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 [2014] 3 R.C.F. 42

T-1925-11

2013 CF 169

UHA Research Society, James Edward Austin, Hideaway II Ventures Ltd. et Andrew Milne en leur propre nom et au nom de tous les titulaires de permis de catégorie G admissibles (demandeurs)

c.

Le procureur général du Canada, le ministre des Pêches et des Océans et Don Carto (intimés)

Répertorié : UHA Research Society c. Canada (Procureur général)

Cour fédérale, juge Snider—Vancouver, 15 et 16 janvier; Ottawa, 20 février 2013.

Pêches — Contrôle judiciaire d’une décision rendue par le ministre des Pêches et des Océans de délivrer un permis modifié accordant à l’intimé, Don Carto, le droit de récolter la panope sur son site aquacole, y compris le droit de cultiver la panope qui se trouvait déjà sur le site aquacole avant que le permis modifié ne lui soit délivré — M. Carto et son associée ont entrepris un projet d’aquaculture — Au cours de l’assainissement du site, l’intimé a trouvé des naissains de panope — Les représentants de la province ont autorisé M. Carto à élever les panopes — Entre-temps, la responsabilité officielle des permis d’aquaculture a été transférée au gouvernement fédéral — Un permis fédéral modifié en vue d’inclure la panope a été délivré par la suite après un rapport sur le résumé des soumissions et une recommandation par un fonctionnaire du ministère des Pêches et des Océans — Il s’agissait de savoir principalement si le Règlement du Pacifique sur l’aquaculture (le Règlement sur l’aquaculture) autorisait le ministre à délivrer le permis modifié en cause — Le permis délivré tombait sous le coup de la Loi sur les pêches et du Règlement sur l’aquaculture et avait donc été valablement délivré — Le permis a été également valablement délivré, étant donné que la récolte des panopes déjà existantes constitue une prise accidentelle de poisson dans le cadre de l’exploitation d’une installation d’aquaculture conformément à l’art. 3 du Règlement sur l’aquaculture — Bien qu’il doive nécessairement exister un lien significatif avec des activités d’aquaculture, le Règlement sur l’aquaculture n’exige pas l’existence d’une culture faisant l’objet d’un permis ou que la prise soit accidentelle — Enfin, les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit du ministre (reproduites dans le rapport sommaire) étaient raisonnables — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par le ministre des Pêches et des Océans de délivrer un permis modifié accordant à l’intimé, Don Carto, le droit de récolter la panope sur son site aquacole situé en Colombie-Britannique, y compris le droit de cultiver la panope qui se trouvait déjà sur le site aquacole avant que le permis modifié ne lui soit délivré.

En guise de contexte, M. Carto et son associée, Mme Karen King, ont entrepris un projet d’aquaculture en 2005 et ont obtenu une autorisation de la province pour élever plusieurs espèces marines. Au cours de l’assainissement du site aquacole, M. Carto a trouvé des naissains de panope logés dans les paniers et les plateaux de métal laissés par une ancienne exploitation. M. Carto et Mme King ont obtenu une modification de leur permis d’aquaculture provincial afin d’inclure la panope. Cependant, le permis a expiré en décembre 2010 en raison du transfert de la responsabilité officielle des permis d’aquaculture au gouvernement fédéral. En décembre 2010, M. Carto et Mme King ont reçu un permis d’aquaculture fédéral pour toutes les espèces à l’exception de la panope. Le permis modifié en cause en l’espèce afin d’inclure la panope a été délivré en août 2011.

Cette décision était fondée sur un rapport sur le résumé des soumissions et sur une recommandation, en date du 11 août 2011, rédigés par Mme Kerry Marcus du ministère des Pêches et des Océans. Dans ce rapport, Mme Marcus recommandait, entre autres, que les pêcheurs commerciaux ne soient pas autorisés à récolter les présemis.

La principale question à trancher en l’espèce est celle de savoir si le Règlement du Pacifique sur l’aquaculture, DORS/2010-270 (le Règlement sur l’aquaculture) autorisait le ministre à délivrer un permis modifié à M. Carto l’autorisant à récolter les panopes qui se trouvaient déjà sur le site aquacole au moment où les modifications ont été apportées au permis.

  Jugement : la demande doit être rejetée.

Il n’y avait aucun droit du public de pêcher en l’espèce. Bien que le droit de pêcher du public puisse toujours exister, il est néanmoins circonscrit par la Loi sur les pêches. Cette loi détermine qui peut pratiquer la pêche et répartit les ressources halieutiques, en imposant des limites importantes quant aux personnes qui peuvent exercer le droit du public de pêcher et en définissant les modalités d’exercice de ce droit. Le permis délivré à M. Carto tombe sous le coup de la Loi sur les pêches et du Règlement sur l’aquaculture et a été valablement délivré.

Le permis a été valablement délivré, étant donné que la récolte des panopes déjà existantes constituait une prise accidentelle de poisson dans le cadre de l’exploitation d’une installation d’aquaculture. L’article 3 du Règlement sur l’aquaculture permet la délivrance d’un permis d’aquaculture pour autoriser l’exercice d’« activités réglementaires », y compris « la prise accidentelle de poisson dans le cadre de l’exploitation d’une installation d’aquaculture ». Il doit nécessairement exister un lien significatif avec des activités d’aquaculture, mais le Règlement sur l’aquaculture n’exige pas l’existence d’une culture faisant l’objet d’un permis ou que la prise soit accidentelle.

Enfin, les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit du ministre (reproduites dans le rapport sommaire) étaient raisonnables.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, art. 7, 43.

Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53, art. 22(1), 33.

Règlement du Pacifique sur l’aquaculture, DORS/2010-270, art. 1 « activités réglementaires », « aquaculture », 3, 4, 5.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Fondation David Suzuki c. Canada (Pêches et Océans), 2012 CAF 40, [2013] 4 R.C.F. 155; Sheldon Inwentash and Lynn Factor Charitable Foundation c. Canada, 2012 CAF 136; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Tucker c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2011 CAF 384, confirmant 2000 CanLII 16544 (C.F. 1re inst.).

décisions examinées :

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 19, [2009] 1 R.C.S. 339; R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723; R. v. Kapp, 2006 BCCA 277, 271 D.L.R. (4th) 70, conf. par 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483; Mowry c. R., 2006 NBCA 18, 297 R.N.-B. (2e) 16.

décisions citées :

Morton v. British Columbia (Agriculture and Lands), 2009 BCSC 136, 92 B.C.L.R. (4th) 314; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Bank of Nova Scotia v. British Columbia (Superintendent of Financial Institutions), 2003 BCCA 29, 11 B.C.L.R. (4th) 206; R. c. Sundown, [1999] 1 R.C.S. 393; Canadian National Railway Co. v. Harris, [1946] R.C.S. 352.

DOCTRINE CITÉE

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1983.

