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2001 CAF 235

A-744-00

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (appelant)

c.

Hewlette Harris (intimé)

A-180-01

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (appelant)

c.

Linton Andrew Wishart (intimé)

Répertorié : Wishart c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.)

Cour d’appel, juges Décary, Noël et Sharlow, J.C.A.— Ottawa, 28 juin et 11 juillet 2001.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes non admissibles — Appels de décisions de la C.F. 1re inst. accueillant les demandes de contrôle judiciaire d’avis de danger délivrés conformément à l’art. 46.01(1)e)(i) de la Loi sur l’immigration — Les intimés, qui se trouvaient illégalement au Canada, étaient des personnes visées à l’art. 19(1)c) par suite de déclarations de culpabilité prononcées au criminel — Le ministre avait délivré des avis en vertu de l’art. 46.01(1)e)(i) selon lesquels chaque intimé constituait un danger pour le public au Canada — L’art. 46.01(1)e)(i) prévoit que la revendication de statut n’est pas recevable par la section du statut si l’arbitre a décidé que l’intéressé appartient à l’une des catégories visées à l’art. 19(1)c) et que, selon le ministre, l’intéressé constitue un danger pour le public au Canada — Les intimés n’avaient pas revendiqué et n’avaient pas l’intention de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention — Le juge des requêtes avait annulé les avis de danger pour le motif qu’ils n’étaient fondés sur aucun pouvoir reconnu par la loi — Question certifiée : le ministre peut-il délivrer un avis de danger avant que l’intéressé revendique le statut de réfugié? — Les appels devraient être rejetés, comme l’a concédé la Couronne, compte tenu de l’omission de divulguer les rapports dont disposait le fondé de pouvoir du ministre lorsqu’il a exprimé les avis de danger et de l’omission de permettre que des observations soient faites en réponse : Bhagwandass c. Canada (MCI), [2001] 3 C.F. 3— Juge Sharlow, J.C.A. : le pouvoir que possède le ministre en vertu de l’art. 46.01 n’est pas limité aux personnes qui ont présenté une revendication — L’avis de danger délivré en vertu de l’art. 46.01(1)e)(i) vise à éliminer tout ce qui peut faire obstacle au renvoi rapide d’une personne dont le casier judiciaire est suffisamment sérieux pour qu’elle soit visée à l’art. 19(1)c) — Il se peut que pareille personne présente une revendication spécieuse uniquement afin de retarder le renvoi — Si le ministre n’était pas autorisé à entamer la procédure de délivrance de l’avis de danger tant que la revendication n’était pas présentée, la procédure de renvoi serait retardée d’une façon inévitable et injustifiable — Le ministre a agi conformément au but de l’art. 46.01(1)e)(i) en délivrant des avis de danger à l’encontre des intimés — L’avis de danger ne peut pas être annulé simplement parce qu’il vise à empêcher la présentation d’une revendication — Juge Noël, J.C.A. : L’application de l’art. 46.01 est déclenchée lorsqu’il est déterminé que l’intéressé appartient à l’une des catégories visés à l’art. 19(1)c) et qu’un avis de danger a été délivré — L’art. 46.01 s’applique sans qu’il soit tenu compte de la question de savoir si l’intéressé a l’intention de revendiquer le statut de réfugié — Selon la seule exigence prévue à l’art. 46.01, l’application de cette disposition doit être déclenchée avant que la section du statut de réfugié étudie la revendication — L’avis de danger n’est pas invalide du simple fait que le ministre l’a délivré en vue de priver les intimés du droit de faire étudier leur revendication — Juge Décary, J.C.A. : l’art. 46.01 ne peut pas être utilisé en dehors du contexte d’une revendication visant à l’obtention du statut de réfugié — Pour qu’un avis de danger soit délivré légalement, il doit raisonnablement y avoir lieu de croire qu’une personne exercera son droit de revendiquer le statut de réfugié.

Il s’agissait d’un appel de décisions de la Section de première instance par lesquelles étaient accueillies des demandes de contrôle judiciaire d’avis de danger délivrés conformément au sous-alinéa 46.01(1)e)(i) de la Loi sur l’immigration.

Les intimés se trouvaient illégalement au Canada. Ils appartenaient à l’une des catégories visées à l’alinéa 19(1)c) de la Loi sur l’immigration, puisqu’ils avaient été déclarés coupables, au Canada, d’infractions criminelles punissables d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans. Pendant qu’ils purgeaient les peines d’emprisonnement qui leur avaient été infligées pour ces infractions, le fondé de pouvoir du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a délivré, en vertu du sous-alinéa 46.01(1)e)(i), des avis selon lesquels ces individus constituaient un danger pour le public au Canada. Le sous-alinéa 46.01(1)e)(i) prévoit que la revendication de statut n’est pas recevable par la section du statut si l’arbitre a décidé que l’intéressé appartient à l’une des catégories visées à l’alinéa 19(1)c) et que, selon le ministre, l’intéressé constitue un danger pour le public au Canada. Ni l’un ni l’autre des intimés n’a revendiqué ou n’a l’intention de revendiquer le statut de réfugié. Lors du contrôle judiciaire, les deux avis de danger ont été annulés pour le motif qu’ils n’étaient fondés sur aucun pouvoir reconnu par la loi. La question suivante a été certifiée dans les deux cas : Le ministre peut-il conclure qu’une personne constitue un danger pour le public au Canada conformément au paragraphe 46.01(1) de la Loi sur l’immigration à n’importe quel moment, que ce soit avant que cette dernière revendique le statut de réfugié au sens de la Convention ou après? Les deux juges des requêtes ont répondu à cette question par la négative. En appel, il a été statué que la question devrait uniquement viser à déterminer l’étendue du pouvoir que possède le ministre de délivrer un avis de danger avant que le statut de réfugié soit revendiqué, puisque pareil avis peut sans aucun doute être délivré après qu’une revendication a été présentée.

Arrêt : les appels doivent être rejetés et la question certifiée doit faire l’objet d’une réponse affirmative.

Le juge Sharlow, J.C.A. : La Couronne a concédé que les deux appels devraient être rejetés, compte tenu de l’arrêt Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 3 (C.A.), en raison de l’omission de divulguer les rapports dont disposait le fondé de pouvoir du ministre lorsqu’il a exprimé les avis et de l’omission de permettre que des observations soient faites en réponse.

