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[2001] 3 C.F. 412

A-331-99

2001 CAF 62

Première nation des Chipewyans d’Athabasca (appelante)

c.

British Columbia Hydro and Power Authority (intimée)

et

Office national de l’énergie (intervenant)

A-328-99

British Columbia Wildlife Federation et la Steelhead Society of British Columbia (appelantes)

c.

British Columbia Hydro and Power Authority (intimée)

et

Office national de l’énergie (intervenant)

Répertorié : Première nation des Chipewyans d’Athabasca c. British Columbia Hydro and Power Authority (C.A.)

Cour d’appel, juges Rothstein, Sharlow et Malone, J.C.A.Edmonton, 14 et 15 février; Toronto, 14 mars 2001.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Certiorari — Appel d’une décision de l’Office national de l’énergie autorisant la délivrance de permis d’exportation d’électricité à la B.C. Hydro — La norme de contrôle est le caractère raisonnable simpliciter — Même un tribunal qui commande la retenue doit former une conclusion rationnelle et fondée sur les renseignements fournis — Sa décision est annulée si la Cour chargée du contrôle judiciaire ne trouve rien, dans les motifs du tribunal et dans les renseignements qui lui ont été fournis, pour étayer la décision à laquelle il est arrivé.

Énergie — Appel d’une décision de l’Office national de l’énergie (ONE) autorisant la délivrance de permis d’exportation à la B.C. Hydro, l’ONE ayant conclu que les exportations d’électricité n’entraîneraient pas d’effets environnementaux négatifs importants — La norme de contrôle est le caractère raisonnable simpliciter — Même un tribunal qui commande la retenue doit former une conclusion rationnelle et fondée sur les renseignements fournis — Dans ses observations, la B.C. Hydro n’a fait aucune mention de changements à l’exploitation — L’ONE n’a pas traité des changements à l’exploitation ni des effets environnementaux négatifs potentiels en aval — La décision est annulée dans les cas, comme en l’espèce, où la Cour chargée du contrôle judiciaire ne trouve rien, dans les motifs du tribunal et dans les renseignements qui lui ont été fournis, pour étayer la décision à laquelle il est arrivé.

En 1998, la British Columbia Hydro and Power Authority (B.C. Hydro) a demandé à l’Office national de l’énergie (ONE) des permis d’exportation d’électricité. Les appelantes et d’autres personnes ont déposé des mémoires auprès de l’ONE alléguant que la délivrance des permis entraînerait des effets environnementaux négatifs en aval. Elles ont soutenu que la délivrance des permis altérerait ou contribuerait à altérer le modèle d’écoulement naturel des rivières sur lesquelles la B.C. Hydro exploite ses barrages, causant ainsi des effets environnementaux négatifs importants. Il s’agissait d’un appel interjeté contre cette décision. La seule question qui devait être tranchée était de savoir si l’ONE disposait des renseignements suffisants pour étayer sa conclusion.

Arrêt : l’appel est accueilli.

L’ONE n’est pas relégué au seul rôle d’organisme auprès duquel la demande est déposée. Il lui appartient de recommander qu’une demande relève de la procédure plus complexe de la licence d’exportation et de prescrire les conditions applicables aux permis délivrés. Dans ces décisions, l’ONE doit tenir compte, notamment, des conséquences de l’exportation sur l’environnement et des mesures de protection et de remise en état de l’environnement. Le Règlement prévoit que le demandeur doit fournir des renseignements sur les effets environnementaux négatifs de l’exportation d’électricité proposée et sur les mesures qui seront prises pour les atténuer. La norme de contrôle applicable aux décisions de l’ONE est le caractère raisonnable simpliciter.

