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IMM-5069-12

2013 CF 115

Jules Guiniling Tindungan (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Tindungan c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Russell—Toronto, 8 janvier; Ottawa, 1er février 2013.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande d’asile du demandeur à titre de réfugié au sens de la Convention et personne à protéger en vertu des art. 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) — Le demandeur, un citoyen américain, s’est opposé pour des raisons morales aux actions de l’armée américaine alors qu’il était déployé en Afghanistan — Le demandeur s’est absenté de son unité sans permission et a présenté une demande d’asile au Canada — Le demandeur a fait des déclarations publiques concernant ses opinions à propos de l’armée américaine et il craint d’être persécuté advenant son renvoi aux États-Unis — La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État et n’avait pas démontré qu’il existait une possibilité raisonnable qu’il soit persécuté ou qu’il soit exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités et que les actions militaires américaines ne tombent pas sous le coup des paragraphes 169 et 170 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (Guide du HCNUR) — Il s’agissait de savoir si la SPR a commis une erreur de droit en concluant que le système judiciaire américain pouvait fournir une protection adéquate, en ignorant des éléments de preuve qui contredisaient directement ses conclusions, dans son interprétation du Guide du HCNUR et du droit étranger et en tirait des conclusions déraisonnables — La SPR a rejeté le recours aux normes canadiennes et internationales comme guide de ce qui est adéquat quant à l’équité du système de justice militaire américain — Selon la SPR, la non-conformité du système à ces normes ne rend pas la protection de l’État inadéquate — La décision n’était pas justifiée, transparente et intelligible — C’est une erreur que de conclure qu’un système non conforme aux normes d’équité de base peut néanmoins assurer une protection de l’État adéquate — Les décisions rendues en vertu de la LIPR doivent être compatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés et doivent respecter les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme — L’interprétation de la protection de l’État « adéquate » qui permet que le caractère « adéquat » soit inférieur aux normes énoncées n’est pas une interprétation qui est conforme à ces instruments — Le Guide du HCNUR indique clairement que pour déterminer si une poursuite équivaut à de la persécution, les lois nationales et les instruments internationaux peuvent être utilisés — Les conclusions de la SPR sur la peine différente étaient déraisonnables en raison de ses renseignements — La SPR n’a pas traité de la façon dont le demandeur serait protégé contre l’abus du pouvoir discrétionnaire du poursuivant — La SPR disposait d’éléments de preuve convaincants qui contredisaient les conclusions que des déclarations publiques contre la guerre n’entraînent pas des peines pour désertion plus sévères — La SPR a évalué les expériences personnelles du demandeur comme étant des incidents isolés qui n’étaient pas tolérés par les États-Unis et qui n’étaient pas systémiques, malgré la preuve contraire — La preuve indique que les pratiques militaires de l’armée américaine tombent sous le coup du Guide du HCNUR — La SPR a mal compris le droit concernant les moyens de défense qui peuvent être opposés à une accusation de désertion dans l’armée américaine — La SPR a conclu que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État adéquate malgré le fait qu’il n’était pas en mesure d’opposer un moyen de défense fondé sur l’art. 171 du Guide du HCNUR — La décision Vassey c. Canada (Citoyenneté et Immigration) enseigne que cet état du droit touche directement à l’existence de la protection de l’État — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande d’asile du demandeur à titre de réfugié au sens de la Convention et personne à protéger conformément aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

Le demandeur est un citoyen des États-Unis et est un militaire de l’armée américaine. Alors qu’il était en Afghanistan, le demandeur en est venu à s’opposer pour des raisons morales aux actions, aux pratiques et aux procédures de l’armée américaine. Il a été témoin d’actes dont la torture de détenus, des descentes menées avec violence dans des résidences appartenant à des civils et des tirs à l’aveuglette fréquents dans des régions peuplées de civils. Après avoir terminé sa période de service, il a appris que son unité serait à nouveau déployée sous peu et que les mêmes tactiques seraient utilisées. Après avoir tenté sans succès de quitter l’infanterie et d’obtenir une autre affectation par les voies officielles, il s’est absenté de son unité sans permission. Il est ensuite venu au Canada et y a présenté une demande d’asile. Le demandeur a fait des déclarations publiques à des médias d’information concernant ses opinions à propos de l’armée américaine, indiquant qu’il était une personne opposée pour des raisons politiques et morales aux actions de l’armée américaine et qu’il craignait d’être persécuté par son unité advenant son renvoi aux États-Unis.

La SPR a conclu, entre autres, que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État et n’avait pas démontré qu’il existait une possibilité raisonnable qu’il soit persécuté ou qu’il soit, selon la prépondérance des probabilités, exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou d’être soumis à la torture s’il retournait aux États-Unis. La SPR a conclu de façon subsidiaire que les actions militaires auxquelles s’opposait le demandeur d’asile ne tombent pas sous le coup des paragraphes 169 et 171 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (Guide du HCNUR).

Il s’agissait de savoir si la SPR a commis une erreur de droit en concluant que le système judiciaire américain pouvait fournir une protection adéquate, en ignorant des éléments de preuve qui contredisaient directement ses conclusions en ce qui a trait à la protection de l’État; si elle a commis une erreur de droit dans son interprétation du paragraphe 171 du Guide du HCNUR et son interprétation du droit étranger concernant les moyens de défense qui peuvent être invoqués dans le système de cours martiales aux États-Unis; et si elle a commis une erreur de droit en tirant des conclusions déraisonnables sans égard à la preuve et non étayées par celle-ci.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La SPR a rejeté le recours aux normes canadiennes et internationales comme guide de ce qui est adéquat quant à l’équité d’un système de justice mais elle n’a pas indiqué clairement les normes qu’elle a utilisées pour apprécier l’équité et le caractère adéquat du système de justice militaire américain. Selon la position de la SPR, la non-conformité du système à ces normes ne rend pas la protection de l’État inadéquate. La décision n’était pas justifiée, transparente et intelligible parce qu’il n’est pas possible de déterminer ce que voulait dire la SPR lorsqu’elle parle d’équité dans le système américain ni la raison pour laquelle l’équité équivaut au caractère adéquat lorsque, de toute évidence, le système de justice américain n’est pas conforme aux normes canadiennes et internationales. C’est commettre une erreur de droit que de conclure qu’un système qui n’est pas conforme aux exigences fondamentales d’équité reconnues sur le plan international peut néanmoins offrir une protection adéquate. Le législateur a expressément indiqué que les décisions rendues en vertu de la LIPR doivent être compatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés et doivent respecter les obligations du Canada en vertu des instruments internationaux portant sur les droits de l’homme, comme l’alinéa 3(3)f) de la LIPR le prévoit. Une interprétation de la protection de l’État « adéquate » qui permet que le caractère « adéquat » soit inférieur aux normes énoncées dans les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme n’est pas une interprétation qui serait conforme à ces instruments. Le Guide du HCNUR lui-même indique clairement que pour déterminer si une poursuite équivaut à de la persécution, « les autorités nationales seront souvent amenées à prendre leur décision par référence à leurs propres lois nationales » et qu’« il peut être utile de se référer aux principes énoncés dans les divers instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme [...] ». En l’espèce, la SPR a clairement ignoré ces lignes directrices et principes.

Les conclusions de la SPR sur la peine différente étaient déraisonnables. La SPR n’a pas traité de la façon dont le demandeur serait protégé contre l’abus du pouvoir discrétionnaire du poursuivant, ni de la façon dont le système de justice criminelle peut être adéquat s’il n’existe aucun mécanisme d’examen du pouvoir discrétionnaire de poursuivre. À cet égard, la SPR n’a pas retenu les enseignements de la décision Vassey c. Canada (Citoyenneté et Immigration). La SPR disposait d’éléments de preuve convaincants qui contredisaient directement ses conclusions que des déclarations publiques contre la guerre n’entraînent pas des peines pour désertion plus sévères.

En ce qui a trait à la prétention du demandeur que les actions militaires auxquelles il s’oppose ne tombent pas sous le coup des paragraphes 169 et 171 du Guide du HCNUR, la SPR a évalué les expériences personnelles du demandeur comme étant des incidents isolés qui n’étaient pas tolérés par les États-Unis et qui n’étaient pas systémiques, ni une question de politique, tout en ignorant complètement la preuve documentaire objective qui confirmait la véracité de la situation opposée. La SPR a ignoré la preuve documentaire qui discute des pratiques militaires courantes autorisées par l’armée américaine en Iraq et en Afghanistan qui tombent sous le coup du paragraphe 171 du Guide du HCNUR et qui indiquent que les États-Unis n’ont pas respecté leurs obligations internationales à cet égard. La SPR a aussi mal compris le droit concernant les moyens de défense qui peuvent être opposés à une accusation de désertion dans l’armée américaine. La SPR a convenu avec le demandeur qu’il ne serait pas en mesure d’opposer un moyen de défense fondé sur le paragraphe 171 du Guide du HCNUR à une accusation de désertion. Comme l’enseigne la décision Vassey, cet état du droit des États-Unis « touche directement à l’existence de la protection de l’État ». La SPR a conclu néanmoins que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État adéquate. La SPR a rejeté la position du demandeur qu’il serait uniquement en mesure de présenter un moyen de défense s’il avait reçu l’ordre de commettre un crime ou un crime de guerre, et non de commettre une action qui se situait au-dessous de ce critère, mais qui était visée par le paragraphe 171 du Guide du HCNUR. Compte tenu de l’enseignement dans la décision Vassey, cette conclusion, ainsi que l’analyse relative à la protection de l’État qui est fondée sur elle, était déraisonnable. La SPR a reconnu les faits que le demandeur a présentés, mais a alors choisi d’ignorer ce que la Cour avait dit sur la question dans la décision Vassey.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3, 72(1), 96, 97.

Uniform Code of Military Justice, 10 U.S.C. § 837 (2006).

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, 12 août 1949, qui constitue l’annexe III de la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3.

Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221.

Déclaration universelle des droits de l’homme, Rés. AG 217 A (III), Doc. NU A/810, à la p. 71 (1948).

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision suivie :

R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259.

décisions appliquées :

Vassey c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 899, [2013] 1 R.C.F. 522; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Flores Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160.

décisions examinées :

Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, confirmant 2006 CF 420, [2007] 1 R.C.F. 561; Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Satiacum, [1989] A.C.F. no 505 (C.A.) (QL); Rivera c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 814; Krotov v. Secretary of State for the Home Department, [2004] EWCA Civ 69; Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193; Key c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 838, [2009] 2 R.C.F. 625; Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 C.F. 540 (C.A.); Findlay v. The United Kingdom, [1997] ECHR 8, 24 EHRR 221; Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; Trépanier c. R., 2008 CACM 3; Landry c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 594; Lowell c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 649.

décisions citées :

Popov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 489 (1re inst.) (QL); Lozada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 397; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Saini, 2001 CAF 311, [2002] 1 C.F. 200; Sow c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1313; Alhayek c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1126; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331; United States v. Yolanda M. Huet-Vaughn, 43 M.J. 105 (C.A.A.F. 1995); de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655; Okoloubu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 326, [2009] 3 R.C.F. 294; Usta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1525; Tuck c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 138; Walcott c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 415; Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500.

DOCTRINE CITÉE

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Genève, réédition janvier 1992, en ligne : <http://www.unhcr.fr/4ad2f7fa383.pdf>.

Rapport du comité international de la Croix-Rouge (CICR) sur le traitement réservé par les forces de la coalition aux prisonniers de guerre et autres personnes protégées par les Conventions de Genève en Irak durant l’arrestation, l’internement et l’interrogatoire, février 2004.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (2012 CanLII 95533) a rejeté la demande d’asile du demandeur à titre de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger conformément aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Alyssa Manning pour le demandeur.

Nur-Muhammed-Ally et Ndija Anderson pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Alyssa Manning, Refugee Law Office, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Russell :

INTRODUCTION

[1]        La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), de la décision, datée du 18 janvier 2012 [X (Re), 2012 CanLII 95533], par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

CONTEXTE

[2]        Le demandeur est un citoyen des États‑Unis âgé de 25 ans. Il est originaire de Rialto, en Californie, et est un militaire de l’armée américaine. Il a été déployé en Afghanistan pendant 15 mois au sein de la 82e division aéroportée en 2007 et en 2008.

