Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2001] 2 C.F. 618

A-185-99

Apotex Inc. (appelante) (défenderesse)

c.

The Wellcome Foundation Limited et Glaxo Wellcome Inc. (intimées) (demanderesses)

Répertorié : Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc. (C.A.)

Cour d’appel, juges Strayer, Noël et Evans, J.C.A.— Toronto, 24, 25 et 26 janvier 2001.

Brevets — Pratique — Renvois — Appel et appel incident d’une décision par laquelle la Section de première instance a précisé l’ampleur de la contrefaçon et a ordonné une comptabilisation des profits — Les intimées détenaient un brevet pour un procédé de fabrication d’un ingrédient utilisé dans les comprimés d’Apotex — L’utilisation de ce procédé pouvait être identifiée par les traces de TAA — Sur les 81 lots qui contenaient du TMP, 54 contenaient uniquement du TAA et 27 contenaient des traces de TAA (un produit chimique utilisé dans le procédé de fabrication de TMP contrefait) — Le juge de première instance a statué qu’Apotex était tenue de rendre compte des recettes provenant de la vente des comprimés contenant du TMP, indépendamment de la question de savoir si la TMP était contrefaite — Il a attribué 60 % des revenus de la vente à l’utilisation de la TMP contrefaite, parce qu’il a tenu compte du fait que la TMP avait un effet potentiateur plus grand que l’autre principe actif contenu dans les comprimés — L’appel et l’appel incident sont rejetés — 1) Une fois que les intimées avaient démontré combien de comprimés contenant de la TMP contrefaite avaient été fabriqués et vendus, elles avaient droit à une reddition de compte des profits calculés en fonction des recettes provenant de la vente des comprimés en question, sauf dans la mesure où Apotex pouvait établir quelle proportion de la TMP contenue dans les comprimés n’était pas contrefaite — Apotex ne s’est pas déchargée de ce fardeau de la preuve — 2) Quant à la question de savoir si Apotex ne devrait avoir à rendre compte que des profits qu’elle n’aurait pas pu réaliser sans contrefaire le brevet des intimées, la C.A.F. a rejeté expressément la méthode comparative dans l’arrêt Reading and Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp. — 3) La répartition des bénéfices implique l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel la C.A.F. est très réticente à intervenir en l’absence d’erreur de droit clairement établie — 4) La méthode du coût marginal bénéficie d’un appui plus constant que la méthode du coût de revient complet — Le juge de première instance n’a donc pas commis d’erreur de droit en adoptant et en appliquant la méthode du coût marginal — Apotex ne s’est pas acquittée du fardeau de prouver qu’elle avait droit à une déduction déterminée — 5) Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur justifiant l’infirmation de sa décision en fixant le taux d’intérêt au taux préférentiel majoré de 1 % — En ce qui concerne l’appel incident, 1) Apotex n’est pas tenue de rendre compte de la somme de 600 000 $ imputable à la vente de comprimés fabriqués à partir de lots formés d’un mélange de TMP parce qu’elle est en mesure de prouver combien de TMP non contrefaite était présente dans ces lots — 2) Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur de droit dans sa répartition des bénéfices — 3) Les conclusions de fait du juge de première instance sur la question de savoir si la production, la commercialisation et la vente des comprimés avaient eu pour effet d’augmenter les coûts n’étaient pas entachées d’une erreur manifeste et dominante.

Appel d’un jugement rendu à l’issue d’un renvoi dans le cadre duquel la Section de première instance a précisé l’ampleur de la contrefaçon dont Apotex s’était rendue coupable à l’égard d’un brevet appartenant aux intimées et a ordonné une comptabilisation des profits. Les intimées ont formé un appel incident au sujet de certaines parties de cette ordonnance. Apotex avait importé 116 lots de triméthoprime (TMP) pour l’utiliser comme l’un des deux principes actifs de ses comprimés d’Apo-Sulfatrim, avant l’expiration du brevet que les intimées détenaient pour la fabrication de la TMP par un procédé dont l’utilisation peut être identifiée par des traces du composé TAA. Les revenus provenant de la vente des comprimés produits à partir des 34 lots qui ne contenaient pas de trace de TAA ont été exclus de la comptabilisation des profits. Les 81 lots restants qui ont été testés contenaient un peu de TAA. Sur ces 81 lots, 54 ne contenaient que du TAA, de sorte que la totalité de la TMP présente dans les comprimés était contrefaite, alors que 27 lots contenaient aussi des traces d’un composé chimique utilisé dans un procédé de fabrication non breveté de TMP. On n’a pas quantifié la TMP contrefaite et la TMP non contrefaite dans les 27 lots « mélangés ». Finalement, 14 lots de comprimés ont résulté du mélange de lots contrefaits avec des lots non contrefaits. Les revenus tirés des comprimés renfermant une substance contrefaite s’élevaient à 18 456 294 $, dont 600 000 $ étaient attribuables à des comprimés renfermant de la TMP « mélangée ». Le juge de première instance a statué qu’Apotex était tenue de rendre compte des recettes provenant de la vente des comprimés, indépendamment de la question de savoir si la totalité de la TMP contenue dans ces comprimés était contrefaite. Il a attribué 60 % des revenus de la vente des comprimés à l’utilisation de la TMP contrefaite, parce qu’il a tenu compte du fait que la TMP avait un effet potentiateur plus grand que l’autre principe actif.