Pêches et Océans Canada. Politique nationale sur l’accès aux ressources aquatiques sauvages aux fins d’aquaculture, mai 2004, en ligne : <http://www.dfo-mpo.gc.ca/aquaculture/ref/AWAR
_f.pdf>.

DEMANDE de contrôle judiciaire visant la décision rendue par l’intimé, le ministre des Pêches et des Océans, de délivrer un permis modifié accordant à l’intimé, Don Carto, le droit de récolter la panope sur son site aquacole. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Christopher Harvey, c.r. et David K. Georgetti pour les demandeurs.

George K. Macintosh, c.r. et Nicholas T. Hooge pour l’intimé, Don Carto.

Monika Bittel et Lisa Riddle pour les intimés, le procureur général du Canada et le ministre des Pêches et des Océans.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

MacKenzie Fujisawa LLP, Vancouver, pour les demandeurs.

Farris, Vaughan, Wills & Murphy LLP, Vancouver, pour l’intimé, Don Carto.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés, le procureur général du Canada et le ministre des Pêches et des Océans.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

La juge Snider :

I.          Introduction

[1]        Le défendeur, M. Don Carto, est titulaire d’un permis délivré par le ministre des Pêches et des Océans défendeur (le ministre) qui lui permet de pratiquer l’aquaculture sur une superficie de 17,9 hectares dans la baie de Trevenen, dans le détroit de Georgia, en Colombie‑Britannique (le site aquacole). Le permis délivré à l’origine à M. Carto lui accordait notamment le droit de cultiver et de récolter certaines espèces de palourdes, d’huîtres et d’autres espèces marines sur le site aquacole. Le ministre a modifié le permis le 19 août 2011 (le permis modifié) en lui accordant certains droits l’autorisant à récolter la panope sur son site aquacole. Les demandeurs s’inquiètent du fait que M. Carto s’est vu accorder le droit de cultiver la panope qui se trouvait déjà sur le site aquacole avant que le permis modifié ne lui soit délivré.

[2]        L’UHA Research Society, James Edward Austin, Hideaway II Ventures Ltd. et Andrew Milne (collectivement, les demandeurs) ont introduit la présente demande de contrôle judiciaire du permis modifié au nom de la totalité des 55 titulaires de permis de pêche admissibles de catégorie G (panope) de la région du Pacifique. Les demandeurs invitent la Cour à annuler le permis modifié, en plus de solliciter un jugement déclaratoire et une injonction.

II.         Questions en litige

[3]        Après avoir entendu la présente affaire, j’estime que la principale question à trancher en l’espèce est celle de savoir si le ministre a commis une erreur en délivrant un permis modifié qui n’est pas autorisé par le Règlement du Pacifique sur l’aquaculture, DORS/2010‑270 (le Règlement sur l’aquaculture). Plus précisément, le ministre avait‑il ou non le pouvoir de délivrer un permis modifié autorisant M. Carto à récolter les panopes qui se trouvaient déjà sur le site aquacole au moment où les modifications ont été apportées au permis?

[4]        Les arguments invoqués par les demandeurs pour soutenir que la décision de délivrer le permis modifié devrait être annulée peuvent être classés selon les sous‑questions suivantes :

1. Le droit de pêcher du public est‑il pertinent quant à la décision?

2. Le ministre peut‑il autoriser la récolte de poissons (y compris de panopes) qui se trouvent sur un territoire déterminé avant la date de délivrance d’un permis?

3. Quel est le sens de l’expression « prise accidentelle de poisson dans le cadre de l’exploitation d’une installation d’aquaculture » contenue dans le Règlement sur l’aquaculture [alinéa 1b)]?

4. La récolte, par M. Carto, de panopes qui se trouvaient déjà sur le site aquacole constitue‑t‑elle une récolte « accidentelle de poisson dans le cadre de l’exploitation d’une installation d’aquaculture »?

5. Les conclusions exposées dans les motifs de la décision sont‑elles raisonnables, compte tenu du contexte du dossier?

[5]        Pour les motifs qui suivent, je suis arrivée à la conclusion que le ministre avait effectivement le pouvoir de délivrer le permis modifié et qu’il lui était raisonnablement loisible de décider de délivrer le permis modifié, compte tenu du dossier dont il disposait. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

III.        Norme de contrôle

[6]        Les parties ont longuement débattu à l’audience de la question de la norme de contrôle appropriée. Les demandeurs ont cité des arrêts récents de la Cour d’appel fédérale pour faire valoir que la norme de contrôle devait être celle de la décision correcte (Fondation David Suzuki c. Canada (Pêches et Océans), 2012 CAF 40, [2013] 4 R.C.F. 155 (David Suzuki), aux paragraphes 98 à 105; Sheldon Inwentash and Lynn Factor Charitable Foundation c. Canada, 2012 CAF 136 (Sheldon Inwentash), aux paragraphes 18 à 23). Les demandeurs soutiennent que la présente espèce est semblable à l’affaire Sheldon Inwentash, étant donné que les deux affaires portaient sur une question de droit isolable qui concernait des catégories légales particulières. Les demandeurs font également valoir que l’affaire David Suzuki est pertinente, étant donné qu’elle portait également sur l’interprétation, par le ministre, de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F‑14 (la Loi sur les pêches).

[7]        Il est bien établi en droit que la norme de contrôle appropriée est fonction de la question dont la Cour est saisie. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 53 :

En présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée (Mossop, p. 599‑600; Dr Q, par. 29; Suresh, par. 29‑30). Nous sommes d’avis que la même norme de contrôle doit s’appliquer lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés.

[8]        Dans le cas qui nous occupe, les questions ou les points litigieux soumis à la Cour entrent, selon la qualification que je leur ai donnée, dans deux catégories distinctes. Les sous‑questions 1, 2 et 3 font fort probablement partie de la catégorie de questions qui, selon ce que la Cour d’appel a déclaré dans les arrêts David Suzuki et Sheldon Inwentash, devraient être assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte. Je vais donc examiner ces parties de la décision en fonction de cette norme.

[9]        La Cour suprême a déclaré, au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir, précité, que lorsqu’on applique la norme de la décision correcte :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

[10]      Il semble toutefois que les autres sous‑questions soient des questions mixtes de fait et de droit auxquelles la norme de la décision raisonnable devrait s’appliquer. Pour décider s’il y avait lieu de délivrer un permis modifié, le ministre a tiré plusieurs conclusions de fait ou conclusions mixtes de fait et de droit qui avaient trait aux activités de M. Carto, à la situation générale des panopes en cause et aux antécédents du site aquacole en question. La délivrance d’un permis d’aquaculture est une décision hautement discrétionnaire qui relève d’un domaine dans lequel le ministre possède une grande expertise (Loi sur les pêches, précitée, article 7; arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 53; arrêt David Suzuki, précité, au paragraphe 104; Tucker c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2001 CAF 384 (Tucker C.A.F.), confirmant 2000 CanLII 16544 (C.F. 1re inst.) (Tucker C.F.)). Cette expertise fait en sorte que le ministre est mieux placé que les tribunaux pour se prononcer sur l’importance des activités de M. Carto en ce qui concerne les panopes se trouvant sur le site aquacole. De plus, il y a lieu de tenir compte en l’espèce de deux facteurs examinés par le juge Rothstein dans la décision Tucker C.F., précitée, aux paragraphes 13 à 16, à savoir, le « pouvoir discrétionnaire absolu » prévu à l’article 7 de la Loi sur les pêches et le fait que la décision est axée sur une politique générale. Bien que la décision traduise une volonté de refuser de permettre d’autoriser l’entreprise de pêche commerciale à créer un précédent en procédant à une « culture des présemis », la valeur de précédent de la décision n’était pas déterminante en raison du fait qu’il s’agissait d’une décision axée sur les faits. Cette conclusion est conforme au raisonnement suivi par le juge Rothstein dans la décision Tucker C.F. et à l’application de la norme de la décision raisonnable.