[3]        Il a quitté son unité de l’armée américaine en 2008 après avoir terminé la totalité de sa période de déploiement en Afghanistan. Il a quitté l’unité après avoir tenté d’être libéré de ses fonctions par les voies officielles.

[4]        Alors qu’il était en Afghanistan, le demandeur en est venu à s’opposer pour des raisons morales aux actions, aux pratiques et aux procédures de l’armée américaine. Il a été témoin d’actes dont la torture de détenus, des descentes menées avec violence dans des résidences appartenant à des civils, des tirs à l’aveuglette fréquents dans des régions peuplées de civils sans prendre aucune précaution pour réduire le nombre de victimes parmi eux, le défilé dans les villes et les villages de corps de rebelles morts attachés sur le capot de véhicules militaires pour intimider les populations civiles locales. Il a lui‑même participé à de tels actes.

[5]        Le demandeur en est venu à croire que ces actes étaient illégaux et qu’ils contrevenaient à la Convention de Genève [Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, 12 août 1949, qui constitue l’annexe III de la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3]. Après avoir terminé sa période de service et être retourné aux États‑Unis, il a appris que son unité serait à nouveau déployée sous peu et que les mêmes tactiques seraient utilisées. Le demandeur estimait que ces actes étaient moralement répréhensibles et qu’ils allaient à l’encontre du droit international. Après avoir tenté sans succès de quitter l’infanterie et d’obtenir une autre affectation par les voies officielles, il s’est absenté de son unité sans permission.

[6]        Le demandeur est venu au Canada et y a présenté une demande d’asile. Les audiences ont eu lieu en juin et en décembre 2010. La SPR a rendu sa décision le 18 avril 2012 et a avisé le demandeur de celle‑ci le 10 mai 2012.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[7]        La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur parce qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse qu’il soit persécuté s’il était renvoyé aux États‑Unis et que la protection de l’État y est adéquate.

Examen de la demande d’asile du demandeur

[8]        Le demandeur s’est enrôlé dans l’armée américaine le 4 août 2005. À cette époque, il n’était pas au courant des tactiques que l’armée utilisait sur le terrain et il s’est enrôlé en raison de la situation financière de sa famille. Il a terminé son entraînement en vol et a par la suite suivi le programme d’initiation des Rangers (Ranger Indoctrination Program — RIP) en vue de faire partie de ce groupe d’élite de l’armée. Une fois inscrit au RIP, il n’a pas voulu prendre part aux pénibles rituels d’initiation et aux brimades, de sorte qu’il a abandonné le programme après deux ou trois jours.

[9]        Après avoir quitté le RIP, il a été affecté à son unité, la 82e division aéroportée, équipe de combat de la 4e brigade, le 4e escadron du 73e régiment de cavalerie à Fort Bragg. Il a été déployé en Afghanistan de janvier 2007 à avril 2008. Au cours de cette période, il a été affecté à 9 bases militaires différentes.

[10]      Le premier poste qu’a occupé le demandeur en Afghanistan était celui de soldat d’infanterie de tir indirect. Il a participé à de nombreux échanges de coups de feu. Deux soldats de son unité ont été tués et plusieurs ont été blessés, dont lui.

[11]      Il a alors été transféré à une unité qui se livrait activement à des activités de combat. Parmi les incidents auxquels cette unité aurait participé, il relate les suivants :

• descentes dans des maisons avec l’Armée nationale afghane (ANA) pendant lesquelles les occupants étaient attachés, tenus en joue et la presque totalité du contenu de leur maison était détruit;

• confinement de détenus dans des compartiments d’expédition, appelés [traduction] « boîtes chaudes », dans lesquels ils étaient gardés pendant des périodes indéfinies, à des températures extrêmes;

• bombardements au moyen de mortiers de vastes zones où il n’y avait pas d’ennemis, entraînant la destruction de villages, récoltes et biens; le demandeur sait qu’à au moins une occasion des civils innocents ont été tués;

• placement de corps à l’arrière d’une remorque, pour ensuite défiler dans les villes afin de montrer à la population locale ce qui était arrivé aux combattants;

• recours à une technique appelée [traduction] « encadrement », consistant à tirer des mortiers autour d’une cible jusqu’à ce qu’elle soit touchée; le demandeur a su qu’une mère innocente et son enfant avaient été tués lors de tels tirs;

• refus d’un membre du personnel médical de prodiguer des soins à des combattants ennemis, déclarant qu’il allait les laisser mourir; le demandeur a indiqué que d’après ce qu’il avait entendu d’un autre peloton, ils sont tous effectivement morts;

• harcèlement et humiliation des détenus, par exemple, forcer un homme à uriner à l’extérieur et ne pas lui permettre de prier.

[12]      Le demandeur a également décrit des « brimades » extrêmes dont il a été la victime pendant qu’il était dans l’armée. Ces brimades ont parfois pris la forme de sessions d’exercices physiques intenses (« smoking sessions ») au cours desquelles il a dû ramper à plat ventre sur du gravier, s’éraflant ainsi le visage et les coudes, faire des battements de jambes et des pompes, courir sur place et faire d’autres exercices physiques.

[13]      À un moment donné, le demandeur a été blessé au pied et a porté un plâtre de fortune. Pendant qu’il avait ce plâtre, il y a eu une attaque à la roquette et son sergent lui a ordonné de courir sur les lieux afin de s’assurer que tout le monde était en vie, parce que le sergent avait omis de vérifier les radios et celui‑ci ne voulait pas que son erreur soit connue. Le demandeur a été forcé de s’exposer à l’attaque à la roquette.

[14]      De retour aux États‑Unis, le demandeur a consulté un médecin parce qu’il était déprimé et qu’il avait de la difficulté à sortir, à voir des gens et à dormir. Le médecin lui a déconseillé de suivre des traitements en santé mentale parce que cela était mal vu et que cela aurait des conséquences défavorables sur sa carrière.

[15]      Le demandeur a essayé différentes choses pour éviter d’être exposé à ce qui se passait en Afghanistan. Il a déclaré qu’il avait songé à présenter une demande pour obtenir le statut d’objecteur de conscience, mais il savait qu’il ne serait pas admissible parce qu’il ne s’opposait pas à toutes les formes de combat. Il a tenté de postuler pour obtenir un poste de non‑combattant, mais il a appris qu’il devait être promu au grade de sergent pour devenir un officier des affaires civiles. Il a réussi l’examen en obtenant une note parfaite, mais il ne possédait pas suffisamment de points pour être admissible à cette promotion au retour de son déploiement.

[16]      Le demandeur a alors tenté d’obtenir une mutation, mais celle‑ci lui a été refusée en raison du poste précis qu’il occupait et de son expérience. Il a déclaré à son capitaine qu’il voulait quitter l’armée pour devenir un enseignant, mais le capitaine, qui ne voulait pas qu’il quitte l’unité, s’est moqué de lui. Le demandeur a indiqué qu’il n’avait aucun moyen légitime de quitter l’infanterie et d’éviter un autre déploiement. À ce moment‑là, il a décidé de déserter.

[17]      Le demandeur a quitté son poste à Fort Bragg le 15 mai 2008 et il a pris l’avion à destination de Los Angeles. Il a déclaré que pendant son séjour dans l’armée, un camarade s’était absenté sans permission [ASP], mais qu’il était revenu après 30 jours. Il avait été dépouillé de tous ses grades et forcé d’accomplir des tâches très difficiles et inutiles, comme empiler des pierres très lourdes ou nettoyer à répétition des choses déjà propres. Ses supérieurs l’avaient également ridiculisé. En consultant Internet, le demandeur a appris l’existence de la Campagne d’appui aux résistants à la guerre, coalition qui l’a aidé à venir au Canada. Il est entré au Canada le 16 juin 2008 et a demandé l’asile le même jour.

[18]      Depuis lors, le demandeur a fait des déclarations publiques à plusieurs médias d’information concernant ses opinions à propos de l’armée américaine. Il indique qu’il est notoire qu’il est une personne opposée pour des raisons politiques et morales aux actions de l’armée américaine et qu’il craint d’être persécuté par son unité advenant son renvoi aux États‑Unis.

La protection de l’État

[19]      La SPR a examiné la question de savoir s’il existait une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté s’il retournait aux États‑Unis ou si, selon la prépondérance des probabilités, il serait personnellement soumis à une menace à sa vie ou à un risque de traitements cruels et inusités s’il retournait aux États‑Unis.

[20]      Le demandeur a allégué qu’il subirait de la « persécution » pour désertion s’il retournait aux États‑Unis. Il prétend qu’il fera l’objet d’un traitement différent parce qu’il s’est prononcé publiquement contre les guerres en Iraq et en Afghanistan. Il indique également que les paragraphes 169 et 171 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié [au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Genève, réédition, janvier 1992] du HCNUR [Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés] (Guide du HCNUR) s’appliquent à lui, mais qu’il ne serait pas en mesure d’invoquer ces paragraphes devant une cour martiale.

[21]      La SPR a conclu qu’il existe une protection de l’État adéquate aux États‑Unis. Subsidiairement, elle a conclu que les paragraphes 169 et 171 du Guide du HCNUR ne visaient pas les actions militaires auxquelles s’oppose le demandeur.

[22]      La SPR s’est appuyée sur une abondante jurisprudence lors de son appréciation de la question de la protection de l’État. Elle a répété qu’il incombait au demandeur de s’adresser à l’État pour obtenir sa protection et qu’il avait le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État aux États‑Unis n’était pas adéquate. Elle a déclaré qu’il était important d’examiner s’il existait effectivement des mécanismes légaux et procéduraux de protection et si l’État était capable et avait la capacité de mettre ces mesures en œuvre.

[23]      Les États‑Unis sont un pays démocratique. La SPR a donc conclu à l’existence d’une forte présomption de protection de l’État. La SPR a déjà étudié des demandes d’asile présentées par des déserteurs de l’armée américaine et a conclu que la démocratie est bien établie dans ce pays et qu’il y existe une protection de l’État adéquate. S’ils sont renvoyés aux États‑Unis, les demandeurs d’asile sont poursuivis pour désertion en vertu d’une loi d’application générale appliquée de façon neutre et peuvent se prévaloir d’un éventail de garanties juridiques et de recours. La peine infligée à un demandeur d’asile pour désertion ne constituerait pas de la persécution ni un châtiment disproportionnellement sévère ou équivalent à une peine cruelle et inusitée. Les autres problèmes auxquels les demandeurs d’asile peuvent se heurter aux États‑Unis par suite de leur désertion constitueraient de la discrimination et non de la persécution. La Cour d’appel fédérale a maintenu des décisions antérieures de la SPR allant en ce sens : Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171 (Hinzman).

[24]      Christopher Marco Vassey, qui a servi au sein de la même unité que celle du demandeur et qui, à un certain moment, était en Afghanistan en même temps que lui, a lui aussi présenté une demande d’asile. Sa demande d’asile a fait l’objet d’un contrôle judiciaire dans la décision Vassey c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 899, [2013] 1 R.C.F. 522 (Vassey). La SPR a tenu compte de cette décision lorsqu’elle a analysé la demande d’asile du demandeur.

i)          Le système des cours martiales des États‑Unis

[25]      Le demandeur a soutenu que, suivant les exigences énoncées par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259 (Généreux), le système de justice militaire américain n’offre pas aux accusés des tribunaux qui peuvent être considérés comme indépendants et impartiaux. À la suite du prononcé de l’arrêt Généreux, des changements ont été apportés au système de justice militaire canadien. La SPR a indiqué qu’il est utile de procéder à une comparaison avec les systèmes d’autres pays, mais que le critère pertinent est de savoir si la protection de l’État est adéquate aux États‑Unis.

