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SCRS-10-07

2008 CF 301

Dans l’affaire d’une demande de mandats faite par ... en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23

et dans l’affaire visant le ...

Répertorié : Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re) (C.F.)

Cour fédérale, juge Blanchard—Ottawa, 24 et 27 avril; 14 juin 2007.

    Renseignement de sécurité — Demande présentée en vertu des art. 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité en vue d’obtenir un mandat qui avait trait à des méthodes d’enquêtes menées à l’extérieur du Canada — L’art. 21(3) de la Loi précise que le juge peut, sous réserve de certaines conditions, décerner un mandat aux fins qui y sont indiquées — La Loi ne donne pas expressément au Service une mission extraterritoriale d’utiliser des méthodes d’enquêtes s’apparentant à celles qui seraient autorisées par le mandat — L’inférence n’était pas suffisamment manifeste pour permettre de conclure que le Service avait une mission claire de mener les activités qu’il visait à faire autoriser dans le mandat dans d’autres pays que le Canada et que la Cour fédérale avait compétence pour autoriser ce genre d’activités — Demande rejetée.

    Droit constitutionnel — Charte des droits — Fouilles, perquisitions ou saisies abusives — Demande présentée en vertu des art. 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité en vue d’obtenir un mandat qui avait trait à des méthodes d’enquêtes menées à l’extérieur du Canada — La Charte est sujette aux mêmes limites d’application que les autres textes législatifs du pays et le droit canadien n’est pas susceptible d’application sur le territoire d’un autre État sans le consentement de cet État — Les pouvoirs conférés par le mandat visaient des activités qui relèvent de la compétence d’exécution ou d’enquête de l’État canadien — En l’absence de consentement, le droit canadien ne peut s’appliquer à de telles méthodes d’enquêtes menées sur le territoire d’un autre État — Par conséquent, l’art. 8 de la Charte était inapplicable.

    Interprétation des lois — Demande présentée en vertu des art. 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité en vue d’obtenir un mandat qui avait trait à des méthodes d’enquêtes menées à l’extérieur du Canada — Les normes et les valeurs de droit international sont pertinentes dans l’interprétation du droit interne — L’arrêt R. c. Hape, a confirmé le principe selon lequel une loi est réputée conforme au droit international et les règles du droit international coutumier sont directement incorporées au droit interne canadien, sauf disposition législative expressément contraire — Les « principes coutumiers contraignants [. . .] du droit international » interdisent de porter atteinte à la souveraineté d’un autre État et de s’immiscer dans ses affaires intérieures — Les activités envisagées dans le mandat demandé contrevenaient clairement aux principes de l’égalité souveraine et de la non-intervention — Les activités étaient susceptibles de violer les lois du ressort où elles devaient être menées — Les dispositions applicables de la Loi ne pouvaient pas être interprétées de façon à habiliter la Cour à décerner le mandat demandé.

    Droit international — Demande présentée en vertu des art. 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité en vue d’obtenir un mandat qui avait trait à des méthodes d’enquêtes menées à l’extérieur du Canada — Le droit international reconnaît la compétence extraterritoriale normative, d’exécution ou juridictionnelle et il lui impose des limites strictes fondées sur les principes de l’égalité souveraine, de la non-intervention et de la territorialité.

    Compétence de la Cour fédérale — Demande présentée en vertu des art. 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité en vue d’obtenir un mandat qui avait trait à des méthodes d’enquêtes menées à l’extérieur du Canada — Comme le texte législatif est présumé être conforme au droit international, les dispositions applicables n’habilitaient pas la Cour à décerner le mandat en l’absence d’un texte législatif autorisant la Cour à décerner un mandat extraterritorial.

      Il s’agissait d’une demande présentée en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (la Loi) en vue d’obtenir un mandat relativement à 10 personnes. Les pouvoirs conférés par mandat que l’on cherchait à obtenir avaient trait à des méthodes d’enquêtes menées dans d’autres pays que le Canada. Toutes les personnes visées, sauf une, sont des citoyens canadiens, des résidents permanents ou des réfugiés et sont actuellement nommées dans des mandats concernant une enquête que le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS ou le Service) mène au Canada. Les pouvoirs conférés par mandat que l’on cherchait à obtenir visaient essentiellement la collecte d’informations et de renseignements.  La principale allégation du SCRS précisait que le mandat sollicité était requis pour s’assurer que les agents canadiens chargés d’exécuter le mandat à l’étranger le feraient conformément au droit canadien, puisque les investigations contestées peuvent, en l’absence d’un mandat, violer la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et contrevenir au Code criminel du Canada (le Code). Depuis le dépôt de la demande en l’espèce, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’arrêt R. c. Hape, qui porte sur des enquêtes de sécurité et le droit international. Les questions litigieuses en l’espèce étaient celles de savoir si 1) la Cour fédérale a compétence pour décerner le mandat demandé; et 2) le Code et la Charte s’appliquent aux activités du Service et à ses agents lorsqu’ils entreprennent des enquêtes sur des activités menaçantes dans un autre pays que le Canada.

      Jugement : la demande doit être rejetée.

      1) L’article 12 donne un aperçu de la mission du SCRS et prévoit que celui-ci recueille, au moyen d’enquêtes ou autrement, des informations sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada. Le rôle de la Cour en ce qui concerne la délivrance de mandats est énoncé à l’article 21 de la Loi. Le directeur du Service peut, avec l’approbation du ministre, demander à la Cour de décerner un mandat s’il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service d’enquêter sur des menaces envers la sécurité du Canada ou d’exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l’article 16. Le paragraphe 21(2) de la Loi précise les informations devant être fournies lors d’une demande de mandat alors que le paragraphe 21(3) précise que le juge peut, sous réserve de certaines conditions, décerner un mandat aux fins qui y sont indiquées. La Loi ne donne pas expressément au Service une mission extraterritoriale d’utiliser des méthodes d’enquêtes s’apparentant à celles qui seraient autorisées par le mandat. L’article 21 de la Loi ne contient pas non plus aucune disposition expresse conférant à la Cour le pouvoir d’autoriser de telles activités extraterritoriales. Les articles 12 et 21 sont tous deux silencieux sur la question de la territorialité. Des facteurs comme la limite territoriale expresse prévue à l’article 16, qui prévoit la collecte d’informations sur les États étrangers et les personnes « dans les limites du Canada », l’absence de limite ou de référence territoriales expresses dans les articles 12 et 21 et la définition de « menaces envers la sécurité du Canada » que l’on trouve à l’article 2 ont été pris en considération pour interpréter les dispositions législatives applicables. Bien que le libellé du texte législatif puisse permettre de tirer une inférence relativement à une mission donnée au Service de mener certaines activités à l’extérieur du territoire national, cette inférence n’était pas suffisamment manifeste pour permettre de conclure que le Service avait une mission claire de mener les activités qu’il visait à faire autoriser dans le mandat, et ce, dans d’autres pays que le Canada et que la Cour avait compétence pour autoriser ce genre d’activités. Par suite de l’examen de facteurs extra-textuels comme l’origine du texte, les éléments de preuve restreints ne démontraient pas une intention claire du législateur quant à la portée extraterritoriale des activités du Service et, en particulier, concernant le rôle de la Cour dans l’autorisation de telles activités.

      Il faut prendre en considération les principes du droit international lors de l’interprétation des dispositions législatives applicables dans le cas de l’utilisation de méthodes d’enquête dans d’autres pays que le Canada. Les normes et les valeurs du droit international sont pertinentes dans l’interprétation du droit interne. Dans l’arrêt Hape, la Cour suprême a confirmé le principe d’interprétation législative bien établi selon lequel une loi est réputée conforme au droit international. Cette décision précise aussi que les règles du droit international coutumier sont directement incorporées au droit interne canadien, sauf disposition législative expressément contraire. En outre, elle indique que « la Constitution autorise clairement » le Parlement à adopter des lois de portée extraterritoriale et que l’application de ce pouvoir est éclairée par les « principes coutumiers [. . .] du droit international », qui interdisent de porter atteinte à la souveraineté d’un autre État et de s’immiscer dans ses affaires intérieures. Les activités comportant intrusion envisagées dans le mandat demandé sont des activités qui contreviennent clairement aux principes susmentionnés de l’égalité souveraine et de la non-intervention et sont susceptibles de violer les lois du ressort où elles doivent être menées. En autorisant de telles activités, le mandat se trouverait dès lors à autoriser des activités qui sont incompatibles avec les principes coutumiers contraignants de l’égalité souveraine et de la non-intervention, ainsi qu’avec la courtoisie entre les nations, et qui sont susceptibles d’y contrevenir. Ces règles prohibitives du droit international coutumier ont évolué pour protéger la souveraineté des États contre l’ingérence de la part des autres États. Le droit international reconnaît la compétence extraterritoriale normative, d’exécution ou juridictionnelle et il lui impose des limites strictes fondées sur les principes de l’égalité souveraine, de la non-intervention et de la territorialité. Les dispositions applicables de la Loi ne pouvaient pas être interprétées de façon à habiliter la Cour à décerner le mandat demandé en l’absence d’un texte législatif autorisant la Cour à décerner un mandat extraterritorial.