[11]      L’application de la norme de la décision raisonnable oblige le tribunal à déterminer si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Ainsi que le juge Binnie l’a fait observer dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59 :

Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

[12]      En somme, j’applique la norme de la décision correcte aux sous‑questions 1, 2 et 3 et la norme de la décision raisonnable aux sous‑questions 4 et 5.

IV.       Contexte

[13]      Les faits à l’origine de la présente demande de contrôle judiciaire sont assez longs à exposer mais il est nécessaire de les rappeler pour bien situer le lecteur.

[14]      Au Canada, la panope est la plus grosse palourde du Pacifique et celle qui possède la plus grande valeur commerciale. Durant son développement, le « naissain » de la panope s’établit sur le plancher océanique et se creuse un trou dans le substrat où il poursuivra sa croissance. Tout au long de sa vie, la panope demeurera au même endroit sous le plancher océanique, là où elle est arrivée à l’état de juvénile. Un double siphon qui ressemble à une trompe d’éléphant permet à la panope de filtrer les organismes marins de l’eau de mer afin d’obtenir des nutriments. Bien qu’elle puisse vivre beaucoup plus longtemps, la panope atteint sa taille commerciale vers l’âge de huit à dix ans. Les plongeurs pêchent la panope à l’aide d’un équipement spécial de jet d’eau sous pression qui leur permet de les déloger du substrat.

[15]      En 2005, M. Carto et son associée, Mme Karen King, ont entrepris un projet d’aquaculture nommé C‑King. En mars 2005, Mme King a fait l’acquisition d’une entreprise appelée O.K. Oyster, laquelle détenait un permis d’aquaculture de la province pour son site aquacole. Mme King et M. Carto ont obtenu une autorisation de la province pour modifier le permis d’aquaculture afin d’élever plusieurs espèces marines dont la panope ne faisait pas partie.

[16]      Au cours de l’assainissement du site aquacole, M. Carto a trouvé des naissains de panope logés dans les paniers et les plateaux de métal qui avaient servi à l’élevage d’huîtres. Dans son affidavit, M. Carto laisse entendre à cet égard que ces panopes juvéniles sont soit des panopes sauvages, soit des panopes provenant d’une écloserie commerciale flottante située à proximité. Les représentants de la province ont autorisé M. Carto à élever les panopes. Ils lui ont donné l’assurance qu’un permis pourrait être délivré plus tard, lorsque M. Carto serait en mesure de démontrer que les panopes se développent et que le ministère provincial aurait révisé ses politiques.

[17]      M. Carto a recueilli les naissains de panope et les a ensemencés, principalement de la fin de 2005 jusqu’à la fin de 2007. M. Carto a protégé les panopes ensemencées dans les eaux intertidales en les plaçant dans des tubes de plastiques enfouis dans le plancher océanique au début de leur développement. Il a également installé des filets anti‑prédateurs afin de protéger les panopes dans les eaux subtidales et il a surveillé et enlevé les prédateurs. Dans le cadre de son opération d’aquaculture plurispécifique, M. Carto a cultivé du varech, lequel a servi de nutriments à la panope en développement.

[18]      En août 2010, M. Carto et Mme King ont demandé que leur permis d’aquaculture provincial soit modifié afin d’inclure la panope, étant donné que les panopes du site aquacole allaient bientôt atteindre leur taille de récolte. Bien que la modification ait été approuvée, le permis a expiré en décembre 2010, puisqu’une décision récente (Morton v. British Columbia (Agriculture and Lands), 2009 BCSC 136, 92 B.C.L.R. (4th) 314 (Morton)) a mené au transfert de la responsabilité officielle des permis d’aquaculture au gouvernement fédéral.

[19]      À partir de cette date, M. Carto et Mme King ont dû faire affaire avec le ministère des Pêches et des Océans (MPO). Au cours des négociations avec le MPO, M. Carto s’est entretenu avec Mme Kerry Marcus et quelques autres employés.

[20]      Le 28 septembre 2010, Mme Marcus a visité le site aquacole. À ce moment et au cours des mois qui ont suivi, M. Carto a décrit à Mme Marcus ses activités relatives à la panope. Il a montré à Mme Marcus une photo sur laquelle se trouvaient, selon lui, des panopes juvéniles. Comme il ressort de son affidavit, Mme Marcus a été informée par un biologiste chercheur qu’il n’y avait pas de panopes sur la photo, mais elle a quand même cru M. Carto sur parole lorsqu’il disait les avoir élevées.

[21]      M. Carto et Mme King ont obtenu en décembre 2010 un permis d’aquaculture fédéral pour toutes les espèces à l’exception de la panope, car au moment de leur demande, ils n’avaient pas encore obtenu de la province leur permis modifié officiel qui devait inclure la panope. M. Carto et Mme King ont demandé de l’information au sujet de ce permis fédéral et ont correspondu avec Mme Marcus pour finalement soumettre un plan de récolte. Mme Marcus a recommandé l’autorisation de la modification concernant la panope dans son rapport sur le résumé des soumissions. Avec l’approbation du directeur général régional, le permis modifié a été délivré le 19 août 2011, à certaines conditions. Fait de première importance pour les demandeurs, le permis modifié accordait à M. Carto le droit de pêcher les panopes déjà présentes sur le site aquacole.

[22]      Cette approbation de récolte des panopes existantes semble contraire, du moins aux demandeurs, à la pratique courante qui consiste à autoriser l’entreprise de pêche commerciale à procéder à la « récolte des présemis » de mollusques sur la tenure avant le début des activités d’aquaculture. Si ce protocole avait été respecté, les 55 détenteurs de permis de pêche à la panope auraient pu récolter toutes les panopes présentes sur le site aquacole de M. Carto, et ce, peu importe qu’elles aient été ensemencées et élevées par M. Carto et situées sur la tenure.

[23]      Les demandeurs ont été informés de la décision de délivrer un permis modifié autorisant la récolte des panopes existantes lors d’une réunion tenue en octobre 2011. Ils ont sollicité un contrôle judiciaire le 28 novembre 2011.

