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 [2014] 4 R.C.F. 243

IMM-8565-12

2013 CF 360

Ryann Edward Caraan (demandeur)

c.

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (défendeur)

Répertorié : Caraan c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)

Cour fédérale, juge Scott—Vancouver, 8 mars; Ottawa, 10 avril 2013.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de résidents permanents — Demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a révoqué l’ordonnance de sursis accordée au demandeur et a classé de plein droit l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de la mesure de renvoi prise en vertu de l’art. 68(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) — Le demandeur a été déclaré coupable de plusieurs infractions — La Section de l’immigration a jugé que le demandeur était interdit de territoire — La SAI a ordonné qu’il soit sursis à la mesure d’expulsion en raison d’une entente conclue entre le demandeur et le défendeur — Le demandeur a par la suite plaidé coupable à une nouvelle accusation relativement à une infraction commise avant que le sursis ne soit accordé — La SAI a signalé que les conditions de l’application systématique de l’art. 68(4) avaient été remplies — Citant les décisions Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Malarski et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Bui, la SAI a fait remarquer que l’art. 68(4) s’applique pour révoquer un sursis et classer un appel même dans les cas où les actes qui ont donné lieu à la déclaration de culpabilité ont été posés avant que le sursis ne soit accordé — Il s’agissait de savoir si la SAI a fait erreur en appliquant la jurisprudence pour interpréter l’art. 68(4) — La SAI n’a pas fait erreur en se fondant sur les décisions Malarski et Bui ni en les appliquant — La SAI a eu raison de conclure que la décision Malarski étaye le principe voulant que, sauf lorsque l’ordonnance de sursis renferme une exception explicite, les condamnations postérieures au sursis rendues à l’égard d’accusations portées avant l’octroi du sursis déclenchent effectivement l’art. 68(4) — L’art. 68(4) a pour objet de retirer à la SAI le pouvoir discrétionnaire de surseoir à une mesure de renvoi lorsqu’un individu commet une autre infraction grave — Le terme « reconnu coupable » au sens de l’art. 68(4) signifie que l’individu a été déclaré coupable ou condamné — Les termes « est reconnu coupable d’une autre infraction » indiquent que le législateur a tenu compte de la présomption d’innocence — L’interprétation dans la décision Bui est correcte — En l’espèce, le traitement est différent parce que le demandeur n’a pas réussi à se décharger de l’accusation en instance qui pesait contre lui — Une question a été certifiée — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a révoqué l’ordonnance de sursis accordée par la SAI au demandeur et a classé de plein droit l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de la mesure de renvoi prise en vertu du paragraphe 68(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

Le demandeur, un citoyen des Philippines, a été reconnu coupable de plusieurs infractions et s’est vu imposer une condamnation avec sursis. Un rapport préparé par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) conformément au paragraphe 44(1) de la LIPR a été déféré à la Section de l’immigration (SI) pour enquête. Celle-ci a statué que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité et a pris une mesure d’expulsion. Toutefois, étant donné une entente conclue en 2009 entre le demandeur et le défendeur, la SAI a ordonné qu’il soit sursis à la mesure d’expulsion. En 2010, le demandeur a appris qu’il était visé par un mandat d’arrestation en vigueur relativement à une infraction qu’il aurait commise en 2006. Le demandeur a plaidé coupable à l’accusation. En conséquence, le représentant du défendeur a demandé à la SAI de révoquer le sursis de la mesure de renvoi en application du paragraphe 68(4) de la LIPR. Dans ses motifs, la SAI a signalé que les conditions de l’application systématique du paragraphe 68(4) avaient été remplies, à savoir que le demandeur avait été reconnu coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1) de la LIPR et que la déclaration de culpabilité avait été prononcée durant la période de sursis de la mesure d’expulsion. Citant les décisions Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Malarski et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Bui, la SAI a fait remarquer que « le paragraphe 68(4) s’applique pour révoquer un sursis et classer un appel même dans les cas où les actes qui ont donné lieu à la déclaration de culpabilité ont été posés avant que le sursis ne soit accordé ».

Il s’agissait principalement de savoir si la SAI a fait erreur en appliquant la jurisprudence pour interpréter le paragraphe 68(4).

Jugement : la demande doit être rejetée.