Le sous-alinéa 46.01(1)e)(i) ne met pas en danger la liberté d’une personne. Un avis de danger fondé sur le sous-alinéa 46.01(1)e)(i) n’autorise pas l’incarcération d’une personne. Le seul effet juridique du sous-alinéa 46.01(1)e)(i) est de rendre la revendication irrecevable. Il se peut que les avis de danger soient utilisés en preuve dans des audiences relatives à la garde, mais ces avis ne lient pas le décideur dans pareille audience. Le sous-alinéa 46.01(1)e)(i) n’est pas ambigu à un point tel qu’il soit nécessaire d’appliquer le principe d’interprétation légale voulant que l’interprétation qui favorise la personne en cause soit adoptée parce que la liberté de cette dernière est en cause.

Il est à bon droit possible de dire que l’article 46.01 s’applique uniquement aux personnes qui ont revendiqué le statut de réfugié puisqu’il a pour effet de rendre certaines revendications irrecevables. Toutefois, le pouvoir que possède le ministre de délivrer un avis de danger en vertu de cette disposition n’est pas limité aux personnes qui ont présenté une revendication. Le ministre n’agit pas non plus d’une façon illégitime lorsqu’il délivre un avis de danger en vertu de cette disposition en tant que mesure préventive contre une personne qui pourrait revendiquer le statut de réfugié mais qui ne l’a pas encore fait.

L’avis de danger rendu en vertu du sous-alinéa 46.01(1)e)(i) vise à éliminer tout ce qui peut faire obstacle au renvoi rapide de criminels dangereux du Canada. Il se peut qu’une personne qui a un casier judiciaire suffisamment sérieux pour être visée à l’alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) présente une revendication spécieuse uniquement afin de retarder le renvoi. Si le ministre n’était pas autorisé à entamer la procédure de délivrance de l’avis de danger tant que la revendication n’était pas présentée, la procédure de renvoi serait retardée d’une façon inévitable et injustifiable. Selon la procédure suivie en l’espèce, la procédure de délivrance de l’avis de danger a été entamée à un moment où aucune revendication n’avait encore été présentée ou ne devait l’être. Si la procédure n’avait pas donné lieu à la délivrance d’un avis de danger, il n’en aurait résulté aucun préjudice. En fait, des avis de danger ont été délivrés et auraient empêché l’examen d’une revendication, éliminant ainsi la possibilité que la mesure de renvoi soit retardée d’une façon injustifiée. Telle est précisément la procédure envisagée au sous-alinéa 46.01(1)e)(i). Le ministre a agi conformément au but du sous-alinéa 46.01(1)e)(i) en délivrant des avis de danger à l’encontre des intimés. Un avis de danger ne peut pas être annulé simplement parce qu’il vise à empêcher la présentation d’une revendication.

Le juge Noël, J.C.A. : L’application de l’article 46.01 est déclenchée 1) lorsque l’arbitre détermine que l’intéressé appartient à l’une des catégories visées à l’alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et 2) lorsque le ministre exprime l’avis selon lequel l’intéressé constitue un danger pour le public au Canada. Une fois que ces deux conditions légales sont remplies, la revendication de statut n’est pas recevable par la section du statut de réfugié. Le paragraphe 46.01(1) a donc un effet immédiat et il s’applique sans qu’il soit tenu compte de la question de savoir si l’intéressé a l’intention de revendiquer le statut de réfugié. Selon la seule exigence prévue au paragraphe 46.01(1), lorsqu’une revendication est présentée, l’application de cette disposition doit être déclenchée avant que la section du statut de réfugié étudie la revendication. L’avis de danger n’est pas invalide du simple fait que le ministre l’a délivré en vue de priver une personne du droit de faire étudier sa revendication par la section du statut de réfugié. Le ministre peut à bon droit songer à l’effet que la loi donne à la délivrance d’un avis de danger, à condition qu’il s’agisse d’un avis fondé sur une crainte réelle, c’est-à-dire que l’avis soit fondé sur l’existence de faits de nature à permettre au ministre d’exprimer objectivement l’avis selon lequel l’intéressé constitue un danger pour le public au Canada. Un avis de danger, s’il est fondé sur une crainte réelle, a l’effet que le paragraphe 46.01(1) lui donne, et ce, peu importe que l’intéressé ait déjà présenté une revendication au moment de la délivrance de l’avis.

Le juge Décary, J.C.A. (motifs concourants quant au résultat) : Le ministre peut exprimer l’avis selon lequel une personne constitue un danger pour le public au Canada conformément à l’article 46.01 avant que cette personne présente une revendication en vue d’obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention, mais uniquement si cet avis se rapporte à une personne à l’égard de laquelle il y a raisonnablement lieu de croire qu’elle revendiquera peut-être le statut de réfugié au sens de la Convention.

La Loi sur l’immigration renferme quatre dispositions précises permettant au ministre de délivrer un avis de danger. Un avis qui est exprimé dans un contexte ne peut pas l’être dans un autre. Le ministre ne peut pas utiliser l’article 46.01 en dehors du contexte d’une revendication visant à l’obtention du statut de réfugié. Si le législateur avait voulu que des avis de danger soient délivrés d’une façon préventive, indépendamment d’un contexte donné, il l’aurait fait.

L’article 46.01 vise à assurer qu’une revendication présentée par un individu qui est un criminel dangereux soit déterminée sommairement au tout début de la procédure. Un avis de danger peut être demandé en vertu de l’article 46.01 avant qu’une personne donne formellement avis de son intention de revendiquer le statut de réfugié, s’il y a raisonnablement lieu de croire que la personne en question a l’intention de revendiquer le statut de réfugié. Cependant, l’avis de danger ne peut pas être demandé à l’encontre d’une personne se trouvant illégalement au Canada qui n’est pas frappée d’une mesure de renvoi, compte tenu de l’hypothèse générale selon laquelle pareille personne revendiquera le statut de réfugié si elle risque d’être renvoyée du Canada.

