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[2001] 2 C.F. 191

A-338-99

Sa Majesté la Reine (appelante) (défenderesse)

c.

RJR-MacDonald Inc. (intimée) (demanderesse)

Répertorié : RJR-MacDonald Inc. c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Létourneau, Sexton et Malone, J.C.A.—Toronto, 14 décembre; Ottawa, 22 décembre 2000.

Douanes et accise — Loi sur la taxe d’accise — Appel d’une décision de la C.F. 1re inst. accueillant un appel formé à l’encontre du refus par le MRN d’une demande de remboursement de la taxe d’accise payée sur des produits du tabac que l’intimée fournissait gratuitement à des fins de publicité et de promotion — L’art. 23(1) de la Loi sur la taxe d’accise impose la taxe d’accise sur les marchandises énumérées aux annexes qui sont de fabrication ou de provenance canadienne et qui sont livrées à l’acheteur — L’art. 23(2) prévoit que la taxe d’accise sur ces marchandises est exigible au moment de la livraison des marchandises à l’acheteur — L’art. 23(10) prévoit que les marchandises énumérées à l’annexe II qui sont de fabrication ou de provenance canadienne et sont destinées à l’usage de leur fabricant ou de leur producteur, et non à la vente, sont réputées avoir été livrées à leur acheteur et que la livraison est réputée consommée lorsque les marchandises sont employées — Si la livraison à l’acheteur est présumée, l’achat l’est aussi, et donc la vente — L’élément de la vente, dont le juge de première instance a conclu qu’il manquait dans l’art. 23(1) et (2), fait l’objet d’une présomption à l’art. 23(10) — Dans le cas où les marchandises sont réservées par le fabricant pour son usage, tous les éléments d’imposition de la taxe se trouvent dans l’art. 23(1), (2) et (10) — Les dispositions créant une présomption expresse de vente qu’on trouve ailleurs dans la Loi doivent être distinguées de la situation d’usage interne — Il n’y a pas double taxation lorsque la taxe est spécifique (c.-à-d. fixée à un taux exprimé par unité de quantité) parce que le taux n’augmente pas en fonction du prix des marchandises — La taxe d’accise sur les cigarettes et le tabac fabriqué est spécifique — La taxe ad valorem (exprimée en pourcentage du prix de vente) sur les cigares ne peut être imposée parce qu’elle serait une double taxation.

Il s’agit d’un appel interjeté contre une décision de la Section de première instance accueillant un appel formé à l’encontre du refus par le ministre du Revenu national d’une demande de remboursement de la taxe d’accise payée sur des produits du tabac que l’intimée fournissait gratuitement à des fins de publicité et de promotion. Il n’y avait pas de différence entre les produits vendus aux clients dans le cours normal des affaires et les échantillons de tabac. Le paragraphe 23(1) de la Loi sur la taxe d’accise impose la taxe d’accise sur les marchandises énumérées aux annexes I et II qui sont de fabrication ou de provenance canadienne et qui sont livrées à l’acheteur. Le paragraphe 23(2) prévoit que la taxe d’accise sur ces marchandises est exigible du fabricant ou du producteur au moment de la livraison des marchandises à l’acheteur. Le paragraphe 23(10) prévoit que les marchandises énumérées à l’annexe II qui sont de fabrication ou de provenance canadienne et sont destinées à l’usage de leur fabricant ou de leur producteur, et non à la vente, sont réputées avoir été livrées à leur acheteur et que la livraison est réputée consommée lorsque les marchandises sont employées. Le juge de première instance a statué que la taxe sur les échantillons de tabac n’était pas exigible à moins que tous les éléments des paragraphes 23(1) et 23(2) aient été réalisés et que, le paragraphe 23(10), qui traite des marchandises non vendues réservées à l’usage du fabricant, ne pourvoyant pas à une vente réputée, il n’y avait pas de vente au Canada, élément essentiel de la formule d’imposition aux paragraphes 23(1) et (2). Il a noté que le paragraphe 23(10) ne pourvoit pas à l’identification de la personne tenue de payer la taxe, bien que cela puisse être sans conséquence puisque seul le fabricant ou producteur a quoi que ce soit à voir avec les marchandises et qu’il serait peu ou pas logique que quelqu’un d’autre soit tenu de payer la taxe. La question à trancher portait sur le bien-fondé de l’interprétation des paragraphes 23(1), (2) et (10) de la Loi sur la taxe d’accise.