La SAI n’a pas fait erreur en se fondant sur les décisions Malarski et Bui, ni en les appliquant. Dans la décision Malarski, la Cour a conclu que la condamnation prononcée après l’octroi du sursis à l’égard d’accusations portées avant le sursis n’avait pas déclenché l’application du paragraphe 68(4) tout simplement parce que l’ordonnance de sursis renfermait une exception à cette fin. La SAI a eu raison de conclure que la décision Malarski étaye le principe voulant que, sauf lorsque l’ordonnance de sursis renferme une exception explicite, les condamnations postérieures au sursis rendues à l’égard d’accusations portées avant l’octroi du sursis déclenchent effectivement l’application du paragraphe 68(4). Le paragraphe 68(4) a pour objet de retirer à la SAI le pouvoir discrétionnaire dont elle jouit habituellement pour surseoir à une mesure de renvoi lorsqu’un individu qui a déjà bénéficié d’une décision favorable de la SAI commet une infraction grave, telle que définie au paragraphe 36(1) de la LIPR, et prouve de ce fait qu’il n’est pas réadapté. Cette disposition a pour effet de révoquer le sursis et de classer l’appel. Le terme « reconnu coupable » au sens du paragraphe 68(4) signifie que l’individu a été déclaré coupable ou condamné. Le législateur a tenu compte de la présomption d’innocence, et c’est pourquoi il a utilisé les termes « est reconnu coupable d’une autre infraction ». L’interprétation dans la décision Bui est correcte et il n’y a aucune raison valable de l’écarter. Si traitement différent il y a, ce n’est pas parce que le paragraphe 68(4) a été interprété comme limitant la compétence de la SAI mais plutôt, comme dans la présente espèce, parce que le demandeur n’a pas réussi à se décharger de l’accusation en instance qui pesait contre lui. La question de savoir si, dans le cas où il est sursis à une mesure de renvoi, le paragraphe 68(4) s’applique uniquement aux condamnations prononcées à l’égard des infractions mentionnées au paragraphe 36(1) qui sont commises après l’octroi du sursis a été certifiée.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 368.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 25, 36(1), 44(1), 64(2), 68, 197.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Malarski, 2006 CF 1007; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Bui, 2012 CF 457, [2013] 4 R.C.F. 520; R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601.

décisions examinées :

Agri c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 349; Ngyuen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1001.

décisions citées :

Lawal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 861; Blake c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 572, [2009] 1 R.C.F. 179; Smith c. Canada (Chef d’état-major de la défense), 2010 CF 321; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89; Boni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 68.

DOCTRINE CITÉE

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. Toronto : Butterworths, 1994.

Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. Markham Ont. : Butterworths, 2002.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (2012 CanLII 91682) a révoqué l’ordonnance de sursis accordée par la SAI au demandeur et a classé de plein droit l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de la mesure de renvoi prise en vertu du paragraphe 68(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Gordon H. Maynard pour le demandeur.

Helen Park pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Maynard Kischer Stojicevic, Vancouver, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Scott :

I.          Introduction

[1]        La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 13 juillet 2012 [Caraan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CanLII 91682], par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a révoqué l’ordonnance de sursis accordée par la SAI le 23 avril 2009 (l’ordonnance de sursis) à M. Ryann Edward Caraan (le demandeur) et a classé de plein droit l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de la mesure de renvoi prise en vertu du paragraphe 68(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[2]        La présente demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.         Les faits

[3]        Le demandeur est un citoyen des Philippines. Il a obtenu sa résidence permanente au Canada le 29 mai 2003.

[4]        Le 1er septembre 2006, le demandeur a été reconnu coupable de plusieurs infractions commises en juin, en juillet et en août 2006 associées à la contrefaçon de documents, au vol de faible importance, à la possession de biens obtenus criminellement et au défaut de comparution. Le demandeur s’est vu imposer une condamnation avec sursis assortie de diverses conditions.

[5]        Le 1er mai 2007, le demandeur a été accusé d’avoir mis en circulation un document contrefait en contravention de l’article 368 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46 (Code criminel). Cette accusation reposait sur l’allégation voulant que le 8 septembre 2006, le demandeur a contrefait un chèque d’une valeur de 946,86 $. Le 8 octobre 2008, un juge de paix a délivré un mandat d’arrêt contre le demandeur.

[6]        Le 23 novembre 2006, le demandeur a été arrêté et accusé de manquement aux conditions de la probation et de vol de moindre importance. L’accusation de vol a été retenue, mais il a été sursis à l’accusation de manquement aux conditions de la probation.

[7]        Le 1er avril 2008, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a établi un rapport d’interdiction de territoire conformément au paragraphe 44(1) de la LIPR au motif de grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR en raison d’une des déclarations de culpabilité datant du 6 septembre 2006, à savoir l’utilisation de documents contrefaits à l’encontre de l’article 368 du Code criminel. L’agent a recommandé qu’il soit donné un avertissement au demandeur et que l’affaire ne fasse pas l’objet d’une enquête.

[8]        Le 13 mai 2008, un représentant du ministre a examiné le rapport établi aux termes du paragraphe 44(1) et décidé que l’allégation de grande criminalité devait être déférée à la Section de l’immigration pour enquête. Le représentant du ministre a signalé que le demandeur avait été reconnu coupable de 14 chefs d’accusation et était visé par une accusation criminelle en instance. Étant donné le nombre de chefs d’accusation pour lesquels le demandeur avait été condamné à une peine avec sursis de deux ans, le représentant du ministre n’a pas approuvé la recommandation de donner un avertissement.

[9]        Le 7 novembre 2008, la Section de l’immigration a tenu une enquête; elle a statué que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité et a pris une mesure d’expulsion (la mesure d’expulsion). Le demandeur était présent et était représenté par un ami de la famille à titre gracieux (qui n’était ni avocat ni consultant autorisé). Au cours de l’enquête, le demandeur a confirmé avoir obtenu la trousse documentaire du ministre aux fins de l’enquête et a fait part de sa préoccupation relativement au refus du représentant du ministre d’accepter la recommandation figurant au rapport établi par l’agent aux termes du paragraphe 44(1).

