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IMM-2534-06

2007 CF 1368

Gloriza Dela Rea Manalang, Sheena Dela Rea Manalang, et Rizza Dela Rea Manalang (demanderesses)

c.

Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (défendeur)

Répertorié : Manalang c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) (C.F.)

Cour fédérale, juge Heneghan—Winnipeg, 21 février, autres observations présentées les 21 février, 14 et 15 mars et 3 avril; Ottawa, 28 décembre 2007.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rejetant les appels formés par les demanderesses à l’encontre de mesures d’exclusion — La demanderesse principale a fait de fausses déclarations quant à ses antécédents matrimoniaux sur sa demande de résidence permanente et a produit de faux certificats de naissance pour ses enfants — La Cour n’avait aucune raison de modifier la conclusion de la SAI selon laquelle les fausses déclarations de la demanderesse principale étaient importantes et délibérées — Les remarques de la SAI quant à la grossesse de la demanderesse principale ne faisait pas état d’une crainte raisonnable de partialité — La SAI a tenu compte de l’intérêt supérieur des demanderesses mineures — La Convention relative aux droits de l’enfant constitue un point de repère dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, mais ne fait pas partie du régime établi par la Loi — Demande rejetée.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — La Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avait ordonné de sa propre initiative une nouvelle audience parce qu’un représentant désigné n’avait pas été nommé pour les deux demanderesses mineures — La SAI est un tribunal établi par la loi, non une juridiction supérieure — Le fait qu’un tribunal a instruit un appel ne signifie pas qu’il est saisi pour toujours de cette affaire — Le législateur a conféré à la SAI un niveau élevé d’autonomie quant à sa pratique et sa procédure — L’exercice du pouvoir en l’espèce pour anticiper un éventuel manquement à l’équité procédurale n’entraînait pas une perte de compétence.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rejetant les appels formés par les demanderesses à l’encontre des mesures d’exclusion prononcées contre elles par suite de fausses déclarations faites par la demanderesse principale. Cette dernière, qui a été parrainée pour venir au Canada en tant qu’épouse, à menti quant à ses antécédents matrimoniaux sur sa demande de résidence permanente, et a produit de faux certificats de naissance pour ses enfants.

Le tribunal de la SAI qui a rendu la décision était le deuxième tribunal à entendre l’appel parce que la SAI avait ordonné de sa propre initiative une nouvelle audience étant donné qu’un représentant désigné n’avait pas été nommé pour les deux demanderesses mineures pendant la première audience. Aucune décision n’a été rendue par le premier tribunal.

Le deuxième tribunal de la SAI a statué que les mesures d’exclusion étaient valides en droit, et a conclu que la preuve ne lui permettait pas d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accueillir les appels pour des motifs d’ordre humanitaire.

Il s’agissait de trancher les questions de savoir si la Commission avait le pouvoir d’ordonner une nouvelle instruction de l’affaire; si les fausses déclarations et les renseignements non divulgués étaient importants à un objet pertinent; si les motifs exposés par la SAI donnaient lieu à une crainte raisonnable de partialité; et si la SAI s’était conformée aux obligations du Canada selon la Convention relative aux droits de l’enfant.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Les demanderesses ont invoqué à tort la description de la SAI comme « cour d’archives » au paragraphe 174(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour soutenir qu’un tribunal de la SAI qui a instruit un appel est saisi de l’affaire et que l’affaire ne peut donc être tranchée par un autre tribunal. La SAI est un tribunal établi par la loi, non une juridiction supérieure. Aucune disposition de la Loi ne précise qu’un tribunal donné de la SAI, constitué pour instruire un appel, est nécessairement saisi pour toujours de cette affaire. Cependant, la Loi accorde à chacune des sections une compétence exclusive au regard de toutes questions de droit ou de fait dont elle est saisie. En l’espèce, l’absence d’un représentant désigné aurait pu constituer un manquement à l’équité procédurale. En agissant comme elle l’a fait, la SAI a anticipé une telle éventualité. Il ressort clairement des dispositions de la Loi qui autorisent la SAI à prendre des règles concernant sa pratique et sa procédure que le législateur entendait conférer à la SAI un niveau élevé d’autonomie quant à sa pratique et sa procédure. L’exercice de ce pouvoir en l’espèce n’entraînait pas une perte de compétence.

Les fausses déclarations étaient importantes et délibérées. La Cour n’avait aucune raison de modifier les conclusions de la SAI. L’argument selon lequel l’importance des fausses déclarations pouvait être atténuée parce que la demanderesse principale était admissible en tant que « partenaire conjugal » au sens de l’alinéa 117(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés n’a pas été examiné parce qu’il n’a pas été invoqué dans l’avis de demande de contrôle judiciaire.

Bien que les remarques de la SAI quant à la grossesse de la demanderesse principale (c.-à-d. qu’elle s’était permise de devenir enceinte entre les audiences de la SAI) puissent avoir été inopportunes, elles n’ont pas miné l’intégrité de la décision tout entière, la décision trouvant fermement appui dans la preuve. Les parties n’ont pas établi qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité.

La Convention relative aux droits de l’enfant, en tant qu’instrument du droit international, constitue un point de repère dans l’application de la Loi, mais ne fait pas partie du régime établi par la Loi. L’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas le facteur prédominant dont il faut prendre en considération. Quoi qu’il en soit, l’intérêt supérieur des demanderesses mineures a été pris en compte.

lois et règlements cités

Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3, art. 12.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(3)f), 40(1)a), 62, 63, 67(1), 71, 161(1), 162, 167(2), 174, 175(1)c), 190.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 2 « partenaire conjugal », 117(1)a).

Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230, règles 19, 57, 58, 59.

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Singh c. Canada, [1996] A.C.F. no 1572 (1re inst.) (QL); Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 91; 2005 CSC 39.

décisions examinées :

Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL); Demirtas c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 C.F. 602 (C.A.); Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848; Kaur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 C.F. 209 (C.A.); Duale c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 150; de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 655; 2005 CAF 436; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2006] 1 R.C.S. vii; Stumf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 148; Charkaoui (Re), [2006] 3 R.C.F. 325; 2005 CF 1670; Nazifpour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 4 R.C.F. 515; 2007 CAF 35; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2007] C.S.C.R. no 196 (QL); Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Kahlon, [2006] 3 R.C.F. 493; 2005 CF 1000; Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 949 (C.A.) (QL); Ashby et al. (Re), [1934] O.R. 421 (C.A.); LeClair v. Manitoba (Residential Care, Director), [1999] 9 W.W.R. 583; 138 Man. R. (2d) 10; 33 C.P.C. (4th) 1 (C.A.).

décisions citées :

Winnipeg Charter (Re); Community of the Sisters of the Holy Names of Jesus and Mary (Re) (1922), 68 D.L.R. 506; [1922] 2 W.W.R. 253 (B.R. Man.); R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484; Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259; 2003 CSC 45; Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76; 2004 CSC 4; Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89.

doctrine citée

Guide de traitement des demandes à l’étranger (OP). Chapitre OP 2 : Traitement des demandes présentées par des membres de la catégorie du regroupement familial, en ligne : Citoyenneté et Immigration Canada <http:// www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/op/index.asp>.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rejetant les appels formés par les demanderesses à l’encontre des mesures d’exclusion prononcées contre elles au motif qu’elles étaient interdites de territoire pour fausses déclarations. Demande rejetée.

ont comparu :

David Matas pour les demanderesses.

Omar Siddiqui pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

David Matas, Winnipeg, pour les demanderesses.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnace rendus par

[1]      La juge Heneghan : Mme Gloriza Dela Rea Manalang (la demanderesse principale) et ses enfants, Sheena Dela Rea Manalang et Rizza Dela Rea Manalang (les demanderesses mineures) (collectivement appelées les demanderesses) sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 1er mai 2006 par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Par cette décision, la SAI a rejeté les appels formés par la demanderesse principale et par ses enfants à l’encontre des mesures d’exclusion prononcées contre elles le 24 juin 2004 par la Section de l’immigration (la Section de l’immigration) de la Commission. La Section de l’immigration avait prononcé les mesures d’exclusion au motif que les demanderesses étaient interdites de territoire pour fausses déclarations, selon ce que prévoit l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Dans leurs appels, les demanderesses ne contestaient pas la validité juridique des mesures d’exclusion, mais alléguaient uniquement des motifs d’ordre humanitaire en application du paragraphe 63(3) de la Loi.