L’appel d’Apotex porte tant sur le calcul des recettes dont elle est tenue de rendre compte que sur les frais qu’elle a été autorisée à déduire. Les questions en litige dans le présent appel sont celles de savoir si : 1) le montant de profits dont Apotex était tenue de rendre compte aurait dû être réduit d’une somme tenant compte du fait que les comprimés fabriqués à partir des lots mélangés contenaient de la TMP contrefaite et de la TMP non contrefaite; 2) Apotex devrait être tenue de ne rendre compte que des profits qu’elle n’aurait pas pu réaliser sans contrefaire le brevet des intimées; 3) le juge de première instance a commis une erreur en accordant du poids à l’importance relative des ingrédients actifs pour l’efficacité du médicament; 4) le juge de première instance a commis une erreur de droit en rejetant la méthode de comptabilité du coût de revient complet pour déterminer la proportion des coûts totaux d’Apotex qui pouvait légitimement être attribuée à la production, à la commercialisation et à la vente des comprimés et s’il a commis une erreur en appliquant la méthode du coût marginal aux faits; 5) le juge de première instance a commis une erreur en fixant le taux des intérêts antérieurs au jugement au taux préférentiel majoré de un pour cent.

Dans l’appel incident, les questions en litige sont celles de savoir si : 1) le juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu’il a retranché des revenus, pour lesquels Apotex était tenu de rendre compte, les 600 000 $ attribuables à la vente de comprimés de la TMP non contrefaite mélangée avec de la TMP contrefaite; 2) le juge de première instance a commis une erreur en diminuant de 40 % les bénéfices dont Apotex devait rendre compte, en raison de la présence de l’autre ingrédient actif dans les comprimés; 3) le juge de première instance a commis une erreur en accordant certaines des déductions.

Arrêt : l’appel et l’appel incident sont rejetés.

1) La fabrication et la vente de chaque comprimé qui contenait de la TMP contrefaite constituaient en elles-mêmes une contrefaçon du brevet des intimées. Une fois que les intimées avaient démontré combien de comprimés contenant de la TMP contrefaite avaient été fabriqués et vendus, elles avaient droit à une reddition de compte des profits calculés en fonction des recettes provenant de la vente des comprimés en question, sauf dans la mesure où Apotex pouvait établir quelle proportion de la TMP contenue dans les comprimés n’était pas contrefaite. Or, Apotex ne s’est pas déchargée de ce fardeau de la preuve en ce qui concerne les 27 lots mélangés.

2) Apotex a invoqué une décision américaine de 1888 pour justifier son argument qu’elle aurait pu produire les comprimés sans contrefaire le brevet des intimées et qu’en conséquence, elle ne devrait avoir à rendre compte que des profits qu’elle n’aurait pas pu réaliser sans contrefaire le brevet des intimées. Mais Apotex n’a pas établi qu’elle pouvait facilement s’approvisionner en TMP non contrefaite. Peu importe l’état du droit sur cette question aux États-Unis en 1888, ce n’est pas l’état actuel du droit canadien. La Cour a rejeté expressément la méthode comparative dans l’arrêt Reading and Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp. Faute de précédent canadien appuyant l’application de cette méthode, il serait inopportun de la part de la Cour d’orienter le droit dans la nouvelle direction que préconise l’avocat d’Apotex, parce que l’adoption de la méthode comparative contribuerait à créer de l’incertitude sur un aspect du droit sur lequel une personne peut se fonder lorsqu’elle choisit une réparation ou essaie de régler un différend et n’inciterait pas à éviter la contrefaçon de brevets. On réintroduirait ainsi le régime de licence obligatoire que le législateur fédéral a aboli.

3) La répartition des bénéfices implique l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel la Cour devrait se montrer très réticente à intervenir en l’absence d’erreur de droit clairement établie. Le juge de première instance était bien au courant de tous les aspects de la présente affaire et il était tout à fait approprié de sa part d’accorder un certain poids aux qualités potentiatrices plus grandes de la TMP. Le juge de première instance n’a erré ni en tenant compte de ce facteur, ni en le pondérant.

4) En ce qui concerne les déductions, Apotex soutenait qu’elle devrait être autorisée à déduire du total de ses dépenses une partie équivalente à celle que représentent les recettes réalisées grâce à l’Apo-Sulfatrim par rapport au total des recettes de la compagnie. Bien que la méthode du coût de revient complet puisse être appropriée dans certains cas, la méthode du coût marginal a bénéficié d’un appui plus constant dans la jurisprudence canadienne moderne sur la comptabilisation des profits. Le juge de première instance n’a donc pas commis d’erreur de droit en l’adoptant en l’espèce. Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur dans les conclusions de fait qu’il a tirées, compte tenu des éléments de preuve dont il disposait.