[26]      Les opinions d’experts qu’a fournies le demandeur s’accordent en général pour dire qu’aux États‑Unis, le commandant militaire joue un rôle central dans le système de justice militaire. Il lui revient généralement d’ouvrir les enquêtes, de formuler les accusations qui seront portées et le palier de la cour martiale qui en sera saisi, ainsi que de rendre la décision et de choisir les jurés qui entendront l’affaire. Les experts traitent notamment de la façon dont le système de justice militaire américain répond aux conditions essentielles d’indépendance judiciaire énoncées dans l’arrêt Généreux. Ils concluent que le système américain ne remplit pas la plupart de ces conditions et qu’un accusé n’est pas assuré d’obtenir un procès équitable.

[27]      Dans son affidavit, le professeur Hansen reconnaît l’existence de différents mécanismes de contrôle au sein du système pour éviter qu’un accusé soit traité de façon inéquitable. Il déclare que la mesure de protection la plus importante est l’article 37 [§837] du Uniform Code of Military Justice [10 U.S.C. §§801 à 946 (2006)] (code de justice militaire), qui interdit à un commandant de censurer, de réprimander ou d’admonester un militaire, un juge militaire ou un avocat relativement aux conclusions tirées par une cour ou à la peine qu’elle inflige ou relativement au rôle de la cour. Le code interdit aussi que soit exercée une influence non autorisée. De plus, les cours d’appel militaires ont de leur propre chef accepté de traiter d’allégations d’influence indue de la part de la chaîne de commandement (Unlawful Command Influence — UCI) dans le cadre du processus d’examen en appel.

[28]      Le professeur Hansen déclare également que, dans l’exercice de leurs fonctions, les commandants bénéficient des conseils exhaustifs des avocats militaires donnés avec franchise et que, bien qu’ils ne soient pas tenus de les suivre, ceux qui ignorent ces conseils le font à leurs risques et périls. Le commandant choisit les membres qui composeront la cour martiale, mais il est loisible à un accusé de choisir de subir son procès devant un juge militaire plutôt que devant un tribunal militaire. Il y a également un système d’appel qui constitue une importante mesure de contrôle à l’encontre d’une UCI. De plus, il y a la possibilité d’interjeter appel devant la cour d’appel des Forces armées, constituée de juges civils, de même que le droit de demander à la Cour suprême d’examiner une décision de la cour d’appel des Forces armées.

[29]      L’affidavit du professeur Fidell indique que le système américain ne respecte pas le critère d’inamovibilité énoncé dans l’arrêt Généreux, pas plus qu’il ne respecte le critère de l’indépendance institutionnelle. Il déclare que le processus de sélection des membres n’est pas un processus indépendant, mais bien une fonction de commandement. Il indique que malgré les garanties en place, il y a toujours des plaintes d’UCI, mais que les contestations pour ce motif sont rarement accueillies. En conclusion, il déclare ce qui suit : [traduction] « Si les mesures de protection législatives et réglementaires étaient efficaces, l’UCI ne resterait pas dans le jardin de la justice militaire américaine comme une vivace rustique ».

[30]      Donald G. Rehkopf fils a présenté un affidavit mettant en doute les compétences du professeur Hansen à titre de praticien d’expérience dans le système de justice militaire américain. Selon lui, bien que le professeur Hansen soit un professeur, [traduction] « ce n’est pas la même chose lorsqu’il s’agit de défendre dans les faits des clients accusés de désertion ». Il indique que le système n’offre pas les garanties d’équité élémentaire dans les cas où un commandant choisit de faire du cas d’un soldat un exemple. Le système privilégie la [traduction] « discipline » et les commandants sont autorisés à évaluer les conséquences de la conduite en cause sur leur organisation, ce qui pose un problème important dans le cas des déserteurs.

[31]      S’appuyant sur ses 34 années de travail avec le système de justice militaire, M. Rehkopf est profondément en désaccord avec l’opinion du professeur Hansen. Selon lui, le fond du problème est qu’il ne s’agit pas toujours de justice, mais bien des désirs et des objectifs du commandant militaire, sur lesquels aucun avocat militaire ne peut influer. Il soutient que les garanties fournies semblent adéquates sur papier, mais qu’en réalité, aucune mesure disciplinaire n’est prise à l’encontre des personnes responsables d’UCI. Entre autres problèmes, il mentionne que c’est le commandant qui choisit les militaires qui entendront l’affaire et la cour d’appel criminelle est principalement constituée de juges militaires.

[32]      Selon les auteures en droit militaire américain Marjorie Cohn et Kathleen Gilberd, les tribunaux et cours d’appel militaires ont l’obligation de maintenir la discipline et l’ordre au sein de leur organisation mère. Ainsi, la prise en compte des questions de culpabilité et d’innocence ou de sévérité et de clémence est fonction non seulement du droit et de la justice, mais également de leur effet sur le bon fonctionnement de l’armée, sa mission, la discipline et le moral des troupes. Les auteures déclarent que cette double responsabilité des avocats, des juges et des membres des comités militaires a une incidence sur le respect de l’équité dans les affaires criminelles et elles ont connaissance de nombreux cas où un poids plus élevé a été accordé aux besoins de l’armée qu’aux droits de l’accusé. Elles poursuivent en discutant d’autres problèmes, comme le rôle de l’autorité fautive et des problèmes relatifs aux UCI. Elles ne croient pas non plus à l’efficacité des garanties institutionnelles mises en place pour empêcher les UCI.

[33]      La SPR souligne que dans l’arrêt Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Satiacum, [1989] A.C.F. no 505 (C.A.) (QL) (Satiacum), la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

En l’absence d’une preuve de circonstances exceptionnelles faite par le revendicateur, il me semble que lors de l’audition d’une revendication du statut de réfugié, comme dans une requête en extradition, les tribunaux canadiens doivent tenir pour acquis qu’il existe un processus judiciaire équitable et impartial dans le pays étranger. Dans le cas d’un État non démocratique, il peut être facile de faire la preuve contraire, mais en ce qui a trait à un État démocratique comme les États‑Unis, il se peut qu’il faille aller jusqu’à démontrer, par exemple, que le processus de sélection du jury est gravement atteint dans la région en question ou que l’indépendance ou le sens de l’équité des juges est en cause.

[34]      Le demandeur soutient que tous les experts, à l’exception du professeur Hansen, ont utilisé le droit canadien et le droit international comme point de compassion pour décrire en quoi consiste un système équitable. Le professeur Hansen déclare que les modifications apportées au système de justice militaire canadien, par suite de l’arrêt Généreux de la Cour suprême, ne prennent pas nécessairement en compte le principe de la responsabilité du commandement selon lequel un commandant peut être tenu criminellement responsable de ne pas avoir empêché la perpétration de crimes de guerre commis par les personnes sous son commandement.

[35]      Le professeur Hansen précise que les tribunaux militaires américains ont choisi de ne pas suivre l’exemple du Canada et du Royaume-Uni, qui ont modifié leurs systèmes à la suite de décisions rendues par les tribunaux de leur pays. Le critère n’est pas de savoir si le système d’un autre pays est conforme à celui du Canada, mais bien de savoir si la protection accordée par le système est adéquate.

[36]      La SPR a déclaré qu’elle privilégiait l’opinion du professeur Hansen par rapport à celle des autres experts. Ce dernier ne croit pas que le système américain doive changer uniquement parce qu’il y a eu des changements dans d’autres pays, et estime, sur le fondement des facteurs qu’il a examinés, que le système américain demeure équitable. Il existe différents modèles de système de justice criminelle, et ce n’est pas parce qu’un système donné n’est pas conforme au modèle canadien ou international qu’il est nécessairement inéquitable.

[37]      La SPR a conclu que le système de justice militaire des États‑Unis accorderait une protection adéquate au demandeur.

ii)         Risque de traitement différent

[38]      Le demandeur a soutenu qu’il risque d’être ciblé pour des poursuites parce qu’il a fait connaître ses opinions politiques à propos de l’armée américaine. Il s’appuie sur le paragraphe 101 de la décision Rivera c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 814 (Rivera) :

De plus, il faut reprendre l’ensemble de l’analyse relative à la protection de l’État en tenant compte du risque allégué, et de la preuve à l’appui, à savoir que les autorités américaines n’appliqueront pas une loi d’application générale de façon neutre, mais qu’elles choisiront la demanderesse principale comme cible de poursuites et de sanctions simplement du simple fait de ses opinions politiques, alors que d’autres déserteurs, qui ne se sont pas prononcés contre la guerre en Iraq, ont fait l’objet de renvoi par mesure administrative.

[39]      La SPR a fait observer que la Cour suprême du Canada a reconnu que le pouvoir discrétionnaire fait partie intégrante de tout système de justice. Elle a de plus conclu que même s’il n’existait pas aux États‑Unis un mécanisme formel pour contrôler l’exercice du pouvoir discrétionnaire, on ne pouvait pas conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État était inadéquate aux États‑Unis.

iii)        Le paragraphe 171 du Guide du HCNUR

[40]      Le demandeur a fait valoir qu’il ne serait pas en mesure, dans le cadre d’une instance militaire américaine, de faire valoir qu’il a refusé de continuer à servir dans l’armée parce qu’il ne voulait pas continuer à prendre part à une action visée par le paragraphe 171 du Guide du HCNUR. De plus, dans le cas d’une accusation de désertion, les raisons l’ayant motivée ne sont pas prises en compte et le moyen de défense fondé sur l’illégalité des ordres reçus n’intervient que lorsqu’il s’agit d’une conduite considérée comme un crime ou un crime de guerre.

[41]      Dans son affidavit, la professeure Marjorie Cohn déclare que les personnes accusées de désertion sont généralement privées du moyen de défense fondé sur l’illégalité des ordres reçus pendant le service. L’avocate Bridget Wilson est d’accord avec cet énoncé, tout comme David Gespass. Le demandeur a également renvoyé aux affaires visant le sergent Camilo Mejia et le sergent Kevin Benderman, qui n’ont pu invoquer ce type de moyen de défense. L’avocat du demandeur a également soutenu que les personnes susmentionnées se trouvaient dans une situation semblable à celle du demandeur.

[42]      Le professeur Hansen a également convenu que les raisons ayant motivé la décision de désertion ne sont pas pertinentes dans une affaire de désertion. Il déclare que les [traduction] « raisons de ces restrictions sont évidentes. Aucune armée en activité ne peut permettre que ses soldats choisissent les conflits avec lesquels ils sont d’accord ou ceux qu’ils décident de soutenir ». Le professeur Hansen indique également que ces restrictions ne sont pas propres à l’armée américaine.

[43]      La SPR souligne qu’au Canada, l’infraction de désertion comporte l’intention d’être physiquement absent. Comme aux États‑Unis, des moyens de défense liés au fait d’être physiquement absent pourraient être invoqués.

[44]      Le paragraphe 171 du Guide du HCNUR est rédigé comme suit :

N’importe quelle conviction, aussi sincère soit‑elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution.

[45]      Au Royaume‑Uni, l’arrêt Krotov v. Secretary of State for the Home Department, [2004] EWCA Civ 69, a énoncé un critère en trois volets pour décider si une affaire est susceptible d’être visée par le paragraphe 171 du Guide du HCNUR. Cet arrêt a été cité avec approbation dans l’arrêt Hinzman. La SPR a formulé comme suit ce critère [au paragraphe 137] :

a) […] le niveau et la nature du conflit, ainsi que l’attitude des autorités gouvernementales pertinentes envers ce conflit, sont tels que les combattants sont ou pourraient être contraints, de façon suffisamment généralisée, d’enfreindre les règles de conduite les plus élémentaires qui sont généralement reconnues par la communauté internationale;

b) […] ils seraient punis s’ils refusaient de le faire;

c) […] la désapprobation de telles méthodes et la crainte d’une telle peine constitue[nt] la véritable raison motivant le refus d’un demandeur d’asile de participer au conflit en question, on doit alors estimer qu’un motif de la Convention a été établi.