[2]      Les appels ont été rejetés par la deuxième formation de la SAI à avoir instruit l’affaire. À l’issue de la première audience tenue devant la SAI en avril et mai 2005, mais avant que soit rendue une décision, la SAI avait ordonné de sa propre initiative une nouvelle audience parce qu’un représentant désigné n’avait pas été nommé pour les deux demanderesses mineures, Sheena et Rizza. Un nouveau tribunal de la SAI fut constitué et l’appel fut instruit à nouveau, depuis le début, en décembre 2005. Un représentant fut désigné pour les enfants en vue de cette seconde audience. C’est la décision de la seconde formation de la SAI qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

I. Les faits

[3]      La demanderesse principale est née en 1971 aux Philippines. Entre 1988 environ et 1991, elle a vécu avec un certain M. Shigor Komeamu et a donné naissance à l’enfant de celui-ci le 23 janvier 1991. L’enfant fut appelée Ayai Oshin Rea et, peu après sa naissance, le père décéda.

[4]      Le 20 avril 1993, la demanderesse principale a épousé Geronimo Saulog, aux Philippines. Ils ont eu ensemble une enfant, née le 13 novembre 1993, qu’ils ont appelée Jeriza Dela Rea Saulog. La relation entre la demanderesse principale et M. Saulog prit fin au cours de l’année qui suivit la naissance de l’enfant.

[5]      Le 2 septembre 2000, la demanderesse principale a épousé M. Ricardo Manalang, aux Philippines. M. Manalang a parrainé la demanderesse principale pour qu’elle vienne au Canada en tant que son épouse. La demanderesse principale a sollicité la résidence permanente pour elle-même et pour ses filles, par demande de visa signée le 13 juin 2001. Dans cette demande de visa, elle disait que Ricardo Manalang était son mari, que ses deux enfants étaient Sheena et Rizza et qu’elle n’avait pas été mariée auparavant. Elle a aussi produit de faux certificats de naissance pour ses enfants. Ces certificats de naissance furent plus tard déclarés faux. Le faux certificat de naissance d’Oshin était établi au nom de Sheena et indiquait pour date de naissance le 23 février 1991 et pour père Ricardo Manalang. Quant au faux certificat de naissance de Jeriza, il était établi au nom de Rizza et indiquait pour date de naissance le 13 décembre 1993 et pour père Ricardo Manalang.

[6]      La demanderesse principale et ses deux filles ont obtenu le droit d’établissement au Canada le 11 juillet 2002. Dans la fiche d’établissement de la demanderesse principale, M. Ricardo Manalang est désigné comme son mari. Au moment de signer sa demande, la demanderesse principale a déclaré que le contenu de la fiche était véridique et exact. Les fiches d’établissement des demanderesses mineures sont fondées sur les renseignements précédemment fournis dans les faux certificats de naissance.

[7]      La demanderesse principale et M. Manalang ont divorcé le 30 novembre 2003.

[8]      Les demanderesses ont été déclarées interdites de territoire pour fausses déclarations le 17 septembre 2003. Une audience portant sur l’interdiction de territoire a eu lieu le 24 juin 2004 et le président de l’audience, M. Paul Kyba, prononça le même jour des mesures d’exclusion contre les demanderesses. Au cours de l’audience, il désigna la demanderesse principale représentante des deux enfants. Les demanderesses ont fait appel des mesures d’exclusion devant la SAI. L’instruction a eu lieu le 20 avril et le 4 mai 2005 devant le commissaire Kim Workum, de la SAI. Les parties ont alors déposé des conclusions écrites. À la requête des demanderesses, le même tribunal de la SAI a tenu une autre audience le 22 août 2005 pour entendre la déposition d’un autre témoin.

[9]      Dans une lettre datée du 30 septembre 2005, la SAI informa les demanderesses qu’aucun représentant n’avait été désigné pour les deux demanderesses mineures. On pouvait lire dans la lettre que, en conséquence, les appels formés par les demanderesses seraient l’objet d’une audition de novo devant un autre commissaire. Le texte de la lettre était le suivant :

[traduction] J’ai été prié d’informer les parties de ce qui suit :

Au cours de la gestion du présent dossier, il a été noté que le président de l’audience n’avait pas désigné de représentant pour les deux appelantes mineures. En conséquence, la Section ordonne que les appels formés par Gloriza MANALANG, Sheena dela Rea MANALANG et Rizza dela Rea MANALANG soient l’objet d’une audition de novo devant un autre commissaire. La Section du rôle communiquera avec vous prochainement pour fixer à titre prioritaire la date de l’audition de cette affaire.

[10]   L’audition de novo a eu lieu les 19 et 20 décembre 2005 devant le commissaire Kashi Mattu, de la SAI. M. David Matas, représentant désigné pour les deux demanderesses mineures, a comparu en cette qualité lors de l’instance en décembre 2005. La SAI a rejeté les appels par décision datée du 1er mai 2006.

II. La décision

[11]   Dans sa décision, la SAI écrivait d’abord que les mesures d’exclusion qui avaient été prononcées étaient valides en droit. Elle a ensuite examiné si elle pouvait, se fondant sur des motifs d’ordre humanitaire, exercer son pouvoir discrétionnaire de faire droit aux appels. Ce pouvoir discrétionnaire est conféré par l’alinéa 67(1)c) de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

[…]

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

[12]   La SAI s’est ensuite référée à la décision Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL), où un certain nombre de facteurs avaient été énumérés comme facteurs à prendre en compte pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans le contexte d’un appel se rapportant à de fausses déclarations. Il s’agissait des facteurs suivants :

1) la gravité de l’infraction à l’origine de la mesure d’expulsion;

2) la possibilité de réadaptation;

3) la durée de la période passée au Canada et le degré d’établissement de l’appelant;

4) la famille qu’il a au Canada et les bouleversements que l’expulsion de l’appelant occasionnerait pour cette famille;

5) le soutien dont bénéficie l’appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité;

6) l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le retour dans son pays de nationalité.

[13]   La SAI a passé en revue la preuve qui avait été produite et a conclu que les fausses déclarations étaient graves, se situant plus précisément « au sommet de l’échelle ». La demanderesse principale avait délibérément fait une présentation erronée à propos de son état matrimonial, ainsi que des noms et dates de naissance de ses filles. Selon la SAI, les enfants étaient indirectement concernées par les fausses déclarations de la demanderesse principale puisque leur admission au Canada était directement rattachée aux déclarations et aux actions de leur mère.

[14]   La SAI a estimé que la demanderesse principale n’avait pas montré de remords. Elle a accordé beaucoup d’importance à la gravité des fausses déclarations et à l’absence de remords.

[15]   S’agissant des points favorables aux demanderesses, la SAI a pris en compte les efforts qu’avait accomplis la demanderesse principale pour se perfectionner et pour accroître ses chances de trouver un emploi durant ses années passées au Canada. La SAI s’est exprimée sur la présence de proches au Canada et sur le rôle actif avéré des demanderesses dans des activités communautaires.

[16]   La SAI a trouvé que les demanderesses avaient atteint un certain degré d’établissement au Canada, ce qui était un facteur favorable. Cependant, elle a trouvé aussi que les proches des demanderesses au Canada ne pâtiraient que d’une manière limitée du renvoi des demanderesses du Canada. Selon elle, le soutien communautaire exprimé en faveur des appels interjetés était d’une valeur douteuse parce qu’il était fondé sur des renseignements incomplets. Elle a donné une note négative au soutien communautaire en tant que facteur.