Arrêt : l’appel est accueilli à l’égard des cigarettes et du tabac fabriqué et rejeté à l’égard des cigares.

C’est à juste titre que le juge de première instance a conclu que dans le cas de marchandises réservées à l’usage du fabricant, il n’est pas nécessaire de préciser qui doit payer la taxe, puisque seul le fabricant a quoi que ce soit à voir avec les marchandises et est manifestement celui qui doit payer la taxe. Mais il a conclu à tort que les éléments du paragraphe 23(2), en particulier en ce qui touche l’exigence que les marchandises soient « vendues », n’avaient pas été réalisés. Le paragraphe 23(10) prévoit que les marchandises réservées à l’usage du fabricant sont réputées avoir été livrées à l’acheteur au moment où elles sont destinées à être employées par le fabricant. Si la livraison à un acheteur est présumée, il faut aussi présumer qu’il y a eu achat et donc vente. Par conséquent, l’élément de la vente, dont le juge de première instance a conclu qu’il manquait, fait l’objet d’une présomption au paragraphe 23(10). Il s’ensuit que, dans le cas où les marchandises sont réservées par le fabricant pour son usage, tous les éléments d’imposition de la taxe se trouvent clairement dans les termes des paragraphes 23(1), (2) et (10).

L’intimée a plaidé que, en l’absence d’une disposition prévoyant expressément qu’une vente est réputée avoir eu lieu, les paragraphes 23(1) et (2) forment une disposition d’imposition incomplète. Le paragraphe 23(10) ne fait intervenir qu’une seule personne, le fabricant. Les paragraphes traitant expressément des ventes réputées portent sur des opérations faisant intervenir plus d’une personne. Les dispositions créant une présomption expresse de vente doivent donc être distinguées de la situation d’« usage interne », dans la mesure où il faut, dans chaque cas, une disposition spécifique sur la vente pour couvrir une opération artificielle entre deux personnes.

En outre, le paiement de la taxe d’accise en l’espèce n’entraînerait pas une double taxation dans le cas des cigarettes et du tabac fabriqué. La taxe d’accise sur les cigarettes et le tabac fabriqué est une taxe spécifique. Elle est fixée à un taux exprimé par unité de quantité. Il n’y a pas de double taxation lorsqu’un fabricant augmente le prix d’une marchandise pour compenser d’autres coûts de son activité, dans le cas où la taxe est une taxe spécifique parce que le taux n’augmente pas en fonction du prix des marchandises, mais plutôt en fonction de la quantité de celles-ci. L’affectation de cigarettes et de tabac fabriqué à l’usage de l’intimée relève parfaitement des dispositions des paragraphes 23(1) et (10) de la Loi et est assujettie à une taxe spécifique en vertu de l’annexe II de la Loi. Toutefois, la taxe ad valorem (exprimée en pourcentage du prix de vente) sur les cigares fabriqués par l’intimée ne peut être imposée, puisqu’elle serait en fait une double taxation.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 23(1) (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, art. 187), (2) (mod., idem), (3)a) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 12, art. 12), (3.1) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 15, art. 12), (10), 52(1) (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 34), 68 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 15, art. 24; (2e suppl.), ch. 1, art. 195; ch. 7, art. 23, 34), 72 (mod., idem; L.C. 1994, ch. 29, art. 8), 81.22 (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 38; (4e suppl.), ch. 47, art. 52), 81.28 (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 38; (4e suppl.), ch. 47, art. 52).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

W.R. McRae Co. c. R., [1997] 3 C.T.C. 337; (1997), 215 N.R. 233 (C.A.F.); Canadian Turbo (1993) Ltd. c. R., [1997] 1 C.T.C. 130; (1996), 206 N.R. 164 (C.A.F.).

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

King, The v. Wampole (Henry K.) & Co. Ltd., [1931] R.C.S. 494; [1931] 3 D.L.R. 754.

DÉCISION CITÉE :

Suncor Inc. c. R., [1996] 2 C.T.C. 144 (C.A.F.).

