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[2001] 2 C.F. 461

A-642-99

Bow Valley Naturalists Society et Banff Environmental Action and Research Society (appellantes)

c.

Ministre du Patrimoine canadien, John Allard, directeur intérimaire de l’unité de gestion de Kootenay, Yoho et Lac Louise de Parcs Canada, et Corporation Hôtelière Canadien Pacifique (intimés)

Répertorié : Bow Valley Naturalists Society c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien) (C.A.)

Cour d’appel, juges Linden, Isaac et Sharlow, J.C.A. —Vancouver, 4 décembre 2000; Ottawa, 10 janvier 2001.

Environnement — Appel de la décision de la C.F. 1re inst. qui rejetait la demande de contrôle judiciaire d’une décision de Parcs Canada portant que le projet présenté par CP visant la construction d’un centre de conférences au Château Lake Louise, dans le parc national Banff, n’aurait probablement pas d’effets environnementaux importants — 1) Il n’y a aucun fondement pour intervenir dans la détermination de la portée du projet — En vertu de l’art. 15 de la LCÉE, l’autorité responsable doit d’abord déterminer la portée du projet — Ensuite, elle doit déterminer la portée de l’évaluation — L’art. 16(1) énonce les éléments à examiner dans le cadre d’une évaluation environnementale, y compris les effets environnementaux cumulatifs — En vertu de l’art. 20, l’autorité responsable doit décider, après l’examen préalable, si la réalisation du projet est susceptible ou non d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants, décision qui doit tenir compte de l’application des mesures d’atténuation — Le directeur de Parcs Canada, l’autorité responsable par délégation, avait la responsabilité de déterminer la portée du projet — La portée du projet a été définie comme ne comprenant que le centre de conférences — Dès le début, le projet tel que le concevait CP et Parcs Canada ne recouvrait que le centre de conférences — Parcs Canada a invité CP à préparer un Plan d’aménagement à long terme, illustrant sa vision d’avenir — Tous acceptaient que chaque composante du Plan exigerait sa propre évaluation — Le premier projet, et le seul pour lequel on a demandé une approbation, était le centre de conférences — La détermination de la portée du projet était un exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire de l’autorité responsable et la Cour doit le respecter — Parcs Canada a fourni les lignes directrices qui précisaient les éléments à traiter par CP dans son rapport d’examen préalable — La réponse de CP rencontre les exigences de la Loi telles que précisées par Parcs Canada — 2) L’aspect de la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire et portant sur les effets environnementaux cumulatifs n’est pas déraisonnable — L’autorité responsable porte seule la responsabilité de s’assurer que l’évaluation environnementale est réalisée conformément à la Loi, même si l’exécution de l’examen préalable et la préparation du rapport est déléguée au promoteur — Dans ses lignes directrices particulières, Parcs Canada a indiqué à CP qu’elle devait faire une évaluation environnementale de 21 points, y compris les effets cumulatifs du projet — Parcs Canada a constamment insisté pour que CP traite les effets cumulatifs de façon responsable et complète dans le processus d’examen préalable — CP a examiné chacun des éléments de l’analyse des effets cumulatifs et a analysé les répercussions de chacun sur l’environnement de toute la région — Les mesures d’atténuation ont fait l’objet d’analyses dans le rapport — La décision finale incorporait les divers documents et notes préparés tout au long du processus — Il n’est pas nécessaire que la décision examine des projets fantaisistes provenant de parties imaginaires et ne produisant que des effets hypothétiques — La Loi n’avait pas pour objectif d’empêcher tout développement dans les parcs nationaux, mais de garantir le développement durable — Chaque ensemble de circonstances exige un type différent d’évaluation, une définition différente de la portée, et met en jeu des facteurs différents qu’il faut examiner La Cour doit s’assurer que les étapes prévues à la Loi sont suivies, mais elle doit, quant au fond, s’en remettre aux autorités responsables lorsqu’elles définissent la portée du projet, l’importance de l’examen préalable et l’évaluation des effets cumulatifs au vu des facteurs d’atténuation proposés.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Certiorari — Norme de contrôle — Appel de la décision de la C.F. 1re inst. qui rejetait la demande de contrôle judiciaire d’une décision de Parcs Canada portant que le projet présenté par CP visant la construction d’un centre de conférences au Château Lake Louise, dans le parc national Banff, n’aurait probablement pas d’effets environnementaux importants — L’interprétation de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale est une question de droit pour laquelle la norme de contrôle est la décision correcte — La norme de contrôle applicable aux décisions de fond prises dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire accordé par la Loi est la décision raisonnable, notamment parce qu’il n’y a pas de clause privative et parce que le degré d’expertise dans l’application de la Loi est minime.

Le présent appel est interjeté de la décision de la Section de première instance qui rejetait la demande de contrôle judiciaire des appelantes d’une décision de Parcs Canada portant sur l’évaluation environnementale d’un projet présenté par la Corporation Hôtelière Canadien Pacifique (CP) visant la construction d’un centre de conférences au Château Lake Louise, dans le parc national Banff. Après que CP eut soumis son projet, Parcs Canada l’a étudié et a présenté de nouvelles lignes directrices pour l’examen préalable; CP a répondu par un projet révisé (le Plan d’aménagement à long terme) qui faisait état de plusieurs projets, le premier à réaliser étant le centre de conférences. Le Plan d’aménagement à long terme prévoyait de nombreuses mesures d’atténuation. Dans le cadre de sa proposition, CP a procédé à un examen préalable qui abordait les questions suivantes : l’hébergement du personnel, la disparition d’habitat, l’approvisionnement en eau, les répercussions sur la collectivité, le traitement des eaux usées, les besoins en matière de stationnement, l’alimentation en électricité, la circulation automobile, la gestion du flux des déchets, la participation du public, l’analyse de la demande, les mesures d’atténuation, les solutions de rechange, les effets cumulatifs, les répercussions des travaux de construction, la connaissance des lacunes et l’intensification de l’utilisation du territoire. En réponse aux préoccupations apparues lors des consultations publiques et de l’examen interne, CP a soumis d’autres documents relatifs à l’examen préalable. Le 2 avril 1998, le directeur a conclu que le projet n’aurait probablement pas d’effets environnementaux importants, à condition que l’on prenne les mesures d’atténuation prévues. Par la suite, le directeur exécutif des parcs des Rocheuses, ministère du Patrimoine, a confirmé l’approbation de la construction du centre de conférences et précisé les conditions à remplir en matière de mesures d’atténuation. Les deux appelantes ont présenté une demande de contrôle judiciaire, que le juge de première instance a rejeté sans préciser quelle norme de contrôle devait être utilisée.

Les questions en litige étaient les suivantes : 1) qu’elle était la norme de contrôle appropriée; 2) la portée du projet avait-elle été définie trop étroitement; et 3) Parcs Canada avait-elle respecté son obligation de réaliser une évaluation des effets environnementaux, du fait que l’évaluation n’a pas examiné comment le Plan d’aménagement à long terme, qui venait s’ajouter à d’autres projets ou activités existants au lac Louise, viendrait affecter l’environnement.

Arrêt : l’appel est rejeté.

1) L’interprétation de la Loi, qui est une loi d’application générale, est une question de droit pour laquelle la norme de contrôle est la décision correcte. Toutefois, la norme de contrôle applicable aux décisions de fond prises dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire accordé par la Loi est la décision raisonnable, notamment parce qu’il n’y a pas de clause privative et parce que le degré d’expertise dans l’application de la Loi est minime.

2) La Loi canadienne sur l’évaluation environnementale exige qu’on procède à une évaluation environnementale des projets lorsqu’une « autorité fédérale » est le promoteur, ou qu’elle accorde un financement, un droit foncier, ou délivre un permis pour le projet. L’évaluation environnementale vise l’objectif du développement durable et fournit un outil efficace pour la prise en compte des facteurs environnementaux dans les processus de planification et de décision. En vertu de l’article 15, la première étape dans la conduite d’une évaluation environnementale consiste à déterminer la portée du projet qui doit faire l’objet d’une évaluation. L’autorité responsable doit déterminer quels sont les éléments du projet dont on doit tenir compte aux fins de l’évaluation environnementale. La Loi n’indique pas quels ouvrages doivent être compris dans la portée du projet. Le paragraphe 15(2) autorise l’autorité responsable à combiner deux ou plusieurs projets couverts par la Loi dans une même évaluation environnementale si elle décide que les projets sont liés assez étroitement pour être considérés comme un seul projet. Le paragraphe 15(3) exige de l’autorité responsable qu’elle tienne compte dans l’évaluation environnementale de tous les aspects liés à un ouvrage, ainsi que de toutes les opérations liées à un ouvrage qui sont proposées ou qui, selon son estimation, sont susceptibles d’être réalisées. Selon la jurisprudence, la « portée » d’un projet en vertu de l’article 15 se limite normalement aux opérations qui sont directement liées à l’ouvrage proposé, comme sa construction et son exploitation, ainsi qu’aux opérations accessoires.

Ensuite, l’autorité responsable doit déterminer la portée de l’évaluation. Le paragraphe 16(1) énonce les éléments à examiner dans le cadre d’une évaluation environnementale. L’alinéa 16(1)a) exige que l’on tienne compte des effets environnementaux du projet, y compris les effets environnementaux cumulatifs qui sont susceptibles d’être causés par la réalisation du projet, combinée à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets ou activités. Des éléments supplémentaires peuvent être examinés en vertu du paragraphe 16(2). En vertu du paragraphe 16(3), l’autorité responsable détermine la portée des éléments à prendre en compte en vertu de l’alinéa 16(1)a).

La Loi définit les « effets environnementaux » mais elle ne définit pas les « effets cumulatifs ». L’Agence a défini les effets cumulatifs comme l’impact sur l’environnement résultant des effets d’un projet combinés à d’autres projets et activités antérieurs, actuels et imminents, effets qui peuvent se produire sur une certaine période et à une certaine distance. Seuls les effets cumulatifs probables doivent être pris en considération. Il ne faut toutefois considérer que les projets qui ont été approuvés; les projets ou activités incertains ou hypothétiques n’ont pas à être pris en considération.

En vertu de l’article 20, l’autorité responsable doit décider, après l’examen préalable, si la réalisation du projet est susceptible ou non d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants. Cette décision doit tenir compte de l’application des mesures d’atténuation. L’évaluation doit répondre à trois questions : 1) les effets environnementaux sont-ils négatifs; 2) sont-ils importants; et 3) sont-ils probables?.

Le ministre du Patrimoine canadien, par l’entremise de Parcs Canada, est l’autorité responsable aux fins de l’article 15. C’est le directeur de Parcs Canada, l’autorité responsable par délégation, qui avait la responsabilité de déterminer la portée du projet. L’autorité responsable a déterminé la portée du projet comme ne comprenant que le centre de conférences. Dès le début, le projet tel que le concevait CP et Parcs Canada ne recouvrait que le centre de conférences. Il semble qu’au début du processus, Parcs Canada a invité CP à préparer un Plan d’aménagement à long terme illustrant sa vision d’avenir pour le Château. Tous acceptaient que chaque composante du Plan d’aménagement à long terme exigerait sa propre évaluation avant d’être mise à exécution. Le premier projet, et le seul pour lequel on a demandé une approbation, ne comportait que le centre de conférences. En conséquence, il n’y avait aucun fondement pour intervenir dans la détermination de la portée du projet comme ne recouvrant que le centre de conférences. Il s’agissait là d’un exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire de l’autorité responsable et la Cour doit le respecter.

