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[2001] 1 C.F. 321

IMM-3113-99

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (demandeur)

c.

Thi Kim Ahn (Anh) Dang (défenderesse)

Répertorié : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Dang (1re inst.)

Section de première instance, juge Dawson—Toronto, 18 mai; Ottawa, 20 juillet 2000.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Raisons d’ordre humanitaire — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la SAI avait accueilli l’appel du refus de l’agent des visas de faire droit à la demande visant au parrainage de membres de la famille de la défenderesse pour qu’ils immigrent au Canada parce que le revenu global de la défenderesse et de son mari, pour les 12 mois précédant la date de l`engagement relatif au parrainage, était légèrement inférieur au seuil de faible revenu (SFR) énoncé dans le Règlement sur l’immigration de 1978 — L’art. 77(3)a) de la Loi sur l’immigration permet au répondant d’interjeter appel contre le refus de parrainage en invoquant des raisons d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale — La SAI avait conclu à l’existence de raisons d’ordre humanitaire suffisantes justifiant l’octroi d’une mesure spéciale — Elle avait conclu qu’après la présentation de la demande, le revenu des répondants avait dépassé le SFR et qu’il continuerait probablement à le dépasser — La SAI a suivi la décision rendue dans Jugpall c. Canada (MCI), à savoir qu’il faut tenir compte des facteurs favorables et des facteurs défavorables dans les cas où l’obstacle à l’admissibilité a été surmonté — Les principes énoncés dans Jugpall relevaient de la compétence de la SAI — La SAI a noté que les requérants étaient les seuls membres de la famille immédiate avec qui la défenderesse entretenait des relations et qu’ils devaient habiter avec la défenderesse et son mari — La SAI n’a pas abaissé l’exigence préliminaire au point d’abandonner la condition légale selon laquelle il doit exister des raisons d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale — C’est à la SAI plutôt qu’à la Cour qu’il appartient d’établir quelle est l’exigence préliminaire — Question certifiée : la SAI excède-t-elle la compétence conférée à l’art. 77(3) en suivant la décision Jugpall?

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Certiorari — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la SAI avait accueilli l’appel du refus de l’agent des visas de faire droit à la demande visant au parrainage de membres de la famille de la défenderesse pour qu’ils immigrent au Canada parce que le revenu global de la défenderesse et de son mari, pour les 12 mois précédant la date de l’engagement relatif au parrainage, était inférieur de 1 500 $ au seuil de faible revenu (SFR) énoncé à l’art. 5(2)f) et à l’ann. IV du Règlement sur l’immigration de 1978 — La défenderesse a reconnu, à l’audience, que le calcul du revenu effectué par l’agent des visas était exact — La SAI a conclu que l’agent des visas avait commis une erreur dans le calcul du revenu (motif d’ordre juridique) et qu’il existait des raisons d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale (motif fondé en equity) — Une fois que la défenderesse eut informé la SAI qu’elle ne remettait pas en question le calcul du revenu, la SAI était tenue d’informer le ministre qu’elle avait décidé d’examiner le bien-fondé de cette décision — Un élément fondamental de l’obligation d’équité existant en common law veut qu’une personne qui participe à une audience ait une connaissance suffisante de ce qui est en litige de façon à avoir la possibilité de répondre d’une façon valable — Par suite de l’omission de faire savoir que le bien-fondé des calculs de l’agent des visas était en litige, le représentant du ministre n’a pas examiné la question des calculs — La partie de la décision par laquelle la SAI a accueilli l’appel pour un motif d’ordre juridique est invalide — Cependant, la décision qui était fondée sur un motif d’equity était suffisamment distincte de la décision fondée sur des motifs d’ordre juridique pour ne pas être viciée par suite de la violation de l’obligation d’équité.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section d’appel de l’immigration (SAI) avait accueilli l’appel que la défenderesse avait interjeté contre le refus de l’agent des visas de faire droit à la demande qu’elle avait présentée en vue de parrainer son père, sa belle-mère et son frère pour qu’ils immigrent au Canada à titre de membres de la catégorie de la famille. L’agent des visas avait refusé la demande parrainée d’établissement pour le motif que le revenu global de la défenderesse et de son mari, pour les 12 mois précédant la date de l’engagement relatif au parrainage, ne satisfaisait pas à l’exigence relative aux seuils de faible revenu (SFR) énoncée à l’alinéa 5(2)f) et à l’annexe IV du Règlement sur l’immigration de 1978 et qu’il manquait 1 500 $. Conformément à l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’immigration, un agent des visas peut refuser une demande parrainée d’établissement présentée par un membre de la catégorie de la famille lorsque le répondant ne satisfait pas aux exigences du Règlement. En pareil cas, le paragraphe 77(3) permet au répondant d’interjeter appel en invoquant des raisons d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale. Au début de l’audience, la défenderesse a reconnu que l’agent des visas avait eu raison de conclure que son mari et elle ne satisfaisaient pas à l’exigence relative aux SFR. La SAI a accueilli l’appel pour des motifs d’ordre juridique et pour des motifs fondés en equity. Elle a conclu que l’agent des visas avait commis une erreur dans le calcul du revenu et qu’il existait des raisons d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier l’octroi d’une mesure spéciale. La SAI a conclu que le revenu des répondants avait dépassé le SFR au cours des deux années postérieures à la demande et qu’il continuerait probablement à le dépasser. Étant donné que ce qui faisait obstacle à l’admissibilité avait été éliminé, la SAI a suivi la décision rendue par la Commission dans la décision Jugpall c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) et a appliqué, à l’égard des raisons d’ordre humanitaire, une exigence préliminaire moins rigoureuse que celle qui s’appliquait auparavant. La SAI a noté que les requérants étaient les seuls membres de la famille immédiate de la défenderesse et qu’ils habiteraient chez la défenderesse de sorte que les frais d’habitation de celle-ci n’augmenteraient pas.

Il s’agissait de savoir 1) si la SAI avait violé les règles de justice naturelle en omettant d’informer les parties de ses réserves au sujet de la validité de la décision de l’agent des visas sur le plan juridique et 2) si la SAI avait commis une erreur de droit en excédant sa compétence à l’égard des raisons d’ordre humanitaire qui peuvent être invoquées en vertu de l’alinéa 77(3)b).

Jugement : la demande doit être rejetée.