[46]      La SPR a en outre indiqué que les États‑Unis avaient examiné des cas de violations graves du droit humanitaire international et que des personnes avaient été poursuivies sur ce fondement. Elle a également déclaré qu’un arrêt comme Hinzman et une décision comme Popov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 489 (1re inst) (QL), au paragraphe 10, établissent que les violations isolées du droit humanitaire international constituent un aspect regrettable, mais inévitable des guerres. La SPR a conclu qu’aucun élément de preuve ne montrait que les incidents relatés par le demandeur étaient systémiques ou que les États‑Unis les toléraient. Ces incidents n’étaient donc pas visés par le paragraphe 171.

[47]      La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas démontré que les États‑Unis exigeaient de ses combattants qu’ils commettent des violations généralisées du droit humanitaire, ou les autorisaient à en commettre, ou que les États‑Unis ne lui permettraient pas de faire valoir, en défense, que le paragraphe 171 s’applique.

[48]      Le demandeur a également soutenu que le paragraphe 169 du Guide du HCNUR pouvait s’appliquer à un mauvais exercice du pouvoir discrétionnaire de poursuivre. Ce paragraphe est rédigé comme suit :

Un déserteur ou un insoumis peut donc être considéré comme un réfugié s’il peut démontrer qu’il se verrait infliger pour l’infraction militaire commise une peine d’une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Il en irait de même si l’intéressé peut démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté pour ces motifs, indépendamment de la peine encourue pour désertion.

[49]      Le demandeur a invoqué des décisions, notamment la décision Rivera, précitée, dans lesquelles des personnes ayant exprimé leurs opinions politiques ont été la cible de poursuites pour désertion aux États‑Unis. Le demandeur a également donné l’exemple d’un déserteur qui avait accordé une entrevue à la SRC [Société Radio-Canada] et qui s’est vu infliger une peine plus longue que celle dont a fait l’objet un autre déserteur accusé des mêmes infractions criminelles graves. Le demandeur a soutenu qu’il n’avait qu’à établir l’existence d’un important risque de traitement différent ou de persécution pour être visé par le paragraphe 169.

[50]      La SPR a relevé plusieurs exemples de peines ayant été infligées et a conclu qu’il n’existait aucun élément de preuve convaincant démontrant que les personnes visées avaient déclaré publiquement qu’elles s’opposaient à la guerre. Elle a également indiqué que la norme de preuve applicable aux faits sous‑jacents à la demande d’asile du demandeur était celle de la prépondérance des probabilités. Elle a statué que les peines par lesquelles un traitement différent serait accordé n’étaient pas d’une sévérité disproportionnée telle qu’on pourrait conclure, selon la prépondérance des probabilités, à l’existence d’un traitement différent en ce qui concerne les poursuites intentées ou la peine infligée. Elle a également conclu que toute peine pouvant être infligée au demandeur ne serait pas une peine d’une sévérité disproportionnée faisant entrer en jeu le paragraphe 169.

[51]      La SPR a conclu que les conséquences que pouvaient subir le demandeur à la suite d’une déclaration de culpabilité au criminel pouvaient équivaloir à de la discrimination, et non de la persécution. Elle a également déclaré que si le demandeur subissait des « brimades » à son retour, il aurait un recours, puisque la Constitution des États‑Unis interdit expressément les sanctions cruelles et inusitées. La SPR a conclu qu’il n’avait pas démontré que, s’il devait subir des brimades, la protection de l’État ne lui serait pas raisonnablement offerte, ce que la Cour fédérale a confirmé.

Conclusion

[52]      La SPR a conclu que les États‑Unis étaient une démocratie forte et que le demandeur avait plusieurs recours à sa disposition pour porter sa cause en appel. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État et n’avait pas démontré qu’il existait une possibilité raisonnable qu’il soit persécuté ou qu’il soit, selon la prépondérance des probabilités, exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou d’être soumis à la torture s’il retournait aux États‑Unis. Par conséquent, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[53]      Le demandeur soulève les questions en litige suivantes dans la présente instance :

a. La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’un système judiciaire qui ne répond pas aux exigences d’équité et d’application régulière de la loi reconnues internationalement peut néanmoins fournir une protection adéquate?

b. En ce qui a trait à la protection de l’État, la SPR a‑t‑elle commis une erreur en ignorant des éléments de preuve qui contredisaient directement ses conclusions?

c. La SPR a‑t‑elle commis une erreur de droit dans son interprétation du paragraphe 171 du Guide du HCNUR et son interprétation du droit étranger concernant les moyens de défense qui peuvent être invoqués dans le système de cours martiales aux États‑Unis?

d. En ce qui concerne le traitement différent, la SPR a‑t‑elle tiré des conclusions déraisonnables sans égard à la preuve et non étayées par celle‑ci?

NORME DE CONTRÔLE

[54]      Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle dans chaque espèce. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’appliquer. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs qui entrent en jeu dans l’analyse relative à la norme de contrôle.

[55]      Les deux premières questions touchent à la protection de l’État. Au paragraphe 36 de l’arrêt Flores Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de contrôle applicable à une conclusion relative à la protection de l’État était la norme de la décision raisonnable. Le juge Leonard Mandamin a adopté cette approche dans la décision Lozada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 397, au paragraphe 17. En outre, dans la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, au paragraphe 11, la juge Danièle Tremblay‑Lamer a statué que la norme de contrôle applicable à une conclusion relative à la protection de l’État était celle de la décision raisonnable. La norme de la décision raisonnable est donc la norme applicable aux deux premières questions.

[56]      L’interprétation du droit étranger est une question de fait (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Saini, 2001 CAF 311, [2002] 1 C.F. 200, au paragraphe 26). Dans la décision Vassey, précitée, le juge André Scott a examiné, suivant la norme de la décision raisonnable, l’analyse de la SPR concernant la question de savoir si le demandeur serait en mesure d’invoquer le moyen de défense fondé sur l’existence d’un ordre illégal.

[57]      L’interprétation de dispositions législatives autres que celles de la loi constitutive du tribunal administratif en cause est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (arrêt Dunsmuir, précité). Dans la décision Key c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 838, [2009] 2 R.C.F. 625, le juge Robert Barnes a conclu que l’interprétation du paragraphe 171 du Guide du HCNUR faite par la SPR était susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Suivant les principes énoncés dans l’arrêt Dunsmuir, l’interprétation des paragraphes applicables du Guide du HCNUR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, mais l’application de ces paragraphes aux faits de la demande est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[58]      La question de la peine différente soulève celle de savoir si le demandeur serait persécuté à son retour aux États‑Unis. La question de l’interprétation de la « persécution » faite par la SPR est une question mixte de fait et de droit et, lorsqu’il effectue cet exercice, le tribunal interprète sa loi constitutive (voir Sow c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1313, aux paragraphes 17 à 21). Dans l’arrêt Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160, aux paragraphes 26 à 34, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’une telle question était susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. De plus, l’analyse de la persécution faite par la SPR touche l’interprétation de la preuve. Par conséquent, la quatrième question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Alhayek c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1126, au paragraphe 49).

[59]      Lorsqu’une décision est soumise au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59). En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartiendrait pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

Dispositions législatives

[60]      Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

3. […]

(3) L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet :

a) de promouvoir les intérêts du Canada sur les plans intérieur et international;

b) d’encourager la responsabilisation et la transparence par une meilleure connaissance des programmes d’immigration et de ceux pour les réfugiés;

c) de faciliter la coopération entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux, les États étrangers, les organisations internationales et les organismes non gouvernementaux;

d) d’assurer que les décisions prises en vertu de la présente loi sont conformes à la Charte canadienne des droits et libertés, notamment en ce qui touche les principes, d’une part, d’égalité et de protection contre la discrimination et, d’autre part, d’égalité du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada;

e) de soutenir l’engagement du gouvernement du Canada à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada;

f) de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire.

Interprétation et mise en œuvre

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

[…]

Définition de « réfugié »

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Personne à protéger

[61]      Les paragraphes 169 et 171 du Guide du HCNUR sont rédigés comme suit :

Un déserteur ou un insoumis peut donc être considéré comme un réfugié s’il peut démontrer qu’il se verrait infliger pour l’infraction militaire commise une peine d’une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Il en irait de même si l’intéressé peut démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté pour ces motifs, indépendamment de la peine encourue pour désertion.

[…]

N’importe quelle conviction, aussi sincère soit‑elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution.

LES ARGUMENTS

Le demandeur

[62]      Le demandeur souligne que les circonstances de la présente demande sont très semblables à celles de l’affaire Vassey, précitée. Dans les deux cas, le décideur est le même, les deux demandeurs appartenaient à la même unité de la 82e division aéroportée et les avocats ont présenté des éléments de preuve semblables à l’appui des deux demandes d’asile. La Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire de M. Vassey et le demandeur soutient que la SPR a commis bon nombre des mêmes erreurs dans son cas.

[63]      Le demandeur soutient que, tout comme dans la décision Vassey, la SPR a passé un temps considérable à résumer des parties des éléments de preuve qui lui avaient été présentés. De même, tout comme dans la décision Vassey, l’analyse de la SPR est loin d’être raisonnable et ne mentionne pas des éléments de preuve en contradiction directe avec ses conclusions.

Le paragraphe 171 du Guide du HCNUR

[64]      Selon le demandeur, si un soldat doit être puni pour avoir refusé de s’associer à des violations des règles des conflits armés, il a droit à l’asile suivant le paragraphe 171 du Guide du HCNUR (Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 C.F. 540 (C.A.) à la page 555).

[65]      Le demandeur a présenté une preuve abondante décrivant en détail des actions de l’armée américaine qui sont régulièrement condamnées, notamment dans des rapports provenant de sources crédibles et son témoignage quant à ses expériences personnelles et celles d’autres personnes. La SPR a conclu que les États‑Unis n’exigeaient pas que ses combattants commettent des violations généralisées du droit humanitaire ni ne leur permettraient d’agir de la sorte. Or, pour arriver à cette conclusion, elle n’a mentionné aucune des centaines de pages de preuve documentaire indiquant qu’il en était autrement. Le demandeur a présenté une preuve importante provenant de sources indépendantes crédibles et, en l’absence de tout renvoi à cette preuve dans les motifs, la décision ne saurait, selon lui, être considérée comme raisonnable.

[66]      À titre d’exemple, la conclusion de la SPR selon laquelle la Convention de Genève n’était pas régulièrement violée contredit directement la preuve concernant les descentes accompagnées de violence faites dans des résidences de civils. Le demandeur a également fourni dans son témoignage une description détaillée de ces types de descentes. Des éléments de preuve semblables ont été présentés à la Cour dans la décision Key, précitée, où il est écrit ce qui suit au paragraphe 5 :

La Commission a conclu que M. Key n’était pas un objecteur de conscience au sens habituel, à savoir une personne qui s’oppose à la guerre en général, et que ses objections au conflit en Iraq n’avaient pas de motivations d’ordre politique ni religieux. M. Key s’opposait plutôt aux violations systématiques des droits de la personne qui découlaient de la conduite de l’armée des États‑Unis en Iraq et à son obligation d’y participer. La Commission a résumé le témoignage de M. Key concernant ces événements et a comparé ses expériences aux observations formulées par le Comité international de la Croix‑Rouge (CICR) dans son rapport de 2003. La Commission semble bien avoir trouvé que les expériences de M. Key étaient compatibles avec les constatations du CICR, tel qu’il appert des passages suivants de la décision de la Commission :

M. Key a exécuté au moins soixante‑dix descentes dans des domiciles de citoyens irakiens, officiellement à la recherche d’armes. Aucune d’entre elles n’a été agréable. En pleine nuit, les portes étaient défoncées; les maisons étaient saccagées; les effets personnels jetés partout; les résidents sortis violemment de leur lit et forcés de sortir à l’extérieur par des soldats en uniforme lourdement armés et criant dans une langue étrangère; les musulmanes étaient honteuses du fait que leur corps était exposé; des garçons, trop grands pour leur âge, et les hommes étaient menottés et emmenés pour subir des interrogatoires, peu importe les conditions climatiques, pour ne jamais revenir, du moins c’est ce que M. Key croyait. Au cas où il y aurait eu un belligérant qu’il fallait forcer de se montrer, M. Key avait sous la main des grenades de phosphore blanc, ce qui était courant pour ce genre de travail. Il a indiqué que les fouilles n’étaient pas fructueuses, car son unité trouvait rarement des armes ou des objets de contrebande, même si elles ont donné un certain résultat, à savoir que les insurgés ont vite appris à cacher leurs fusils et leur matériel destiné à la fabrication de bombes à l’extérieur de leur domicile. [Note en bas de page omise.]