L’autorité responsable doit aussi préciser les paramètres de l’examen préalable du projet. Parcs Canada a d’abord fourni des lignes directrices, précisées par la suite, qui indiquaient quels étaient les éléments que CP devait aborder dans son rapport d’examen préalable. À l’examen des lignes directrices générales et particulières adressées par Parcs Canada à CP, il devient clair qu’elles énoncent les questions précises que CP devait examiner dans son évaluation environnementale. En réponse aux lignes directrices particulières, CP a réalisé une évaluation environnementale. On trouve en tout cinq documents volumineux d’examen préalable, qui contiennent des centaines de pages, le tout préparé pour répondre aux exigences de la Loi selon les directives de Parcs Canada.

3) En vertu de l’article 17, l’exécution de l’examen préalable et la préparation du rapport correspondant peuvent être déléguées, à condition que l’autorité responsable donne des directives suffisantes. Le promoteur peut donc réaliser l’examen préalable et préparer le rapport. C’est l’autorité responsable qui porte seule la responsabilité de s’assurer que l’évaluation environnementale est réalisée conformément à la Loi.

Dans ses lignes directrices particulières, Parcs Canada a indiqué à CP qu’elle devait faire une évaluation environnementale de 21 points énumérés, y compris celui portant sur les effets cumulatifs du projet. CP a respecté les directives de Parcs Canada dans son évaluation. L’évaluation environnementale en l’instance était un processus continu. Il y a eu beaucoup de documents produits et échangés. Des rencontres ont été organisées de façon régulière entre les représentants de CP et de Parcs Canada. Par suite notamment des commentaires du public, il y a eu beaucoup de compromis. L’autorité responsable savait parfaitement qu’il fallait tenir compte des effets cumulatifs et elle a constamment insisté pour que CP traite ces effets de façon responsable et complète dans le processus d’examen préalable. Le document de février 1998 sur les effets cumulatifs examine tous les éléments de l’analyse des effets cumulatifs et il analyse les répercussions de chacun sur l’environnement de toute la région. Les mesures d’atténuation envisagées ont fait l’objet d’analyses et on a constaté qu’elles étaient réalisables et adéquates. La décision finale incorporait les divers documents et notes préparés tout au long du processus décisionnel. En conséquence, l’aspect de la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire et portant sur les effets cumulatifs n’était pas déraisonnable et le juge de première instance n’a commis aucune erreur à ce sujet. Pour respecter la Loi, il n’est pas nécessaire que la décision soit un modèle d’analyse juridique, non plus qu’elle examine des projets fantaisistes provenant de parties imaginaires et ne produisant que des effets hypothétiques.

La Loi canadienne sur l’évaluation environnementale n’avait pas pour objectif d’empêcher tout développement dans les parcs nationaux. Un de ses objectifs est de garantir le développement durable. La Loi n’avait pas non plus comme objectif d’instaurer une structure rigide pour la réalisation des évaluations environnementales, étant donné que chaque ensemble de circonstances exige un type différent d’évaluation, une définition différente de la portée, et met en jeu des facteurs différents qu’il faut examiner.

Même si la Cour doit s’assurer que les étapes prévues à la Loi sont suivies, elle doit, quant au fond, s’en remettre aux autorités responsables lorsqu’elles définissent la portée du projet, l’importance de l’examen préalable et l’évaluation des effets cumulatifs au vu des facteurs d’atténuation proposés. Ce n’est pas aux juges de décider quels projets doivent être autorisés, mais bien aux autorités responsables, dans la mesure où elles suivent le processus prévu par la Loi.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37, préambule, art. 2(1) « autorité responsable », « effets environnementaux », « examen préalable », « projet » (mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 18), 4 (mod. idem, art. 19; 1994, ch. 46, art. 1), 5(1)b),(c),(d), 15 (mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 21), 16 (mod. idem, art. 22), 17, 18 (mod. idem, art. 23), 20(1).

Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222; (1998), 11 Admin. L.R. (3d) 130; Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [2000] 2 C.F. 263 (1999), 248 N.R. 25 (C.A.); demande d’autorisation de pourvoi à la C.S.C. rejetée, [1999] C.S.C.R. 585.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Citizens’ Mining Council of Newfoundland & Labrador Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement) (1999), 17 Admin. L.R. (3d) 287; 29 C.E.L.R. (N.S.) 117; 163 F.T.R. 36 (C.F. 1re inst.); Manitoba’s Future Forest Alliance c. Canada (Ministre de l’Environnement) (1999), 30 C.E.L.R. (N.S.) 1; 170 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.); Lavoie c. Canada (Ministre de l’Environnement), [2000] A.C.F. no 1238 (1re inst.) (QL); Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l’énergie), [1994] 1 R.C.S. 159; (1994), 112 D.L.R. (4th) 129; 20 Admin. L.R. (2d) 79; 14 C.E.L.R. (N.S.) 1; [1994] 3 C.N.L.R. 49; 163 N.R. 241; Alberta Wilderness Assn. c. Express Pipelines Ltd. (1996), 137 D.L.R. (4th) 177; 42 Admin. L.R. (2d) 296; 201 N.R. 336 (C.A.F.); Union of Nova Scotia Indians c. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 325 (1996), 22 C.E.L.R. (N.S.) 293; [1997] 4 C.N.L.R. 280; 122 F.T.R. 81 (1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; (1992), 88 D.L.R. (4th) 1; [1992] 2 W.W.R. 193; 84 Alta. L.R. (2d) 129; 3 Admin. L.R. (2d) 1; 7 C.E.L.R. (N.S.) 1; 132 N.R. 321; Inverhuron & District Ratepayers’ Assn. c. Canada (Ministre de l’Environnement) (2000), 34 C.E.L.R. (N.S.) 1 (C.F. 1re inst.).

DOCTRINE

Agence canadienne d’évaluation environnementale. Loi canadienne sur l’évaluation environnementale : Guide des autorités responsables. Ottawa : Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1994.

Agence canadienne d’évaluation environnementale. Énoncé de politique opérationnelle, EPO—OPS/1— 1998, « Établir la portée de l’évaluation environnementale », le 25 septembre 1998.

Hanebury, J. « Environmental Impact Assessment and the Constitution : The Never-Ending Story » (1999), 9 J.E.L.P. 169.

Northey, R. The 1995 Annotated Canada Environmental Assessment Act and EARP Guidelines Order. Toronto : Carswell, 1994.

APPEL interjeté d’une décision de la Section de première instance (Bow Valley Naturalists Society c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien) (1999), 18 Admin. L.R. (3d) 269; 32 C.E.L.R. (N.S.) 84; 175 F.T.R. 122 (C.F. 1re inst.)) rejetant une demande de contrôle judiciaire de la décision de Parcs Canada portant qu’un projet de construction d’un centre de conférences au Château Lake Louise, dans le parc national Banff, présenté par la Corporation Hôtelière Canadien Pacifique n’aurait probablement pas d’effets environnementaux importants. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Karen G. Wristen et Margot Venton pour les appelantes.

Kirk N. Lambrecht pour l’intimé le ministre du Patrimoine canadien.

Judson E. Virtue pour l’intimée la Corporation Hôtelière Canadien Pacifique.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sierra Legal Defence Fund, Vancouver, pour les appelantes.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé le ministre du Patrimoine canadien.

Macleod Dixon, Calgary, pour l’intimée la Corporation Hôtelière Canadien Pacifique.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A. :

Introduction

[1]        Le présent appel est interjeté de la décision de la Section de première instance en date du 21 septembre 1999 [(1999), 18 Admin. L.R. (3d) 269] qui rejetait la demande de contrôle judiciaire des appelantes d’une décision de Parcs Canada portant sur l’évaluation environnementale (l’évaluation) d’un projet présenté par la Corporation Hôtelière Canadien Pacifique (CP) visant la construction d’un centre de conférences au Château Lake Louise (le Château), dans le parc national Banff.

Les faits

[2]        En septembre 1996, CP a soumis un projet pour la construction d’un centre de conférences au Château Lake Louise, dans le parc national Banff. Parcs Canada a étudié le projet et a présenté, en janvier 1997, de nouvelles lignes directrices pour l’examen préalable relatif au centre de conférences. En juin 1997, CP présentait en réponse un projet révisé, qui s’intitulait [traduction] « Plan d’aménagement à long terme du Château Lake Louise (1997) » (le plan d’aménagement à long terme), expliquant sa vision d’avenir pour le Château.

[3]        Le plan d’aménagement à long terme se présentait sous forme d’une belle brochure agrémentée de photos couleur. Elle faisait état de plusieurs projets, mais CP indiquait que le premier à réaliser était le centre de conférences. Le plan d’aménagement à long terme comportait cinq[1] volets : le centre de conférences, la réfection de la piscine et des installations d’hydrothérapie, la transformation de la salle Tom Wilson, la construction d’hébergements pour le personnel et l’ajout d’un étage au parc de stationnement étagé existant. Le centre de conférences projeté, d’une superficie de 148 547 pieds carrés, devait prendre la forme d’un bâtiment de sept étages comprenant six salles de réunion, une salle de conférences de 700 places, une salle à manger pouvant accueillir 252 convives et 81 nouvelles chambres. Il s’agissait d’ajouter une nouvelle aile à l’hôtel, qui serait construite en partie sur l’emplacement actuel d’un parc de stationnement en surface et d’un bâtiment de chaudières désaffecté. CP a reconnu que des évaluations additionnelles seraient nécessaires avant de procéder aux travaux d’agrandissement des espaces d’hébergement du personnel, ainsi que du parc de stationnement étagé.

[4]        Le plan d’aménagement à long terme prévoyait de nombreuses mesures d’atténuation, telles que la mise en œuvre d’un programme de partenariat vert pour la gestion de l’environnement, des travaux d’amélioration du système d’alimentation en eau et des modifications aux postes de pompage, conjointement avec un programme de contrôle de la qualité de l’eau du lac Louise et de transmission des lectures de la qualité de l’eau au Bureau d’évaluation environnementale de Parcs Canada. CP convenait de l’an 2000 pour fixer la capacité d’hébergement à 1 126 personnes, ce qui est inférieur à la limite permise de 1 166. De plus, CP a accepté de rétrocéder à Parcs Canada 20,5 acres de terres intactes se trouvant sur le territoire qu’elle détient à bail, ramenant ainsi la superficie de ce territoire à ce qui est strictement nécessaire pour ses activités et limitant, sinon supprimant, toute autre possibilité d’aménagement ultérieur.