[17]   La SAI a apprécié le témoignage de la demanderesse principale et de sa fille aînée Sheena à propos de leur crainte de devoir retourner aux Philippines. La SAI a conclu que les demanderesses bénéficieraient d’un soutien familial et d’un accès à des services de santé mentale, au besoin, dans leur pays d’origine.

[18]   La SAI a expressément pris en compte le principe de la réunification des familles, mentionné dans la Loi, en évoquant en particulier la relation entre la demanderesse principale et M. Deleon. Tout en prenant acte de cette relation, la SAI a relevé que ce n’était pas une relation de longue date. La SAI s’est exprimée aussi sur la non-dissolution du premier mariage de la demanderesse principale aux Philippines et sur les obligations courantes de M. Deleon envers ses enfants ainsi que sur son emploi au Canada.

[19]   La SAI a fait aussi observer qu’une preuve additionnelle avait été produite après l’audience tenue en décembre 2005. Il s’agissait en fait de la note d’un médecin précisant que la demanderesse principale était aux premiers stades d’une grossesse. Selon la SAI, le fait pour la demanderesse principale d’être devenue enceinte résultait de son propre choix, mais, en tout état de cause, il était établi d’une manière crédible qu’il existait aux Philippines des services médicaux.

[20]   La SAI a fait expressément état de l’intérêt supérieur des filles de la demanderesse principale, en évoquant leur adaptation à la vie au Canada, leurs résultats scolaires et leur participation à des activités parascolaires. Elle est arrivée à la conclusion que, vu l’existence d’un soutien familial, l’accès à l’éducation gratuite aux Philippines et leur connaissance de la langue, les demanderesses mineures s’adapteraient rapidement à la vie aux Philippines et ne rencontreraient donc pas de difficultés excessives si elles devaient quitter le Canada.

[21]   La SAI a examiné un argument qui avait été avancé selon lequel les demanderesses mineures devraient être autorisées à rester au Canada sans leur mère jusqu’à ce que la demanderesse principale puisse y revenir à la faveur du parrainage de M. Deleon. La SAI a dit que cette possibilité avait été « analysée », mais que, puisque les enfants étaient toujours restées sous la garde de la demanderesse principale, leur intérêt supérieur était de vivre auprès de leur mère dans le même pays qu’elle.

[22]   Pour conclure, la SAI a dit que, après examen de l’ensemble de la preuve, les facteurs défavorables l’emportaient sur les facteurs favorables et que la preuve ne permettait pas à la SAI d’exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur des demanderesses. Elle a ajouté que les circonstances de l’affaire ne justifiaient pas un sursis d’exécution, en évoquant encore une fois la gravité des fausses déclarations de la demanderesse principale.

III. Les observations

A. Les observations des demanderesses

[23]   Les demanderesses ont invoqué plusieurs arguments. D’abord, elles ont fait valoir que la décision était invalide parce que la SAI n’était pas compétente pour la rendre. Sur ce point, elles disent que la procédure introduite devant la SAI n’était pas viciée par le fait que le premier tribunal de la SAI n’avait pas désigné un représentant pour les demanderesses mineures. Elles ajoutent que la SAI n’était pas habilitée à entreprendre une audition de novo de par l’article 174 de la Loi, qui prévoit essentiellement que la SAI a les attributions d’une juridiction supérieure.

[24]   Invoquant l’arrêt Demirtas c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 602 (C.A.), elles disent que, après qu’une juridiction supérieure a entendu la preuve, elle est saisie de l’affaire et aucun autre juge ne peut statuer sur cette affaire. Elles disent que le premier tribunal de la SAI était saisi de l’appel et que, par conséquent, la SAI n’avait pas le pouvoir de rouvrir l’appel de sa propre initiative.

[25]   Elles font valoir que l’article 71 de la Loi donne à la SAI le pouvoir de rouvrir un appel dans certains cas, à la demande d’un étranger qui n’a pas quitté le Canada. Cependant, elles disent que, en conférant à la SAI ce pouvoir explicitement après une demande en ce sens, la Loi nie implicitement à la SAI le pouvoir de rouvrir l’audience en l’absence d’une telle demande.

[26]   Les demanderesses disent aussi que la SAI n’a pas compétence, en common law, pour rouvrir l’examen d’un appel. Elles font valoir que, en common law, un tribunal administratif ne peut instruire à nouveau une affaire que si l’instruction antérieure a été entachée de nullité pour manquement à la justice naturelle. Elles se fondent sur l’arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, et sur l’arrêt Kaur c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 209 (C.A.).

[27]   Les demanderesses disent que le fait de ne pas désigner un représentant ne constitue pas nécessairement un manquement à la justice naturelle, en fonction des circonstances de l’affaire, invoquant sur ce point la décision Duale c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 150.

[28]   Les demanderesses font valoir que le fait pour le premier tribunal de la SAI de ne pas avoir désigné un représentant ne constituait pas un manquement à la justice naturelle, mais plutôt un simple [traduction] « détail technique ». Elles disent que la demanderesse principale, même si elle ne fut pas officiellement désignée comme telle, tenait lieu de représentante agissant dans l’intérêt supérieur des demanderesses mineures lors de la première audience, ajoutant qu’elle remplissait toutes les conditions du paragraphe 167(2) de la Loi et de la règle 19 des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230, et modifications (les Règles). Elles relèvent aussi que la mère avait été désignée représentante des demanderesses mineures lors de l’audience de la Section de l’immigration et que rien n’était survenu durant l’une ou l’autre des deux audiences qui eût mis cette désignation en doute, que le deuxième tribunal de la SAI était allé de l’avant comme s’il avait aussi désigné la mère représentante de ses filles, et que la mère avait présumé que sa désignation par la Section de l’immigration valait aussi pour la procédure introduite devant la SAI.

[29]   Deuxièmement, les demanderesses disent que, en tout état de cause, le deuxième tribunal de la SAI était tenu de dire, au vu des faits, si l’instance qu’il présidait était ou non viciée par le fait que le premier tribunal de la SAI n’avait pas désigné de représentant.

[30]   Troisièmement et finalement, les demanderesses font valoir que le premier tribunal de la SAI était tenu, au nom de l’équité procédurale, d’obtenir les observations des parties avant de conclure que la procédure était viciée.

[31]   Le deuxième point principal soulevé par les demanderesses est que les diverses fausses déclarations faites par la demanderesse principale étaient sans importance ni conséquence et qu’elles n’avaient pas entraîné, ni n’auraient pu entraîner, une erreur dans l’application de la Loi.

[32]   Elles disent que l’effet des fausses déclarations a été de conduire le défendeur à croire, à tort, que la demanderesse principale était mariée avec Ricardo Manalang, même si ce mariage était invalide puisqu’elle était déjà mariée avec Geronimo Saulog.

[33]   Elles disent que l’effet des fausses déclarations était sans importance parce que M. Manalang, quand bien même son mariage avec la demanderesse principale serait-il invalide, pouvait parrainer la demanderesse principale en tant que partenaire conjugale. Sur ce point, elles se fondent sur l’article 2 [définition de « partenaire conjugal »] et l’alinéa 117(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR) et sur le chapitre OP 2 : Traitement des demandes présentées par des membres de la catégorie du regroupement familial, section 5.36, du Guide de traitement des demandes à l’étranger (OP) de Citoyenneté et Immigration Canada (le Guide).

[34]   Les demanderesses soulignent que la notion de partenariat conjugal est une notion nouvelle dans la Loi actuelle, qui, disent-elles, s’applique à leur cas parce qu’elle était en vigueur à la date de leur admission au Canada, à la date de l’audience d’admissibilité les concernant et à la date de leur appel. Elles citent l’article 190 de la Loi, qui dispose ainsi :

190. La présente loi s’applique, dès l’entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu’aux autres questions soulevées, dans le cadre de l’ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n’a été prise.

[35]   Elles font aussi valoir qu’elles ont admis qu’elles étaient interdites de territoire, à la fois devant la Section de l’immigration et devant la SAI.