5) La preuve soumise au juge de première instance n’était pas suffisante pour permettre de conclure qu’en fixant le taux d’intérêt comme il l’a fait, il a commis une erreur justifiant l’infirmation de sa décision sur une question qui relevait largement de son pouvoir souverain d’appréciation. Il n’a pas non plus commis d’erreur lorsqu’il a considéré que les recettes sur lesquelles l’intérêt était calculé avaient été reçues à la date de la facture. Apotex a acquis le droit de réclamer les sommes facturées à la date de facturation et elle n’a soumis aucun élément de preuve qui aurait permis au juge de première instance de retenir une autre date.

En ce qui concerne l’appel incident, 1) Apotex n’est pas tenue de rendre compte de la somme de 600 000 $, parce qu’elle est en mesure de prouver combien de TMP non contrefaite était présente dans les 14 lots de comprimés fabriqués à partir du lot formé d’un mélange.

2) Lorsqu’un produit contient plusieurs ingrédients, dont un seul fait l’objet d’un brevet, il convient en principe de répartir les recettes entre celles qui sont attribuables à l’ingrédient contrefait et celles qui ne le sont pas. Toutefois, la réponse à la question de savoir s’il convient de procéder à cette répartition dépend en grande partie de celle de savoir si cette répartition est faisable dans les faits. Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en répartissant les bénéfices.

3) Les éléments de preuve sur la question de savoir si la production, la commercialisation et la vente des comprimés avaient eu pour effet d’augmenter les coûts supportés par Apotex n’étaient pas à ce point insuffisants pour que l’on puisse considérer que les conclusions de fait du juge de première instance étaient entachées d’une erreur manifeste et dominante. La preuve était suffisante pour justifier le résultat auquel il est parvenu.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1995] 1 C.F. 483 (1994), 58 C.P.R. (3d) 359; 175 N.R. 225 (C.A.); Lubrizol Corp. c. Cie Pétrolière Impériale Ltée, [1997] 2 C.F. 3 (1996), 71 C.P.R. (3d) 26; 206 N.R. 136 (C.A.); Celanese International Corp. v. BP Chemicals Ltd., [1999] R.P.C. 203 (Ch. D.).

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Colonial Fastener Co. Ltd. v. Lightning Fastener Co. Ltd., [1937] R.C.S. 36; [1937] 1 D.L.R. 21.

DÉCISION NON SUIVIE :

Tilghman v. Proctor, 125 U.S. 136 (1888).

DÉCISIONS CITÉES :

Siddell v. Vickers (1892), 9 R.P.C. 153 (C.A.); Tremaine v. Hitchcock, 90 U.S. 518 (1874); Teledyne Industries Inc. c. Lido Industrial Products (1982), 30 C.P.C. 285; 68 C.P.R. (2d) 204 (C.F. 1re inst.); Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1990), 32 C.P.R. (3d) 385; 38 F.T.R. 251 (C.F. 1re inst.).

APPEL et APPEL INCIDENT d’un jugement rendu à l’issue d’un renvoi dans le cadre duquel la Section de première instance a précisé l’ampleur de la contrefaçon dont Apotex s’était rendue coupable à l’égard du brevet des intimées et a ordonné une comptabilisation des profits (Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc. (1998), 82 C.P.R. (3d) 466; 151 F.T.R. 250 (C.F. 1re inst.)). L’appel et l’appel incident sont rejetés.

ONT COMPARU :

Harry B. Radomski et Richard E. Naiberg pour l’appelante.

Immanuel Goldsmith, c.r., John R. Morrissey et Mark G. Biernacki pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans, Toronto, pour l’appelante.

Smart & Biggar, Toronto, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour prononcés à l’audience par

Le juge Evans, J.C.A. :

A.        INTRODUCTION

[1]        La Cour statue sur l’appel d’un jugement rendu à l’issue d’un renvoi dans le cadre duquel la Section de première instance a précisé l’ampleur de la contrefaçon dont l’appelante, Apotex, s’était rendue coupable à l’égard d’un brevet appartenant aux intimées (Wellcome) et a ordonné une comptabilisation des profits. Les intimées ont formé un appel incident au sujet de certaines parties de l’ordonnance. Nous ne sommes pas convaincus que les motifs fouillés du jugement du juge MacKay (publiés à (1998), 82 C.P.R. (3d) 466 (C.F. 1re inst.)) renferment des erreurs qui justifieraient notre intervention en appel.

[2]        La presque totalité des points qui ont été plaidés devant nous avaient déjà été débattus devant le premier juge et, comme nous souscrivons à ses conclusions, nous pouvons en traiter assez brièvement. Il n’est pas nécessaire non plus de relater les faits en détail; ils sont exposés au long dans les motifs du juge MacKay.

[3]        Il suffit de dire que les questions litigieuses résultent de l’importation par Apotex de 116 lots du composé chimique triméthoprime (TMP), utilisé comme l’un des deux principes actifs de ses comprimés d’Apo-Sulfatrim, un antibiotique. Les lots ont été acquis quelque temps avant l’expiration du brevet des intimées qui est pertinent en l’espèce.