[67]      Dans son Formulaire de renseignements personnels, le demandeur a décrit avoir participé à des descentes semblables. À l’audience, il a déclaré que les descentes accompagnées de violence effectuées dans des maisons de civils constituaient une pratique courante de son unité en Afghanistan. Il a également présenté en preuve des photographies des « boîtes chaudes » dans lesquelles des détenus étaient placés pour une période indéfinie, cagoulés et menottés, en attente d’être interrogés plus longuement.

[68]      Un rapport intitulé Rapport du comité international de la Croix-Rouge (CICR) sur le traitement réservé par les forces de la coalition aux prisonniers de guerre et autres personnes protégées par les Conventions de Genève en Irak durant l’arrestation, l’internement et l’interrogatoire (février 2004) et que la Cour a mentionné dans la décision Key, a également été présenté à la SPR. Ce rapport condamne la pratique des descentes menées avec violence par l’armée américaine dans des maisons. Selon la description qui en est faite, les descentes tendaient à suivre un modèle, dont les caractéristiques comprenaient, de façon extrême, des mauvais traitements, de la violence et de l’humiliation à l’endroit de civils. Le rapport conclut expressément que les États‑Unis ne se sont pas conformés aux obligations internationales liées à l’arrestation et à la détention de combattants et de non‑combattants pendant le conflit. Des lettres d’Amnistie internationale décrivant la façon dont les forces américaines ont constamment pratiqué des descentes avec violence chez les civils ont également été présentées à la SPR. Ces actions comportaient des violations de la Convention de Genève et, par conséquent, constituent une conduite qui tombe sous le coup du paragraphe 171 du Guide du HCNUR (Key).

[69]      Les éléments de preuve dont disposait la SPR contredisent directement sa conclusion selon laquelle les États‑Unis n’ont pas, que ce soit par une politique délibérée ou l’indifférence des autorités, exigé de leurs combattants qu’ils commettent des violations généralisées du droit humanitaire ou les ont autorisés à agir de la sorte. Selon le demandeur, vu l’omission de la SPR de mentionner les nombreux éléments de preuve documentaire portant sur cette pratique régulière à laquelle l’armée américaine a recours, il est raisonnable d’inférer que la SPR a ignoré ces éléments de preuve (Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331 (Ozdemir)).

[70]      Le demandeur indique que la preuve concernant les descentes dans les maisons de civils ne constitue qu’un exemple parmi d’autres des pratiques militaires couramment employées par l’armée américaine et qui violent la Convention de Genève. La SPR disposait aussi d’éléments de preuve concernant la pratique de la « reconnaissance par le feu », régulièrement effectuée par l’armée américaine sans prendre de mesures de précaution en vue de réduire les victimes civiles, ainsi que la torture des détenus et la pratique de sciemment remettre des détenus aux autorités pour qu’ils soient torturés. Le demandeur fait valoir que des éléments de preuve présentés à la SPR indiquent que ces pratiques ne constituaient pas des incidents isolés et que l’omission de la SPR de les mentionner rend sa conclusion sur ce point déraisonnable (arrêt Ozdemir, précité).

La protection de l’État, les moyens de défense et le paragraphe 171 du Guide du HCNUR

[71]      Le demandeur soutient que la SPR a mal compris le droit concernant l’opposition d’un moyen de défense à l’égard d’accusations de désertion de l’armée américaine, erreur également commise par le même commissaire dans la décision Vassey. Dans cette décision, la Cour a déclaré que la SPR avait commis une erreur en concluant que le moyen de défense fondé sur des « ordres illégaux » aux États‑Unis ne se limitait pas à la perpétration d’un crime de guerre. Il ressort clairement de la jurisprudence américaine que le moyen de défense fondé sur des ordres illégaux est limité aux situations où un soldat reçoit directement l’ordre de commettre un acte positif qui constitue un crime de guerre (United States v. Yolanda M. Huet‑Vaughn, 43 M.J. 105 (C.A.A.F. 1995) (Huet‑Vaughn)).

[72]      Dans la décision Vassey, la Cour a déclaré ce qui suit aux paragraphes 69, 70 et 75 :

En ce qui concerne l’arrêt Huet‑Vaughn de la Cour d’appel des É.‑U. pour les Forces armées, la Cour convient avec le demandeur que l’interprétation qu’en a faite la Commission était déraisonnable. La Cour d’appel des États‑Unis pour les Forces armées a dit ceci (aux paragraphes 43 et 45) :

[traduction] Dans la mesure où la capitaine Huet‑Vaughn a quitté son unité à cause de réserves morales ou éthiques, ses convictions n’étaient pas pertinentes parce qu’elles ne constituaient pas un moyen de défense […]

[…]

Dans la mesure où les actions de la capitaine Huet‑Vaughn représentaient un refus d’obéir à un ordre qu’elle considérait comme illégal, les éléments de preuve offerts n’étaient pas pertinents. La soi‑disant « défense de Nuremberg » ne s’applique qu’aux actes individuels commis en temps de guerre; elle ne s’applique pas à la décision du gouvernement de déclencher une guerre. Le devoir de désobéir à un ordre illégal s’applique seulement à un « acte positif qui constitue un crime », lequel est « si hors du champ de compétence juridique du commandant qu’il est impossible de douter rationnellement de son illégalité ». La capitaine Huet‑Vaughn n’a présenté aucun élément de preuve indiquant qu’elle a personnellement reçu l’ordre de commettre un « acte positif » qui constituerait un crime de guerre.

La Commission a conclu [aux paragraphes 43 et 44] que cette décision n’établissait pas en principe que « le fait d’invoquer un ordre illégal comme [moyen de] défense ne s’applique que dans des cas extrêmes, comme des crimes de guerre ou de graves infractions à la Convention de Genève » et que « la [cour d’appel des forces armées des États‑Unis] n’a pas décidé si une personne pouvait soulever la question de savoir si elle s’était vue ou non ordonner de commettre un acte illégal ».

[…]

Le fait que le demandeur ne pourrait pas présenter d’éléments de preuve portant sur le motif de sa désertion ni l’illégalité de la conduite exigée de lui en Afghanistan, éléments qui seraient susceptibles de démontrer une violation des Conventions de Genève sur les règles des conflits armés, touche directement à l’existence de la protection de l’État.

[73]      Le demandeur soutient que même si le moyen de défense des ordres illégaux en vertu du droit américain ne s’applique qu’aux actes positifs qui constituent un crime de guerre, la conduite qui se situe bien au‑dessous d’un crime de guerre peut fonder une demande d’asile en vertu du paragraphe 171 du Guide du HCNUR. Voici ce qu’a déclaré la Cour aux paragraphes 29 et 30 de la décision Key :

Il ressort clairement des passages qui précèdent qu’une inconduite militaire officiellement tolérée qui est loin de constituer un crime de guerre peut fonder une demande d’asile. En effet, les sources indiquent qu’une action militaire qui dégrade, maltraite ou humilie systématiquement soit des combattants ou des non‑combattants peut fonder une demande d’asile lorsqu’il est démontré qu’il s’agit là du motif du refus de servir. J’ai donc conclu que la Commission avait commis une erreur en imposant une norme juridique trop restrictive à M. Key.

J’ajouterais que l’affirmation de la Commission selon laquelle la participation passée au combat de M. Key ne serait pas suffisante pour fonder sa demande d’asile à moins qu’elle constitue une conduite visée par les clauses d’exclusion ne peut pas être correcte. En effet, cela donnerait lieu à une situation sans issue où les faits à démontrer pour obtenir le droit d’asile excluraient nécessairement le demandeur d’asile de cette protection. [Souligné dans l’original.]

[74]      Malgré la jurisprudence de la Cour fédérale susmentionnée, la SPR a déclaré au paragraphe 147 de la décision qu’elle ne pouvait pas conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne serait pas en mesure d’invoquer le moyen de défense de l’ordre illégal ou que cette question relevait du paragraphe 171. Le demandeur soutient que la SPR a commis la même erreur que dans la décision Vassey. Elle a mal compris la définition de la conduite visée par le paragraphe 171 du Guide du HCNUR, en contradiction directe des directives de la Cour dans la décision Key. Le demandeur prétend de plus que peu importe que la SPR ait mal compris le paragraphe 171, ou les limites du moyen de défense des ordres illégaux aux États‑Unis, il est clair qu’elle a mal interprété le droit pertinent applicable à ses conclusions.

La protection de l’État, les moyens de défense et les « infractions liées à l’absence », par opposition aux « infractions liées aux ordres »

[75]      Le demandeur soutient que la SPR a omis de tenir compte de l’importante distinction entre les « infractions liées à l’absence » et les « infractions liées aux ordres » lorsqu’elle a examiné la protection de l’État en vertu du paragraphe 171 du Guide du HCNUR.

[76]      La Cour a déclaré ce qui suit aux paragraphes 71 à 75 de la décision Vassey :

Cependant, le demandeur a prétendu devant la Commission qu’il n’y avait pas de défense contre l’accusation de désertion, et non contre celle de désobéissance aux ordres. Cela est corroboré par les dépositions de deux experts et de trois militaires américains. Quoique la Commission ait résumé ces dépositions dans sa décision, elle ne les a pas évaluées et n’a pas expliqué pourquoi elle les rejetait. Elle a plutôt mis l’accent sur l’existence d’un droit d’appel dans le système des cours martiales et conclut que des individus dans une situation similaire auraient pu interjeter appel devant la Cour suprême américaine, ce qu’ils n’ont pas fait, et qu’il subsistait donc des recours pour obtenir la protection de l’État.

La Cour estime qu’il s’agit là d’une conclusion déraisonnable. Premièrement, comme le demandeur l’a noté dans sa réplique, l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême des É.‑U. a été refusée dans l’affaire Huet‑Vaughn, de sorte que c’est le droit qui prévaut. De plus, les dépositions des professeurs, de l’intervenant et des militaires, outre l’affaire Huet‑Vaughn, démontrent que l’accusation de désertion est considérée comme une infraction de responsabilité stricte pour laquelle le motif de la désertion n’est pas pertinent.

Le Guide du HCNUR reconnaît que le fait de poursuivre les déserteurs ne constitue pas, en règle générale, de la persécution. Cependant, le paragraphe 171 formule une réserve :

N’importe quelle conviction, aussi sincère soit‑elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution..

Quoique la Commission ait noté avec raison que, suivant la décision du juge Zinn dans la décision Lowell, précitée, le demandeur doit d’abord démontrer l’absence de la protection de l’État avant de soulever les faits en vertu du paragraphe 171 du Guide des procédures du HCNU, l’argument du demandeur touchait directement à la question de la protection de l’État.

Le fait que le demandeur ne pourrait pas présenter d’éléments de preuve portant sur le motif de sa désertion ni l’illégalité de la conduite exigée de lui en Afghanistan, éléments qui seraient susceptibles de démontrer une violation des Conventions de Genève sur les règles des conflits armés, touche directement à l’existence de la protection de l’État.

[77]      Dans ses observations, le demandeur a expliqué que les soldats de l’armée américaine n’étaient pas en mesure de présenter des éléments de preuve concernant les motifs de leur désertion, peu importe la nature de ces motifs. Il a également présenté l’arrêt Huet‑Vaughn, de même que d’autres jugements montrant la façon dont le droit était appliqué.