[36]   Les demanderesses font aussi valoir que, au niveau de la Section de l’immigration, le tribunal avait exposé un raisonnement juridique déficient. Elles disent qu’il ne s’était pas aperçu que la nouvelle Loi était entrée en vigueur entre la date à laquelle l’agent des visas avait rendu sa décision initiale et la date de l’audience qu’il présidait.

[37]   Elles disent aussi que la Section de l’immigration n’avait pas expliqué en quoi les faux certificats de naissance avaient pu de quelque manière conduire à une erreur dans l’application de la Loi. Elles relèvent que les demanderesses mineures n’avaient que 8 et 11 ans lorsque leurs visas furent délivrés, que par conséquent les seules conditions pertinentes étaient d’ordre médical et que, après examen, les demanderesses mineures remplissaient lesdites conditions.

[38]   Les demanderesses avancent ensuite l’argument selon lequel la SAI s’est fourvoyée en admettant d’office que la grossesse de la demanderesse principale, survenue avant la nouvelle audience de la SAI, était un fait qui résultait de son propre choix.

[39]   Elles disent que la SAI, en tant que cour d’archives, est autorisée, conformément à l’article 174 et à l’alinéa 175(1)c) de la Loi, à admettre d’office uniquement les faits dont elle peut prendre connaissance judiciaire et doit pour le reste fonder ses décisions sur la preuve qui lui est soumise. Elles estiment que la SAI a outrepassé son pouvoir de prendre connaissance judiciaire lorsqu’elle est arrivée à la conclusion suivante, à la page 8 de ses motifs :

[…] elle [Gloriza Manalang] s’est permis de devenir enceinte entre le moment de l’audience originale et la présente audience. L’appelante avait le choix de devenir enceinte ou non. D’après la preuve devant moi, j’estime qu’il est très vraisemblable que l’appelante ait fait ce choix dans le but de renforcer la preuve soumise en appel.

[40]   Les demanderesses disent aussi que les remarques de la SAI concernant la grossesse de la demanderesse principale suscitent une crainte raisonnable de partialité parce qu’il s’agit de commentaires sexistes et hors de propos. Quoi qu’il en soit, les demanderesses relèvent que la demanderesse principale était enceinte à la date de la nouvelle audience en décembre 2005, mais n’a subi un test de grossesse qu’en janvier 2006. Elles font valoir que, si elle était véritablement tombée enceinte dans le dessein de renforcer son dossier, elle n’aurait pas attendu si longtemps après la nouvelle audience pour obtenir confirmation de son état.

[41]   Finalement, les demanderesses soutiennent que la SAI n’a pas accordé une attention suffisante à l’intérêt supérieur des demanderesses mineures et aussi qu’elle n’a pas tenu compte des vues de celles-ci. Les demanderesses disent que ces deux omissions constituent un manquement aux obligations du Canada aux termes de la Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. n° 3, article 12 (la Convention).

[42]   S’agissant du premier point, les demanderesses disent que la SAI, dans ses motifs, est arrivée à la conclusion que les demanderesses mineures ne connaîtraient pas de difficultés excessives si elles étaient renvoyées aux Philippines. D’après elles, la conclusion selon laquelle on répondrait à l’intérêt supérieur des demanderesses mineures en les autorisant à rester au Canada est implicite dans les motifs de la SAI. Plus précisément, elles font valoir que la conclusion de la SAI selon laquelle les demanderesses mineures ne subiront pas d’« épreuves excessives » si elles sont renvoyées suppose qu’elles subiront certaines épreuves. Puisque cette admission n’était qu’implicite, les demanderesses disent que la SAI n’a pas rempli l’obligation que lui faisait l’alinéa 67(1)c) de la Loi d’exposer des motifs indiquant pourquoi et en quoi l’intérêt supérieur des enfants sera mieux servi si elles sont renvoyées du Canada, en même temps que leur mère.

[43]   S’agissant du second point, les demanderesses disent que la SAI ne s’est pas conformée à l’obligation prévue par l’article 12 de la Convention, selon lequel les opinions de l’enfant, compte tenu des circonstances, doivent être « dûment prises en considération ». Elles disent que la SAI est tenue de se plier à cette obligation en raison de l’alinéa 3(3)f) de la Loi, ainsi qu’en raison d’un arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale, de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 655, demande de pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejetée : [2006] 1 R.C.S. vii.

B. Les observations du défendeur

[44]   Le défendeur fait valoir que la décision de la SAI d’instruire à nouveau l’appel était fondée en droit. D’abord, il dit que l’article 71 de la Loi ne s’applique pas ici car cette disposition ne vaut que lorsque la réouverture d’un appel est demandée. En l’espèce, il n’y a eu aucune demande du genre, étant donné que le premier tribunal de la SAI n’est arrivé à aucune conclusion. Par ailleurs, le défendeur dit que toutes les sections de la Commission sont tenues de désigner explicitement des représentants pour les demandeurs mineurs et il invoque sur ce point l’arrêt Stumf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 148 et la décision Duale. Finalement, répondant à l’argument des demanderesses selon lequel le premier tribunal de la SAI était saisi de l’affaire, le défendeur relève que le premier tribunal de la SAI n’avait pas rendu de décision et qu’il y a d’autres circonstances où une affaire est instruite une seconde fois par un second tribunal lorsqu’un premier tribunal n’a pas rendu de décision.

[45]   Le défendeur soutient aussi que les demanderesses ne se sont pas opposées à la manière dont la SAI a ordonné la nouvelle audition de l’appel et qu’elles sont donc empêchées de s’opposer à cette procédure. Les demanderesses ne se sont nullement opposées à cette ligne de conduite quand le second tribunal de la SAI a tenu une audience et la question n’a pas été abordée dans l’argumentation écrite approfondie produite par l’avocat des demanderesses après cette audience.

[46]   Le défendeur ne partage pas l’avis des demanderesses selon lequel les fausses déclarations en cause ne tiraient pas à conséquence. Il dit que les fausses déclarations de la demanderesse principale à propos de son mariage amenaient des conséquences, et ce, parce qu’elles concernaient le point de savoir si elle répondait ou non à la définition de membre de la catégorie du regroupement familial. Il dit que la fausse déclaration concernant le père naturel des demanderesses mineures amenait des conséquences parce qu’elle a empêché l’agent des visas de décider certains points, par exemple celui de savoir si le père s’était opposé au départ des enfants pour le Canada et celui de savoir si des questions de garde étaient demeurées non résolues.

[47]   S’agissant de l’argument de la demanderesse principale à propos de l’applicabilité des dispositions du RIPR relatives au partenaire conjugal, le défendeur soutient qu’il s’agit là d’une question totalement nouvelle que la demanderesse principale n’a pas soulevée devant la SAI. Par conséquent, cette question ne saurait être soulevée dans la présente instance.

[48]   Finalement, s’agissant des arguments portant sur l’importance ou non des fausses déclarations, le défendeur dit que ces fausses déclarations sont [traduction] « incontestablement importantes ». Entre autres motifs, le défendeur affirme que l’état matrimonial de la demanderesse principale était d’une importance critique pour l’octroi de la résidence permanente par l’agent des visas à Manille.

[49]   En réponse à l’argument des demanderesses pour qui la Commission s’est fourvoyée en admettant d’office le caractère purement volontaire de la grossesse de la demanderesse principale, le défendeur reconnaît que les observations de la Commission sont sans doute discutables, mais il affirme néanmoins que l’analyse et la conclusion de la SAI étaient légitimes et qu’elles s’appuyaient sur la preuve produite. Selon le défendeur, la décision montre globalement que la SAI a considéré à la fois les facteurs favorables et les facteurs défavorables et qu’elle est finalement arrivée à sa décision en disant que les facteurs favorables ne l’emportaient pas sur les facteurs défavorables.