V.        Décision à l’examen

[24]      Les demandeurs demandent le contrôle judiciaire de la décision autorisant la modification du permis permettant à M. Carto : a) d’élever des panopes; b) de récolter les panopes déjà présentes sur sa tenure. Les demandeurs ne s’opposent pas à l’attribution du droit d’élever la panope; leur seule préoccupation concerne la récolte proposée des panopes se trouvant déjà sur le site aquacole.

[25]      Cette décision était fondée sur un rapport sur le résumé des soumissions et sur une recommandation, en date du 11 août 2011, rédigés par Mme Marcus. Les trois parties se fondent sur le rapport de Mme Marcus dans lequel sont exposés les motifs de la décision.

[26]      Dans son rapport, Mme Marcus a d’abord évalué l’impact qu’aurait la modification du permis, si elle était accordée, sur les autres utilisateurs des ressources de la région et sur le milieu ambiant. Elle a indiqué qu’il n’y avait aucune opposition de la part des Premières Nations et que le site aquacole était situé dans un lieu où la pêche commerciale ne serait pas touchée. Elle expliquait également qu’étant donné que la région faisait déjà l’objet d’une exploitation aquacole active, cela ne représentait aucun risque important pour le poisson et son habitat.

[27]      Mme Marcus a souligné l’opposition de M. Carto concernant la culture de présemis de l’entreprise de pêche commerciale et le fait que M. Carto avait inclus la pêche des panopes préexistantes dans son plan de récolte. Elle a également reconnu que l’entreprise de pêche commerciale et l’Underwater Harvester’s Association (UHA) pourraient manifester certaines préoccupations si la récolte des présemis n’était pas autorisée. Mme Marcus a souligné que la renonciation à la récolte des présemis dans ce cas pourrait créer un précédent. Les faits de chaque cas doivent toutefois être évalués de façon individuelle.

[28]      Mme Marcus a recommandé que les pêcheurs commerciaux ne soient pas autorisés à récolter les présemis. Elle a cité le Interim Protocol for Pre‑Seed Harvest of Subtidal Geoduck Aquaculture Sites (2010) (le Protocole de récolte de présemis), expliquant qu’il n’y avait pas d’antécédents de récolte commerciale de la panope au site aquacole et qu’il était peu probable qu’une population de panopes à densité élevée exploitable sur le plan commercial y soit trouvée. En outre, M. Carto avait déjà établi son entreprise d’aquaculture sur le site aquacole, et les opérations de pêche commerciale perturberaient trop ses activités. Mme Marcus a aussi expliqué que M. Carto avait réensemencé des panopes juvéniles et, bien que l’aquaculteur n’avait pas délibérément ensemencé des panopes d’écloserie, il avait activement cultivé les panopes qui se trouvaient déjà sur le site.

[29]      Mme Marcus a aussi reconnu que le Protocole de récolte de présemis et la Politique nationale sur l’accès aux ressources aquatiques sauvages aux fins d’aquaculture [mai 2004], autorisaient la prise accessoire, par les aquaculteurs, de panopes sauvages. Ces politiques autorisent la récolte de panopes qui ne sont pas délibérément placées dans la concession à exploiter ainsi que de celles qui y sont délibérément cultivées. La récolte, par M. Carto, de panopes sauvages sur le site lui permettrait d’analyser le substrat et de déterminer la densité de la population existante.

VI.       Cadre législatif

[30]      Le permis d’aquaculture et le permis modifié qui ont été délivrés à M. Carto et qui sont en cause dans la présente demande tirent leur existence du régime législatif applicable aux pêches. Je vais commencer par un bref survol de ce régime.

[31]      L’article 7 de la Loi sur les pêches confère au ministre un pouvoir discrétionnaire en matière de délivrance de permis de pêche :

7. (1) En l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêcheries — ou en permettre l’octroi —, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.

Baux, permis et licences de pêche

[32]      L’article 43 de la Loi sur les pêches permet au gouverneur en conseil de prendre des règlements d’application de la loi concernant notamment la délivrance, la suspension et la révocation des licences et des permis :

43. (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements d’application de la présente loi, notamment :

[…]

f) concernant la délivrance, la suspension et la révocation des licences, permis et baux;

Règlements

[33]      Les permis d’aquacultures sont délivrés en vertu du Règlement sur l’aquaculture. Plus précisément, l’article 3 de ce règlement autorise la délivrance d’un permis d’aquaculture autorisant une personne à pratiquer l’aquaculture ainsi que certaines activités réglementaires :

3. Le ministre peut délivrer un permis d’aquaculture autorisant une personne à pratiquer l’aquaculture ou des activités réglementaires.

[34]      L’article 1 du Règlement sur l’aquaculture définit l’ « aquaculture » ainsi que les « activités réglementaires » :

1. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

[…]

« activités réglementaires » S’entend des activités suivantes :

a)         la prise de poisson à des fins d’élevage;

b)         la prise accidentelle de poisson dans le cadre de l’exploitation d’une installation d’aquaculture;

c)         la prise de poisson afin de se conformer à toute condition concernant les mesures de surveillance prévues par le permis d’aquaculture;

d)         la prise de poissons évadés d’une installation d’aquaculture dans le but de les retourner dans l’installation ou d’autrement en disposer;

e)         la prise de tout poisson nuisible. (prescribed activities)

« aquaculture » Élevage du poisson. (aquaculture)

[35]      Les permis d’aquacultures peuvent être assortis des conditions précisées à l’article 4 du Règlement sur l’aquaculture. De façon générale, le ministre peut assortir les permis d’aquaculture de conditions « [p]our une gestion et une surveillance judicieuses des pêches et pour la conservation et la protection du poisson ». Le pouvoir réglementaire permettant d’assortir les permis d’aquaculture de conditions est très vaste. Outre les conditions expressément énumérées à l’article 4 du Règlement sur l’aquaculture, le ministre peut imposer les conditions expressément énumérées au paragraphe 22(1) du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93‑53 (le Règlement de pêche).

VII.      Analyse

A.     Droit de pêcher du public

[36]      Les demandeurs affirment qu’il existe un droit de pêcher du public quasi constitutionnel qui ne peut être abrogé que par l’édiction d’un texte de loi valide. Bien que j’accepte qu’il puisse exister un droit résiduel de pêcher du public dans certaines circonstances dans lesquelles le Parlement n’a pas légiféré, ce droit public ne s’applique pas en l’espèce.