[4]        Ni la TMP, ni le sulfaméthoxazole (SMX), l’autre principe actif des comprimés, ni leur utilisation combinée, n’ont fait l’objet d’un brevet. Cependant, les intimées détenaient un brevet (le brevet 014) pour la fabrication de la TMP par le procédé anilino, qui peut être identifié par les traces du composé TAA employé comme intermédiaire dans cette méthode de production de TMP. Il existe également une façon plus ancienne et moins efficace de produire la TMP, le procédé méthoxy, qui n’a pas fait l’objet d’un brevet valide. L’emploi de cette méthode est identifié par la présence dans la TMP du composé MTBP. Pour ce qui nous concerne, nous pouvons supposer que la TMP renfermant des traces de TAA a été préparée par le procédé contrefait, mais que ce n’était pas le cas de la TMP contenant le MTBP.

[5]        Sur les 116 lots de TMP importée qui ont été utilisés par l’appelante pour la fabrication de comprimés d’Apo-Sulfatrim, 115 ont fait l’objet d’analyses par les intimées; 34 ne contenaient pas de TAA, et les revenus provenant des comprimés produits à partir de ces lots ont donc été exclus de la comptabilisation des profits. Les 81 lots restants contenaient tous au moins un peu de TAA. Sur ces 81 lots, 54 ne contenaient que du TAA et, par conséquent, la totalité de la TMP présente dans les comprimés était contrefaite, alors que 27 lots contenaient des traces aussi bien de MTBP que de TAA. On n’a pas quantifié la TMP contrefaite et la TMP non contrefaite dans les 27 lots « mélangés ».

[6]        Finalement, 14 lots de comprimés ont résulté du mélange par Apotex de la TMP provenant de différents lots : 725,6 kilogrammes de lots de TMP contenant de la substance contrefaite ont été mélangés avec 828,4 kilogrammes provenant des lots non contrefaits.

[7]        Dans l’exposé des faits présenté au juge MacKay, les parties ont convenu que les revenus tirés des comprimés renfermant une substance contrefaite s’élevaient à 18 456 294 $, dont 600 000 $ de revenus attribuables aux comprimés qui renfermaient les 828,4 kilogrammes de TMP non contrefaite qu’Apotex avait mélangés avec la TMP contrefaite.

[8]        Il faudrait également noter à ce stade-ci qu’en 1985 une compagnie du même groupe qu’Apotex avait obtenu une licence obligatoire pour l’utilisation de la TMP produite par le procédé breveté, en contrepartie du paiement d’une très petite redevance de 0,11 % des revenus de ventes d’un composé utilisant la substance brevetée en combinaison avec une autre. Cependant, Apotex n’a jamais exploité cette licence.

B.        L’APPEL

[9]        Nous passons aux arguments avancés au nom de l’appelante, Apotex. Ils se rapportent tant au calcul que le juge a fait des recettes réalisées grâce à la vente de l’Apo-Sulfatrim dont Apotex est tenue de rendre compte qu’aux frais que l’appelante a été autorisée à déduire de ce montant brut lors de la comptabilisation des profits.

[10]      L’avocat d’Apotex fait reposer une grande partie de sa thèse sur certains principes de base qui régissent la réparation en equity que constitue la comptabilisation des profits. Il soutient que l’objet de cette réparation est simplement d’obliger le défendeur à restituer les profits qu’il a pu réaliser par suite de la violation des droits du demandeur, empêchant ainsi le défendeur de s’enrichir injustement aux dépens du demandeur. Le demandeur doit donc établir l’existence d’un lien de causalité évident entre les profits qu’il revendique et la violation en question. Cette réparation n’a aucun caractère punitif.

[11]      Appliquant ces principes aux faits de la présente espèce, l’avocat d’Apotex soutient qu’il incombait aux intimées de faire la preuve d’un lien de causalité direct entre les profits réalisés par Apotex grâce à la vente de l’Apo-Sulfatrim et la violation du brevet détenu par Wellcome au sujet de la TMP obtenue par le procédé anilino. À cette fin, il était par ailleurs important de tenir pleinement compte de tous les facteurs qui avaient contribué aux recettes provenant de la vente des comprimés et notamment des facteurs suivants : la TMP non contrefaite, l’autre ingrédient actif des comprimés, en l’occurrence le SMX, les ingrédients non actifs des comprimés, l’avis de conformité obtenu par Apotex et autorisant la commercialisation des comprimés, la publicité et l’inscription des comprimés au répertoire provincial.

Question 1 Les 27 lots mélangés

[12]      L’appelante soutient tout d’abord que le juge de première instance aurait dû soustraire du montant de profits dont elle était tenue de rendre compte une somme qui tenait compte du fait que les comprimés fabriqués à partir des 27 lots mélangés contenaient de la TMP contrefaite et de la TMP non contrefaite. Le juge de première instance a statué (motifs précités, au paragraphe 22) qu’Apotex était tenue de rendre compte des recettes provenant de la vente des comprimés, indépendamment de la question de savoir si la totalité de la TMP contenue dans ces comprimés était contrefaite ou si seulement une fraction négligeable l’était. Il a souligné qu’il n’y avait aucune preuve établissant quelle proportion de la TMP contenue dans les lots mélangés était contrefaite et quelle proportion ne l’était pas, et ce, malgré le fait qu’il aurait été possible, bien que difficile, pour l’une ou l’autre partie de déterminer cette proportion.

