établit pas que des déclarations de culpabilité pour certaines infractions ne peuvent pas prouver une violation de l’exigence « d’avoir une bonne conduite ».

[47]   La Section a ensuite examiné un commentaire sur la décision Borland, soit un article intitulé « Breach of Probation as an Offense », rédigé par Kenneth Chasse (1969), 5 C.R.N.S. 255. À mon avis, la Section s’est servie de certains passages sans tenir compte de leur contexte.

[48]   L’opinion de l’auteur, exprimée à la page 260 de l’article, était la suivante :

[traduction] Vu que la violation d’une loi, provinciale ou fédérale, constitue une mauvaise conduite, pourquoi faudrait-il présenter une preuve autre que l’attestation de déclaration de culpabilité pour prouver la violation? […] En transformant les processus de détermination de la peine en procès, trop d’importance est accordée à la question de savoir ce qui constitue une violation, au détriment de la question véritablement importante : La période de probation devrait-elle se poursuivre?

[…]

Cependant, il n’est dit dans aucune décision qu’une déclaration de culpabilité doit être prouvée une seconde fois, en bonne et due forme, pour qu’elle constitue une violation. Une attestation de déclaration de culpabilité sur preuve de l’identité devrait être suffisante pour que la Cour puisse se pencher sur la question importante : La période de probation devrait-elle se poursuivre? Pour ce qui est des infractions provinciales et des infractions criminelles moins graves, la Cour peut, à sa discrétion, renvoyer à la transcription du procès ou réentendre une partie des témoignages en réponse à l’allégation du probationnaire selon laquelle la violation ne constitue pas vraiment une mauvaise conduite. Mais puisque la violation est déjà établie, cette mesure serait prise dans le but de permettre au probationnaire de se faire pleinement entendre, et non dans le cadre d’un second procès complet que le contrevenant pourrait demander de plein droit.

Le fait de considérer la violation d’une ordonnance de probation comme étant une infraction ne donne pas seulement à penser qu’un procès complet est nécessaire, mais cela laisse entendre qu’une fois que la violation est établie, la Cour doit infliger une peine à l’accusé. Si toute violation, c’est-à-dire toute infraction provinciale, exigeait la révocation de la probation, alors l’approche adoptée dans Regina v. Borland serait plus appropriée. Toutefois, il n’est dit dans aucune décision qu’une déclaration de culpabilité pour une infraction provinciale est toujours considérée comme une violation justifiant que soit immédiatement révoqué l’engagement et déterminée la peine de l’accusé. Si une peine devait être infligée à l’accusé pour toute mauvaise conduite, la question de savoir si une infraction provinciale en soi constitue une violation aurait de l’importance. Mais, la Cour n’est pas obligée de faire emprisonner automatiquement une personne qui a pris un verre au coin de la rue. [Italique dans l’original.]

[49]   La même situation s’appliquait à l’instance devant la Section.

[50]   Dans le cas de déclarations de culpabilité prononcées en vertu de lois ou de règlements fédéraux, provinciaux et municipaux, la violation de la condition « d’avoir une bonne conduite » qui en découle n’entraîne pas nécessairement la révocation du sursis d’une mesure de renvoi. Il incombe à la Section d’examiner la question « vu les autres circonstances de l’affaire ». L’ensemble des circonstances comprend la nature et la gravité des infractions en vertu desquelles les déclarations de culpabilité ont été prononcées.

[51]   Enfin, pour « avoir une bonne conduite », une personne doit se conformer aux lois et aux règlements fédéraux, provinciaux et municipaux. Dans la présente affaire, vu que, selon la preuve, des déclarations de culpabilité avaient été prononcées contre M. Stephenson en vertu du Code de la route de l’Ontario, il n’était pas loisible, en droit, à la Section de conclure que ces déclarations de culpabilité ne constituaient pas une violation de la condition « d’avoir une bonne conduite ». Cependant, il lui était permis de tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire de M. Stephenson, y compris la nature et la gravité de sa violation des conditions du sursis, et de décider de la façon qu’elle devait exercer son pouvoir discrétionnaire.

Conclusion et certification

[52]   Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à la Section pour qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l’affaire.

[53]   L’avocat de M. Stephenson a proposé que la question suivante soit certifiée :

[traduction] Est-ce qu’il y a violation de la condition « de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite », imposée par la Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié dans le cadre du sursis à l’exécution de mesures d’expulsion, chaque fois que la personne concernée est déclarée coupable d’une infraction à une loi ou à un règlement fédéral, provincial ou municipal où que ce soit au Canada?

Le ministre s’est opposé à la certification de la question.

[54]   À mon avis, en raison de la conclusion subsidiaire de la Section, qui était fondée sur l’hypothèse que les déclarations de culpabilité prononcées en vertu du Code de la route de l’Ontario constituaient une violation de la condition « d’avoir une bonne conduite », et vu que la Section n’a pas examiné adéquatement l’ensemble des circonstances dans le contexte des facteurs énoncés dans Ribic, la question proposée ne serait pas déterminante dans un appel.

[55]   Pour ce motif, aucune question ne sera certifiée.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision rendue le 14 novembre 2006 par la Section d’appel de l’immigration est annulée par la présente;

2. L’affaire est renvoyée à la Section pour qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l’affaire en tenant compte des présents motifs.

ANNEXE

Le paragraphe 63(2), l’article 66 et les paragraphes 67(1), 68(1), (2) et (3) de la Loi prévoient ce qui suit :

63. […]

(2) Le titulaire d’un visa de résident permanent peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l’enquête.

[…]

66. Il est statué sur l’appel comme il suit :

a) il y fait droit conformément à l’article 67;

b) il est sursis à la mesure de renvoi conformément à l’article 68;

c) il est rejeté conformément à l’article 69.

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

[…]

68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(2) La section impose les conditions prévues par règlement et celles qu’elle estime indiquées, celles imposées par la Section de l’immigration étant alors annulées; les conditions non réglementaires peuvent être modifiées ou levées; le sursis est révocable d’office ou sur demande.

(3) Par la suite, l’appel peut, sur demande ou d’office, être repris et il en est disposé au titre de la présente section.

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