[37]      Dans l’arrêt R.c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723, au paragraphe 67, la Cour suprême du Canada a examiné le droit de pêcher du public au Canada. La Cour a résumé et accepté la jurisprudence du Comité judiciaire du Conseil privé suivant laquelle le droit du public de pêcher ne pouvait être aboli — et qu’une nouvelle pêcherie exclusive ne pouvait être ainsi créée — sans l’édiction d’un texte législatif :

En outre, il convient de signaler que les droits ancestraux reconnus et confirmés par le par. 35(1) existent dans un contexte juridique où, depuis l’époque de la Grande Charte, on reconnaît en common law un droit de pêcher dans les eaux à marée qui ne peut être aboli que par l’édiction de textes législatifs constitutionnels :

[traduction] … les sujets de Sa Majesté ont le droit non seulement de naviguer mais encore de pêcher en haute mer et dans les eaux à marée…

[I]l est établi sans conteste en droit depuis la Grande Charte qu’aucune nouvelle pêcherie exclusive ne peut être créée par concession royale dans les eaux à marée et qu’aucun droit du public de pêcher dans de telles eaux, existant alors, ne peut être retiré sans texte législatif constitutionnel.

(Attorney‑General of British Columbia v. Attorney‑General of Canada, [1914] A.C. 153 (J.C.P.C.), aux pp. 169 et 170 (le vicomte Haldane).)

[38]      Le rôle du droit du public de pêcher dans le contexte de la Loi sur les pêches actuelle a été examiné par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt R.  v. Kapp, 2006 BCCA 277, 271 D.L.R. (4th) 70 (Kapp), le juge Low, avec l’appui de tous les autres juges sur ce point, confirmé par 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483 sur les questions relatives uniquement à la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et aux questions de droits ancestraux.

[39]      Au paragraphe 19, le juge Low déclare :

[traduction] Le droit de pêcher reconnu par la common law au Canada a été considérablement restreint par la Loi sur les pêches. La Loi et son règlement d’application contrôlent la pêche. Le droit de pêcher dans les eaux auxquelles la loi s’applique n’existe en droit que s’il est autorisé par la loi, habituellement par un permis ou une licence. [Non souligné dans l’original.]

[40]      Par conséquent, bien que le droit de pêcher du public puisse toujours exister, il est néanmoins circonscrit par la Loi sur les pêches. Cette loi détermine qui peut pratiquer la pêche et répartit les ressources halieutiques, en imposant des limites importantes quant aux personnes qui peuvent exercer le droit du public de pêcher et en définissant les modalités d’exercice de ce droit.

[41]      Les demandeurs reconnaissent que la gestion et la répartition de la ressource publique entre les groupes d’utilisateurs des pêches publiques ne contreviennent pas au droit de pêcher du public (arrêt Kapp, précité, aux paragraphes 54 à 66). Les demandeurs établissent toutefois une distinction entre l’affaire Kapp et la présente espèce, étant donné que M. Carto a obtenu un accès exclusif à toutes les panopes sauvages se trouvant sur le site aquacole grâce au permis d’aquaculture qui lui a été délivré, et ce, sans aucune restriction. Je ne suis pas de leur avis.

[42]      L’arrêt Kapp doit être lu dans le contexte des modifications apportées à la Loi qui ont été articulées dans la décision Morton. La Cour a confirmé que le gouvernement fédéral avait compétence sur l’aquaculture, qui est un sujet qui relève du pouvoir fédéral sur les pêches (arrêt Morton, précité, aux paragraphes 156, 161 et 193). À la suite de cette décision, la responsabilité officielle des permis d’aquaculture a été transférée au gouvernement fédéral. La législation et la réglementation fédérales sur l’aquaculture a depuis eu pour effet d’abroger par voie législative le droit de pêcher du public.

[43]      Il résulte du rapprochement des arrêts Morton et Kapp que le gouvernement fédéral a exercé son pouvoir législatif en matière de gestion des ressources halieutiques dans le cadre des pêches publiques et de l’aquaculture privées, ce qui comprend nécessairement la pêche à la panope — y compris tous les types de panopes de la région — et la répartition des ressources entre les propriétaires des permis de catégorie G et les aquaculteurs. Le Règlement sur l’aquaculture et les permis d’aquaculture valablement délivrés en vertu de ce règlement [traduction] « font simplement partie du régime réglementaire en vigueur à l’époque en cause » et [traduction] « ne sont qu’une des méthodes de répartition de la ressource » (arrêt Kapp, précité, aux paragraphes 54 et 57). Le ministre conserve le droit de délivrer d’autres permis en vertu du pouvoir discrétionnaire absolu que lui confère l’article 7 de la Loi sur les pêches (arrêt Kapp, précité, au paragraphe 60). La décision visée en l’espèce semble donc se rapprocher beaucoup de la décision de répartition prise dans l’affaire Kapp, qui n’a pas eu pour effet de créer une pêcherie exclusive et n’a pas porté atteinte au droit de pêcher du public.

[44]      Par conséquent, la question déterminante est celle de savoir si le permis délivré à M. Carto tombe sous le coup de la Loi sur les pêches et du Règlement sur l’aquaculture. Le droit de pêcher du public ne rend pas incorrecte la décision du ministre de délivrer le permis modifié. Lorsque le régime législatif réglemente le droit de pêcher du public, un permis d’aquaculture qui respecte les paramètres de la loi et des règlements applicables peut valablement être délivré.

B.     Autorisation accordée en vertu du Règlement sur l’aquaculture

[45]      Je passe à l’examen du Règlement sur l’aquaculture, dont l’article 3 dispose que « [l]e ministre peut délivrer un permis d’aquaculture autorisant une personne à pratiquer l’aquaculture ou des activités réglementaires » (non souligné dans l’original). Si c’est à juste titre que Mme Marcus a conclu que la culture de la panope qui se trouvait déjà dans la tenure de M. Carto répondait à la définition de l’expression « aquaculture ou activités réglementaires », le permis a été valablement délivré en vertu du Règlement sur l’aquaculture.

[46]      Les demandeurs affirment que l’interdiction frappant la pêche commerciale rend illégales les activités exercées par M. Carto en ce qui concerne la panope se trouvant sur sa tenure. Il lui faut obtenir un permis d’aquaculture ainsi que les permis correspondants pour les stocks de géniteurs et transférer les panopes ensemencées. Cet argument semble occulter la possibilité toute simple que les panopes se trouvant sur la tenure de M. Carto fassent légitimement l’objet d’un permis d’aquaculture en tant que produit d’aquaculture défini par le Règlement sur l’aquaculture comme produit de la culture du poisson.

[47]      Le statut juridique des panopes déjà existantes doit être établi en fonction des activités prévues de « la prise accidentelle de poisson dans le cadre de l’exploitation d’une installation d’aquaculture » et des faits tout à fait uniques de la présente espèce.

[48]      Pour les motifs qui suivent, j’estime que le permis a été valablement délivré, étant donné que la récolte des panopes déjà existantes constitue une prise accidentelle de poisson dans le cadre de l’exploitation d’une installation d’aquaculture.