[78]      La SPR a examiné, aux paragraphes 115 à 133 de la décision, les observations du demandeur selon lesquelles il ne serait pas en mesure d’invoquer un moyen de défense. Elle a consacré beaucoup de temps au résumé de la preuve et, aux paragraphes 130 à 133, elle semble accepter la déclaration du demandeur qu’il ne serait pas en mesure d’invoquer ces moyens de défense.

[79]      Le paragraphe 171 du Guide du HCNUR prévoit qu’une peine prévue pour la désertion constitue de la persécution, quelle que soit cette peine, lorsque la désertion est motivée par un refus d’être associé aux actions visées par le paragraphe 171. Compte tenu du fait que la SPR reconnaît que le demandeur ne serait pas en mesure d’opposer un moyen de défense fondé sur le refus de participer à des actions visées par le paragraphe 171 à l’égard d’accusations de désertion, le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il avait omis de réfuter la présomption de protection de l’État sur ce point.

Le système des cours martiales américain n’est pas conforme aux normes internationales

[80]      Le demandeur soutient que la cour martiale américaine n’est pas un tribunal indépendant et impartial, tant du point de vue de la structure que dans la pratique (arrêt Généreux, précité). Devant la SPR, il a fait valoir que la protection de l’État ne pourrait pas être raisonnablement assurée dans un système de justice qui ne se conforme pas aux exigences fondamentales d’équité reconnues sur le plan international. Dans sa décision, la SPR ne conclut pas que le système des cours martiales américain est conforme à ces normes, mais déclare qu’un système qui ne respecte pas ces normes fondamentales est néanmoins « adéquat ».

[81]      Le demandeur prétend que la SPR a appliqué le mauvais critère juridique pour établir ce qu’est une protection « adéquate ». Selon lui, il est erroné de conclure qu’un système qui n’est pas conforme aux exigences fondamentales d’équité reconnues sur le plan international peut néanmoins offrir une protection « adéquate ». Le demandeur soutient que l’interprétation par la SPR du mot « adéquate » va à l’encontre de la jurisprudence applicable, du Guide du HCNUR et de la Loi.

[82]      L’article 3 de la Loi prévoit qu’elle doit être interprétée et appliquée d’une manière conforme aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire (de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655; Okoloubu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 326, [2009] 3 R.C.F. 294). Le demandeur fait valoir que la conclusion de la SPR portant qu’un système qui n’est pas conforme à ces normes est néanmoins adéquat ne respecte pas l’alinéa 3(3)f) de la Loi.

[83]      Le demandeur fait de plus valoir que le libellé de l’article 97 entre également en conflit avec une interprétation d’une protection de l’État « adéquate » qui accepterait des systèmes judiciaires qui ne sont pas conformes aux normes internationales concernant un système de tribunaux indépendants et impartiaux. L’article 97 indique que des peines cruelles et inusitées ne peuvent inclure une peine qui est inhérente ou accessoire à des sanctions légales, dans la mesure où les sanctions sont imposées conformément aux normes internationales reconnues. On doit donc présumer qu’un système de tribunaux qui n’est pas conforme à la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], au Pacte international relatif aux droits civils et politiques [16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47 (PIDCP)], à la Convention européenne des droits de l’homme [Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221] et à la Déclaration universelle des droits de l’homme [Rés. AG 217 A (III), Doc. NU A/810, à la p. 71 (1948)] doit être inadéquat.

[84]      Dans la décision Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 420, [2007] 1 R.C.F. 561, la juge Anne Mactavish de la Cour fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 218 :

Enfin, pour examiner l’argument des demandeurs selon lequel les dispositions légales américaines ont une portée trop limitée, dans la mesure où elles refusent aux membres des forces armées le droit d’exprimer des objections de conscience authentiques à des actions militaires particulières, il convient de tenir compte du paragraphe 60 du Guide. Le paragraphe 60 énonce que, pour décider si la peine prévue par le droit d’une autre nation constitue de la persécution, il est possible d’utiliser la loi du pays saisi de la demande d’asile comme « un point de référence » dans l’évaluation de la demande.

[85]      Les paragraphes pertinents du Guide du HCNUR sont rédigés comme suit (paragraphes 59 et 60) :

Pour déterminer si les poursuites équivalent à une persécution, il faudra également se reporter aux lois du pays en question, car il se peut que la loi elle‑même ne sort pas conforme aux normes admises en matière de droits de l’homme. Plus souvent, cependant, ce ne sera pas la loi, mais l’application de la loi qui sera discriminatoire. Des poursuites pour une infraction contre « l’ordre public », par exemple la distribution de tracts, peuvent être un moyen de persécuter l’individu en raison du contenu politique de la publication.

En pareil cas, compte tenu des difficultés que présente manifestement l’évaluation des lois d’un autre pays, les autorités nationales seront souvent amenées à prendre leur décision par référence à leurs propres lois nationales. En outre, il peut être utile de se référer aux principes énoncés dans les divers instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier dans les pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, qui ont force obligatoire pour les états parties et qui sont des instruments auxquels ont adhéré nombre des états parties à la Convention de 1951.

[86]      Compte tenu de ce qui précède, le demandeur soutient que le HCNUR a clairement indiqué que le Canada peut utiliser les principes décrits dans les instruments internationaux tels que le PIDCP, ainsi que s’en remettre à son propre système de justice militaire pour déterminer ce qu’est une protection de l’État « adéquate ». Des décisions comme Généreux l’ont également souligné et des experts comme le professeur Fidell l’ont confirmé. À ce titre, le demandeur soutient que la conclusion de la SPR selon laquelle le système de justice militaire américain est en mesure d’assurer une protection « adéquate » n’est pas raisonnable.

[87]      De plus, le demandeur fait valoir qu’il était déraisonnable que la SPR privilégie l’opinion du professeur Hansen, compte tenu du contenu de cette opinion. Essentiellement, selon le professeur Hansen, la Cour suprême du Canada et la communauté internationale se trompent sur ce qu’est l’équité. Le demandeur soutient que même si le commissaire de la SPR a le droit de faire sienne cette opinion, les tribunaux administratifs au Canada sont liés par l’interprétation de la Cour suprême du Canada de ce qu’est l’équité.

[88]      Au paragraphe 108 de la décision, la SPR conclut qu’un système de justice n’est pas inadéquat simplement parce qu’il est fondé sur le modèle inquisitoire. Le demandeur souligne que des aspects du droit canadien comportent encore un modèle inquisitoire, mais que le tribunal qui fonctionne selon ce système peut quand même être indépendant et impartial. Cela fait ressortir la façon dont la SPR a mal interprété les arguments du demandeur sur ce point. Le problème ne réside pas dans le fait que le système américain n’est pas le même que le système canadien, mais bien dans le fait que le système américain n’est pas équitable.

[89]      Dans l’arrêt Généreux, la Cour suprême du Canada a fourni un point de départ pour mesurer l’équité au sein d’un système de cours martiales indépendantes et impartiales. Le problème réside dans le fait que le système américain ne respecte pas les normes d’équité de base énoncées dans le droit intérieur et le droit international. Par exemple, aux États‑Unis, un commandant possède un pouvoir considérable sur l’ensemble du processus. Toutefois, au Canada et au Royaume‑Uni, des modifications ont été apportées aux lois pour séparer le système judiciaire militaire du pouvoir exécutif pour faire en sorte que les tribunaux militaires soient indépendants et impartiaux.

[90]      De plus, l’ancien système de cours martiales canadien examiné dans l’arrêt Généreux est très semblable au système qui existe aux États‑Unis aujourd’hui. L’ancien système canadien incluait un système d’appel et des représentants du JAG [juge-avocat général]. La Cour suprême du Canada a néanmoins conclu que ce système violait les trois exigences relatives à un tribunal indépendant et impartial et que le pouvoir exécutif maintenait un niveau d’influence inacceptable sur l’ensemble du processus. La Cour européenne des droits de l’homme a également tiré des conclusions semblables concernant le système de cours martiales du Royaume‑Uni qui, à l’époque, reflétait grandement celui qui existe actuellement aux États‑Unis (Findlay v. The United Kingdom, [1997] ECHR 8, 24 EHRR 221).

[91]      Une preuve importante a été présentée à la SPR sur cette question. Le professeur Fidell enseigne le droit militaire à l’université Yale. Il est président du National Institute for Military Justice aux États‑Unis et participe à la « Réunion d’experts » convoquée à Genève par le Haut‑commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies concernant le projet de principes sur l’administration de la justice par les tribunaux militaires. Après avoir examiné tout un éventail de facteurs, il a finalement conclu qu’il [traduction] « est douteux que le système de justice militaire des États‑Unis puisse être maintenu s’il devait être examiné en fonction des normes canadiennes ou internationales contemporaines ».

[92]      La SPR a conclu qu’elle préférait l’opinion du professeur Hansen. Ce dernier ne conteste pas le fait que le système américain ne respecte pas les normes internationales relatives aux tribunaux indépendants, mais, à son avis, cela ne rend pas le système foncièrement inéquitable. Le demandeur souligne que rien n’indique la façon dont le professeur Hansen mesure l’équité, autrement qu’en donnant son opinion personnelle. Selon l’article du professeur Hansen, celui‑ci estime qu’il est « équitable » de sacrifier les droits individuels des soldats, parce que des intérêts concurrents tels que la déployabilité, le contrôle et la discipline l’exigent. En ce sens, le professeur Hansen est tout simplement en désaccord avec l’orientation qu’ont prise la Cour suprême du Canada et la communauté internationale en ce qui concerne les normes d’équité de base dans un système de tribunaux.

[93]      La SPR rejette la preuve du professeur Fidell et de M. Rehkopf, qui ne s’appuient pas uniquement sur leur opinion personnelle concernant ce qui est équitable, mais qui se fondent sur les directives de la Cour suprême du Canada à l’égard de l’équité pour évaluer le système des cours martiales américain. Étant donné que les arrêts de la Cour suprême du Canada lient la SPR et vu le rôle que jouent les normes établies dans la communauté internationale dans le contexte de la prise de décisions en vertu des articles 96 et 97 de la Loi, le demandeur fait valoir qu’il était déraisonnable que la SPR privilégie l’opinion du professeur Hansen. Il était également déraisonnable que la SPR rejette la directive donnée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Généreux ainsi que les normes énoncées dans les instruments internationaux.

Peine différente

[94]      Le demandeur a soutenu qu’une peine disproportionnée lui serait imposée aux États‑Unis parce qu’il a publiquement exprimé ses opinions contre les guerres en Iraq et en Afghanistan. Selon le paragraphe 169 du Guide du HCNUR, une peine imposée pour la désertion peut constituer de la persécution si cette peine est différente.

[95]      Dans l’arrêt Hinzman, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu que la grande majorité des déserteurs de l’armée américaine n’étaient pas formellement poursuivis. Le demandeur a présenté des éléments de preuve montrant que les quelques déserteurs qui sont poursuivis incluent ceux qui ont fait publiquement part de leur opposition aux efforts de guerre des États‑Unis. Il a également présenté des éléments de preuve montrant que les opinions publiques de ces soldats étaient les motifs pour lesquels ils étaient choisis comme cibles de poursuites plutôt que de faire l’objet d’un renvoi par mesure administrative.

[96]      Dans la décision Rivera, précitée, la Cour a déclaré ce qui suit aux paragraphes 88 et 99 :

Dans leur demande d’ERAR, les demandeurs ont présenté des éléments de preuve et des arguments visant à démontrer que les autorités militaires américaines ont modifié leur position et appliquent des mesures plus sévères contre les déserteurs qui se sont prononcés publiquement contre la guerre en Iraq. Selon eux, l’État, ou tout au moins l’aile militaire de l’État, réserve maintenant un traitement spécial à ceux qui se sont absentés sans permission (ASP) et qui ont exprimé publiquement leur opposition à la guerre en Iraq. Cela signifie que les autorités ont décidé de les traduire devant la cour martiale, plutôt que de les renvoyer par mesure administrative, et de les punir plus sévèrement afin d’en faire des exemples et d’empêcher que d’autres commettent des actes similaires. […]

[…]

[…] La demanderesse principale a produit de nombreux éléments de preuve sur le ciblage de personnes se trouvant dans une situation semblable, mais ces éléments n’ont jamais été considérés sous cet angle. De plus, l’agente a été saisie d’éléments de preuve démontrant que, pour ce qui concerne les déserteurs qui s’étaient prononcés contre la guerre, des procureurs demandaient à ce qu’ils soient traités plus sévèrement, et des juges leur infligeaient des peines plus sévères. Ce constat soulève à nouveau la question de l’exercice discriminatoire du pouvoir discrétionnaire du poursuivant et des juges à l’égard des soldats qui se sont publiquement exprimés contre la guerre en Iraq. Ce qui, à son tour, soulève des doutes sur les garanties procédurales et la protection de l’État dont bénéficient les personnes ciblées qui font l’objet de poursuites (plutôt que d’être renvoyées par mesure administrative) et qui sont punies sévèrement en raison de leurs opinions politiques.