[13]      À notre avis, c’est à bon droit que le juge MacKay a refusé de tenir compte du fait que ce n’était pas la totalité de la TMP présente dans les comprimés fabriqués à l’aide des 27 lots mélangés qui avait été produite grâce au procédé contrefait. La fabrication et la vente de chaque comprimé qui contenait de la TMP contrefaite constituaient en elles-mêmes une contrefaçon du brevet des intimées. Une fois que les intimées avaient démontré combien de comprimés d’Apo-Sulfatrim contenant de la TMP contrefaite avaient été fabriqués et vendus, elles avaient droit à une reddition de compte des profits calculés en fonction des recettes provenant de la vente des comprimés en question, sauf dans la mesure où Apotex pouvait établir quelle proportion de la TMP contenue dans les comprimés n’était pas contrefaite. Or, Apotex ne s’est pas déchargée de ce fardeau de la preuve en ce qui concerne les 27 lots mélangés.

[14]      En second lieu, l’appelante soutient que la présence de TAA n’indiquait pas nécessairement que la TMP dans lequel le TAA apparaissait avait été produite grâce au procédé contrefait. Vu les éléments de preuve portés à la connaissance du juge MacKay et compte tenu des arguments qui ont été plaidés devant nous, nous estimons que les conclusions que le juge de première instance a tirées au sujet de cette question (motifs précités, au paragraphe 21) ne sont entachées d’aucune erreur.

Question 2 La méthode comparative

[15]      Selon un autre argument qui a été avancé, Apotex aurait pu produire les comprimés d’Apo-Sulfatrim sans contrefaire le brevet des intimées et ces comprimés auraient été tout autant commercialisables et profitables. Par conséquent, comme il a été dit, Apotex ne devrait avoir à rendre compte que des profits qu’elle n’aurait pas pu réaliser sans contrefaire le brevet des intimées. Pour justifier cette proposition, l’avocat invoque l’arrêt Tilghman v. Proctor, 125 U.S. 136 (1888), de la Cour suprême des États-Unis.

[16]      L’avocat a fait valoir qu’au cours de la période pertinente, Apotex savait que de la TMP non contrefaite était vendue sur le marché et que les 116 lots de TMP faisant l’objet du litige en renfermaient 34, et enfin qu’il n’y avait pas de différence de qualité ou de prix pour Apotex entre la TMP contrefaite et la TMP non contrefaite. Par conséquent, comme Apotex n’a tiré aucun profit de l’utilisation de la substance contrefaite, profit qu’elle n’aurait pas non plus réalisé si elle avait utilisé uniquement une substance non contrefaite, elle n’a pas tiré de profits de l’acte de contrefaçon pour lequel elle était tenue en equity de rendre compte.

[17]      Au vu des éléments de preuve, Apotex n’a pas établi qu’elle pouvait facilement s’approvisionner en TMP non contrefaite. Bien qu’Apotex ait réussi à acheter une certaine quantité de substance non contrefaite, elle a par contre obtenu l’assurance d’un autre fournisseur de TMP—TMP qui s’est ensuite révélée être contrefaite—, qu’elle n’était pas une contrefaçon du brevet des intimées. Autrement dit, Apotex ne pouvait jamais être sûre que la TMP qu’elle achetait était non contrefaite.

[18]      Cependant, Apotex a également fait valoir qu’elle aurait pu exercer ses droits en vertu de la licence obligatoire et ainsi obtenir de la TMP sans contrefaire le brevet des intimées. Par conséquent, étant donné que la seule épargne réalisée par l’utilisation de la TMP contrefaite était la redevance de 0,11 % de revenus qu’elle aurait dû payer pour la licence, elle ne devrait pas avoir à rendre compte de profits dépassant cette redevance.

[19]      Nous estimons toutefois que l’argument d’Apotex est mal fondé en droit. Peu importe l’état du droit sur cette question aux États-Unis en 1888, la méthode comparative n’est pas celle qui a cours aujourd’hui en droit canadien. Notre Cour a en effet rejeté expressément la méthode comparative dans l’arrêt Reading and Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1995] 1 C.F. 483 (C.A.), aux pages 496 et 497. Et, même si, comme l’avocat le prétend, l’arrêt Reading and Bates n’a pas fermé la porte définitivement à l’utilisation de la méthode comparative dans tous les cas, faute de précédent canadien appuyant l’application de cette méthode, il serait à notre avis inopportun de la part de notre Cour d’orienter le droit dans la nouvelle direction que préconise l’avocat d’Apotex.