[50]   Le défendeur récuse l’allégation des demanderesses selon laquelle la SAI a négligé l’intérêt supérieur des demanderesses mineures et il soutient que la décision montre clairement que leur intérêt a été pris en compte. Le défendeur rejette aussi l’argument des demanderesses selon lequel la SAI était tenue, conformément à la Convention, de prendre en compte les opinions des enfants. Il dit que l’alinéa 3(3)f) de la Loi n’oblige pas la SAI, selon ce que prévoit l’article 12 de la Convention, à prendre explicitement en considération les opinions de demandeurs mineurs. Il se fonde sur les paragraphes 42 et 44 de la décision Charkaoui (Re), [2006] 3 R.C.F. 325 (C.F.), où la Cour écrivait que l’intention du législateur, dans l’alinéa 3(3)f) de la Loi, était d’offrir une directive générale d’interprétation et que l’alinéa n’avait « pas pour effet de faire pénétrer le droit international en droit interne ». Le défendeur invoque aussi l’arrêt de Guzman de la Cour d’appel fédérale.

[51]   Le défendeur affirme que le paragraphe 67(1) oblige la SAI à ne considérer que « l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché », et il relève que les demanderesses mineures étaient représentées par un avocat devant le deuxième tribunal de la SAI. Par conséquent, leurs opinions auraient été exprimées par l’entremise de leur avocat. Quoi qu’il en soit, la SAI a sollicité les opinions des demanderesses mineures à la faveur de l’interrogatoire de Sheena durant l’audience.

C. Autres observations

[52]   Après l’audition de la demande de contrôle judiciaire, les avocats ont eu la possibilité de formuler d’autres observations sur la portée de l’article 71 de la Loi et sur sa pertinence à l’égard de la présente instance, à la suite d’un arrêt récent de la Cour d’appel fédérale, Nazifpour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 4 R.C.F. 515, demande de pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejetée : [2007] C.S.C.R. n° 196 (QL). Les avocats des parties ont déposé d’autres observations.

1) Les observations des demanderesses

[53]   Les demanderesses disent que l’arrêt Nazifpour de la Cour d’appel fédérale confirme leur argument antérieur selon lequel la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle en décidant de sa propre initiative de renvoyer l’affaire pour audience devant un autre tribunal de la SAI, après que le premier tribunal avait instruit l’affaire, mais avant qu’il n’eût rendu sa décision.

[54]   Selon les demanderesses, la Cour d’appel fédérale a maintenant jugé que la SAI peut rouvrir une affaire uniquement s’il y a eu manquement à la justice naturelle. Par conséquent, les demanderesses continuent d’affirmer que la SAI n’avait pas le pouvoir d’ordonner, de sa propre initiative, une nouvelle instruction de leur appel.

[55]   Les demanderesses soutiennent aussi que le pouvoir de rouvrir un appel, selon ce que prévoit l’article 71 de la Loi, ne se limite pas aux cas où une décision a été rendue, étant donné que le mot « décision » n’apparaît pas dans l’article 71. Quoi qu’il en soit, si un appel peut être rouvert uniquement lorsqu’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle, alors les demanderesses signalent que, dans leur cas, aucune conclusion du genre n’avait été tirée s’agissant de l’absence de nomination d’un représentant désigné pour les enfants mineures.

[56]   Les demanderesses font valoir que ni la Loi, ni le RIPR ni les Règles n’autorisent une nouvelle audience avant qu’une décision ne soit rendue sur le fond d’un appel. En ordonnant une nouvelle audience, la SAI a agi sans compétence.

[57]   Les demanderesses récusent l’affirmation du défendeur selon laquelle la règle 57 autorisait la décision de la SAI. Elles disent que le défendeur n’a invoqué cette règle que dans son argumentation orale et qu’il ne l’a nullement invoquée, ni d’ailleurs une autre autorité juridique, dans ses observations écrites antérieures.

[58]   Les demanderesses disent que deux conditions doivent être réunies avant que la règle 57 ne puisse s’appliquer : d’abord, lorsqu’il n’y a, dans la Loi, dans le RIPR ou dans les Règles, aucune disposition régissant la question, et ensuite, lorsque la mesure prise par la Commission est nécessaire pour régler la question. Elles font valoir que, en l’espèce, aucune des deux conditions n’est remplie.

[59]   D’abord, l’arrêt Nazifpour montre que l’article 71 de la Loi concerne la question d’une nouvelle audience. Cette nouvelle audience ne peut avoir lieu que lorsqu’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle et aucune conclusion du genre n’a été tirée en l’espèce avant que la nouvelle audience ne fût ordonnée.

[60]   Subsidiairement, si l’article 71 s’applique à la réouverture d’un appel uniquement après qu’une décision a été rendue, alors les demanderesses font valoir que la règle 57 doit être lu en parallèle avec les objectifs du législateur exposés dans l’article 71, en ce qui concerne les nouvelles audiences. Les demanderesses disent que l’article 71 suppose que l’étranger qui n’a pas quitté le Canada à la suite d’une mesure de renvoi a demandé la tenue d’une nouvelle audience. Aucune demande du genre n’a été faite en l’espèce.

[61]   S’agissant de la deuxième condition, les demanderesses font valoir que la mesure prise par la Commission n’était pas nécessaire et que la règle 57 n’entre donc pas en jeu. Invoquant l’arrêt Nazifpour, elles disent que la Commission aurait pu rendre sa décision d’instruire à nouveau l’appel à condition d’avoir constaté un manquement à un principe de justice naturelle, d’avoir donné aux parties, avant d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience, l’occasion de s’exprimer sur l’opportunité d’une telle nouvelle audience, d’avoir désigné un représentant pour les enfants et d’avoir attendu que ledit représentant demande la tenue d’une nouvelle audience. Les demanderesses disent que, puisque la Commission n’a pas suivi les étapes en question, il est [traduction] « impossible d’affirmer que ce que la Commission a fait était nécessaire pour régler la question qui lui était soumise ».

2) Les observations du défendeur

[62]   Le défendeur dit que l’article 71 et l’arrêt Nazifpour ne sont pas applicables à la présente affaire, au motif que l’article 71 n’entre en jeu que lorsqu’un demandeur sollicite la réouverture d’une décision de la Commission. En l’espèce, aucune décision n’avait été rendue.

[63]   Le défendeur fait aussi valoir que, contrairement aux observations des demanderesses, la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 52 de l’arrêt Nazifpour, fait une distinction entre « réouverture » et « nouvelle audience ». En tout état de cause, il dit que l’arrêt Nazifpour confirme son point de vue « par analogie » puisque l’article 71 autorise la réouverture d’une audience dans le cas d’un manquement à l’équité procédurale, et puisqu’un manquement a eu lieu en l’espèce, la Commission n’ayant pas nommé de représentant désigné pour les demanderesses mineures.

[64]   Finalement, le défendeur dit que la Commission a agi dans le respect de sa compétence et n’a pas manqué à l’équité procédurale. Selon lui, la Commission a décidé à juste titre que l’absence d’un représentant désigné pour les demanderesses mineures exigeait que l’appel soit soumis à une nouvelle audience. La Commission n’était pas tenue d’attendre que l’une des parties présente une demande sollicitant une nouvelle audience, puisque, selon l’alinéa 58a) des Règles, les pouvoirs de la Section d’appel de l’immigration font qu’elle peut agir de sa propre initiative sans qu’une partie ne lui présente une demande.

[65]   Subsidiairement, le défendeur dit que la règle 57 autorise la Commission à agir comme elle l’a fait.

3) La nature interlocutoire de la décision

[66]   Durant ses arguments oraux, l’avocat du défendeur a soulevé la question de savoir si la décision de la SAI d’instruire à nouveau l’appel constituait une décision interlocutoire. En général, une telle décision n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, ainsi que l’expliquait la Cour dans la décision Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Kahlon, [2006] 3 R.C.F. 493 (C.F.), aux paragraphes 10 à 12.

[67]   Le défendeur dit que les demanderesses auraient dû s’opposer, dès le début de la deuxième audience, à la décision de la Commission de convoquer une nouvelle audience. Il fait valoir que les demanderesses n’avaient alors soulevé aucune objection et que cela les empêche de formuler leurs objections dans la présente demande de contrôle judiciaire. Sur ce point, le défendeur invoque l’arrêt Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 949 (C.A.) (QL).