1) Une fois que la défenderesse eut informé la SAI qu’elle ne remettait pas en question le bien-fondé de la décision de l’agent des visas, à savoir que les répondants ne satisfaisaient pas à l’exigence relative aux SFR, la formation était tenue d’informer clairement le ministre qu’elle avait décidé d’examiner néanmoins cette décision. Cette obligation découle d’un élément fondamental de l’obligation d’équité existant en common law. Une personne qui participe à une audience doit avoir une connaissance suffisante de ce qui est en litige de façon à avoir réellement la possibilité de participer à l’audience. Par suite de l’omission de la formation de faire savoir que le bien-fondé du calcul effectué par l’agent des visas était en litige, le représentant du ministre n’a pas examiné la question. Par conséquent, la partie de la décision par laquelle la SAI aurait accueilli l’appel interjeté contre le refus de l’agent des visas pour le motif qu’il n’était pas conforme au droit était invalide parce que la formation avait violé l’obligation d’équité.

Les changements qui surviennent dans la situation financière du répondant après la période de 12 mois précédant la date de l’engagement dont il est fait mention à l’alinéa 5(2)f) du Règlement peuvent entrer en ligne de compte dans la décision fondée sur des raisons d’ordre humanitaire qui est prise en vertu de l’alinéa 77(3)b). Le ministre ne s’est pas plaint du fait que la SAI tenait compte du revenu gagné par les répondants après la période pertinente, mais il a soutenu que les circonstances n’étaient tout simplement pas exceptionnelles puisque la défenderesse et son mari avaient pu retourner au Vietnam pour rendre visite à leurs familles. Le fait que la SAI n’a pas informé le ministre que la question du revenu des répondants pour la période allant du mois de septembre 1996 au mois de septembre 1997 allait être en cause n’empêchait pas le ministre de participer pleinement à l’aspect de l’appel entendu par la SAI en vertu de la compétence en equity conférée par l’alinéa 77(3)b). En disant que les raisons d’ordre humanitaire devaient être moins rigoureuses que celles qui s’appliquent selon le critère que la Commission avait énoncé dans la décision Chirwa, la SAI s’est fondée sur la décision Jugpall c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration). La décision Jugpall n’est pertinente que dans les cas où la condition juridique d’admissibilité, soit l’exigence relative aux SFR, n’a pas été remplie. Par conséquent, la décision que la SAI a rendue au motif de l’existence de raisons d’ordre humanitaire est suffisamment distincte de la décision qu’elle a rendue pour des motifs d’ordre juridique pour ne pas être viciée par suite de la violation de l’obligation d’équité.

2) Les principes établis dans la décision Jugpall n’excédaient pas la compétence conférée à la SAI. Le ministre craignait que l’adoption des principes énoncés dans la décision Jugpall aurait pour effet d’encourager les requérants à présenter une demande prématurée, en sachant fort bien que l’appel serait accueilli dans la mesure où l’exigence relative aux SFR était respectée à la date de l’audition de l’appel. La SAI a répondu à cette préoccupation en disant clairement que la simple capacité du requérant de satisfaire à l’exigence relative aux SFR ne suffit pas, et en faisant remarquer que l’appréciation des changements survenus dans la situation financière ne doit pas porter atteinte à la nature des modifications apportées au Règlement.

La SAI a noté que les requérants étaient les seuls membres de la famille immédiate avec qui la défenderesse entretenait des relations et qu’ils devaient habiter avec la défenderesse et son mari. Ce fait ainsi que la conclusion selon laquelle les répondants dépassaient le SFR depuis 1997 ont amené la SAI à conclure qu’il existait des facteurs suffisants justifiant l’octroi d’une mesure spéciale. La SAI n’a pas abaissé l’exigence préliminaire au point d’abandonner la condition légale selon laquelle il doit exister des raisons d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale. L’exigence préliminaire que la SAI a appliquée était peut-être fort peu rigoureuse, mais elle est néanmoins plus rigoureuse que le simple fait de satisfaire subséquemment à l’exigence relative aux SFR. C’est à la section d’appel plutôt qu’à la Cour qu’il appartient d’établir quelle est cette exigence préliminaire. La SAI n’a pas commis l’erreur de droit consistant à excéder sa compétence ou à l’interpréter d’une façon erronée.

La question ci-après énoncée a été certifiée : la SAI excède-t-elle la compétence qui lui est conférée à l’alinéa 77(3) de la Loi sur l’immigration en suivant le raisonnement et les principes énoncés dans la décision Jugpall c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), à savoir qu’une exigence préliminaire différente moins rigoureuse fondée sur des facteurs favorables et sur des facteurs défavorables devrait s’appliquer dans les cas où l’obstacle à l’admissibilité a été surmonté au moment de l’audience?

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 77(1)a), (3)b) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 33; L.C. 1999, ch. 31, art. 134), 82.1 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73).

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 5(2)f) (mod. par DORS/97-145, art. 3), ann. IV (mod., idem, art. 6).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Jugpall c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 2 Imm. L.R. (3d) 222 (C.I.S.R.).

DÉCISIONS CITÉES :

Chirwa, Lancelot (1970), 4 I.A.C. 338 (C.A.I.); Canada (Solliciteur général) c. Kainth (1994), 26 Imm. L.R. (2d) 226; 170 N.R. 367 (C.A.F.).

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh (Amarjit) (1996), 121 F.T.R. 196; 35 Imm. L.R. (2d) 242 (C.F. 1re inst.); Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; (1985), 24 D.L.R. (4th) 44; [1986] 1 W.W.R. 577; 69 B.C.L.R. 255; 16 Admin. L.R. 233; 23 C.C.C. (3d) 118; 49 C.R. (3d) 35; 63 N.R. 353; Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 135; 172 N.R. 308 (C.A.F.).

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section d’appel de l’immigration avait accueilli, pour des motifs d’ordre juridique et pour des motifs fondés en equity, l’appel interjeté contre le refus de l’agent des visas de faire droit à la demande que la défenderesse avait présentée en vue de parrainer certains parents pour qu’ils immigrent au Canada à titre de membres de la catégorie de la famille pour le motif que la défenderesse et son mari ne satisfaisaient pas à l’exigence légale relative au revenu (Dang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] I.A.D.D. no 837 (QL)). Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Ann Margaret Oberst pour le demandeur.

Micheal T. Crane pour la défenderesse.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Micheal T. Crane, Toronto, pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Dawson : Mme Dang souhaite parrainer son père, sa belle-mère et son frère pour qu’ils immigrent au Canada.

[2]        Un agent des visas a examiné la demande de Mme Dang et l’a refusée.

[3]        Mme Dang en a appelé de cette décision devant la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la section d’appel). La section d’appel a accueilli l’appel parce qu’elle a conclu que le refus de l’agent des visas n’était pas conforme au droit et parce qu’elle a décidé que l’octroi d’une mesure spéciale était justifié [[1999] I.A.D.D. no 837 (QL)].