Afin de délivrer légalement un avis de danger en vertu de l’article 46.01, le ministre doit être convaincu : a) qu’il y a raisonnablement lieu de croire qu’une personne exercera, en vertu de l’article 44, son droit de revendiquer le statut de réfugié, et b) que la personne en question constitue un danger pour le public au Canada. Ne pas tenir compte de la première condition, c’est interpréter l’article 46.01 en dehors de son contexte et conférer au ministre le pouvoir exceptionnel de s’en prendre à n’importe quelle personne qui n’est pas légalement au Canada, et ce, à des fins non liées aux revendications du statut de réfugié.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)c) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), c.1) (mod., idem; 1995, ch. 15, art. 2), 44(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35), (2) (mod., idem), (3) (mod., idem), (4) (mod., idem), 45 (mod., idem; 1995, ch. 15, art. 8), 46.01(1) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14 : L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9), 53 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 17; L.C. 1992, ch. 49, art. 43; 1995, ch. 15, art. 12), 70(5) (mod., idem, art. 13), 77(3.01) (édicté, idem, art. 15).

JURISPRUDENCE

décision appliquée :

Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 3 (2001), 199 D.L.R. (4th) 519; 268 N.R. 337 (C.A).

décisions examinées :

Marcotte c. Sous-procureur général du Canada et autre, [1976] 1 R.C.S. 108; (1974), 51 D.L.R. (3d) 259; 19 C.C.C. (2d) 257; 3 N.R. 613; R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686; (1995), 21 O.R. (3d) 797; 95 C.C.C. (3d) 481; 36 C.R. (4th) 171; 178 N.R. 161; 79 O.A.C. 81.

décisions citées :

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (1997), 147 D.L.R. (4th) 93; 212 N.R. 63 (C.A.).

APPEL de décisions de la Section de première instance (Wishart c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 111(1re inst.); Harris c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 9 Imm. L.R. (3d) 271 (C.F. 1re inst.)) accueillant des demandes de contrôle judiciaire d’avis de danger délivrés conformément au sous-alinéa 46.01(1)e)(i) de la Loi sur l’immigration et certifiant la question de savoir si le ministre peut exprimer un avis selon lequel une personne constitue un danger pour le public au Canada conformément à l’article 46.01 avant que cette personne présente une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Appels rejetés et question certifiée ayant fait l’objet d’une réponse affirmative.

ONT COMPARU :

Kevin Lunney pour l’appelant.

Munyonzwe Hamalengwa pour les intimés.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

Munyonzwe Hamalengwa, Toronto, pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Décary : Je suis d’accord avec ma collègue, Mme le juge Sharlow, pour dire que le ministre peut exprimer l’avis selon lequel une personne constitue un danger pour le public au Canada conformément au paragraphe 46.01(1) de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9)] avant que cette personne présente une revendication en vue d’obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6]. Cependant, j’aimerais faire une mise en garde : le ministre peut uniquement exprimer pareil avis à un stade préliminaire, pour l’application de cette disposition, si cet avis se rapporte à une personne à l’égard de laquelle il y a raisonnablement lieu de croire qu’elle revendiquera peut-être le statut de réfugié au sens de la Convention.

[2]        À mon avis, l’approche appropriée est celle que le juge MacKay a adoptée aux paragraphes 23 et 26 des motifs qu’il a prononcés dans la décision Wishart c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 111(1re inst.) :

Selon la Loi sur l’immigration, le ministre peut dire si une personne constitue ou non un danger, mais seulement en des circonstances restreintes. La loi n’impose pas de limites temporelles à cette procédure, mais l’avis du ministre ne peut être envisagé que lorsque la crainte d’un danger pour le public est réelle. Le législateur n’avait sûrement pas une intention contraire. Selon moi, il ne relève pas du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par la Loi d’émettre un avis dans le dessein de supprimer la possibilité, prévue par ailleurs dans la Loi, de revendiquer le statut de réfugié. En l’espèce, si le ministre a utilisé son pouvoir d’émettre un avis concernant le danger que constituait M. Wishart, c’était pour empêcher celui-ci de revendiquer le statut de réfugié, ce qui l’a privé d’une possibilité que lui donnait la Loi. Selon moi, c’était là une erreur portant sur la compétence.

[…]

M. Wishart est au Canada illégalement depuis 1983. Les fonctionnaires de l’immigration ont engagé la procédure visant son renvoi du Canada en préparant un rapport selon l’article 27 pour que soit tenue une enquête d’immigration, mais je note que, puisqu’il était au Canada illégalement, aucune opinion sur le danger qu’il pouvait constituer n’était nécessaire pour qu’une mesure de renvoi soit prononcée contre lui. Si en l’occurrence le législateur lui laisse la possibilité de revendiquer le statut de réfugié, ce qu’il n’avait pas encore fait, cette possibilité ne saurait être éliminée par un avis du ministre ayant essentiellement cet objet.

[3]        Le paragraphe 44(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35] de la Loi sur l’immigration permet à toute personne se trouvant au Canada de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention à condition de ne pas être frappée d’une mesure de renvoi. La procédure énoncée aux articles 44 à 46.01 [paragraphes 44(1) à (4) (mod., idem); article 45 (mod., idem; 1995, ch. 15, art. 8)] de la Loi est la suivante : la personne qui revendique le statut de réfugié au sens de la Convention avise un agent d’immigration (paragraphe 44(1)), qui de son côté défère le cas à un agent principal (paragraphe 44(2)), celui-ci décidant de son côté de la recevabilité de la revendication (paragraphe 44(4) et article 45). Les critères d’« admissibilité » sont énoncés à l’article 46.01 et comprennent l’« avis de danger » auquel les présents appels se rapportent. Selon la procédure énoncée dans la Loi, pour qu’il soit conclu que la revendication n’est pas recevable, le statut de réfugié doit d’abord avoir été revendiqué.

[4]        Les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

44. (1) Toute personne se trouvant au Canada peut revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention en avisant en ce sens un agent d’immigration, à condition de ne pas être frappée d’une mesure de renvoi qui n’a pas été exécutée, à moins que la mesure n’ait été annulée en appel.

(2) Le cas échéant, l’agent d’immigration défère sans délai le cas à un agent principal.

(3) Lorsque la personne qui fait l’objet d’une enquête revendique le statut de réfugié au sens de la Convention conformément au paragraphe (1), l’arbitre détermine si elle doit être autorisée à entrer au Canada ou à y demeurer et prend à son égard la mesure indiquée prévue aux paragraphes 32(1), (3) ou (4) ou à l’article 32.1.

(4) Si la revendication est jugée irrecevable par l’agent principal avant la fin de l’enquête, l’arbitre prend contre l’intéressé la mesure indiquée prévue à l’article 32.