[68]   Les demanderesses rétorquent que le défendeur est arrivé à la conclusion qu’elles n’auraient pas dû solliciter le contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire de la Commission. Cependant, affirment-elles, les circonstances de la présente affaire en font un cas d’espèce. Dans l’arrêt Yassine, l’appelant n’avait pas prié la Commission de convoquer une nouvelle audience. La Cour d’appel fédérale a jugé que, même s’il y avait eu manquement à un principe de justice naturelle, il y avait eu renonciation à l’invoquer.

[69]   Les demanderesses en l’espèce font valoir que l’audience antérieure avait pris fin et qu’une nouvelle audience avait commencé. Après que la décision fut prise de tenir une nouvelle audience, le tribunal antérieur de la SAI était functus officio (dépouillée de sa fonction) et il n’y avait aucune instance où elles eussent pu s’opposer à la tenue de la nouvelle audience. Les demanderesses font aussi valoir que le défendeur combine deux questions, d’abord celle de savoir si une nouvelle audience aurait dû être ordonnée, et ensuite la forme que devrait prendre cette audience.

IV. Analyse

A. Les questions en litige

[70]   La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1. Quelle est la norme de contrôle à appliquer?

2. La Commission avait-elle le pouvoir d’ordonner de sa propre initiative une nouvelle instruction de l’affaire?

3. Les fausses déclarations et les renseignements non divulgués étaient-ils importants quant à un objet pertinent au point de pouvoir entraîner une erreur dans l’application de la Loi?

4. Les motifs exposés par la SAI donnaient-ils lieu à une crainte raisonnable de partialité?

5. La SAI s’est-elle conformée aux obligations du Canada selon la Convention relative aux droits de l’enfant?

B. La norme de contrôle

[71]   Il faut d’abord déterminer la norme de contrôle à appliquer, en procédant à une analyse pragmatique et fonctionnelle fondée sur quatre facteurs : la présence ou l’absence d’une clause privative; l’expertise du tribunal; l’objet de la loi et de la disposition particulière; la nature de la question.

[72]   La Loi ne contient aucune clause privative, ce qui milite en faveur d’une retenue de la part de la Cour. La SAI est un tribunal spécialisé, qui a l’expérience de l’instruction des appels, et ce facteur dicte une certaine retenue de la part de la Cour.

[73]   La Loi a pour objet général de réguler l’admission au Canada des immigrants et des personnes à protéger. L’objet de l’article 63 est d’offrir une voie d’appel à l’encontre d’une diversité de décisions défavorables pouvant être rendues en application de la Loi. Le paragraphe 63(3) confère à un résident permanent ou à une personne protégée le droit d’interjeter appel devant la SAI d’une mesure de renvoi. L’alinéa 67(1)c) autorise la SAI à considérer des motifs d’ordre humanitaire, c’est-à-dire à exercer son pouvoir discrétionnaire, lorsqu’elle décide de faire droit à un appel. Ces deux dispositions sont des dispositions réparatrices. L’objet général de la Loi, combiné à l’objet réparateur du paragraphe 63(3) et de l’alinéa 67(1)c), milite lui aussi en faveur d’une retenue de la part de la Cour.

[74]   Finalement, il y a la nature de la question. La présente demande soulève plusieurs points et la norme de contrôle à appliquer variera selon la nature de la question.

[75]   Les demanderesses contestent le pouvoir de la SAI de convoquer une nouvelle audience de sa propre initiative, une décision qu’elle a prise parce qu’elle avait négligé de nommer un représentant désigné pour les enfants de la demanderesse principale. Les demanderesses disent que cette question doit être revue selon la norme de décision correcte. Le défendeur fait valoir que cette mesure était fondée en droit, considérant implicitement la question de la compétence comme une question de droit.

[76]   Les questions de droit sont revues d’après la norme de décision correcte et je suis d’avis que la question de la compétence de la SAI doit être revue selon cette norme.

[77]   La question de l’importance des fausses déclarations est, selon moi, une question mixte de droit et de fait. En général, une fausse déclaration aura un fondement factuel, mais la Loi, en son alinéa 40(1)a), parle du cas où une personne fait une présentation erronée sur un fait important. Je suis d’avis qu’il s’agit là d’une question mixte de droit et de fait, pour laquelle la norme de contrôle est la décision raisonnable simpliciter.

[78]   La question relative à l’importance de la fausse déclaration est, selon moi, largement tributaire des faits et serait probablement revue selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. La question du statut de la demanderesse principale en tant que « partenaire conjugal », au sens de l’alinéa 117(1)a) du RIPR, est une question mixte de droit et de fait et serait donc revue selon la norme de décision raisonnable.

[79]   La question relative à la partialité peut être qualifiée de question d’équité procédurale, à laquelle s’appliquera donc la norme de la décision correcte.

[80]   L’allégation selon laquelle la SAI n’aurait pas appliqué les dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant soulève une question qui procède davantage du droit que des faits et qui sera donc revue selon la norme de la décision correcte.

C. Analyse

[81]   J’examinerai d’abord l’argument des demanderesses selon lequel la SAI a agi sans compétence en ordonnant de sa propre initiative une audition de novo de l’appel, après que la preuve et les arguments avaient été présentés au premier tribunal de la SAI. Les demanderesses s’appuient largement sur le fait que la SAI est qualifiée de « cour d’archives », à l’article 174 de la Loi, ainsi rédigé :

174. (1) La Section d’appel de l’immigration est une cour d’archives; elle a un sceau officiel dont l’authenticité est admise d’office.

(2) La Section d’appel a les attributions d’une juridiction supérieure sur toute question relevant de sa compétence et notamment pour la comparution et l’interrogatoire des témoins, la prestation de serment, la production et l’examen des pièces, ainsi que l’exécution de ses décisions.

[82]   Les demanderesses invoquent l’expression « cour d’archives » pour prétendre que ce statut signifie nécessairement qu’un tribunal de la SAI qui a instruit un appel est saisi de l’affaire et que l’affaire ne peut être tranchée par un autre tribunal de la SAI. Elles disent que le renvoi de l’affaire à un autre tribunal de la SAI s’est fait sans disposition législative habilitante et que le second tribunal n’avait pas le pouvoir de rendre sa décision.

[83]   Le texte de la Loi ne suscite aucune controverse. L’article 174 dit clairement que la SAI est une « cour d’archives ». Ces mots ont toujours été interprétés au sens d’une juridiction supérieure qui conserve un registre des instances dont elle est saisie. Voir la décision Re Winnipeg Charter; Re Community of the Sisters of the Holy Names of Jesus and Mary (1922), 68 D.L.R. 506 (B.R. Man.), à la page 514. Il ne fait aucun doute que les instances portées devant les deux tribunaux ont été enregistrées; les transcriptions se trouvent dans le dossier certifié du tribunal.

[84]   La SAI est un tribunal établi par la Loi. Il s’agit de l’une des sections de la Commission. Ses pouvoirs sont décrits dans l’article 174. La différence entre une cour de justice et un tribunal administratif a été clairement expliquée par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Re Ashby et al., [1934] O.R. 421, à la page 428, comme suit :

[traduction] La distinction entre un tribunal judiciaire et un tribunal administratif a bien été mise en évidence par un auteur, dans 49 Law Quarterly Review, pages 106, 107 et 108 :

[traduction] Un tribunal qui rend la justice, savoir tout tribunal judiciaire, s’intéresse aux droits et obligations juridiques c’est-à-dire ceux qui sont conférés ou imposés par la « loi »; et le terme « loi » désigne un texte de loi ou des principes bien établis. Un tribunal judiciaire considère que ces droits et obligations juridiques sont préexistants; il s’engage simplement à les vérifier et à les appliquer; il examine les faits en entendant des « témoignages » (selon des règles établies depuis longtemps) et il étudie la loi en consultant la jurisprudence. En théorie, on ne peut refuser de reconnaître et d’appliquer les droits ou obligations qui ont été ainsi examinés et aucun tribunal judiciaire ne revendique le pouvoir de les refuser.