[4]        Le ministre sollicite une ordonnance, en vertu de l’article 82.1 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, dans sa forme modifiée (la Loi), infirmant cette décision et renvoyant l’affaire pour qu’elle soit réexaminée par une formation de la section d’appel différente, conformément aux motifs du jugement et aux directives de la Cour.

[5]        La demande présentée par le ministre soulève une question importante au sujet de la compétence que possède la section d’appel à l’égard des raisons d’ordre humanitaire qui peuvent être invoquées en vertu de l’alinéa 77(3)b) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 33; L.C. 1999, ch. 31, art. 134] de la Loi.

LES FAITS

[6]        Le 29 septembre 1997, la défenderesse Thi Kim Ahn (Anh) Dang ainsi que son mari ont demandé à parrainer le père, la belle-mère et le frère de Mme Dang pour qu’ils immigrent au Canada à titre de membres de la catégorie de la famille.

[7]        Conformément à l’alinéa 5(2)f) [mod. par DORS/97-145, art. 3] et à l’annexe IV [mod., idem, art. 6] du Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, dans sa forme modifiée (le Règlement), Mme Dang et son mari, à titre de répondants, étaient obligés de démontrer qu’ils satisfaisaient à l’exigence relative aux seuils de faible revenu (SFR) et que leur revenu global s’élevait à au moins 34 168 $ pour les 12 mois précédant la date de l’engagement relatif au parrainage.

[8]        L’agent des visas a conclu que le revenu global des répondants pour la période pertinente, soit du 29 septembre 1996 au 29 septembre 1997, n’était que de 32 651 85 $, de sorte qu’il manquait environ 1 500 $.

[9]        L’agent des visas a donc refusé la demande parrainée d’établissement pour le motif que les répondants ne satisfaisaient pas à l’exigence relative aux SFR.

[10]      Mme Dang a ensuite déposé un avis d’appel devant la section d’appel, qui a examiné deux questions, à savoir en premier lieu, si l’agent des visas avait correctement calculé le revenu des répondants et en second lieu, s’il existait des raisons d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier l’octroi d’une mesure spéciale.

[11]      Au début de l’audience qui a eu lieu devant la section d’appel, Mme Dang a reconnu que l’agent des visas avait eu raison de conclure que son mari et elle ne satisfaisaient pas à l’exigence relative aux SFR pour la période pertinente.

[12]      La section d’appel a accueilli l’appel pour des motifs d’ordre juridique et pour des motifs fondés en equity. En accueillant l’appel pour des motifs d’ordre juridique, la section d’appel a conclu que le calcul du revenu effectué par l’agent des visas n’était pas étayé par la documentation soumise en preuve et qu’il n’était donc pas valide en droit. En ce qui concerne le motif fondé en equity, la section d’appel a conclu qu’il existait des raisons d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier l’octroi d’une mesure spéciale.

LE CONTEXTE LÉGAL ET RÉGLEMENTAIRE

[13]      L’alinéa 5(2)f) du Règlement énonce comme suit l’exigence financière qui s’applique aux répondants :

5. (1) […]

(2) Sous réserve des paragraphes (6) et (7) et de l’article 5.1, est autorisé à parrainer la demande d’établissement d’un parent tout citoyen canadien ou résident permanent qui satisfait aux exigences suivantes :

[…]

f) sous réserve du paragraphe (5) et sauf dans le cas du parrainage d’un parent visé au paragraphe 6(3), pour les 12 mois précédant la date de son engagement, son revenu brut canadien diminué des paiements faits ou exigibles au titre d’obligations financières est au moins égal au montant applicable de la grille des seuils de faible revenu (SFR) visée à l’annexe IV, lequel montant est déterminé conformément au paragraphe (3).

[14]      Conformément à l’alinéa 77(1)a) de la Loi, un agent des visas ou un agent d’immigration peut refuser une demande parrainée d’établissement présentée par un membre de la catégorie de la famille lorsque le répondant ne satisfait pas aux exigences du Règlement concernant les personnes qui parrainent des demandes d’établissement.

[15]      En pareil cas, le paragraphe 77(3) de la Loi prévoit ce qui suit :

77. (1) […]

(3) S’il est citoyen canadien ou résident permanent, le répondant peut, sous réserve des paragraphes (3.01) et (3.1), en appeler devant la section d’appel en invoquant les moyens suivants :

a) question de droit, de fait ou mixte;

b) raisons d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale.

LES QUESTIONS LITIGIEUSES

[16]      Le ministre a soulevé deux questions au sujet de la présente demande de contrôle judiciaire; il a affirmé ce qui suit :

(i) La section d’appel a violé les règles de justice naturelle en omettant d’informer les parties de ses réserves au sujet de la validité de la décision de l’agent des visas sur le plan juridique;

(ii) La section d’appel a commis une erreur de droit en excédant et en interprétant d’une façon erronée sa compétence à l’égard des raisons d’ordre humanitaire qui peuvent être invoquées en vertu de l’alinéa 77(3)b) de la Loi.

ANALYSE

(i) La section d’appel a-t-elle commis une erreur en concluant que le calcul du revenu effectué par l’agent des visas n’était pas étayé par la documentation soumise en preuve?

[17]      En soulevant cette question, le ministre a déclaré que la section d’appel avait violé les règles de justice naturelle en examinant la validité juridique de la décision de l’agent des visas après avoir informé les parties que l’appel serait entendu uniquement sur la base de la question de savoir s’il existait des raisons d’ordre humanitaire suffisantes justifiant l’octroi d’une mesure spéciale.

[18]      L’avocat de Mme Dang a soutenu que la section d’appel n’avait pas déclaré que la décision que l’agent des visas avait prise au sujet de l’admissibilité financière des répondants n’était plus en litige. Il a été soutenu que la Cour avait statué à plusieurs reprises que, pour qu’une question soit écartée d’un examen, il doit être clairement déclaré qu’elle ne se pose plus, et qu’il incombe à la partie qui cherche à bénéficier d’une telle déclaration de s’assurer qu’elle a réellement été faite.

[19]      Mme Dang a également soutenu qu’à moins que les règles de justice naturelle n’aient clairement été violées, les déclarations d’un tribunal ne le lient pas tant que celui-ci n’a pas rendu une décision finale. Elle se fonde sur la décision rendue par la Cour dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh (Amarjit) (1996), 121 F.T.R. 196 (C.F. 1re inst.).