      2) Bien que la Charte serve d’instrument constitutionnel pour enchâsser des droits, elle ne dote d’aucun pouvoir. Dans l’arrêt Hape, la Cour suprême du Canada a confirmé que la Charte demeure sujette aux mêmes limites d’application que les autres textes législatifs du pays et a conclu que le droit canadien n’est pas susceptible d’application sur le territoire d’un autre État sans le consentement de cet État. La décision prononcée dans l’arrêt Hape exprime l’état actuel du droit canadien quant à son applicabilité, y compris la Charte, dans des affaires soulevant la compétence d’enquête extraterritoriale du Canada. L’arrêt Hape décrit la compétence normative, la compétence d’exécution ou d’enquête et la compétence juridictionnelle de l’État et opère une distinction à leur égard. Bien que les pouvoirs conférés par mandat que l’on cherchait à obtenir en l’espèce puissent ne pas viser l’exécution en soi, ils concernaient bel et bien des activités qui visaient la collecte d’informations « au moyen d’enquêtes ou autrement », activités qui relèvent clairement de la compétence d’« exécution » ou d’« enquête » de l’État canadien. Par conséquent, ces activités qui sont exercées dans un État étranger porteraient atteinte à la souveraineté territoriale de cet État. En l’absence de consentement, le droit canadien, plus particulièrement en ce qui concerne la « compétence d’enquête », ne peut s’appliquer à de telles méthodes d’enquêtes menées sur le territoire d’un autre État. Il s’ensuit donc que l’article 8 de la Charte, qui protège contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, ne pouvait s’appliquer. Lorsque le Parlement a choisi de prévoir l’application du droit canadien à des événements se produisant à l’extérieur du territoire national, il l’a fait d’une manière expresse.  Une exigence de clarté plus rigoureuse de la part du Parlement découle de circonstances où la loi vise à prévoir des activités qui, selon toute vraisemblance, contreviendraient aux principes contraignants du droit international coutumier, qui sont incorporés dans le droit canadien.

    lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 8, 32.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 7(2)a) (mod. par L.C. 1993, ch. 7, art. 1), 46(3)a), 57(1)a), 74(2), 465(4) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 61).

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art.  2 « menaces envers la sécurité du Canada » (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 89), 12, 16 (mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25; 2001, ch. 27, art. 224), 17 (mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25), 21.

    jurisprudence citée

décision appliquée :

R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292; 2007 CSC 26.

décisions examinées :

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re), [2008] 3 R.C.F. 477; 2008 CF 300; R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562; R. c. Cook, [1998] 2 R.C.S. 597; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27.

décisions citées :

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; 2002 CSC 1; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45; 2001 CSC 2; 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), [2001] 2 R.C.S. 241; 2001 CSC 40.

    doctrine citée

Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la justice et des questions juridiques. Procès-verbaux et témoignages, fascicule no 9 (2 avril 1984).

Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Deuxième rapport : La liberté et la sécurité devant la loi, vol. 1. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981.

Cassesse, Antonio. International Law, 2e  éd. Oxford: Oxford University Press, 2005.

Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. Toronto : Butterworths, 2002.

    DEMANDE présentée en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité pour obtenir un mandat dont les pouvoirs avaient trait à des méthodes d’enquêtes menées dans d’autres pays que le Canada relativement à 10 personnes. Demande rejetée.

    ont comparu :

Isabelle Chartier pour le Service canadien du renseignement de sécurité.

Ronald Atkey en qualité d’amicus curiae.

    avocats inscrits au dossier :

Le sous-procureur général du Canada.

    Voici les motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus en français par

[1]     Le juge Blanchard : Il s’agit d’une demande présentée en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23 (la Loi), qui vise à obtenir un mandat relativement à 10 personnes. Les pouvoirs conférés par mandat que l’on cherche à obtenir ont trait à des méthodes d’enquêtes menées dans d’autres pays que le Canada. Les personnes visées par l’enquête sont actuellement nommées dans certains mandats que j’ai accordés le 25 avril 2007, dans le cadre de la demande SCRS-10-07, concernant l’enquête du Service canadien du renseignement de sécurité (le Service ou le SCRS) relative au [partie expurgée par ordonnance de la Cour]. Les mandats décernés en avril concernent les méthodes d’enquêtes menées au Canada et sont valides pour une période d’un an, soit du 1er mai 2007 au 30 avril 2008. Toutes les personnes visées par l’enquête, sauf une, sont des citoyens canadiens, des résidents permanents ou des réfugiés. Quant à l’autre, il s’agit d’un étranger [partie expurgée par ordonnance de la Cour].

[2]     Au moment où j’ai décerné les mandats le 25 avril 2007, j’étais convaincu de l’existence de faits mentionnés aux alinéas 21(2)a) et b) de la Loi, selon les informations fournies dans l’affidavit de [partie expurgée par ordonnance de la Cour] souscrit le 19 avril 2007 à l’appui de la demande. La seule question qui reste à trancher, et qui sera examinée dans les présents motifs, est celle de savoir si la Cour peut décerner le mandat extraterritorial demandé.

[3]     Au moment où j’ai décerné les premiers mandats dans le cadre de la demande SCRS-10-07, je n’étais pas prêt, sans autre considération, à autoriser le Service à utiliser des méthodes d’enquêtes à l’extérieur du Canada, comme on me l’a demandé. À cette fin, j’ai nommé Me Ron Atkey, c.r., pour qu’il agisse en qualité d’amicus curiae (l’amicus) dans le cadre de la demande et j’ai demandé que le Service et l’amicus déposent leurs observations écrites pour traiter d’abord de la question de savoir si le Service a pour mission d’entreprendre des enquêtes sur des activités susceptibles de constituer des menaces à l’extérieur du Canada et ensuite de celle de savoir si la Cour fédérale a compétence pour décerner le mandat demandé.

[4]     Après avoir examiné les observations écrites déposées ainsi que la jurisprudence pertinente, et après avoir entendu l’avocate du Service de même que l’amicus au cours d’une audience tenue à huis clos en l’absence d’une partie, le 19 juin 2007, j’ai décidé que d’autres observations étaient nécessaires de la part du Service et de l’amicus. Depuis le dépôt de la demande dans le présent dossier, la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292, le 7 juin 2007. Après avoir examiné cet arrêt, j’ai pensé qu’il serait utile de solliciter d’autres observations écrites et, par conséquent, j’ai enjoint le Service et l’amicus de répondre aux questions suivantes :

[traduction]

i) Quel est le fondement permettant à la Cour de décerner un mandat qui, sans conteste, ne serait pas exécutable à l’extérieur du Canada et qui serait susceptible de mettre en jeu l’autorisation relative à une activité illégale dans l’État d’accueil? Plus précisément, quel but vise-t-on en sollicitant un tel mandat?

ii) En outre, si une telle intention du législateur peut être établie et si, aux termes de l’article 21 de la Loi, cela peut être interprété comme conférant à la Cour le pouvoir de décerner de tels mandats extraterritoriaux, la Cour devrait-elle procéder à la délivrance de tels mandats, lesquels ne seraient pas exécutables à l’extérieur du Canada et seraient susceptibles de mettre en jeu l’autorisation relative à une activité illégale dans l’État d’accueil?

[5]     Le Service et l’amicus ont tous les deux déposé des observations supplémentaires que j’ai prises en considération avant de rendre ma décision sur la demande.

La question préliminaire

[6]     En juin 2005, le Service a déposé la demande SCRS-18-05 [Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re), [2008] 3 R.C.F. 477 (C.F.)]  une demande visant l’obtention d’un mandat en vertu des articles 12 et 21 de la Loi, laquelle soulevait la même question de droit que la présente demande.

[7]     Mon collègue, le juge Simon Noël, qui a été saisi de l’affaire, avait nommé Me Ron Atkey, c.r., pour qu’il agisse en qualité d’amicus dans le cadre de cette instance. Le juge Noël a soulevé une question préliminaire qui était de savoir si la question de droit pourrait être abordée au cours d’une audience publique. Après avoir reçu des observations orales et écrites sur la question de la part de l’avocat du procureur général du Canada et de l’amicus, le juge a conclu que l’audition de la demande devrait se dérouler à huis clos. Les motifs détaillés de cette décision ont été déposés, mais n’ont pas encore été rendus publics.

[8]     Le 23 août 2006, l’avocat du procureur général du Canada a déposé un avis de désistement relativement à la demande SCRS-18-05.