Par opposition, les tribunaux non judiciaires du genre « administratif » ont invariablement fondé leurs décisions et leurs ordonnances, non sur les droits et obligations juridiques mais sur la politique et sur l’opportunité.

Leeds (Corp.) v. Ryder, [1907] A.C. 420, aux pages 423 et 424, lord Loreburn, L.C.; Shell Co. of Australia v. Federal Commissioner of Taxation, [1931] A.C. 275, à la page 295; Boulter v. Kent JJ., [1897] A.C. 556, à la page 564.

[85]   Ni l’article 174, ni aucune autre disposition de la Loi ne disent qu’un tribunal donné de la SAI, constitué pour instruire un appel, est nécessairement saisi pour toujours de cette affaire. La SAI est un tribunal établi par la loi, non une juridiction supérieure. Sa désignation de « cour d’archives » n’en fait pas une juridiction supérieure.

[86]   Selon l’article 62 de la Loi, l’unique fonction de la SAI consiste à juger certains appels prévus par la Loi. Le mot « appel » n’est pas défini dans la Loi. Dans l’arrêt LeClair v. Manitoba (Residential Care, Director), [1999] 9 W.W.R. 583, au paragraphe 28, la Cour d’appel du Manitoba écrivait que le sens du mot « appel » pouvait varier selon le régime législatif particulier dans lequel il était employé :

[traduction] Un « appel » ne s’entend pas d’un document ou d’un moment précis. Un appel est un processus, un événement qui peut survenir au cours d’une certaine période, et qui peut ou non se solder par une décision définitive.

[87]   Le paragraphe 161(1) de la Loi autorise la Commission à établir des règles. L’alinéa 161(1)a) autorise explicitement la Commission à prendre des règles visant la procédure et la pratique de chacune de ses sections. La SAI est l’une des sections en cause. Le paragraphe 161(1) dispose ainsi :

161. (1) Sous réserve de l’agrément du gouverneur en conseil et en consultation avec les vice-présidents et le directeur général de la Section de l’immigration, le président peut prendre des règles visant :

a) les travaux, la procédure et la pratique des sections, et notamment les délais pour interjeter appel de leurs décisions, l’ordre de priorité pour l’étude des affaires et les préavis à donner, ainsi que les délais afférents;

b) la conduite des personnes dans les affaires devant la Commission, ainsi que les conséquences et sanctions applicables aux manquements aux règles de conduite;

c) la teneur, la forme, le délai de présentation et les modalités d’examen des renseignements à fournir dans le cadre d’une affaire dont la Commission est saisie;

d) toute autre mesure nécessitant, selon lui, la prise de règles.

[88]   L’article 162 de la Loi accorde à chacune des sections une compétence exclusive au regard de toute question de droit ou de fait dont elle est saisie. L’article 162 dispose ainsi:

162. (1) Chacune des sections a compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence — dans le cadre des affaires dont elle est saisie.

(2) Chacune des sections fonctionne, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité.

[89]   La Commission a établi des Règles concernant les instances portées devant la SAI. La règle 19 concerne la nomination d’un représentant désigné. La règle 19 des Règles de la SAI prévoit ce qui suit :

19. (1) Si le conseil d’une partie croit que la Section devrait commettre un représentant à la personne en cause parce qu’elle est âgée de moins de dix-huit ans ou n’est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure, il en avise sans délai la Section par écrit. S’il sait qu’il se trouve au Canada une personne ayant les qualités requises pour être représentant, il fournit les coordonnées de cette personne dans l’avis.

(2) Pour être désignée comme représentant, la personne doit :

a) être âgée de dix-huit ans ou plus;

b) comprendre la nature de la procédure;

c) être disposée et apte à agir dans l’intérêt de la personne en cause;

d) ne pas avoir d’intérêts conflictuels par rapport à ceux de la personne en cause.

[90]   Cette règle reflète le paragraphe 167(2) de la Loi, qui dispose ainsi :

167. (1) […]

(2) Est commis d’office un représentant à l’intéressé qui n’a pas dix-huit ans ou n’est pas, selon la section, en mesure de comprendre la nature de la procédure.

[91]   Les Règles ne précisent pas la manière dont se déroulera un appel porté devant la SAI. Cependant, compte tenu des dispositions de la Loi qui confèrent à la SAI un vaste pouvoir de trancher toute question de droit ou de fait et de régler les questions d’une manière expéditive, je suis d’avis que la SAI a sans aucun doute le pouvoir de dire comment se déroulera l’instance dont elle est saisie.

[92]   Les règles 57, 58 et 59, qui intéressent la présente instance, disposent ainsi :

57. Dans le cas où les présentes règles ne contiennent pas de dispositions permettant de régler une question qui survient dans le cadre d’un appel, la Section peut prendre toute mesure nécessaire pour régler la question.

58. La Section peut :

a) agir de sa propre initiative sans qu’une partie n’ait à lui présenter une demande;

b) modifier une exigence d’une règle;

c) permettre à une partie de ne pas suivre une règle;

d) proroger ou abréger un délai avant ou après son expiration.

59. Le non-respect d’une exigence des présentes règles ne rend pas l’affaire invalide, à moins que la Section ne la déclare invalide.

[93]   Les demanderesses disent que la SAI a agi sans compétence en convoquant de sa propre initiative une nouvelle audience, après qu’elle se fut rendu compte qu’un représentant désigné n’avait pas été nommé pour les enfants au cours de l’audience qui s’était déroulée en avril–mai 2005. Elles ne prétendent pas que l’absence de nomination d’un représentant désigné a entraîné un manquement à un principe de justice naturelle qui pourrait justifier une réouverture de l’appel, en application de l’article 71 de la Loi, comme l’expliquait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Nazifpour.

[94]   Les demanderesses disent plutôt que l’absence de nomination d’un représentant désigné était un [traduction] « détail technique » qui ne modifiait en rien le pouvoir du premier tribunal de la SAI de rendre une décision, fondée sur la preuve qui lui avait été soumise. Elles font valoir que le premier tribunal était saisi de l’affaire et qu’aucun autre tribunal ne pouvait statuer sur leur appel.

[95]   À la lumière du régime législatif susmentionné et des Règles prises par la SAI en vertu de la Loi, je suis d’avis que la SAI agissait dans les limites de sa compétence lorsqu’elle a convoqué une nouvelle audience. La SAI a pour mandat d’agir sans formalisme et avec célérité, comme le prévoit le paragraphe 162(2) de la Loi. Vu la décision Duale, il est clair que l’absence d’un représentant désigné pour des enfants ou des mineurs du point de vue du droit peut constituer un manquement aux principes de justice naturelle et nécessiter la tenue d’une nouvelle audience. En agissant comme elle l’a fait, la SAI a anticipé une telle éventualité dans la présente affaire.

[96]   Il appert de la transcription de l’audience de décembre 2005 que le deuxième tribunal ne s’est pas référé à la preuve qui avait été soumise au premier tribunal. Cette preuve n’a été invoquée par le représentant du défendeur que lorsque des éléments de preuve incompatibles furent présentés durant la deuxième audience. Le deuxième tribunal a rendu sa décision sur la foi de la preuve qui lui avait été soumise.

[97]   Je suis d’avis, eu égard aux dispositions de la Loi qui autorisent la SAI à prendre des règles concernant sa pratique et sa procédure, et eu égard à l’adoption de telles règles par le gouverneur en conseil, que le législateur entendait conférer à la SAI un niveau élevé d’autonomie quant à sa pratique et sa procédure. L’exercice de ce pouvoir dans la présente affaire n’entraîne pas une perte de compétence. L’obligation fondamentale faite à une cour d’archives de conserver des registres des instances qui sont portées devant elle a été remplie dans la présente affaire; il ne fait aucun doute que les procédures qui se sont déroulées devant les deux tribunaux de la SAI ont été transcrites et sont accessibles.

[98]   Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel l’article 71 de la Loi n’entre pas en jeu ici. Cette disposition prévoit ce qui suit :

71. L’étranger qui n’a pas quitté le Canada à la suite de la mesure de renvoi peut demander la réouverture de l’appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle.