[…]

45. (1) L’agent principal à qui le cas a été déféré décide, sous réserve du paragraphe (2), de la recevabilité de la revendication; […]

[…]

46.01 (1) La revendication de statut n’est pas recevable par la section du statut si l’intéressé se trouve dans l’une ou l’autre des situations suivantes :

[…]

e) l’arbitre a décidé selon le cas :

(i) qu’il appartient à l’une des catégories visées à l’alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada,

(ii) qu’il appartient à l’une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)e), f), g), j), k) ou l) et, selon le ministre, il serait contraire à l’intérêt public de faire étudier sa revendication aux termes de la présente loi,

(iii) qu’il relève du cas visé au sous-alinéa 27(1)a.1)(i) et, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada,

(iv) qu’il relève, pour toute infraction punissable aux termes d’une loi fédérale d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l’alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada.

[5]        L’avocat du ministre a concédé—à bon droit, à mon avis—qu’aucune disposition générale de la Loi sur l’immigration ne permet au ministre d’exprimer un avis de danger dans tous les cas où elle le juge bon. Il a reconnu que la loi renferme quatre dispositions habilitantes précises (articles 46.01 et 53 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 17; L.C. 1992, ch. 49, art. 43; 1995, ch. 15, art. 12] et paragraphes 70(5) [mod., idem, art. 13] et 77(3.01) [édicté, idem, art. 15]) et qu’un avis qui est exprimé dans un contexte ne pouvait pas l’être dans un autre.

[6]        Par conséquent, le ministre ne peut pas utiliser l’article 46.01 en dehors du contexte d’une revendication visant à l’obtention du statut de réfugié. Un avis de danger délivré en vertu de l’article 46.01 ne peut pas plus être isolé de la procédure relative aux réfugiés que les avis de danger délivrés en vertu de l’article 53 et des paragraphes 70(5) et 77(3.01) ne peuvent l’être de leur propre contexte. Si le législateur avait voulu que des avis de danger soient délivrés d’une façon préventive, indépendamment d’un contexte donné, il l’aurait fait.

[7]        Selon les termes mêmes du paragraphe 44(1), la possibilité de revendiquer le statut de réfugié est donnée à toute personne se trouvant au Canada, à condition de ne pas être visée d’une mesure de renvoi qui n’a pas été exécutée. Comme le juge MacKay l’a fait remarquer au paragraphe 26 des motifs qu’il a prononcés dans la décision Wishart, le ministre aurait pu prendre une mesure de renvoi, mais il ne l’a pas fait, de sorte que le paragraphe 44(1) n’empêchait pas M. Wishart de revendiquer le statut de réfugié. Si le législateur avait voulu empêcher une personne qui fait l’objet d’un avis de danger de revendiquer le statut de réfugié, il aurait ajouté des mots en ce sens au paragraphe 44(1). Le ministre ne peut pas utiliser le pouvoir qui lui est conféré par le paragraphe 46(1) en vue d’en arriver à un résultat non prévu au paragraphe 44(1). Tel était à mon avis le raisonnement du juge MacKay. Ce raisonnement est conforme au libellé de la Loi sur l’immigration.

[8]        Contrairement à ce que le ministre a allégué, l’article 46.01 ne vise pas à empêcher une personne de revendiquer le statut de réfugié. Il vise plutôt à assurer qu’une revendication, lorsqu’elle est présentée ou doit être présentée par un individu qui est un criminel dangereux, soit déterminée sommairement au tout début de la procédure.

[9]        Je suis prêt à conclure qu’un avis de danger peut être demandé en vertu de l’article 46.01 avant qu’une personne donne formellement avis de son intention de revendiquer le statut de réfugié, s’il y a raisonnablement lieu de croire que la personne en question a l’intention de revendiquer le statut de réfugié. Cependant, je ne suis pas prêt à conclure que l’avis de danger ne peut pas être demandé à l’encontre d’une personne se trouvant illégalement au Canada qui n’est pas frappée d’une mesure de renvoi, pour le seul motif qu’on suppose, de façon générale, que ce type de personne revendiquera le statut de réfugié si elle risque d’être renvoyée du Canada.

[10]      Je me rends parfaitement compte du fait qu’un avis de danger est un outil particulièrement utile lorsqu’il s’agit d’éliminer, comme l’a dit le juge Sharlow au paragraphe 28 des motifs qu’elle a prononcés dans la décision Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 3 (C.A.), « un obstacle potentiel au renvoi rapide des criminels dangereux du Canada ». Cependant, il s’agit d’un outil que le législateur ne voulait pas que le ministre utilise au hasard, indépendamment, dans le cas du sous-alinéa 46.01(1)e)(i), d’une revendication existante ou possible. Le moment où cet outil peut être utilisé est bien décrit dans l’avis que Citoyenneté et Immigration Canada a envoyé : [traduction] « si vous avez revendiqué le statut de réfugié ou si vous avez l’intention de revendiquer le statut de réfugié » (dossier d’appel, à la page 58).

[11]      À l’audience, l’avocat du ministre a signalé une différence possible entre la version française et la version anglaise du paragraphe 46.01(1). Il a soutenu que la version anglaise fait mention du statut de réfugié et que sa portée n’est pas aussi étendue que la version française, qui fait mention de la revendication. Je ne suis pas d’accord. La version française parle de « la revendication » et non d’« une revendication », et la « revendication » dont il est question est celle de « l’intéressé », c’est-à-dire celle du demandeur de statut. Quoi qu’il en soit, l’article 46.01, lorsqu’il est lu dans le contexte de l’article 44, se rapporte nécessairement à une revendication précise plutôt qu’aux revendications en général.

[12]      En fin de compte, j’estime qu’afin de délivrer légalement un avis de danger en vertu de l’article 46.01 de la Loi sur l’immigration avant qu’une revendication soit présentée, le ministre doit être convaincu a) qu’il y a raisonnablement lieu de croire qu’une personne exercera, en vertu de l’article 44, son droit de revendiquer le statut de réfugié, et b) que la personne en question constitue un danger pour le public au Canada. Ne pas tenir compte de la première condition, c’est à mon avis interpréter l’article 46.01 en dehors de son contexte et conférer au ministre le pouvoir exceptionnel de s’en prendre à n’importe quelle personne qui n’est pas légalement au Canada, et ce, à des fins non liées aux revendications du statut de réfugié.