[97]      Le demandeur soutient qu’en concluant à l’existence d’une protection de l’État adéquate, la SPR n’a pas mentionné les mécanismes de protection que renferme le système pour empêcher l’exercice discriminatoire du pouvoir discrétionnaire de poursuivre. La SPR indique plutôt qu’un traitement différent quant à la poursuite engagée est un aspect nécessaire de tout système de justice criminelle et est bénéfique pour tout système de justice criminelle.

[98]      Les conclusions susmentionnées comportent les mêmes erreurs que celles commises dans la décision Vassey. En effet, la SPR reconnaît que le système américain n’a aucun mécanisme de correction pour surveiller l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Or, elle rejette ce facteur de risque en concluant que le pouvoir discrétionnaire est bénéfique pour le système de justice. Même si cela est vrai, le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuite doit néanmoins être exercé avec impartialité et en respectant la loi.

[99]      Dans la décision Vassey, la Cour a déclaré ce qui suit aux paragraphes 77 à 81 :

[…] La Cour a reconnu qu’un nombre disproportionné de personnes qui se sont prononcées contre les guerres en Iraq et en Afghanistan ont été effectivement poursuivies pour désertion.

Par exemple, dans la décision Rivera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 814, le juge Russell a révisé une décision de la Commission en ce qui avait trait à l’utilisation du pouvoir discrétionnaire de poursuivre dans le but d’infliger un traitement plus sévère aux individus s’étant prononcées contre la guerre par le moyen d’un procès en cour martiale. Au paragraphe 101, le juge Russell a conclu ce qui suit à propos de la décision de la Commission :

[…] il faut reprendre l’ensemble de l’analyse relative à la protection de l’État en tenant compte du risque allégué, et de la preuve à l’appui, à savoir que les autorités américaines n’appliqueront pas une loi d’application générale de façon neutre, mais qu’elles choisiront la demanderesse principale comme cible de poursuites et de sanctions simplement du simple fait de ses opinions politiques, alors que d’autres déserteurs, qui ne se sont pas prononcés contre la guerre en Iraq, ont fait l’objet de renvoi par mesure administrative.

En l’espèce, la Commission a largement ignoré la preuve présentée par le demandeur relativement à des individus placés dans des situations similaires et au pouvoir discrétionnaire du poursuivant. La Commission a conclu que le système de justice bénéficiait de ce pouvoir discrétionnaire et que son exercice était approprié en présence de facteurs aggravants.

Le paragraphe 169 du Guide des procédures du HCNUR indique que :

Un déserteur ou un insoumis peut donc être considéré comme un réfugié s’il peut démontrer qu’il se verrait infliger pour l’infraction militaire commise une peine d’une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Il en irait de même si l’intéressé peut démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté pour ces motifs, indépendamment de la peine encourue pour désertion.

À ce titre, il ressort du Guide des procédures du HCNUR, ainsi que de la jurisprudence précitée, que l’utilisation du pouvoir discrétionnaire de poursuivre pour infliger à un déserteur une peine d’une sévérité disproportionnée en raison de ses opinions politiques peut constituer de la persécution.

[100]   Le demandeur soutient qu’il est déraisonnable que la SPR conclue à l’existence de la protection de l’État contre le risque de traitement différent quant à la poursuite en se fondant uniquement sur le fait que l’exercice du pouvoir discrétionnaire fait partie du système de justice criminelle. Il fait de plus valoir que la SPR est tenue, dans le cadre d’une analyse complète relative à la protection de l’État, d’examiner la façon dont le système protégerait une personne en cas d’exercice inapproprié du pouvoir discrétionnaire de poursuivre.

La preuve du risque de traitement différent quant à la sanction

[101]   Le demandeur soutient que les conclusions de la SPR sur la question du traitement différent quant à la poursuite étaient déraisonnables. La SPR a fondé sa conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas exposé à un risque de traitement différent à cet égard sur une brève comparaison des peines dont ont fait l’objet ceux qui se sont exprimés publiquement contre la guerre et ceux qui ne l’ont pas fait. La SPR énumère ensuite un certain nombre de personnes, à savoir Tony Anderson, Abdullah William Webster et Ryan Jackson, à qui des peines plus importantes ont été imposées et déclare [au paragraphe 156] qu’« [i]l n’existe aucun élément de preuve convaincant montrant que ces personnes ont déclaré publiquement qu’elles s’opposaient à la guerre. » Le demandeur soutient que cette conclusion est déraisonnable. Il ressort clairement des éléments de preuve au dossier que toutes ces personnes s’étaient publiquement déclarées contre les efforts de guerre américains.

[102]   En ce qui concerne Tony Anderson, la SPR disposait d’un article public expliquant la façon dont il s’était prononcé contre la guerre en Iraq et que plusieurs organisations appuyaient ses opinions. Il a été ASP pendant uniquement 22 jours, mais s’est vu imposer une peine de 14 mois dans une prison militaire pour désertion. Étant donné que ce qui précède contredit directement la conclusion de la SPR selon laquelle elle ne disposait d’aucun élément de preuve convaincant montrant que Tony Anderson s’était publiquement opposé à la guerre, le demandeur soutient qu’il est raisonnable d’inférer que la SPR n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve lorsqu’elle a rendu sa décision sur ce point (arrêt Ozdemir, précité).

[103]   Les renseignements que la SPR mentionne concernant les cas de Webster, de Jackson et d’Anderson sont présentés sous la forme d’un tableau, provenant de la source en ligne Wikipédia, intitulé « Punishments given to Iraq war deserters » [« peines imposées aux déserteurs de la guerre en Iraq »] soumis par le ministre. Le titre du document lui‑même indique que ces hommes se sont opposés à la guerre en Iraq. De plus, la source de renseignements citée dans l’article Wikipédia discute des cas de différents opposants publics. Abdullah William Webster est décrit comme un [traduction] « prisonnier de conscience ». Il y a aussi des déclarations du groupe appelé Courage to Resist qui appuie Ryan Jackson.

[104]   La professeure Cohn et Mme Gilberd ont indiqué dans leur déclaration qu’il était courant que des déclarations publiques contre la guerre entraînent des peines pour désertion plus sévères. Selon la déclaration d’Eric Seitz, un avocat en droit militaire, il est courant depuis 2002 que des congés du service militaire ne soient pas accordés aux objecteurs de conscience et ils ont [traduction] « fait l’objet de peines sévères, y compris de longues périodes d’incarcération » pour leurs objections.

[105]   Le demandeur fait valoir que la SPR disposait d’éléments de preuve importants qui ont été ignorés lorsqu’elle a analysé cette question. Il soutient que la SPR a passé un temps considérable à résumer les renseignements dont elle disposait, mais qu’elle a omis d’examiner ces documents de façon significative, ce qui rend la décision déraisonnable.

Le défendeur

La protection de l’État

[106]   Selon le défendeur, les observations du demandeur ne tiennent pas compte de la très grande importance du fardeau pour établir qu’il ne pouvait pas se prévaloir de la protection de l’État aux États‑Unis. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 [à la page 722], « [i]l est clair que l’analyse est axée sur l’incapacité de l’État d’assurer la protection: c’est un élément crucial lorsqu’il s’agit de déterminer si la crainte du demandeur est justifiée » [souligné dans l’original]. Il y a une présomption de protection de l’État et le demandeur doit la réfuter au moyen d’une preuve « claire et convaincante ».

[107]   Plus un pays est démocratique, plus lourd est le fardeau qui incombe au demandeur (Hinzman, au paragraphe 45). Dans l’arrêt Hinzman, la Cour d’appel fédérale a examiné le cas d’un déserteur de l’armée américaine et a conclu qu’il n’était pas admissible à l’asile au Canada parce qu’il pouvait se prévaloir de la protection de l’État. Le demandeur d’asile était tenu d’épuiser tous les recours disponibles aux États‑Unis sans avoir obtenu gain de cause avant de demander l’asile au Canada.

La conformité aux normes internationales

[108]   Comme l’a souligné la SPR [au paragraphe 70], la comparaison entre le droit de l’État d’origine et les normes canadiennes ou internationales ne constitue pas le « critère définitif ». La Cour d’appel fédérale a déclaré que dans un pays libre et indépendant comme les États‑Unis, le demandeur doit établir l’existence de « circonstances exceptionnelles » pour montrer que la protection de l’État est inefficace (arrêt Satiacum, précité). Parmi des exemples de telles circonstances, mentionnons celles « qui tendent à entâcher tout le régime de poursuites, la sélection du jury ou le jugement » [arrêt Satiacum, précité] ou celles où « l’indépendance ou le sens de l’équité des juges est en cause » [arrêt Satiacum, précité] (Usta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1525, aux paragraphes 15 et 16; Tuck c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 138, au paragraphe 14).

[109]   Le défendeur soutient qu’aucun élément de la sorte n’a été présenté en l’espèce. En fait, les éléments de preuve tendent à indiquer que le système de justice militaire comporte suffisamment de mesures de contrôle. Les cas d’influence indue de la chaîne de commandement ne signifient pas que l’ensemble du système de justice militaire a été entaché. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Satiacum, « [l]a notion de procès équitable dans un système judiciaire équitable et impartial doit tenir compte des mécanismes de correction qu’offre le système ».

[110]   Le défendeur fait valoir que la SPR a présenté une explication raisonnable pour privilégier l’opinion du professeur Hansen : il a mis l’accent sur la question de savoir si le système américain était équitable et non sur celle de savoir s’il respectait le droit canadien et britannique, ce qui n’était pas le critère.

Violation du droit international

[111]   Le défendeur souligne qu’il ressort clairement du paragraphe 171 du Guide du HCNUR que « [n]’importe quelle conviction […] ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou après insoumission ». La peine prévue pour la désertion peut constituer de la persécution lorsque l’action militaire en cause est « condamné[e] par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires ».

[112]   La décision Hinzman de la Cour fédérale explique que pour décider si les actions d’un gouvernement tombent sous le coup du paragraphe 171, il faut prendre en compte les trois facteurs énumérés dans l’arrêt Krotov, précité. Le premier facteur est le suivant (Hinzman, au paragraphe 139) :

[…] le niveau et la nature du conflit, ainsi que l’attitude des autorités gouvernementales compétentes, sont tels que les combattants sont ou peuvent être tenus de commettre des actes contraires aux règles fondamentales de conduite de façon généralisée et généralement reconnues par la communauté internationale.

Selon le défendeur, ce facteur est fatal à la demande du demandeur, car celui‑ci n’a pas établi que l’attitude du gouvernement américain satisfaisait à ce critère.

[113]   La simple survenance d’incidents isolés de violations du droit humanitaire international ne signifie pas que le gouvernement américain autorisait cette conduite. Comme l’a souligné la Cour fédérale dans la décision Hinzman [au paragraphe 169], « [i]l est généralement accepté que les violations isolées du droit humanitaire international constituent un aspect regrettable, mais inévitable des conflits ».

Le moyen de défense de l’ordre illégal

[114]   Le défendeur fait valoir que les observations du demandeur sur ce point ne sont pas claires : d’une part, il admet que la SPR a compris que le moyen de défense de l’ordre illégal ne s’appliquait pas à une accusation de désertion, et d’autre part, il prétend que la SPR n’a pas compris le droit.