La B.C. Hydro a expliqué à l’ONE qu’il ne serait pas construit de nouvelles installations, mais elle n’a pas dit s’il y aurait un changement à l’exploitation des installations existantes, par exemple des modifications aux quantités d’eau déchargée aux barrages, en particulier au barrage Bennett, ni quelles mesures seraient prises pour tenir compte des effets environnementaux potentiellement négatifs issus de la délivrance des permis. Pour sa part, l’ONE n’a pas expliqué dans les motifs de sa décision quels changements, le cas échéant, la délivrance des permis entraînerait sur l’exploitation des barrages de la B.C. Hydro et si ces changements auraient des effets environnementaux négatifs en aval. La conclusion qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes que les exportations particulières projetées auraient des effets sur l’environnement soulève des difficultés. Si c’était l’intention de l’ONE d’imposer aux intervenants la charge de la preuve des effets environnementaux négatifs, l’ONE a commis une erreur. Le demandeur du permis est tenu de fournir à l’ONE suffisamment de renseignements pour permettre à celui-ci de prendre une décision. L’ONE ne pouvait déduire du silence de la B.C. Hydro sur les changements dans l’exploitation issus de la délivrance des permis qu’il n’y aurait pas de changements ni d’effets environnementaux négatifs importants.

Si la Cour doit s’en rapporter à l’ONE sur les questions qui relèvent du domaine d’expertise de celui-ci, puisque l’ONE ne donne dans ses motifs aucune indication qu’il considérait les changements potentiels apportés dans l’exploitation comme une question à traiter, la Cour n’a pu conclure que l’ONE a formé une conclusion éclairée et rationnelle. Dans le cas où la Cour chargée du contrôle judiciaire ne trouve rien pour étayer la conclusion à laquelle l’ONE est arrivé, la décision de l’ONE est sans fondement.

L’appel est accueilli et les permis sont annulés. Cependant, comme la B.C. Hydro exploite ses installations conformément à ces permis depuis plus de deux ans, le prononcé du jugement a été reporté de 60 jours pour éviter toute perturbation indue de fonctionnement. Dans ce délai, les avocats doivent élaborer un projet de jugement sur lequel ils s’entendent, à défaut de quoi l’une ou l’autre des parties peut s’adresser à la Cour pour décider de la réparation. À défaut de l’une ou l’autre de ces deux mesures, un jugement sera prononcé, annulant les permis et renvoyant l’affaire à l’Office en vue d’un nouvel examen.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7, art. 119.02 (édicté par L.C. 1990, ch. 7, art. 34), 119.03 (édicté, idem), 119.04 (édicté, idem), 119.05 (édicté, idem), 119.06 (édicté, idem), 119.07 (édicté, idem), 119.08 (édicté, idem), 119.09 (édicté, idem), 119.091 (édicté, idem), 119.092 (édicté, idem), 119.093 (édicté, idem), 119.094 (édicté, idem).

Règlement de l’Office national de l’énergie concernant l’électricité, DORS/97-130, art. 2 « effets environnementaux » (mod. par DORS/99-338, art. 1), « transfert d’équivalents », « permis », « transfert en vue du stockage », 9o), 10k).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 1; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20.

APPEL d’une décision de l’Office national de l’énergie autorisant la délivrance de permis d’exportation à la British Columbia Hydro and Power Authority malgré des mémoires qui alléguaient que la délivrance de ces permis entraînerait des effets environnementaux négatifs sur l’environnement. Appel accueilli au motif que la décision de l’Office n’est pas raisonnable.

ONT COMPARU :

Richard C. Secord et J. Trina Kondro pour l’appelante, la Première nation des Chipewyans d’Athabasca.

Christopher W. Sanderson, c.r. et Jeff Christian pour l’intimée, la British Columbia Hydro and Power Authority.

Timothy J. Howard pour les appelantes, la British Columbia Wildlife Federation et la Steelhead Society of British Columbia.

Judith B. Hanebury, c.r., pour l’intervenant, l’Office national de l’énergie.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ackroyd, Piasta, Roth & Day, Edmonton, pour l’appelante, la Première nation des Chipewyans d’Athabasca.

Lawson Lundell Lawson & McIntosh, Vancouver, pour l’intimée, la British Columbia Hydro and Power Authority.

Sierra Legal Defence Fund, Vancouver, pour les appelantes, la British Columbia Wildlife Federation et la Steelhead Society of British Columbia.

Contentieux de l’Office national de l’énergie, Calgary, pour l’intervenant, l’Office national de l’énergie.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Rothstein, J.C.A. : Par demande adressée à l’Office national de l’énergie en date du 6 juillet 1998, la société British Columbia Hydro a demandé un permis d’exportation d’électricité pour un « transfert d’équivalents » (échange de quantités égales de puissance ou d’énergie au cours d’une période déterminée) et un « transfert en vue du stockage » (transfert d’une quantité d’énergie accumulée sous forme de volume d’eau retenue dans le réservoir d’un autre réseau d’électricité, en prévision de la remise d’une quantité équivalente d’énergie à une date ultérieure), selon les définitions de ces termes à l’article 2 du Règlement de l’Office national de l’énergie concernant l’électricité, DORS/97-130.