[5]        Dans le cadre de sa proposition, CP a procédé à un examen préalable qui abordait les questions suivantes : l’hébergement du personnel, la disparition d’habitat, l’approvisionnement en eau, les répercussions sur la collectivité, le traitement des eaux usées, les besoins en matière de stationnement, l’alimentation en électricité, la circulation automobile, la gestion du flux des déchets, la participation du public, l’analyse de la demande, les mesures d’atténuation, les solutions de rechange, les effets cumulatifs, les répercussions des travaux de construction, la connaissance des lacunes et l’intensification de l’utilisation du territoire. Suite à l’examen préalable, CP a présenté les cinq documents de fond fort détaillés suivants : [traduction] « Le centre de conférences du Château Lake Louise — Examen préalable, parc national Banff, juin 1997 » (document certifié no 1); [traduction] « Le centre de conférences du Château Lake Louise—Mise à jour de l’examen préalable, parc national Banff, janvier 1998 » (document certifié no 2); [traduction] « Plan de développement du Château Lake Louise, avec, pour le centre de conférence, une matrice des effets environnementaux, des mesures d’atténuation et calendrier » (document certifié no 3); [traduction] « Contrôle de la qualité de l’eau : ruisseau Louise, 1997 » (document certifié no 4); et [traduction] « Fiche d’enregistrement du projet » (document certifié no 5).

[6]        Le MacLeod Institute, un tiers engagé par Parcs Canada à titre de conseiller, a procédé à une étude indépendante de l’examen préalable effectué par CP et a fourni une liste des points qui nécessitaient un examen plus poussé, de plus amples renseignements ou une analyse plus critique. Il y a eu des consultations publiques. En réponse aux préoccupations apparues lors de ces consultations et de l’examen interne effectué au sein de Parcs Canada, CP a soumis d’autres documents relatifs à l’examen préalable.

La décision du directeur

[7]        Le 2 avril 1998, M. John Allard, directeur intérimaire (le directeur), a rendu sa décision au sujet de la proposition présentée par CP pour la construction d’un centre de conférences. Dans cette décision, que l’on trouve sous l’intitulé [traduction] « Fiche d’enregistrement de projet, LCÉE, lac Louise, parcs nationaux Yoho et Kootenay », le directeur a conclu que la proposition de CP visant à agrandir le Château comprenait :

[traduction] […] un centre de conférences avec les installations accessoires « nécessaires ». Il s’agit d’un bâtiment de six étages avec du logement, des services alimentaires, une grande salle de conférences et de plus petites salles de réunion. Cette construction serait adjacente à l’aile qui sert actuellement de stationnement. Les infrastructures d’égouts, d’alimentation en eau, de traitement des déchets et d’électricité seront améliorées pour satisfaire aux besoins de cette addition, ainsi qu’à ceux de deux unités proposées d’hébergement du personnel.

[8]        La décision elle-même, qui fait l’objet du présent litige, est rédigée comme suit :

[traduction]

Nature et étendue des effets environnementaux :

Des répercussions de l’accroissement du passage, de la consommation d’eau et d’électricité, des besoins de traitement des eaux usées et des déchets solides, de stationnement, des répercussions sur les sentiers, l’habitat faunique et les déplacements de la faune, la qualité de l’air et l’infrastructure de la collectivité sont tous probables. La nature et l’étendue de ces répercussions sont définies dans les documents d’évaluation et dans la mise à jour subséquente, où l’on tient compte des recherches récentes. Bien qu’il soit probable qu’il y ait des répercussions dans certains secteurs, la nature et l’étendue des effets sont de nature locale et, au vu des renseignements disponibles et de l’évaluation, on peut les atténuer ou les compenser.

Effets cumulatifs :

Les effets cumulatifs globaux sont examinés dans le contexte du plan directeur du PNB et aussi dans l’évaluation environnementale stratégique préparée pour les fins de la version actuelle du Cadre d’utilisation du lac Louise. Quel que soit le statut de ce dernier document (qui n’a pas encore reçu la pleine approbation de Parcs Canada), on a traité des effets cumulatifs mesurables pour le centre de conférences dans l’évaluation, tant sur le plan géographique (zone supérieure du lac Louise, Corridor faunique Fairview, municipalité) que temporel (milieu des années 80 jusqu’à 2008, avec des renvois à l’introduction relativement « moderne » des opérations à l’année longue), facteurs qui sont les plus pertinents quant à la nature et à l’importance des impacts environnementaux supposés. Les facteurs socio-économiques examinés portent sur la zone des opérations de la Corporation Hôtelière CP dans les Rocheuses canadiennes. L’analyse des effets cumulatifs fait partie de la mise à jour de l’évaluation initiale, la dernière étant datée du 17 février 1998.

Les préoccupations particulières portent sur : la demande et l’approvisionnement en eau; le traitement des eaux usées; l’alimentation en électricité; le traitement des déchets solides; la circulation et le transport; l’intégrité écologique; la vie de la collectivité, et la disparition d’habitats.

Atténuations :

Voir le tableau 2 de la préface à l’examen préalable préparé pour la Corporation Hôtelière CP par Stanley Consulting Group Limited en date de juin 1997, ainsi que les mises à jour au 17 février 1998. On y trouve toutes les mesures d’atténuation proposées quant aux effets environnementaux potentiels. Ces mesures sont toutes réalisables sur le plan technique. Les mises à jour des mesures d’atténuations se sont avérées nécessaires pour en élargir la portée, pour établir les engagements juridiques, et pour définir les calendriers et les mesures de rendement. Dans les cas où il semblait ne pas y avoir assez de données empiriques pour établir des repères, ou lorsque le résultat d’une mesure d’atténuation donnée était incertain, une option de « réversibilité » a été prévue. La présentation des mesures d’atténuation et la gestion du système de gestion environnementale nécessaire dans le cadre de ce projet complexe seront déléguées à un gestionnaire environnemental. Ce gestionnaire diffusera au public tous les renseignements pertinents et fera rapport à intervalles réguliers à toutes les parties prenantes. De plus, des PE et des contrats ont été signés et continueront de l’être entre Parcs Canada et la Corporation Hôtelière CP aux étapes importantes de l’aménagement (avant la délivrance du permis de construction, avant l’occupation des lieux, avant la construction d’autres projets dont il est fait état dans l’évaluation, etc.). L’objectif visé est de s’assurer que tous les engagements ont été respectés avant de passer à la phase suivante du projet.

Commentaires du public :

Nous n’avons reçu que trois lettres du public. Le délai a été prolongé, ce qui fait que nous avons reçu quatre lettres en tout avant le 5 septembre et une autre le 7 septembre. Une seule de ces lettres présentait des commentaires valables quant aux facteurs mentionnés dans l’ÉE et aux déclarations faites à leur sujet. Les autres lettres n’étaient appuyées par aucune donnée. On y déclarait notamment qu’on devrait rejeter « d’emblée » le projet, simplement au vu du concept et de ce qu’on considérait être des incohérences dans le plan de gestion.

L’essentiel des commentaires recueillis lors des rencontres publiques fait l’objet d’un résumé, disponible ailleurs. Ce processus n’a fait ressortir aucun nouveau facteur et les commentaires « pour » et « contre » se répartissent à peu près 50/50. Rien dans les renseignements recueillis ne permettait d’établir le besoin d’une étude approfondie ou d’une commission d’examen.

[9]        Le directeur a conclu que le projet n’aurait probablement pas d’effets environnementaux importants, à condition que l’on prenne les mesures d’atténuation prévues.

[10]      Par lettre en date du 3 juillet 1998, le directeur exécutif des parcs des Rocheuses, ministère du Patrimoine canadien, confirmait l’approbation de la construction du centre de conférences et précisait les conditions à remplir en matière de mesures d’atténuation. Les deux appelantes ont présenté une demande de contrôle judiciaire.

La décision du juge d’instance

[11]      Le juge de première instance a rejeté la demande de contrôle judiciaire. S’appuyant sur la Loi et sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[2], le juge de première instance a conclu que rien ne justifiait son intervention dans la décision du directeur, sans toutefois préciser quelle norme de contrôle devait être utilisée.

[12]      Le juge de première instance a conclu que Parcs Canada avait reçu l’autorité de gérer les parcs nationaux. Son raisonnement est rédigé comme suit :

Premièrement, Parcs Canada est l’autorité chargée de conserver les parcs nationaux intacts pour la jouissance des générations futures et de conserver l’intégrité écologique des parcs en question en en protégeant les ressources naturelles. Cela est particulièrement vrai dans le cas du parc national Banff, qui occupe une place spéciale parmi les parcs nationaux du Canada. Pour cette raison, Parcs Canada a procédé à un examen détaillé et approfondi de l’habitat écologique du parc et des relations réciproques entre cet habitat et l’activité humaine. Cet examen a débouché sur l’élaboration du plan directeur du parc national Banff, qui a été publié en 1997. Les décisions quant au degré acceptable d’activité humaine au parc national Banff, les objectifs de gestion et de politique applicables au parc et la protection de son intégrité écologique sont des questions extrêmement spécialisées au sujet desquelles Parcs Canada possède des connaissances et des compétences spécialisées considérables[3].

[13]      Le juge de première instance a de plus conclu que :

Un aspect important et crucial de la Loi est la reconnaissance, par le législateur fédéral, des compétences particulières de Parcs Canada et de sa participation à des études poussées et à des mesures de planification pour répondre à des préoccupations environnementales. C’est pour cette raison que l’autorité compétente se voit conférer un vaste pouvoir discrétionnaire qui lui permet de déterminer l’ampleur du projet qui fait l’objet de l’évaluation, ainsi que la portée de l’évaluation à effectuer. Ce pouvoir discrétionnaire permet à l’évaluation de porter comme il se doit sur les caractéristiques propres à chaque projet à la lumière des politiques de planification et de gestion en vigueur dans le but de protéger l’intégrité écologique. Il permet aussi à Parcs Canada de définir la portée des projets et des évaluations environnementales et de déterminer le degré souhaitable de développement durable[4].

L’évaluation environnementale en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale—cadre général

[14]      L’actuelle Loi canadienne sur l’évaluation environnementale[5] est entrée en vigueur en janvier 1995. La Loi est une composante de la réforme majeure des pratiques fédérales en matière d’évaluation environnementale. Elle fournit un cadre d’évaluation des effets environnementaux des projets qui déclenchent son application.

[15]      La Loi exige qu’on procède à une évaluation environnementale des projets lorsqu’une « autorité fédérale » est le promoteur (alinéa 5(1)a)), qu’elle accorde un financement (alinéa 5(1)b)), un droit foncier (alinéa 5(1)c)), ou délivre un permis (alinéa 5(1)d)) pour le projet. Tous les projets qui déclenchent l’application de la Loi doivent faire l’objet d’une évaluation environnementale appropriée, selon l’étendue et la complexité des effets prévisibles du projet.

[16]      La Loi définit « projet » [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 18] comme suit :

2. (1) […]

[…] Réalisation—y compris l’exploitation, la modification, la désaffectation ou la fermeture—d’un ouvrage ou proposition d’exercice d’une activité concrète, non liée à un ouvrage, désignée par règlement ou faisant partie d’une catégorie d’activités concrètes désignée par règlement aux termes de l’alinéa 59b).