[13]      Eu égard aux faits de l’affaire, le juge MacKay a conclu, dans la décision Wishart, que le ministre avait délivré un avis de danger à des fins illégitimes, « c’est-à-dire en vue d’empêcher le demandeur de revendiquer le statut de réfugié » (paragraphe 27 de ses motifs). Eu égard aux circonstances, il lui était loisible de tirer cette conclusion et je ne vois pas pourquoi je devrais modifier cette conclusion.

[14]      Je rejetterais les appels et je répondrais aux questions par l’affirmative, quoique pour des motifs autres que ceux que le juge Sharlow a énoncés.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[15]      Le juge Noël, J.C.A. : Je souscris aux motifs de Mme le juge Sharlow et je réglerais les deux appels de la façon dont elle le propose. Quant à la réponse qu’elle a proposée à l’égard de la question certifiée, j’aimerais ajouter les brefs commentaires suivants.

[16]      Pour déclencher l’application du paragraphe 46.01(1), il faut en premier lieu que l’arbitre détermine que l’intéressé appartient à l’une des catégories visées à l’alinéa 19(1)c) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11] ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) [mod., idem; 1995, ch. 15, art. 2] et en second lieu que le ministre exprime l’avis selon lequel l’intéressé constitue un danger pour le public au Canada. Une fois que ces deux conditions légales sont remplies, la revendication de statut n’est pas recevable par la section du statut de réfugié. Tel est l’effet du paragraphe 46.01(1).

[17]      Comme le juge des requêtes l’a souligné au paragraphe 23 des motifs qu’il a prononcés dans la décision Wishart, un avis de danger peut uniquement être délivré lorsque la sécurité du public est réellement en cause. Toutefois, à partir du moment où pareil avis est délivré, dans des circonstances où il a été conclu que l’intéressé appartient à l’une des catégories visées à l’alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i), l’application du paragraphe 46.01(1) est déclenchée, de sorte que la revendication de l’intéressé n’est plus recevable.

[18]      Le paragraphe 46.01(1) a donc un effet immédiat et il s’applique sans qu’il soit tenu compte de la question de savoir si l’intéressé a l’intention de revendiquer le statut de réfugié ou de la question de savoir si l’intéressé a présenté pareille revendication ou s’il doit en présenter une. Selon la seule exigence prévue au paragraphe 46.01(1), lorsqu’une revendication est présentée, l’application de cette disposition doit être déclenchée avant que la section du statut de réfugié ait étudié la revendication.

[19]      L’avis de danger n’est pas invalide du simple fait que le ministre l’a délivré en vue de priver une personne du droit de faire étudier sa revendication par la section du statut de réfugié. Le ministre peut à bon droit avoir à l’esprit l’effet que la loi donne à la délivrance d’un avis de danger, à condition bien sûr qu’il s’agisse d’un avis fondé sur une crainte réelle, c’est-à-dire que l’avis soit fondé sur l’existence d’un fait ou de faits de nature à permettre au ministre ou au fondé de pouvoir du ministre d’exprimer objectivement l’avis selon lequel l’intéressé constitue un danger pour le public au Canada.

[20]      Bref, un avis de danger, s’il est fondé sur une crainte réelle, a l’effet que le paragraphe 46.01(1) lui donne, et ce, peu importe que l’intéressé ait déjà présenté une revendication au moment de la délivrance de l’avis.

[21]      Je répondrais moi aussi à la question certifiée par l’affirmative.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[22]      Le juge Sharlow, J.C.A. : Les intimés Hewlette Harris et Linton Andrew Wishart se trouvent illégalement au Canada. Ils appartiennent à l’une des catégories visées à l’alinéa 19(1)c) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, puisqu’ils ont été déclarés coupables, au Canada, d’infractions criminelles punissables d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans. Pendant qu’ils purgeaient les peines d’emprisonnement qui leur avaient été infligées pour ces infractions, le fondé de pouvoir du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a délivré, en vertu du sous-alinéa 46.01(1)e)(i) de la Loi sur l’immigration, des avis selon lesquels ces individus constituaient un danger pour le public au Canada. Le sous-alinéa 46.01(1)e)(i) est ainsi libellé :

46.01 (1) La revendication de statut n’est pas recevable par la section du statut si l’intéressé se trouve dans l’une ou l’autre des situations suivantes :

[…]

e) l’arbitre a décidé, selon le cas :

(i) qu’il appartient à l’une des catégories non admissibles visées à l’alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada.

[23]      Les avis de danger auraient rendu irrecevable la revendication de statut le cas échéant. Or, aucune revendication n’avait été présentée lorsque les avis de danger ont été délivrés et, à ce jour, aucune revendication n’a été présentée. MM. Harris et Wishart ont tous les deux déclaré qu’ils n’ont pas l’intention de revendiquer le statut de réfugié. Bien sûr, ces déclarations ne les empêchent pas de présenter pareilles revendications.

[24]      Les avis de danger qui ont été délivrés à l’encontre de MM. Harris et Wishart ont fait l’objet de demandes de contrôle judiciaire distinctes devant la Section de première instance de la présente Cour : Harris c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 9 Imm. L.R. (3d) 271 (C.F. 1re inst.); et Wishart c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 111(C.F. 1re inst.).

[25]      Les demandes ont été entendues par des juges de requêtes différents. Les deux avis de danger ont été annulés pour le motif qu’ils n’étaient fondés sur aucun pouvoir reconnu par la loi. La question suivante a été certifiée dans les deux cas :

[traduction] Le ministre peut-il conclure qu’une personne constitue un danger pour le public au Canada conformément au paragraphe 46.01(1) de la Loi sur l’immigration à n’importe quel moment, que ce soit avant que cette dernière revendique le statut de réfugié au sens de la Convention ou après?

[26]      Les deux juges des requêtes ont répondu à cette question par la négative. Pour les motifs énoncés ci-dessous, j’ai conclu qu’il faut répondre à la question par l’affirmative. Toutefois, cela ne veut pas nécessairement dire que les appels doivent être accueillis.

[27]      À l’audience, l’avocat de la Couronne a concédé que les deux appels devraient être rejetés compte tenu de l’arrêt Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 3 (C.A.). Toutefois, il a soutenu qu’il faudrait néanmoins répondre à la question certifiée parce qu’il s’agit d’une question de portée générale aux fins de l’application de la Loi sur l’immigration. Il a également soutenu que la question devrait uniquement viser à déterminer l’étendue du pouvoir que possède le ministre de délivrer un avis de danger avant que le statut de réfugié soit revendiqué, puisque pareil avis peut sans aucun doute être délivré après qu’une revendication a été présentée. Ces arguments ont été retenus. À la fin de l’audience, les appels ont été rejetés, les motifs y afférents et la réponse à la question certifiée devant être rendus publics par la suite.