C.     Sens de l’expression « prise accidentelle de poisson dans le cadre de l’exploitation d’une installation d’aquaculture »

[49]      Comme nous l’avons déjà signalé, l’article 3 du Règlement sur l’aquaculture permet la délivrance d’un permis d’aquaculture pour autoriser l’exercice d’« activités réglementaires », y compris « la prise accidentelle de poisson dans le cadre de l’exploitation d’une installation d’aquaculture » (Règlement sur l’aquaculture, article 1), ce qui soulève une question d’interprétation législative, à savoir le sens des mots « dans le cadre de l’exploitation d’une installation d’aquaculture ».

[50]      La règle moderne d’interprétation des lois a été formulée par Elmer A. Driedger (Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983) à la page 87), citée et approuvée par la Cour suprême (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 26). La voici :

[traduction] Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une Loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la Loi, l’objet de la Loi et l’intention du législateur.

[51]      Lorsqu’on lit les mots du Règlement sur l’aquaculture pour en discerner le sens ordinaire et grammatical, il est logique de définir les mots « dans le cadre de » (« incidental to » dans la version anglaise) à la lumière de la jurisprudence exigeant l’existence d’un lien significatif avec une activité particulière, y compris des activités subordonnées à une activité principale (Bank of Nova Scotia v. British Columbia (Superintendent of Financial Institutions), 2003 BCCA 29, 11 B.C.L.R. (4th) 206, aux paragraphes 55 à 58; R. c. Sundown, [1999] 1 R.C.S. 393, aux paragraphes 28 à 33; Canadian National Railway Co. v. Harris, [1946] R.C.S. 352, à la page 386, le juge Estey). Dans le cas qui nous occupe, ce lien significatif doit se faire avec l’exploitation d’une installation d’aquaculture. L’expression « dans le cadre de » ne suppose pas nécessairement un sens particulier propre à l’industrie de la pêche en général, contrairement à ce que prétendent les demandeurs.

[52]      Cette interprétation est défendable si l’on tient compte du contexte général du régime législatif dans son ensemble. Il ressort du cadre général du Règlement sur l’aquaculture que la présence d’une culture réglementée faisant l’objet d’un permis n’est peut‑être pas nécessaire, contrairement à ce que prétendent les demandeurs.

[53]      L’article 4 du Règlement sur l’aquaculture ne semble pas se limiter, comme le soutiennent les demandeurs, à un type de récolte, de sorte qu’il exclurait la récolte de poissons qui précède celle de poissons ensemencés faisant l’objet d’un permis. Aux termes de l’article 4, un permis d’aquaculture peut être assorti de conditions portant sur « la récolte du poisson dans l’installation d’aquaculture » et les registres à tenir à l’égard des récoltes et des autres prises, telles que les prises de poissons nuisibles et des poissons qui s’évadent de l’installation (Règlement sur l’aquaculture, article 4, non souligné dans l’original). Cette disposition a été rédigée de façon très large sans limiter le type de poisson qui peut être récolté. L’utilisation d’un qualificatif dans d’autres situations — par exemple dans le cas des « poissons nuisibles » — souligne le fait que le mot « poisson » doit être interprété de façon très large.

[54]      Les autres conditions dont un permis d’aquaculture peut être assorti confirment également cette interprétation. Aux termes de l’article 4 du Règlement sur l’aquaculture, un permis d’aquaculture peut être assorti des conditions prévues au paragraphe 22(2) du Règlement de pêche, comme, par exemple, les spécifications d’un bateau de pêche, l’équipement de pêche, les espèces et la quantité de poissons pêchés ou les endroits ou les lieux et les moments où la pêche est permise. Cet aspect du Règlement sur l’aquaculture permet de se demander si le législateur souhaitait faire une distinction claire entre les poissons visés par des permis de pêche, les poissons cultivés et les autres poissons visés par la réglementation sur les pêches.

[55]      Le Règlement sur l’aquaculture a pour objet de régir la délivrance des permis d’aquaculture et de faciliter les activités d’aquaculture. L’existence d’un lien significatif avec l’exploitation d’une installation d’aquaculture est compatible avec cet objectif. Le Règlement sur l’aquaculture prévoit également une restriction importante : le permis d’aquaculture exige un certain degré d’activité d’aquaculture.

[56]      Contrairement aux demandeurs, je ne suis pas prête à tenir pour acquis que l’expression « dans le cadre de l’exploitation d’une installation d’aquaculture » devrait être interprétée en fonction du sens de l’expression « prise accidentelle » qui est employée dans le contexte de la pêche commerciale. Si l’on s’en tient au sens courant des mots, l’expression « exploitation d’une installation d’aquaculture » semble faire entrer en jeu d’autres facteurs que ceux consistant à se demander simplement si la prise était accidentelle ou non. De plus, l’expression « prise accidentelle » est employée à l’article 5 du Règlement sur l’aquaculture, qui dispose :

5. Sauf dans le cas où le permis d’aquaculture autorise expressément la rétention des prises accidentelles, quiconque prend accidentellement un poisson doit, s’il est encore vivant, le remettre sur‑le‑champ dans les eaux situées à l’extérieur de l’installation d’aquaculture de manière à lui occasionner le moins de blessures possible.

[57]      L’article 5 du Règlement sur l’aquaculture semble considérer les mots anglais « incidental » et « accidental » comme des équivalents, comme l’affirment les demandeurs. Toutefois, comme un libellé différent a été retenu dans la définition de l’expression « activités réglementaires », à l’article 1 du Règlement sur l’aquaculture, il semble qu’il faille en conclure que le législateur souhaitait qu’on leur donne un sens différent.

[58]      Par conséquent, un permis d’aquaculture peut autoriser la prise de poisson dans le cadre de l’exploitation d’une installation d’aquaculture. Il doit nécessairement exister un lien significatif avec des activités d’aquaculture, mais le Règlement sur l’aquaculture n’exige pas l’existence d’une culture faisant l’objet d’un permis ou que la prise soit accidentelle. Si les conclusions de Mme Marcus confirment l’existence en l’espèce d’un lien significatif avec une entreprise d’aquaculture, le permis de M. Carto a valablement été délivré en vertu du Règlement sur l’aquaculture.

D.     Agissements de M. Carto

[59]      Les conclusions de fait de Mme Marcus, vues dans le contexte du dossier dont elle disposait, démontrent que le permis d’aquaculture de M. Carto a été valablement autorisé. La récolte, par M. Carto, des panopes préexistantes, bien qu’elles n’aient pas été cultivées en vertu d’un permis d’aquaculture, semble faire partie des activités qu’il mène dans son établissement aquacole Mari‑Poly, qui incluent la culture de la panope.

[60]      Mme Marcus a constaté ce qui suit :

• M. Carto s’adonnait à « la culture active de la population de panopes présente au site » d’après ses activités, notamment « la transplantation de panopes juvéniles […] perturbées lors de diverses activités de nettoyage du fond, ainsi que de naissains sauvages qui se sont fixés sous les contenants à mailles et les filets laissés sur le fond par d’anciennes exploitations agricoles »;

• Par la « récolte des panopes sauvages existantes sur le site, on cherche à analyser le substrat et à déterminer la densité des stocks existants »;

• Il n’y a « pas d’impact sur la pêche commerciale » : il n’y a « aucun antécédent documenté de pêche commerciale au site » et « la probabilité de l’existence d’une population à haute densité de panopes exploitables à des fins commerciales est faible »;

• Le site aquacole faisait déjà l’objet d’une « culture active » d’un certain nombre d’espèces marines et « le matériel de culture [de M. Carto] (radeaux, filières et concombres de mer) occupe le site) ».