[9]     Après le dépôt de la présente demande, la Cour est saisie des mêmes questions d’ordre juridique concernant les mandats extraterritoriaux que celles soulevées dans le cadre de la demande SCRS-18-05. J’ai soulevé la question de savoir si la question de droit pourrait être abordée au cours d’une audience publique. L’amicus et l’avocate du procureur général du Canada étaient tous les deux d’avis que la question avait été décidée par le juge Noël et ils se sont contentés d’accepter le fait que sa décision tranchait la question aux fins de la présente demande.

[10]     J’ai examiné les motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance du juge Noël dans la demande SCRS-18-05. Je souscris à sa décision et aux motifs qui la sous-tendent. Par conséquent, je suis également d’avis que l’audition de la présente demande doit se dérouler à huis clos.

[11]     J’aborde maintenant les questions de fond soulevées dans le cadre de la présente demande.

Les questions en litige

[12]     À mon avis, la présente demande soulève les questions suivantes :

A) La Cour fédérale a-t-elle compétence pour décerner le mandat demandé?

B) Le Service a-t-il comme mission d’entreprendre des enquêtes sur les activités susceptibles de constituer des menaces dans un autre pays que le Canada?

C) Le Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 (le Code), du Canada et la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,  Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte), s’appliquent-ils aux activités du Service et à ses agents lorsqu’ils entreprennent des enquêtes sur les activités menaçantes dans un autre pays que le Canada?

D) Le Centre de la sécurité des télécommunications Canada (le CSTC) peut-il aider à l’exécution du mandat demandé par le Service?

[13]     Après mûre réflexion, je conclus, pour les motifs exposés ci-dessous, qu’il faut répondre par la négative à la première question. Il n’est donc pas nécessaire d’aborder les autres questions soulevées. Je vais néanmoins examiner la troisième question énoncée, puisque cela constitue l’élément central des observations que le Service a formulées à la Cour.

Le mandat demandé

[14]     Le Service vise à obtenir un mandat autorisant le directeur du Service (le directeur) et toute personne relevant de lui à intercepter toute télécommunication destinée à ou en provenance des personnes visées par l’enquête, à obtenir toute information ou tout document concernant les cibles [partie expurgée par ordonnance de la Cour].

[15]     Le Service demande en outre que le mandat prévoie qu’il peut être exécuté : [partie expurgée par ordonnance de la Cour].

[16]     Enfin, le mandat demandé prévoirait que, pour les fins susmentionnées, le Service et ses agents peuvent : i) installer, entretenir ou enlever tout objet; [partie expurgée par ordonnance de la Cour]; ii) installer, entretenir ou enlever tout objet [partie expurgée par ordonnance de la Cour] d’obtenir l’accès aux informations, les rechercher, les examiner, en tirer des extraits, en faire des copies ou les enregistrer autrement; iii) installer, entretenir ou enlever tout objet [partie expurgée par ordonnance de la Cour] d’obtenir l’accès aux informations, les rechercher, les examiner, en tirer des extraits, en faire des copies ou les enregistrer autrement.

A. La Cour fédérale a-t-elle compétence pour décerner le mandat demandé?

[17]     Avant de commencer mon analyse, je me propose d’examiner le cadre législatif applicable à la délivrance de mandats aux termes de la Loi, ainsi que les positions respectives du Service et de l’amicus sur cette question.

[18]     L’article 12 de la Loi donne un aperçu de la mission du Service et prévoit qu’il recueille, « au moyen d’enquêtes ou autrement », dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada. On exige également que le Service fasse rapport au gouvernement et le conseille à l’égard de ces activités. L’expression « menaces envers la sécurité du Canada » [mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 89] est définie à l’article 2 de la Loi et comprend « les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage [. . .] de menaces » (non souligné dans l’original).

[19]     Le rôle de la Cour en ce qui concerne la délivrance de mandats est énoncé à l’article 21 de la Loi. Le directeur du Service peut, avec l’approbation du ministre, demander à la Cour de décerner un mandat s’il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service d’enquêter sur des menaces envers la sécurité du Canada ou d’exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l’article 16 [mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25; 2001, ch. 27, art. 224]. Le paragraphe 21(2) de la Loi précise les informations devant être fournies lors d’une demande de mandat. Le paragraphe 21(3) prévoit que « [p]ar dérogation à toute autre règle de droit mais sous réserve de la Loi sur les statistiques », lorsqu’il est convaincu que les exigences du paragraphe 21(2) ont été satisfaites, un juge peut décerner un mandat aux fins suivantes :

    21. (1) [. . .]

    (3) [. . .]

         a) l’accès à un lieu ou un objet ou l’ouverture d’un objet;

         b) la recherche, l’enlèvement ou la remise en place de tout document ou objet, leur examen, le prélèvement des informations qui s’y trouvent, ainsi que leur enregistrement et l’établissement de copies ou d’extraits par tout procédé;

         c) l’installation, l’entretien et l’enlèvement d’objets. [Non souligné dans l’original.]

[20]     Le paragraphe 21(4) exige ce qui suit soit inclus dans le mandat : les catégories de communications dont on autorise l’interception, ainsi que les catégories d’informations, de documents ou d’objets dont on autorise l’acquisition; les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat; une description générale du lieu ou le mandat peut être exécuté; les autres conditions que le juge estime indiquées dans l’intérêt public.

[21]     Le texte complet des dispositions de la Loi susmentionnées et d’autres dispositions pertinentes est reproduit et joint aux présents motifs à titre d’annexe A.

La position du Service et celle de l’amicus

[22]     Le Service prétend que les autorisations demandées ont pour but de lui permettre de remplir sa mission aux termes de l’article 12 de la Loi. Cet article diffère de l’article 16, lequel restreint la collecte par le Service de  « renseignements » étrangers , et ce, « dans les limites du Canada ». Le Service soutient que le législateur, en n’imposant pas la même limite territoriale dans l’article 12 que celle de l’article 16, doit avoir eu l’intention de donner à la mission de l’article 12 une portée extraterritoriale.

[23]     Le Service prétend en outre que le mandat est nécessaire pour s’assurer que les agents canadiens s’occupant de l’exécution du mandat à l’étranger le font en conformité avec le droit canadien. Le Service maintient que le mandat est nécessaire pour que des activités qui, sans le mandat, peuvent violer la Charte et contrevenir au Code soient autorisées par les tribunaux. Il en est ainsi parce que les pouvoirs conférés par mandat dont on demande l’autorisation visent des Canadiens et on peut soutenir qu’ils pourraient avoir une incidence sur leurs attentes en matière de vie privée. Le Service fait valoir que le mandat lui permettrait d’exercer ses fonctions en supprimant les entraves d’ordre juridique à la conduite d’une partie de ses enquêtes de sécurité à l’extérieur du Canada, qu’il respecterait la règle de droit et qu’il serait compatible avec le régime de contrôle judiciaire prescrit par la partie II de la Loi.

[24]     Le Service soutient que la portée de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Hape, précité, n’est pas claire, et ce, en particulier quant à la question de savoir si la décision était censée s’appliquer à la conduite d’enquêtes de sécurité à l’extérieur du Canada lorsque ces enquêtes impliquent des personnes ayant des liens réels et important au Canada, comme en l’espèce.

[25]     Plus particulièrement, le Service soutient que la décision dans l’arrêt Hape, précité, ne signifie pas, de manière générale, qu’en l’absence de consentement d’un État étranger ou d’un principe de droit international, comme cela a été envisagé par la Cour suprême du Canada, la Charte ne s’applique pas à toutes les fouilles, les perquisitions et les saisies effectuées dans un État étranger par des policiers canadiens. Il prétend plutôt que l’arrêt Hape était fondé sur les faits de cette affaire et les principes de droit international en jeu dans la lutte contre les activités criminelles transnationales, ce qui comprend la coopération internationale et la courtoisie entre les États. On fait valoir que, en l’espèce, ce sont des principes différents qui s’appliquent. Dans les affaires de sécurité nationale, l’État se réserve toujours le droit de « faire cavalier seul ». Le pouvoir d’un État d’enquêter sur les menaces envers sa sécurité nationale, quels que soient les moyens jugés appropriés par l’État, ne peut jamais être tributaire de l’obtention préalable du consentement d’un autre État, que ce soit l’État impliqué dans la menace ou l’État où peut se trouver une personne impliquée dans la menace.

[26]     Dans la mesure où la portée de l’arrêt Hape n’est pas claire, le Service fait valoir qu’il est possible que les enquêtes de sécurité à l’extérieur du Canada soulèvent des questions relatives à la Charte lorsque ces enquêtes concernent des personnes ayant des liens réels et important au Canada, comme en l’espèce. Le Service soutient que dans l’arrêt Hape, les juges majoritaires n’ont pas, soit expressément ou par déduction nécessaire, exclu la possibilité d’examiner l’application de la Charte dans le contexte des enquêtes de sécurité à l’extérieur du Canada.