[10]      Le demandeur a interjeté appel de la mesure d’expulsion à la SAI. Le 29 janvier 2009, le représentant du ministre a remis au demandeur, à son représentant ainsi qu’à la SAI une trousse documentaire qui contenait le rapport établi aux termes du paragraphe 44(1) et le renvoi pour enquête ainsi que les motifs du renvoi pour enquête recommandé par le représentant du ministre.

[11]      Le 23 avril 2009, le conseil du ministre et celui du demandeur ont conjointement recommandé à la SAI de surseoir à l’expulsion pendant 24 mois et ont signé un sommaire de l’entente intervenue dans le cadre du mode alternatif de règlement des litiges (MARL) (le sommaire). Dans le sommaire, le représentant du ministre reconnaissait qu’il existait suffisamment de motifs humanitaires pour justifier cette mesure spéciale. Le sommaire mentionnait également que le demandeur bénéficiait de l’appui de sa famille et qu’il faisait d’importants efforts pour se réadapter et s’établir au Canada. En se fondant sur l’entente, la SAI a ordonné qu’il soit sursis à la mesure d’expulsion et précisé qu’elle réexaminerait l’affaire durant la première semaine d’avril 2011 ou à toute autre date qu’elle aurait fixée.

[12]      Vers la fin de 2010, le demandeur s’est rendu à l’Immeuble de la sécurité publique du Service de police de Winnipeg pour se soumettre à la vérification des antécédents requise par son école et en vue de sa recherche d’emploi. C’est là qu’il a appris qu’il était visé par un mandat d’arrestation en vigueur depuis 2008 pour une accusation portée en mai 2007 relativement à l’infraction de mise en circulation de documents forgés qu’il aurait commise le 8 septembre 2006.

[13]      Le 2 décembre 2010, le demandeur, qui était représenté par un conseil juridique, a plaidé coupable à l’accusation portée en mai 2007 et a écopé d’une peine d’incarcération d’un jour, d’une probation de 18 mois et d’une ordonnance de restitution.

[14]      Le 3 novembre 2011, le représentant du ministre a demandé à la SAI de révoquer le sursis de la mesure de renvoi en application du paragraphe 68(4) de la LIPR parce que le demandeur avait été reconnu coupable d’une infraction de mise en circulation d’un document forgé commise le 2 décembre 2010 en contravention de l’article 368 du Code criminel.

III.        La décision contestée

[15]      Le 13 juillet 2012, la SAI a révoqué le sursis de la mesure d’expulsion et l’appel a été classé de plein droit conformément au paragraphe 68(4) de la LIPR. Dans ses motifs, la SAI a signalé que les conditions de l’application systématique des dispositions du paragraphe 68(4) avaient été remplies, à savoir : 1) le demandeur avait été reconnu coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1) de la LIPR et 2) la déclaration de culpabilité avait été prononcée durant la période de sursis de la mesure d’expulsion.

[16]      Citant les décisions Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Malarski, 2006 CF 1007 (Malarski), et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Bui, 2012 CF 457, [2013] 4 R.C.F. 520 (Bui), la SAI a fait remarquer que « le paragraphe 68(4) s’applique pour révoquer un sursis et classer un appel même dans les cas où les actes qui ont donné lieu à la déclaration de culpabilité ont été posés avant que le sursis ne soit accordé » (motifs de la SAI, au paragraphe 9).

[17]      La SAI a fait valoir que, contrairement à la décision Malarski, précitée, rien dans les conditions du sursis accordé par la SAI n’excluait l’application du paragraphe 68(4) dans le cas d’accusations relatives à des actes antérieurs. La SAI a fait remarquer que cela n’était pas « surprenant compte tenu du fait que l’accusation en instance n’avait pas été signalée au moment de l’appel » (motifs de la SAI, au paragraphe 10).

IV.       Législation

[18]      L’article 68 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27, (la LIPR) dispose ce qui suit :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

Sursis

(2) La section impose les conditions prévues par règlement et celles qu’elle estime indiquées, celles imposées par la Section de l’immigration étant alors annulées; les conditions non réglementaires peuvent être modifiées ou levées; le sursis est révocable d’office ou sur demande.

Effet

(3) Par la suite, l’appel peut, sur demande ou d’office, être repris et il en est disposé au titre de la présente section.

Suivi

(4) Le sursis de la mesure de renvoi pour interdiction de territoire pour grande criminalité ou criminalité est révoqué de plein droit si le résident permanent ou l’étranger est reconnu coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1), l’appel étant dès lors classé.

Classement et annulation

V.        Les questions en litige et la norme de contrôle

A.        Questions

1. La SAI a‑t‑elle fait erreur en ne concluant pas que l’application du paragraphe 68(4) de la LIPR constituait un abus de procédure ou un manquement à l’obligation d’équité en l’espèce?

2. La SAI a‑t‑elle fait erreur en concluant qu’aucune condition implicite de l’ordonnance de sursis n’excluait l’application du paragraphe 68(4) de la LIPR à l’accusation relative à l’infraction commise le 8 septembre 2006?