[20]      Je dois examiner la transcription de l’audience qui a eu lieu devant la section d’appel afin de soupeser ces arguments d’une façon appropriée. Le passage pertinent figure au début de la transcription de l’audience et est ci-après reproduit :

[traduction]

[Membre de la formation]

MACADAM […] [j]e vais d’abord vous demander pourquoi vous croyez que l’appel devrait être accueilli.

Et je vous poserai ensuite d’autres questions.

[…]

MACADAM D’accord. Alors, Madame, comprenez-vous pourquoi la demande a été refusée?

L’APPELANTE Parce que le revenu n’était pas assez élevé, il manquait mille cinq cents dollars.

MACADAM Oui, c’est exact, et vous l’avez confirmé dans votre lettre du 25 janvier 1999.

Je vais produire cette lettre à titre de pièce, sous la cote A-3.

—PIÈCE A-3 : Lettre du 25 janvier 1999.

MACADAM Bien! j’allais donc d’abord vous demander, Madame, si vous contestiez l’appréciation de l’agent des visas, selon laquelle vous n’aviez de fait pas suffisamment d’argent pour satisfaire à la norme.

L’APPELANTE Je le comprends, mais — parce que le montant est insuffisant, il s’agit d’un montant fort minime qui peut—qui peut—comment dire—il aurait été possible de ne pas en tenir compte […]

MACADAM D’accord, je comprends, Madame; je veux simplement savoir si vous souscrivez aux chiffres de l’agent des visas.

L’APPELANTE Que voulez-vous dire?

MACADAM Bien! votre lettre, ce que nous appelons la pièce A-3 […]

L’APPELANTE Je comprends, le revenu n’était pas suffisant à ce moment-là.

MACADAM Bon! telle était ma question.

Très bien! Deux moyens d’appel peuvent être invoqués aujourd’hui. Vous venez de répondre au premier : il s’agissait de savoir si vous contestiez les calculs de l’agent des visas, n’est-ce pas?

Et sur cette base vous auriez soutenu que l’agent des visas s’était trompé, qu’il avait commis une erreur de droit en refusant la demande.

Mais si je comprends bien ce que vous dites aujourd’hui, vous concédez qu’il n’a pas commis d’erreur de droit, parce que vous concédez que vous n’aviez pas le montant nécessaire.

Cependant, selon le second moyen d’appel que vous pouvez invoquer, même si vous n’aviez pas suffisamment d’argent lorsque vous avez présenté la demande en 1997, il peut maintenant y avoir des raisons d’ordre humanitaire, de sorte que je ne devrais pas tenir compte du montant manquant et que je devrais accueillir néanmoins votre demande.

L’APPELANTE Merci.

MACADAM Bien. Vous comprenez donc ces deux moyens?

L’APPELANTE Oui.

MACADAM D’accord. Il y a une chose que je dois souligner, Madame; même si vous gagnez maintenant suffisamment d’argent pour satisfaire à la norme, cela ne veut pas dire que le refus est maintenant injustifié en droit.

Le fait que votre mari et vous gagnez maintenant—à l’heure actuelle, vous gagnez suffisamment d’argent, se rapporte uniquement aux raisons d’ordre humanitaire justifiant l’octroi de l’appel. Comprenez-vous?

L’APPELANTE Oui.

MACADAM Bien. Ce que je veux dire, c’est qu’il ne suffit pas de dire simplement que vous gagnez maintenant suffisamment d’argent. Cependant, j’en tiendrai compte, parmi les facteurs d’ordre humanitaire. Comprenez-vous?

L’APPELANTE Veuillez en tenir compte.

MACADAM Bon, je comprends.

Mme Heyes, avez-vous quelque chose à ajouter?

L’AVOCATE Non. Merci.

MACADAM D’accord. Je vais donc maintenant vous poser des questions; nous croyons savoir ce qu’était votre revenu et ce qu’il est maintenant, et Mme Heyes pourra peut-être vous poser certaines questions au sujet de ce revenu.

Cependant, je vais maintenant vous poser des questions au sujet d’autres raisons d’ordre humanitaire. D’accord? [Non souligné dans l’original.]

[21]      Après ces propos initiaux, je ne puis trouver dans la transcription aucun élément de preuve qui porte sur la question de la détermination du revenu des répondants pour les 12 mois précédant la date de l’engagement. La formation de la section d’appel a de fait posé certaines questions au sujet des revenus courants des répondants.

[22]      Dans ses motifs, la formation de la section d’appel, qui explique sa conclusion selon laquelle l’agent des visas a commis une erreur dans le calcul du revenu, n’examine aucunement l’effet des propos ci-dessus relatés qui ont été tenus entre elle et Mme Dang. En fait, plus loin, au paragraphe 14 de ses motifs, la section d’appel a erronément mentionné [traduction] « la preuve de l’appelante selon laquelle leur revenu commun satisfait à l’exigence relative aux SFR pour les 12 mois précédant la date de l’engagement ».

[23]      L’effet à donner à l’échange de propos entre le membre de la formation et Mme Dang est essentiel à l’argument invoqué par le ministre sur ce point.

[24]      En ce qui concerne cet effet, je ferai d’abord remarquer que dans l’avis d’appel qu’elle a déposé au début de l’instance, Mme Dang n’a pas énoncé ce sur quoi son appel était fondé.

[25]      Étant donné le libellé de l’article 77 de la Loi, le membre de la formation devait donc chercher à savoir, comme il l’a fait, au début de l’audience, ce sur quoi Mme Dang fondait son appel.

[26]      À mon avis, l’effet était qu’en répondant ainsi, Mme Dang reconnaissait qu’elle ne contestait pas la décision de l’agent des visas selon laquelle son mari et elle ne satisfaisaient pas à l’exigence relative aux SFR. D’où la déclaration précitée, à savoir que Mme Dang comprenait l’appréciation effectuée par l’agent des visas, mais que la somme manquante de 1 500 $ était [traduction] « fort minime » et qu’il était possible de [traduction] « ne pas en tenir compte ».

[27]      Cette interprétation est conforme à la lettre que Mme Dang a envoyée le 30 juin 1998 à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, à laquelle était apparemment joint l’avis d’appel, qui était daté du même jour. Dans cette lettre, Mme Dang parlait uniquement du revenu courant du ménage et ne se plaignait pas de la décision de l’agent des visas selon laquelle son mari et elle ne satisfaisaient pas à l’exigence relative aux SFR.