[27]     Le Service soutient en outre que la pratique internationale coutumière, pour ce qui est des opérations de collecte de renseignements dans un État étranger, constitue un principe dominant de droit international qui justifie une conclusion selon laquelle la Charte était censée s’appliquer, et s’applique bel et bien, aux enquêtes de sécurité à l’extérieur du Canada. Le Service, cependant, n’a pas produit de preuve ni de jurisprudence à l’appui de cet argument.

[28]     Le Service prétend également que l’applicabilité d’un mandat dans un État étranger ou la légalité de la conduite d’une enquête dans un État étranger n’a rien à voir avec la délivrance d’un mandat en vertu de l’article 21 de la Loi. Le Service fait observer que le paragraphe 21(3) de la Loi autorise la Cour à décerner des mandats « [p]ar dérogation à toute autre règle de droit mais sous réserve de la Loi sur la statistique ». On affirme que l’expression « toute autre règle de droit » comprend le droit international. À l’appui de cette assertion, le Service cite le passage suivant tiré des motifs secrets que le juge Heald a prononcés le 27 décembre 1984, dans le cadre de la demande SCRS 4-84 :

[traduction] Le paragraphe 21(3) autorise la Cour à décerner des mandats sous son régime « [p]ar dérogation à toute autre règle de droit mais sous réserve de la Loi sur la statistique,
[. . .] » La portée de la formulation utilisée est claire. Il est incontestable que cela confère une suprématie sur toute règle de droit, y compris le droit international coutumier existant, sous la seule réserve d’une loi, à savoir la Loi sur la statistique. Je crois que c’est clair comme de l’eau de roche et qu’il ne fait aucun doute que le législateur a exprimé une intention non équivoque dans la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité de conférer au directeur les pouvoirs qui s’y trouvent pour assurer la sécurité du Canada, par dérogation aux principes du droit international coutumier.

Je fais remarquer que la décision du juge Heald avait été rendue dans un contexte factuel tout à fait différent. [Partie expurgée par ordonnance de la Cour]. Les circonstances en l’espèce sont nettement différentes.

[29]     Le Service adopte la position qu’il ne s’agit pas de demander à la Cour d’autoriser une violation du droit étranger, même s’il reconnaît que les activités devant être autorisées par le mandat sont susceptibles de constituer une violation du droit étranger. Il reconnaît également que la Cour fédérale n’a pas compétence pour autoriser de telles activités sur le sol étranger et que le mandat demandé dans la présente demande n’est pas « exécutable » dans le ressort étranger.

[30]     Le Service soutient que le système législatif existant aux termes de la Loi donne à la Cour le pouvoir nécessaire de décerner de tels mandats. Le paragraphe 21(3) de la Loi prévoit que, lorsqu’il est convaincu que les conditions énoncées au paragraphe 21(2) sont satisfaites, le juge peut décerner un mandat autorisant certaines investigations. Puisque les dispositions habilitantes n’ont aucune limite territoriale, le Service maintient qu’un juge de la Cour a compétence pour décerner le mandat.

[31]     L’amicus souscrit à l’assertion formulée par l’avocat du Service selon laquelle il n’existe aucune limite territoriale concernant les activités du SCRS en ce qui a trait à la cueillette, à l’analyse et à la conservation d’informations au sujet des menaces envers la sécurité du Canada, tel que cela est énoncé à l’article 12 de la Loi. Selon l’amicus, il s’ensuit que toute demande de mandat en vertu de l’article 21 de la Loi, qui vise à « permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada », peut s’étendre aux méthodes d’enquêtes du SCRS à l’extérieur du Canada. Toutefois, l’amicus a adopté la position selon laquelle, compte tenu de l’état actuel du droit, le Service ne pourrait pas exécuter un mandat obtenu en vertu de l’article 21 de la Loi et exercer ses pouvoirs de cueillette d’informations dans un autre pays, à moins qu’il ait obtenu la permission du pays où les cibles des mandats résident ou qu’il ait été partie à un traité ou à une entente englobant l’exercice de ses pouvoirs dans cet autre pays. L’amicus prétend qu’en l’absence d’une telle permission ou d’un tel traité, le Service violerait le droit international si ses agents se rendaient dans un autre pays pour exécuter un mandat décerné en vertu de l’article 21 de la Loi et interceptaient des communications. L’amicus a attiré notre attention sur l’article 17 [mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25] de la Loi, lequel permet au Service, avec l’approbation du ministre, de conclure des ententes de coopération avec des États étrangers dans l’exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la Loi. Aucune entente de ce genre n’a été déposée en preuve relativement aux méthodes d’enquêtes envisagées à l’étranger et comprises dans la demande de mandat.

[32]     Dans ses premières observations écrites, l’amicus cite à l’appui de ses arguments les arrêts suivants de la Cour suprême du Canada.

[33]    R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562, est cité concernant l’assertion selon laquelle l’article 32 de la Charte limite son application aux affaires relevant des corps législatifs des gouvernements du Canada et des provinces. La Charte ne s’applique donc pas dans les pays étrangers.

[34]     L’amicus cite R. c. Cook, [1998] 2 R.C.S. 597, au sujet de l’assertion selon laquelle, si un pays permettait au Canada de faire appliquer ses lois sur le territoire de ce pays à des fins limitées, la Charte s’appliquerait. Dans l’arrêt Cook, la Cour suprême du Canada a conclu que, malgré le fait qu’en droit international, l’application extraterritoriale des lois nationales soit interdite de manière générale, la Charte peut, dans de rares circonstances, s’appliquer au-delà des frontières du Canada. La Cour a conclu qu’il s’agit de cas où «  l’acte reproché est visé par le par. 32(1) de la Charte en raison de la nationalité des autorités policières de l’État qui participent aux actes du gouvernement, et où l’application des normes imposées par la Charte n’entre pas en conflit avec la compétence territoriale concurrente de l’État étranger » (voir Cook, au paragraphe 48).

Analyse

[35]     Dans les observations qu’il a formulées à la Cour, le Service parle de [traduction] l’« applicabilité » (enforceability) du mandat. Il s’agit d’un libellé peu judicieux ou susceptible d’engendrer de la confusion. Contrairement aux lois qui sont appliquées, les mandats sont exécutés. Les pouvoirs conférés par mandat que l’on cherche à obtenir visent essentiellement la collecte d’informations et de renseignements. Tous les intéressés reconnaissent que, bien que de tels mandats puissent être décernés au Canada, la Cour n’a aucune compétence en ce qui a trait à l’exécution du mandat dans un pays étranger. Ce qui importe, aux fins des présents motifs, c’est la question de savoir si la Cour a le pouvoir de décerner le mandat pour des méthodes d’enquêtes qu’on envisage d’employer dans un pays étranger. La réponse doit se trouver dans la loi habilitante, un point que je vais maintenant examiner.

[36]     Le Service prétend, sur le fondement de son argumentation que j’ai résumée aux paragraphes 22, 27 et 28 ci-dessus, que l’exercice de sa mission aux termes de l’article 12 n’est pas limité au territoire canadien et que, par conséquent, le pouvoir de surveillance de la Cour relatif aux mandats, aux termes de l’article 21 de la Loi, s’étend à l’extérieur du territoire national. Il en découle, selon le Service, que la Cour a le pouvoir, en vertu de l’article 21 de la Loi, de décerné le mandat demandé.

[37]    La Loi ne donne pas expressément au Service une mission extraterritoriale d’utiliser des méthodes d’enquêtes s’apparentant à celles qui seraient autorisées par le mandat. L’article 21 de la Loi qui prévoit pour la Cour un pouvoir de surveillance relatif aux mandats, ne contient non plus aucune disposition expresse conférant à la Cour le pouvoir d’autoriser de telles activités extraterritoriales. Les articles 12 et 21 sont tous les deux silencieux sur la question de la territorialité. La question à trancher est de savoir si, en l’absence d’un pouvoir conféré par une loi permettant au Service d’exercer les activités extraterritoriales en cause, la Cour a compétence pour décerner un mandat autorisant des activités extraterritoriales. Pour répondre à cette question, je vais me pencher sur les principes établis relatifs à l’interprétation législative.

[38]     Dans le but d’interpréter les dispositions applicables qui nous concernent, il est utile d’examiner le principe moderne d’interprétation législative, tel qu’il est exprimé par le professeur Driedger dans l’ouvrage Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd., Toronto :  Butterworths, 2002, aux pages 1 et 10, qui précise qu’il [traduction] « faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ». Ce principe est souvent cité et appliqué par les tribunaux canadiens. Dans l’arrêt Rizzo and Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il s’agissait de la méthode qu’elle privilégiait. Le principe moderne nous guide lorsqu’il s’agit de déterminer si le sens d’un texte législatif est évident ou ambigu. Si le sens du texte est évident, une preuve extratextuelle de l’intention du législateur, telle que l’origine du texte et le droit international, sera alors inadmissible pour contredire ce sens évident. Si toutefois, le texte est ambigu ou a un sens incertain, des facteurs extratextuels peuvent alors être pris en compte dans l’interprétation du texte législatif. La question à trancher en l’espèce est de savoir si on peut inférer du sens évident des dispositions applicables, lues dans leur contexte global, que la Cour a compétence pour décerner le mandat demandé.

