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[2014] 1 F.C.R. 457

DES-7-08

2012 CF 669

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR);

ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale conformément au paragraphe 77(1) de la LIPR;

ET Mohamed Zeki Mahjoub

Répertorié : Mahjoub (Re)

Cour fédérale, juge Blanchard—Toronto, 23 et 24 avril; Ottawa, 31 mai 2012.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Certificat de sécurité —Requête en vue d’obtenir, entre autres, la suspension permanente de l’instance conformément aux art. 7, 8 et 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’art. 50 de la Loi sur les Cours fédérales — Le défendeur (Mahjoub) a déclaré, en particulier, que le ministère de la Justice (MJ) avait porté atteinte à son droit de recourir à l’assistance d’avocats et de leur donner ses instructions en privé, à son droit à la protection du secret professionnel des avocats, à son droit à la protection des communications échangées dans le cadre du procès par la saisie et la prise de possession de la totalité des documents confidentiels — Le dossier du défendeur a été laissé dans la salle de travail privée de la Cour fédérale à Toronto par les avocats publics — Les ministres ont soutenu que le demandeur n’a pas démontré que les documents en cause étaient des documents confidentiels ou que ces documents n’avaient pas perdu cet attribut — Le bureau du MJ a été scellé lorsque l’amalgame de certains documents est devenu manifeste — Une ordonnance a été rendue pour que les documents soient séparés et remis à chacune des parties — Le défendeur a allégué que tous ses documents étaient protégés par le secret professionnel de l’avocat ou par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès, et que les droits que lui reconnaît l’art. 7 de la Charte ont été violés sous deux aspects, soit la violation du secret professionnel de l’avocat et un abus de procédure relevant de la catégorie résiduelle — Il s’agissait de savoir si le défendeur a démontré que des renseignements confidentiels qui auraient été protégés par le secret professionnel de l’avocat ou par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès se trouvaient en la possession des ministres et dans l’affirmative, si les ministres ont réfuté la présomption qu’il existait un risque que les documents protégés appartenant au défendeur qui se trouvaient en la possession des ministres soient utilisés au détriment du défendeur si l’instance se poursuivait; si la conduite des ministres traduisait un comportement inéquitable ou vexatoire au point de contrevenir aux notions fondamentales de justice et de porter ainsi atteinte à l’intégrité du processus judiciaire et dans l’affirmative, quelle était la réparation appropriée — Il a été acquis aux débats que les ministres ont pris des documents se trouvant dans la salle de travail du défendeur — Le rapport du protonotaire confirmait qu’on trouvait, au nombre des documents saisis, le produit du travail des avocats, des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat et des documents protégés par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès — Par conséquent, le défendeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombait et il a démontré que les avocats des ministres avaient en leur possession des renseignements confidentiels protégés par le secret professionnel de l’avocat; cependant, les ministres ont réfuté la présomption de préjudice — La prétention du défendeur selon laquelle la Cour devait suspendre définitivement les procédures pour cause d’abus de procédure relevant de la catégorie résiduelle a été rejetée — Bien que négligente, la conduite des ministres n’était pas intentionnelle et elle n’a pas entaché l’équité de la procédure sous‑jacente — Malgré le fait que la conduite des ministres n’a pas eu d’incidence sur l’équité de la procédure et qu’elle n’a pas causé de préjudice au défendeur, les circonstances de l’espèce permettaient de conclure que l’apparence d’équité a été compromise — Par conséquent, un abus de procédure relevant de la catégorie résiduelle a été commis en l’espèce — Il convenait d’accorder une réparation pour faire en sorte que la conduite des ministres ne mine pas les attentes de la société envers l’administration de la justice — Vu les circonstances de l’espèce, il ne s’agissait pas d’une situation claire qui aurait justifié une suspension permanente des procédures — Une réparation moindre pouvait être accordée en l’espèce pour faire en sorte que toute atteinte à l’apparence d’équité ne sera pas manifestée, perpétuée ou aggravée lors du déroulement de l’instance ou en raison de l’issue de la demande — Pour assurer la confiance du public dans l’administration de la justice, certains membres de l’équipe des ministres qui ont eu accès aux documents du défendeur ont dû se retirer de façon permanente du dossier — Bien qu’en s’emparant des documents du défendeur, les ministres aient procédé à une « saisie » au sens de l’art. 8 de la Charte, la suspension permanente des procédures n’était pas appropriée dans les circonstances — Requête accueillie en partie.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Dans le cadre de sa requête en vue d’obtenir, entre autres, la suspension permanente de l’instance conformément aux art. 7 et 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, le défendeur (Mahjoub) a déclaré que le ministère de la Justice avait porté atteinte à ses droits résultant de la violation du secret professionnel de l’avocat et d’un abus de procédure relevant de la catégorie résiduelle — Le défendeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que les avocats des ministres avaient en leur possession des renseignements confidentiels protégés par le secret professionnel de l’avocat et que ces renseignements étaient pertinents en l’espèce, mais les ministres ont réfuté la présomption de préjudice — Sur le fondement de la preuve, une personne raisonnablement informée serait convaincue, dans les circonstances, qu’il n’y avait aucun risque véritable que les documents confidentiels du défendeur soient utilisés à son détriment si l’instance devait se poursuivre — Néanmoins, les circonstances de l’espèce permettaient de conclure que l’apparence d’équité a été compromise; par conséquent, un abus de procédure relevant de la catégorie résiduelle a été commis — Il convenait d’accorder une réparation pour faire en sorte que la conduite des ministres ne mine pas les attentes de la société envers l’administration de la justice — Bien qu’une suspension permanente n’était pas justifiée en l’espèce, une réparation moindre pouvait être accordée.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Fouilles, perquisitions ou saisies abusives — Dans le cadre de sa requête en vue d’obtenir, entre autres, la suspension permanente de l’instance conformément aux art. 7, 8 et 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, le défendeur (Mahjoub) a allégué que le ministère de la Justice avait porté atteinte à son droit de recourir à l’assistance d’avocats et de leur donner ses instructions en privé, à son droit à la protection du secret professionnel des avocats, à son droit à la protection des communications échangées dans le cadre du procès par la saisie et la prise de possession de la totalité des documents confidentiels — La prise de possession des documents du défendeur par les ministres constituait une « saisie » au sens de l’art. 8 de la Charte — Bien qu’une réparation moindre qu’une suspension permanente des procédures pouvait être accordée en l’espèce, il convenait néanmoins que la Cour se penche sur la question de la violation des droits garantis au défendeur par l’art. 8 de la Charte et sur les retards importants occasionnés par cette violation comme facteurs invoqués au soutien de la requête en abus de procédure du défendeur.

Il s’agissait d’une requête en vue d’obtenir, entre autres, la suspension permanente de l’instance conformément aux articles 7 et 8 et au paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, une ordonnance remettant en liberté le défendeur sans condition, une ordonnance accordant aux parties le droit de présenter d’autres observations relativement à la récupération, à la mise sous scellés ou à la destruction des documents amalgamés, ou, à titre subsidiaire, toute autre réparation jugée convenable. À l’appui de sa requête, le défendeur (Mahjoub) a déclaré, en particulier, que le ministère de la Justice (MJ) avait porté atteinte à son droit de recourir à l’assistance d’avocats et de leur donner ses instructions en privé, à son droit à la protection du secret professionnel des avocats et à son droit à la protection des communications échangées dans le cadre du procès par la saisie et la prise de possession de la totalité des documents confidentiels se trouvant dans son dossier, que les avocats publics avaient laissés dans la salle de travail privée de la Cour fédérale à Toronto. Les ministres ont soutenu que le défendeur n’avait pas démontré que les documents en cause sont des documents confidentiels ou que ces documents n’ont pas perdu cet attribut du fait qu’ils font maintenant partie du domaine public.

Après que le volet public de l’audience tenue sur le caractère raisonnable du certificat eut été ajourné, les parties ont été informées qu’elles devaient passer prendre leurs documents à la salle d’audience. Certaines assistantes juridiques des ministres se sont présentées à la Cour, où elles ont transféré dans la salle de réunion du défendeur les documents de ces derniers qui se trouvaient dans la salle de réunion des ministres. L’équipe du contentieux des ministres (l’équipe des ministres) qui s’occupait du dossier du défendeur a discuté de la récupération et du classement des documents se trouvant encore au palais de justice. On a décidé que certains membres du personnel du MJ prendraient des mesures pour récupérer les documents et les classeraient une fois reçus. Toutes les boîtes qui se trouvaient au palais de justice ont été finalement transportées aux bureaux du MJ. Un membre du personnel du MJ a procédé au tri et au classement des documents en créant des catégories. Durant l’examen des documents contenus dans les boîtes, on a constaté que certains des documents qui se trouvaient dans ces boîtes n’appartenaient pas à l’équipe des ministres, mais plutôt aux avocats publics qui ont été informés de la situation. Certains membres des avocats publics se sont présentés au bureau du MJ pour trier les documents s’y trouvant et les deux parties ont constaté que certains documents épars avaient été amalgamés. Après s’être rendu compte que certains des documents avaient été amalgamés, les avocats ont convenu de sceller le bureau et des mesures de sécurité ont été prises. Personne n’a été autorisé à entrer dans la pièce où se trouvaient les boîtes jusqu’à nouvel ordre. Tous les membres de l’équipe des ministres qui sont entrés dans la pièce du MJ où avaient été placés les documents en litige avant qu’elle ne soit scellée ont dû se retirer de façon temporaire ou définitive de l’équipe du contentieux des ministres en attendant le sort final de la requête du défendeur.

Après l’audition sur la requête, la Cour a expliqué que, pour être en mesure de déterminer la réparation qu’il convenait, le cas échéant, d’accorder dans les circonstances, il était nécessaire de séparer les documents et de les remettre à chacune des parties pour leur donner la possibilité de faire valoir leur point de vue sur la nature et la portée du présumé préjudice. Un protonotaire s’est chargé du déroulement et de l’exécution du processus de séparation des documents et a ensuite déposé un rapport à cet effet. Le rapport notait que parmi les types de documents qui ont été attribués au défendeur, on trouvait le produit du travail des avocats, des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat et des documents protégés par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès. Le défendeur a allégué que tous ses documents étaient protégés par le secret professionnel de l’avocat ou par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès.

Le défendeur a affirmé que la violation des droits que lui reconnaît l’article 7 résultait de la violation du secret professionnel de l’avocat et d’un abus de procédure. En l’espèce, la violation du secret professionnel de l’avocat visait le droit à un procès équitable que la conduite de la Couronne aurait compromis.

Il s’agissait de savoir si le défendeur a démontré que des renseignements confidentiels qui seraient protégés par le secret professionnel de l’avocat ou par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès se trouvaient en la possession des ministres; dans l’affirmative, si les ministres ont réfuté la présomption qu’il existait un risque que les documents protégés appartenant au défendeur qui se trouvaient en la possession des ministres soient utilisés au détriment du défendeur si l’instance se poursuivait; et si la conduite des ministres traduisait un comportement inéquitable ou vexatoire au point de contrevenir aux notions fondamentales de justice et de porter ainsi atteinte à l’intégrité du processus judiciaire; et dans l’affirmative, quelle était la réparation appropriée en l’espèce.

Jugement : la requête doit être accueillie en partie.

Bien que les ministres n’aient pas contesté que certains des documents se trouvant en leur possession pouvaient contenir des renseignements confidentiels, ils ont fait valoir que la preuve présentée par le défendeur n’était pas suffisamment détaillée et n’identifiait pas de document précis, pour qu’il soit en mesure de s’acquitter de son fardeau de la preuve. Il a été acquis aux débats que les ministres ont pris des documents se trouvant dans la salle de travail du défendeur située juste à côté de la salle d’audience après que l’audience eut été ajournée à un stade avancé de l’instance. Le rapport du protonotaire a confirmé qu’on trouvait, au nombre des documents saisis, le produit du travail des avocats, des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat et des documents protégés par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès. Le protonotaire est bien placé pour parvenir à de telles conclusions. En tant que juge des requêtes, il lui revient normalement de décider si les documents contestés sont protégés ou non par le secret professionnel de l’avocat, à l’étape de la divulgation de l’instance. Ces décisions ont pour effet de circonscrire le contenu du dossier qui sera soumis au juge qui présidera l’audience. Par conséquent, le défendeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombait et il a démontré que les avocats des ministres avaient en leur possession des renseignements confidentiels protégés par le secret professionnel de l’avocat et que ces renseignements étaient pertinents en l’espèce. Il incombait ainsi aux ministres de réfuter la présomption légale suivant laquelle il existait un risque que les renseignements confidentiels qu’ils avaient obtenus soient utilisés au détriment du défendeur.

À la suite de la visite des avocats publics au bureau du MJ, le bureau a été verrouillé et sécurisé au moyen d’un ruban jaune installé dans l’entrée du bureau. On a alors confisqué les clés du bureau, qui est demeuré scellé jusqu’à ce que les documents soient retournés au palais de justice. Tous les membres de l’équipe du contentieux des ministres qui avaient eu accès à la pièce avant qu’elle ne soit scellée ont dû se retirer temporairement de l’équipe en attendant qu’une décision définitive soit rendue au sujet de la requête. De plus, certains murs éthiques ont été érigés pour faire en sorte que les membres de l’équipe qui avaient dû se retirer ne discutent pas de ce qu’ils avaient vu, le cas échéant, au sujet des documents se trouvant dans la pièce et pour s’assurer qu’ils n’aient pas accès aux dossiers relatifs à l’affaire. Les murs éthiques qui ont été érigés ont été scrupuleusement respectés depuis leur mise en œuvre. Les mesures prises par les ministres après la visite des avocats publics dans la pièce visée pour sécuriser cette pièce et protéger les documents s’y trouvant étaient appropriées et efficaces dans les circonstances. Les éléments de preuve présentés par les ministres ont démontré que les membres de l’équipe du défendeur qui ont eu accès aux documents de ce dernier ont procédé seulement à un examen sommaire et superficiel des documents en question. Aucun des membres de l’équipe du défendeur n’a examiné les documents appartenant au défendeur. De plus, au vu de la preuve, les représentants des ministères clients visés ne sont pas entrés à l’intérieur de la pièce du MJ à Toronto; il s’ensuit qu’ils n’ont pas eu accès aux documents confidentiels du défendeur. Par conséquent, aucune atteinte n’a été portée au droit du défendeur à un procès équitable du fait que la pièce n’était pas verrouillée avant la visite des avocats publics. En outre, la procédure prescrite aux termes de l’ordonnance de la Cour a été méticuleusement suivie par le protonotaire et cette procédure n’a aucunement contribué à aggraver le préjudice que la prise de possession des documents aurait pu causer. Aucun préjudice n’a été causé au défendeur en raison du processus de séparation suivi par le protonotaire conformément à l’ordonnance judiciaire. Sur le fondement de la preuve produite, les ministres ont réfuté la présomption de préjudice. Une personne raisonnablement informée serait convaincue, dans les circonstances, qu’il n’y a eu aucun risque véritable que les documents confidentiels du défendeur qui se sont retrouvés en la possession des ministres soient utilisés à son détriment si l’instance devait se poursuivre. L’équité du procès n’était pas en cause.