APPEL d’un jugement de la Section de première instance ([1999] 4 C.F. 3 (1999), 167 F.T.R. 33 (1re inst.)), accueillant l’appel interjeté à l’encontre du refus par le ministre du Revenu national d’une demande de remboursement de la taxe d’accise payée sur les produits du tabac que l’intimée fournissait gratuitement à des fins de publicité et de promotion. Appel accueilli en partie.

ONT COMPARU :

F. B. Woyiwada pour l’appelante.

W. Jack Millar et Dennis A. Wyslobicky pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.

Millar Wyslobicky Kreklewetz, Toronto, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Malone, J.C.A. :

Introduction

[1]        Il s’agit d’un appel interjeté contre une décision de la Section de première instance, prononcée le 30 avril 1999, accueillant un appel formé en vertu des articles 81.22 [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 38; (4e suppl.), ch. 47, art. 52] et 81.28 [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 38; (4e suppl.), ch. 47, art. 52] de la Loi sur la taxe d’accise [L.R.C. (1985), ch. E-15] (la Loi)[1]. La question porte sur une décision prise par le ministre du Revenu national selon l’article 72 [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 34; L.C. 1994, ch. 29, art. 8] de la Loi.

[2]        Le ministre a refusé la demande de remboursement de la taxe d’accise payée, présentée par RJR-MacDonald Inc. (RJR ou l’intimée) en vertu de l’article 68 [mod. par L.R.C. 1985 (1er suppl.), ch. 15, art. 24; (2e suppl.), ch. 1, art. 195; ch. 7, art. 23, 34] de la Loi. L’intimée prétendait avoir droit à un remboursement de la taxe d’accise payée sur des produits du tabac fabriqués par elle qu’elle fournissait gratuitement à diverses personnes à des fins de publicité et de promotion (les échantillons de tabac).

[3]        En appel, il s’agit de décider si c’est à tort que le premier juge a interprété les paragraphes 23(1) [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, art. 187], (2) [mod., idem] et (10) de la Loi de manière à conclure que les échantillons de tabac produits par l’intimée et réservés à son usage n’étaient pas assujettis à la taxe d’accise.

Le contexte

[4]        Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits, dans lequel les faits les plus pertinents sont les suivants :

A) RJR est une société par actions de droit fédéral. Pendant la période en cause, la demanderesse exploitait le commerce de la fabrication et de la vente de produits du tabac au Canada. Les produits du tabac qu’elle fabriquait consistaient en cigarettes, en tabac coupé fin et en cigares.

B) Dans l’exploitation de son entreprise, RJR fournissait gratuitement, à l’occasion, des échantillons de tabac à des fins de publicité et de promotion. Ces échantillons étaient fournis aux employés, aux grossistes et aux détaillants, à des relations d’affaires, ainsi qu’à l’occasion d’événements chez des clients ou des sociétés. Ces produits étaient également fournis à l’occasion de plaintes de clients ou de livraisons incomplètes. Il n’y avait pas de différence entre les produits vendus aux clients dans le cours normal des affaires et les échantillons de tabac.

C) RJR traitait les échantillons de tabac dans ses livres et registres comme une dépense d’affaire nécessaire et imputait le coût de fabrication au calcul du coût et au prix de vente des produits du tabac qu’elle fabriquait et vendait à ses clients dans le cours normal des affaires.

D) L’intimée payait la taxe d’accise et la taxe de vente fédérale, conformément aux parties III et VI de la Loi, sur les produits du tabac fabriqués et vendus à ses clients dans le cours normal des affaires. Elle payait aussi la taxe de vente fédérale et la taxe d’accise sur les échantillons de tabac. L’appelante a reconnu que les échantillons de tabac n’étaient pas assujettis à la taxe de vente fédérale en vertu de la partie VI et a remboursé la somme payée à ce titre. La présente action porte sur la demande de remboursement de RJR pour la taxe d’accise à l’égard des échantillons de tabac, soit une somme de 1 573 717 70 $ plus les intérêts avant jugement de 1 592 417 35 $.

E) Le premier juge a prononcé un jugement donnant gain de cause à l’intimée au motif que le paragraphe 23(10) de la Loi, qui traite des marchandises non vendues réservées à l’usage du fabricant, ne prévoyait pas une vente réputée, « la vente étant un élément essentiel de la formule d’imposition des paragraphes 23(1) et (2) considérés ensemble »[2].