3. La SAI a‑t‑elle fait erreur en appliquant la jurisprudence pour interpréter le paragraphe 68(4) de la LIPR?

B.        La norme de contrôle

[19]      La Cour n’a pas à faire preuve de retenue judiciaire en ce qui a trait à la première question. La Cour doit vérifier si les règles de l’équité procédurale ont été respectées (voir Lawal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 861, au paragraphe 15). Quant à l’allégation du demandeur voulant que la demande ministérielle visant à révoquer le sursis en application du paragraphe 68(4) constitue un abus de procédure, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (voir Blake c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 572, [2009] 1 R.C.F. 179, et Smith c. Canada (Chef d’état-major de la défense) 2010 CF 321).

[20]      La question de savoir si la SAI a ou non fait erreur en ne reconnaissant pas l’existence d’une condition implicite dans l’ordonnance de sursis se rapporte à son évaluation des faits et est assujettie à la norme de la décision raisonnable (voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 53).

[21]      L’application par la SAI de la jurisprudence relative au paragraphe 68(4) aux faits de l’espèce relève à la fois des faits et du droit et devrait être contrôlée selon la norme du caractère raisonnable (arrêt Dunsmuir, précitée, au paragraphe 53).

VI.       Observations des parties

A.        Observations du demandeur

[22]      Le demandeur fait valoir que si le ministre cherchait à ce qu’une nouvelle condamnation entraîne l’application du paragraphe 68(4) et révoque l’ordonnance de sursis accordée dans le cadre du MARL, il avait alors le devoir de faire clairement part de son intention au demandeur. Celui‑ci prétend aussi que le commissaire, en appuyant la recommandation visant à révoquer le sursis, était aussi tenu de l’en informer. Le demandeur soutient par conséquent que cette omission constitue un abus de procédure et un manquement à l’obligation d’équité procédurale à laquelle il avait droit.

[23]      Le demandeur fait aussi valoir que certains facteurs appuient son allégation d’abus de procédure ou de manquement à l’obligation d’équité procédurale par le ministre, à savoir : 1) le fait que le sursis a été accordé dans le cadre du MARL; 2) l’absence d’une représentation juridique effective; 3) l’ambigüité du libellé du paragraphe 68(4); et 4) le fait que, s’il avait connu l’intention du ministre, il aurait renoncé au sursis à l’époque et cherché à se décharger de l’accusation en instance avant d’interjeter son appel.

[24]      Le demandeur affirme que le contexte du MARL l’a poussé à croire que, pour pouvoir rester au Canada, il devait simplement respecter la condition de ne pas commettre une quelconque infraction criminelle. Le ministre avait signé l’ordonnance de sursis, car il était convaincu que : 1) le demandeur avait fourni des informations crédibles sur ses antécédents criminels et sur les efforts qu’il avait déployés en vue de se réadapter; 2) le demandeur avait fait d’importants changements dans sa vie personnelle et avait notamment pris ses distances par rapport à ses anciens associés; 3) le demandeur avait pris des mesures sérieuses et concrètes pour s’établir au Canada, par exemple en trouvant du travail et en obtenant l’appui de sa famille; et 4) il existait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier le sursis.

[25]      Le demandeur fait valoir que le ministre a commis un abus de procédure parce qu’il a approuvé le sursis au motif que le demandeur avait amélioré sa vie et qu’il s’est ensuite dédit et a révoqué le sursis en raison d’actes datant d’avant ces améliorations.

[26]      Le demandeur avance que, même si le sommaire de l’entente qu’il a signé indique clairement que son sursis serait révoqué de plein droit en vertu du paragraphe 68(4) s’il était reconnu coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1) de la LIPR, l’obligation d’équité à laquelle était tenue le ministre astreignait ce dernier à informer le demandeur de l’incidence de ces dispositions de la LIPR sur son dossier. Comme le demandeur n’était pas représenté par un conseil, on ne pouvait raisonnablement pas s’attendre à ce qu’il comprenne qu’une déclaration de culpabilité relative à l’infraction qu’il avait commise le 8 septembre 2006 allait automatiquement avoir pour effet de révoquer son sursis et de classer son appel. Le demandeur insiste sur le fait que cela est d’autant plus vrai à la lumière du débat qui entoure actuellement l’interprétation de l’expression « reconnu coupable d’une autre infraction » au paragraphe 68(4), question qui était si complexe qu’elle a été certifiée par le juge Martineau dans la décision Bui, précitée.

[27]      Le demandeur prétend aussi que, s’il avait vraiment bien saisi le sens du paragraphe 68(4), il aurait demandé un ajournement de son appel et aurait veillé à se décharger de l’accusation en instance. Il allègue avoir effectivement perdu sa chance d’interjeter appel (voir le paragraphe 64(2) de la LIPR) parce que le ministre a manqué à l’obligation d’agir équitablement.

[28]      Selon le demandeur, si le ministre n’avait pas voulu, par suite d’une condamnation éventuelle relative à l’accusation en instance, révoquer le sursis par l’application du paragraphe 68(4), alors le ministre avait probablement l’intention d’inscrire une exception implicite aux modalités du sursis prévu dans le cadre du MARL. Cette exception implicite aurait été semblable à l’exception explicite inscrite par le ministre dans l’affaire Malarski. Dans cette affaire, le ministre a précisé en des termes explicites dans l’ordonnance de sursis qu’une condamnation éventuelle pour une accusation en instance n’aurait pas pour effet d’entraîner la violation de la condition du sursis selon laquelle M. Malarski « ne pouvait commettre d’infractions pénales ». La cour a statué que l’exception expresse suffisait à empêcher l’application du paragraphe 68(4) et la révocation du sursis.