[2]        L’avis de la demande ayant été publié, les appelantes et d’autres personnes ont déposé des mémoires auprès de l’Office. Les mémoires des appelantes étaient axés sur les effets environnementaux négatifs, selon ce qu’elles prétendent, résultant de la délivrance des permis à la B.C. Hydro.

[3]        La British Columbia Wildlife Federation et la Steelhead Society of British Columbia ont soutenu que la délivrance des permis altérerait le modèle d’écoulement naturel des rivières sur lesquelles la B.C. Hydro exploite ses barrages ou y contribuerait, causant ainsi des effets environnementaux négatifs importants.

[4]        La Première nation des Chipewyans d’Athabasca (PNCA) a concentré son opposition sur les effets des permis sur l’exploitation du barrage W.A.C. Bennett, situé dans le bassin de la rivière de la Paix au nord-est de la Colombie-Britannique. Le barrage Bennett et les centrales qui y sont reliées forment le plus grand aménagement hydroélectrique de la British Columbia Hydro. Le barrage contrôle le plus vaste réservoir de la province et compte pour environ le quart de la production annuelle d’électricité de la société. Depuis son achèvement en 1967, le barrage a modifié le cours naturel de la rivière de la Paix. La PNCA a fait observer que la modification du débit naturel a entraîné des changements importants dans l’écosystème de ses terres ancestrales et de ses réserves, situées à environ mille kilomètres en aval dans la région du delta Paix-Athabasca au nord de l’Alberta. Les zones humides du delta se sont asséchées, les herbages étant remplacés par des buissons et des arbustes. La faune, notamment le poisson, la sauvagine et le rat musqué, a décliné. La PNCA affirme que la délivrance des permis attaqués intensifie les effets existants.

[5]        Après avoir étudié le matériel présenté par la B.C. Hydro et les observations des intervenants, y compris des appelantes, l’Office national de l’énergie a délivré des permis d’exportation à la B.C. Hydro, le 17 décembre 1998, pour une durée de 10 ans, soit du 1er février 1999 au 31 janvier 2009. Dans une lettre datée du 6 janvier 1999, l’Office a exposé les raisons justifiant la délivrance des permis. S’agissant des questions environnementales, l’Office était d’avis que « les exportations d’électricité projetées n’entraîneraient pas d’effets environnementaux négatifs importants ».

[6]        Il s’agit donc d’un appel interjeté auprès de la Cour à l’encontre de la délivrance des permis par l’Office, l’autorisation d’en appeler ayant été accordée par une ordonnance en date du 9 avril 1999.

[7]        Les arguments des appelantes embrassent un grand nombre d’éléments de nature juridique, historique et factuelle. Toutefois, la seule question qui doit être tranchée par la Cour est de savoir si l’Office disposait, et s’il en a pris compte, des renseignements pour étayer sa conclusion que les exportations d’électricité projetées n’entraîneraient pas d’effets environnementaux négatifs importants.

LE RÉGIME LÉGISLATIF

[8]        La partie de la Loi sur l’Office national de l’énergie [L.R.C. (1985), ch. N-7] qui intéresse l’exportation d’électricité a été adoptée en 1990 (L.C. 1990, ch. 7, art. 34). Il ressort de la procédure prévue par la Loi que l’intention du Parlement était d’alléger la réglementation applicable à l’exportation d’électricité.

[9]        Les dispositions pertinentes de la Loi sur l’Office national de l’énergie et du Règlement concernant l’électricité figurent à l’annexe A des présents motifs. Le régime législatif se résume brièvement comme suit. Il est interdit d’exporter de l’électricité sans une autorisation de l’Office national de l’énergie, sous la forme d’un permis ou d’une licence. La procédure la plus courante et la plus simple pour obtenir cette autorisation est la délivrance obligatoire du permis, sur demande du demandeur et sans audience publique de l’Office. Sont annexés à la demande les renseignements qui, selon le Règlement, doivent être fournis à l’Office.