Le défendeur a prétendu que la Cour devrait suspendre définitivement les procédures pour cause d’abus de procédure relevant de la catégorie résiduelle. Il s’agissait de déterminer si les circonstances dans lesquelles les documents ont été saisis et amalgamés avaient eu pour effet de miner les attentes de la société sur le plan de l’équité en matière d’administration de la justice au point où la poursuite des procédures choquerait le sens de la justice de la société. Selon la preuve, bien que négligente, la conduite des ministres n’était pas intentionnelle et elle n’a pas entaché l’équité de la procédure sous‑jacente. Les privilèges en jeu dans la présente requête ont constitué un aspect central de l’administration de la justice dans un système fondé sur le principe du débat contradictoire. Malgré la conclusion que la conduite des ministres n’a pas eu d’incidence sur l’équité de la procédure et qu’elle n’a pas causé de préjudice au défendeur, l’apparence d’équité du processus judiciaire revêt une importance capitale. Les circonstances de l’espèce ont permis de conclure que l’apparence d’équité a été compromise. En conséquence, un abus de procédure relevant de la catégorie résiduelle a été commis en l’espèce. Il convenait d’accorder une réparation pour faire en sorte que la conduite des ministres ne mine pas les attentes de la société envers l’administration de la justice. Dans les circonstances, il ne s’agissait pas d’une situation claire qui aurait justifié une suspension permanente des procédures. Une réparation moindre pouvait être accordée pour faire en sorte que toute atteinte à l’apparence d’équité ne serait pas manifestée, perpétuée ou aggravée lors du déroulement de l’instance ou en raison de l’issue de la demande. Il est essentiel de chercher à atteindre un équilibre lorsqu’un abus de procédure relevant de la catégorie résiduelle de cas est commis. Pour ce faire, il faut soupeser les intérêts que servirait la suspension des procédures et l’intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond. L’atteinte au franc jeu et à la décence causée par la saisie et par l’amalgame, par les ministres, des documents confidentiels du défendeur, n’était pas disproportionnée par rapport à l’intérêt de la société de faire en sorte que l’instance sous‑jacente se poursuive et qu’une décision définitive soit rendue sur le fond. Pour assurer la confiance du public dans l’administration de la justice, certains membres de l’équipe des ministres qui ont eu accès aux documents du défendeur ont été retirés de façon permanente du dossier et il leur a été interdit d’avoir accès aux documents ou renseignements se rapportant au dossier. Ordonner à ces membres de l’équipe des ministres de se retirer du dossier de façon permanente constituait une réparation moindre qui était raisonnablement susceptible d’éviter le préjudice dont l’existence a été constatée en raison de l’abus de procédure commis en l’espèce et qui relève de la catégorie résiduelle. Une personne raisonnable informée de l’ensemble des circonstances serait convaincue que l’instance pouvait se poursuivre sans perte de confiance à l’égard de l’intégrité de l’administration de la justice.

En s’emparant des documents du défendeur, les ministres ont procédé à une « saisie » au sens de l’article 8 de la Charte. La suspension permanente des procédures réclamée par le défendeur n’était pas appropriée dans les circonstances, mais il était possible en l’espèce d’accorder une réparation moindre et c’est ce qui a été fait. Il conviendrait néanmoins que la Cour fédérale se penche sur la question de la violation des droits garantis au défendeur par l’article 8 de la Charte et sur les retards importants occasionnés par cette violation comme facteurs invoqués au soutien de la requête en abus de procédure du défendeur.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 8, 24.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 50.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Succession MacDonald c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235; Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., 2006 CSC 36, [2006] 2 R.C.S. 189; R. c. Nixon, 2011 CSC 34, [2011] 2 R.C.S. 566.

décisions examinées :

Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général); R. c. Fink, 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209; Maranda c. Richer, 2003 CSC 67, [2003] 3 R.C.S. 193; R. c. McClure, 2001 CSC 14, [2001] 1 R.C.S. 445; Jaballah (Re), 2010 CF 1084, [2012] 2 R.C.F. 179; R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411; R. c. Regan, 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391; R. v. Zarinchang, 2010 ONCA 286, 99 R.J.O. (3e) 721; R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680; Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de l'Environnement), 1999 CanLII 9120 (C.F. 1re inst.), inf. en partie 2000 CanLII 15247 (C.A.F.); R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353.

décisions citées :

Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 294, [2013] 3 R.C.F. 36; Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CAF 322; R. c. P. (M.B.), [1994] 1 R.C.S. 555; R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. 8; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, [2006] 2 R.C.S. 319; R. v. Bruce Power Inc., 2009 ONCA 573, 98 R.J.O. (3e), 272; F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S. 41; Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 482; Harkat (Re), 2010 CF 1243, inf. par 2012 CAF 122, [2012] 3 R.C.F. 635.

REQUÊTE en vue d’obtenir, en particulier, la suspension permanente de l’instance portant sur le caractère raisonnable d’un certificat de sécurité conformément aux articles 7 et 8 et au paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales ou toute autre réparation jugée convenable. Requête accordée en partie.

ONT COMPARU

Donald MacIntosh, Ian Hicks et Kevin Doyle pour les demandeurs.

Paul Slansky et Johanne Doyon pour le défendeur.

Anil Kapoor comme avocat spécial.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour les demandeurs.

Doyon & Associés Inc., Montréal, et Paul Slansky, Toronto, pour le défendeur.

Anil Kapoor, Toronto, comme avocat spécial.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Blanchard : Par avis de requête daté du 16 septembre 2011, M. Mahjoub sollicite les réparations suivantes :

[traduction] i. la suspension permanente des procédures en vertu des articles 7 et 8 et du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11] (ci-après la Charte) et de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. 1985, ch. F‑7];

ii. une ordonnance le remettant en liberté sans condition;

iii. une ordonnance accordant aux parties le droit de présenter d’autres observations relativement à la récupération, à la mise sous scellés ou à la destruction des documents amalgamés;

iv. à titre subsidiaire, toute autre réparation que la Cour estimera convenable et juste d’accorder dans les circonstances, dont le retrait du dossier des avocats et du personnel juridique du ministère de la Justice qui se sont occupés du dossier et du personnel de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) et du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS);

[2]        Monsieur Mahjoub invoque les moyens suivants à l’appui de sa requête:

[traduction] 1. Le ministère de la Justice a porté atteinte au droit de M. Mahjoub de recourir à l’assistance d’avocats et de leur donner ses instructions en privé, à son droit à la protection du secret professionnel des avocats et à son droit à la protection des communications échangées dans le cadre du procès en prenant les mesures suivantes :

(i) la saisie et la prise de possession, les 20 et 21 juillet 2011 ou vers ces dates, de la totalité des documents confidentiels se trouvant dans le dossier de M. Mahjoub, que les avocats publics avaient laissés dans la salle de travail privée de la Cour fédérale à Toronto;

(ii) la manipulation des documents confidentiels qui se trouvaient dans le dossier de M. Mahjoub par des membres du personnel et/ou par des avocats du ministère de la Justice entre les 20 et 21 juillet et le 1er septembre 2011;

(iii) l’amalgame, par des membres du personnel et/ou par des avocats du ministère de la Justice, des documents confidentiels se trouvant dans le dossier de M. Mahjoub avec des documents se trouvant dans le dossier du ministère de la Justice;

(iv) l’examen des documents confidentiels se trouvant dans le dossier de M. Mahjoub par des membres du personnel du ministère de la Justice par un ou plusieurs avocats plaidants;

II. Pour séparer et récupérer les documents amalgamés, il faudrait nécessairement que les deux parties prennent connaissance d’une partie des documents pour déterminer à qui ils appartiennent, de sorte qu’il serait impossible de le faire sans risquer de porter atteinte au droit à la protection du secret professionnel des avocats et/ou au droit à la protection des communications échangées dans le cadre du procès et sans risquer de favoriser les ministres.

III. Cette atteinte au droit de M. Mahjoub à la protection du secret professionnel des avocats et des communications échangées dans le cadre du procès est aggravée par le fait que le droit du demandeur de recourir à l’assistance d’avocats et de leur donner ses instructions en privé a déjà été systématiquement violé par le SCRS depuis 1996 au cours de l’enquête menée en vertu de la politique OPS‑211 du SCRS et au cours des instances qui se sont déroulées devant la Cour.

[3]        Monsieur Mahjoub soutient essentiellement que les droits que les articles 7 et 8 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] lui reconnaissent ont été violés par suite de la prise de possession par les ministres de ses documents et que la seule réparation qui convient consiste à suspendre définitivement les procédures.

[4]        En réponse, les ministres soutiennent que M. Mahjoub n’a pas démontré que les documents en cause sont des documents confidentiels ou que ces documents n’ont pas perdu cet attribut du fait qu’ils font maintenant partie du domaine public. Les ministres soutiennent qu’advenant le cas où la Cour conclurait que l’existence du privilège en question était démontrée, ils ont réfuté cette présomption légale. Ils font valoir qu’il n’y a aucun risque que les renseignements soient utilisés de façon préjudiciable à M. Mahjoub si l’instance devait se poursuivre étant donné qu’aucun des membres de l’équipe des ministres n’a pris connaissance des documents de M. Mahjoub. Enfin, les ministres soutiennent qu’advenant le cas où la Cour conclurait qu’ils n’ont pas réfuté la présomption légale de risque, la suspension des procédures ne constitue pas la réparation appropriée dans les circonstances.

LES FAITS

[5]        Voici les faits à l’origine de la présente requête.

[6]        Le 14 juillet 2011, le volet public de l’audience tenue à Toronto sur le caractère raisonnable du certificat a été ajourné. Il restait alors quatre témoins à entendre. Même si la date de leur témoignage n’avait pas encore été fixée, l’audience sur le caractère raisonnable du certificat devait reprendre à la fin d’août ou au début de septembre 2011.

[7]        Le 15 juillet 2011, l’agent du greffe désigné a informé les parties, par le courriel suivant, qu’elles devaient passer prendre leurs documents à la salle d’audience :

[traduction] La présente vise simplement à vous informer que, comme la salle d’audience 6‑D doit être nettoyée d’ici la fin de la semaine prochaine, vous pouvez continuer à entreposer vos documents dans vos salles de réunion respectives jusqu’à la reprise de l’audience à la fin d’août ou au début de septembre, ici à Toronto.

[8]        Le même jour, les ministres ont informé par courriel l’agent du greffe désigné que deux assistantes juridiques se présenteraient à la Cour vers 14 h pour évaluer la situation et pour ramener probablement une partie ou la totalité des documents dans les bureaux du ministère de la Justice. L’agent du greffe désigné a répondu en expliquant que les commissionnaires du 6e étage attendraient les assistantes juridiques en question.

[9]        Les assistantes juridiques des ministres, Mmes Kamal Dean et Irena Krakowksa, se sont présentées à la Cour au cours de l’après‑midi. Un commissionnaire a déverrouillé la salle d’audience 6‑D ainsi que les salles de réunion adjacentes 6013 (la salle de réunion des ministres) et 6011 (la salle de réunion de M. Mahjoub).

[10]      Dans son affidavit, Mme Dean affirme que le commissionnaire leur a demandé de transférer les documents de la salle de réunion 6013 à la salle de réunion 6011, étant donné que la première allait servir avant la reprise de l’audience relative à M. Mahjoub. Suivant le rapport du greffe qui a été demandé par la Cour et qui a été transmis aux parties, le commissionnaire n’aurait pas donné de telles instructions. Les parties n’ont finalement pas contesté les conclusions du rapport et n’ont pas donné suite à la question.

[11]      Suivant la preuve, les assistantes juridiques des ministres ont transféré dans la salle de réunion de M. Mahjoub les documents de ces derniers qui se trouvaient dans la salle d’audience et dans la salle de réunion des ministres. Les feuilles volantes se trouvant sur la table des avocats des ministres, dans la salle d’audience ainsi que sur les tables des salles de réunion ont été placées dans diverses boîtes.

[12]      À leur retour aux bureaux du ministère de la Justice le même jour, le 15 juillet 2011, Mme Dean a envoyé un courriel à l’équipe du contentieux des ministres qui s’occupe du dossier de M. Mahjoub (l’équipe Mahjoub) pour l’informer que Mme Krakowska et elle avaient [traduction] « vidé la salle d’audience 6D et la salle de réunion 6013 [et] tout transféré à la salle de réunion 6011 pour le moment ». Le dossier ne permet pas de savoir qui faisait partie de l’équipe Mahjoub, mais il est certain que cette équipe comprenait des avocats, des assistants juridiques et des techniciens juridiques. Il ressort également du dossier qu’aucun des membres de l’équipe Mahjoub n’a répondu à ce courriel.

[13]      Le 19 juillet 2011, l’équipe Mahjoub a tenu une réunion au cours de laquelle on a discuté de la récupération et du classement des documents se trouvant encore au palais de justice. On a décidé que Mme Dean prendrait des mesures pour récupérer les documents et que Mme Jillian Schneider, une technicienne juridique du ministère de la Justice, classerait les documents une fois qu’on les aurait reçus.

[14]      Le 20 juillet 2011, Mme Dean est retournée au palais de justice en compagnie des assistantes juridiques des ministres Larissa Goodyear, Janet Lewicki et Geneviève Rondeau. Elles ont récupéré certaines des boîtes qui se trouvaient alors dans la salle de réunion de M. Mahjoub pour les transporter dans la pièce 916 du ministère de la Justice à Toronto. Mesdames Dean et Goodyear ont récupéré les autres boîtes le 21 juillet 2011. Madame Dean affirme que tous les documents ont été placés dans des boîtes qui sont demeurées fermées au cours du transport. Toujours le 21 juillet 2011, Mme Dean a envoyé à l’équipe Mahjoub un courriel l’informant que toutes les boîtes récupérées à la Cour se trouvaient maintenant dans la pièce 916 du ministère de la Justice.

[15]      Le matin des 25, 26 et 27 juillet 2011, Mme Dean a aidé Mme Schneider à trier les documents se trouvant dans des boîtes entreposées dans la pièce 916. Madame Dean a aidé Mme Schneider à s’assurer que les boîtes contenaient une copie complète de chaque pièce conformément à la liste des pièces. Madame Dean se contentait d’examiner la page titre et la dernière page des documents et n’a remarqué aucune annotation manuscrite. Madame Dean ne s’est plus occupée des documents en cause après le 27 juillet 2011. Madame Schneider a travaillé seule, à la pièce 916, pendant une heure ou deux l’après‑midi des 25, 26 et 27 juillet 2011.

[16]      Le 8 août 2011, Mme Schneider a rencontré M. Daniel Engel, avocat travaillant au ministère de la Justice qui faisait partie de l’équipe Mahjoub. Cette rencontre, qui a duré une dizaine de minutes et qui s’est déroulée dans la pièce 916, visait à obtenir des instructions complémentaires au sujet des documents qui devaient être retournés à la Cour en vue de l’éventuelle reprise de l’audience. Ils ont tous les deux ouvert deux ou trois boîtes et [traduction] « feuilleté les documents ». [traduction] « Il est immédiatement devenu évident qu’il était nécessaire de classer le contenu des boîtes en deux catégories » avant de poursuivre l’examen. Après avoir reçu ces instructions de Mme Schneider, M. Engel a quitté la pièce 916 et ne s’est plus occupé des documents en cause. Il ne se souvient pas avoir vu des documents appartenant à M. Mahjoub.

[17]      Au cours de la semaine du 8 août 2011, Mme Schneider a procédé au tri et au classement des documents en créant ses propres catégories. Les dossiers de requête qui avaient été déposés par M. Mahjoub ont été placés dans des boîtes étiquetées [traduction] « Documents de M. Mahjoub »; les dossiers de requête déposés par les ministres ont été placés dans des boîtes portant la mention [traduction] « Documents des ministres »; les pièces déposées en séance publique ont été placées dans des boîtes portant la mention [traduction] « Pièces » suivant la liste de pièces tenues par la Cour. D’autres boîtes ont été étiquetées [traduction] « Ordonnances et directives de la Cour », « RRS » et « Transcriptions et résumés ».

[18]      Pour classer les documents, Mme Schneider examinait le titre et la dernière page des documents pour les identifier. Elle ne prenait pas connaissance du contenu des documents et ne se rappelle pas avoir vu des annotations manuscrites sur les documents qu’elle a examinés. Elle avait reçu pour instruction de la part des avocats des ministres de s’assurer qu’il y ait trois copies des pièces : une à retourner à la Cour, la deuxième devant être conservée aux bureaux du ministère de la Justice et la troisième à conserver par l’adjoint de l’avocat principal inscrit au dossier. À cette fin, Mme Schneider a photocopié certaines pièces. Elle estime avoir photocopié moins d’une centaine de pages. Elle a également envoyé une petite quantité de documents plus longs à photocopier chez Legal Print & Copy Inc., un service de photocopies et de reliure dont le ministère de Justice se servait. Suivant le reçu qui, suivant les ministres, se rapporterait aux documents envoyés par Mme Schneider à Legal Print & Copy Inc., 1 151 pages de format lettre et 2 pages de format légal ont été photocopiées.