[29]      Le demandeur soutient que [traduction] « le jugement Malarski était fondé sur le raisonnement selon lequel la volonté du ministre de surseoir à une mesure devait être exécutoire et ne pouvait pas être écartée par la seule action de la loi » (mémoire du demandeur, au paragraphe 17). Il soutient également que le même [traduction] « raisonnement s’applique en l’espèce et que la démarche du ministre dans le cadre du MARL montre qu’il n’était pas question de laisser une condamnation ultérieure relative à l’infraction du 8 septembre 2006 modifier l’intention du ministre de surseoir à la mesure de renvoi » (mémoire du demandeur, au paragraphe 17).

[30]      D’après le demandeur, le fait que la SAI n’a pas reconnu cette exception implicite dans l’ordonnance de sursis constitue à la fois une erreur de droit et de fait. L’erreur peut en partie être attribuée à une appréciation incorrecte des faits de la part de la SAI, celle‑ci ayant déclaré que le ministre n’était pas au courant à l’époque de l’accusation en instance sous le coup de laquelle était alors le demandeur.

[31]      Subsidiairement, le demandeur avance que la divulgation par le ministre de l’accusation en instance dans le cadre du MARL, ainsi que sa recommandation de régler la question au moyen d’un sursis avaient eu pour effet de susciter une attente légitime et raisonnable chez le demandeur, à savoir [traduction] « qu’une déclaration subséquente de culpabilité pour une “ancienne” infraction n’aurait aucun effet sur le sursis ou sur l’appel de la mesure d’expulsion » (mémoire du demandeur, au paragraphe 17).

[32]      Dans son dernier argument, le demandeur s’attaque à la conclusion de la SAI selon laquelle la jurisprudence de la Cour fédérale l’obligeait à maintenir la condamnation du demandeur relativement à l’accusation en instance, faisait intervenir le paragraphe 68(4) et révoquait son sursis. Le demandeur prétend que cette conclusion de la SAI constitue une erreur de droit et estime que la SAI a considéré à tort que le jugement Malarski, précité, souscrit au principe que le paragraphe 68(4) s’applique dans les cas où une condamnation a été prononcée après l’octroi du sursis relativement à une infraction commise avant l’octroi du sursis.

[33]      Quant au jugement Bui, précité, sur lequel s’est fondée la SAI, le demandeur admet que le juge Martineau a effectivement décidé que le paragraphe 68(4) s’appliquait dans les cas où une condamnation a été prononcée après l’octroi du sursis à l’égard d’une infraction commise avant l’octroi du sursis, mais fait remarquer qu’une question a été certifiée.

[34]      Le demandeur soutient également qu’une autre cour pourrait raisonnablement rejeter plusieurs des principaux motifs énoncés dans Bui, précité, pour justifier son interprétation et décider, entre autres, que :

1) à l’encontre du motif énoncé au paragraphe 46 de la décision Bui, le paragraphe 68(4) a bel et bien une fonction d’ordre pratique même s’il ne vise que les infractions commises après le sursis, à savoir [traduction] « la révocation du sursis et le classement de l’appel lorsqu’un individu visé par un sursis commet ultérieurement une infraction décrite au paragraphe 36(1), et ne laisse pas la décision à la discrétion de la Section d’appel, comme c’est le cas lorsqu’un individu commet une infraction non visée par le paragraphe 36(1) » (mémoire du demandeur, au paragraphe 20(iii));

2) [traduction] « lorsqu’une interprétation stricte du paragraphe 68(4) donne lieu à une conséquence qui ne permettrait d’atteindre aucun objectif pénal légitime ni ne servirait des fins légitimes d’application de la loi en vue d’assurer la sécurité des habitants du Canada […], il convient alors d’interpréter différemment le libellé du paragraphe » (mémoire du demandeur, au paragraphe 20(iii)).

[35]      Enfin, le demandeur soutient que les faits de l’affaire Bui, précitée, étaient distincts des faits de l’espèce à plusieurs égards importants, à savoir : 1) rien n’indique que M. Bui n’était pas représenté par un conseiller juridique; 2) l’ordonnance de sursis n’avait pas été prononcée par la SAI sur la recommandation du ministre dans le cadre du MARL, mais après que le témoignage de M. Bui eut été entendu lors de la procédure d’appel; et 3) dans l’affaire Bui, précitée, le ministre n’était pas au courant de l’existence d’une infraction en instance et des accusations dont l’intéressé faisait l’objet à l’époque où le sursis a été accordé.

B.        Observations du défendeur

[36]      Le défendeur soutient qu’il n’y a eu aucun abus de procédure ou manquement à l’obligation d’équité procédurale en l’espèce, car le demandeur avait été mis au courant de l’accusation qui avait été portée contre lui au criminel aussi bien lors de l’enquête que de l’appel devant la SAI. Le sommaire de l’entente convenue entre les parties indique clairement au paragraphe 5 que le sursis allait être révoqué et son appel classé conformément au paragraphe 68(4) si le demandeur était reconnu coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1).