[20]      En plus de contribuer à l’incertitude sur un aspect du droit sur lequel une personne peut se fonder lorsqu’elle choisit une réparation ou essaie de régler un différend, l’adoption de la méthode comparative comporterait un autre désavantage, celui de ne pas inciter les personnes concernées à prendre des mesures pour éviter la contrefaçon des brevets d’autrui. On réintroduirait ainsi le régime de licence obligatoire que le législateur fédéral a aboli. Ainsi que le juge MacKay l’a dit (motifs précités, au paragraphe 37) :

L’emploi de l’une ou l’autre des bases de comparaison proposées en l’espèce n’entraînerait aucune indemnisation des demanderesses, sauf une indemnisation purement symbolique, et minerait en fait le régime de monopole établi pour protéger l’invention brevetée pendant le nombre d’années prévu dans la Loi sur les brevets.

[21]      Nous constatons également que la méthode comparative que l’avocat de l’appelante nous exhorte à adopter a récemment été rejetée par un tribunal anglais dans l’affaire Celanese International Corp. v. BP Chemicals Ltd., [1999] R.P.C. 203 (Ch. D.). Dans ce jugement, le tribunal a examiné à fond bon nombre des questions litigieuses qui sont soulevées en l’espèce au sujet de la réparation que constitue la reddition de comptes des profits. Le juge Laddie a suivi l’arrêt Reading and Bates, précité, sur ce point (au paragraphe 39), de préférence à l’appui quelque peu équivoque qui semble avoir été donné à la méthode comparative dans les remarques incidentes qui ont été formulées dans une décision beaucoup plus ancienne, l’arrêt Siddell v. Vickers (1892), 9 R.P.C. 153 (C.A.) (aux paragraphes 66 à 72).

Question 3 La répartition des bénéfices

[22]      L’avocat a fait valoir qu’en attribuant 60 % des revenus de la vente des comprimés d’Apo-Sulfatrim à l’utilisation de la TMP contrefaite, le juge MacKay a commis une erreur de droit parce qu’il a tenu compte du fait que (motifs précités, au paragraphe 58) la TMP avait un effet potentiateur plus grand que l’autre principe actif, le SMX. Il a soutenu qu’étant donné que la TMP n’était pas elle-même l’objet d’un brevet et qu’Apotex aurait pu s’en procurer sans contrefaire le brevet des intimées, le juge n’aurait dû accorder aucun poids à l’importance relative de la TMP et du SMX pour l’efficacité du médicament.

[23]      Nous n’acceptons pas cet argument. Dans une affaire comme celle-ci, la répartition des bénéfices réalisés implique l’exercice d’un certain pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel la Cour devrait se montrer très réticente à intervenir en l’absence d’erreur de droit clairement établie. Il faut noter tout particulièrement que le juge MacKay, qui a mené l’instruction de l’action en contrefaçon du brevet et présidé le renvoi sur le montant des profits, était bien au courant de tous les aspects de la présente affaire.

[24]      À notre point de vue, il était tout à fait approprié pour le juge d’accorder un certain poids aux qualités potentiatrices plus grandes de la TMP. Me Goldsmith, avocat des intimées, a brièvement souligné que la TMP ne pousse pas sur les arbres : elle doit être fabriquée. Et, vu que le procédé breveté des intimées était de loin la méthode la plus efficace pour ce faire, le juge MacKay avait à bon droit invoqué les qualités potentiatrices de la TMP. Cependant, nous convenons également avec l’avocat d’Apotex que, du point de vue de celle-ci, il n’était pas important que la méthode brevetée pour fabriquer la TMP ait été plus efficace.

[25]      D’un autre côté, nous notons que les effets potentiateurs relatifs de la TMP n’était que l’un des facteurs que le juge MacKay a considérés et que, même si l’effet potentiateur de la TMP était considéré comme étant 10 et 20 fois plus élevé que celui du SMX, le juge n’a réduit que de 40 % les profits attribuables à la TMP. En bref, le juge MacKay n’a erré ni en tenant compte de ce facteur, ni en le pondérant.

Question 4 Les déductions du revenu

[26]      L’avocat d’Apotex formule deux observations principales au sujet des dépenses que le juge MacKay a autorisé Apotex à déduire des recettes réalisées grâce à ses comprimés d’Apo-Sulfatrim.

[27]      Il soutient tout d’abord que le juge de première instance a commis une erreur de droit en adoptant la méthode comptable du coût marginal, ou méthode du coût différentiel, pour déterminer la proportion des coûts totaux d’Apotex qui peut légitimement être attribuée à la production, à la commercialisation et à la vente d’Apo-Sulfatrim (motifs précités, aux paragraphes 50 à 53). Il fait valoir qu’il est plus juste d’adopter la méthode de comptabilité du coût de revient complet et de permettre à Apotex de déduire du total de ses dépenses une partie équivalente à celle que représentent les recettes réalisées grâce à l’Apo-Sulfatrim par rapport au total des recettes de la compagnie.

[28]      Bien que la méthode du coût de revient complet puisse être appropriée dans certains cas et que son utilisation ait reçu un certain appui dans certaines décisions américaines plus anciennes (voir, par exemple, le jugement Tremaine v. Hitchcock, 90 U.S. 518 (1874)), la méthode du coût marginal a bénéficié d’un appui plus constant dans la jurisprudence canadienne moderne sur la comptabilisation des profits (voir les jugements Teledyne Industries Inc. c. Lido Industrial Products (1982), 30 C.P.C. 285 (C.F. 1re inst.) et Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1990), 32 C.P.R. (3d) 385 (C.F. 1re inst.)). On ne saurait donc affirmer que le juge a commis une erreur de droit en adoptant cette méthode dans le cas qui nous occupe.