Analyse

[5]        D’autres formations de la Cour ont été aux prises avec l’interprétation des dispositions de la Loi sur la taxe d’accise, qui a fait l’objet de nombreuses modifications. Les difficultés que cela pose ont été récemment notées par mon collègue, le juge Décary, J.C.A., dans les termes suivants[3] :

Lorsqu’il est question d’une loi fragmentée comme la Loi sur la taxe d’accise […] qui, pour commencer, contrairement, disons, à la Loi de l’impôt sur le revenu, n’a aucune structure cohérente ni aucune règle de base, et qui est modifiée régulièrement pour faire face à certaines situations ou y remédier dans un contexte économique qui évolue constamment, la Cour devrait répugner à comparer à la loupe les termes de dispositions conçues à des époques différentes et dans un contexte différent et destinées à traiter de questions différentes.

[6]        Je partage sa répugnance compte tenu de l’histoire complexe des parties III et VI de la Loi et des diverses politiques administratives suivies par le Ministère depuis 1935. Ma tâche est donc d’interpréter la signification des termes employés aux paragraphes 23(1), (2) et (10) et leur rapport mutuel pour déterminer l’intention véritable du législateur. Au 31 décembre 1987, ces paragraphes avaient la formulation suivante :

23. (1) Lorsque les marchandises énumérées aux annexes I et II sont importées au Canada, ou sont de fabrication ou de provenance canadienne et livrées à leur acheteur, il est imposé, prélevé et perçu, outre les autres droits et taxes exigibles en vertu de la présente loi ou de toute autre loi, une taxe d’accise sur ces marchandises, suivant le taux figurant en regard de l’article concerné de l’annexe pertinente, calculé, lorsqu’il est spécifié qu’il s’agit d’un pourcentage, d’après la valeur à l’acquitté ou le prix de vente, selon le cas.

(2) Lorsque les marchandises sont importées, la taxe d’accise prévue par le paragraphe (1) est payée conformément à la Loi sur les douanes, et lorsque les marchandises sont de fabrication ou de provenance canadienne et vendues au Canada, cette taxe d’accise est exigible du fabricant ou du producteur au moment de la livraison de ces marchandises à leur acheteur.

[…]

(10) Lorsque des marchandises énumérées aux annexes I et II sont de fabrication ou de provenance canadienne et sont destinées à l’usage de leur fabricant ou de leur producteur et non à la vente, ces marchandises, pour l’application de la présente partie, sont réputées avoir été livrées à leur acheteur, et la livraison est réputée consommée lorsque les marchandises sont employées ou destinées à l’être. Le ministre peut déterminer la valeur de ces marchandises pour la taxe.[4] [Non souligné dans l’original.]

[7]        Le juge de première instance [aux pages 18, 20 et 21] a statué que la taxe sur les échantillons de tabac n’était pas exigible à moins que tous les éléments des paragraphes 23(1) et 23(2) aient été réalisés :

[…] le paragraphe 23(10) pourvoit à une règle spéciale pour les marchandises fabriquées ou produites au Canada et par ailleurs sujettes à la taxe d’accise lorsqu’elles sont réservées à l’usage du fabricant ou producteur et ne sont pas vendues. Le paragraphe 23(10) rend ces marchandises réputées livrées à une acheteur, la livraison étant réputée avoir eu lieu lorsque les marchandises sont utilisées ou destinées à être utilisées par le fabricant ou producteur. Il ne pourvoit pas à une vente réputée, la vente étant un élément essentiel de la formule d’imposition des paragraphes 23(1) et (2) considérés ensemble, ni ne pourvoit à l’identification de la personne tenue de payer la taxe, bien que cela puisse être sans conséquence puisque seul le fabricant ou producteur a quoi que ce soit à voir avec les marchandises et qu’il serait peu ou pas logique que quelqu’un d’autre soit tenu de payer la taxe.

[…]

Pour qu’il y ait obligation de payer une taxe, il faut que tous les éléments de la disposition d’imposition—c’est-à-dire en l’espèce, comme je l’ai déjà indiqué plus haut, les paragraphes 23(1) et (2) considérés ensemble, soient réalisés ou réputés réalisés […] Il manque toujours un élément essentiel de l’imputation. Il n’y avait tout simplement pas de vente au Canada, ni de vente réputée au Canada […] En l’absence de cet élément, je conclus qu’à l’égard des marchandises en cause, soit les échantillons de tabac fabriqués ou produits au Canada par la demanderesse pendant la période en cause, la demanderesse n’est pas assujettie à la taxe d’accise en vertu de la partie III de la Loi sur la taxe d’accise. [Non souligné dans l’original.]