L’article 71, ainsi que l’a dit la Cour d’appel fédérale, s’applique lorsqu’un appel porté devant la SAI a été instruit et jugé. Un tel appel peut être rouvert uniquement dans les circonstances particulières indiquées dans la Loi, c’est-à-dire lorsqu’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle.

[99]   Dans leurs arguments écrits et oraux présentés à la Cour, les demanderesses se sont exprimées sur le degré d’importance des fausses déclarations. Je souscris pleinement aux conclusions de la SAI et aux arguments du défendeur, pour qui les fausses déclarations de la demanderesse principale, à propos de ses antécédents matrimoniaux et des dates de naissance et des noms de ses filles, étaient d’une importance manifeste. Il s’agissait là d’aspects dont la demanderesse principale avait parfaitement connaissance. Il n’est pas établi que les déclarations erronées furent faites par inadvertance ou qu’elles résultaient d’une mauvaise appréciation de leur importance. La preuve autorisait la SAI à dire que les fausses déclarations étaient délibérées. La Cour n’a aucune raison de modifier les conclusions de la SAI sur ce point.

[100]      Quant à l’argument des demanderesses selon lequel l’importance des fausses déclarations est atténuée parce que la demanderesse principale était admissible à un visa de résidente permanente en tant que « partenaire conjugal », au sens de l’alinéa 117(1)a) du Règlement, je souscris à l’opinion du défendeur selon laquelle un tel argument n’est pas recevable parce qu’il n’a pas été invoqué dans l’avis de demande de contrôle judiciaire et qu’il apparaît pour la première fois dans le mémoire écrit déposé devant la Cour. Je me réfère à la décision Singh c. Canada, [1996] A.C.F. no 1572 (1re inst.) (QL), où la Cour avait refusé d’entendre des arguments portant sur une question qui était soulevée pour la première fois dans une demande de contrôle judiciaire, alors que l’intéressé avait eu la possibilité de la soulever devant le Tribunal.

[101]      Le point suivant à décider concerne l’argument des demanderesses selon lequel la SAI a commis une erreur en prétendant admettre d’office le caractère volontaire de la grossesse de la demanderesse principale. Sur ce point, la SAI s’est exprimée ainsi :

[…] elle [Gloriza Manalang] s’est permis de devenir enceinte entre le moment de l’audience originale et la présente audience. L’appelante avait le choix de devenir enceinte ou non. D’après la preuve devant moi, j’estime qu’il est très vraisemblable que l’appelante ait fait ce choix dans le but de renforcer la preuve soumise en appel.

[102]      Le défendeur admet que ces remarques étaient sans doute inopportunes, mais la question est de savoir si elles minent l’intégrité de la décision tout entière. À mon avis, la réponse est négative.

[103]      Le critère qui permet de conclure à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité est exposé dans l’opinion dissidente exprimée comme suit dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne censée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet […] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique? Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[104]      Sur le plan du droit, celui qui allègue l’existence d’une crainte raisonnable de partialité est astreint à un niveau élevé de preuve; voir l’arrêt R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, aux paragraphes 113 à 115, et l’arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259, au paragraphe 76. Celui qui allègue une telle partialité a la charge de la preuve; voir l’arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 91, au paragraphe 13.

[105]      À mon avis, le commentaire fait par la SAI dans la présente affaire, à propos de la grossesse de la demanderesse principale, montre que la SAI doutait des motivations de la demanderesse principale, mais le commentaire ne donne pas naissance à une partialité qui répondrait au critère de la partialité tel que l’a décrit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mugesera, où elle écrivait ce qui suit, au paragraphe 13 :

L’obligation d’impartialité exige que le juge aborde tout dossier avec un esprit ouvert (voir par. 58). Une présomption d’impartialité existe. Le fardeau de la preuve appartient à la partie qui soulève la violation réelle ou appréhendée de l’obligation d’impartialité. Il lui faut établir soit la partialité réelle, soit l’apparence raisonnable de partialité.

[106]      À mon avis, la SAI a évalué en toute impartialité la preuve qu’elle avait devant elle et qui concernait les motifs d’ordre humanitaire. Il était établi que la demanderesse principale était devenue enceinte durant la procédure d’appel introduite devant la SAI. Il n’était pas manifestement déraisonnable pour la SAI de dire que cette circonstance dépendait du choix de la demanderesse principale.

[107]      La SAI exprimait une opinion, mais je suis d’avis que sa décision trouve fermement appui dans la preuve qu’elle avait devant elle. Le point de savoir si la demanderesse principale était devenue enceinte pour renforcer son dossier n’est pas la question principale que devait trancher la SAI, et ce n’est pas la question principale qui est soumise à la Cour.

[108]      Finalement, reste la question de savoir si la SAI a négligé d’observer les obligations du Canada aux termes de la Convention relative aux droits de l’enfant. Comme je l’ai dit plus haut, cet argument, qui fait intervenir une question de droit, doit être examiné selon la norme de la décision correcte.

[109]      Dans l’arrêt de Guzman, la Cour d’appel fédérale examinait, encore une fois, la relation entre la Convention et les procédures introduites en application de la Loi.

[110]      L’intérêt supérieur d’un enfant ou d’enfants, dans le contexte de la Loi, n’est que l’un des facteurs à prendre en compte. Ce n’est pas le facteur prédominant; voir l’arrêt Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76. La Convention, en tant qu’instrument du droit international, constitue un point de repère dans l’application de la Loi, mais ne fait pas partie du régime établi par la Loi : voir l’arrêt de Guzman, au paragraphe 87.

[111]      Les demanderesses font valoir que la SAI n’a pas donné aux demanderesses mineures l’occasion d’exprimer leurs opinions concernant leur intérêt, en particulier leur intérêt à rester au Canada. Je rejette cet argument. Les demanderesses mineures étaient représentées par un représentant désigné, à qui il appartenait de veiller à ce que leur intérêt soit pleinement et suffisamment révélé au tribunal. La transcription de la procédure ne révèle nulle part que le représentant désigné a été empêché de le faire. Je ne vois aucun fondement dans cet argument.

[112]      Quoi qu’il en soit, la décision de la SAI montre que l’intérêt supérieur des demanderesses mineures a été pris en compte.

D. Conclusion

[113]      En conclusion, les demanderesses ne m’ont pas persuadée, quel que soit l’argument avancé par elles, que la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle quand elle a rejeté leur appel. Rien ne permet à la Cour de modifier la décision de la SAI et la présente demande sera rejetée.

[114]      L’avocat des demanderesses voudrait que les questions suivantes soient certifiées :

[traduction]

1. Le fait que la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié n’a pas désigné un représentant pour des enfants au cours de l’instruction d’un appel confère-t-il à la Section le pouvoir d’ordonner, de sa propre initiative, une audition de novo de l’appel devant un autre commissaire, sans donner aux parties l’occasion de formuler des observations?

2. La fausse déclaration d’une personne selon laquelle elle n’est pas mariée est-elle d’une réelle importance pour un partenariat conjugal lorsque cette personne est de toute façon un partenaire conjugal?

3. La Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié commet-elle une erreur de droit si elle ne prend pas en compte les opinions d’un enfant sur des aspects qui concernent celui-ci, compte tenu de l’âge et du niveau de maturité de l’enfant, ainsi que le requiert l’article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant?

[115]      L’avocat du défendeur s’oppose à ce que l’une quelconque de ces questions soit certifiée.

[116]      Le critère à appliquer pour savoir si une question doit ou non être certifiée est le suivant : la demande soulève-t-elle une question grave de portée générale qui est déterminante pour l’appel? Voir la décision Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89. Je conviens avec le défendeur que les questions proposées dans la présente affaire pour être certifiées ne répondent pas au critère en question. À mon avis, les questions proposées qui concernent le partenariat conjugal et l’intérêt supérieur de l’enfant, selon ce que prévoit l’article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant, ne répondent pas à ce critère.

[117]      Finalement, la demande sera rejetée et aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question ne sera certifiée.

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