[10]      Exceptionnellement, le gouverneur en conseil peut préciser qu’une demande est assujettie à la délivrance d’une licence, procédure plus complexe qui nécessite une audience publique. Dans ce cas, l’Office a le pouvoir discrétionnaire de délivrer ou de ne pas délivrer la licence.

[11]      La demande de permis d’exportation doit faire l’objet d’un avis public. Par la suite, l’Office peut exiger du demandeur tout complément d’information qu’il estime nécessaire à sa décision d’effectuer une recommandation au ministre des Ressources naturelles de s’adresser au gouverneur en conseil pour qu’il précise que la demande est assujettie à la procédure de licence. Pour déterminer s’il y a lieu de procéder à la recommandation, l’Office doit tenir compte de tous les facteurs qui semblent pertinents, et notamment des conséquences de l’exportation sur l’environnement.

[12]      L’Office peut assortir les permis qu’il délivre des conditions, en ce qui touche les données prévues par le Règlement, qu’il juge nécessaires ou souhaitables dans l’intérêt public. Aux termes de l’alinéa 10k) du Règlement concernant l’électricité, l’Office peut prescrire des conditions concernant les exigences relatives à la protection et à la remise en état de l’environnement.

[13]      La législation vise à simplifier le processus de demande et à éviter le double emploi et la lourdeur administrative dans la mesure du possible. Par exemple, pour déterminer s’il y a lieu de recommander qu’une demande fasse l’objet d’une audience pour l’obtention d’une licence, l’Office tente d’éviter le dédoublement des mesures prises au sujet de l’exportation d’électricité par le demandeur et le gouvernement de la province exportatrice.

[14]      Cela ne signifie pas toutefois que l’Office soit relégué au seul rôle d’organisme auprès duquel la demande est déposée. Il appartient à l’Office de décider s’il y a lieu de recommander qu’une demande relève de la procédure plus complexe de la licence d’exportation et de prescrire les conditions applicables aux permis délivrés. Dans ces décisions, l’Office doit tenir compte, notamment, des conséquences de l’exportation sur l’environnement et des mesures de protection et de remise en état de l’environnement. Pour permettre à l’Office de prendre ces décisions, le demandeur doit lui fournir les renseignements prévus par le Règlement. S’agissant des questions environnementales, l’alinéa 9o) du Règlement prévoit que le demandeur doit fournir des renseignements sur les effets environnementaux négatifs de l’exportation d’électricité proposée et sur les mesures qui seront prises pour les atténuer en tout ou en partie. Ce n’est évidemment qu’à la condition que ces renseignements soient communiqués que l’Office sera en mesure de prendre ses décisions de manière logique et raisonnable.

LA NORME DE CONTRÔLE

[15]      La question de savoir si les renseignements présentés par la B.C. Hydro sont suffisants pour permettre à l’Office de prendre ses décisions quant à la recommandation et aux conditions relève de l’expertise de l’Office. C’est lui qui possède l’expertise pour trancher la question des effets environnementaux négatifs et pour décider de quels renseignements il a besoin pour apprécier ces effets. La décision de recommander au ministre de demander au gouverneur en conseil de préciser que la demande doit être assujettie à une audience publique et à une licence et la décision d’assortir les permis de conditions particulières sont des questions qui relèvent du pouvoir discrétionnaire de l’Office. Toutefois, la législation ne comporte pas de disposition privative. Au contraire, elle prévoit un droit d’appel sur autorisation. Compte tenu de ces considérations, je conclus que la norme de contrôle en l’espèce est le caractère raisonnable simpliciter.

ANALYSE

[16]      La question soumise à l’Office, qui est pertinente dans le présent appel, consiste à décider si la délivrance des permis entraînerait des effets environnementaux négatifs en aval des barrages de la B.C. Hydro et, en particulier, du barrage Bennett, qui s’ajouteraient aux effets qui existent déjà sans la délivrance des permis.

[17]      Dans sa demande, la B.C. Hydro a fait valoir les points suivants :

1. Ses installations existantes sont assujetties à diverses réglementations.

2. Les effets environnementaux ont été pris en compte au moment de l’approbation de ses installations.

3. L’utilisation de l’électricité produite par ses installations ne doit pas être un facteur pertinent.

4. Les permis sollicités pour l’exportation n’exigent pas la construction de nouvelles installations. Il ne devrait donc pas être nécessaire de mener d’autres évaluations environnementales.