[8]        À mon avis, c’est à juste titre que le juge de première instance a conclu que dans le cas de marchandises réservées à l’usage du fabricant, il n’est pas nécessaire de préciser qui doit payer la taxe, puisque seul le fabricant a quoi que ce soit à voir avec les marchandises et est manifestement celui qui doit payer la taxe.

[9]        Toutefois, j’estime que le juge de première instance a conclu à tort que les éléments du paragraphe 23(2), en particulier en ce qui touche l’exigence que les marchandises soient « vendues », n’avaient pas été réalisés.

[10]      Le paragraphe 23(10) prévoit que, dans les circonstances applicables, les marchandises réservées à l’usage du fabricant sont réputées avoir été livrées à l’acheteur au moment où elles sont destinées à être employées par le fabricant. La livraison à l’acheteur suppose nécessairement qu’il y a eu un acheteur. Si la livraison à un acheteur est présumée, il faut aussi présumer qu’il y a eu achat et donc vente[5]. Par conséquent, l’élément de la vente, dont le juge de première instance a conclu qu’il manquait dans les paragraphes 23(1) et (2) considérés ensemble, fait l’objet d’une présomption au paragraphe 23(10). Il s’ensuit que, dans le cas où les marchandises sont réservées par le fabricant pour son usage, tous les éléments d’imposition de la taxe se trouvent clairement dans les termes des paragraphes 23(1), (2) et (10).

[11]      L’avocat de l’intimée a cité plusieurs autres dispositions de la Loi qui prévoient expressément qu’une vente est réputée avoir eu lieu. Il s’agit de ce qu’on appelle des « opérations artificielles ». L’avocat a fait valoir que cette formulation établit clairement que c’est à bon droit que le juge de première instance a conclu qu’en l’absence d’une formulation similaire, les paragraphes 23(1) et (2) considérés ensemble forment une disposition d’imposition incomplète.

[12]      Sans oublier les préoccupations exprimées aux paragraphes 5 et 6 concernant les comparaisons à la loupe entre les divers paragraphes de la Loi, il convient de faire plusieurs observations. D’abord, le paragraphe 23(10) a pour effet de prévoir une vente réputée. Cette vente ne fait intervenir qu’une seule personne, le fabricant, ainsi que je l’ai déjà indiqué. Par contre, les paragraphes traitant expressément des ventes réputées portent sur des opérations ou des procédés faisant intervenir plus d’une personne.

[13]      Le paragraphe 23(3.1) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 15, art. 12] est typique. Il est ainsi conçu :

23. […]

(3.1) Pour l’application de la présente partie, quiconque fabrique or produit dans le cadre d’un contrat visant la main-d’œuvre, des marchandise visées à l’annexe I ou II à partir d’un article ou d’une matière fournis par une personne autre qu’un fabricant titulaire de licence pour l’application de la présente partie, pour livraison à cette autre personne, est réputé avoir vendu les marchandises à la date à laquelle elles sont livrées, à un prix de vente égal au montant exigé dans le cadre du contrat pour les marchandises. [Non souligné dans l’original.]

[14]      Dans ce texte, le législateur traite d’une situation particulière où des services sont fournis dans le cadre d’un contrat visant la main-d’œuvre en vue de la fabrication ou de la production à partir d’un article ou d’une matière fournis par une autre personne de marchandises visées aux annexes I ou II. Cette formulation expresse de la vente réputée est nécessaire pour établir avec précision le moment de la vente et le prix de vente dans des circonstances où il n’est pas évident que ces services ont été vendus.

[15]      L’alinéa 23(3)a) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 12, art. 12] constitue aussi un exemple d’une situation particulière où le législateur a choisi d’imposer la taxe d’accise sur l’essence ou le carburant diesel. En conjonction avec les paragraphes 23(1) et (2), la formulation est propre à l’industrie du pétrole, disposant que la vente est réputée avoir lieu entre le fabricant ou le producteur et le détaillant au moment de la livraison au point de vente au détail.