[28]      Les faits pertinents ne sont pas contestés; ils sont résumés ci-dessous.

Hewlette Harris

[29]      M. Harris est né en Guyane en 1951; il est arrivé au Canada en 1983. Le 24 août 1998, il a été déclaré coupable, sous deux chefs, de possession de stupéfiants aux fins du trafic et de possession d’une arme à autorisation restreinte. Il a été condamné à des peines d’emprisonnement de six ans, les peines devant être purgées en même temps pour les infractions en matière de drogue, et à des peines d’emprisonnement de deux ans, à purger en même temps, pour les infractions relatives à l’utilisation d’une arme.

[30]      Le 3 décembre 1998, un agent d’immigration affecté au bureau de Citoyenneté et Immigration Canada à Kingston (Ontario) a préparé un rapport dans lequel il recommandait qu’un avis de danger soit demandé à l’égard de M. Harris. Le directeur de ce bureau était d’accord. Par une lettre datée du même jour, M. Harris a été informé de l’intention de solliciter un avis de danger compte tenu des renseignements figurant dans les documents énumérés dans la lettre, des copies de ces documents étant jointes à la lettre. M. Harris a été invité à faire des observations, et il en a fait.

[31]      L’agent d’immigration, à Kingston, a préparé, le 11 janvier 1999, un rapport à l’intention du ministre dans lequel il recommandait que l’on demande au ministre de délivrer un avis de danger. Le 12 janvier 1999, le directeur du bureau de Kingston a fait savoir, en apposant sa signature, qu’il souscrivait à cette recommandation.

[32]      Dans un rapport daté du 3 mars 1999, une agente de réexamen, au bureau d’Ottawa de Citoyenneté et Immigration Canada, a examiné les documents concernant M. Harris et a préparé un rapport dans lequel elle résumait les renseignements. À la fin du rapport, l’agente de réexamen a indiqué qu’elle ne souscrivait pas à la recommandation voulant que l’on demande qu’un avis de danger soit délivré. Le 4 mai 1999, un analyste principal a signé le même rapport, mais il a indiqué qu’il souscrivait à la recommandation, à savoir qu’un avis de danger soit demandé. Le rapport de l’agente de réexamen, avec les avis contradictoires qui avaient été exprimés, a été soumis au fondé de pouvoir du ministre. Comme on avait alors l’habitude de le faire, le rapport de l’agent d’immigration et le rapport de l’agente de réexamen n’ont pas été fournis à M. Harris pour examen et commentaires.

[33]      Le 5 mai 1999, le fondé de pouvoir du ministre a indiqué qu’à son avis, M. Harris constituait un danger pour le public. Aucun motif n’a été fourni à l’appui au moment où cet avis a été exprimé. Toutefois, après la présentation de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, M. Harris a obtenu une copie de tous les documents dont disposait le fondé de pouvoir, et notamment des rapports susmentionnés.

[34]      Le 12 novembre 1999, une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été présentée à l’encontre de l’avis de danger. L’autorisation a subséquemment été accordée. Dans un jugement en date du 22 novembre 2000, le juge des requêtes a accueilli la demande de contrôle judiciaire et a annulé l’avis de danger. Le fondement de la décision est énoncé au paragraphe 13 des motifs :

Rien ne paraît expliquer la décision du représentant du ministre de tirer une conclusion suivant le paragraphe 46.01(1) dans la mesure où, de prime abord, la disposition législative ne s’applique qu’à une personne ayant revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.

Linton Andrew Wishart

[35]      M. Wishart est né en Guyane en 1952; il se trouve illégalement au Canada depuis 1983. Le 12 juin 1997, il a été déclaré coupable de complot en vue de commettre un acte criminel, à savoir le trafic de stupéfiants. Le 27 juin 1997, il a été condamné à sept ans d’emprisonnement.

[36]      Le 16 septembre 1997, un agent d’immigration du bureau de Citoyenneté et Immigration Canada, à Kingston, a envoyé au directeur de ce bureau un rapport dans lequel il exposait les faits relatifs aux condamnations au criminel et certaines autres questions. À la fin du rapport figuraient les remarques suivantes :

[traduction] Compte tenu de ce qui précède, une directive prévoyant la tenue d’une enquête est recommandée. Il est également proposé que nous demandions une opinion du ministre, selon le sous-alinéa 46.01(1)e)(i), en vue de l’empêcher de présenter durant l’enquête une demande de statut de réfugié.

[37]      M. Wishart a été informé par lettre de l’intention de demander la délivrance d’un avis de danger fondé sur les renseignements figurant dans les documents énumérés dans la lettre, des copies de ces documents étant jointes à la lettre. Il a été invité à faire des observations, ce qu’il a fait.

[38]      Un rapport préparé par l’agent d’immigration, à Kingston, lequel a été examiné par le directeur, a été soumis au bureau de Citoyenneté et Immigration Canada, à Ottawa, avec les observations de M. Wishart. À la fin du rapport, l’agent d’immigration et le directeur recommandaient tous deux que l’on demande au ministre de délivrer un avis de danger.

[39]      Dans un rapport en date du 8 décembre 1997, une agente de réexamen a préparé un rapport résumant les documents concernant M. Wishart, y compris ses observations. À la fin du rapport, l’agente de réexamen a indiqué qu’elle souscrivait à la recommandation voulant que l’on demande la délivrance d’un avis de danger. Le 9 décembre 1997, un analyste principal a indiqué qu’il souscrivait à cette recommandation. Le rapport de l’agente de réexamen sur lequel ces avis étaient inscrits a été soumis au fondé de pouvoir du ministre. Encore une fois, comme on avait l’habitude de le faire, le rapport de l’agent d’immigration et le rapport de l’agente de réexamen n’ont pas été fournis à M. Wishart pour examen et commentaires.

[40]      Le 9 décembre 1997, le fondé de pouvoir du ministre a indiqué qu’à son avis, M. Wishart constituait un danger pour le public. Aucun motif n’a été fourni à l’appui au moment où l’avis a été exprimé. Toutefois, après que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire eut été présentée, M. Wishart a reçu une copie de tous les documents dont disposait le fondé de pouvoir du ministre, y compris les rapports susmentionnés.