[39]     Pour interpréter les dispositions législatives applicables, j’ai tenu compte des facteurs suivants :

i) La limite territoriale expresse prévue à l’article 16 de la Loi, qui prévoit la collecte d’informations sur les États étrangers et les personnes « dans les limites du Canada »;

ii) L’absence de limite territoriale expresse dans l’article 12 de la Loi, qui prévoit la collecte, l’analyse et la conservation des informations et des renseignements sur les menaces envers la sécurité du Canada;

iii) La définition de « menaces envers la sécurité du Canada » que l’on trouve à l’article 2 de la Loi, laquelle comprend : « c) les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger » (non souligné dans l’original);

(iv) L’absence de référence territoriale dans l’article 21 de la Loi, l’article qui prévoit le contrôle judiciaire des demandes de mandat. Le Service prétend que le rôle de surveillance de la Cour devrait donc s’étendre à la mission du Service aux termes de l’article 12 de la Loi, lequel aurait, fait-il valoir, une portée extraterritoriale.

Après examen des dispositions applicables de la Loi et des facteurs susmentionnés, je ne suis pas en mesure de leur donner un sens évident, ou suffisamment clair, en ce qui a trait à leur application extraterritoriale. Le libellé du texte législatif peut permettre de tirer une inférence relativement à une mission donnée au Service de mener certaines activités à l’extérieur du territoire national, mais cette inférence n’est pas suffisamment manifeste pour permettre de conclure que le Service a une mission claire de mener les activités qu’il vise à faire autoriser dans le mandat, et ce, dans d’autres pays que le Canada et que la Cour a compétence pour autoriser ce genre d’activités. À mon avis, les dispositions applicables de la Loi, prises dans leur ensemble, ne peuvent donner lieu, expressément ou implicitement, à une telle interprétation.

[40]     Il résulte de ce manque de clarté que je dois maintenant examiner certains facteurs extratextuels pouvant m’aider à interpréter les dispositions législatives. Je commencerai par l’origine du texte. Le Service a déposé deux extraits précis tirés de la Commission McDonald [Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada] (voir l’annexe B) à l’appui de sa position, laquelle recommande que le service de renseignements pour la sécurité : i) ne devrait pas être obligé de limiter ses contre-mesures et la collecte de renseignements au seul territoire canadien; et ii) qu’on devrait l’autoriser à utiliser certaines méthodes d’enquête à l’étranger. Les deux extraits se trouvent à l’annexe B, de même que d’autres recommandations de la Commission McDonald qui exposent un « système de contrôle clair et efficace » pour s’assurer que ces activités sont toujours exercées dans le cadre de la mission du service. Il est intéressant de noter qu’un bon nombre de ces recommandations concernant les contrôles n’ont pas été intégrées dans la mesure législative subséquente.

[41]     Bien que cette information puisse être d’un intérêt historique, ce qui importe aux fins de la présente analyse, c’est l’intention du législateur. Le seul élément de preuve produit provenant des travaux de la Chambre des communes relatifs au projet de loi C-9, le précurseur de la Loi, est publié dans les Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la Justice et des questions juridiques, fascicule n° 9, le 2 avril 1984, 2e sess., 32e lég., à la page 9:25. Le solliciteur général de l’époque, M. Robert Kaplan, en réponse à une question sur les activités extraterritoriales du Service avait déclaré :

Ms. Kaplan:

    Rien n’oblige, de par la loi, que toutes les activités du Service canadien du renseignement se déroulent au Canada. Je crois que ce serait beaucoup trop restrictif. Si par exemple . . . et c’est très commun, et vous le savez fort bien . . . une personne que l’on surveille ou qui se trouve être une source pour le Service de renseignements a quelques raisons de se rendre à l’extérieur du pays pour des motifs ayant trait aux activités auxquelles s’intéresse le Service de renseignements et qui sont d’ailleurs la raison même pour laquelle cette personne est surveillée, il se pourrait fort bien que le Service de renseignements veuille savoir ce que fait cette personne pendant son voyage.

La preuve est insuffisante pour permettre de tirer une inférence selon laquelle le législateur avait l’intention d’attribuer au Service une mission consistant à faire utiliser des méthodes d’enquêtes s’apparentant à celles envisagées dans le mandat dont on vise l’autorisation. En outre, la preuve est silencieuse en ce qui concerne la compétence de la Cour d’autoriser de telles activités. Compte tenu du peu d’éléments de preuve dont je dispose, l’origine du texte ne démontre pas une intention claire du législateur quant à la portée extraterritoriale des activités du Service dans un pays autre que le Canada et, en particulier, concernant le rôle de la Cour dans l’autorisation de telles activités.

[42]     Je vais maintenant examiner les principes de droit international qui peuvent guider l’interprétation de la mesure législative. On a fait valoir que les dispositions législatives applicables en l’espèce prévoyaient une autorisation judiciaire quant aux investigations dans un pays autre que le Canada. À cette fin, la mesure législative a un effet extraterritorial et on peut affirmer qu’il s’agit d’une mesure législative extraterritoriale. Les activités que l’on vise à faire autoriser par le mandat relèvent de la compétence d’exécution ou de la compétence juridictionnelle du Canada, telles qu’elles sont définies par la Cour suprême dans l’arrêt Hape, précité, au paragraphe 58.

[43]     Le juge LeBel assimile la compétence d’« exécution » à la compétence d’« enquête », laquelle réfère au pouvoir de la police « ou d’autres acteurs étatiques » de faire enquête. On peut donc affirmer que, lorsqu’ils utilisent des méthodes d’enquêtes dans un État étranger, le Service et ses agents agissent dans le cadre de la compétence d’enquête du Canada.

[44]     Le Service peut également exercer ses activités dans le cadre de la compétence juridictionnelle de l’État, laquelle réfère au pouvoir de la Cour de régler les litiges ou d’interpréter le droit par des décisions exécutoires. En l’espèce, le mandat est décerné aux termes d’une décision de la Cour.

[45]     Lors de l’interprétation de dispositions législatives applicables, dans le cas de l’utilisation de méthodes d’enquêtes dans d’autres pays que le Canada, la Cour suprême du Canada enseigne que les principes de droit international doivent être pris en considération. La Cour a confirmé à maintes reprises la pertinence des normes et les valeurs de droit international dans l’interprétation du droit interne. (Voir les arrêts Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45; 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), [2001] 2 R.C.S. 241.)

[46]     Au paragraphe 53 de ses motifs dans l’arrêt Hape,  la Cour suprême a confirmé le principe d’interprétation législative bien établi selon lequel une loi est réputée conforme au droit international. La Cour suprême a expliqué que cette présomption se fonde sur le principe judiciaire selon lequel les tribunaux sont légalement tenus d’éviter une interprétation du droit interne qui emporterait la contravention de l’État à ses obligations internationales, sauf lorsque le libellé de la loi commande clairement un tel résultat. On s’attend à ce que, « [a]ppelé à choisir entre diverses interprétations possibles, le tribunal doit éviter celles qui emporteraient la violation de ces obligations [par le Canada] ».

[47]     La Cour suprême du Canada a également affirmé que le principe de la courtoisie internationale, qui [traduction] « incite autre État souverain à respecter l’indépendance [. . .] de tout autre État souverain », influencera l’interprétation d’un texte « législatif ou constitutionnel » lorsque ce texte sera susceptible d’avoir une incidence sur la souveraineté d’un autre État (voir l’arrêt Hape, aux paragraphes 47 et 48).

[48]     Dans l’arrêt Hape, la Cour suprême du Canada retient la thèse selon laquelle les règles du droit international coutumier sont directement incorporées au droit interne canadien, sauf disposition législative expressément contraire. Le juge LeBel, s’exprimant au nom de la majorité, déclare que le législateur peut contrevenir au droit international, « mais seulement expressément ». Au paragraphe 39 de ses motifs, il écrit ce qui suit :

À mon avis, conformément à la tradition de la common law, il appert que la doctrine de l’adoption s’applique au Canada et que les règles prohibitives du droit international coutumier devraient être incorporées au droit interne sauf disposition législative contraire. L’incorporation automatique des règles prohibitives du droit international coutumier se justifie par le fait que la coutume internationale, en tant que droit des nations, constitue également le droit du Canada à moins que, dans l’exercice légitime de sa souveraineté, celui-ci ne déclare son droit interne incompatible. La souveraineté du Parlement permet au législateur de contrevenir au droit international, mais seulement expressément. Si la dérogation n’est pas expresse, le tribunal peut alors tenir compte des règles prohibitives du droit international coutumier pour interpréter le droit canadien et élaborer la common law. [Non souligné dans l’original.]