[29]      En second lieu, l’avocat d’Apotex soutient que, même s’il n’a pas commis d’erreur de droit en écartant la méthode du coût de revient complet, le juge de première instance a néanmoins commis des erreurs en appliquant la méthode du coût marginal aux faits. Ainsi, il n’a pas permis à Apotex de déduire l’impôt sur le revenu payé sur les recettes provenant de la vente d’Apo-Sulfatrim, ainsi que d’autres frais qui pouvaient être attribués expressément à la production et à la vente des comprimés.

[30]      Nous ne sommes pas convaincus que, compte tenu des éléments de preuve dont il disposait, le juge MacKay a commis une erreur dans les conclusions de fait qu’il a tirées, et encore moins qu’il a commis une erreur manifeste et dominante. Par exemple, Apotex n’a pas soutenu devant le juge de première instance qu’elle avait le droit de déduire des impôts et, en tout état de cause, même si elle avait la faculté, en droit, de déduire l’impôt payé sur les profits réalisés grâce à la vente des comprimés d’Apo-Sulfatrim (voir la décision Celanese, précitée, aux paragraphes 128 à 139, pour une approbation de la déduction des impôts), Apotex n’a pas produit ses déclarations de revenus comme preuve de l’impôt payé, mais uniquement ses états financiers. Ces états contenaient uniquement des projections de l’impôt à payer, ce qui est fort différent d’un état indiquant le montant d’impôt effectivement payé pour des années déterminées.

[31]      De façon plus générale, on peut noter qu’Apotex n’avait pas tenu des registres financiers qui permettaient de savoir avec certitude quelles dépenses pouvaient être attribuées à ses diverses gammes de produits, dont l’Apo-Sulfatrim, malgré le fait qu’elle savait depuis 1983 que les intimées avait le choix de demander une comptabilisation des profits réalisés à l’égard de ces comprimés si la responsabilité de la contrefaçon de leur brevet était établie. De plus, ainsi que l’avocat d’Apotex l’a admis, sa cliente avait la charge de prouver qu’elle avait droit à une déduction déterminée.

Question 5 Les intérêts

[32]      L’avocat d’Apotex affirme que le juge de première instance a commis une erreur en fixant le taux des intérêts antérieurs au jugement au taux préférentiel majoré de un pour cent (motifs précités, aux paragraphes 61 à 63). En particulier, il souligne qu’il ressort à l’évidence des états financiers qu’Apotex a réussi à obtenir des prêts garantis à un taux moins élevé que ce taux d’intérêt. En conséquence, soutient-il, le juge de première instance a commis une erreur en concluant que, en raison des profits qu’elle a réalisés grâce à sa contrefaçon du brevet des intimées, Apotex a épargné les coûts afférents à un prêt au taux préférentiel majoré de un pour cent.

[33]      À notre avis, la preuve soumise au juge MacKay n’est pas suffisante pour nous permettre de conclure qu’en fixant le taux d’intérêt comme il l’a fait, le juge MacKay a commis une erreur justifiant l’infirmation de sa décision sur une question qui relevait largement de son pouvoir souverain d’appréciation.

[34]      Nous ne sommes pas d’accord non plus pour dire qu’il a commis une erreur lorsqu’il a considéré que les recettes sur lesquelles l’intérêt était calculé avaient été reçues à la date de la facture. Bien qu’un laps de temps ait pu s’écouler entre la date de facturation et la date à laquelle elle a effectivement touché les recettes, Apotex a acquis le droit aux sommes facturées à la date de facturation et elle n’a soumis aucun élément de preuve qui aurait permis au juge de première instance de retenir une autre date.

C.        APPEL INCIDENT

Question 1 Les 828,4 kilogrammes

[35]      L’avocat de Wellcome soutient que le juge MacKay a commis une erreur de droit lorsqu’il a retranché des revenus, pour lesquels Apotex était tenu de rendre compte, les 600 000 $ dont il était convenu qu’ils pouvaient être attribués à la vente des comprimés d’Apo-Sulfatrim contenant les 828,4 kilogrammes de TMP non contrefaite qu’Apotex elle-même avait mélangés avec 725,6 kilogrammes de TMP contrefaite : motifs précités, au paragraphe 26.

[36]      L’argument était qu’en mélangeant la substance non contrefaite avec la substance contrefaite, Apotex avait augmenté le nombre de comprimés qui contenaient la TMP contrefaite et que, étant donné que la comptabilisation des profits était basée sur le nombre de comprimés contrefaits qu’Apotex avait produits, elle devrait être tenue de rendre compte des revenus attribuables aux comprimés renfermant les 828,4 kilogrammes de TMP non contrefaite. Le fait qu’Apotex n’a pas augmenté d’un seul sou ses revenus par suite du mélange n’est pas, selon l’argumentation, pertinent.