[41]      Le 20 décembre 1999, une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été présentée à l’encontre de l’avis de danger. L’autorisation a subséquemment été accordée. Dans un jugement en date du 13 mars 2001, le juge des requêtes a accueilli la demande de contrôle judiciaire et a annulé l’avis de danger. Le fondement de sa décision est énoncé comme suit au paragraphe 23 de ses motifs :

Selon la Loi sur l’immigration, le ministre peut dire si une personne constitue ou non un danger, mais seulement en des circonstances restreintes. La loi n’impose pas de limites temporelles à cette procédure, mais l’avis du ministre ne peut être envisagé que lorsque la crainte d’un danger pour le public est réelle. Le législateur n’avait sûrement pas une intention contraire. Selon moi, il ne relève pas du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par la Loi d’émettre un avis dans le dessein de supprimer la possibilité, prévue par ailleurs dans la Loi, de revendiquer le statut de réfugié. En l’espèce, si le ministre a utilisé son pouvoir d’émettre un avis concernant le danger que constituait M. Wishart, c’était pour empêcher celui-ci de revendiquer le statut de réfugié, ce qui l’a privé d’une possibilité que lui donnait la Loi. Selon moi, c’était là une erreur portant sur la compétence.

Points litigieux en appel

[42]      Dans les deux appels, il s’agit principalement de déterminer l’étendue du pouvoir que possède le ministre en vue de délivrer, en vertu du paragraphe 46.01(1), un avis selon lequel une personne constitue un danger pour le public au Canada. Pour plus de commodité, je reproduis les parties pertinentes du paragraphe 46.01(1) :

46.01 (1) La revendication de statut n’est pas recevable par la section du statut si l’intéressé se trouve dans l’une ou l’autre des situations suivantes :

[…]

e) l’arbitre a décidé, selon le cas :

(i) qu’il appartient à l’une des catégories non admissibles visées à l’alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada.

[43]      Il est soutenu au nom de MM. Harris et Wishart que, selon l’interprétation qu’il convient de donner au sous-alinéa 46.01(1)e)(i), le ministre n’est autorisé à délivrer un avis de danger en vertu de cette disposition qu’à l’encontre de personnes qui ont revendiqué le statut de réfugié. Il est concédé que la disposition ne prévoit pas expressément la chose. Selon l’argument avancé, le libellé est suffisamment ambigu pour être interprété en faveur de MM. Harris et Wishart. À l’appui de cet argument, l’avocat se fonde sur la remarque ci-après énoncée que le juge Dickson a faite (au nom de la majorité) dans l’arrêt Marcotte c. Sous-procureur général du Canada et autre, [1976] 1 R.C.S. 108 [à la page 115] :

Il n’est pas nécessaire d’insister sur l’importance de la clarté et de la certitude lorsque la liberté est en jeu. Il n’est pas besoin de précédent pour soutenir la proposition qu’en présence de réelles ambiguïtés ou de doutes sérieux dans l’interprétation et l’application d’une loi visant la liberté d’un individu, l’application de la loi devrait alors être favorable à la personne contre laquelle on veut exécuter ses dispositions. Si quelqu’un doit être incarcéré, il devrait au moins savoir qu’une loi du Parlement le requiert en des termes explicites, et non pas, tout au plus, par voie de conséquence.

ainsi que sur la remarque suivante qui a été faite dans R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, juge en chef Lamer (au nom de la majorité) [à la page 702] :

En matière d’interprétation des lois, dans le cas où il est possible de donner deux interprétations à une disposition qui porte atteinte à la liberté d’une personne, dont l’une serait plus favorable à un accusé, il existe un principe voulant que la cour devrait adopter l’interprétation qui favorise l’accusé.

[44]      Il est soutenu au nom du ministre que le sousalinéa 46.01(1)e)(i) de la Loi sur l’immigration ne met pas en danger la liberté d’une personne. Je suis d’accord avec lui sur ce point. Un avis de danger fondé sur le sous-alinéa 46.01(1)e)(i) n’autorise pas l’incarcération d’une personne. Le seul effet juridique de cette disposition, à supposer que les autres conditions légales soient remplies, est de rendre la revendication irrecevable. Comme l’avocat de MM. Harris et Wishart l’affirme, il se peut que les avis de danger soient parfois utilisés en preuve par la Couronne dans des audiences relatives à la garde en matière d’immigration. Toutefois, un avis de danger ne lie pas le décideur dans pareille audience. Il s’agit tout au plus d’un élément de preuve qui peut être apprécié avec tous les autres éléments de preuve se rapportant à la question de la garde. Quoi qu’il en soit, à mon avis, le sous-alinéa 46.01(1)e)(i) n’est pas ambigu à un point tel qu’il soit nécessaire d’appliquer le principe d’interprétation légale mentionné dans ces décisions.

[45]      Il est à bon droit possible de dire que le paragraphe 46.01(1) s’applique uniquement aux personnes qui ont revendiqué le statut de réfugié puisqu’il a pour effet de rendre certaines revendications irrecevables. Toutefois, à mon avis, cela ne veut pas dire que le pouvoir que possède le ministre de délivrer un avis de danger en vertu de cette disposition est limité aux personnes qui ont présenté une revendication. Cela ne veut pas non plus dire que le ministre agit d’une façon illégitime lorsqu’il délivre un avis de danger en vertu de cette disposition en tant que mesure préventive contre une personne qui pourrait revendiquer le statut de réfugié mais qui ne l’a pas encore fait.

[46]      Le paragraphe 46.01(1) est l’une de quatre dispositions de la Loi sur l’immigration qui autorisent le ministre à délivrer un avis selon lequel une personne constitue un danger pour le public au Canada. Les autres dispositions sont l’article 53, le paragraphe 70(5) et le paragraphe 77(3.01). L’effet juridique d’un avis de danger dépend de la disposition en vertu de laquelle cet avis est délivré. Ainsi, un avis de danger fondé sur le paragraphe 46.01(1), soit la disposition qui est ici en cause, rend une revendication irrecevable si les autres conditions énoncées au paragraphe 46.01(1) sont remplies. Un avis de danger fondé sur l’article 53 permet, entre autres choses, le refoulement d’un réfugié au sens de la Convention dans certaines circonstances. Un avis de danger fondé sur le paragraphe 70(5) ou le paragraphe 77(3.01) empêche l’introduction de certains appels devant la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[47]      Il est reconnu qu’en l’absence d’un fondement factuel approprié, le ministre ne peut pas envisager de délivrer un avis de danger à l’encontre d’une personne. Dans le cadre d’un avis de danger fondé sur le sous-alinéa 46.01(1)e)(ii), le fondement factuel serait normalement composé de la preuve d’une condamnation au criminel qui aurait pour effet d’assujettir la personne en question à l’alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i). Or, le fondement factuel existe dans les deux cas ici en cause.