[49]     Dans l’arrêt Hape, au paragraphe 68, la Cour suprême du Canada déclare en outre que « [l]a Constitution autorise clairement » le Parlement à adopter des lois de portée extraterritoriale et que l’application de ce pouvoir est éclairée par les « principes coutumiers contraignants de l’égalité souveraine et de la non-intervention, la courtoisie entre les nations et les règles du droit international », lesquels interdisent de porter atteinte à la souveraineté d’un autre État et de s’immiscer dans ses affaires intérieures. Au paragraphe 45 de ses motifs, le juge LeBel écrit cequi suit :

L’exercice de la souveraineté tient au droit d’un État d’échapper à toute ingérence étrangère et à l’obligation des autres États de s’abstenir de s’ingérer dans ses affaires.

[50]     Les activités comportant intrusion envisagées dans le mandat demandé sont des activités qui contreviennent clairement aux principes susmentionnés de l’égalité souveraine et de la non-intervention. En outre, les investigations sont susceptibles de violer les lois du ressort où elles doivent être menées. Le Service ne le conteste pas. L’amicus maintient qu’il n’existe aucune preuve permettant à la Cour de trancher ce point. À mon avis, le fait d’exiger qu’une telle preuve soit produite imposerait au Service un lourd fardeau. Celui-ci a l’intention d’exécuter le mandat peu importe où les cibles se trouvent. Naturellement, la demande ne fait mention d’aucun État étranger en particulier, puisque le Service est sans doute incapable de prévoir où ces cibles peuvent se rendre une fois qu’elles ont quitté le Canada. Il est donc difficile, voire impossible, de présenter une preuve quant à la légalité, dans un ressort donné, des investigations dont on vise l’autorisation, et ce, à l’étape de la demande, puisque aucun État étranger n’est désigné.

[51]     Parmi les pouvoirs dont on demande l’autorisation aux termes du mandat, il y a : la capacité d’obtenir l’accès à des informations; d’installer tout objet [partie expurgée par ordonnance de la Cour] de rechercher, d’examiner, de tirer des extraits, de faire des copies ou d’enregistrer autrement des renseignements. Compte tenu du fait que les activités en cause comportent intrusion, il est raisonnable d’inférer que ces activités sont susceptibles de violer les lois des ressorts où le mandat sera exécuté. De toute façon, en l’absence de consentement de l’État étranger, les investigations en question portent atteinte à la souveraineté territoriale de cet État.

[52]     En autorisant de telles activités, le mandat se trouverait dès lors à autoriser des activités qui sont incompatibles avec les principes coutumiers contraignants de l’égalité souveraine et de la non-intervention, ainsi qu’avec la courtoisie entre les nations, et qui sont susceptibles d’y contrevenir. Ces règles prohibitives du droit international coutumier (Hape, au paragraphe 39) ont évolué pour protéger la souveraineté des États contre l’ingérence de la part des autres États. Pour M. Antonio Cassese, un éminent expert en droit international, cité dans l’arrêt Hape [au paragraphe 40], l’« égalité souveraine des États » [traduction] « constitue la pierre angulaire de l’ensemble des normes juridiques internationales, le postulat fondamental sur lequel reposent toutes les relations internationales » [dans International Law, 2e éd., à la page 48]. Comme je l’ai déjà mentionné dans les présents motifs, ces « règles prohibitives du droit international coutumier » sont directement incorporées au droit interne canadien.

[53]     Le Service fait valoir que les principes de droit international en jeu dans les affaires de sécurité nationale sont différents et que la pratique internationale coutumière, pour ce qui est des opérations de collecte de renseignements dans un État étranger, constitue un principe dominant de droit international qui justifie une conclusion selon laquelle la Charte était censée s’appliquer, et s’applique bel et bien, aux enquêtes de sécurité à l’extérieur du Canada. Je ne suis pas convaincu que, dans le contexte de la sécurité nationale, la pratique des « opérations de collecte de renseignements » dans des États étrangers est reconnue comme une « pratique coutumière » en droit international. Encore une fois, on n’a présenté aucune preuve ni aucune jurisprudence à l’appui de cette thèse. Je traiterai plus loin des arguments du Service relatifs à la Charte.

[54]     Comme il a été mentionné dans l’arrêt Hape, au paragraphe 65, la compétence extraterritoriale est régie par le droit international et ne relève donc pas de la seule volonté des États individuels. Le droit international reconnaît la compétence extraterritoriale normative, d’exécution ou juridictionnelle et il lui impose des limites strictes fondées sur les principes de l’égalité souveraine, de la non-intervention et de la territorialité. Comme je l’ai déjà mentionné dans les présents motifs, il est bien établi que les lois d’un État s’appliquent à l’étranger seulement s’il obtient le consentement de l’État en cause ou, à titre exceptionnel, si le droit international l’y autorise par ailleurs (voir l’arrêt Hape, au paragraphe 65). On ne m’a présenté aucun autre fondement dans le droit international qui supplanterait les principes susmentionnés de l’égalité souveraine, de la non-intervention et de la territorialité reconnus par la Cour suprême du Canada comme étant des « principes coutumiers contraignants » de droit international.

[55]     Pour interpréter les dispositions applicables de la Loi, je m’appuie sur les principes d’interprétation législative selon lesquels le texte est présumé être conforme au droit international. Après avoir appliqué les principes susmentionnés, je ne suis pas en mesure de donner aux dispositions applicables de la Loi, telles qu’elles ont été rédigées, une interprétation selon laquelle elles habiliteraient la Cour à décerner le mandat demandé. Cela reviendrait à exiger que j’attache un sens aux dispositions applicables de la Loi, un pouvoir confié à la Cour d’autoriser des activités qui contreviennent aux principes susmentionnés du droit international coutumier. Comme je l’ai déjà mentionné dans les présents motifs, une telle mission doit être expressément prévue dans la Loi. Compte tenu des principes de droit en jeu, et fondé sur les renseignements donnés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hape, il me faut conclure que, en l’absence d’un texte législatif autorisant la Cour à décerner un mandat extraterritorial, celle-ci n’a pas compétence pour décerner le mandat demandé.

[56]     Ma conclusion susmentionnée est déterminante quant à l’issue de la demande. Je vais néanmoins aborder maintenant les arguments soulevés par le Service relativement à l’application extraterritoriale de la Charte et du Code dans le contexte du mandat demandé. Ces arguments constituaient l’aspect principal des observations que le Service a formulées à la Cour.

[57]     La principale allégation du Service dans le cadre de la présente demande, c’est que le mandat sollicité est requis pour s’assurer que les agents canadiens chargés d’exécuter le mandat à l’étranger le font conformément au droit canadien, puisque les investigations contestées peuvent, en l’absence d’un mandat, violer la Charte et contrevenir au Code. Je traiterai d’abord de la Charte et de la position du Service selon laquelle, dans l’arrêt Hape, les juges majoritaires n’ont pas, soit expressément ou par déduction nécessaire, exclu la possibilité d’examiner l’application de la Charte dans le contexte des enquêtes de sécurité à l’extérieur du Canada.

[58]     La Charte sert d’instrument constitutionnel pour enchâsser des droits. Elle ne dote d’aucun pouvoir. Le droit canadien est assujetti à la Charte et il peut faire l’objet d’une contestation lorsque son application porte atteinte aux droits garantis par la Charte. Ce n’est que l’application du droit canadien qui peut soulever des questions relatives à la Charte. Dans l’arrêt Hape, la Cour suprême du Canada a confirmé que la Charte demeure sujette aux mêmes limites d’application que les autres textes législatifs du pays. Elle a conclu que le droit canadien n’est pas susceptible d’application sur le territoire d’un autre État sans le consentement de cet État. Dans ses motifs, le juge LeBel écrit ce qui suit, au paragraphe 69 :

En tant que loi suprême du Canada, la Charte demeure sujette aux mêmes limites d’application que les autres textes législatifs ou réglementaires du pays. Qu’il soit de nature législative ou constitutionnelle, le droit canadien ne peut tout simplement pas être appliqué à l’étranger sans le consentement de l’État en cause. Cette conclusion découle non seulement des principes du droit international, mais aussi du texte même de la Charte, dont l’art. 32 précise qu’elle ne s’applique qu’aux domaines relevant du Parlement ou des législatures provinciales. S’il n’obtient pas le consentement de l’autre État, le Canada ne peut exercer sa compétence d’exécution lorsque l’objet de cette dernière se trouve sur le territoire de cet autre État. Comme il ne peut alors être donné effet au droit canadien, le domaine échappe à la compétence du Parlement et des législatures provinciales.