[18]      Les observations de la B.C. Hydro sont obscures. Elles ont pour thème central qu’il ne sera pas construit de nouvelles installations. Ces renseignements répondent incontestablement à un aspect des effets environnementaux négatifs, soit l’absence d’effets résultant de la construction de nouvelles installations. Mais ils ne répondent aucunement à la question de savoir si les permis exigent un changement à l’exploitation des installations de productions existantes de la B.C. Hydro, par exemple des modifications à la programmation et aux quantités d’eau déchargée aux barrages et, en particulier au barrage Bennett. Les observations présentées par la B.C. Hydro semblent n’avoir pas tenu compte de cet aspect de la problématique environnementale.

[19]      Dans sa réponse aux mémoires soumis à l’Office, la B.C. Hydro a complété les renseignements fournis au sujet de l’alinéa 9o) par des observations soulignant que les permis n’entraîneraient pas d’exportations nettes d’électricité et qu’ils assureraient une utilisation plus efficiente de ses réseaux d’électricité, une réduction vraisemblable des émissions des centrales thermiques et un report des besoins de construction de nouvelles installations. Ces avantages environnementaux ont sans doute de la valeur, mais le Règlement exige de la B.C. Hydro qu’elle précise à l’Office les effets environnementaux négatifs. Il peut y avoir intérêt à évaluer les avantages en matière d’environnement en regard des effets environnementaux négatifs. Quoi qu’il en soit, les effets environnementaux négatifs ne peuvent être passés sous silence. Même dans le cas où ils seraient inexistants, il serait nécessaire de le justifier par une explication.

[20]      La Cour a consacré énormément de temps à l’examen de la demande et de la réponse de la B.C. Hydro, à la fois au cours de l’audience orale et par la suite. La Cour a tenté de savoir quels renseignements, le cas échéant, avaient été communiqués, pour tenir compte des effets environnementaux potentiellement négatifs issus de la délivrance des permis, sur les changements dans l’exploitation des installations. Il semble qu’aucun renseignement de cette nature n’a été fourni.

[21]      De plus, l’Office national de l’énergie n’a pas expliqué dans les motifs de sa décision quels changements, le cas échéant, la délivrance des permis entraînerait sur l’exploitation des barrages de la B.C. Hydro et, en particulier, du barrage Bennett, et si ces changements auraient des effets environnementaux négatifs en aval. S’agissant des effets environnementaux négatifs, l’Office donne les raisons suivantes :

L’Office estime que la question de l’à-propos des lois environnementales et des régimes en place au moment de la construction du barrage W.A.C. Bennett n’est pas pertinente dans l’analyse des effets environnementaux de la demande aux termes de la Loi sur l’ONÉ. L’opinion que BC Hydro ne se conforme pas aux normes et lignes directrices fédérales ou provinciales pertinentes dans l’exploitation de ses installations n’est pas étayée par des preuves. De plus, la preuve avancée n’était pas suffisante pour établir que les exportations particulières projetées auraient une incidence sur l’environnement. Après avoir examiné la question, l’Office est d’avis que les exportations d’électricité projetées n’entraîneraient pas d’effets environnementaux négatifs importants.

[22]      J’accepte sans difficulté que les considérations environnementales intéressant la construction du barrage W.A.C. Bennett ne sont pas pertinentes eu égard à la question de la délivrance des permis d’exportation par l’Office. Je reconnais également le bien-fondé de la conclusion de l’Office portant que la B.C. Hydro se conformait aux normes et lignes directrices fédérales ou provinciales dans l’exploitation de ses installations. Toutefois, la conclusion de l’Office qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes que les exportations particulières projetées auraient des effets sur l’environnement soulève des difficultés.

[23]      L’une des interprétations de cette conclusion est que l’Office a imposé aux intervenants la charge de la preuve des effets environnementaux négatifs. Si c’était l’intention de l’Office, l’Office a commis une erreur. Le demandeur du permis est tenu de fournir à l’Office suffisamment de renseignements pour permettre à celui-ci de prendre ses décisions. La considération pertinente en l’espèce était de préciser quels changements dans l’exploitation des installations existantes, le cas échéant, entraînerait la délivrance des permis. L’Office n’a tout simplement pas traité la question. Même s’il n’imposait pas aux intervenants la charge de la preuve, l’Office ne pouvait déduire du silence de la B.C. Hydro sur les changements dans l’exploitation issus de la délivrance des permis qu’il n’y aurait pas de changements ni d’effets environnementaux négatifs importants.