[28]      Par conséquent, à mon avis, une fois que l’appelante [défenderesse] eut informé la section d’appel qu’elle ne remettait pas en question le bien-fondé de la décision de l’agent des visas, à savoir que les répondants ne satisfaisaient pas à l’exigence relative aux SFR, la formation était tenue d’informer clairement l’intimé [demandeur] qu’elle avait décidé d’examiner la décision de l’agent des visas.

[29]      Cette obligation découle d’un élément fondamental de l’obligation d’équité existant en common law. Une personne qui participe à une audience doit avoir une connaissance suffisante de ce qui est en litige de façon à avoir réellement la possibilité de participer à l’audience.

[30]      Quant à l’effet de l’omission de la formation de faire savoir que le bien-fondé du calcul effectué par l’agent des visas était en litige, le représentant du ministre à l’audience qui a eu lieu devant la section d’appel a déclaré ce qui suit dans un affidavit qui a été déposé à l’appui de la demande de contrôle judiciaire :

[traduction]

8. Étant donné que l’appel a uniquement été entendu à l’égard du moyen fondé sur l’equity, je n’ai pas examiné la question des calculs effectués par l’agent et je n’ai pas eu la possibilité de répondre aux réserves exprimées par la formation à cet égard.

[31]      Je conclus donc, en me fondant sur le fait que la formation a violé l’obligation d’équité, à l’invalidité de la partie de la décision par laquelle la section d’appel a accueilli l’appel interjeté contre le refus de l’agent des visas pour le motif qu’il n’était pas conforme au droit. Cette obligation a été violée lorsque la formation a tiré sa conclusion sans donner au ministre une chance raisonnable de répondre aux réserves qu’elle avait elle-même décidé d’exprimer.

[32]      En outre, je conclus qu’il ne s’agissait pas ici, comme on l’a soutenu pour le compte de Mme Dang, d’un cas dans lequel une question litigieuse [traduction] « n’était plus en jeu ». Il s’agissait d’un cas dans lequel la formation elle-même mettait « en jeu » une question que l’appelante n’avait pas soulevée devant elle. À cet égard, la décision Singh, précitée, que Mme Dang a invoquée, n’est d’aucune aide.

[33]      Habituellement, la dénégation du droit à une audience équitable doit avoir pour effet de rendre une décision invalide (voir : Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643). Toutefois, selon Mme Dang, il a été statué que la Cour ne devrait pas intervenir lorsque la violation des règles de justice naturelle ne peut pas influer sur la décision finale. À l’appui de cette thèse, on a invoqué la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’affaire Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 135 (C.A.F.).

[34]      En l’espèce, la section d’appel a accueilli l’appel interjeté par Mme Dang en se fondant sur le second moyen, à savoir que conformément à l’alinéa 77(3)b) de la Loi, il existait des raisons d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale.

[35]      Il faut donc déterminer si cette conclusion est de quelque façon viciée du fait que la section d’appel a violé son obligation d’équité et, dans la négative, se demander si la décision de la section d’appel peut être maintenue en ce qui concerne ce moyen.

(ii) La violation des règles de l’équité a-t-elle eu pour effet de vicier la conclusion que la section d’appel a tirée aux termes de l’alinéa 77(3)b) de la Loi?

[36]      Aux paragraphes 10 à 13 de ses motifs, la section d’appel a examiné la preuve qu’elle jugeait pertinente pour l’application de l’alinéa 77(3)b) de la Loi. Elle a dit :

[traduction] L’appelante a présenté la preuve ci-après énoncée au sujet des raisons d’ordre humanitaire. Elle a produit un document de Revenu Canada confirmant qu’en 1997, leur revenu global s’élevait à environ 38 600 $. Ce revenu dépasse de 4 000 $ le revenu pertinent aux fins des SFR, lequel était de 34 168 $, pour cette période dans une région de la catégorie B (Whitby, population de moins de 500 000 habitants). La même source confirme également qu’en 1998, leur revenu global était de 42 156 92 $. Ce montant dépasse de 7 000 $ le montant prévu à l’égard du SFR de 34 720 $ applicable à l’année 1998. Le mari travaille pour le même employeur depuis près de dix ans et l’appelante depuis près de trois ans.

Cette preuve montre que l’appelante et son mari dépassent le seuil d’admissibilité depuis plus de deux ans et qu’ils continueront probablement à le dépasser. Cela étant, je suis porté à suivre le raisonnement que mes collègues ont fait dans la décision Jugpall et à appliquer, à l’égard des raisons d’ordre humanitaire, une exigence préliminaire moins rigoureuse que celle qui s’applique selon le critère énoncé dans la décision Chirwa.

L’appelante veut parrainer les requérants—son père, sa belle-mère et son frère—au Canada parce qu’elle les aime et parce qu’elle veut qu’ils soient à ses côtés et aux côtés de sa famille. Les requérants sont les seuls membres de sa famille immédiate à part sa mère, avec qui elle est brouillée. Le mari de l’appelante a également parrainé la demande parce qu’il veut que sa belle-famille habite avec lui. Les neuf frères et sœurs du mari, sauf trois d’entre eux, vivent aux États-Unis; ils ont présenté une demande de parrainage qui est en instance pour que leurs parents émigrent dans ce pays. Les appelants habitent dans une maison en rangée de trois chambres à coucher. Ils prévoient céder une chambre à coucher aux parents de l’appelante, leur fils et le frère requérant devant partager la troisième chambre à coucher. Les frais d’habitation de l’appelante n’augmenteront donc pas si on laisse les requérants venir au Canada. Cela montre en outre que l’appelante et les requérants ont entre eux des liens étroits.

À l’heure actuelle, le frère requérant étudie l’économie à l’université. Il devra trouver un travail à son arrivée au Canada et épargner de l’argent s’il veut poursuivre ses études. À l’heure actuelle, les parents requérants subviennent à leurs propres besoins au Vietnam. Le père et la belle-mère sont tous les deux des enseignants à la retraite qui touchent une pension. Ils dirigent également une petite école privée qui aide les élèves à se préparer aux examens. Ils apporteront au Canada une somme d’environ 30 000 $US, tirée de la vente de biens-fonds qu’ils possèdent au Vietnam. Les appelants prévoient également, à long terme, s’installer dans la région de Barrie et ouvrir un restaurant-minute que leurs parents géreraient. [Renvoi omis.]

[37]      Selon l’alinéa 5(2)f) du Règlement, il faut prendre en compte la situation financière d’un répondant pour les 12 mois précédant la date de l’engagement. Les changements qui surviennent par la suite dans la situation financière du répondant n’ont rien à voir avec la décision prise, en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi, quant à la question de savoir si celui-ci satisfait aux exigences du Règlement. Toutefois, ces changements peuvent entrer en ligne de compte dans la décision fondée sur l’alinéa 77(3)b) de la Loi.