[61]      Les conclusions de fait de Mme Marcus démontrent que la récolte des panopes préexistantes peut raisonnablement être considérée comme faisant partie de l’exploitation d’un établissement aquacole. Mme Marcus a décrit les panopes présentes au site aquacole comme étant presque exclusivement des panopes cultivées par M. Carto. Les conclusions de Mme Marcus démontrent que M. Carto était déterminé à pratiquer la culture de la panope et avait l’intention de poursuivre ses activités conformément à son permis d’aquaculture à l’avenir. La récolte des panopes déjà présentes au site fournirait de l’information utile à M. Carto quant à l’endroit et aux conditions propices à la culture de la panope au site aquacole alors qu’il procède à ses activités conformément à son permis. Mme Marcus a également reconnu l’ensemble des activités aquacoles menées par M. Carto — dont la culture de la panope n’est qu’un élément. Ce fait renforce sa conclusion que M. Carto planifie récolter les panopes non seulement à des fins commerciales mais aussi pour obtenir de l’information pour poursuivre ses activités.

[62]      Mme Marcus n’utilise pas le mot « aquaculture » ou sa définition (élevage du poisson) donnée à l’article 1 du Règlement sur l’aquaculture pour décrire les activités de M. Carto, ce qui est logique, étant donné que ces activités n’étaient pas autorisées par permis. Toutefois, les conclusions de fait de Mme Marcus amènent le lecteur à conclure qu’une culture non autorisée a été pratiquée : M. Carto a transplanté des panopes, a nettoyé le fond et a pratiqué une « culture active ». En outre, les antécédents démontrent que les panopes présentes au site aquacole ont bénéficié des filets anti‑prédateurs et des tuyaux en PVC installés par M. Carto, ainsi que du varech qu’il a cultivé. Ces mesures correspondent à la signification du mot « élevage » au sens de ce régime législatif particulier et, de façon plus générale, d’autres domaines du droit, comme la culture de la marihuana. Par exemple, dans l’arrêt Mowry c. R., 2006 NBCA 18, 297 R.N.-B. (2e) 16, au paragraphe 11, la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick a accepté la définition suivante de culture : « [traduction] “L’action de travailler la terre, d’y donner des soins, pour produire des végétaux; de cultiver le sol; d’améliorer et de rendre fertile par l’agriculture” ».

[63]      Les demandeurs affirment que M. Carto avait l’obligation de remettre en place les panopes qu’il a trouvées et que, si ses activités s’étendent davantage, elles constituent de la mise en valeur et rien de plus. Toutefois, la conclusion de Mme Marcus suivant laquelle M. Carto a pratiqué une « culture active » semble se rapprocher davantage d’une conclusion que M. Carto a cultivé des panopes plutôt que de simplement s’acquitter de sa responsabilité légale ou pratiquer la mise en valeur.

[64]      Les activités de M. Carto vont au‑delà de l’exigence de remettre à l’eau les prises accidentelles, comme l’exige l’article 33 du Règlement de pêche. Selon l’article 33, quiconque prend un poisson fortuitement sans autorisation doit le remettre dans l’eau où il l’a pris de manière à le blesser le moins possible. En contre‑interrogatoire, Mme Marcus a affirmé que le réenfouissement d’une panope irait au‑delà de cette exigence de la remettre en place. En outre, les activités de nettoyage du site aquacole menées par M. Carto, reconnues expressément par Mme Marcus, ainsi que ses activités documentées dans le dossier, ne se limitaient pas à la simple remise en place.

[65]      Les agissements de M. Carto ne correspondent pas à la définition de la mise en valeur préconisée par les demandeurs. Ces derniers définissent la mise en valeur comme comprenant l’ensemencement sur une tenure non privée, mais rien de plus. M. James Austin, détenteur d’un permis à panope et président de l’UHA Research Society, a été contre‑interrogé au sujet de son affidavit. M. Austin a déclaré en contre‑interrogatoire que les pêcheurs commerciaux pratiquent des activités de mise en valeur, qui comprennent :

[traduction] […] la remise de panopes cultivées par des intérêts privés, des panopes juvéniles, en propriété commune, en production sauvage […] Mais elles y sont laissées jusqu’à la maturité.

[…]

Un certain nombre ont été enfouies, oui, et un certain nombre ont été parsemées sur le fond marin et protégées. Un certain nombre ont été enfouies à l’aide d’un planteur hydraulique que nous avions.

(Dossier des demandeurs, aux pages 101 à 103; voir aussi le dossier des demandeurs, aux pages 597 et 598, où la mise en valeur, selon la UHA, semble se limiter à l’ensemencement et au réenfouissement de petites panopes.)

[66]      La situation de M. Carto est différente de la mise en valeur, dans le contexte de la pêche commerciale, comme l’a expliqué M. Austin. M. Carto a fait beaucoup plus dans le cadre de ses activités aquacoles à son établissement Mari‑Poly que ne l’ont fait les pêcheurs commerciaux. Par exemple, M. Carto a vu à une meilleure protection de ses panopes, tant celles enfouies que celles parsemées sur le fond marin. Le varech cultivé par M. Carto a aussi servi de source de nourriture pour les panopes. L’expression « mise en valeur » utilisée par les demandeurs semble comporter l’ensemencement de panopes pour les laisser atteindre la maturité sans en prendre soin. L’approche de M. Carto, décrite par Mme Marcus, était beaucoup plus interventionniste et de nature fondamentalement différente.

E.     Caractère raisonnable des conclusions dans le contexte du dossier

[67]      Les demandeurs affirment que les renvois aux activités de M. Carto dans le dossier, probablement dans les demandes de permis, font référence aux modifications proposées sous réserve d’approbation et, donc, qu’elles ne peuvent pas être considérées comme des activités accessoires à son exploitation aquacole. Je ne suis pas d’accord.

[68]      Mme Marcus a expliqué dans son rapport sommaire que M. Carto « a effectué la culture active des panopes préexistantes au site », en faisant référence à ses activités de nettoyage du site aquacole ainsi que de récupération et de réenfouissement des panopes juvéniles. En outre, l’information dont était saisie Mme Marcus révélait que M. Carto a tenu un rôle actif dans la récupération, la replantation, la protection et l’alimentation des panopes au site aquacole :

• Mme Marcus a parlé à M. Carto de ses activités liées à la panope et a communiqué avec lui par courrier électronique;

• Elle avait accès à la demande de permis fédéral de M. Carto, datée du 24 novembre 2010, et au Plan provisoire du MPO pour la gestion du site, daté du 3 mars 2011, qui font tous deux référence aux filets anti‑prédateurs;

• Elle a aussi reçu la demande de modification du permis provincial présentée par M. Carto, datée du 26 août 2010, qui fait référence aux filets et aux tubes en PVC utilisés pour protéger les panopes ainsi qu’au varech cultivé au site aquacole.