[19]      Madame Schneider a retiré les doubles des documents et les a déposés sur le plancher de la pièce 916. Elle a également mis à part huit boîtes contenant [traduction] « divers documents » (correspondance, notes manuscrites et jurisprudence) pour lesquels elle a réclamé des instructions complémentaires au sujet de leur classement.

[20]      Le 12 août 2011, Mme Schneider a envoyé à l’équipe Mahjoub un courriel expliquant comment elle avait classé les documents et pour demander si un avocat pouvait [traduction] « se rendre à la pièce 916 pendant [qu’elle serait en] vacances, la semaine suivante, pour examiner les huit boîtes contenant divers documents et préciser comment les classer ».

[21]      À son retour de vacances le 22 août 2011, Mme Schneider a constaté que huit des boîtes contenant des documents divers n’avaient pas été touchées pendant son absence. Elle a envoyé un autre courriel à l’équipe des ministres pour demander l’aide des avocats. Madame Sharon Stewart Guthrie, avocate inscrite au dossier et membre de l’équipe Mahjoub, a répondu et a rencontré Mme Schneider à la pièce 916 pendant une dizaine ou une quinzaine de minutes pour lui donner d’autres instructions sur le classement des huit boîtes contenant des documents divers qui avaient été mis de côté. Madame Stewart Guthrie a ouvert trois des boîtes. Dans la première, elle a vu cinq chemises portant des étiquettes écrites à la main en français. Elle ne les a pas ouvertes. Elle a ensuite fermé la boîte. Dans la deuxième, elle a vu les premières pages d’un rapport public, puis a refermé la boîte. Dans la troisième, elle a vu des extraits de jurisprudence cités par les deux parties au cours de l’instance, une copie imprimée d’un courriel échangé entre deux membres de l’équipe du contentieux des ministres et une page manuscrite qu’elle n’a pas reconnue et sur laquelle le nom « Tyndale » était inscrit à gauche. Comme elle croyait qu’aucun des membres de l’équipe du contentieux des ministres ne mentionnerait le nom de l’avocat principal, M. David Tyndale, en l’appelant « Tyndale », elle a estimé que certains des documents se trouvant dans ces boîtes n’appartenaient pas à l’équipe Mahjoub. Madame Stewart Guthrie affirme qu’elle n’a rien vu d’autre sur cette page à part le nom « Tyndale ». Elle a refermé la troisième boîte.

[22]      Après avoir quitté la pièce 916, Mme Stewart Guthrie a parlé avec Mme Nimanthika Kaneira, avocate du ministère de la Justice et membre de l’équipe Mahjoub, ainsi qu’avec Mme Dean. Mme Stewart Guthrie a alors informé M. Tyndale de la situation, avocat principal inscrit au dossier du ministère de la Justice faisant partie de l’équipe Mahjoub. Monsieur Tyndale a donné pour instruction à Mme Stewart Guthrie d’étiqueter et de mettre de côté les huit boîtes en question en vue de leur examen ultérieur par les avocats publics et lui a demandé d’écrire un courriel aux avocats publics pour les informer de la situation et pour proposer que les parties se rencontrent pour séparer les documents.

[23]      Madame Schneider a continué à travailler à la pièce 916 et à classer des documents se trouvant dans les boîtes qui n’avaient pas été mises de côté pendant la plus grande partie de chacune des autres journées du reste de la semaine du 22 août 2011.

[24]      Le 23 août 2011, M. Tyndale a envoyé le courriel suivant aux avocats publics :

[traduction] À la suite de notre examen des documents qui ont été retournés à nos bureaux et qui provenaient de la salle d’audience et de notre salle de réunion après le dernier ajournement, nous avons constaté hier que certaines boîtes pouvaient contenir certains des documents qui vous appartenaient. Nous avons immédiatement mis ces boîtes de côté sans prendre connaissance du contenu des documents. Pour nous assurer que les documents qui vous appartiennent vous soient remis, je suggère que nous nous rencontrions dans nos bureaux pour examiner (séparément, mais dans la même pièce) le contenu des boîtes en question. Dites‑moi si ma suggestion vous convient et, dans l’affirmative, à quel moment un ou plusieurs d’entre vous pourraient être disponibles pour examiner les documents.

[25]      Le 30 août 2011, Mme Teresa Martins, agente d’administration du ministère de la Justice à Toronto, accompagnée de deux déménageurs, s’est rendue à la pièce 916 avec des boîtes appartenant à Mme Amy Lambiris, une employée du ministère de la Justice qui était en congé de maternité et qui devait occuper ce bureau à son retour au travail. Pour faire de la place pour les boîtes, les déménageurs ont déplacé certaines piles de documents du plancher et les ont déposées sur le bureau. Madame Martins n’a lu aucun des documents se trouvant dans la pièce 916 et elle n’a pas vu les déménageurs les lire.

[26]      Le 1er septembre 2011, les avocates publiques Johanne Doyon et Salma El‑Khodari ainsi qu’un adjoint du cabinet des avocats publics, M. Yavar Hameed, se sont présentés à la pièce 916 du ministère de la Justice à Toronto. Madame Jocelyn Espejo‑Clarke, avocate et membre de l’équipe Mahjoub, et Mme Kaneira les ont accompagnés jusqu’à la pièce 916.

[27]      À ce moment‑là, Mme El‑Khodari a estimé que la pièce 916 contenait environ :

a. 24 boîtes de documents placés le long d’un mur et portant la mention [traduction] « documents des ministres »;

b. une douzaine d’autres boîtes placées le long d’un autre mur;

c. cinq boîtes se trouvant sur une table devant la fenêtre;

d. huit boîtes de documents dans un coin portant la mention [traduction] « à examiner par les avocats »;

e. des piles de documents épars sur la table au milieu de la pièce.

[28]      Il est maintenant acquis aux débats qu’après que les documents épars eurent été déposés dans des boîtes, il y avait, dans la pièce 916, 60 boîtes de documents, en plus des 15 boîtes apportées par les déménageurs qui appartenaient à Mme Lambiris, qui avait été en congé de maternité.

[29]      Mesdames El‑Khodari et Doyon ont remarqué que certains des documents épars sur la table de la pièce 916 semblaient appartenir aux avocats publics. Madame Espejo‑Clarke a également remarqué que certains de ces documents semblaient appartenir aux ministres.

[30]      Après s’être rendu compte que certains des documents se trouvant sur la table avaient été amalgamés et que l’on n’avait pas mélangé seulement le contenu des huit boîtes qui avaient été mises de côté, les avocats ont convenu de sceller le bureau. Madame Espejo‑Clarke s’est engagée à ce que personne ne pénètre à l’intérieur du bureau.

[31]      Toutes les clés de la pièce 916, à l’exception de celle du bureau de la sécurité du ministère de la Justice et du propriétaire de l’immeuble, ont été récupérées et déposées dans un coffre‑fort aux bureaux du directeur général régional du bureau régional de l’Ontario du ministère de la Justice. Le bureau de la sécurité et le propriétaire ont reçu pour instructions de ne laisser entrer personne dans la pièce jusqu’à nouvel ordre. Les ministres affirment que personne n’a pénétré à l’intérieur de la pièce 916 après le 1er septembre 2011, jusqu’à ce que le protonotaire Aalto ordonne que les documents soient retournés au palais de justice.

[32]      Madame Rhonda Marquis, directrice régionale adjointe et avocate principale à la Section du droit de l’immigration du ministère de la Justice à Toronto, déclare dans son affidavit :

[traduction] Après que la pièce 916 eut été sécurisée, j’ai communiqué avec chacun des membres de l’équipe Mahjoub, y compris les deux assistantes juridiques qui avaient à l’origine placé les documents dans les boîtes en vue de nous les remettre, ainsi qu’avec le technicien juridique qui avait eu accès aux documents en question. Tous les membres de l’équipe du contentieux, les deux assistantes juridiques et le technicien juridique m’ont informée qu’ils n’avaient pas pris connaissance des documents des avocats de la partie adverse.

[33]      Madame Marquis atteste également ce qui suit dans son affidavit :

[traduction] J’ai été informée par les avocats du SCRS, et j’ai toutes les raisons de croire, que personne n’est entré à l’intérieur de la pièce 916 depuis le 15 juillet 2011. J’ai également été informée, et j’ai toutes les raisons de croire, qu’aucun des membres du personnel de l’ASFC chargé du dossier Mahjoub n’est entré à l’intérieur de la pièce 916 à quelque moment que ce soit depuis le 15 juillet 2011.

[34]      Le 2 septembre 2011, M. Tyndale a envoyé aux avocats publics un courriel pour les informer que la quantité de documents des avocats publics qui se trouvaient à l’origine dans les salles de travail et qui avaient été par la suite livrés aux bureaux du ministère de la Justice était plus élevée que ce que l’on avait d’abord cru.

[35]      Le 8 septembre 2011, M. Tyndale a écrit un courriel aux avocats publics pour leur expliquer le déroulement des événements ayant conduit à l’amalgame des documents. Le même jour, M. Tyndale a envoyé la même lettre à la Cour.

[36]      Tous les membres de l’équipe Mahjoub qui sont entrés dans la pièce 916 avant qu’elle ne soit scellée ont dû se retirer de façon temporaire ou définitive de l’équipe du contentieux des ministres en attendant le sort final de la présente requête. Des murs éthiques ont été érigés pour s’assurer que les membres de l’équipe du contentieux qui s’étaient retirés ne prennent connaissance d’aucun autre renseignement au sujet du litige et pour s’assurer qu’ils ne discutent pas de ce qu’ils avaient vu, le cas échéant, au sujet des documents de M. Mahjoub, sauf dans le but de souscrire des affidavits ou de fournir des éclaircissements aux avocats représentant les ministres dans le cadre de la présente requête. Le dossier ne précise pas le nombre de personnes qui faisaient partie de l’équipe Mahjoub et il n’en identifie pas les membres. Le dossier n’indique pas non plus quand les membres de l’équipe se sont retirés ou à quel moment les murs éthiques ont été érigés. Il ressort du dossier que ces mesures auraient été prises après le 1er septembre 2011.

[37]      Le 20 septembre 2011, M. Mahjoub a signifié et déposé son dossier de requête en vue d’obtenir une suspension permanente. Le dossier de réponse des ministres a été signifié et déposé le 23 septembre 2011, accompagné d’une requête en radiation d’extraits de certains affidavits. M. Mahjoub a déposé sa réponse le 27 septembre 2011. Les parties ont été entendues au sujet des requêtes le 3 octobre 2011 à Toronto et la Cour a sursis au prononcé de son jugement.

[38]      Le 4 octobre 2011, la Cour a expliqué que, pour être en mesure de déterminer la réparation qu’il convenait, le cas échéant, d’accorder dans les circonstances, il était nécessaire de séparer les documents et de les remettre à chacune des parties pour leur donner la possibilité de faire valoir leur point de vue sur la nature et la portée du présumé préjudice. Cette ordonnance est annexée aux présents motifs à l’annexe A.

[39]      M. Mahjoub a été débouté le 24 octobre 2011 ([Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration)], 2011 CAF 294, [2013] 3 R.C.F. 36) de l’appel qu’il avait interjeté devant la Cour d’appel fédérale de l’ordonnance rendue par la Cour fédérale le 4 octobre 2011. La requête dont il a par la suite saisi la Cour d’appel fédérale en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de l’ordonnance du 4 octobre 2011 en attendant que la Cour suprême du Canada se prononce sur sa demande d’autorisation de pourvoi a été rejetée par la juge Gauthier le 21 novembre 2011 (2011 CAF 322).

[40]      Conformément à l’ordonnance qui avait été rendue le 4 octobre 2011, le protonotaire Aalto s’est chargé du déroulement et de l’exécution du processus de séparation des documents, qui a débuté par une conférence de gestion de l’instance initiale le 5 octobre 2011. On trouve une description complète du processus dans le rapport que le protonotaire a déposé devant la Cour le 10 février 2012, annexé aux présents motifs à l’annexe B (le rapport Aalto [Rapport soumis au juge Blanchard concernant la séparation des documents]). Par souci de commodité, je résume le processus suivi et les principales conclusions tirées par le protonotaire Aalto dans son rapport.

Résumé du rapport du protonotaire Aalto

[41]      Après avoir consulté les parties, le protonotaire Aalto a élaboré un protocole visant à séparer les documents et à assurer l’intégrité du processus tout en protégeant la chaîne de continuité des documents. Ce sont des représentants désignés par les parties qui ont signé des engagements de non‑divulgation des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dont ils auraient pu prendre connaissance au cours du processus qui se sont concrètement chargés de la séparation des documents.

[42]      Les documents ont été répartis en cinq catégories : documents neutres, documents de M. Mahjoub, documents des ministres, documents litigieux, documents concernant la requête relative aux communications avocat‑client interceptées. Les documents neutres sont des documents publics tels que des dossiers de requête et des affidavits dont il est impossible de déterminer le propriétaire au moyen d’initiales ou de notes manuscrites originales. Les documents litigieux sont des documents qui ont des parties en surbrillance, des onglets, des papillons adhésifs ou des marques, mais dont on ne peut déterminer le propriétaire. À la suite du processus de séparation, on s’est retrouvé avec 32 boîtes de documents neutres, 12 boîtes de documents des ministres, 12 boîtes de documents de M. Mahjoub et 3 boîtes contenant 66 documents litigieux. M. Mahjoub admet que les documents litigieux en question ne porteront pas atteinte à son droit à un procès équitable, mais il fait néanmoins valoir qu’un processus de séparation incomplet lui cause un préjudice moins grave.

[43]      Les documents ont été transportés des bureaux du ministère de la Justice au palais de justice le 10 novembre 2011 et le processus de séparation a commencé peu de temps après. À la suite de la conférence de gestion de l’instance du 24 novembre 2011, la Cour a ordonné que les arguments relatifs au présumé préjudice soient entendus les 9 et 10 janvier 2012. Lors des conférences de gestion de l’instance du 3 janvier, du 19 janvier et du 13 février 2012, les parties ont informé la Cour que le processus prenait plus de temps que prévu et les dates d’audience qui avaient été fixées ont été progressivement reportées à plus tard. Le 18 janvier 2012, M. Mahjoub a commencé l’examen de ses documents en vue de dresser une liste descriptive des documents conformément à l’ordonnance du 4 octobre 2011 :

Les parties peuvent formuler d’autres observations au sujet de la nature et de l’ampleur de tout présumé préjudice devant le juge désigné. À cette fin, M. Mahjoub peut fournir une description des documents qui lui ont été remis et sur lesquels il se fonde pour faire la preuve de ce préjudice en s’assurant de ne révéler aucun renseignement de fond qui serait protégé par le secret professionnel de l’avocat ou par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès.

[44]      Lors de la conférence de gestion de l’instance du 20 février 2012, les avocats publics ont informé la Cour qu’ils estimaient avoir besoin de quatre à cinq semaines de plus pour examiner les documents et pour fournir les descriptions demandées et préparer leurs arguments.

[45]      Par conséquent, la Cour a ajourné l’audience aux 10 et 12 avril 2012, accordant ainsi aux parties six semaines de plus pour se préparer. Ces dates ont ultimement été reportées au 23 et au 24 avril 2012 en raison d’un conflit d’horaire des avocats des ministres.

[46]      En vue de se préparer pour l’audience, M. Mahjoub a dressé des tableaux contenant les descriptions demandées pour que le protonotaire Aalto approuve les documents qu’il comptait invoquer pour démontrer le préjudice. Les descriptions en question ont par la suite été expurgées pour faire en sorte que le juge désigné ne puisse prendre connaissance des renseignements protégés.