[38]      Comme je l’ai dit déjà, la période pertinente en l’espèce pour l’application de l’alinéa 5(2)f) du Règlement allait du 29 septembre 1996 au 29 septembre 1997.

[39]      Le seul élément de preuve que la section d’appel a mentionné au sujet de cette période, dans l’examen qu’elle a effectué en vertu de l’alinéa 77(3)b) de la Loi, se rapporte au revenu des répondants pour l’année civile 1997.

[40]      Lors de l’audition de l’appel, l’avocat du ministre ne s’est pas plaint du fait que la section d’appel tenait compte du revenu gagné par les répondants après la période pertinente. Le représentant du ministre n’a pas sérieusement contesté la thèse selon laquelle Mme Dang et son mari satisfaisaient peut-être alors à l’exigence relative aux SFR.

[41]      Le représentant du ministre a débattu cette partie de l’appel en se fondant sur le moyen distinct suivant :

[traduction] L’appelante et son mari ont tous les deux pu retourner au Vietnam pour rendre visite à leurs familles; les circonstances ici en cause ne sont tout simplement pas exceptionnelles ou extraordinaires, si ce n’est que l’appelante veut que sa famille soit ici, au Canada.

Il n’existe donc pas de raisons d’ordre humanitaire qui puissent l’emporter sur ce qui constitue un refus valide et je demanderais le rejet de l’appel.

[42]      Je conclus donc que le fait que la section d’appel n’a pas informé le représentant du ministre que la question du revenu des répondants pour la période allant du mois de septembre 1996 au mois de septembre 1997 allait être en cause n’empêchait pas le ministre de participer pleinement à l’aspect de l’appel entendu par la section d’appel en vertu de sa compétence en equity conférée par l’alinéa 77(3)b) de la Loi.

[43]      Je conclus également, en me fondant sur l’examen de la preuve que la section d’appel a effectué et sur le fait que la formation s’est fondée sur la décision Jugpall c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 2 Imm. L.R. (3d) 222 (C.I.S.R.), sur laquelle je reviendrai ci-dessous, que la conclusion que la section d’appel a tirée au sujet du revenu des répondants pour la période allant du mois de septembre 1996 au mois de septembre 1997 n’a pas influé sur l’examen effectué par la formation en vertu de l’alinéa 77(3)b) de la Loi de façon à vicier cette partie de la décision.

[44]      J’ai tenu compte du fait qu’au paragraphe 14 de ses motifs, lorsqu’elle parlait de la conclusion qu’elle avait tirée au sujet de l’existence de raisons d’ordre humanitaire, la section d’appel a dit ce qui suit :

[traduction] Compte tenu de la preuve de l’appelante selon laquelle leur revenu commun satisfait à l’exigence relative aux SFR pour les 12 mois précédant la date de l’engagement et compte tenu du fait que le calcul effectué par l’agent des visas, selon lequel il leur manquait environ 1 500 $ pour atteindre le SFR, n’était pas corroboré ainsi que de la preuve de l’appelante selon laquelle ils dépassent le SFR depuis 1997, je suis convaincu que les raisons d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale en l’espèce doivent être moins rigoureuses.

[45]      Toutefois, comme il en sera ci-dessous fait mention, en disant que les raisons d’ordre humanitaire devaient être moins rigoureuses, la section d’appel s’est fondée sur la décision Jugpall. Or, cette décision n’est pertinente que dans les cas où la condition juridique d’admissibilité, soit l’exigence relative aux SFR, n’a pas été remplie. Malgré les remarques de la section d’appel qui sont reproduites au paragraphe précédent, je suis donc néanmoins encore d’avis que la décision que la section d’appel a rendue au motif de l’existence de raisons d’ordre humanitaire est suffisamment distincte de la décision qu’elle a rendue pour des motifs d’ordre juridique pour ne pas être viciée par suite de la violation de l’obligation d’équité.

[46]      Je dois donc déterminer si la décision de la section d’appel peut être confirmée pour le motif que la section d’appel a à juste titre conclu que l’octroi d’une mesure spéciale était justifié.

(iii) La section d’appel a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il existait des raisons d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale?

[47]      La section d’appel a commencé son examen des raisons d’ordre humanitaire en citant la décision qu’elle avait rendue dans l’affaire Jugpall.

[48]      La section d’appel a déclaré au paragraphe 9 de ses motifs :

[traduction] En ce qui concerne les raisons d’ordre humanitaire qui s’appliquent en l’espèce, j’estime utile le raisonnement que mes collègues ont fait dans la décision Jugpall. La formation a dit qu’en fixant ainsi une période particulière aux fins de l’examen de la question du revenu, le législateur voulait s’assurer que les répondants étaient solvables avant de s’engager à parrainer un requérant. En ce qui concerne les facteurs d’ordre humanitaire, il est dit ce qui suit à la page 17 : « Lorsque les conditions imposées par le législateur à l’égard de l’admissibilité [financière] sont remplies, il n’est peut-être pas nécessaire de se demander s’il existe des circonstances impérieuses justifiant l’octroi d’une mesure spéciale. » Il est tenu compte de la définition des raisons d’ordre humanitaire sur laquelle la section d’appel se fonde souvent, telle qu’elle est énoncée dans la décision Chirwa : « les faits […] qui inciteraient une [personne] raisonnable dans une collectivité civilisée à vouloir remédier aux malheurs des autres […] » Il est conclu ce qui suit [page 19] : « Il convient d’appliquer une exigence préliminaire différente moins rigoureuse aux fins de l’octroi d’une mesure spéciale lorsque les circonstances existantes montrent que le seuil d’admissibilité [en ce qui concerne l’insolvabilité] a été atteint. » La formation affirme ensuite [page 21] que, lorsque les faits initiaux entraînant l’inadmissibilité demeurent les mêmes ou qu’il n’y a pas vraiment eu de changement, la norme énoncée dans la décision Chirwa doit s’appliquer. En outre, la formation dit que des facteurs défavorables à l’appelant pourraient militer contre l’octroi d’une mesure spéciale même si le seuil d’admissibilité était atteint. [Renvois omis.]