[59]     Dans l’arrêt Hape, la question en litige dont était saisie la Cour suprême du Canada avait trait à l’application de la Charte aux enquêtes menées par des policiers canadiens à l’étranger. Le Service fait valoir qu’on peut faire la distinction d’avec cette affaire, puisque l’arrêt Hape concernait une enquête criminelle et que, en l’espèce, les méthodes d’enquêtes n’ont pas pour but de recueillir de la preuve dans le cadre d’une poursuite au criminel, mais plutôt de permettre au Service de remplir sa mission prévue dans la Loi.

[60]     Je ne suis pas convaincu qu’on peut faire si facilement une distinction d’avec l’arrêt Hape. Il est vrai que cet arrêt ne porte pas sur les enquêtes de sécurité à l’extérieur du Canada et que la finalité ou l’objectif des méthodes d’enquêtes peut être différent, mais la « compétence d’enquête » de l’État canadien est mise en cause à la fois par les investigations des policiers canadiens dans l’affaire Hape et par celles auxquelles veulent procéder les agents du Service en vertu du mandat demandé.

[61]     À mon avis, la décision prononcée dans l’ arrêt Hape exprime clairement l’état actuel du droit canadien quant à son applicabilité, y compris la Charte, dans des affaires soulevant la compétence d’enquête extraterritoriale du Canada. Dans l’arrêt Hape, au paragraphe 58, la Cour suprême du Canada a fourni les indications suivantes relativement à la distinction à établir entre la compétence normative, la compétence d’exécution ou d’enquête et la compétence juridictionnelle de l’État :

La compétence normative (aussi appelée compétence législative ou fondamentale) confère le pouvoir d’établir des règles, des prescriptions ou des droits opposables à des personnes, physiques ou morales. La législature qui adopte une loi exerce sa compétence législative. La compétence d’exécution permet de recourir à des moyens coercitifs pour faire respecter règles, prescriptions ou droits. Pour reprendre les propos de S. Coughlan dans « Global Reach, Local Grasp: Constructing Extraterritorial Juridiction in the Age of Globalization » (2007), 6 C.J.L.T. 29, p. 32, [traduction] « la compétence d’exécution s’entend du pouvoir de l’État de prendre des mesures pour donner effet à ses lois (y compris le pouvoir de la police ou d’autres acteurs étatiques de faire enquête, qui pourrait être appelé compétence d’enquête » (en italique dans l’original). La compétence juridictionnelle consiste dans le pouvoir des tribunaux d’un État de régler des différends ou d’interpréter la loi au moyen de décisions ayant force obligatoire. Voir Cassese, p. 49; Brownlie, p. 297.

[62]     Les pouvoirs conférés par mandat que l’on cherche à obtenir en l’espèce peuvent ne pas viser l’exécution en soi, mais ils concernent bel et bien des activités qui visent la collecte d’informations « au moyen d’enquêtes ou autrement », lesquelles activités relèvent clairement de la compétence d’exécution ou d’enquête de l’État canadien. Par conséquent, ces activités qui sont exercées dans un État étranger portent atteinte à la souveraineté territoriale de cet État. En l’absence de consentement, le droit canadien, plus particulièrement en ce qui concerne la « compétence d’enquête », ne peut s’appliquer à de telles méthodes d’enquêtes menées sur le territoire d’un autre État. Dans ces circonstances, il s’ensuit donc que l’article 8 de la Charte, qui protège contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, ne peut s’appliquer.

[63]     Quant à la position du Service selon laquelle un mandat est requis afin de protéger ses agents contre des accusations criminelles pouvant être portées au Canada, par suite des activités contestées, le Service ne met en avant aucune disposition précise du Code qui étendrait expressément son application aux activités contestées exercées à l’extérieur du territoire du Canada, ce qui, de ce fait, exposerait le Service ou ses agents au risque d’être ainsi poursuivis. Je ne puis trouver une telle disposition. Encore une fois, comme dans le cas de la Charte, en l’absence de consentement, le Canada ne peut pas appliquer le Code à des activités exercées à l’extérieur du territoire canadien. Dans les circonstances, je ne vois pas pourquoi le mandat demandé serait requis dans le but déclaré de protéger le Service ou ses agents à l’égard de poursuites aux termes du Code.

[64]     Même si le Service pouvait établir qu’il remplit une mission extraterritoriale visant à recueillir, conserver et analyser des informations et des renseignements et que les motifs qu’il a donnés pour réclamer le mandat sont bien fondés, cela ne donnerait pas, à mon avis, compétence à la Cour pour décerner le mandat demandé. Les méthodes d’enquêtes qu’on vise à faire autoriser par le mandat sont des activités incompatibles avec les principes coutumiers contraignants de l’égalité souveraine territoriale et de la non-intervention, et elles sont susceptibles d’y contrevenir. Comme je l’ai déjà mentionné dans les présents motifs, le Parlement a compétence pour adopter des lois ayant une application extraterritoriale, mais il doit le faire dans des termes clairs et exprès. Dans les cas où le Parlement a choisi d’étendre la portée du droit canadien à l’extérieur du territoire national, il l’a fait en des termes exprès. Le Code contient plusieurs exemples où le Parlement a utilisé un libellé exprès pour étendre ainsi la portée du droit canadien. J’énonce ci-dessous plusieurs de ces exemples.

[65]     Lorsqu’il traite des infractions commises à bord d’un aéronef, l’alinéa 7(2)a) [mod. par L.C. 1993, ch. 7, art. 1] du Code reconnaît explicitement qu’une action ou omission commise à l’étranger est une infraction qui « est réputé[e] avoir [été] commis[e] [. . .] au Canada » (non souligné dans l’original).

[66]     De même, l’alinéa 46(3)a) du Code déclare qu’il y a haute trahison quand un citoyen canadien, « se trouvant au Canada ou à l’étranger, accomplit une chose mentionnée » (non souligné dans l’original) au paragraphe (1). Encore une fois, il s’agit d’un libellé exprès pour reconnaître des actions commises à l’extérieur du Canada.

[67]     On peut aussi prendre comme exemple l’infraction de faux ou usage de faux en matière de passeport. L’alinéa 57(1)a) du Code déclare qu’« [e]st coupable d’un acte criminel [. . .] quiconque, étant au Canada ou à l’étranger, [. . .] a) fait un faux passeport » (non souligné dans l’original). De la même façon, le paragraphe 74(2) du Code, qui traite de piraterie, déclare que « [q]uiconque commet une piraterie, pendant qu’il se trouve au Canada ou à l’étranger, est coupable d’un acte criminel » (non souligné dans l’original).

[68]     Enfin, le paragraphe 465(4) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 61] du Code aborde la question du complot et utilise le même libellé exprès lorsqu’il déclare que « [l]es personnes qui, à l’étranger, complotent de commettre [. . .] les infractions visées au paragraphe (1) sont réputées avoir comploté au Canada » (non souligné dans l’original).

[69]     Les exemples susmentionnés révèlent que lorsque le Parlement a choisi de prévoir l’application du droit canadien à des événements se produisant à l’extérieur du territoire national, il l’a fait d’une manière expresse. Il me semble qu’une exigence de clarté plus rigoureuse de la part du Parlement découle de circonstances où la loi vise à prévoir des activités qui, selon toute vraisemblance, contreviendraient aux principes contraignants du droit international coutumier, lesquels sont incorporés dans le droit canadien. Accepter moins relativement aux enquêtes risque de saper la confiance du public dans l’ordre juridique et dans le système judiciaire dont la principale fonction consiste à appliquer les règles de droit.

[70]     En ce qui a trait à la question de savoir si le CSTC peut aider à l’exécution du mandat, je trouve que les arguments du Service sont convaincants, compte tenu des conclusions déterminantes que j’ai déjà tirées concernant la compétence de la Cour, mais je suis d’avis qu’il n’est pas nécessaire de trancher la question à ce moment-ci.

Conclusion

[71]     Pour les motifs susmentionnés, je conclus que la Cour n’a pas compétence pour décerner le mandat demandé. Par conséquent, la demande sera rejetée.

[72]     Le Service et l’amicus doivent, dans les 20 jours suivant la date de l’ordonnance accompagnant les présents motifs, fournir à la Cour leurs observations quant à la question de savoir si les présents motifs et l’ordonnance, ou une partie de ceux-ci, devraient être communiqués au public. Après avoir examiné les observations, je déciderai si les motifs de l’ordonnance et l’ordonnance, ou leur version expurgée, seront rendus publics.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

La demande visant à obtenir un mandat autorisant des méthodes d’enquête dans des pays autres que le Canada est rejetée.

Le Service et l’amicus doivent, dans les 20 jours suivant la date de l’ordonnance accompagnant les présents motifs, fournir à la Cour leurs observations quant à la question de savoir si les présents motifs et l’ordonnance, ou une partie de ceux-ci, devraient être communiqués au public.

ANNEXE A

    2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[. . .]