[37]      Nous convenons avec le juge de première instance qu’Apotex n’est pas tenue de rendre compte de cette somme, même si nous exprimerions un peu différemment les motifs qui nous amènent à cette conclusion. À notre avis, Apotex n’est pas tenue d’en rendre compte parce qu’elle peut prouver combien de TMP non contrefaite était présente dans les 14 lots de comprimés fabriqués à partir du lot formé d’un mélange, à savoir 828,4 kilogrammes sur 1554 kilogrammes de TMP en tout.

[38]      De fait, étant donné qu’une certaine quantité de la TMP contrefaite qu’Apotex a mélangée avec les 828,4 kilogrammes de TMP non contrefaite provenait des 27 lots qui contenaient à la fois la TMP contrefaite et la TMP non contrefaite, les 1554 kilogrammes devaient avoir renfermé plus que 828,4 kilogrammes de TMP non contrefaite. Mais, comme Apotex n’était pas en mesure de quantifier le montant de TMP non contrefaite que les 27 lots à base de mélange renfermaient, elle ne pouvait déduire plus que les revenus tirés des 828,4 kilogrammes.

[39]      L’avocat de Wellcome a reconnu que l’explication avancée ci-dessus était une interprétation possible de ce que le juge voulait dire lorsqu’il a déclaré (au paragraphe 26) que les 828,4 kilogrammes devraient être exclus du fait que leur utilisation avait « déjà été comptabilisée dans l’évaluation de l’étendue de la contrefaçon par utilisation des 81 lots renfermant le TAA ».

Question 2 La répartition des bénéfices

[40]      L’avocat soutient que le juge MacKay a commis une erreur de droit en décidant qu’il convenait de diminuer de 40 p. 100 les bénéfices dont Apotex devait rendre compte, en raison de la présence de l’autre ingrédient actif dans l’Apo-Sulfatrim, en l’occurrence le produit chimique non contrefait SMX. L’avocat de Wellcome est d’avis que l’arrêt Colonial Fastener Co. Ltd. v. Lightning Fastener Co. Ltd., [1937] R.C.S. 36, permet d’affirmer que la répartition ne se justifie pas du simple fait qu’un produit contient un élément fabriqué grâce à un procédé breveté.

[41]      Nous ne sommes pas persuadés, au vu de cette décision, que le juge de première instance a commis une erreur en procédant à cette répartition dans le cas qui nous occupe. L’affaire Colonial Fastener portait sur des dommages-intérêts, et non sur une reddition de compte de profits et, malgré leurs similitudes, les principes applicables à la réparation en equity sous forme de reddition de compte de profits, d’une part, et à la réparation sous forme de dommages-intérêts qui est reconnue en common law, d’autre part, ne sont pas nécessairement identiques à tous égards.

[42]      Qui plus est, dans une décision plus récente, l’arrêt Lubrizol Corp. c. Cie Pétrolière Impériale Ltée, [1997] 2 C.F. 3 (C.A.), au paragraphe 10, la Cour a clairement conclu que, lorsqu’un produit contient plusieurs ingrédients, dont un seul fait l’objet d’un brevet, il convient en principe de répartir les recettes entre celles qui sont attribuables à l’ingrédient contrefait et celles qui ne le sont pas. Toutefois, la réponse à la question de savoir s’il convient de procéder à cette répartition dépend en grande partie de celle de savoir si cette répartition est faisable dans les faits. La méthode proposée dans l’arrêt Lubrizol a été retenue dans la décision Celanese, précitée, aux paragraphes 46 et 51.

[43]      L’avocat a reconnu que si, contrairement à ce qu’il prétend, la répartition est une mesure appropriée en l’espèce, il accepte la répartition de 60/40 retenue par le juge de première instance en faveur de Wellcome.

Question 3 Les déductions

[44]      L’avocat s’oppose à certaines des déductions accordées par le juge de première instance, au motif que celui-ci ne disposait tout simplement pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que la production, la commercialisation et la vente d’Apo-Sulfatrim avaient eu pour effet d’augmenter les coûts supportés par Apotex, au chapitre, par exemple, de la main-d’œuvre annuelle et des coûts indirects de production, du salaire des vendeurs et de la publicité. Il a souligné qu’Apotex n’avait pas tenu des registres satisfaisants à partir desquels les calculs nécessaires auraient pu être faits de façon fiable, malgré l’obligation qui lui en était faite après avoir été avisée que Wellcome avait l’intention de réclamer une reddition de compte des profits.

[45]      Là encore, nous ne sommes pas persuadés que la preuve était à ce point insuffisante pour que l’on puisse considérer que les conclusions de fait que le juge MacKay a tirées au sujet de ces questions sont entachées d’une erreur manifeste et dominante. Certes, la preuve soumise au juge était loin d’être aussi complète qu’elle aurait pu l’être. Néanmoins, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’espèce, nous ne sommes pas convaincus que son estimation des coûts peut être qualifiée de simple impression. La preuve était suffisante pour justifier le résultat auquel il est parvenu.

D.        DISPOSITIF

[46]      Pour ces motifs, nous sommes d’avis de rejeter l’appel et l’appel incident avec dépens dans les deux cas.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.