[49]      Après avoir examiné la preuve relative à la situation financière des répondants, la section d’appel a conclu ce qui suit, au paragraphe 11 :

[traduction] La preuve montre que l’appelante et son mari dépassent le seuil d’admissibilité depuis plus de deux ans et qu’ils continueront probablement à le dépasser. Cela étant, je suis porté à suivre le raisonnement que mes collègues ont fait dans la décision Jugpall et à appliquer, à l’égard des raisons d’ordre humanitaire, une exigence préliminaire moins rigoureuse que celle qui s’applique selon le critère énoncé dans la décision Chirwa.

[50]      Le ministre a soutenu que la section d’appel avait commis une erreur en appliquant, à l’égard des raisons d’ordre humanitaire, une exigence préliminaire moins rigoureuse que celle qui s’applique selon le critère énoncé dans la décision Chirwa, Lancelot (1970), 4 I.A.C. 338 (C.A.I.).

[51]      Le ministre a soutenu que, dans la décision Jugpall, la section d’appel avait abandonné l’exigence relative aux raisons d’ordre humanitaire, concluant plutôt que le requérant qui satisfait aux exigences financières au moment où l’appel est entendu a uniquement à démontrer l’existence de [traduction] « facteurs favorables ». Le ministre a affirmé qu’il n’existe aucun fondement juridique justifiant ce qui a été décrit comme une dérogation au libellé clair de l’alinéa 77(3)b) de la Loi. Il a soutenu que puisque le législateur avait expressément prévu que l’octroi d’une mesure spéciale était uniquement justifié s’il existait des raisons « d’ordre humanitaire », la section d’appel avait commis une erreur dans la décision Jugpall et, qu’elle avait donc excédé sa compétence.

[52]      Le ministre a soutenu qu’en l’espèce, même si la section d’appel n’avait pas parlé de « facteurs favorables » comme dans la décision Jugpall, précitée, il ressortait des facteurs invoqués à l’appui de sa décision que la formation avait abaissé l’exigence préliminaire au point d’abandonner la condition légale suivant laquelle il devait exister des raisons d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale.

[53]      Le ministre craignait également que l’intégrité de la Loi soit compromise si les requérants pouvaient présenter une demande prématurée, en sachant fort bien que la section d’appel accueillerait tout appel interjeté contre une décision défavorable dans la mesure où l’exigence relative aux SFR était respectée à la date de l’audition de l’appel.

[54]      L’avocat du ministre m’a informée que son client avait présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision Jugpall, mais qu’il n’y avait pas donné suite étant donné que les personnes qui demandaient le droit d’établissement avaient obtenu ce droit, de sorte que l’appel n’avait plus qu’un intérêt théorique.

[55]      En réponse, pour le compte de Mme Dang, il a été soutenu que dans l’arrêt Canada (Solliciteur général) c. Kainth (1994), 26 Imm. L.R. (2d) 226, la Cour d’appel fédérale a statué que la Cour doit faire preuve d’un degré de retenue inhabituel envers la section d’appel au sujet de la façon dont elle interprète son pouvoir.

[56]      Mme Dang a fait remarquer que l’argument du ministre visait clairement l’approche énoncée dans la décision Jugpall, et que cette décision avait été rendue après mûre réflexion par une formation composée de trois membres. La section d’appel a adopté la décision Jugpall comme ligne de conduite générale; elle l’a citée en l’approuvant plus de 120 fois.

[57]      Enfin, Mme Dang a affirmé que la section d’appel n’avait pas abandonné ou excédé la compétence qui lui était conférée par la loi, mais qu’elle comprenait clairement les paramètres de la Loi et sa propre compétence.

[58]      La présente demande ne constitue pas et ne peut pas constituer une contestation indirecte de la décision Jugpall. Toutefois, étant donné qu’en l’espèce, la section d’appel a adopté le raisonnement qui avait été fait dans la décision Jugpall et qu’elle a brièvement rappelé les principes établis dans la décision Jugpall, il est intéressant, et à mon avis nécessaire, d’examiner ces principes.

[59]      Les faits qui avaient été portés à la connaissance de la section d’appel dans l’affaire Jugpall étaient les suivants : la demande que M. Jugpall avait présentée en vue de parrainer ses parents avait été refusée pour le motif que sa conjointe et lui ne satisfaisaient pas à l’exigence relative aux SFR. Lors de l’appel devant la section d’appel, il a été convenu que le refus était valide en droit. Il s’agissait donc uniquement de savoir s’il existait des raisons d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier l’octroi d’une mesure spéciale.

[60]      La section d’appel a tout d’abord noté l’effet des modifications apportées au Règlement, lesquelles étaient entrées en vigueur le 1er avril 1997, et en particulier la modification apportée à l’alinéa 5(2)f) du Règlement, selon laquelle l’admissibilité est fonction de circonstances qui s’inscrivent à un moment précis dans le temps.

[61]      La section d’appel a ensuite effectué une analyse minutieuse, dans le cadre de laquelle elle a dit ce qui suit :

(i) De l’avis de la section d’appel, il n’était pas sans pertinence, aux fins de l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui était conféré par la loi, que la situation financière de la requérante eût changé en ce qui concerne sa capacité de satisfaire à l’exigence relative aux SFR;

(ii) L’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par la loi à la section d’appel dépendait du contexte créé par la détermination de l’inadmissibilité;

(iii) Une approche de l’application de la loi pratique et fondée sur l’objet permettrait un redressement, alors qu’une application stricte aurait des conséquences graves;

(iv) Cette approche consiste en l’appréciation des aspects humanitaires du cas d’un requérant par rapport aux obstacles juridiques à son admissibilité;

(v) La section d’appel avait toujours appliqué une approche exigeant que les circonstances prises en compte soient proportionnées aux obstacles juridiques à l’admissibilité pour pouvoir justifier l’octroi d’une mesure;

(vi) Les changements survenus dans la situation sont pertinents aux fins d’un appel fondé sur l’alinéa 77(3)b) de la Loi; de l’avis de la section d’appel, il était d’autant plus important d’être en mesure de tenir compte de ces changements, dans l’exercice de la compétence que la section d’appel possédait en equity, dans les cas où il était impossible de tenir compte de ces changements en déterminant si le refus de l’agent des visas était valide sur le plan juridique;

(vii) Les changements survenus dans la situation financière doivent être appréciés conformément aux modifications apportées au Règlement; ils ne pourraient pas servir à porter atteinte à ces modifications;

(viii) Les changements survenus dans la situation financière ne suffisent pas à eux seuls pour justifier l’octroi d’une mesure spéciale;

(ix) Le critère élaboré par la section d’appel dans la décision Chirwa, précitée, lequel établissait une définition des raisons d’ordre humanitaire, ne tenait pas compte des cas dans lesquels il avait été remédié au motif d’inadmissibilité quant au fond mais non quant à la forme;