[47]      Outre les descriptions, M. Mahjoub a établi les catégories suivantes pour décrire la nature du présumé préjudice dans son tableau:

[traduction] 1. Stratégie relative à : a) thèse; b) mise en application de la thèse (au moyen notamment d’une contestation de la preuve ou de la présentation de nouveaux arguments ou de nouveaux éléments de preuve);

2. Tactiques;

3. Questions: a) applicabilité aux témoins; b) teneur des questions à poser; c) contenu des questions contestant des éléments de preuve;

4. Appréciation de la preuve: a) valeur; b) connaissance; c) crédibilité;

5. Renseignements confidentiels qui n’entrent par ailleurs pas dans les catégories 1 à 4 ou dans la catégorie 6;

6. Vue d’ensemble en ce qui concerne l’approche, les connaissances et/ou le raisonnement suivi par les avocats publics : a) révéler le raisonnement et les connaissances des avocats publics en vertu de certains éléments; b) révéler le raisonnement suivi de façon générale.

[48]      M. Mahjoub a également proposé l’échelle suivante pour mesurer l’ampleur du présumé préjudice dans le cas des documents décrits dans son tableau:

[traduction] Code 1 – documents peu confidentiels: préjudice difficile à évaluer;

Code 2 – documents moyennement confidentiels : en règle générale, documents publics avec parties en surbrillance, menu latéral, soulignements ou mentions dont les incidences ne sont pas différentes, sur le plan fonctionnel, de celles d’un menu latéral ou d’une mise en surbrillance;

Code 3 – documents très confidentiels créés par M. Mahjoub ou qui n’ont pas été révélés au public et qui pourraient conférer un avantage à la partie adverse lors du contre‑interrogatoire ou de l’argumentation;

Code 4 – documents extrêmement secrets créés par M. Mahjoub ou qui n’ont pas été révélés au public et qui pourraient conférer un avantage important à la partie adverse;

Code 5 – préjudice le plus élevé : renseignements importants protégés par le secret professionnel de l’avocat ou par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès qui nuisent à la cause de M. Mahjoub ou qui pourraient avoir une incidence sur l’issue du procès. [Les exemples cités par M. Mahjoub sont omis.]

[49]      Par suite de cet exercice, le protonotaire Aalto s’est vu soumettre des tableaux contenant des descriptions des documents ou de parties des documents qui avaient été individuellement classés dans une ou plusieurs des catégories susmentionnées et auxquels les codes de préjudice 1 à 5 décrits ci-dessus avaient été attribués. On a ensuite présenté au protonotaire Aalto une version des tableaux dans lesquels les renseignements privilégiés contenus dans les listes en question avaient été expurgés. Ces tableaux expurgés ont été déposés à la Cour (voir l’annexe C à titre d’exemple).

[50]      Le protonotaire Aalto a approuvé les descriptions données dans ces tableaux et a conclu que les codes et les descriptions étaient « raisonnables ». Voici ce qu’il écrit à la page 8 de l’annexe de son rapport :

[traduction] Le codage est un exercice subjectif auquel les avocats publics se sont livrés en se fondant sur leur stratégie et leur approche en ce qui concerne le déroulement de la présente instance. Les avocats publics ont expliqué à la Cour la raison pour laquelle un code déterminé avait été attribué à un document en particulier en précisant que ce code dépendait de la façon dont les avocats estimaient qu’ils utiliseraient le document au cours de l’instance. L’acceptation par la Cour d’un code déterminé n’a aucun effet contraignant sur le juge désigné. Ces codes n’emportent pas non plus de conclusions quant à un préjudice réel ou appréhendé. Il appartiendra au juge désigné de tirer ses propres conclusions […] Il se peut que le juge désigné exige de prendre connaissance des extraits expurgés pour se prononcer de façon définitive sur la portée et la nature du préjudice.

[51]      Le protonotaire écrit également à la page 29 de son rapport que « [p]armi les types de documents qui ont été attribués à M. Mahjoub, mentionnons […] les produits du travail des avocats; des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat; des documents protégés par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès ».

[52]      M. Mahjoub allègue que tous ses documents étaient protégés par le secret professionnel de l’avocat ou par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès. Il affirme qu’environ le tiers des documents des boîtes Mahjoub sont mentionnés dans les tableaux. Il soutient que tous les documents énumérés dans les tableaux lui sont préjudiciables, indépendamment du code qui leur a été attribué. Il énumère plus d’une cinquantaine de renseignements distincts classés sous le code 5, c’est‑à‑dire la catégorie de documents lui causant le plus grave préjudice.

[53]      La Cour a entendu des observations des parties les 23 et 24 avril 2012 au sujet de la nature et de la portée du présumé préjudice et de la réparation qu’il convenait, le cas échéant, d’accorder dans les circonstances.

Question préliminaire : Admissibilité de l’affidavit de Martha Lori Hendriks

[54]      Par ordonnance datée du 31 janvier 2012, la Cour a permis à M. Mahjoub de déposer des affidavits supplémentaires avant d’entendre les arguments finaux au sujet de la nature et de la portée du présumé préjudice. Elle a également permis aux ministres de déposer des affidavits en réponse. Les ministres ont déposé trois affidavits, y compris celui de Martha Lori Hendriks. Monsieur Mahjoub s’oppose à l’admissibilité du paragraphe 8 de l’affidavit souscrit par Mme Hendriks au motif qu’il ne se rapporte pas à l’ouverture et à l’examen des boîtes. Voici le texte du paragraphe contesté :

[traduction] De plus, suivant mes instructions, le 7 septembre 2011, Mme Marquis a envoyé un courriel à tous les membres du personnel de la Section du droit de l’immigration (avocats et personnel de soutien) pour savoir si quelqu’un était entré dans la pièce 916 depuis le 21 juillet 2011, date à laquelle les documents avaient été transférés de la Cour à la pièce 916, qui était alors inoccupée. Mme Marquis m’a informée, et j’ai toutes les raisons de croire, que personne d’autre n’est entré dans la pièce 916.

[55]      Monsieur Mahjoub fait valoir qu’il découle implicitement de l’ordonnance du 31 janvier 2012 de la Cour que tout élément de preuve complémentaire qu’il déposera doit se rapporter à la nature et à la portée du présumé préjudice, ainsi qu’il est précisé dans l’ordonnance du 4 octobre 2011. En conséquence, M. Mahjoub fait valoir que les affidavits correspondants du ministre doivent eux aussi répondre aux affidavits complémentaires de M. Mahjoub. Or, suivant M. Mahjoub, le paragraphe 8 de l’affidavit de Mme Hendriks ne satisfait pas à cette exigence.

[56]      Monsieur Mahjoub affirme également que, si l’on admettait en preuve l’affidavit en question, on permettrait ainsi aux ministres de scinder leur cause. Suivant M. Mahjoub, cela reviendrait à permettre aux ministres de rouvrir leur preuve après qu’on leur ait signalé les lacunes de leur thèse, ce qui irait à l’encontre de l’article 7 de la Charte, selon l’arrêt R. c. P. (M.B.), [1994] 1 R.C.S. 555.

[57]      Les ministres reconnaissent que le paragraphe 8 de l’affidavit de Mme Hendriks contribue jusqu’à un certain point à répondre aux lacunes de la preuve signalées au sujet des personnes qui ont eu accès aux documents de M. Mahjoub au ministère de la Justice à Toronto. Les ministres ont reconnu cette lacune lors de l’audience du 3 octobre 2011. Ils soutiennent toutefois que cette lacune ne leur a pas été signalée par les arguments présentés par M. Mahjoub, mais qu’ils l’ont eux‑mêmes observée et admise. En conséquence, ils affirment qu’ils ne cherchent pas à rouvrir le débat contrairement à ce que prétend M. Mahjoub. Les ministres reconnaissent également que les renseignements contenus au paragraphe 8 de l’affidavit de Mme Hendriks auraient pu être présentés avant l’audience du 3 octobre 2011. Quoi qu’il en soit, les ministres soutiennent que l’affidavit, y compris son paragraphe 8, tente simplement de dresser un portrait complet pour la Cour. Ils soutiennent que le paragraphe contesté témoigne de l’existence et de l’efficacité des murs éthiques qu’ils ont érigés et ajoutent que la Cour devrait l’admettre en preuve.

[58]      Les ordonnances du 4 octobre 2011 et du 31 janvier 2011 permettaient uniquement la présentation d’affidavits complémentaires se rapportant au processus de séparation et au préjudice que M. Mahjoub était susceptible de subir. Les renseignements contenus au paragraphe 8 de l’affidavit souscrit par Mme Hendriks ne font pas suite au processus de séparation des documents. Ils portent plutôt sur des lacunes constatées dans la preuve des ministres, lacunes dont on aurait dû s’occuper plus tôt. À mon avis, on aurait tort d’admettre en preuve le paragraphe 8. Par conséquent, le paragraphe 8 de l’affidavit de Mme Hendriks ne sera pas considéré.

QUESTION EN LITIGE

[59]      Les droits reconnus à M. Mahjoub par la Charte ont‑ils fait l’objet d’une violation qui justifie une suspension permanente des procédures?

RÈGLES DE DROIT APPLICABLES

[60]      M. Mahjoub affirme que les droits que lui reconnaissent l’article 7 et l’article 8 de la Charte ont été violés et il sollicite une réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte. Ces dispositions sont ainsi libellées :

Garanties juridiques

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Vie, liberté et sécurité

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

[…]

Fouilles, perquisitions ou saisies

Recours

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

Recours en cas d'atteinte aux droits et libertés

L’article 8

[61]      Pour qu’une perquisition et une saisie bénéficient de la protection de la Charte, il doit exister une attente raisonnable en matière de vie privée en ce qui concerne le lieu qui est perquisitionné, la chose qui est saisie ou les deux (R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. 8). Si cette attente existe, la saisie ou la perquisition sera considérée comme raisonnable si elle était autorisée par la loi, si la loi qui autorise la perquisition ou la saisie est elle‑même raisonnable et si la manière dont la saisie ou la perquisition ont été effectuées est elle‑même raisonnable (R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265).

L’article 7

[62]      Il est acquis aux débats que les droits que l’article 7 de la Charte confère à M. Mahjoub entrent en jeu en l’espèce. M. Mahjoub affirme que les droits que lui reconnaît l’article 7 ont été violés sous deux aspects : i) il y a eu violation du secret professionnel de l’avocat; ii) un abus de procédure a été commis.

i) Violation du secret professionnel de l’avocat

[63]      Dans l’arrêt Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, à la page 837, la Cour suprême du Canada énonce le critère permettant d’établir l’existence du privilège du secret professionnel de l’avocat. Il doit s’agir :

[…] (i) d’une communication entre un avocat et son client; (ii) qui comporte une consultation ou un avis juridique; et (iii) que les parties considèrent de nature confidentielle.

[64]      Le secret professionnel de l’avocat a maintenant été érigé au rang de principe général de droit substantiel au Canada (Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général;White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général); R. c. Fink, 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209 (arrêt Lavallee), au paragraphe 49; voir également Maranda c. Richer, 2003 CSC 67, [2003] 3 R.C.S. 193, au paragraphe 12) :

Le secret professionnel de l’avocat constitue une règle de preuve, un droit civil important ainsi qu’un principe de justice fondamentale en droit canadien. Même si le public a intérêt à ce que les enquêtes criminelles soient menées efficacement, il a tout autant intérêt à préserver l’intégrité de la relation avocat‑client. Les communications confidentielles avec un avocat constituent un exercice important du droit à la vie privée et elles sont essentielles pour l’administration de la justice dans un système contradictoire. Les atteintes au privilège injustifiées, voire involontaires, minent la confiance qu’a le public dans l’équité du système de justice criminelle. C’est pourquoi il ne faut ménager aucun effort pour protéger la confidentialité de ces communications. [Non souligné dans l’original.]

[65]      La Cour suprême a reconnu que le secret professionnel de l’avocat est un privilège qui est « fondamental pour le système de justice canadien » (R. c. McClure, 2001 CSC 14, [2001] 1 R.C.S. 445, au paragraphe 2), et que les tribunaux sont tenus « d’adopter des normes rigoureuses pour assurer sa protection » (arrêt Lavallee, précité, au paragraphe 36). La violation de ce privilège porte également atteinte aux droits conférés par l’article 7 à l’intéressé dans le contexte d’une instance portant sur un certificat de sécurité (Jaballah (Re), 2010 CF 1084, [2012] 2 R.C.F. 179 (décision Jaballah), au paragraphe 48).

[66]      Il convient d’établir une distinction entre le privilège du secret professionnel de l’avocat et le privilège des communications échangées dans le cadre du procès, lequel a pour objet d’assurer le respect du principe du débat contradictoire. Le privilège des communications échangées dans le cadre du procès s’applique aux documents créés principalement en vue du procès (Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, [2006] R.C.S. 319).

ii) Abus de procédure

[67]      La doctrine de l’abus de procédure a en grande partie été intégrée dans l’analyse relative à l’article 7. Il y a abus de procédure lorsqu’on mène une poursuite « de manière à contrevenir aux valeurs fondamentales de décence et de franc‑jeu de la société et à mettre ainsi en question l’intégrité du système, [ce qui] constitue également une atteinte d’envergure constitutionnelle aux droits d’une personne accusée » (R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411 (arrêt O’Connor), au paragraphe 63).

[68]      Dans le cas qui nous occupe, l’allégation d’avis de procédure est distincte de la présumée violation de l’article 7 résultant de la violation du secret professionnel de l’avocat en ce sens qu’elle vise le droit à un procès équitable que la conduite de la Couronne aurait compromis plutôt que l’allégation suivant laquelle le privilège a été violé. La conduite et l’intention « ne sont pas nécessairement pertinentes lorsqu’il s’agit de savoir s’il y a eu violation ou non du droit de l’accusé à un procès équitable » (arrêt O’Connor, précité, au paragraphe 74). Il existe également une petite catégorie résiduelle de comportements qui font partie de l’analyse de l’abus de procédure visé par l’article 7 de la Charte qui ne se rapporte pas aux droits de l’intéressé à un procès équitable. Cette catégorie résiduelle « envisage […] l’ensemble des circonstances diverses et parfois imprévisibles dans lesquelles la poursuite est menée d’une manière inéquitable ou vexatoire au point de contrevenir aux notions fondamentales de justice et de miner ainsi l’intégrité du processus judiciaire » (arrêt O’Connor, précité, au paragraphe 73; R. c. Regan, 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297 (arrêt Regan), au paragraphe 55; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391 (arrêt Tobiass), au paragraphe 89).

Est‑il nécessaire d’établir l’existence d’un privilège pour démontrer les présumées violations de la Charte?

[69]      Si l’on fait abstraction de la catégorie résiduelle de l’abus de procédure, M. Mahjoub doit démontrer l’existence d’un privilège sur les documents pour pouvoir affirmer que ses droits protégés par la Charte ont été violés. Pour établir l’existence d’une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée en vue de prouver que ses droits protégés par l’article 8 ont été violés, M. Mahjoub doit démontrer que ses documents étaient protégés par le secret professionnel de l’avocat et/ou par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès. Il doit également faire la preuve de l’existence du secret professionnel de l’avocat et/ou du privilège des communications échangées dans le cadre du procès pour établir que ses droits protégés par l’article 8 ont été violés.

[70]      Dès lors que l’existence du privilège a été établie, il existe une présomption légale suivant laquelle les renseignements protégés seront utilisés au détriment de la partie adverse. Je vais maintenant passer à l’examen des règles de droit portant sur cette question.

Réfutation du risque de préjudice

[71]      Dans l'arrêt Succession MacDonald c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235 (arrêt Succession MacDonald), le juge Sopinka, qui écrivait au nom de la majorité des juges de la Cour suprême, a énoncé le critère à appliquer pour déclarer un avocat inhabile dans les cas où il posséderait des renseignements confidentiels appartenant à la partie adverse :

1) L’avocat a‑t‑il appris, grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client, des faits confidentiels relatifs à l’objet du litige?

2) Y a‑t‑il un risque que ces renseignements soient utilisés au détriment du client?