[24]      La question que doit trancher la Cour est de savoir si la décision de l’Office, qu’il n’y aurait pas d’effets environnementaux négatifs importants, est raisonnable. Au paragraphe 62 de l’affaire Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, aux pages 779 et 780, le juge Iacobucci a déclaré :

En définitive, la norme de la décision raisonnable ne fait que dire aux cours chargées de contrôler les décisions des tribunaux administratifs d’accorder un poids considérable aux vues exprimées par ces tribunaux sur les questions à l’égard desquelles ceux-ci possèdent une grande expertise. Même si le respect d’une politique de retenue en faveur de l’expertise peut se traduire par une norme de contrôle particulière, au fond, la question qui se pose est celle du poids qui doit être accordé aux opinions des experts. En d’autres mots, la retenue examinée en fonction de la « norme de la décision raisonnable » et la retenue examinée en fonction du « poids [des opinions] » sont deux facettes d’un même problème. À cet égard, je suis d’accord avec M. Kerans, [Standards of Review Employed by Appellate Courts, (Edmonton : Juriliber, 1994)] à la p. 17, qui a décrit ainsi la retenue qui doit être témoignée devant l’expertise :

[traduction] Dans notre société, les experts ont droit à ce titre précisément parce qu’ils sont capables de tirer des conclusions éclairées et rationnelles. Si c’est le cas, ils devraient être en mesure d’expliquer à un observateur impartial mais moins bien renseigné qu’eux les raisons justifiant leurs conclusions. S’ils ne sont pas capables de le faire, ce ne sont pas de grands experts. Si une conclusion vaut la peine d’être connue et mérite qu’on s’y fie, elle vaut la peine d’être exposée. L’expertise ne commande la retenue que si l’expert est cohérent. L’expertise perd le droit à la retenue, lorsque les opinions exprimées sont indéfendables. Cela dit, il semble évident que manifestement [les cours d’appels] doivent accorder un poids considérable aux opinions convaincantes exprimées de la manière indiquée. [Je souligne.]

[25]      Si l’on estime que, sur des questions complexes exigeant l’expertise de l’Office, il n’est pas nécessaire que la Cour comprenne comment l’Office est parvenu à sa décision, sur la base du matériel qui lui a été fourni, il suffirait d’accepter la conclusion de l’Office sans plus. Néanmoins, le devoir de la Cour est de décider si la décision de l’Office est raisonnable.

[26]      Je reconnais qu’il ne faut pas de nouvelles installations, que les installations existantes sont assujetties à des réglementations, qu’il n’y aura pas d’exportations nettes d’électricité et que l’Office était au courant de ces faits. Cependant, il n’y a aucun renseignement sur les changements, le cas échéant, que la délivrance des permis visés entraînera dans l’exploitation des barrages de la B.C. Hydro. À défaut de cette information, je ne vois pas comment on peut conclure raisonnablement, à partir des renseignements communiqués, que la délivrance des permis n’aura pas d’effets environnementaux négatifs importants. Cela pourrait être effectivement le cas. Toutefois, cela ne ressort pas des observations présentées par la B.C. Hydro et l’avocat n’a pas été en mesure d’expliquer à la Cour, en se reportant aux observations de sa cliente, comment la B.C. Hydro avait traité la question des changements dans l’exploitation de ses installations, notamment du barrage Bennett, le cas échéant, et des effets environnementaux négatifs que ces changements seraient susceptibles d’entraîner.

[27]      Les observations que la B.C. Hydro a présentées à l’Office ne sont d’aucun secours pour expliquer de manière cohérente pourquoi l’Office a conclu qu’il n’y aurait pas d’effets environnementaux négatifs importants du fait de la délivrance des permis. Je reconnais que la Cour doit s’en rapporter à l’Office sur les questions qui relèvent du domaine d’expertise de celui-ci. Cependant, comme l’Office ne donne dans ses motifs aucune indication qu’il considérait les changements potentiels apportés dans l’exploitation comme une question à traiter et comme la B.C. Hydro ne fournit rien dans ses observations, je ne puis conclure que l’Office a formé une conclusion éclairée et rationnelle. Dans le cas où la Cour chargée du contrôle judiciaire ne trouve rien, ni dans les raisons de l’Office ni dans les renseignements présentés à l’Office, pour étayer la conclusion à laquelle l’Office est arrivé, la décision de l’Office est sans fondement.