[17]      L’évaluation environnementale vise l’objectif du développement durable et fournit « un outil efficace pour la prise en compte des facteurs environnementaux dans les processus de planification et de décision »[6]. Selon Parcs Canada, l’évaluation environnementale est « un processus complet et systématique visant à recenser, à analyser et à évaluer les effets environnementaux des projets à l’étude »[7]. La Cour suprême du Canada a déclaré que l’évaluation environnementale était dorénavant « un outil de planification que l’on considère généralement comme faisant partie intégrante d’un processus éclairé de prise de décision »[8].

[18]      Il y a trois types d’évaluations environnementales : l’examen préalable[9], l’étude approfondie et la commission d’examen. La très grande majorité des projets évalués en vertu de la Loi le sont par un examen préalable ou une étude approfondie.

[19]      Le cadre général d’une évaluation environnementale est le suivant. Premièrement, l’autorité responsable[10] doit décider si la Loi s’applique au projet et, le cas échéant, quel type d’évaluation environnementale doit être utilisée. L’étape suivante consiste à procéder à l’évaluation elle-même, suite à laquelle l’autorité responsable doit décider si elle autorise la réalisation du projet ou non. L’étape finale recouvre les activités qui doivent être entreprises après la décision pour garantir la mise en œuvre des mesures d’atténuation, ainsi que celle de la communication au public de la décision prise par l’autorité responsable.

[20]      L’Agence canadienne d’évaluation environnementale (l’Agence), qui est chargée de l’application de la Loi, a publié à l’attention des diverses autorités responsables un guide sur la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale qui prévoit quatre étapes dans la réalisation d’une évaluation[11] :

Étape 1 :   Détermination de la portée

Étape 2 :   Description ou évaluation des effets environnementaux

Étape 3 :   Atténuation des effets environnementaux

Étape 4 :   Évaluation ou détermination de l’importance des effets environnementaux négatifs.

Ce guide n’a pas valeur de loi, mais il explique comment l’Agence voit le déroulement du processus, qui est fort complexe[12].

[21]      En vertu de l’article 15 de la Loi (voir l’appendice aux présents motifs), l’autorité responsable détermine la portée de l’évaluation environnementale. En vertu de l’article 16, elle détermine ensuite la portée des facteurs à examiner dans le cadre de cette évaluation. Elle peut conduire elle-même l’évaluation ou, si elle le désire, elle peut opter pour la gestion d’un processus à réaliser par d’autres et veiller à ce que soit établi un rapport d’examen préalable. Ce dernier type d’évaluation environnementale est souvent décrit comme une auto-évaluation environnementale. En pratique, le promoteur du projet peut effectuer l’évaluation, préparer le rapport d’examen préalable, ainsi qu’élaborer et mettre en œuvre les mesures d’atténuation et le programme de suivi. Toutefois, l’autorité responsable est directement responsable de s’assurer que l’examen préalable est exécuté conformément à la Loi. C’est le modus operandi qui a été adopté en l’instance.

[22]      L’autorité responsable a le pouvoir discrétionnaire de décider s’il y a lieu d’accorder au public la possibilité d’examiner le rapport d’examen préalable et de faire des observations avant qu’elle ne prenne toute décision relative au projet. Si l’autorité responsable conclut, après l’examen préalable, qu’il y a lieu de pousser l’enquête plus loin, ou si les préoccupations du public au sujet du projet le justifient, l’autorité responsable peut s’adresser au ministre de l’Environnement pour une médiation ou un examen par une commission.

[23]      On a laissé entendre que la détermination de la portée implique plusieurs aspects, notamment : la portée du projet lui-même; la portée de l’évaluation environnementale; la portée des facteurs considérés; et la portée des préoccupations des parties intéressées[13].

La portée du projet

[24]      En vertu de l’article 15 de la Loi, la première étape dans la conduite d’une évaluation environnementale consiste à déterminer la portée du projet qui doit faire l’objet d’une évaluation. En d’autres mots, l’autorité responsable doit déterminer quels sont les éléments du projet dont on doit tenir compte aux fins de l’évaluation environnementale[14]. Le document de référence intitulé Guide de référence : Évaluer les effets environnementaux cumulatifs préparé par l’Agence[15], indique que « l’évaluation des effets environnementaux cumulatifs dépendra dans une large mesure de la justesse de l’établissement de sa portée, à savoir la détermination des limites de l’évaluation et la définition de l’élément central de l’analyse ».

[25]      La Loi ne définit pas la procédure à suivre pour déterminer la portée d’un projet. Elle ne définit pas non plus le terme « portée ». Elle n’indique pas non plus à l’autorité responsable comment elle doit procéder pour déterminer quels ouvrages doivent être compris dans la portée du projet. Le Guide des autorités responsables suggère toutefois que le test du projet principal/accessoire soit utilisé afin d’uniformiser la détermination de la portée des projets. Selon le test du projet principal/accessoire, le projet principal, savoir l’entreprise liée à un ouvrage ou l’activité concrète, doit toujours être compris dans la détermination de la portée du projet. La portée doit aussi couvrir les ouvrages ou activités concrètes accessoires au projet principal.

[26]      Le Guide des autorités responsables suggère l’utilisation de deux critères pour déterminer quels sont les éléments accessoires au projet principal : l’interdépendance et le lien. Si le projet principal ne peut être mené à bien sans qu’un autre ouvrage ou qu’une autre activité concrète soit entreprise, il faut alors les considérer comme un tout. De plus, si la décision d’entreprendre l’exécution du projet principal rend inévitable l’exécution d’autres ouvrages ou activités, ils peuvent être considérés comme faisant partie du même projet.

[27]      L’Énoncé de politique opérationnelle [EOP-OPS/1-1998] de l’Agence qui s’intitule « Établir la portée de l’évaluation environnementale » porte que « l’établissement de la portée détermine les limites d’une évaluation environnementale (quels sont les éléments du projet à considérer et à inclure, quelles composantes environnementales sont susceptibles d’être affectées et à quelle distance du projet se trouvent-elles) ». L’Énoncé recommande notamment de prendre en considération les questions suivantes pour arriver à la détermination de la portée du projet : la description du projet (quel est le projet et pourquoi est-ce le projet principal?); la justification du projet (quelle est l’utilité du projet et pourquoi est-il proposé?), ainsi que la description des autres ouvrages qui sont inévitables ou physiquement liés au projet proposé, ou qui en sont inséparables; si le projet proposé est ou a été l’objet d’une évaluation des effets environnementaux effectuée par une autre entité, par exemple, d’autres évaluations environnementales, des plans d’aménagement de forêts, des plans de gestion de ressources, des plans d’utilisation régionale de terres; si d’autres processus d’examen sont en cours ou ont été effectués et leurs résultats.

[28]      En vertu du paragraphe 15(2) de la Loi, l’autorité responsable peut combiner deux ou plusieurs projets couverts par la Loi dans une même évaluation environnementale si elle décide que les projets sont liés assez étroitement pour être considérés comme un seul projet. Ce pouvoir est discrétionnaire.

[29]      Le paragraphe 15(3) [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 21] de la Loi exige de l’autorité responsable qu’elle tienne compte dans l’évaluation environnementale de tous les aspects liés à un ouvrage, ainsi que de toutes les opérations liées à un ouvrage qui sont proposées ou qui, selon son estimation, sont susceptibles d’être réalisées.

[30]      La question de la portée d’un projet à évaluer a fait l’objet d’un examen approfondi par les tribunaux ces dernières années[16]. Dans Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l’énergie)[17], la Cour suprême du Canada a examiné la question de la portée du projet aux fins de l’évaluation en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie[18]. Hydro-Québec avait demandé des licences d’exportation d’électricité à destination des États du Vermont et de New York. L’Office national de l’énergie (l’Office) avait délivré les licences sous réserve de deux conditions environnementales liées aux futures installations de production d’électricité. La question en litige portait sur l’autorité de l’Office d’assortir les licences de ces conditions. Une des conditions portait que les installations de production d’électricité devaient être soumises, préalablement à leur construction, à une évaluation environnementale. Notre Cour a statué que l’Office avait excédé sa compétence en imposant les conditions en cause, étant donné que les installations étaient de compétence provinciale. L’affaire a été portée devant la Cour suprême du Canada. La Cour suprême a rejeté les arguments d’Hydro-Québec et conclu que pour déterminer la portée de l’évaluation, il fallait se demander si la construction de nouvelles installations « est nécessaire, entre autres, pour répondre à la demande créée par un contrat d’exportation »[19]. La Cour a conclu de plus que l’Office n’avait pas à limiter la portée de son examen aux « répercussions environnementales du transport d’électricité par une ligne de fil métallique »[20]. Par conséquent, les effets environnementaux des installations de production d’électricité se situaient dans le cadre du pouvoir de l’Office d’accorder une licence d’exportation et devaient être inclus dans la portée de l’évaluation.

[31]      L’affaire Manitoba’s Future Forest Alliance c. Canada (Ministre de l’Environnement)[21] portait sur la construction d’un pont et sur une évaluation environnementale entreprise par la Garde côtière canadienne. Le promoteur du projet avait aussi entrepris la transformation et l’agrandissement d’une usine de pâte existante, la construction d’une nouvelle usine de pâte, la construction de centaines de kilomètres de chemins d’exploitation forestière et d’autres activités connexes. L’approbation était contestée au motif que la portée du projet avait été définie de façon trop étroite. Le juge Nadon a conclu qu’en déterminant la portée du projet en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi, l’autorité responsable devait, en vertu du paragraphe 15(3), évaluer non seulement les ouvrages proposés par le promoteur, mais aussi ceux susceptibles d’être réalisés en liaison avec le pont. Le juge Nadon a cité une partie du mémoire du ministre, en l’approuvant :

[traduction] L’effet du par. 15(3) […] est qu’il est possible d’étendre la portée de l’évaluation d’un projet relatif à un ouvrage au-delà de ce qui est proposé dans le projet lui-même afin de tenir compte des effets environnementaux des opérations qui, de l’avis de l’autorité responsable, sont susceptibles d’être réalisées pendant le cycle de vie du projet[22].

La Cour a conclu que la Garde côtière n’avait pas à inclure dans la portée du projet les opérations forestières, les usines de pâte ou la construction de nouveaux chemins. Les opérations forestières n’étaient pas des opérations liées au pont ni des opérations susceptibles d’être réalisées en liaison avec ce projet. La Cour a toutefois noté que [traduction] « [à] moins que l’évaluation environnementale ne soit liée à l’autorité réglementaire qui déclenche l’application de la LCÉE, il n’existe tout simplement pas de limite raisonnable dont l’autorité responsable devrait dans un cas donné tenir compte »[23].