[72]      Ce critère à deux volets a récemment été réaffirmé par une formation collégiale unanime de la Cour suprême dans l’arrêt Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., 2006 CSC 36, [2006] 2 R.C.S. 189 (arrêt Celanese). La Cour a appliqué le critère dans le contexte d’une ordonnance Anton Piller au cours de l’exécution de laquelle la partie qui avait sollicité la perquisition s’était retrouvée en possession de courriels confidentiels, qu’elle avait lus. Le juge Binnie, qui s’exprimait au nom d’une Cour unanime, a indiqué que, dès lors que la possession des renseignements confidentiels a été établie, il incombe à la personne qui les a obtenus de démontrer qu’il n’existe pas de risque réel que ces renseignements confidentiels soient utilisés au détriment de la partie adverse. La Cour a également jugé que, pour que la présomption s’applique, il incombait à la partie requérante de démontrer que la partie adverse avait obtenu des renseignements confidentiels.

[73]      La présomption n’est réfutée que s’il existe des « preuves claires et convaincantes » démontrant que « le public, c’est‑à‑dire une personne raisonnablement informée, [serait convaincu] qu’il ne sera fait aucun usage de renseignements confidentiels » au détriment de la partie requérante (arrêt Succession MacDonald, précité, aux pages 1260 et 1262; voir également l’arrêt Celanese, précité, au paragraphe 42).

[74]      Bien que les affaires Succession MacDonald et Celanese, précitées, portent expressément sur des requêtes visant à faire déclarer un avocat inhabile à occuper, le juge Binnie a déclaré ce qui suit, dans l’arrêt Celanese (au paragraphe 46) :

Les éléments pertinents de l’analyse effectuée dans l’arrêt Succession MacDonald ne sont pas tributaires de l’existence préalable de rapports d’avocat à client. En l’espèce, le fond du problème est que les avocats de la partie adverse sont en possession de renseignements confidentiels pertinents qui ont été obtenus grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client et à l’égard desquels ils ne peuvent invoquer aucun droit.

[75]      Dans la décision Jaballah, précitée, notre Cour a déclaré que les principes énoncés dans l’arrêt Celanese ne s’appliquaient pas uniquement dans le contexte d’une requête visant à faire déclarer un avocat inhabile à occuper au motif qu’il a en sa possession des renseignements confidentiels appartenant à la partie adverse (aux paragraphes 58 à 68). Dans le cas qui nous occupe, les deux parties acceptent que les principes posés dans l’arrêt Celanese s’appliquent aux faits de l’espèce. Par conséquent, si une violation du secret professionnel de l’avocat ou du privilège des communications échangées dans le cadre du procès est établie et que le risque de préjudice n’est pas réfuté, il est loisible à la Cour d’accorder la réparation appropriée, et notamment la suspension permanente des procédures (R. v. Bruce Power Inc., 2009 ONCA 573, 98 R.J.O. (3e) 272).

Recherche de la réparation appropriée

[76]      Un arrêt définitif des procédures est une réparation draconienne qui ne doit être accordée « que dans les cas les plus manifestes » (arrêt O’Connor, précité, au paragraphe 68). Ainsi que le juge LeBel l’écrivait au nom des juges majoritaires dans l’arrêt Regan, précité, aux paragraphes 54 à 56, cette mesure ne conviendra que si les deux critères suivants sont remplis :

1)         le préjudice causé par l’abus en question sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou par son issue;

2)         aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice.

[77]      S’il subsiste un degré d’incertitude quant à savoir si l’abus de procédure est suffisamment grave pour justifier la suspension des procédures, on applique un troisième critère : on met en balance les intérêts que servirait la suspension des procédures et l’intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond (arrêt Tobiass, précité, au paragraphe 92; arrêt Regan, précité, au paragraphe 225).

[78]      Les tribunaux se sont également livrés à cet exercice de pondération dans des cas relevant de la catégorie résiduelle où l’équité du procès n’était pas en cause, mais où la poursuite de l’instance aurait pour effet de ternir l’image de l’administration de la justice. À titre d’exemple, voici ce que la Cour d’appel de l’Ontario écrit dans l’arrêt R. v. Zarinchang, 2010 ONCA 286, 99 R.J.O. (3e) 721, aux paragraphes 58 à 61 :

[traduction] Lorsque la catégorie résiduelle s’applique, le tribunal estimera en règle générale qu’il est nécessaire de procéder à l’exercice de pondération mentionné dans le troisième critère. Lorsqu’une suspension est réclamée dans une affaire donnée en fonction de la catégorie résiduelle, on ne se pose pas la question de savoir si la reprise de l’instance causera un préjudice au demandeur. On cherche plutôt à protéger l’intégrité du système de justice.

Lorsque le problème à l’origine de la demande de suspension est de nature systémique, la suspension est ordonnée pour éviter le préjudice qui serait causé au système de justice si on laissait l’instance se poursuivre sans s’attaquer au problème systémique dont l’accusé est victime. En fait, l’arrêt des accusations portées contre un accusé dans les cas relevant de la catégorie résiduelle est le prix que le système paie pour protéger son intégrité.

La « catégorie résiduelle » n’est cependant pas un mécanisme illimité auquel les tribunaux peuvent recourir pour s’attaquer à des problèmes systémiques. En un certain sens, l’accusé qui se voit accorder une suspension en vertu de la catégorie résiduelle réalise un gain fortuit. Il est donc important de se demander si le prix à payer pour suspendre les accusations portées contre un individu donné en vaut la peine. Les avantages que comporte la suspension des accusations portées contre cet individu l’emportent‑ils sur l’intérêt qu’il y a à faire trancher le litige sur le fond? Pour répondre à cette question, le tribunal devra presque inévitablement se livrer au genre d’exercice de pondération dont il est question dans le troisième critère. Il nous semble qu’un tribunal devra se pencher sur les particularités de l’espèce, la situation de l’accusé, la nature des accusations portées contre lui, et tenir compte à la fois de l’intérêt de la victime et de l’intérêt plus large de la société à faire juger sur le fond les accusations portées contre lui.

On peut donc solidement affirmer que les tribunaux devraient se livrer à un exercice de pondération conformément au troisième critère dans la plupart des cas relevant de la catégorie résiduelle [Non souligné dans l’original.]

[79]      Dans le cas d’un abus de procédure relevant de la catégorie résiduelle, la suspension des procédures sera accordée dans des cas « exceptionnels » et « relativement rares », lorsque la conduite passée reprochée est si grave que le simple fait de poursuivre le procès choquerait le sens de la justice de la société. Au paragraphe 55 de l’arrêt Regan, précité, la Cour suprême du Canada écrit :

Tel que mentionné plus haut, la plupart des cas d’abus de procédure causent un préjudice en rendant le procès inéquitable. En vertu de l’art. 7 de la Charte, il existe toutefois une petite catégorie résiduelle de conduite abusive qui ne touche pas l’équité du procès, mais qui n’en mine pas moins la justice fondamentale du système (O’Connor, par. 73). Pourtant, même en pareil cas, l’importance du caractère prospectif de la suspension des procédures comme réparation doit être respectée : « [l]e simple fait que l’État se soit mal conduit à l’égard d’un individu par le passé ne suffit pas à justifier la suspension des procédures » (Tobiass, par. 91). Lorsqu’il s’agit d’un abus relevant de la catégorie résiduelle, la suspension des procédures ne constitue généralement une réparation appropriée que lorsque l’abus risque de se poursuivre ou de se produire subséquemment. Ce n’est que dans des cas « exceptionnels », « relativement très rares », que la conduite passée reprochée est « si grave que le simple fait de poursuivre le procès serait choquant » (Tobiass, par. 91). [Non souligné dans l’original.]

[80]      L’opportunité d’accorder une suspension permanente devrait être examinée à la lumière d’un dossier factuel complet portant sur le préjudice. Dans l’arrêt R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680, au paragraphe 27, la Cour suprême écrit :

Souvent, il est préférable de trancher cette question au fur et à mesure du déroulement du procès. En conséquence, le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire de statuer sur la demande d’arrêt des procédures soit sur‑le‑champ, soit après avoir entendu une partie ou la totalité de la preuve. À moins qu’il ne soit évident qu’aucune autre mesure ne pourra réparer le préjudice causé par la conduite donnant lieu à l’abus, il est généralement préférable de surseoir à statuer sur la demande. Ainsi, le juge sera en mesure d’évaluer l’ampleur du préjudice et de déterminer si les mesures prises pour réduire celui‑ci au minimum se sont avérées fructueuses.

[81]      Lorsque la suspension permanente d’instance ne constitue pas la réparation appropriée, la Cour suprême du Canada a suggéré, au paragraphe 59 de l’arrêt Celanese, précité, de tenir compte des six facteurs non exhaustifs suivants pour décider s’il y a lieu de déclarer des avocats inhabiles à occuper :

1) la manière dont le demandeur ou ses avocats sont entrés en possession des documents;

2) les mesures que le demandeur et ses avocats ont prises lorsqu’ils ont constaté que les documents étaient potentiellement assujettis au privilège avocat‑client;

3) la mesure dans laquelle les documents privilégiés ont été examinés;

4) la teneur des communications avocat‑client et la mesure dans laquelle elles sont préjudiciables;

5) l’étape de l’instance;

6) l’efficacité potentielle d’une mesure de protection ou d’autres précautions destinées à éviter un préjudice.

[82]      Si le risque de préjudice n’a pas été écarté et qu’il est possible de remédier au problème sans avoir à déclarer les avocats inhabiles à occuper, il faut examiner cette possibilité (Celanese, précité, au paragraphe 56).

ANALYSE

[83]      Je me propose d’aborder la question litigieuse soulevée dans la présente requête en répondant aux questions suivantes :

1) Monsieur Mahjoub a‑t‑il démontré que des renseignements confidentiels qui seraient protégés par le secret professionnel de l’avocat ou par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès se trouvaient en la possession des ministres?

2) Dans l’affirmative, les ministres ont‑ils réfuté la présomption qu’il existe un risque que les documents protégés appartenant à M. Mahjoub qui se trouvaient en la possession des ministres soient utilisés au détriment de M. Mahjoub si l’instance se poursuit?

3) Si cette présomption n’a pas été réfutée, la gravité de la violation des droits garantis à M. Mahjoub par la Charte justifie‑t‑elle la suspension des procédures ou une réparation moindre?

4) La conduite des ministres traduit‑elle un comportement inéquitable ou vexatoire au point de contrevenir aux notions fondamentales de justice et de porter ainsi atteinte à l’intégrité du processus judiciaire? Dans l’affirmative, quelle est la réparation appropriée?

1) Monsieur Mahjoub a‑t‑il démontré que des renseignements confidentiels qui seraient protégés par le secret professionnel de l’avocat ou par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès se trouvaient en la possession des ministres?

[84]      Dans l’arrêt Celanese, précité, la Cour suprême a repris à son compte ce qu’elle avait déjà affirmé dans l’arrêt Succession MacDonald, dans lequel elle avait statué que, dès qu’il est démontré que le cabinet d’avocats agissant pour la partie adverse a pris connaissance (au paragraphe 42) :

[…] « des faits confidentiels, grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client, qui concernent l’objet du litige » (p. 1260), le tribunal présumera « que les avocats qui travaillent ensemble échangent des renseignements confidentiels » (p. 1262) et qu’il y a alors un risque que ces renseignements soient utilisés au préjudice du client, à moins que les avocats qui les ont obtenus ne puissent démontrer que « le public, c’est‑à‑dire une personne raisonnablement informée, [serait convaincu] qu’il ne sera fait aucun usage de renseignements confidentiels » (p. 1260).

[85]      L’affidavit déposé pour le compte de M. Mahjoub confirme que les documents en cause consistent en ce qui suit :

• actes de procédure annotés par les avocats publics et par M. Mahjoub;

• notes manuscrites et/ou informatisées sur la stratégie juridique et autres renseignements confidentiels des avocats publics et de M. Mahjoub;

• préparation, par les avocats publics, des contre‑interrogatoires des témoins déjà entendus ou à entendre;

• toutes les pièces portant des annotations manuscrites, des soulignements et des notes marginales.

[86]      Les affidavits déposés à l’appui de la requête de M. Mahjoub attestent plus précisément ce qui suit :

[traduction]• « Une chemise [sur laquelle se trouvait l’écriture de l’assistante qui travaillait pour l’avocat de M. Mahjoub] » et un autre document [traduction] « qui contenait les initiales de M. Hameed [l’avocat de M. Mahjoub] ainsi qu’un bout de papier collé sur le document et portant des notes ou des observations manuscrites de M. Hameed renfermant des renseignements confidentiels visibles ».

• « Bon nombre des documents des avocats publics se trouvant dans la salle de travail contenaient, sur leur page couverture, des papillons adhésifs contenant des notes écrites par [les avocats de M. Mahjoub] et par M. Mahjoub qui pouvaient être facilement lues par toute personne qui examinerait le document. « 

• Des documents se trouvant dans la salle de travail des avocats publics [traduction] « contenaient des renseignements stratégiques sensibles concernant la préparation de la cause de M. Mahjoub ».

• « La plupart des documents se trouvant sur la table appartenaient à première vue aux avocats publics. On y trouvait notamment les documents suivants : des notes prises par les avocats publics, des notes marginales des avocats publics, des passages soulignés, des annotations et d’autres renseignements ajoutés à la plupart sinon à la totalité des pièces, des transcriptions et des autres documents appartenant aux avocats publics, des notes inscrites par M. Mahjoub sur les pièces, les documents de préparation des contre‑interrogatoires rédigés par les avocats publics, etc. »

[87]      M. Mahjoub affirme que les éléments de preuve susmentionnés démontrent que certains des documents qui se trouvent en la possession des ministres sont confidentiels.

[88]      Les ministres [traduction] « ne contestent pas que certains des documents se trouvant en leur possession peuvent contenir des renseignements confidentiels », mais ils ajoutent que la preuve présentée par M. Mahjoub [traduction] « n’est pas suffisamment détaillée et n’identifie pas de document précis, contrairement à ce qu’exige la loi pour être en mesure de s’acquitter de leur fardeau de la preuve ». Les ministres soutiennent que les affidavits qui confirment l’existence du privilège doivent démontrer l’existence d’un fondement factuel suffisant et être interprétés de façon stricte. Ils ont également fait valoir, lors de l’audience du 3 octobre 2011, qu’il convenait probablement que la Cour examine les documents en question pour déterminer s’ils étaient effectivement protégés par un privilège. Enfin, les ministres affirment qu’il est nécessaire que M. Mahjoub démontre l’existence du privilège relativement à chacun des documents.

[89]      La jurisprudence nous enseigne (arrêt Celanese, précité, au paragraphe 42) :

[…] [qu’il n’est pas] imposé à la partie requérante l’obligation de produire d’autres éléments de preuve concernant la nature des renseignements confidentiels en plus de ce qui est nécessaire pour établir que, grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client, l’avocat en cause a appris des faits confidentiels qui concernaient l’objet du litige.

[90]      Il est acquis aux débats que les ministres ont pris des documents se trouvant dans la salle de travail de M. Mahjoub située juste à côté de la salle d’audience après que l’audience eut été ajournée à un stade avancé de l’instance. Les ministres reconnaissent que certains des documents en cause « peuvent » être confidentiels.

[91]      Il est également acquis aux débats que les documents en cause appartenaient à M. Mahjoub, qu’ils ont été entreposés dans la salle de travail assignée à l’équipe du contentieux de M. Mahjoub et qu’il s’agissait de documents que M. Mahjoub entendait utiliser au cours de l’instance. L’affidavit de M. Hameed confirme que certains des documents comportaient des notes manuscrites et/ou informatisées portant sur la stratégie juridique ainsi que d’autres renseignements confidentiels rédigés par les avocats publics et par M. Mahjoub.

[92]      J’accepte l’argument que M. Mahjoub a formulé lors de l’audience du 3 octobre 2011 suivant lequel il aurait été difficile de présenter une plus grande quantité de renseignements au sujet de la nature et du contenu de ces documents, étant donné que ces documents ne se trouvaient pas en sa possession au moment où il a déposé son dossier.

[93]      De plus, le rapport que le protonotaire Aalto a déposé à la suite du processus de séparation ordonné par la Cour aux termes de son ordonnance du 4 octobre 2011 confirme qu’on trouvait, au nombre des documents saisis « le produit du travail des avocats; des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat; des documents protégés par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès » (rapport du protonotaire Aalto, à la page 29).