CONCLUSION

[28]      Je dois conclure que la décision de l’Office n’est pas raisonnable. Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens.

[29]      Je suis d’avis d’annuler les permis. Cependant, comme la B.C. Hydro exploite ses installations conformément à ces permis depuis deux ans, le prononcé du jugement est reporté pour éviter toute perturbation indue de fonctionnement. Les avocats des appelantes et de l’intimée, en consultation avec l’avocat de l’intervenant, élaboreront un projet de jugement sur lequel ils s’entendent, à défaut de quoi les appelantes ou l’intimé peuvent s’adresser à la Cour pour décider de la réparation. Si un projet de jugement convenu ou une demande en réparation ne sont pas déposés dans un délai de 60 jours à compter de la date des présents motifs, un jugement sera prononcé, annulant les permis et renvoyant l’affaire à l’Office en vue d’un nouvel examen, après que l’Office aura reçu et étudié les renseignements de la B.C. Hydro sur les changements dans l’exploitation de ses installations, le cas échéant, qu’occasionnera la délivrance des permis sollicités et sur les effets environnementaux négatifs, s’il y a lieu, de ces changements.

Le juge Sharlow, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Malone, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

ANNEXE A

Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7 [art. 119.02 à 119.094], édictés par L.C. 1990, ch. 7, art. 34.

Section II

Électricité

Interdiction

119.02 Il est interdit d’exporter de l’électricité sans un permis ou une licence, respectivement délivré en application des articles 119.03 ou 119.08, ou en contravention avec l’un ou l’autre de ces titres.

Permis

119.03 (1) Sauf si un décret a été pris au titre de l’article 119.07, l’Office délivre, sur demande et sans audience publique, les permis autorisant l’exportation d’électricité.

(2) Sont annexés à la demande les renseignements prévus par règlement et liés à celle-ci.

119.04 Le demandeur fait publier un avis de la demande dans la Gazette du Canada et telles autres publications que l’Office estime indiquées.

119.05 Dans un délai raisonnable, qui court à compter de la publication, l’Office peut exiger du demandeur tout complément d’information qu’il estime nécessaire à sa décision d’effectuer une recommandation au titre de l’article 119.06.

119.06 (1) L’Office peut suggérer, par recommandation qu’il doit rendre publique, au ministre la prise d’un décret au titre de l’article 119.07 visant une demande d’exportation d’électricité et surseoir à la délivrance de permis pour la durée nécessaire à la prise du décret.

(2) Pour déterminer s’il y a lieu de procéder à la recommandation, l’Office tente d’éviter le dédoublement des mesures prises au sujet de l’exportation d’électricité par le demandeur et le gouvernement de la province exportatrice et tient compte de tous les facteurs qu’il estime pertinents et notamment :

a) des conséquences de l’exportation sur les provinces autres que la province exportatrice;

b) des conséquences de l’exportation sur l’environnement;

c) du fait que le demandeur :

(i) a informé quiconque s’est montré intéressé par l’achat d’électricité pour consommation au Canada des quantités et des catégories de services offerts,

(ii) a donné la possibilité d’acheter de l’électricité à des conditions aussi favorables que celles indiquées à la demande, à ceux qui ont, dans un délai raisonnable suivant la communication de ce fait, manifesté l’intention d’acheter de l’électricité pour consommation au Canada;

d) de tout autre facteur qui peut être prévu par règlement.

Décrets

119.07 (1) Le gouverneur en conseil peut, par décret :

a) préciser que la demande d’exportation est assujettie à l’obtention de la licence visée à l’article 119.08;

b) annuler tout permis relatif à cette exportation.

(2) La prise du décret ne peut survenir plus de quarante-cinq jours après la délivrance du permis relatif à la demande.

(3) Le décret emporte l’impossibilité de délivrer tout permis relatif à la demande et l’assimilation de toute demande la visant à une demande de licence.