[32]      L’arrêt Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans)[24] portait sur un projet qui recouvrait la construction de deux ponts faisant partie d’une route conçue pour le transport de billes de bois jusqu’à une scierie. La question à trancher par notre Cour était de savoir si la route et l’exploitation forestière en général devaient être englobées dans la portée du projet à évaluer. La Cour a conclu que l’autorité responsable pouvait englober dans la portée du projet, tel que défini au paragraphe 2(1), les opérations ayant trait à la durée de l’ouvrage principal à évaluer qui lui sont accessoires. La Cour a expressément rejeté le « principe de l’utilité propre », sur lequel la Section de première instance s’était appuyée pour déterminer la portée du projet. Elle a conclu que l’autorité responsable n’avait pas exercé son pouvoir discrétionnaire, étant donné qu’en ne voulant pas se pencher sur des questions hors de la portée des projets, elle « a interprété les limites de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de façon plus étroite que ne l’autorisent les dispositions applicables »[25].

[33]      Dans Citizens’ Mining Council of Newfoundland & Labrador Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement)[26] la Cour devait déterminer si une évaluation environnementale portant sur une fonderie/raffinerie respectait la Loi, notamment si un projet de mine/ usine devait être examiné dans le cadre de la même évaluation. Les adversaires du projet soutenaient qu’en vertu du paragraphe 15(3) de la Loi, la portée de l’ouvrage ou du projet devait englober toutes les constructions, opérations, opérations ou activités reliés avancés par le même promoteur. Le juge MacKay a conclu que la détermination de la portée de l’évaluation était un pouvoir discrétionnaire confié au ministre en tant qu’autorité responsable. Or, la décision de ce dernier n’étant pas fondée sur des considérations non pertinentes et personne n’ayant allégué la mauvaise foi, rien ne permettait d’annuler l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Le ministre n’avait donc pas commis d’erreur de droit en n’incluant pas le projet lié à la mine/usine dans la portée du projet lié à la fonderie/raffinerie. Le juge MacKay a conclu que lorsqu’un projet comprend un ouvrage concret, le paragraphe 15(3) de la Loi exige qu’on tienne compte de toutes les phases de la durée de l’ouvrage en question. Le juge MacKay note que cette interprétation est confirmée par la version française de la Loi[27].

[34]      Il semble donc que la « portée » d’un projet en vertu de l’article 15 se limite normalement aux opérations qui sont directement liées à l’ouvrage proposé, comme sa construction et son exploitation, ainsi qu’aux opérations accessoires.

La portée de l’évaluation

[35]      Une fois que l’autorité responsable a déterminé la portée du projet, elle doit déterminer la portée de l’évaluation. Le paragraphe 16(1) [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 22] énonce les éléments à examiner dans le cadre d’une évaluation environnementale. Des éléments supplémentaires peuvent être examinés en vertu du paragraphe 16(2). Contrairement aux éléments qui sont mentionnés au paragraphe 16(1), l’examen des éléments mentionnés au paragraphe 16(2) est discrétionnaire.

[36]      Dans l’arrêt Friends of the West Country Assn., notre Cour a conclu que le paragraphe 16(1) a force obligatoire et qu’il exige l’examen des éléments énumérés aux alinéas 16(1)a) à e). En vertu du paragraphe 16(3), l’autorité responsable détermine la portée des éléments à prendre en compte en vertu de l’alinéa 16(1)a). La Cour a conclu que l’utilisation du mot « portent » à l’alinéa 16(1)a) indique que chaque élément doit être examiné.

[37]      Il y a toutefois une certaine souplesse dans le processus. Dans l’arrêt Alberta Wilderness Assn. c. Express Pipelines Ltd.[28], le juge Hugessen, J.C.A., a rejeté l’assertion voulant que le paragraphe 16(1) exige que l’on procède à un examen séquentiel des éléments qui y sont énumérés :

Rien dans la Loi n’appuie une telle opinion. L’article 16 ne prévoit certainement pas de façon expresse ou implicite que l’on doit examiner les facteurs qui y sont énumérés de façon séquentielle, et l’article 37—de même que les articles 20 et 23, qui ne s’appliquent pas à la présente affaire—donnent fortement à penser que les mesures d’atténuation et les effets environnementaux doivent être examinés en même temps. À notre avis, la logique et le bon sens nous amènent à la même conclusion : il est absolument inutile d’examiner des effets environnementaux purement hypothétiques alors que l’on sait que l’on atténuera ces effets au moyen des mesures appropriées et que l’on se propose de le faire[29].

L’évaluation des effets environnementaux cumulatifs

[38]      En vertu de l’alinéa 16(1)a) de la Loi, tout examen préalable et toute étude approfondie doivent porter sur les effets environnementaux cumulatifs qui sont susceptibles d’être causés par la réalisation du projet, combinée à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets ou activités.

[39]      La Loi définit les « effets environnementaux » comme suit :

2. (1) […]

[…] Tant les changements que la réalisation d’un projet risque de causer à l’environnement que les changements susceptibles d’être apportés au projet du fait de l’environnement, que ce soit au Canada ou à l’étranger; sont comprises parmi les changements à l’environnement les répercussions de ceux-ci soit en matière sanitaire et socio-économique, soit sur l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles par les autochtones, soit sur une construction, un emplacement ou une chose d’importance en matière historique, archéologique, paléontologique ou architecturale.

[40]      Les « effets cumulatifs » ne sont pas définis dans la Loi. L’Agence a défini les effets cumulatifs de la façon suivante : « l’impact sur l’environnement résultant des effets d’un projet combinés à ceux d’autres projets et activités antérieurs, actuels et imminents. Ces effets peuvent se produire sur une certaine période et à une certaine distance ».

[41]      Seuls les effets cumulatifs probables doivent être pris en considération. Il faut de même inclure les projets réalisés ou prévus. Il ne faut toutefois considérer que les projets qui ont été approuvés; les projets ou activités incertains ou hypothétiques n’ont pas à être pris en considération. Le document de référence de l’Agence intitulé « Guide de référence : Évaluer les effets environnementaux cumulatifs » souligne cependant qu’« il serait prudent de tenir compte également des projets ou activités qui font actuellement l’objet d’un processus d’approbation par le gouvernement ».

[42]      Pour évaluer les effets environnementaux cumulatifs, il y a lieu de consulter et d’obtenir les avis des particuliers et des organismes, agences et ministères gouvernementaux concernés.

[43]      Le document de référence sur les effets cumulatifs recommande qu’il soit accordé une importance appropriée à la prise en compte et à l’analyse des effets environnementaux cumulatifs dans le rapport d’évaluation.

[44]      En vertu du paragraphe 16(3), l’autorité responsable détermine la portée des éléments énumérés aux alinéas 16(1)a) à e), y compris la portée des effets environnementaux cumulatifs à examiner. Comme le juge Rothstein l’a expliqué dans l’arrêt Friends of the West Country Assn. :

L’alinéa 16(1)a) ne peut pas être interprété hors contexte. Quant aux « autres projets ou activités », ils ne sont pas définis dans cet alinéa. Autrement dit, l’alinéa 16(1)a) ne précise pas quels sont les autres projets ou activités dont on doit tenir compte dans le cadre de l’évaluation environnementale […] La détermination de la portée des autres projets ou activités devant faire l’objet de l’évaluation est laissée, selon le paragraphe 16(3), à l’appréciation de l’autorité responsable, et l’alinéa 16(1)a) n’impose à cet égard aucune obligation à cette autorité[30].

[45]      Le juge Rothstein, J.C.A., a ajouté ensuite :

Aux termes de l’alinéa 16(1)a), l’autorité responsable n’a pas à se borner à un examen des effets environnementaux découlant strictement d’un projet dont la portée a été déterminée conformément au paragraphe 15(1) […] En effet, la nature même d’une évaluation des effets cumulatifs en vertu de l’alinéa 16(1)a) semble expressément élargir le champ d’examen au-delà du projet défini. L’évaluation des effets cumulatifs doit donc implicitement s’étendre à la fois au projet dont la portée a été déterminée et aux sources situées en dehors des limites du projet défini[31].

[46]      Finalement, il a expliqué que :

Implicitement, l’évaluation des effets cumulatifs prévue par l’alinéa 16(1)a) doit porter tant sur les effets du projet défini que sur les effets d’autres projets ou activités. D’après Sunpine, si le projet défini ne devait lui-même entraîner aucun effet environnemental négatif, il ne saurait y avoir de ces effets cumulatifs envisagés par cet alinéa. Si, à première vue, l’argument peut paraître convaincant, je ne suis pas certain que l’on puisse exclure la possibilité qu’un projet fédéral qui n’entraînerait en lui-même aucun effet négatif puisse aggraver les effets négatifs produits par d’autres projets. De toute manière, le fait qu’on ait conclu en l’espèce que le projet n’entraînerait que des effets insignifiants implique que la construction des ponts aurait tout de même certains effets. Il n’est pas illogique de penser que l’accumulation de toute une série d’effets insignifiants pourrait finir par constituer des effets appréciables. Je ne dis pas que c’est le cas en l’espèce. Je fais simplement remarquer que le fait qu’il ait été décidé que les projets définis entraîneraient des effets insignifiants permet d’envisager la possibilité d’effets cumulatifs appréciables sur l’environnement lorsqu’on englobe dans l’analyse les autres projets. Pour ce motif, je ne pense pas que le fait que la Garde côtière ait conclu que les projets en question n’entraîneraient que des effets insignifiants empêche l’application en l’espèce de la partie de l’alinéa 16(1)a) concernant les effets cumulatifs, ou du paragraphe 16(3)[32].

[47]      De l’examen de la jurisprudence dans ce domaine, il ressort clairement qu’alors que les tribunaux ont donné une interprétation restrictive à l’expression « portée du projet », ils sont allés plus loin dans leur interprétation des dispositions de la Loi qui concernent les effets cumulatifs. C’est surtout en vertu de l’alinéa 16(1)b) de la Loi que les tribunaux ont exigé des autorités responsables qu’ils élargissent la portée de leur analyse.

La détermination de l’importance des effets

[48]      En vertu de l’article 20 de la Loi, l’autorité responsable doit décider, après l’examen préalable, si la réalisation du projet est susceptible ou non d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants. Cette décision doit tenir compte de l’application des mesures d’atténuation. Si l’autorité responsable décide que le projet n’aura probablement pas d’effets environnementaux négatifs importants, elle peut permettre la mise en œuvre du projet tout en veillant à l’application des mesures d’atténuation.

[49]      Le Guide propose que l’évaluation par l’autorité responsable détermine : premièrement, si les effets environnementaux sont négatifs ou non; deuxièmement, s’ils sont importants. À ce sujet, le document de référence intitulé « Guide de référence : Déterminer la probabilité des effets environnementaux négatifs importants d’un projet » [appendice à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale : Guide des autorités responsables] suggère que les critères suivants soient utilisés : l’ampleur des effets environnementaux négatifs; l’étendue géographique des effets environnementaux négatifs; la durée et fréquence des effets environnementaux négatifs; le degré de réversibilité ou d’irréversibilité des effets environnementaux négatifs; et le contexte écologique. Le document indique aussi que les effets environnementaux négatifs d’un projet peuvent avoir une grande importance s’ils se font sentir dans des zones ou des régions qui se sont déjà dégradées du fait de certaines activités humaines ou qui sont vulnérables au point de vue écologique et résistent difficilement aux pressions que l’on exerce sur elles. Troisièmement, il faut déterminer si les effets environnementaux négatifs importants sont probables.