[94]      Le protonotaire est bien placé pour parvenir à de telles conclusions. En tant que juge des requêtes, il lui revient normalement de décider si les documents contestés sont protégés ou non par le secret professionnel de l’avocat. Ces décisions, qu’il fait à l’étape de la divulgation de l’instance, ont pour effet de circonscrire le contenu du dossier qui sera soumis au juge qui présidera l’audience.

[95]      Je suis par conséquent convaincu que M. Mahjoub s’est acquitté du fardeau qui lui incombait et qu’il a démontré que les avocats du ministre avaient en leur possession des renseignements confidentiels protégés par le secret professionnel de l’avocat et que ces renseignements étaient pertinents en l’espèce. Il découle de la jurisprudence précitée qu’il incombe maintenant aux ministres de réfuter la présomption légale suivant laquelle il existe un risque que les renseignements confidentiels qu’ils ont obtenus soient utilisés au détriment de M. Mahjoub.

(2) Les ministres ont‑ils réfuté la présomption qu’il existe un risque que les documents protégés appartenant à M. Mahjoub qui se trouvaient en la possession des ministres soient utilisés au détriment de M. Mahjoub si l’instance se poursuit?

[96]      Il incombe aux ministres de démontrer, suivant la prépondérance des probabilités (F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S. 41) au moyen de « preuves claires et convaincantes » (arrêt Succession McDonald, précité, à la page 1262; arrêt Celanese, précité, au paragraphe 42) « [que] le public, c’est‑à‑dire une personne raisonnablement informée, [serait convaincu] qu’il ne sera fait aucun usage de renseignements confidentiels » (arrêt Succession McDonald, précité, à la page 1260).

[97]      Monsieur Mahjoub soutient que la saisie des documents en cause par les ministres était abusive et entachée de négligence. Il fait valoir qu’aucune explication n’a été donnée pour expliquer pourquoi certains membres de l’équipe du contentieux des ministres n’ont pas souscrit d’affidavits. Monsieur Mahjoub souligne par ailleurs que les ministres ont admis qu’au moins un de leurs avocats a pris connaissance du contenu de plusieurs boîtes. Il affirme par conséquent que les ministres étaient au courant de l’essentiel de certains des renseignements confidentiels en question. Monsieur Mahjoub ajoute que la preuve présentée par les ministres ne fournit pas de fondement suffisant pour réfuter la présomption légale quant à l’existence d’un risque de préjudice. Il affirme également que la saisie n’est qu’une violation du secret professionnel de l’avocat parmi plusieurs autres qui ont été commises depuis 1996, et que la Cour devrait tenir compte de ces violations pour se prononcer sur la présumée violation en cause.

[98]      En ce qui concerne le dernier argument formulé par M. Mahjoub, la Cour est bien au courant du contenu du dossier de l’instance sous‑jacente se rapportant aux présumées violations du secret professionnel de l’avocat de M. Mahjoub. Toutefois, ces allégations sont contestées et il n’y a pas encore eu de décision à cet égard. Les deux parties conviennent qu’il n’y a pas lieu de trancher ces questions dans le cadre de la présente requête. Par conséquent, on ne peut tenir compte de ces allégations contestées pour trancher la présente requête.

[99]      Les ministres affirment qu’ils ont réfuté la présomption du risque de préjudice [traduction] « parce que soit les documents en question n’ont pas été examinés soit ils ne l’ont été que de façon superficielle avant que l’accès à ces documents soit totalement bloqué ».

[100]   La prise de possession des documents de M. Mahjoub et leur amalgame avec ceux des ministres découlent directement d’un grave manque de diligence de la part des membres de l’équipe des ministres lors du déroulement de l’instance. En particulier, les membres principaux de l’équipe n’ont pas donné de directives appropriées et claires à leurs adjoints ou aux assistants juridiques. On ne saurait trop insister sur la gravité des conséquences possibles de cette négligence de la part des ministres. À tout le moins, la négligence dont les membres de l’équipe du contentieux du ministre ont fait preuve a causé d’autres retards importants dans le déroulement d’une instance qui s’embourbait déjà en raison de nombreux délais procéduraux. Les ministres sont les seules personnes à blâmer pour ce retard. Toutefois, malgré la gravité des manquements commis par les membres de l’équipe du contentieux des ministres, je suis convaincu que ces erreurs n’étaient pas volontaires ou préméditées. Vu l’ensemble de la preuve, j’estime que les ministres et leur équipe du contentieux ne peuvent être accusés de mauvaise foi.

[101]   Les ministres ont d’abord reconnu qu’ils avaient en leur possession des documents qui appartenaient à M. Mahjoub, lorsque Mme Stewart Guthrie s’est présentée à la pièce 916 le 22 août 2011 en réponse au courriel envoyé le même jour par Mme Schneider pour inviter les ministres à examiner le contenu de diverses boîtes. En apercevant une page manuscrite dans l’une des boîtes, Mme Schneider a vu le nom « Tyndale » écrit à la gauche à la main sur la page. Elle n’a pas reconnu l’écriture. C’est à ce moment‑là que Mme Stewart Guthrie a pensé que certaines des notes n’appartenaient peut‑être pas aux ministres. Elle a refermé la boîte et a parlé à Mme Schneider, technicienne juridique, et à Mme Kaneira, avocate du ministère de la Justice, qui faisaient toutes les deux partie de l’équipe Mahjoub, pour leur dire qu’elle croyait qu’on avait ramené de la Cour des documents qui n’appartenaient pas aux ministres.

[102]   Après avoir été mis au courant de la situation par Mme Stewart Guthrie, M. Tyndale, avocat principal faisant partie de l’équipe Mahjoub, a donné pour instructions à Mme Guthrie d’étiqueter les boîtes dans lesquelles se trouvaient les documents de M. Mahjoub en y apposant la mention [traduction] « À examiner par les avocats publics » et d’envoyer aux avocats publics un courriel les informant de la situation et leur proposant que les parties examinent les documents en vue de les séparer, ce qui a été fait le jour même.

[103]   Bien que j’accepte que huit boîtes contenant des documents divers (correspondance, notes manuscrites, jurisprudence, etc.) avaient été mises de côté en vue d’être examinées par les avocats publics et qu’elles ont été étiquetées en conséquence, Mme Schneider a continué à travailler au bureau le reste de la semaine où elle triait des documents dans d’autres boîtes. Aucune mesure n’a été prise pour sceller la pièce et pour en contrôler l’accès jusqu’à ce que les avocats publics s’y rendent le 1er septembre 2011. Compte tenu du fait que certains documents retrouvés dans les huit boîtes diverses contenaient peut‑être des renseignements confidentiels, les ministres auraient dû prendre des mesures pour sceller les huit boîtes à ce moment‑là.

[104]   Je constate également qu’aucune mesure n’a été prise par les membres de l’équipe Mahjoub le 15 juillet 2011, date à laquelle Mme Dean a, à son retour de la Cour, envoyé un courriel aux membres de l’équipe pour les informer que Mme Krakowska, assistante juridique dans l’équipe Mahjoub, et elle avaient [traduction] « vidé la salle d’audience 6D et la pièce 6013 [la salle de réunion des ministres] et tout transféré à la pièce 6011 [la salle de réunion de M. Mahjoub] ». À ce moment‑là, avant que des documents ne soient transférés aux bureaux du ministère de la Justice, l’équipe des ministres aurait dû savoir qu’il y avait un problème en ce qui concerne le fait que les membres de l’équipe avaient eu accès aux deux salles de travail et en avaient transféré « tous » les documents dans la salle de travail de M. Mahjoub. Si l’on avait pris immédiatement des mesures, on aurait pu atténuer l’éventuel préjudice qui pouvait découler de la prise de possession et de l’amalgame des documents.

[105]   À la suite de la visite des avocats publics le 1er septembre 2011 à la pièce 916, au cours de laquelle ceux‑ci ont pu constater l’ampleur du problème causé par l’amalgame des documents, le bureau a été verrouillé et sécurisé au moyen d’un ruban jaune installé dans l’entrée du bureau. On a alors confisqué les clés du bureau, qui est demeuré scellé jusqu’à ce que le protonotaire Aalto ordonne que les documents soient retournés au palais de justice.

[106]   Tous les membres de l’équipe du contentieux des ministres, y compris les techniciens juridiques qui avaient été le plus en contact avec les documents et qui avaient eu accès à la pièce 916 avant qu’elle ne soit scellée, ont dû se retirer temporairement de l’équipe en attendant qu’une décision définitive soit rendue au sujet de la requête.

[107]   De plus, certains murs éthiques ont été érigés pour faire en sorte que les membres de l’équipe qui avaient dû se retirer ne discutent pas de ce qu’ils avaient vu, le cas échéant, au sujet des documents se trouvant dans la pièce 916 et pour s’assurer qu’ils n’aient pas accès aux dossiers relatifs à l’affaire. La directrice régionale du ministère de la Justice à Toronto, Mme Martha Hendriks, a expliqué que les murs éthiques qui avaient été érigés avaient été scrupuleusement respectés depuis leur mise en œuvre.

[108]   J’estime que les mesures prises par les ministres après le 1er septembre 2001 pour sécuriser la pièce 916 et protéger les documents s’y trouvant étaient appropriées et efficaces dans les circonstances.

[109]   Les ministres ont déposé plusieurs affidavits en preuve pour réfuter la présomption légale suivant laquelle il existait un risque véritable que les documents confidentiels de M. Mahjoub soient utilisés à son détriment. La directrice régionale adjointe et avocate principale de la Section du droit de l’immigration du bureau régional de l’Ontario du ministère de la Justice, Mme Rhonda Marquis, a affirmé qu’elle avait communiqué avec chacun des membres de l’équipe Mahjoub, y compris les deux assistantes juridiques qui avaient à l’origine placé les documents dans des boîtes en vue de les retourner à la pièce 916, Mmes Dean et Krakowska, ainsi qu’avec la technicienne juridique qui avait été en contact plus étroit avec ces documents, Mme Schneider. Elle a confirmé que les membres de l’équipe Mahjoub avec lesquels elle avait communiqué l’avaient assurée qu’ils n’avaient pas examiné les documents des avocats de la partie adverse. Rien ne permet de penser que Mme Marquis est entrée dans la pièce 916 ou qu’elle a eu par ailleurs accès aux documents de M. Mahjoub. Mme Marquis a également affirmé que les avocats du SCRS [Service canadien du renseignement de sécurité] l’avaient informée qu’ils n’étaient pas entrés dans la pièce 916 depuis le 15 juillet 2011. On l’a également informée qu’aucun des membres du personnel de l’ASFC [l’Agence des services frontaliers du Canada] assignés au dossier Mahjoub n’était entré dans la pièce 916 depuis le 15 juillet 2011.

[110]   En plus de l’affidavit souscrit par Mme Marquis, le ministre a déposé des affidavits souscrits par Kamal Dean, Jillian Schneider, Daniel Engel, Sharon Stewart Guthrie, Jocelyn Espejo‑Clarke, Nimanthika Kaneira, Maria Teresa Martins et Martha Lori Hendriks. Pour les motifs que j’ai déjà exposés au paragraphe 57 des présents motifs, le paragraphe 8 de l’affidavit de Martha Lori Hendriks a été écarté et il ne fait donc pas partie du dossier.

[111]   À l’exception de Mmes Marquis et Hendriks, toutes les autres personnes qui ont souscrit des affidavits pour le compte des ministres au soutien de la présente requête ont eu accès aux documents de M. Mahjoub. Elles ont pu entrer dans les salles de travail et/ou la pièce 916 du ministère de la Justice. Je vais maintenant examiner le témoignage de chacun des auteurs de ces affidavits.

[112]   Madame Kamal Dean, assistante juridique faisant partie de l’équipe Mahjoub, a été invitée par une autre assistante juridique, Mme Irena Krakowska, le 15 juillet 2011, à l’accompagner à la Cour pour récupérer les documents des ministres. Madame Dean affirme qu’elle n’a [traduction] « lu aucun des documents qui se trouvaient dans la salle d’audience ou dans les salles de travail et [qu’elle ignorait] que les documents appartenaient aux avocats représentant M. Mahjoub ». Madame Dean affirme également qu’elle a été informée par Mme Krakowska et qu’elle a toutes les raisons de croire que [traduction] « Irena n’a lu aucun des documents dans la salle d’audience ou dans les salles de travail et qu’elle ignorait que les documents appartenaient aux avocats représentant M. Mahjoub ». Madame Dean affirme également que Mme Krakowska l’a informée qu’elle ignorait [traduction] « qu’une des salles de travail était utilisée par les avocats de M. Mahjoub ». Madame Dean a aidé Mme Schneider à classer les documents dans la pièce 916 les 25, 26 et 27 juillet au matin. Madame Dean affirme qu’elle a seulement vu la page titre et la dernière page des documents et qu’elle n’a remarqué aucune annotation manuscrite.

[113]   Madame Jillian Schneider, technicienne juridique faisant partie de l’équipe Mahjoub, affirme qu’on lui a demandé de classer les documents après leur arrivée dans la pièce 916. C’est ce qu’elle a fait les 25, 26 et 27 juillet 2011. Elle affirme que le 8 août 2011, elle a demandé à M. Engel de l’aider à décider quels documents devaient être ramenés à la Cour avant la reprise de l’audience. Le même jour, dans la pièce 916, ils ont tous les deux [traduction] « ouvert deux ou trois boîtes et feuilleté les documents ». Elle déclare que l’examen leur a permis de constater immédiatement qu’il était nécessaire de classer le contenu des boîtes en catégories avant de pouvoir décider ce qui devait être retourné à la Cour. Elle affirme qu’elle a ensuite classé les documents elle‑même par catégories et que, pour ce faire, elle regardait le titre du document et, à l’occasion, la dernière page. Elle déclare qu’elle [traduction] « n’a pas lu les documents ni regardé leur contenu » et ne se rappelle pas [traduction] « avoir vu des annotations manuscrites sur les documents ». Il y a également lieu de signaler que Mme Schneider affirme qu’alors qu’elle continuait à classer les documents dans la pièce 916, elle n’a jamais examiné le contenu des huit boîtes après que Mme Stewart Guthrie les eut étiquetées en vue de leur examen par les avocats publics.

[114]   Monsieur Daniel Engel, avocat de l’équipe du contentieux des ministres, a affirmé qu’il s’était présenté dans la pièce 916 du ministère de la Justice le 8 août 2011 pour examiner le contenu des boîtes de documents et déterminer quels documents devaient être retournés à la Cour pour la reprise de l’audience. Il déclare qu’avec Mme Schneider, il a ouvert deux ou trois boîtes et a « feuilleté » les documents. Il affirme qu’il n’a passé qu’une dizaine de minutes au bureau et qu’il n’y est pas revenu depuis. Il ajoute qu’il [traduction] « ne se souvien[t] pas avoir vu les documents des avocats publics pendant qu’il passait rapidement en revue le contenu des documents se trouvant dans les deux ou trois boîtes le 8 août 2011 ».

[115]   Madame Sharon Stewart Guthrie, avocate du ministère de la Justice qui faisait partie de l’équipe Mahjoub, s’est présentée à la pièce 916 le 22 août 2011 pour aider Madame Schneider à identifier certains documents. On peut résumer comme suit ce qu’elle affirme dans son affidavit au sujet des mesures qu’elle a prises relativement aux documents se trouvant dans la pièce 916 :

1. Elle a examiné les étiquettes apposées sur les boîtes qui avaient été mises de côté en vue d’être retournées à la Cour. Elle n’a pas ouvert ces boîtes.

2. Elle a examiné les étiquettes apposées sur deux ou trois boîtes de pièces placées dans des chemises. Elle a ouvert les boîtes et a [traduction] « feuilleté rapidement les chemises ». Elle a ensuite refermé les boîtes et les a laissées sur le bureau.

3. Elle a ouvert trois des huit boîtes contenant divers documents qui étaient empilées contre la fenêtre. À l’intérieur de la première, elle a remarqué une chemise sur laquelle des étiquettes contenant des inscriptions manuscrites en français avaient été apposées. Elle n’a pas ouvert la chemise et elle a refermé la boîte et l’a mise de côté.