[16]      Ces dispositions créant une présomption expresse de vente doivent être distinguées de la situation d’« usage interne » dans la présente affaire, dans la mesure où il faut, dans chaque cas, une disposition spécifique sur la vente pour couvrir une opération artificielle entre deux personnes.

[17]      L’intimée a cité le paragraphe 52(1) [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 34], se trouvant dans la partie VI de la Loi, qui couvre les ventes réputées dans certaines circonstances. Cette disposition ne fait que conférer un pouvoir au ministre, et celui-ci doit l’exercer seulement lorsque des circonstances ou conditions rendent difficile d’établir la valeur des marchandises en cause. Je souscris à la conclusion du juge de première instance que le paragraphe 52(1) n’est pas applicable aux faits de l’espèce, l’exposé conjoint des faits ne révélant aucun élément de preuve faisant état de difficulté du ministre à établir la valeur.

[18]      En outre, je ne suis pas persuadé que le paiement de la taxe d’accise entraînerait une « taxe sur la taxe » ou une « double taxation » dans le cas des cigarettes et du tabac fabriqué. La taxe d’accise sur les cigarettes et le tabac fabriqué est une taxe spécifique, plutôt qu’une taxe ad valorem. C’est-à-dire que, au lieu d’être exprimée en pourcentage du prix de vente, comme il est plus courant, la taxe d’accise est fixée à un taux exprimé comme un somme d’argent par unité de quantité, p. ex. 10,277 cents par 5 cigarettes ou 6 254 $ par kilogramme de tabac fabriqué. L’arrêt Wampole[6] a statué que, si ce n’était de l’effet de double taxation créé dans cette affaire, la distribution d’échantillons gratuits serait taxable comme une affectation à l’usage du fabricant. Toutefois, la taxe examinée dans cet arrêt (une taxe de vente fédérale) était une taxe ad valorem.

[19]      Ainsi que l’a noté récemment la Cour, il n’y a pas de double taxation lorsqu’un fabricant augmente le prix d’une marchandise pour compenser d’autres coûts de son activité, dans le cas où la taxe imposée sur la marchandise est une taxe spécifique plutôt qu’une taxe ad valorem comme celle qui est en cause dans l’arrêt Wampole.

Dans le cas d’une taxe spécifique, toutefois, le contribuable ne sera pas tenu de payer la « taxe sur la taxe », parce que le taux n’augmente pas en fonction du prix des marchandises, mais plutôt en fonction de la quantité de celles-ci. Il n’est donc pas nécessaire qu’une taxe spécifique soit remboursée pour que le paiement d’une « taxe sur la taxe » soit évité[7].

[20]      Selon mon analyse, l’affectation de cigarettes et de tabac fabriqué à l’usage de l’intimée relève parfaitement des dispositions des paragraphes 23(1), (2) et (10) de la Loi et est assujettie à une taxe spécifique en vertu de l’annexe II de la Loi. Toutefois, la taxe ad valorem sur les cigares fabriqués par l’intimée ne peut être imposée, puisqu’elle serait en fait une double taxation.

[21]      Je suis d’avis d’accueillir l’appel, avec dépens, à l’égard des cigarettes et du tabac fabriqué, d’infirmer la décision de la Section de première instance à l’égard de ces produits, et de rejeter l’appel de l’intimée, avec dépens, à l’égard de ces produits. Je suis d’avis de rejeter l’appel à l’égard des cigares.

Létourneau, J.C.A. : Je souscris.

Sexton, J.C.A. : Je souscris.



[1]  Publiée sous l’intitulé RJR-MacDonald c. Canada, [1999] 4 C.F. 3 (1re inst.).

[2]  Ibid., à la p. 18.

[3]  W.R. McRae c. R., [1997] 3 C.T.C. 337 (C.A.F.), à la p. 344.

[4]  L’art. 23(10) a été modifié, à compter du 1er janvier 1988 [L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 12, art. 12].

[5]  Voir le juge Hugessen, dans la décision Suncor Inc. c. R., [1996] 2 C.T.C. 144 (C.A.F.), à la p. 151.

[6]  King, The v. Wampole (Henry K.) & Co. Ltd., [1931] R.C.S. 494.

[7]  Canadian Turbo (1993) Ltd. c. R., [1997] 1 C.T.C. 130 (C.A.F.), à la p. 134, le juge McDonald.

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