[37]      Le défendeur insiste sur le fait que le défaut du demandeur de se décharger de l’accusation criminelle en instance avant le recours au MARL proposé par la SAI ne peut être imputé au ministre et que c’était à lui d’y voir. Le prétexte selon lequel il ne pouvait savoir que la condamnation prononcée après l’octroi du sursis à l’égard d’une infraction commise avant l’octroi du sursis allait avoir pour effet d’annuler le sursis parce qu’il était représenté par un ami de la famille n’est donc pas valable. Le défendeur soutient que la jurisprudence établit clairement qu’une partie doit subir les conséquences de l’incurie de son conseil.

[38]      S’agissant de l’exception implicite, le défendeur fait remarquer que la SAI a pris l’argument en compte et décidé que l’ordonnance de sursis ne renfermait aucune condition, implicite ou explicite. Le défendeur soutient que, qu’il y ait eu ou non des conditions d’exception, le ministre n’est pas autorisé à empêcher l’application du paragraphe 68(4) par le biais des conditions d’une ordonnance de sursis. Le défendeur prétend que les circonstances de l’affaire Malarski, précitée, diffèrent de l’espèce en ce sens que l’affaire Malarski faisait intervenir l’article 197 de la LIPR. Cet article dispose que « l’intéressé qui fait l’objet d’un sursis au titre de l’ancienne loi et qui n’a pas respecté les conditions du sursis, est assujetti à la restriction du droit d’appel prévue par l’article 64 de la présente loi, le paragraphe 68(4) lui étant par ailleurs applicable ». Le demandeur soutient que s’il est vrai que, en vertu de la LIPR, le manquement à une condition d’une ordonnance de sursis ne déclenche pas l’application du paragraphe 68(4), il peut entraîner l’application du paragraphe 68(2). Seule une déclaration de culpabilité aux termes du paragraphe 36(1) prononcée postérieurement au sursis peut déclencher l’application du paragraphe 68(4).

VII.      Analyse

A.        Abus de procédure et manquement à l’obligation d’équité procédurale

[39]      Le demandeur soutient que, si le ministre voulait qu’une condamnation pour une infraction antérieure au sursis qui aurait été prononcée après l’octroi d’un sursis ait pour effet de déclencher l’application du paragraphe 68(4) et de révoquer l’ordonnance de sursis accordée dans le cadre du MARL, il se serait alors rendu coupable d’un abus de procédure ou d’un manquement à l’obligation d’équité procédurale. Plus précisément, le ministre a commis un abus de procédure et un manquement à l’obligation d’équité procédurale en encourageant le demandeur à accepter les conditions de l’ordonnance de sursis sans d’abord se libérer d’une accusation en instance connue.

[40]      La jurisprudence indique clairement que, pour établir un abus de procédure, « il doit y avoir une preuve accablante que les procédures examinées sont injustes au point qu’elles sont contraires à l’intérêt de la justice » (R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601 (Power), à la page 616). Plus précisément, ce n’est que « si la preuve démontre clairement l’existence de motifs illégitimes, de mauvaise foi ou d’un acte si fautif qu’il viole la conscience de la collectivité à un point tel qu’il serait vraiment injuste et indécent de continuer » (Power, précité, à la page 616). Établir un abus de procédure en l’espèce nécessiterait par conséquent une preuve accablante que le ministre avait des motifs illégitimes ou qu’il a agi de mauvaise foi. La Cour ne considère pas que le demandeur a présenté des éléments de preuve suffisants pour conclure à un abus de procédure de la part du ministre. Le demandeur n’avance que des preuves circonstancielles pour établir que le ministre cherchait à le tromper en lui accordant un sursis tout en sachant que ce sursis serait révoqué de plein droit si le demandeur était reconnu coupable de l’accusation datant d’avant le prononcé du sursis.

[41]      Quoi qu’il en soit, même si le ministre savait que l’application du paragraphe 68(4) serait déclenchée si le demandeur était ultérieurement reconnu coupable de l’accusation en instance, le demandeur en a clairement été informé au paragraphe 5 du sommaire de l’entente. Ni le ministre ni l’agent de règlement des litiges n’agissait comme conseiller juridique du demandeur, et ni l’un ni l’autre n’était tenu de lui expliquer le droit. La Cour fait aussi observer que le libellé du paragraphe 5 n’a rien d’ambigu.

[42]      La jurisprudence de la Cour indique clairement que l’obligation d’équité procédurale ne s’accroît pas lorsqu’une partie se représente elle‑même. Dans la décision Agri c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 349, au paragraphe 13, le juge Harrington explique que « [l]a partie qui décide de ne pas retenir les services d’un avocat n’a pas le droit de s’attendre à ce que la Commission agisse à la fois comme décideur et comme représentante à la fois ». Dans Ngyuen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1001, au paragraphe 17, le juge Teitelbaum a fait remarquer ceci :

La Commission n’a pas l’obligation de tenir lieu de procureur pour un demandeur d’asile qui refuse de s’adresser à un avocat. Elle n’est pas tenue de dire au demandeur d’asile qu’il peut demander l’ajournement de l’audience et elle n’est pas tenue d’« instruire » le demandeur d’asile de tel ou tel point de droit soulevé par sa demande.