4. Après avoir ouvert la deuxième boîte qui se trouvait près de la fenêtre, elle a remarqué que les premières pages concernaient des rapports publics qu’elle n’a pas feuilletés. Elle a refermé la boîte et l’a mise de côté.

5. Après avoir ouvert la troisième boîte, elle a vu des extraits de jurisprudence cités par les deux parties au cours de l’instance. Elle ne les a pas feuilletés. Au fond de la boîte, elle a vu une copie d’un courriel échangé entre deux membres de l’équipe du contentieux des ministres. Elle a ensuite vu une feuille manuscrite sur laquelle était inscrit à la main le nom « Tyndale » sur le côté gauche de la page. Elle affirme qu’« elle n’a rien vu d’autre sur cette page à part le nom “Tyndale”». Elle explique que c’est à ce moment‑là qu’elle a pensé que les notes n’appartenaient pas à son équipe. Elle a refermé la boîte et l’a mise de côté.

6. Elle a passé de 10 à 15 minutes dans la pièce 916.

[116]   Madame Nimanthika Kaneira, avocate du ministère de la Justice et membre de l’équipe Mahjoub, affirme qu’elle a été convoquée au bureau 916 le 1er septembre 2011 par Mme Espejo‑Clarke, qui se trouvait dans ce bureau avec Mme Doyon et un adjoint de l’équipe du contentieux des avocats publics. On lui a demandé si elle savait comment les documents se trouvant sur le bureau et qui semblaient appartenir aux avocats publics avaient pu se retrouver dans la pièce 916. Madame Kaneira a spéculé qu’il pouvait s’agir d’une répétition de ce qui s’était produit plus tôt en février, alors que certaines boîtes appartenant aux ministres avaient été transportées dans la salle de travail de M. Mahjoub. Madame Kaneira a vu les piles de documents sur le bureau dont la plupart avaient une couverture en bleu et étaient reliés, et notamment des dossiers de requête. Elle affirme qu’elle n’a [traduction] « examiné aucun des documents et que, hormis le fait [qu’elle se souvenait] avoir vu les couvertures bleues de certains de ces documents, [elle] en ignorait le contenu ».

[117]   Le 30 août 2011, Mme Maria Teresa Martins, agente d’administration du ministère de la Justice à Toronto, accompagnée de deux déménageurs, s’est rendue à la pièce 916 avec des boîtes appartenant à Mme Amy Lambiris, une employée du ministère de la Justice qui était en congé de maternité. Elle atteste que les déménageurs ont déposé dans la pièce 916 des boîtes appartenant à Mme Lambiris, et qu’elle surveillait l’opération dans l’embrasure de la porte. Ils n’ont passé que quelques minutes dans la pièce, juste le temps d’y déposer les boîtes. Elle affirme qu’elle n’a [traduction] « lu aucun des documents se trouvant dans la pièce 916 » et qu’elle n’a « pas vu les déménageurs les lire ».

[118]   Madame Espejo‑Clarke, avocate et membre de l’équipe Mahjoub, affirme qu’avec Mme Doyon, elle a [traduction] « examiné brièvement certains des documents et [qu’elle a] remarqué qu’il semblait qu’il y avait aussi les documents qui appartenaient aux ministres. Après un bref examen de certains des documents [en présence de Mme Doyon, elle] a réalisé [qu’elles] ne pouvaient les trier et [qu’elles] ne devaient pas chercher d’autres documents ».

[119]   Monsieur Mahjoub soutient que les ministres n’ont pas réfuté la présomption qu’il existe un risque véritable que ses documents confidentiels se trouvant en la possession des ministres soient utilisés à son détriment si l’instance se poursuit.

[120]   Monsieur Mahjoub signale certaines des lacunes que comporterait la preuve présentée par les ministres. Il soutient qu’aucun élément de preuve n’a été présenté pour démontrer que la porte de la pièce 916 était verrouillée entre le 20 juillet et le 1er septembre 2011. Par conséquent, on ignore qui pouvait consulter les documents entreposés dans le bureau pendant cette période. Il ajoute que la situation se complique du fait que la preuve n’identifie pas tous les membres qui faisaient partie de l’équipe du contentieux des ministres.

[121]   Monsieur Mahjoub soutient également que certaines personnes, qui étaient de toute évidence des membres de l’équipe du contentieux des ministres, n’ont pas souscrit d’affidavits, à savoir Mme Krakowska, M. Larouche et M. Tyndale. Aucune explication n’a été donnée pour expliquer pourquoi le témoignage de ces membres de l’équipe Mahjoub n’avait pas été présenté. Monsieur Mahjoub affirme que, bien que les affidavits déposés ne parlent que d’un [traduction] « examen superficiel » de certains des documents confidentiels, cela ne suffit pas pour réfuter la présomption légale. M. Mahjoub soutient par ailleurs que les affirmations de Mme Marquis suivant lesquelles aucun des membres de l’équipe Mahjoub n’avait examiné les documents des avocats de la partie adverse et que le SCRS et l’ASFC n’avaient pas eu accès à la pièce 916 constituent du ouï‑dire et qu’en conséquence, il y a lieu de tirer une inférence défavorable. Monsieur Mahjoub ajoute que si elle ne tire pas d’inférence défavorable, la Cour ne devrait pas tenir compte de ces éléments de preuve ou ne devrait leur accorder que peu de valeur.

[122]   En somme, M. Mahjoub soutient qu’on ignore si certains des documents en cause ont été retirés de la pièce 916, qu’on ignore qui avait accès au bureau, y compris les membres du SCRS et de l’ASFC, et qu’on ignore qui sont les autres membres de l’équipe du contentieux des ministres et ce qu’ils ont vu des documents en question. Monsieur Mahjoub affirme que ces questions se posent toujours dans l’état actuel du dossier. Il soutient par conséquent qu’il existe un risque véritable que ses documents confidentiels se trouvant en la possession des ministres soient utilisés à son détriment si l’instance se poursuit.

[123]   Pour les motifs qui suivent, je suis convaincu que les éléments de preuve présentés par les ministres démontrent que les membres de l’équipe Mahjoub qui ont eu accès aux documents de M. Mahjoub ont procédé seulement à un examen sommaire et superficiel des documents en question. Je conclus qu’aucun des membres de l’équipe Mahjoub n’a examiné les documents appartenant à M. Mahjoub. Je conclus également que les lacunes relevées par M. Mahjoub dans la preuve des ministres ne sont pas suffisantes pour justifier une conclusion défavorable.

[124]   Dans la décision Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Environnement), 1999 CanLII 9120, la Cour fédérale [auparavant la Section de première instance de la Cour fédérale] s’est penchée sur la question des inférences défavorables dans des circonstances analogues. Voici ce qu’elle déclare au paragraphe 47 de ses motifs :

Je ne suis pas disposé à tirer pareille conclusion dans ce contexte. La règle 81(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) autorise expressément, dans le cadre des requêtes, l’admission en preuve des éléments d’information et des expressions de croyance personnelle. Bien que Mme MacCormick n’ait pas compilé elle‑même les documents en question, elle est une fonctionnaire de haut rang du Bureau du Conseil privé et, à ce titre, est bien placée pour témoigner que celui‑ci n’avait jamais l’intention de divulguer la Liste. Qui plus est, il y a d’autres témoignages qui viennent renforcer la prétention du défendeur qu’il a produit la Liste par inadvertance. [Non souligné dans l’original.]

[125]   La Cour d’appel fédérale a infirmé en partie la décision de la Cour de première instance sans toutefois modifier sa conclusion que nous venons de citer (Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2000 CanLII 15247 (C.A.F.)).

[126]   En l’espèce, Mme Marquis, en tant que directrice régionale adjointe et avocate principale au bureau de Toronto du ministère de la Justice et ancienne avocate de l’équipe du contentieux des ministres dans la présente instance, est bien placée pour témoigner sur les faits de la présente instance. Compte tenu du poste qu’elle occupe au sein du ministère de la Justice, elle est bien au courant de la composition de l’équipe du contentieux des ministres dans la présente affaire et elle connaît bien les avocats et le personnel qui représentent les ministères clients, le SCRS et l’ASFC.

[127]   Qui plus est, nous disposons de témoignages directs d’autres membres de l’équipe Mahjoub qui corroborent le témoignage de Mme Marquis. Tous les membres de l’équipe du contentieux des ministres qui ont souscrit des affidavits ont eu accès aux documents de M. Mahjoub soit dans les salles de travail, soit dans la pièce 916 du ministère de la Justice. Chacun confirme ne pas avoir pris connaissance des documents de M. Mahjoub. Dans ces conditions, je ne tire aucune inférence défavorable à l’égard du témoignage de Mme Marquis. J’estime que son témoignage est convaincant et je lui accorde une grande valeur.

[128]   Parmi les membres de l’équipe qui ont également eu accès aux documents, quatre n’ont pas souscrit d’affidavits, à savoir, Mmes Krakowska, Lewicki, Rondeau et Goodyear. Il aurait été préférable que chacune d’entre elles souscrive un affidavit. J’estime toutefois que leur omission de le faire n’est pas fatale dans les circonstances. Mesdames Lewicki, Rondeau et Goodyear, qui étaient des assistantes juridiques, ont participé les 20 et 21 juillet 2011 au transfert des boîtes de la salle de travail de M. Mahjoub à la pièce 916. Deux autres assistantes juridiques, Mmes Dean et Krakowska, ont placé les documents dans des boîtes. Il ressort de la preuve que les boîtes sont demeurées fermées au cours du transport. Par conséquent, je suis convaincu que les trois assistantes juridiques en question n’ont pas pris connaissance du contenu des documents et que leur participation n’a causé aucun préjudice à M. Mahjoub.

[129]   Madame Krakowska s’est présentée à la salle d’audience et aux salles de travail en compagnie de Mme Dean le 15 juillet 2011 en vue d’emballer et de récupérer les boîtes qui se trouvaient alors dans la salle d’audience. Madame Dean a expliqué que Mme Krakowska lui avait dit qu’elle n’avait pas pris connaissance du contenu des documents dans la salle d’audience ou les salles de travail. De plus, Mme Marquis a déclaré que Mme Krakowska, qui était l’une des assistantes juridiques ayant placé les documents dans des boîtes, n’avait examiné aucun des documents de M. Mahjoub.

[130]   Bien qu’il eût été préférable que M. Tyndale, M. Larouche et Mme Krakowska souscrivent chacun un affidavit à l’appui de la présente requête, j’estime que leur défaut de le faire ne porte pas un coup fatal à la thèse des ministres dans le cadre de la présente requête, étant donné que j’accepte le témoignage de Mme Marquis suivant lequel aucun des membres de « l’équipe Mahjoub » n’a examiné les documents des avocats de la partie adverse. À mon avis, étant donné qu’aucun des membres de l’équipe n’a examiné les documents de M. Mahjoub, il importe peu que le dossier ne permette pas d’établir l’identité de chacun des membres de l’équipe du contentieux des ministres.

[131]   Monsieur Mahjoub affirme que, comme les ministres n’ont pas démontré qui avait eu accès à ses documents, les ministres n’ont pas réfuté la présomption. Monsieur Mahjoub soutient que toutes les personnes [traduction] « ayant un intérêt dans l’instance » et qui ont eu accès au bureau avant qu’il ne soit verrouillé auraient dû présenter une preuve. Les avocats de M. Mahjoub ont admis que cela ne voulait pas dire que chacun des avocats du ministère de la Justice au Canada aurait dû présenter une preuve.

[132]   Je retiens pour l’essentiel l’idée avancée par les avocats publics au sujet du bassin de personnes intéressées qu’ils proposent. Dans ces conditions, j’estime que le bassin pertinent de [traduction] « personnes ayant un intérêt dans l’instance » qui auraient eu accès à la pièce 916 non verrouillée avant qu’elle ne soit scellée le 1er septembre 2011 est composé des personnes qui faisaient partie de l’équipe Mahjoub ainsi que des représentants des ministères clients, à savoir les avocats du SCRS et le personnel de l’ASFC. J’estime que les ministres ont soumis la preuve nécessaire de la part de ces personnes.

[133]   Les éléments de preuve présentés par les ministres au sujet de l’accès, par les membres de l’équipe Mahjoub, aux documents des ministres ont déjà été examinés. Sur le fondement de ces éléments de preuve, je suis arrivé à la conclusion qu’aucun des membres de l’équipe Mahjoub n’a examiné les documents de M. Mahjoub. Je conclus également, au vu de la preuve, que les avocats du SRCR et le personnel de l’ASFC ne sont pas entrés à l’intérieur de la pièce 916 du ministère de la Justice à Toronto. Il s’ensuit qu’ils n’ont pas eu accès aux documents confidentiels de M. Mahjoub. Je conclus donc qu’aucune atteinte n’a été portée au droit de M. Mahjoub à un procès équitable du fait que la pièce 916 n’était pas verrouillée avant le 1er septembre 2011.

[134]   Monsieur Mahjoub exprime des réserves au sujet de la photocopie de certains documents tant dans les bureaux du ministère de la Justice qu’à l’extérieur et il exprime aussi des réserves au sujet du processus de séparation. Il s’inquiète du risque de manipulation des documents et du fait que d’autres personnes auraient pu avoir accès à ses documents confidentiels. Bien qu’il eût été préférable qu’aucune photocopie interne ou externe des documents ne soit effectuée, la preuve démontre que l’entreprise extérieure à laquelle on a recouru pour faire photocopier un nombre limité de documents plus volumineux était une entreprise cautionnée dont le ministère de la Justice avait déjà utilisé les services. La preuve établit également que l’assistante juridique qui s’est occupée de photocopier les documents à l’interne, Mme Schneider, avait reçu comme directives de s’assurer qu’un nombre suffisant de copies de certaines pièces soit fait pour le procès, conformément aux directives des avocats. Madame Schneider fait partie de l’équipe du contentieux des ministres et elle a expliqué dans son témoignage qu’elle n’avait pas examiné les documents. Dans ces conditions, j’estime qu’aucun préjudice n’a été causé à M. Mahjoub en raison de la photocopie de ses documents.

[135]   J’estime en outre que la procédure prescrite aux termes de l’ordonnance de la Cour du 4 octobre 2011 a été méticuleusement suivie par le protonotaire Aalto et que cette procédure n’a aucunement contribué à aggraver le préjudice que la prise de possession des documents aurait pu causer. Pour être clair, j’estime, vu l’ensemble de la preuve, qu’aucun préjudice n’a été causé à M. Mahjoub en raison du processus de séparation suivi par le protonotaire Aalto conformément à l’ordonnance judiciaire du 4 octobre 2011.

[136]   Je conclus, sur le fondement de l’ensemble de la preuve produite, que les ministres ont réfuté la présomption de préjudice. Une personne raisonnablement informée serait convaincue, dans les circonstances, qu’il n’y a aucun risque véritable que les documents confidentiels de M. Mahjoub qui se sont retrouvés en la possession des ministres soient utilisés à son détriment si l’instance devait se poursuivre. L’équité du procès n’est pas en cause.

(4)       La conduite des ministres traduit‑elle un comportement inéquitable ou vexatoire au point de contrevenir aux notions fondamentales de justice et de porter ainsi atteinte à l’intégrité du processus judiciaire? Dans l’affirmative, quelle est la réparation appropriée?

[137]   Après avoir conclu que les ministres ont réfuté la présomption que le droit de M. Mahjoub à un procès équitable serait compromis si l’instance devait se poursuivre, je passe maintenant à l’argument formulé par M. Mahjoub au sujet de l’abus de procédure. Monsieur Mahjoub soutient que, comme le secret professionnel de l’avocat constitue un élément clé de l’administration de la justice et que les ministres avaient en leur possession des renseignements confidentiels le concernant, la poursuite de l’instance aurait pour effet de ternir l’image de l’administration de la justice. En conséquence, M. Mahjoub affirme que la Cour devrait suspendre définitivement les procédures pour cause d’abus de procédure relevant de la catégorie résiduelle.