[48]      Il est également reconnu, et de fait il est de droit constant, que le ministre peut uniquement exercer le pouvoir qu’il possède en vue de délivrer un avis de danger aux fins auxquelles ce pouvoir est conféré. Ainsi, le ministre ne peut pas se fonder sur un avis de danger délivré en vertu du paragraphe 70(5) pour soutenir que la revendication ne doit pas être étudiée. Jusqu’ici, il n’y a pas de controverse.

[49]      Cependant, les parties ne s’entendent pas sur le but de l’avis de danger fondé sur le sous-alinéa 46.01(1)e)(i). Or, la présente Cour a déjà dit que le sous-alinéa 46.01(1)e)(i) vise à éliminer tout ce qui peut faire obstacle au renvoi rapide de criminels dangereux : Bhagwandass (précité). À mon avis, l’avis de danger fondé sur le sous-alinéa 46.01(1)e)(i) vise au même but.

[50]      Il se peut que la revendication d’une personne qui a un casier judiciaire suffisamment sérieux pour qu’elle soit visée au sous-alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) soit fondée. D’autre part, il se peut que pareille personne présente une revendication spécieuse uniquement afin de retarder le renvoi. Si la délivrance d’un avis de danger s’avérait justifiée, mais que le ministre n’était pas autorisé à entamer la procédure de délivrance de pareil avis en vertu du sous-alinéa 46.01(1)e)(i) tant que la revendication n’a pas été présentée, la procédure de renvoi serait retardée d’une façon inévitable et injustifiable.

[51]      Il faut envisager le cas d’une personne se trouvant illégalement au Canada, qui satisfait aux critères énoncés à l’alinéa 19(1)c) et qui constitue objectivement un danger pour le public au Canada. Cette personne peut faire l’objet d’un renvoi, mais elle peut présenter une revendication juste avant la fin de la procédure de renvoi. La procédure de renvoi serait alors suspendue en attendant que la revendication soit étudiée. La procédure de délivrance de l’avis de danger prévue au sous-alinéa 46.01(1)e)(i) se déroulerait en même temps que le processus de reconnaissance du statut de réfugié. La procédure de renvoi ne pourrait pas se poursuivre à moins qu’un avis de danger ne soit délivré avant la fin du processus de reconnaissance du statut de réfugié. S’il était fait droit à la revendication avant qu’une décision soit prise au sujet de l’avis de danger, le ministre serait obligé d’entamer à nouveau la procédure de délivrance de l’avis de danger en vertu de l’article 53. Dans un cas ou dans l’autre, si un avis de danger était en fin de compte délivré, la revendication aurait uniquement servi à retarder le renvoi.

[52]      Selon la procédure suivie en l’espèce, la procédure de délivrance de l’avis de danger a été entamée à un moment où aucune revendication n’avait encore été présentée ou ne devait l’être. Si la procédure n’avait pas donné lieu à la délivrance d’un avis de danger, il n’en aurait résulté aucun préjudice. En fait, des avis de danger ont été délivrés et auraient empêché l’examen d’une revendication, éliminant ainsi la possibilité que la mesure de renvoi soit retardée d’une façon injustifiée. À mon avis, telle est précisément la procédure envisagée au sous-alinéa 46.01(1)e)(i).

[53]      Je conclus que le ministre a agi conformément au but du sous-alinéa 46.01(1)e)(i) en délivrant des avis de danger à l’encontre de MM. Harris et Wishart, alors que ceux-ci n’avaient pas revendiqué le statut de réfugié et n’avaient pas manifesté l’intention de le faire. Un avis de danger ne peut donc pas être annulé simplement parce qu’il vise à empêcher la présentation d’une revendication.

Autres questions

[54]      Les deux avis de danger ont été contestés pour un certain nombre d’autres motifs, notamment l’omission de divulguer les rapports dont disposait le fondé de pouvoir du ministre lorsqu’il a exprimé les avis et l’omission de permettre que des observations soient faites en réponse : Bhagwandass (précité). La Couronne a concédé que cela aurait constitué un fondement subsidiaire justifiant l’annulation des avis de danger et que, partant, les appels devraient être rejetés.

[55]      Il importe de noter que les avis de danger ont également été contestés parce que le fondé de pouvoir du ministre n’avait pas énoncé de motifs. Compte tenu des débats auxquels pourraient donner lieu les arrêts Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; et Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.), je n’exprime pas d’avis au sujet de la question de savoir si le ministre ou le fondé de pouvoir du ministre doit motiver l’avis de danger.

[56]      Je ferai toutefois cette remarque. La décision qui était examinée dans l’arrêt Baker a été rendue sans que des motifs soient formellement prononcés. La Cour a statué qu’il fallait prononcer des motifs, mais elle a conclu qu’eu égard aux circonstances de l’affaire, les notes figurant dans le dossier du décideur étaient suffisantes. S’il est en fin de compte conclu que l’avis de danger doit être motivé, il peut y avoir des cas dans lesquels les motifs sont suffisamment divulgués dans le dossier, peut-être dans le rapport de l’agente de réexamen ou dans le rapport de l’agent d’immigration, ou encore dans les deux rapports. C’est peut-être le cas de M. Wishart. Toutefois, dans le cas de M. Harris, l’agente de réexamen avait conclu son rapport en disant qu’à son avis, il n’était pas justifié de délivrer un avis de danger. Le fondé de pouvoir du ministre a tiré une conclusion contraire, mais le dossier n’indique pas pourquoi. Il me semble qu’il est impossible de conclure que le rapport que l’agente de réexamen a préparé au sujet de M. Harris énonce les motifs pour lesquels le fondé de pouvoir du ministre a décidé de délivrer un avis de danger.

[57]      Enfin, il importe de noter que les deux demandes de contrôle judiciaire visaient également à contester le caractère raisonnable des avis de danger. Les juges qui ont entendu les requêtes n’ont pas fait de remarques sur ce point. À mon avis, il ne convient pas pour la présente cour de faire des remarques.

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