[69]      Dans leur argumentation, les demandeurs font l’abstraction du contexte dans lequel les demandes de modification de permis ont été présentées. M. Carto a informé Mme Marcus par courriel de ce qui suit :

[traduction] Comme vous le savez, nous avons travaillé en étroite collaboration avec la Direction de la délivrance des permis du MAT au cours des six dernières années pour développer ce modèle de culture pour Mari‑Poly.

Il a fallu prouver, par la R‑D que nous avons menée, que toutes ces espèces pouvaient être élevées sous un même permis et à un même endroit.

Une importante somme d’argent a été engagée jusqu’à maintenant dans le développement jusqu’à un stade où nous sommes maintenant prêts pour la pleine production de notre quota.

En ce qui concerne la panope, nous avons récupéré un certain nombre de semis durant le nettoyage du fond marin.

Cette semence naturelle a été parsemée sur le site pour déterminer si le substrat était propice à son grossissement.

La province nous a dit de poursuivre nos [projets de] R‑D qui avaient fait l’objet de discussions et que lorsque nous aurions réussi et que nous serions prêts à passer à la production, nous pourrions la faire ajouter à notre permis actuel, ce qui a été fait avant la date limite.

[70]      Ce qui précède confirme que le permis provincial décrit le matériel déjà en place. Le but de la demande de modification du permis était d’obtenir l’approbation officielle des activités qui avaient déjà été menées avec l’approbation de la province.

[71]      Les demandeurs font également ressortir la déclaration de Mme Marcus dans son contre‑interrogatoire suivant laquelle elle ne se rappelait pas avoir parlé de la panope avec M. Carto pendant sa visite du site, et que les plongeurs n’avaient pas vu de panopes, de filets anti‑prédateurs ou de tubes en PVC. Cependant, les demandeurs ne tiennent pas compte du fait que l’intention de cette visite particulière du site était d’observer les concombres de mer et leur méthode de culture par M. Carto. Par conséquent, les conclusions de Mme Marcus dans son rapport sommaire sont tout à fait raisonnables, étant donné que le personnel du MPO n’accordait pas à ce moment‑là son attention à la panope.

[72]      En dernier lieu, les demandeurs ont soulevé la question d’une photographie que M. Carto a présentée à Mme Marcus en lui disant qu’elle montrait des panopes juvéniles. Comme aucune panope n’est présente dans cette photographie, les demandeurs laissent entendre que l’on peut déduire que M. Carto est incapable d’identifier une panope ou qu’il n’y a pas de panopes au site aquacole.

[73]      À mon avis, les éléments de preuve liés à cette photographie ne sont pas suffisants pour rendre les conclusions de Mme Marcus déraisonnables. Au mieux, ils semblent être quelque peu contradictoires. En outre, Mme Marcus a choisi de croire l’explication donnée par M. Carto de ses activités d’après ses communications avec lui et la documentation reçue du gouvernement provincial. Il n’appartient pas à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de cette preuve pour parvenir à une conclusion différente. Même si aucune panope ne figure dans cette photographie, il ne s’ensuit pas forcément que M. Carto ne la cultivait pas au site aquacole. Par conséquent, la conclusion de fait de Mme Marcus suivant laquelle M. Carto pratiquait la culture de la panope ne devrait pas être modifiée sur ce fondement.

VIII.     Conclusion

[74]      En conclusion, j’estime que le permis modifié de M. Carto a été valablement autorisé en vertu du Règlement sur l’aquaculture. Si l’on envisage la question sous l’angle de la norme de contrôle, je suis convaincue que la décision préliminaire suivant laquelle le ministre avait le pouvoir de délivrer le permis modifié était bien fondée. De plus, l’interprétation que le ministre a faite de l’expression « dans le cadre de l’exploitation d’une installation d’aquaculture » était correcte. Enfin, les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit du ministre (reproduites dans le rapport sommaire) étaient raisonnables.

[75]      La présente affaire comporte des faits inusités. Normalement, il est peu probable que des stocks préexistants constituent des prises accidentelles dans le cadre de l’exploitation d’une installation d’aquaculture, étant donné qu’il n’existerait aucun antécédent — sous forme notamment de permis — confirmant que du poisson était cultivé à cet endroit et aucune raison permettant au ministre de conclure que cette culture se poursuivrait à l’avenir. La situation de M. Carto est toutefois unique. M. Carto a demandé un permis d’aquaculture fédéral après la transition de la réglementation provinciale de l’aquaculture à une réglementation fédérale. Sous le régime provincial, M. Carto était manifestement autorisé par le gouvernement provincial à mettre à l’essai la culture du panope dans le cadre des activités qu’il menait dans son établissement aquacole Mari‑Poly en tenant pour acquis qu’il pourrait obtenir un permis plus tard si cette culture réussissait. Bien que M. Carto ait obtenu plus tard un permis provincial, celui‑ci n’a pas été valide pendant une longue période en raison de la décision Morton. M. Carto a donc dû demander un permis d’aquaculture fédéral dans des circonstances quelque peu inusitées. De plus, la récolte des panopes en question devrait fournir d’importants renseignements pour la poursuite de la culture active de la population de panopes. La récolte de la panope est autorisée en tant qu’« activité règlementaire » consistant en « la prise accidentelle de poisson dans le cadre de l’exploitation d’une installation d’aquaculture ».

[76]      La demande de contrôle judiciaire sera rejetée et les dépens seront adjugés aux défendeurs. À la clôture de l’audience, j’ai demandé aux avocats de toutes les parties de me soumettre leur mémoire de dépens. J’ai accordé aux parties la possibilité de formuler leurs observations au sujet des mémoires de dépens en question. Les demandeurs n’ont pas formulé d’observation au sujet du mémoire de dépens soumis par les défendeurs pour examen. Exerçant mon pouvoir discrétionnaire, j’estime qu’un montant total de 40 000 $, incluant tous les frais, débours et taxes, est raisonnable. Je vais adjuger à titre de dépens un montant forfaitaire de 20 000 $ qui sera attribué respectivement : a) à M. Carto; b) au procureur général et au ministre des Pêches et des Océans (conjointement).

JUGEMENT

LA COUR :

1. REJETTE la demande de contrôle judiciaire;

2. CONDAMNE les demandeurs à payer aux défendeurs à titre de dépens les montants forfaitaires suivants, qui comprennent tous les frais, taxes et débours :

a) à M. Don Carto : 20 000 $;

b) au procureur général du Canada et au ministre des Pêches et des Océans (conjointement) : 20 000 $.

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