[50]      Sans préciser exactement quelle norme de contrôle il utilisait, le juge de première instance a fait remarquer que comme l’objet de la Loi vise à trouver un équilibre entre divers intérêts, la Cour doit être consciente de la portée limitée de son contrôle judiciaire.

Les arguments

[51]      Les appelantes soutiennent que la décision du directeur devrait être soumise à la norme de contrôle de la décision correcte, étant donné que l’interprétation des articles 15 et 16 de la Loi est une question de droit. Les appelantes soutiennent que la portée du projet a été changée en cours de route et que, de toute façon, elle avait été définie trop étroitement. Parcs Canada n’a pas réalisé une évaluation des effets environnementaux cumulatifs, du fait que l’évaluation n’a pas examiné comment le plan d’aménagement à long terme, qui venait s’ajouter à d’autres projets ou activités existants au lac Louise et dans les environs, viendrait affecter l’environnement du territoire détenu à bail, ou celui de lac Louise et de ses environs.

[52]      L’avocat du ministre du Patrimoine canadien et de Parcs Canada a soutenu que la norme de contrôle appropriée était celle de la décision raisonnable lorsqu’il s’agissait d’examiner les décisions prises par l’autorité responsable en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui accorde la Loi. Il a soutenu que la décision prise allait dans le sens des nouveaux principes de gestion évolutive utilisés dans les évaluations environnementales.

[53]      L’avocat de CP a soutenu que, même si l’interprétation d’une disposition de la Loi peut faire l’objet d’un examen en vertu de la norme de contrôle de la décision correcte, la Loi accorde un pouvoir discrétionnaire très large au décideur, qui peut ainsi prendre des décisions de fond qui appellent la retenue judiciaire. En conséquence, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision manifestement déraisonnable ou celle de la décision raisonnable. Il a soutenu que l’autorité responsable avait suffisamment respecté la Loi.

Analyse

[54]      La question principale en litige dans le présent appel consiste à savoir si l’approbation accordée à CP pour le centre de conférences respecte les exigences de la Loi. L’analyse qui suit comporte trois volets : la norme de contrôle; la détermination de la portée du projet; et l’analyse des effets cumulatifs.

La norme de contrôle

[55]      L’arrêt qui fait jurisprudence quant à l’interprétation des articles 15 et 16 de la Loi a été prononcé par notre Cour dans l’affaire Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans)[33]. Dans ses motifs rédigés au nom de la Cour, le juge Rothstein, J.C.A., a conclu que l’interprétation de la Loi, qui est une loi d’application générale, est une question de droit et que la norme de contrôle est celle de la décision correcte[34]. Par conséquent, c’est cette norme de contrôle que la Cour utilisera en l’instance pour les questions se rapportant à l’interprétation de la Loi. Toutefois, dans l’arrêt précité, notre Cour n’a pas tranché la question de la norme de contrôle applicable aux décisions de fond prises dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire accordé par la Loi. Le juge de première instance avait estimé qu’en ce cas la norme de contrôle était celle de la décision raisonnable. Vu les facteurs de l’arrêt Pushpanathan, cette approche serait appropriée en l’instance notamment parce qu’il n’y a pas de clause privative et parce que le degré d’expertise dans l’application de la Loi est minime en l’espèce et chez la plupart des autorités responsables, sinon toutes[35].

La détermination de la portée du projet

[56]      Le ministre du Patrimoine canadien, intimé, est l’autorité responsable aux fins de l’article 15 de la Loi, par l’entremise de Parcs Canada. C’est le directeur de Parcs Canada, l’autorité responsable par délégation en l’instance, qui avait la responsabilité de déterminer la portée du projet.

[57]      Il est clair que l’autorité responsable a déterminé la portée du projet comme ne comprenant que le centre de conférences, nonobstant l’utilisation peu rigoureuse et oiseuse de la terminologie dans le document de décision, où il est aussi question de l’unité prévue pour l’hébergement du personnel. Les appelantes contestent cette détermination de la portée du projet, en déclarant qu’elle est trop étroite et que l’examen préalable aurait dû porter sur tout le plan d’aménagement à long terme de CP pour le Château, puisqu’il s’agit d’un ensemble. On a aussi soutenu en appel que l’autorité responsable a modifié la portée du projet en cours de route, pour le restreindre au centre de conférences, alors qu’au début il comprenait tout le plan d’aménagement à long terme. L’intimée CP s’oppose, avec raison, au fait qu’on soulève cet argument en appel alors qu’il n’en a aucunement été question devant la Section de première instance, ne lui donnant pas l’occasion de présenter une preuve contredisant cette allégation. De toute façon, rien dans la preuve ne vient appuyer cette prétention. Dès le début, le projet tel que le concevait CP et Parcs Canada ne recouvrait que le centre de conférences. Toutefois, il ressort qu’au début du processus, Parcs Canada a invité CP à préparer un plan d’aménagement à long terme illustrant sa vision d’avenir pour le Château. Tout le monde acceptait que chaque composante du plan d’aménagement à long terme exigerait sa propre évaluation avant d’être mise à exécution. Le premier projet, et le seul pour lequel on a demandé une approbation, ne comportait que le centre de conférences.

[58]      En conséquence, il n’y a aucun fondement selon moi qui permettrait d’intervenir dans la détermination de la portée du projet comme ne recouvrant que le centre de conférences. Il s’agit là d’un exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire de l’autorité responsable et la Cour doit le respecter.

[59]      En plus de déterminer la portée du projet, l’autorité responsable doit aussi préciser les paramètres de l’examen préalable du projet. Par suite de la présentation du projet par CP, Parcs Canada a d’abord fourni à CP une copie des [traduction] « Lignes directrices pour l’évaluation environnementale : Examen préalable »[36]. Ces lignes directrices génériques décrivent le mandat général de Parcs Canada, ainsi que la Loi. On y trouve la liste des éléments à traiter dans le cadre de l’examen préalable : la portée du projet; les procédures de mise en œuvre du projet; les exigences opérationnelles du projet; la description du site; les impacts environnementaux, y compris les effets environnementaux, la pollution et les aspects culturels, comme l’esthétique, la sécurité publique, le patrimoine culturel et les répercussions socio-économiques; les mesures d’atténuation; et les effets environnementaux cumulatifs.

[60]      Suite au [traduction] « Projet de rapport d’examen préalable » préparé par CP, Parcs Canada a délivré un document plus précis, les [traduction] « Lignes directrices pour le rapport d’examen préalable—Centre de conférences du Château Lake Louise »[37]. Dans ces lignes directrices particulières, Parcs Canada déclarait expressément qu’en réalisant l’évaluation environnementale, CP devait [traduction] « s’arrêter plus particulièrement » à un certain nombre de sujets, y compris l’hébergement du personnel, l’approvisionnement en eau, le traitement des eaux usées, l’alimentation en électricité, la gestion du flux des déchets, l’analyse de la demande, les solutions de rechange, les répercussions des travaux de construction, l’utilisation accrue du territoire, la disparition d’habitat, les répercussions sur la collectivité, les besoins en matière de stationnement et la circulation, la participation du public, le concept du projet, les mesures d’atténuation et les effets cumulatifs ».

[61]      À l’examen des lignes directrices générales et particulières adressées par Parcs Canada à CP, il devient clair qu’on indiquait à CP quelles étaient les questions précises qu’elle devait examiner dans son évaluation environnementale.

[62]      En réponse aux lignes directrices particulières de Parcs Canada, CP a réalisé une évaluation environnementale. En juin 1997, Stanley Consulting Group Ltd. a préparé, au nom de CP, un rapport d’examen préalable intitulé [traduction] « Le centre de conférences du Château Lake Louise, parc national Banff : Examen préalable ». En janvier 1998, on a soumis un rapport additionnel intitulé [traduction] « Proposition d’aménagement du territoire détenu à bail par Château Lake Louise : Mise à jour de l’examen préalable ». Ce deuxième rapport porte sur les questions de l’aménagement et de la réfection de la piscine, de l’hébergement du personnel et installations connexes, ainsi que sur le transport et le stationnement. On trouve en tout cinq documents sérieux d’examen préalable, qui contiennent des centaines de pages, le tout préparé pour répondre aux exigences de la Loi selon les directives de Parcs Canada.

Les effets cumulatifs

[63]      La plainte principale quant au fond de la décision du directeur concerne l’évaluation des effets cumulatifs. Il est allégué que cette évaluation ne tenait pas compte de la possibilité d’autres projets à venir qui pourraient être entrepris par des tiers et avoir un impact sur le lac Louise et ses environs. En vertu de l’article 17 de la Loi, l’exécution de l’examen préalable et la préparation du rapport correspondant peuvent être déléguées, à condition que l’autorité responsable donne des directives suffisantes. Le promoteur peut donc réaliser l’examen préalable et préparer le rapport. C’est l’autorité responsable qui porte seule la responsabilité de s’assurer que l’évaluation environnementale est réalisée conformément à la Loi.

[64]      Dans ses lignes directrices particulières, Parcs Canada a indiqué à CP qu’elle devait faire une évaluation environnementale de 21 points énumérés, y compris un point qui exigeait qu’on porte une attention particulière aux effets cumulatifs du projet. L’évaluation des effets cumulatifs à être réalisée par CP ne devait pas se limiter [traduction] « seulement au territoire détenu à bail par le Château »,

[traduction] […] mais aussi tenir compte des effets du projet sur l’écosystème plus large (le Corridor faunique Fairview), sur la collectivité du lac Louise, ainsi que sur la vallée de la Bow à l’intérieur du parc national Banff. Ceci comprend un examen des projets pour la région (le lac Louise et ses environs) à l’avenir, ainsi que de l’impact global de l’utilisation des ressources et des terres compte tenu de l’intervention de toutes les parties. Ceci doit notamment comprendre les zones susmentionnées, où nous avons suggéré une analyse des effets cumulatifs[38].

[65]      Parcs Canada a suggéré que CP [traduction] « examine le contenu du commentaire et des lignes directrices afin de déterminer le niveau de ressources et d’analyse approprié, ainsi que les renseignements pertinents nécessaires à la réalisation de l’évaluation ».

[66]      En avril 1998, Stanley Environmental a préparé, pour le compte de CP, une version finale de ses trois versions d’un document portant sur les effets cumulatifs. L’évaluation traitait de l’infrastructure, y compris l’approvisionnement en eau et son utilisation, le traitement des eaux usées, l’électricité, le traitement des déchets solides, la circulation, le transport et le stationnement; de l’utilisation humaine et de l’intégrité écologique; de ce dont les visiteurs font l’expérience; et de la vie de la collectivité.