Licences

119.08 (1) Sous réserve de l’agrément du gouverneur en conseil et de l’article 24, l’Office peut délivrer une licence pour l’exportation de l’électricité visée par le décret.

(2) L’Office tient compte de tous les facteurs qui lui semblent pertinents.

(3) La décision de l’Office de ne pas délivrer de licence pour l’exportation de l’électricité visée par le décret emporte l’annulation de tout permis la visant et non annulé par le décret.

Conditionspermis et licences

119.09 (1) L’Office peut assortir le permis des conditions, en ce qui touche les données prévues par règlement, qu’il juge souhaitables dans l’intérêt public.

(2) L’Office peut assujettir la licence aux conditions qu’il juge souhaitables.

119.091 Constitue une condition du permis ou de la licence l’observation de la présente loi et de ses règlements en vigueur à la date de la délivrance et ultérieurement, ainsi que des ordonnances prises ou rendues sous le régime de la présente loi.

119.092 Les permis et licences deviennent périmés trente ans après leur délivrance ou à la date antérieure précisée dans le titre.

119.093 (1) L’Office peut annuler ou suspendre un permis ou une licence délivré pour l’exportation d’électricité soit à la demande ou avec le consentement du titulaire, soit en cas de contravention par celui-ci aux conditions de son titre.

(2) Toutefois, il doit auparavant aviser le titulaire de la contravention reprochée et lui donner la possibilité de se faire entendre.

Règlements

119.094 Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements d’application de la présente section et notamment :

a) arrêter les données objet des conditions pouvant régir les permis;

b) prévoir les renseignements à fournir pour les demandes de permis d’exportation, les unités de mesure et les instruments ou appareils de mesure à utiliser dans le cadre de l’exportation d’électricité et l’inspection de tout ce qui sert ou se rattache à l’exportation d’électricité, notamment instruments, appareils, usines, matériel, livres, registres ou comptes;

c) préciser les facteurs dont l’Office doit tenir compte pour déterminer s’il y a lieu de recommander au ministre la prise d’un décret, visant la demande de permis d’exportation, au titre de l’article 119.07.

Règlement de l’Office national de l’énergie concernant l’électricité, DORS/97-130 [art. 2 (mod. par DORS/99-338, art. 1)]

2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

[…]

« effets environnementaux » À l’égard du projet :

a) les changements que la réalisation du projet risque de causer à l’environnement, y compris les répercussions de ceux-ci soit en matière sanitaire et socio-économique, soit sur le patrimoine physique et culturel, soit sur l’usage courant des terres et des ressources à des fins traditionnelles par les Autochtones, soit sur une construction, un emplacement ou une chose d’importance en matière historique, archéologique, paléontologique ou architecturale;

b) les incidences environnementales des défaillances ou des accidents pouvant se produire, ainsi que les incidences cumulatives que la réalisation du projet, combinée à la réalisation d’autres projets ou activités, est susceptible de causer à l’environnement;

c) les changements susceptibles d’être apportés au projet du fait de l’environnement. (environmental effect)

[…]

« permis » Autorisation permettant :

a) soit la construction et l’exploitation d’une ligne internationale en vertu de la partie III.1 de la Loi;

b) soit l’exportation d’électricité en vertu de la partie VI de la Loi.

[…]

« transfert d’équivalents » Échange de quantités égales de puissance ou d’énergie au cours d’une période déterminée.

« transfert en vue du stockage » Transfert d’une quantité d’énergie accumulée, à l’époque considérée, sous forme de volume d’eau retenue dans le réservoir d’un autre réseau d’électricité, en prévision de la remise d’une quantité équivalente d’énergie à une date ultérieure.

[…]

9. La demande d’un permis d’exportation d’électricité, autre qu’un permis relatif au transfert en vue d’un service frontalier, doit contenir les renseignements suivants, à moins que l’Office n’informe le demandeur que ceux-ci sont déjà en sa possession ou qu’ils ne sont pas pertinents à la demande :

[…]

o) les effets environnementaux négatifs de l’exportation d’électricité proposée et les mesures qui seront prises pour les atténuer en tout ou en partie;

[…]

10. Le permis d’exportation d’électricité peut être assorti de conditions concernant :

[…]

k) les exigences relatives à la protection et à la remise en état de l’environnement;

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