[138]   Monsieur Mahjoub affirme que, comme l’objectif sous‑jacent de la catégorie résiduelle de l’abus de procédure, c’est‑à‑dire l’intérêt public à long terme considéré dans une perspective sociétale prospective consistant à assurer la confiance de la société envers le système de justice, est le même que celui que vise le paragraphe 24(2) de la Charte, la Cour devrait adopter le critère utilisé dans les affaires relatives au paragraphe 24(2) de la Charte. Dans l’arrêt R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, la Cour suprême a énoncé le critère applicable en pareil cas au paragraphe 71 de sa décision :

Il ressort de la jurisprudence et de la doctrine qu’il faut, pour déterminer si l’utilisation d’un élément de preuve obtenue en violation de la Charte déconsidérerait l’administration de la justice, examiner trois questions tirant chacune leur origine des intérêts publics sous‑jacents au par. 24(2), considérés à long terme dans une perspective sociétale prospective. Ainsi, le tribunal saisi d’une demande d’exclusion fondée sur le par. 24(2) doit évaluer et mettre en balance l’effet que l’utilisation des éléments de preuve aurait sur la confiance de la société envers le système de justice en tenant compte de : (1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État (l’utilisation peut donner à penser que le système de justice tolère l’inconduite grave de la part de l’État), (2) l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte (l’utilisation peut donner à penser que les droits individuels ont peu de poids) et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. Le rôle du tribunal appelé à trancher une demande fondée sur le par. 24(2) consiste à procéder à une mise en balance de chacune de ces questions pour déterminer si, eu égard aux circonstances, l’utilisation d’éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Bien qu’elles ne recoupent pas exactement les catégories élaborées dans Collins, ces questions visent les facteurs pertinents pour trancher une demande fondée sur le par. 24(2), tels qu’ils ont été formulés dans Collins et dans la jurisprudence subséquente.

[139]   À mon avis, il n’est pas nécessaire d’adopter en l’espèce le critère posé dans l’arrêt Grant, précité. Dans l'arrêt R. c. Nixon, 2011 CSC 34, [2011] 2 R.C.S. 566, la Cour suprême a récemment donné quelques indications au sujet de la façon dont les tribunaux devaient traiter des cas relevant de la catégorie résiduelle de l’abus de procédure. Aux paragraphes 41 et 42 de sa décision, la Cour a écrit :

Dans la catégorie résiduelle de cas, l’atteinte aux droits de l’accusé est pertinente, mais non déterminante. Bien entendu, dans la plupart des cas, l’accusé n’établira le bien‑fondé de son allégation d’abus de procédure que s’il parvient à démontrer que la conduite du poursuivant lui a causé un certain préjudice. Cependant, en ce qui concerne cette catégorie de cas, il est préférable de concevoir le préjudice subi comme un acte tendant à miner les attentes de la société sur le plan de l’équité en matière d’administration de la justice. Les propos suivants de la juge L’Heureux‑Dubé dans R. c. Conway, [1989] 1 R.C.S. 1659, expriment bien le caractère essentiel de l’équilibre à atteindre en matière d’abus de procédure en ce qui concerne la catégorie résiduelle de cas :

Suivant la doctrine de l’abus de procédure, le traitement injuste ou oppressif d’un accusé prive le ministère public du droit de continuer les poursuites relatives à l’accusation. Les poursuites sont suspendues, non à la suite d’une décision sur le fond (voir Jewitt, précité, à la p. 148), mais parce qu’elles sont à ce point viciées que leur permettre de suivre leur cours compromettrait l’intégrité du tribunal. Cette doctrine est l’une des garanties destinées à assurer « que la répression du crime par la condamnation du coupable se fait d’une façon qui reflète nos valeurs fondamentales en tant que société » (Rothman c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 640, à la p. 689, le juge Lamer). C’est là reconnaître que les tribunaux doivent avoir le respect et le soutien de la collectivité pour que l’administration de la justice criminelle puisse adéquatement remplir sa fonction. Par conséquent, lorsque l’atteinte au franc‑jeu et à la décence est disproportionnée à l’intérêt de la société [de veiller à ce] que les infractions criminelles soient efficacement poursuivies, l’administration de la justice est mieux servie par l’arrêt des procédures. [Je souligne [souligné par le juge Charron]; p. 1667.]

Le critère à appliquer pour décider s’il y a lieu d’accorder une suspension de l’instance pour abus de procédure, peu importe qu’il y ait eu ou non atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable ou à l’intégrité du système de justice, est celui qui a été exposé dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, et R. c. Regan, 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297. Il ne conviendra d’ordonner la suspension de l’instance que lorsque les deux critères suivants seront remplis : « (1) le préjudice causé par l’abus en question sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou par son issue; (2) aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice » (Regan, par. 54, citant O’Connor, par. 75).

[141]   La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si les circonstances dans lesquelles les documents ont été saisis et amalgamés ont eu pour effet de miner les attentes de la société sur le plan de l’équité en matière d’administration de la justice au point où « la poursuite des procédures choquera le sens de la justice de la société » (Tobiass, précité, au paragraphe 91).

[142]   Monsieur Mahjoub soutient essentiellement que la conduite des ministres en l’espèce est injuste et qu’elle porte atteinte à l’intégrité de l’administration de la justice au point de miner l’intégrité du processus judiciaire. Il cite les faits suivants à l’appui de son argument :

a. les ministres ont saisi ses documents confidentiels;

b. les ministres ont amalgamé ses documents avec les leurs;

c. les ministres n’ont pas donné suite au courriel du 15 juillet 2011 qui avait été adressé à leur équipe pour les informer que tous les documents se trouvaient dans une seule salle de travail;

d. les ministres n’ont pas scellé les huit boîtes de documents divers après avoir appris que certains de ces documents pouvaient appartenir à M. Mahjoub;

e. les ministres ne l’ont pas informé dès le départ du fait que certains de ses documents avaient été photocopiés;

f. les ministres ne l’ont pas informé dès le départ du fait que des déménageurs étaient entrés dans la pièce 916 avec des boîtes appartenant à Amy Lambiris.

[143]   Les circonstances qui ont conduit à la saisie et à l’amalgame des documents de M. Mahjoub ont déjà été analysées dans les présents motifs. Compte tenu du dossier de la preuve, je suis parvenu à la conclusion que, bien que négligente, la conduite des ministres n’était pas intentionnelle et qu’elle n’a pas entaché l’équité de la procédure sous‑jacente.

[144]   Ainsi que la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Nixon, précité, le préjudice tel qu’on le conçoit dans la catégorie résiduelle de cas s’entend d’actes qui minent les attentes de la société sur le plan de l’équité en matière d’administration de la justice. Les privilèges en jeu dans la présente requête, en particulier les communications confidentielles échangées entre les avocats et le client, constituent un aspect central de l’administration de la justice dans un système fondé sur le principe du débat contradictoire. Le public a un intérêt à ce que l’intégrité des relations avocat‑client soit maintenue. La possession physique de documents confidentiels par la partie adverse est une question grave, qui, dans certaines circonstances, pourrait avoir des effets dévastateurs à long terme sur la confiance de la société envers l’administration de la justice. Malgré ma conclusion que la conduite des ministres n’a pas eu d’incidence sur l’équité de la procédure et qu’elle n’a pas causé de préjudice à M. Mahjoub, l’apparence d’équité du processus judiciaire revêt une importance capitale. À mon avis, les circonstances de l’espèce m’amènent à conclure que l’apparence d’équité a été compromise. En conséquence, j’estime qu’un abus de procédure relevant de la catégorie résiduelle a été commis en l’espèce.

[145]   À mon avis, il convient d’accorder une réparation pour faire en sorte que la conduite des ministres ne mine pas les attentes de la société envers l’administration de la justice. Nous n’avons pas affaire à une situation claire qui justifierait une suspension permanente des procédures. Une réparation moindre, sur laquelle nous reviendrons plus loin, peut être accordée en l’espèce pour faire en sorte que toute atteinte à l’apparence d’équité ne sera pas manifestée, perpétuée ou aggravée lors du déroulement de l’instance ou en raison de l’issue de la demande.

[146]   Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a jugé dans l’arrêt Nixon, précité, il est essentiel de chercher à atteindre un équilibre lorsqu’un abus de procédure relevant de la catégorie résiduelle de cas est commis. Pour ce faire, il faut soupeser les intérêts que servirait la suspension des procédures et l’intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond. Pour soupeser ces intérêts, j’ai tenu compte des facteurs suivants, en l’occurrence, les faits de l’espèce et la nature de l’instance, la situation de M. Mahjoub, la gravité de la conduite du ministre et ses incidences sur l’intégrité de l’administration de la justice, ainsi que l’intérêt que représente pour la société le prononcé d’un jugement définitif sur le fond. Pour l’essentiel, ces facteurs ont déjà été analysés dans les présents motifs. Il est d’un intérêt primordial pour la société que ces affaires soient tranchées sur le fond, tant pour la personne qui cherche à défendre sa réputation que pour les ministres, qui ont l’obligation de protéger la sécurité nationale du Canada (arrêt O’Connor, précité, au paragraphe 81; Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 482; Harkat (Re), 2010 CF 1243, décision infirmée pour d’autres motifs à 2012 CAF 122, [2012] 3 R.C.F. 635).

[147]   Après avoir examiné le dossier en l’espèce, je conclus que l’atteinte au franc jeu et à la décence causée par la saisie et par l’amalgame, par les ministres, des documents confidentiels de M. Mahjoub, n’est pas disproportionnée par rapport à l’intérêt de la société de faire en sorte que l’instance sous‑jacente se poursuive et qu’une décision définitive soit rendue sur le fond.

[148]   Dans ces conditions, pour écarter toute perception qui pourrait subsister et qui donnerait à penser que les avocats des ministres ont pris connaissance des documents confidentiels appartenant à M. Mahjoub et pour s’assurer de préserver la confiance du public dans le système de justice, je vais examiner la possibilité de retirer de façon permanente du dossier certains des membres de l’équipe Mahjoub. Pour ce faire, je m’inspire des six facteurs non exhaustifs dont il faut tenir compte pour déterminer dans quel cas il convient d’ordonner à des avocats de cesser d’occuper. Ces facteurs ont été proposés par la Cour suprême dans l’arrêt Celanese, et ont déjà été énoncés au paragraphe 81 des présents motifs. Je vais les examiner brièvement à tour de rôle.

[149]   En ce qui concerne le premier facteur, j’ai déjà examiné dans les présents motifs en détail la manière dont les ministres s’étaient emparés des documents de M. Mahjoub et les avaient amalgamés. Qu’il suffise de dire que les ministres sont entrés en possession des documents par suite d’une erreur involontaire commise par négligence par des membres de l’équipe Mahjoub.

[150]   En ce qui concerne le second facteur, après avoir reconnu qu’ils avaient en leur possession certains des documents de M. Mahjoub, les ministres ont mis à part huit boîtes contenant des documents divers dont on croyait que certaines contenaient des documents appartenant à M. Mahjoub. Les ministres ont apposé l’étiquette suivante sur ces boîtes [traduction] « À examiner par les avocats publics ». Toutefois, la pièce 916 n’a pas été scellée tout de suite. Comme les ministres l’ont par la suite découvert le 1er septembre 2011, des documents appartenant à M. Mahjoub en plus de ceux se trouvant dans les huit boîtes en question ont également été trouvés dans la pièce 916.

[151]   En ce qui concerne le troisième facteur, j’ai déjà tiré dans les présents motifs des conclusions au sujet de la mesure dans laquelle les documents privilégiés avaient été examinés. Bien que j’aie conclu que les membres de l’équipe Mahjoub n’ont pas pris connaissance des documents, certains membres de cette équipe avaient néanmoins accès à ces documents et les ont manipulés. Madame Schneider, qui était chargée de classer les documents, a passé plus d’une semaine à les trier. D’autres membres de l’équipe Mahjoub, y compris Mme Stewart Guthrie, M. Engel, Mme Dean et Mme Espejo‑Clarke, ont également manipulé, examiné et/ou feuilleté des documents qui appartenaient à M. Mahjoub et au nombre desquels se trouvaient probablement des documents confidentiels.

[152]   En ce qui concerne le quatrième facteur, je suis convaincu, sur la foi du rapport du protonotaire Aalto, que les ministres avaient en leur possession des documents confidentiels appartenant à M. Mahjoub préjudiciables à ce dernier.

[153]   En ce qui concerne le cinquième facteur, il ne restait que quatre témoins devant être appelés à comparaître pour le compte de M. Mahjoub lorsque les documents ont été pris. Comme l’avocat principal continuerait à être inscrit au dossier, il y a peu de raisons de craindre que certains des avocats de l’équipe Mahjoub soient forcés de se retirer de façon permanente à cette étape tardive de l’instance.

[154]   Quant au sixième facteur, j’ai déjà conclu que les murs éthiques qui ont été érigés ainsi que les mesures de précaution prises par les ministres étaient appropriés et efficaces dès qu’ils ont été mis en place. Aucune mesure de ce genre n’existait entre le 20 juillet 2011 et le 1er septembre 2011.

[155]   Après examen des facteurs susmentionnés, je vais ordonner, pour assurer la confiance du public dans l’administration de la justice, que les membres suivants de l’équipe Mahjoub qui ont eu accès aux documents de M. Mahjoub se retirent de façon permanente du dossier et qu’il leur soit interdit d’avoir accès aux documents ou renseignements se rapportant au dossier. Il leur sera par ailleurs interdit de discuter de tout renseignement concernant le dossier avec qui que ce soit ou de communiquer de tels renseignements à qui que ce soit :

1. Mme Stewart Guthrie;

2. Mme Krakowska;

3. Mme Rondeau;

4. Mme Goodyear;

5. Mme Lewicki;

6. Mme Schneider;

7. Mme Kaneira;

8. Mme Martins;

9. M. Engel;

10. Mme Dean;

11. Mme Espejo‑Clarke.

[156]   À mon avis, ordonner à ces personnes de l’équipe Mahjoub de se retirer du dossier constitue une réparation moindre qui est raisonnablement susceptible d’éviter le préjudice dont l’existence a été constatée en raison de l’abus de procédure commis en l’espèce et qui relève de la catégorie résiduelle. Une personne raisonnable informée de l’ensemble des circonstances serait convaincue que l’instance peut se poursuivre sans perte de confiance à l’égard de l’intégrité de l’administration de la justice.

VIOLATION DE L’ARTICLE 8 DE LA CHARTE

[157]   Dans ces conditions, je suis convaincu qu’en s’emparant des documents de M. Mahjoub, les ministres ont procédé à une « saisie » au sens de l’article 8 de la Charte.

[158]   J’ai déjà examiné dans les présents motifs les répercussions de la saisie des documents de M. Mahjoub par les ministres. Ainsi, je suis arrivé à la conclusion que la suspension permanente des procédures réclamée par M. Mahjoub n’est pas appropriée dans les circonstances. Comme je l’ai déjà expliqué, il est possible en l’espèce d’accorder une réparation moindre et c’est ce qui sera fait. Je suis néanmoins d’avis qu’il conviendrait que la Cour se penche sur la question de la violation des droits garantis à M. Mahjoub par l’article 8 de la Charte et sur les retards importants occasionnés par cette violation comme facteurs invoqués au soutien de la requête en abus de procédure de M. Mahjoub.

ORDONNANCE

LA COUR :

1. ACCUEILLE en partie la requête de M. Mahjoub;

2. ORDONNE aux membres suivants de l’équipe du contentieux des ministres de se retirer de façon permanente du dossier, leur INTERDIT de consulter quelque document ou renseignement que ce soit se rapportant au dossier ou de discuter de tout renseignement concernant le dossier avec qui que ce soit ou de communiquer de tels renseignements à qui que ce soit :

1. Mme Stewart Guthrie;

2. Mme Krakowska;

3. Mme Rondeau;

4. Mme Goodyear;

5. Mme Lewicki;

6. Mme Schneider;

7. Mme Kaneira;

8. Mme Martins;

9. M. Engel;

10. Mme Dean;

11. Mme Espejo‑Clarke.

3. REFUSE d’accorder les autres réparations sollicitées dans la requête.

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