[67]      On trouve le texte suivant sous l’intitulé « Effets cumulatifs » de la décision de l’autorité responsable (l’enregistrement du projet) :

[traduction] Les effets cumulatifs globaux sont examinés dans le contexte du plan directeur du PNB [parc national Banff] et aussi dans l’évaluation environnementale stratégique préparée pour les fins de la version actuelle du Cadre d’utilisation du lac Louise. Quel que soit le statut de ce dernier document (qui n’a pas encore reçu la pleine approbation de Parcs Canada), on a traité des effets cumulatifs mesurables pour le centre de conférences dans l’évaluation, tant sur le plan géographique (zone supérieure du lac Louise, Corridor faunique Fairview, municipalité) que temporel (milieu des années 80 jusqu’à 2008, avec des renvois à l’introduction relativement « moderne » des opérations à l’année longue), facteurs qui sont les plus pertinents quant à la nature et à l’importance des impacts environnementaux supposés. Les facteurs socio-économiques examinés portent sur la zone des opérations de la Corporation Hôtelière CP dans les Rocheuses canadiennes. L’analyse des effets cumulatifs fait partie de la mise à jour de l’évaluation initiale, la dernière étant datée du 17 février 1998.

Les préoccupations spécifiques portent sur : la demande et l’approvisionnement en eau; le traitement des eaux usées; l’alimentation en électricité; le traitement des déchets solides; la circulation et le transport; l’intégrité écologique; la vie de la communauté; et la disparition d’habitat.

[68]      Par conséquent, même si Parcs Canada n’a pas réalisé sa propre analyse des effets cumulatifs et s’est appuyée sur la documentation de CP, ce qu’elle était en droit de faire, sa conclusion a été que les effets environnementaux du projet de CP ne seraient [traduction] « probablement pas importants ».

[69]      Un examen rigoureux de la preuve démontre que CP a respecté les directives de Parcs Canada dans son évaluation. L’évaluation environnementale en l’instance était un processus continu et il y a eu beaucoup de documents produits et échangés. Des rencontres ont été organisées de façon régulière entre les représentants de CP et de Parcs Canada. Par suite notamment des commentaires du public, il y a eu beaucoup de compromis. CP avait d’abord soumis son projet initial à Parcs Canada. Elle a ensuite préparé un rapport d’examen préalable daté de juin 1997. En janvier 1998, elle a produit à la demande de Parcs Canada une mise à jour de son rapport d’examen préalable. Lors d’une réunion entre les représentants de CP et de Parcs Canada tenue le 28 novembre 1997, il a été convenu que CP fournirait à Parcs Canada un document sur les effets cumulatifs qui traiterait des sujets suivants : électricité, eau, eaux usées, hébergement du personnel, collectivité et habitat. Par suite de cette consultation continue entre CP et Parcs Canada, CP a produit trois versions différentes du chapitre du rapport qui s’intitule « Effets cumulatifs » : le premier en janvier 1998 avait 11 pages (dans le cadre de la mise à jour de l’examen préalable de 1998), le second en février 1998 avait 14 pages, et le troisième en avril 1998 avait 16 pages. Dans chaque cas, le document a été produit suite à une demande faite par l’autorité responsable pour obtenir plus de renseignements et une analyse plus approfondie au sujet de l’impact environnemental possible des effets cumulatifs que pouvait avoir le centre de conférences sur la région du lac Louise. Ceci démontre que l’autorité responsable savait parfaitement qu’il fallait tenir compte des effets cumulatifs et qu’elle a constamment insisté pour que CP traite ces effets de façon responsable et complète dans le processus d’examen préalable.

[70]      Il faut se souvenir que le processus d’examen préalable dans son ensemble a été réalisé dans le contexte du Plan communautaire de Lake Louise (le plan communautaire) ainsi que du Plan directeur du parc national Banff (le plan directeur de Banff). Le plan directeur de Banff (1997) fait suite à un examen approfondi de politique ainsi qu’à une étude environnementale (l’étude Banff-Bow Valley), entrepris par le ministre du Patrimoine canadien. En vertu du plan directeur de Banff, la politique de Parcs Canada consiste à concentrer la promotion des services aux visiteurs sur le site de la ville de Banff ou dans la région du lac Louise, en vertu d’une stratégie contrôlée de croissance. Il faut noter que le plan directeur de Banff mentionne précisément l’examen du centre de conférences de CP. Le plan communautaire fixe des limites à la croissance dans la région du lac Louise. Parmi les composantes du plan communautaire, on trouve une évaluation des effets cumulatifs. Les paramètres d’expansion du Château sont inscrits dans cette évaluation des effets cumulatifs.

[71]      La documentation de février 1998 sur les effets cumulatifs tient compte notamment de l’évaluation environnementale de 1997 et de ses révisions, telles qu’inscrites à la mise à jour de l’examen préalable de janvier 1998 et à la matrice annexée de février 1998. Le document de février 1998 contient notamment les commentaires suivants :

[traduction] L’examen des effets cumulatifs potentiels de la construction et de l’exploitation du centre de conférences doit se faire dans le contexte de la proposition globale de développement du Château et des mesures d’atténuation environnementales (dont certaines ont déjà été appliquées), des effets cumulatifs positifs potentiels étant envisagés pour l’opération globale de l’hôtel et non seulement pour le centre de conférences. Par conséquent, les effets cumulatifs potentiels de la construction et de l’exploitation du centre de conférences comme tel doivent être examinés dans le contexte d’une intégration aux opérations de l’hôtel, ainsi que dans celui des effets cumulatifs de ces opérations sur l’environnement et la collectivité.

[72]      Le document de février renvoie aussi très souvent à la détermination de la portée du projet par l’autorité responsable. Il examine chacun des éléments de l’analyse des effets cumulatifs, comme l’approvisionnement en eau et son utilisation, le traitement des déchets solides, ce dont les visiteurs font l’expérience et la vie de la collectivité, et il analyse les répercussions de chacun sur l’environnement de la région du lac Louise. Les mesures d’atténuation envisagées font l’objet d’analyses dans tout le document et on a constaté par la suite qu’elles étaient réalisables et adéquates, sous réserve d’une surveillance portant sur leur mise en œuvre. Le document d’avril rappelle ces données et en ajoute d’autres.

[73]      Il faut aussi noter qu’on peut envisager que le contenu de la décision finale incorpore, comme partie des motifs, les divers documents et notes préparés tout au long du processus décisionnel par le personnel de l’autorité responsable, à la Pushpanathan[39], comme par exemple la lettre adressée au directeur par D. M. Herman, un spécialiste en évaluation environnementale, dans laquelle on trouve l’énoncé suivant :

[traduction] Compte tenu d’un examen consultatif du rapport d’examen préalable initial, de la mise à jour qui a suivi, de la révision additionnelle de l’atténuation et des effets cumulatifs, et compte tenu aussi de la mise en œuvre de toutes les mesures d’atténuation que le promoteur s’engage à appliquer, le projet défini dans ces documents n’aura probablement pas un impact environnemental important[40].

[74]      Toute cette preuve démontre clairement que CP était tout à fait au courant de son obligation d’examiner les effets cumulatifs de son projet dans le contexte plus large de la collectivité, et qu’elle a fait savoir à Parcs Canada ce qu’il en était par écrit.

[75]      En conséquence, nonobstant le fait que la décision et ses motifs laissent grandement à désirer et qu’ils sont souvent mal rédigés, confus et imprécis, je ne peux arriver à la conclusion que l’aspect de la décision de Parcs Canada faisant l’objet du contrôle judiciaire et portant sur les effets cumulatifs était déraisonnable, ou que le juge de première instance aurait commis une erreur à ce sujet. Il n’est pas nécessaire que la décision soit un modèle d’analyse juridique. Il n’est pas non plus nécessaire pour respecter la Loi d’examiner des projets fantaisistes provenant de parties imaginaires et ne produisant que des effets hypothétiques.

Conclusion

[76]      Dans son mémoire des faits et du droit, CP note avec raison que :

[traduction] Les parcs nationaux ne sont pas des réserves sauvages. Ils sont conçus de façon à être appréciés et utilisés par les habitants du Canada. Les parcs nationaux permettent de faire l’expérience de la nature et on doit les administrer de manière à ce que la possibilité de faire cette expérience soit préservée pour les Canadiens dans les années à venir et à leur bénéfice. La gestion des parcs exige qu’on trouve un juste milieu entre ces idées conflictuelles.

[77]      La Loi canadienne sur l’évaluation environnementale n’avait pas pour objectif d’empêcher tout développement dans les parcs nationaux. Un de ses objectifs est de garantir le développement durable. La Loi n’avait pas non plus comme objectif d’instaurer une structure rigide pour la réalisation des évaluations environnementales, étant donné que chaque ensemble de circonstances exige un type différent d’évaluation, une définition différente de la portée, et met en jeu des facteurs différents qu’il faut examiner. Bien qu’il y ait lieu de se conformer à la loi, le processus est souple et quelque fois il porte à confusion.

[78]      L’évaluation environnementale du centre de conférences proposé par CP a donné lieu à la production d’un très grand nombre de documents. Des études volumineuses ont été entreprises par des experts qui se sont penchés sur un grand nombre de facteurs différents, y compris les effets cumulatifs. Il y a eu une consultation publique. Bien que la rédaction de la décision de l’autorité responsable ne soit pas aussi nette, précise et lucide qu’on l’aurait espéré, je ne suis pas convaincu qu’au vu de toute la preuve, elle était si déraisonnable qu’il y a lieu de l’annuler. La Cour doit s’assurer que les étapes prévues à la Loi sont suivies, mais elle doit, quant au fond, s’en remettre aux autorités responsables lorsqu’elles définissent la portée du projet, l’importance de l’examen préalable et l’évaluation des effets cumulatifs au vu des facteurs d’atténuation proposés. Ce n’est pas aux juges de décider quels projets doivent être autorisés, mais bien aux autorités responsables, dans la mesure où elles suivent le processus prévu par la loi.

Dispositif

[79]      Par conséquent, je suis d’avis que la décision du juge de première instance portant que l’évaluation environnementale en l’espèce a suffisamment respecté les exigences de la Loi, et que la décision de Parcs Canada n’était pas déraisonnable, ne doit pas faire l’objet de notre intervention. L’appel est rejeté avec dépens. Bien que le fait que les appelantes prétendent agir dans l’intérêt public soit un facteur qui doive être pris en compte dans l’exercice de notre pouvoir discrétionnaire quant aux dépens, ce n’est là qu’un facteur. Le dossier des appelantes s’appuyait surtout sur des arguments qui n’étaient pas fondés sur les faits, facteur qui milite contre l’exemption qui pourrait leur être accordée quant au paiement des dépens.

Le juge Isaac, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Sharlow, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

APPENDICE

[art. 4 (mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 19; 1994, ch. 46, art. 1)]

4. La présente loi a pour objet :

a) de permettre aux autorités responsables de prendre des mesures à l’égard de tout projet susceptible d’avoir des effets environnementaux en se fondant sur un jugement éclairé quant à ces effets;

b) d’inciter ces autorités à favoriser un développement durable propice à la salubrité de l’environnement et à la santé de l’économie;

b.1) de faire en sorte que les autorités responsables s’acquittent de leurs obligations afin d’éviter tout double emploi dans le processus d’évaluation environnementale;

c) de faire en sorte que les éventuels effets environnementaux négatifs importants des projets devant être réalisés dans les limites du Canada ou du territoire domanial ne débordent pas ces limites;

d) de veiller à ce que le public ait la possibilité de participer au processus d’évaluation environnementale.