[43]      La Cour signale également qu’à l’époque de la conférence du MARL, le demandeur était présumé innocent de l’accusation en instance. Rien au dossier ne permet d’établir que le ministre a recommandé le sursis en partant du principe que le demandeur était coupable ou qu’il allait plaider coupable. De plus, lorsque le demandeur a par la suite plaidé coupable de l’accusation en instance, il était représenté par un avocat. Pour toutes ces raisons, la Cour conclut qu’il n’y a eu ni abus de procédure ni manquement à l’obligation d’équité procédurale.

B.        Condition implicite

[44]      La Cour conclut aussi que rien ne prouve que le ministre ou l’agent de règlement des litiges aient eu l’intention d’attacher une condition implicite qui contrait l’application du paragraphe 68(4) dans le cas d’une déclaration de culpabilité prononcée après l’octroi du sursis à l’égard d’une accusation en instance. Après avoir examiné le libellé du sommaire de l’entente à laquelle a consenti le demandeur, la Cour considère qu’il est impossible de conclure à l’existence d’une condition implicite ayant pour effet de contrecarrer l’application du paragraphe 68(4). Le paragraphe 5 du sommaire de l’entente établit très clairement la possibilité d’appliquer ledit paragraphe.

C.        La SAI a‑t‑elle fait erreur en appliquant les décisions Malarski et Bui, précitées?

[45]      La SAI n’a pas fait erreur en se fondant sur les décisions Malarski et Bui, précitées, ni en les appliquant. Le demandeur prétend que, contrairement à la conclusion de la SAI, en rendant sa décision dans Malarski, la Cour n’a pas maintenu qu’une déclaration de culpabilité rendue après l’octroi du sursis à l’égard d’accusations antérieures au sursis déclenche l’application du paragraphe 68(4) de la LIPR. La Cour ne partage pas ce point de vue. Au paragraphe 18 de la décision Malarski, précitée, la juge Simpson a conclu que la condamnation prononcée après l’octroi du sursis à l’égard d’accusations portées avant le sursis n’avait pas déclenché l’application du paragraphe 68(4) tout simplement parce que l’ordonnance de sursis renfermait une exception à cette fin :

On ne renvoie dans la révocation qu’à la condamnation et, compte tenu de l’exception, la condamnation ne violait pas la seconde condition du sursis. Le paragraphe 68(4) de la LIPR, par conséquent, n’a pas entraîné la révocation du sursis de plein droit parce qu’on n’en aurait pas respecté une condition. La révocation est donc sans effet.

[46]      La SAI a eu raison de conclure que la décision Malarski, précitée, étayait le principe voulant que, sauf lorsque l’ordonnance de sursis renferme une exception explicite, les condamnations postérieures au sursis rendues à l’égard d’accusations portées avant l’octroi du sursis déclenchent effectivement l’application du paragraphe 68(4).

[47]      La Cour estime que le paragraphe 68(4) de la LIPR a pour objet de retirer à la SAI le pouvoir discrétionnaire dont elle jouit habituellement pour surseoir à une mesure de renvoi lorsqu’un individu qui a déjà bénéficié d’une décision favorable de la SAI commet une infraction grave, telle que définie au paragraphe 36(1) de la LIPR, et prouve de ce fait qu’il n’est pas réadapté. Cette disposition a pour effet de révoquer le sursis et de classer l’appel.

[48]      Contrairement à la prétention du demandeur, certaines décisions de la Cour fédérale souscrivent au principe que l’application du paragraphe 68(4) est déclenchée dans les cas de condamnation rendue après l’octroi d’un sursis à l’égard d’une accusation portée avant le sursis, et notamment les décisions Bui et Malarski, précitées. La SAI a donc eu raison de se fonder sur ces décisions pour tirer ses conclusions.

[49]      Le demandeur allègue également que la SAI s’est trompée en ne faisant pas de distinction entre les circonstances de l’affaire Bui et les circonstances de l’espèce; même s’il a raison, cela n’a aucun effet déterminant pour le motif suivant. Bien que la SAI n’ait effectivement pas pris en considération le fait que le ministre savait en l’espèce, contrairement à l’affaire Bui, qu’une accusation particulière restait en instance avant que ne commence la procédure du MARL, elle a eu raison de s’en remettre à l’interprétation du paragraphe 68(4) confirmée par ladite décision. Les faits qui distinguent l’affaire Bui de la présente espèce sont pertinents au regard des arguments du demandeur sur l’abus de procédure et le manquement à l’équité procédurale. Étant donné les conclusions qu’a tirées la Cour relativement à l’abus de procédure et au manquement à l’obligation d’équité procédurale, l’erreur de la SAI n’est pas fatale.