(x) Si une nouvelle demande de parrainage devait être présentée, il en découlerait un préjudice étant donné qu’un nouvel ensemble de frais devraient être payés et qu’un délai serait occasionné;

(xi) Ce préjudice n’a pas de raison d’être s’il a été remédié au motif d’inadmissibilité;

(xii) Cela découlait du fait que la section d’appel voulait préserver l’intégrité de l’application de la loi et son rôle dans ce processus;

(xiii) Il n’était peut-être donc pas nécessaire d’être en présence de circonstances impérieuses pour accorder une mesure spéciale;

(xiv) Toutefois, pour que la section d’appel accorde une mesure spéciale, il doit exister des facteurs favorables en plus de la capacité de surmonter les obstacles à l’admissibilité;

(xv) La section d’appel a souligné que le fait qu’un appelant puisse être devenu suffisamment solvable au stade de l’appel ne voulait pas nécessairement dire qu’il aurait gain de cause devant la section d’appel;

(xvi) Il ne devrait pas y avoir de facteurs défavorables amoindrissant quelque justification de l’octroi d’une mesure spéciale;

(xvii) La section d’appel a conclu son analyse en disant que la norme énoncée dans la décision Chirwa, précitée, s’applique lorsqu’il n’a pas été remédié quant au fond au motif initial d’inadmissibilité, mais qu’il convient d’appliquer une exigence préliminaire différente moins rigoureuse aux fins de l’octroi d’une mesure spéciale si la situation du moment révèle que l’obstacle à l’admissibilité a été surmonté.

[62]      Tel est le raisonnement que la section d’appel a expressément adopté dans l’affaire dont je suis saisie.

[63]      Je ne puis conclure qu’en adoptant ces principes en l’espèce, la section d’appel a excédé sa compétence.

[64]      En tirant cette conclusion, j’ai en particulier tenu compte des remarques claires que la section d’appel a faites dans la décision Jugpall, (page 237 du recueil) :

[traduction] Ceci dit, la présente formation est d’avis que, pour qu’une mesure spéciale soit accordée par la section d’appel, il doit y avoir des facteurs favorables en plus de la capacité de l’appelant de surmonter maintenant les obstacles à l’admissibilité. Indépendamment de la situation financière, il doit exister des facteurs favorables qui amènent le décideur à conclure qu’il ne serait pas équitable d’exiger que l’appelant recommence toute la procédure de parrainage. Il doit en être ainsi parce que, selon un élément essentiel du critère juridique d’admissibilité, le répondant doit satisfaire au critère de solvabilité pour les 12 mois précédant la date de l’engagement. Le Règlement a été modifié de façon à exiger notamment que le requérant soit financièrement solvable à un stade particulier de la procédure. Le fait qu’un appelant peut devenir solvable à un stade ultérieur de la procédure (par exemple, au stade de l’appel) ne veut pas nécessairement dire qu’il aura gain de cause devant la section d’appel, et ce, parce que pour que l’appelant ait gain de cause, l’octroi d’une mesure spéciale doit être justifié, selon le libellé de la Loi. Les changements survenus dans la situation financière d’un appelant ne constituent pas à eux seuls un fondement justifiant l’octroi d’une mesure spéciale. [Non souligné dans l’original.]

[65]      J’ai tenu compte de la préoccupation exprimée par le ministre, à savoir que l’adoption en l’espèce des principes énoncés dans la décision Jugpall aura pour effet d’encourager la présentation prématurée de demandes. Toutefois, je crois que la section d’appel a répondu à cette préoccupation en disant clairement que la simple capacité du requérant de satisfaire à l’exigence relative aux SFR ne suffit pas, et en faisant remarquer que l’appréciation des changements survenus dans la situation financière ne doit pas porter atteinte à la nature des modifications apportées au Règlement.

[66]      Puisque j’ai tiré cette conclusion, je dois me demander si l’application de ces principes aux faits de la présente espèce a donné lieu à une erreur susceptible de révision.

[67]      La section d’appel a conclu que la preuve présentée par Mme Dang et son mari était crédible, cohérente et sincère, et que les faits n’avaient pas été embellis. Elle a noté que les requérants étaient les seuls membres de la famille immédiate avec qui Mme Dang entretenait des relations et qu’ils devaient habiter avec Mme Dang et son mari. Ce fait ainsi que la conclusion selon laquelle les répondants dépassaient le SFR depuis 1997 ont amené la section d’appel à conclure qu’il existait des facteurs suffisants justifiant l’octroi d’une mesure spéciale.

[68]      Je souscris à l’argument de l’avocate du ministre, à savoir que l’exigence préliminaire est ainsi rendue beaucoup moins rigoureuse, mais après mûre réflexion, je ne puis retenir l’argument selon lequel, ce faisant, la section d’appel a abaissé l’exigence préliminaire au point d’abandonner la condition légale selon laquelle il doit exister des raisons d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale.

[69]      L’exigence préliminaire que la section d’appel a appliquée était peut-être fort peu rigoureuse, mais elle est néanmoins plus rigoureuse que le simple fait pour le répondant de satisfaire subséquemment à l’exigence relative aux SFR. C’est à la section d’appel plutôt qu’à la Cour qu’il appartient d’établir quelle est cette exigence préliminaire.

[70]      Je conclus donc qu’en accueillant, pour des motifs fondés en equity, l’appel interjeté contre la décision de l’agent des visas, la section d’appel n’a pas commis l’erreur de droit consistant à excéder sa compétence ou à l’interpréter d’une façon erronée.

[71]      Après l’audience, j’ai reçu des observations écrites des avocats au sujet de la question des dépens et de la certification d’une question. J’ai conclu qu’il n’y avait pas en l’espèce de raisons spéciales justifiant la délivrance d’une ordonnance relative aux dépens. Les avocats se sont entendus sur une question à certifier; la question ci-après énoncée est certifiée :

La section d’appel de la CISR excède-t-elle ou interprète-t-elle d’une façon erronée la compétence qui lui est conférée à l’al. 77(3)b) de la Loi sur l’immigration en suivant le raisonnement et les principes énoncés dans la décision qu’elle a rendue dans l’affaire Jugpall v. MCI (1999), 2 Imm. L.R. (3d) 222, à savoir qu’une exigence préliminaire différente moins rigoureuse fondée sur des facteurs favorables et sur des facteurs défavorables devrait s’appliquer dans les cas où l’obstacle à l’admissibilité a été surmonté au moment de l’audience?

[72]      Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

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