    « menaces envers la sécurité du Canada » Constituent des menaces envers la sécurité du Canada les activités suivantes :

a) l’espionnage ou le sabotage visant le Canada ou préjudiciables à ses intérêts, ainsi que les activités tendant à favoriser ce genre d’espionnage ou de sabotage;

b) les activités influencées par l’étranger qui touchent le Canada ou s’y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts, et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque;

c) les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger;

d) les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence. La présente définition ne vise toutefois pas les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord qui n’ont aucun lien avec les activités mentionnées aux alinéas a) à d).

[. . .]

      12. Le Service recueille, au moyen d’enquêtes ou autrement, dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada; il en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard.

[. . .]

        16. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le Service peut, dans les domaines de la défense et de la conduite des affaires internationales du Canada, prêter son assistance au ministre de la Défense nationale ou au ministre des Affaires étrangères, dans les limites du Canada, à la collecte d’information ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités :

         a) d’un État étranger ou d’un groupe d’États étrangers;

         b) d’une personne qui n’est ni un citoyen canadien, ni un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ni une personne morale constituée en vertu d’une loi fédérale ou provinciale.

        (2) L’assistance autorisée au paragraphe (1) est subordonnée au fait qu’elle ne vise pas des personnes mentionnées aux sous-alinéas (1)b)(i), (ii) ou (iii).

        (3) L’exercice par le Service des fonctions visées au paragraphe (1) est subordonné :

         a) à une demande personnelle écrite du ministre de la Défense nationale ou du Ministre des Affaires étrangères;

         b) au consentement personnel du ministre.    

[. . .]

        21. (1) Le directeur ou un employé désigné à cette fin par le ministre peut, après avoir obtenu l’approbation du ministre, demander à un juge de décerner un mandat en conformité avec le présent article s’il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada ou d’exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l’article 16.

        (2) La demande visée au paragraphe (1) est présentée par écrit et accompagnée de l’affidavit du demandeur portant sur les points suivants :

         a) les faits sur lesquels le demandeur s’appuie pour avoir des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire aux fins visées au paragraphe (1);

         b) le fait que d’autres méthodes d’enquête ont été essayées en vain, ou la raison pour laquelle elles semblent avoir peu de chances de succès, le fait que l’urgence de l’affaire est telle qu’il serait très difficile de mener l’enquête sans mandat ou le fait que, sans mandat, il est probable que des informations importantes concernant les menaces ou les fonctions visées au paragraphe (1) ne pourraient être acquises;

         c) les catégories de communications dont l’interception, les catégories d’informations, de documents ou d’objets dont l’acquisition, ou les pouvoirs visés aux alinéas (3)a) à c) dont l’exercice, sont à autoriser;

         d) l’identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;

         e) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat demandé;

         f) si possible, une description générale du lieu où le mandat demandé est à exécuter;

         g) la durée de validité applicable en vertu du paragraphe (5), de soixante jours ou d’un an au maximum, selon le cas, demandée pour le mandat;

         h) la mention des demandes antérieures touchant des personnes visées à l’alinéa d), la date de chacune de ces demandes, le nom du juge à qui elles ont été présentées et la décision de celui-ci dans chaque cas.

        (3) Par dérogation à toute autre règle de droit mais sous réserve de la Loi sur la statistique, le juge à qui est présentée la demande visée au paragraphe (1) peut décerner le mandat s’il est convaincu de l’existence de faits mentionnés aux alinéas (2)a) et b) et dans l’affidavit qui accompagne la demande; le mandat autorise ses destinataires à intercepter des communications ou à acquérir des informations, documents, ou objets. À cette fin, il peut autoriser aussi, de leur part :

         a) l’accès à un lieu ou un objet ou l’ouverture d’un objet;

         b) la recherche, l’enlèvement ou la remise en place de tout document ou objet, leur examen, le prélèvement des informations qui s’y trouvent, ainsi que leur enregistrement et l’établissement de copies ou d’extraits par tout procédé;

         c) l’installation, l’entretien et l’enlèvement d’objets.

        (4) Le mandat décerné en vertu du paragraphe (3) porte les indications suivantes :

         a) les catégories de communications dont l’interception, les catégories d’informations, de documents ou d’objets dont l’acquisition, ou les pouvoirs visés aux alinéas (3)a) à c) dont l’exercice, sont autorisés;

         b) l’identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;

         c) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat;

         d) si possible, une description générale du lieu où le mandat peut être exécuté;

         e) la durée de validité du mandat;

         f) les conditions que le juge estime indiquées dans l’intérêt public.

        (5) Il ne peut être décerné de mandat en vertu du paragraphe (3) que pour une période maximale :

         a) de soixante jours, lorsque le mandat est décerné pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada au sens de l’alinéa  d) de la définition de telles menaces contenue à l’article 2;

         b) d’un an, dans tout autre cas.

ANNEXE B

La Commission McDonald, nom abrégé de la Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada, qui est l’auteure du rapport intitulé Deuxième rapport : La liberté et la sécurité devant la loi, vol. 1 (Ottawa :  Approvisionnements et Services Canada, 1981), est une commission d’enquête créée par le gouverneur en conseil en 1977, par suite d’allégations selon lesquelles le Service de sécurité de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) avait été impliqué dans des activités illégales et irrégulières. À la suite de la recommandation faite par la Commission McDonald, le Service a été constitué le 16 juillet 1984, après l’adoption du projet de loi C-9. Dans son Rapport, la Commission a traité du théâtre d’opérations des activités de renseignement de sécurité d’un service de renseignements. La Commission a fait remarquer ce qui suit, à la page 662 de son Rapport :

    14. En ce qui concerne la troisième dimension, soit le théâtre d’opérations du service de renseignements pour la sécurité, nous ne croyons pas que celui-ci doive limiter ses contre-mesures et la collecte de renseignements au seul territoire canadien. Si les enquêtes de sécurité amorcées au Canada doivent s’arrêter aux frontières, nous risquons de perdre des sources d’information et des renseignements importants pour la sécurité nationale. Ce serait imposer une contrainte absurde que d’interdire la collecte, à l’extérieur du pays, de renseignements intéressant la sécurité. Si c’est se lancer à l’offensive que d’opérer à l’étranger, le service canadien de renseignements pour la sécurité se doit alors d’être « offensif » en ce sens, bien que nous soyons conscients des très grands risques diplomatiques, moraux et pratiques — qu’il court en déployant son activité au-delà de nos frontières. Étant donné ces risques, il importe de s’en tenir aux activités qui sont indispensables, de les assujettir à des contrôles précis et efficaces, et de voir à ce que le service n’outrepasse jamais son mandat. Nous allons maintenant tenter de définir plus précisément les cas où un service de renseignements pour la sécurité devrait être autorisé à mener des opérations à l’étranger, ainsi que les mécanismes de contrôle qui devraient s’y appliquer.

    En ce qui a trait à ces contrôles, la Commission a fait les recommandations supplémentairessuivantes, aux pages 665 et 666 de son Rapport :

    Le système que nous proposons reconnaît au ministre la responsabilité de voir à ce que le ministère des Affaires extérieures soit consulté préalablement à toute opération étrangère susceptible d’avoir de graves répercussions sur la politique extérieure du Canada et prévoit une formule permettant de tenir ce ministère au courant de l’ensemble des opérations extérieures du service de renseignements pour la sécurité.

    24. Il peut très bien arriver que, de l’avis du ministère des Affaires extérieures, le danger pour les relations du Canada avec d’autres pays l’emporte sur les avantages éventuels d’une opération à l’étranger. Il ne faudrait pas que, dans de tels cas, l’un des éléments prenne automatiquement le pas sur l’autre. Aussi, lorsque le solliciteur général et le secrétaire d’État aux Affaires extérieures n’arrivent pas à se mettre d’accord sur une opération à l’étranger, la question doit alors être tranchée par le premier ministre.

NOUS RECOMMANDONS QUE, à des fins de collecte de renseignements conformément au mandat que lui confère la loi et sous réserve de lignes directrices approuvées par le Comité du Cabinet chargé de la sécurité et des renseignements, le service de renseignements pour la sécurité soit autorisé à faire certaines investigations à l’étranger.

    NOUS RECOMMANDONS QUE le directeur général donne préavis au ministre chargé du service de renseignements pour la sécurité de toute opération projetée par le service à l’ étranger.

    NOUS RECOMMANDONS QUE, en ce qui concerne les opérations qui, compte tenu des lignes directrices formulées, risquent de compromettre les relations du Canada avec l’étranger, le ministre chargé du service de renseignements pour la sécurité en donne un préavis suffisant au ministère des Affaires extérieures pour que des consultations puissent avoir lieu.

    NOUS RECOMMANDONS QUE le directeur général du service de renseignements pour la sécurité et certains de ses adjoints rencontrent le sous-secrétaire d’État aux Affaires extérieures et le sous-ministre adjoint à intervalles réguliers pour examiner les opérations en cours ou projetées à l’étranger.

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