[50]      Le libellé de la Loi est clair et il faut lui attribuer son sens ordinaire. Le terme « reconnu coupable » au sens du paragraphe 68(4) de la LIPR signifie que l’individu a été déclaré coupable ou condamné. Le législateur a tenu compte de la présomption d’innocence, et c’est pourquoi il a utilisé les termes « est reconnu coupable d’une autre infraction » (consulter Sullivan, dans Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., Toronto : Butterworths, 1994, à la page 7).

[51]      La Cour rejette l’argument du demandeur selon lequel le paragraphe 68(4) ne devrait pas être interprété comme révoquant le sursis de la mesure de renvoi par suite d’une condamnation rendue après l’octroi du sursis relativement à une accusation antérieure au sursis au motif que l’interprétation du paragraphe 68(4) dans le jugement Bui, précité, donne lieu à une conclusion absurde en ce sens que des individus différents seraient traités différemment pour des raisons insuffisantes (se reporter à Sullivan, dans Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd., Markham Ont. : Butterworths, 2002, aux pages 235 à 257). L’interprétation du juge Martineau dans la décision Bui, précitée, est correcte et la Cour ne trouve aucune raison valable de l’écarter. Si traitement différent il y a, ce n’est pas parce que le paragraphe 68(4) a été interprété comme limitant la compétence de la SAI mais plutôt, comme dans la présente espèce, parce que le demandeur n’a pas réussi à se décharger de l’accusation en instance qui pesait contre lui.

[52]      Le conseil du demandeur a fait valoir que le rejet de la présente demande donnerait lieu à une injustice. La Cour souscrit aux extraits qui suivent (paragraphes 53 et 54) de la décision Bui, précitée, étant donné qu’ils s’appliquent à la présente affaire.

Si la primauté du droit est un élément cardinal, la justice requiert également que le défendeur soit traité avec équité par le ministre. À ce chapitre, le défendeur ne se retrouve pas aujourd’hui sans aucun recours. Ainsi, il peut continuer de demeurer au Canada si un permis de séjour temporaire lui est délivré par un agent d’immigration conformément à l’article 24 […] de la LIPR. On parle, bien entendu, d’un pouvoir de nature discrétionnaire dont l’exercice est encadré par la politique ministérielle, IP1, Permis de séjour temporaire (CIC). Bien que l’agent ne soit pas lié par celle‑ci, on peut s’attendre néanmoins qu’il tiendra compte des directives du ministre.

Or, un permis de séjour temporaire peut être délivré à une personne interdite de territoire pour criminalité qui est visée par une mesure de renvoi, lorsque, par exemple, le besoin de demeurer au Canada est impérieux et suffisant pour l’emporter sur le risque. Sans me prononcer sur la question, à première vue, il semble que dans le cas du défendeur, le risque couru par les Canadiens ou par la société canadienne est minime, d’autant plus que l’infraction pour laquelle le défendeur a été condamné, i.e. celle qui a entraîné la fermeture de son dossier d’appel, a été commise avant que la SAI n’émette un sursis fondé sur les considérations humanitaires. Le défendeur était donc bien engagé dans le processus de sa réhabilitation lorsqu’il a été condamné une seconde fois pour le même type d’infraction non violente que la première fois, de sorte que l’on ne peut présumer à l’avance qu’une demande de permis de séjour temporaire sera automatiquement refusée ici. Au contraire, l’agent ne peut agir de façon arbitraire et capricieuse, et doit être en mesure de motiver sa décision de refuser ou d’accorder un permis de séjour temporaire, laquelle est révisable par la Cour en principe.

[53]      Le demandeur a également la possibilité de présenter une demande fondée sur l’article 25 pour motifs d’ordre humanitaire.

VIII.     Certification

[54]      Lorsqu’elles ont été consultées sur la possibilité de certifier une question de portée générale, les parties ont d’un commun accord proposé que la question suivante soit certifiée :

Le paragraphe 68(4) de la LIPR s’applique‑t‑il uniquement, dans le cas où il est sursis à une mesure de renvoi, aux condamnations pour des infractions commises après l’octroi du sursis? 

[55]      La Cour est d’avis que la question gagnerait à être reformulée comme ceci :

Dans le cas où il est sursis à une mesure de renvoi, le paragraphe 68(4) de la LIPR s’applique‑t‑il uniquement aux condamnations prononcées à l’égard des infractions mentionnées au paragraphe 36(1) qui sont commises après l’octroi du sursis? 

[56]      Cette question est très semblable à la question certifiée par le juge Martineau dans le jugement Bui, précité. Malheureusement, cette affaire n’a pas été portée devant la Cour d’appel fédérale.

[57]      Pour qu’une question soit certifiée, il doit s’agir d’une question grave de portée générale qui permettrait de régler un appel (voir Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CAF 89, au paragraphe 11). Une question grave de portée générale est une question qui transcende le contexte factuel particulier dans lequel elle se pose et qui mène à une réponse d’application générale (Boni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 68, au paragraphe 10).

[58]      En l’espèce, les conditions sont réunies et la Cour certifiera par conséquent une question.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. La question grave de portée générale suivante est certifiée :

Dans le cas où il est sursis à une mesure de renvoi, le paragraphe 68(4) de la LIPR s’applique‑t‑il uniquement aux condamnations prononcées à l’égard des infractions mentionnées au paragraphe 36(1) qui sont commises après l’octroi du sursis?

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