[…]

15. (1) L’autorité responsable ou, dans le cas où le projet est renvoyé à la médiation ou à l’examen par une commission, le ministre, après consultation de l’autorité responsable, détermine la portée du projet à l’égard duquel l’évaluation environnementale doit être effectuée.

(2) Dans le cadre d’une évaluation environnementale de deux ou plusieurs projets, l’autorité responsable ou, si au moins un des projets est renvoyé à la médiation ou à l’examen par une commission, le ministre, après consultation de l’autorité responsable, peut décider que deux projets sont liés assez étroitement pour être considérés comme un seul projet.

(3) Est effectuée, dans l’un ou l’autre des cas suivants, l’évaluation environnementale de toute opération— construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre—constituant un projet lié à un ouvrage :

a) l’opération est proposée par le promoteur;

b) l’autorité responsable ou, dans le cadre d’une médiation ou de l’examen par une commission et après consultation de cette autorité, le ministre estime l’opération susceptible d’être réalisée en liaison avec l’ouvrage.

16. (1) L’examen préalable, l’étude approfondie, la médiation ou l’examen par une commission d’un projet portent notamment sur les éléments suivants :

a) les effets environnementaux du projet, y compris ceux causés par les accidents ou défaillances pouvant en résulter, et les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets ou activités, est susceptible de causer à l’environnement;

b) l’importance des effets visés à l’alinéa a);

c) les observations du public à cet égard, reçues conformément à la présente loi et aux règlements;

d) les mesures d’atténuation réalisables, sur les plans technique et économique, des effets environnementaux importants du projet;

e) tout autre élément utile à l’examen préalable, à l’étude approfondie, à la médiation ou à l’examen par une commission, notamment la nécessité du projet et ses solutions de rechange,—dont l’autorité responsable ou, sauf dans le cas d’un examen préalable, le ministre, après consultation de celle-ci, peut exiger la prise en compte.

(2) L’étude approfondie d’un projet et l’évaluation environnementale qui fait l’objet d’une médiation ou d’un examen par une commission portent également sur les éléments suivants :

a) les raisons d’être du projet;

b) les solutions de rechange réalisables sur les plans technique et économique, et leurs effets environnementaux;

c) la nécessité d’un programme de suivi du projet, ainsi que ses modalités;

d) la capacité des ressources renouvelables, risquant d’être touchées de façon importante par le projet, de répondre aux besoins du présent et à ceux des générations futures.

(3) L’évaluation de la portée des éléments visés aux alinéas (1)a), b) et d) et (2)b), c) et d) incombe :

a) à l’autorité responsable;

b) au ministre, après consultation de l’autorité responsable, lors de la détermination du mandat du médiateur ou de la commission d’examen.

(4) L’évaluation environnementale d’un projet n’a pas à porter sur les effets environnementaux que sa réalisation peut entraîner en réaction à des situations de crise nationale pour lesquelles des mesures d’intervention sont prises aux termes de la Loi sur les mesures d’urgence.

[…]

18. (1) Dans le cas où le projet n’est pas visé dans la liste d’étude approfondie ou dans la liste d’exclusion, l’autorité responsable veille :

a) à ce qu’en soit effectué l’examen préalable;

b) à ce que soit établi un rapport d’examen préalable.

(2) Dans le cadre de l’examen préalable qu’elle effectue, l’autorité responsable peut utiliser tous les renseignements disponibles; toutefois, si elle est d’avis qu’il n’existe pas suffisamment de renseignements pour lui permettre de prendre une décision en vertu du paragraphe 20(1), elle fait procéder aux études et à la collecte de renseignements nécessaires à cette fin.

(3) Avant de prendre sa décision aux termes de l’article 20, l’autorité responsable, dans les cas où elle estime que la participation du public à l’examen préalable est indiquée ou dans le cas où les règlements l’exigent, avise celui-ci et lui donne la possibilité d’examiner le rapport d’examen préalable et les documents consignés au registre public établi aux termes de l’article 55 et de faire ses observations à leur égard.

[…]

20. (1) L’autorité responsable prend l’une des mesures suivantes, après avoir pris en compte le rapport d’examen préalable et les observations reçues aux termes du paragraphe 18(3) :

a) sous réserve du sous-alinéa c)(iii), si la réalisation du projet n’est pas susceptible, compte tenu de l’application des mesures d’atténuation qu’elle estime indiquées, d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants, exercer ses attributions afin de permettre la mise en œuvre du projet et veiller à l’application de ces mesures d’atténuation;

b) si, compte tenu de l’application des mesures d’atténuation qu’elle estime indiquées, la réalisation du projet est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants qui ne peuvent être justifiés dans les circonstances, ne pas exercer les attributions qui lui sont conférées sous le régime d’une loi fédérale et qui pourraient lui permettre la mise en œuvre du projet en tout ou en partie;

c) s’adresser au ministre pour une médiation ou un examen par une commission prévu à l’article 29 :

(i) s’il n’est pas clair, compte tenu de l’application des mesures d’atténuation qu’elle estime indiquées, que la réalisation du projet soit susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants,

(ii) si la réalisation du projet, compte tenu de l’application de mesures d’atténuation qu’elle estime indiquées, est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants et si l’alinéa b) ne s’applique pas,

(iii) si les préoccupations du public le justifient.



[1]  Dans ses motifs, le juge de première instance a énuméré les cinq volets. Dans son mémoire des faits et du droit, CP présente un sixième volet, savoir un nouveau permis d’approvisionnement en eau.

[2]  [1998] 1 R.C.S. 982.

[3]  (1999), 18 Admin. L.R. (3d) 269 (C.F. 1re inst.), à la p. 275.

[4]  Ibid., aux p. 275 et 276.

[5]  L.C. 1992, ch. 37 (ci-après la Loi).

[6]  Préambule de la Loi.

[7]  http ://www.parcscanada.gc.ca/ceaa/francais/wea_f.htm.

[8]  Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, à la p. 71 (ci-après Oldman River).

[9]  En l’instance, c’est l’examen préalable, qui est la démarche la moins détaillée, qui a été adopté pour l’évaluation. La Loi définit « examen préalable » de la façon suivante :

2. (1) […]

[…] Évaluation environnementale qui, à la fois : a) est effectuée de la façon prévue à l’article 18; b) prend en compte les éléments énumérés au paragraphe 16(1).

[10]  La Loi définit « autorité responsable » comme suit :

2. (1) […]

« autorité responsable » L’autorité fédérale qui, en conformité avec le paragraphe 11(1), est tenue de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation environnementale d’un projet.

[11]  Agence canadienne d’évaluation environnementale, Loi canadienne sur l’évaluation environnementale : Guide des autorités responsables (Ottawa : Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1994).

[12]  Par le passé, les tribunaux se sont appuyés sur les publications de l’Agence pour expliquer le processus d’évaluation environnementale prévu à la Loi : voir Friends of the West Country Assn., Citizens’ Mining Council et Manitoba’s Future Forest Alliance, infra, note 16.

[13]  R. Northey, The 1995 Annotated Canada Environmental Assessment Act and EARP Guidelines Order (Toronto : Carswell, 1994), aux p. 600 et 601.

[14]  Voir le Guide des autorités responsables, aux p. 68 et 69 [par. 5.1], ou le dossier d’appel, aux p. 388 et 389.

[15]  Le Guide de référence est l’une de trois sections du Guide des autorités responsables qui fait partie du Manuel des procédures de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale.

[16]  J. Hanebury, « Environmental Impact Assessment and the Constitution : The Never-Ending Story » (1999), 9 J.E.L.P. 169, à la p. 180. Voir : Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; Citizens’ Mining Council of Newfoundland & Labrador Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement) (1999), 17 Admin. L.R. (3d) 287 (C.F. 1re inst.); Manitoba’s Future Forest Alliance c. Canada (Ministre de l’Environnement) (1999), 30 C.E.L.R. (N.S.) 1 (C.F. 1re inst.), appel abandonné en octobre 2000; Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [2000] 2 C.F. 263(C.A.), demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada rejetée, [1999] C.S.C.R. 585; Lavoie c. Canada (Ministre de l’Environnement), [2000] A.C.F. no 1238 (1re inst.) (QL), appel abandonné en avril 1999; Inverhuron & District Ratepayers’ Assn. c. Canada (Ministre de l’Environnement) (2000), 34 C.E.L.R. (N.S.) 1 (C.F. 1re inst.), présentement en appel.

[17]  [1994] 1 R.C.S. 159.

[18]  L.R.C. (1985), ch. N-7.

[19]  Supra, note 17, à la p. 192.

[20]  Ibid., à la p. 195.

[21]  Supra, note 16.

[22]  Ibid., à la p. 21.

[23]  Ibid., à la p. 34.

[24]  Supra, note 16.

[25]  Ibid., au par. 33.

[26]  Supra, note 16.

[27]  Ibid., aux par. 60 à 63.

[28]  (1996), 137 D.L.R. (4th) 177 (C.A.F.).

[29]  Ibid., à la p. 182.

[30]  Supra, note 16, au par. 28.

[31]  Ibid., par. 34.

[32]  Ibid., au par. 39.

[33]  Supra, note 16.

[34]  Ibid., au par. 10.

[35]  Dans Lavoie, le juge Lemieux a traité une allégation de violation de l’art. 16(1)a). Il a conclu que les actions prises par l’autorité responsable n’étaient pas déraisonnables ou manifestement déraisonnables. Le juge Lemieux a suivi les motifs énoncés par le juge MacKay dans Union of Nova Scotia Indians c. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 325 (1re inst.), qui précède l’arrêt Pushpanathan. Le juge MacKay a employé l’expression « manifestement déraisonnable », mais il a décrit le critère applicable dans des mots qui donnent à penser qu’en fait, il songeait à quelque chose qui se rapproche davantage de la norme de la décision raisonnable [à la p. 349] :

La nature même de la décision signifie que, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour doit forcément s’en remettre au décisionnaire habilité par la loi, à moins d’être convaincue que la décision est manifestement déraisonnable, c’est-à-dire qu’elle ne peut se justifier logiquement au vu de l’ensemble des renseignements dont disposait le décisionnaire au moment où il a pris sa décision. Tant qu’il existe des renseignements sur lesquels la décision pouvait être logiquement fondée, la Cour n’interviendra pas.

[36]  Dossier d’appel, vol. IV, onglet 10, pièce « 3 » annexée à l’affidavit de Steve Whittingham.

[37]  Dossier d’appel, vol. IV, onglet 10, pièce « 4 » annexée à l’affidavit de Steve Whittingham.

[38]  Lignes directrices particulières, dossier d’appel, vol. IV, onglet 10, à la p. 5.

[39]  Voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.

[40]  Document certifié no 5, onglet 6.

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