[115]   En droit militaire américain, ce moyen de défense peut être invoqué par un accusé qui a refusé d’obéir à un ordre illégal, mais il ne peut être invoqué comme moyen de défense pour une accusation de désertion (décision Vassey, précitée). Le défendeur soutient que la SPR l’a compris, mais qu’elle n’était tout simplement pas convaincue que l’impossibilité d’invoquer ce moyen de défense réfutait la présomption de la protection de l’État. Il était loisible à la SPR de tirer cette conclusion. La preuve indiquait que le motif pour lequel une personne quittait l’armée pouvait être admis dans le cadre de la détermination de la peine. Il en est de même dans l’état actuel du droit au Canada.

[116]   Comme nous l’avons vu, le défendeur prétend de plus que les incidents décrits par le demandeur ne tombent pas sous le coup du paragraphe 171 du Guide du HCNUR. Le fait que le demandeur serait même en mesure d’invoquer ce moyen de défense relève donc de la conjecture.

La preuve concernant des personnes se trouvant dans une situation semblable

[117]   Les arguments du demandeur relatifs à la preuve concernant des personnes se trouvant dans une situation semblable supposent à tort que la peine pour éviter le service militaire doit être considérée comme de la persécution pour cause d’opinions politiques dans tous les cas où la motivation du refus d’accomplir des fonctions militaires est fondée sur des opinions politiques. La Cour d’appel fédérale a cependant clairement déclaré dans l’arrêt Zolfagharkhani, précité, à la page 550, que « la motivation politique d’un demandeur ne peut à elle seule régir la décision sur son statut de réfugié ».

[118]   Selon le défendeur, il était loisible à la SPR de conclure que le demandeur n’avait pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que les déserteurs ayant un profil public avaient fait l’objet de peines disproportionnellement sévères. Certains éléments de preuve du demandeur lui‑même indiquent que [traduction] « le pouvoir discrétionnaire du poursuivant varie d’une région à une autre et plus d’un élément est pris en compte pour la poursuite de ces cas ». Dans la décision Vassey, la Cour a répété qu’il incombait au demandeur de présenter des éléments de preuve pour prouver cette question selon la prépondérance des probabilités. Le défendeur soutient que le demandeur ne l’a pas fait.

La réponse du demandeur

[119]   Selon le défendeur, la prétention du demandeur selon laquelle le système de justice militaire américain doit répondre aux normes internationales est [traduction] « insoutenable », mais il ne concilie pas cette déclaration avec le libellé de l’article 97 de la Loi ni avec la jurisprudence présentée par le demandeur. Le défendeur soutient plutôt que l’arrêt Satiacum énonce un critère relatif aux « circonstances exceptionnelles » pour réfuter la présomption de protection de l’État.

[120]   Le demandeur fait valoir que le défendeur a mal énoncé le critère qui s’applique à la protection de l’État. Le critère applicable est le critère énoncé dans l’arrêt Ward, précité. Ce critère n’exige pas qu’un demandeur établisse des « circonstances exceptionnelles », peu importe son pays d’origine. Les commentaires de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Satiacum visaient la nature de la preuve qui pourrait être nécessaire pour entacher un système de tribunaux dans une démocratie développée comme les États‑Unis. Ce n’est pas le critère juridique pour réfuter la présomption de protection de l’État.

[121]   Le défendeur soutient que des mécanismes tels que les représentants du JAG et les mesures de protection contre l’influence indue de la chaîne de commandement sont des exemples de mécanismes d’autocorrection qui font en sorte que le système de justice militaire américain est équitable. Le demandeur souligne que des arguments semblables ont été présentés dans la décision Vassey et qu’ils ont été rejetés. L’existence de ces mécanismes n’est pas contestée. Ce qui était contesté était la question de savoir s’ils rendaient le système équitable.

[122]   Nonobstant les divergences d’opinions sur la façon de mesurer l’équité, nul ne conteste que lorsque des normes reconnues internationalement comme caractéristiques de base d’un système judiciaire sont utilisées comme point de référence, le système de cours martiales des États‑Unis ne répond pas à ces normes (Vassey).

[123]   Le défendeur soutient que la simple existence de mécanismes d’autocorrection est suffisante pour démontrer que la protection de l’État était adéquate. Le défendeur ne fournit cependant pas de renseignements sur la façon dont ces mesures de contrôle assurent dans la pratique une protection adéquate lorsqu’elles sont appliquées et le type de protection à laquelle on s’attend dans un système « adéquat ». L’arrêt Satiacum appuie en fait la prétention du demandeur qu’un système qui n’est pas indépendant et impartial ne peut assurer une protection de l’État adéquate. Voici ce qu’a déclaré la Cour d’appel [fédérale] dans l’arrêt Satiacum :

En l’absence d’une preuve de circonstances exceptionnelles faite par le revendicateur, il me semble que lors de l’audition d’une revendication du statut de réfugié, comme dans une requête en extradition, les tribunaux canadiens doivent tenir pour acquis qu’il existe un processus judiciaire équitable et impartial dans le pays étranger. Dans le cas d’un État non démocratique, il peut être facile de faire la preuve contraire, mais en ce qui a trait à un État démocratique comme les États‑Unis, il se peut qu’il faille aller jusqu’à démontrer, par exemple, que le processus de sélection du jury est gravement atteint dans la région en question ou que l’indépendance ou le sens de l’équité des juges est en cause [Note de bas de page : Dans l’arrêt Les États‑Unis d’Amérique c. Cotroni, rendu le 8 juin 1989; la Cour suprême du Canada a permis l’extradition vers les États‑Unis, en vue d’un procès, de citoyens canadiens arrêtés au Canada pour des infractions apparemment commises au Canada, qui auraient pu faire l’objet de poursuites au Canada. Au nom de la majorité, le juge La Forest conclut que « les poursuites criminelles fructueuses et la répression du crime constituent un objectif social qui se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles » (à la p. 29) et qu’« il n’appartient pas à cette Cour de se prononcer sur la validité des lois d’autres pays » (à la p. 31). En dissidence, le juge Wilson semble faire une exception pour les États‑Unis : « Le système de justice des États‑Unis, qui sont l’État requérant en l’espèce, est peut‑être très semblable au nôtre et les procédures qui y ont cours sont peut‑être aussi très analogues aux nôtres. Mais il n’en est pas nécessairement de même dans le cas de tous les États requérants » (à la p. 14). Le juge Sopinka reprend des propos semblables dans son opinion dissidente : « Je ne puis souscrire à cette qualification compte tenu de l’évantail des pays vers lesquels un citoyen peut être extradé. Nos citoyens peuvent être extradés non seulement vers les États‑Unis, mais encore vers des pays où les systèmes sont radicalement différents et dont les lois ne fournissent aucune des protections traditionnelles aux accusés » (à la p. 2).

[124]   Le demandeur souligne que la décision faisant l’objet du contrôle dans la décision Vassey était très semblable et que la Cour a conclu qu’elle était déraisonnable sur ce point.

[125]   De plus, le demandeur soutient que les normes d’équité qui sont enchâssées dans la Charte canadienne ne sont pas des droits exceptionnels, mais des droits fondamentaux à l’égard desquels toute dérogation doit être expressément justifiée. Dans l’arrêt Généreux, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’était pas dans l’intérêt d’une société libre et démocratique de refuser aux militaires le droit à une audition par un tribunal indépendant et impartial.

[126]   En ce qui concerne la sélection du jury, dans l’arrêt Trépanier c. R., 2008 CACM 3 (J.S.K.T.), la Cour d’appel de la cour martiale du Canada a déclaré ce qui suit aux paragraphes 95 et 103 à 105 :

Aussi la question, vu l’article 165.14 et le paragraphe 165.19(1) de la LDN, se pose‑t‑elle comme suit : le fait de donner le choix du juge des faits à la poursuite enfreint‑il ou compromet‑il de façon injustifiable le droit constitutionnel de l’accusé de présenter une défense pleine et entière et de contrôler cette défense, droit qui procède des principes de justice fondamentale? Nous croyons que oui, pour les motifs exposés par notre Cour au soutien de son opinion unanime dans Nystrom, aux paragraphes 71 à 86. Nous avons résumé ces motifs et en avons reproduit des paragraphes dans la partie des présents motifs intitulée « Les remarques incidentes de la Cour dans l’arrêt R. c. Nystrom » : voir les paragraphes 59 à 62.

[…]

Pour les motifs exposés ci‑dessus, nous estimons que l’article 165.14 et le paragraphe 165.19(1) ainsi que le paragraphe 111.02(1) des ORFC violent l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte. À notre avis, le fait de donner à la poursuite, dans le système de justice militaire, le droit de choisir le juge des faits devant lequel se déroulera le procès d’une personne accusée d’infractions graves au Code criminel, comme le font l’article 165.14 et le paragraphe 165.19(1) de la LDN, a pour effet de priver cette personne, en violation des principes de justice fondamentale, de la protection constitutionnelle reconnue aux contrevenants dans le régime criminel en vue d’assurer l’équité du procès qu’ils doivent subir. À moins de pouvoir être justifiées au titre de l’article premier de la Charte, les dispositions en cause violent l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte et sont inopérantes.

L’avocate de l’intimée a reconnu que si notre Cour déclarait inconstitutionnelles les dispositions en cause, celles‑ci ne pourraient être sauvegardées par application de l’article premier de la Charte. Cette position concorde avec la conclusion énoncée par le juge en chef à la retraite Lamer, qui dit dans son rapport avoir été « incapable de trouver une raison d’ordre militaire expliquant pourquoi une personne accusée d’une infraction grave n’aurait pas le droit de choisir entre un procès devant un juge militaire seul et un procès devant un juge militaire et un comité, autre que la commodité », et qui ajoute : « Or, lorsqu’il faut choisir entre, d’une part, la commodité et, d’autre part, la sûreté du verdict et le traitement équitable de l’accusé, ce sont les facteurs favorables à l’accusé qui doivent prévaloir ».

Comme le juge Lamer l’a fait remarquer dans l’arrêt R. c. Brouillard, [1985] 1 R.C.S. 39, au paragraphe 24, alors le caractère équitable du processus semblait avoir été compromis par les nombreuses interventions du juge pendant le témoignage de l’accusé, il ne faut pas perdre de vue qu’au bout du compte, l’accusé est le seul qui risque de quitter le prétoire les menottes au poing. À l’issue d’un procès devant une cour martiale, c’est aussi l’accusé, non le poursuivant, qui est escorté vers ses dures conditions de détention ou d’emprisonnement.

[127]   Dans l’arrêt J.S.K.T., lorsque la Cour a analysé la question de savoir si les militaires devraient se voir accorder des droits différents simplement en raison de leur statut ou de leur grade militaire, voici ce qu’elle a déclaré au paragraphe 113 :

Au choix de la poursuite, les officiers subalternes des Forces canadiennes méritent‑ils moins de protection, subissant un procès devant un comité formé de trois membres ou devant un juge seul sans aucun comité, que les officiers supérieurs qui comparaissent devant un comité formé de cinq officiers supérieurs? Convient‑il que les officiers subalternes, au choix du poursuivant, soient exposés à ne pas avoir droit, devant la loi et dans l’application de la loi, à un traitement égal à celui des officiers de grade supérieur? Il est préoccupant qu’en 2008 ces questions puissent encore être posées et que ces possibilités continuent d’exister sous le régime de la LDN, alors que notre Charte, qui protège l’égalité de tous devant la loi et dans l’application de la loi, a été adoptée en 1982 et, sur ce point précis, est entrée en vigueur en 1985, voilà déjà 23 ans.

[128]   Dans les passages reproduits ci‑dessus, la Cour parle de justice fondamentale, et non de protections exceptionnelles. Le demandeur soutient que le critère relatif à la protection « adéquate » ne peut être si peu élevé qu’il permette qu’un système de justice ne respecte pas les normes d’équité de base.

[129]   Le demandeur fait aussi valoir que la SPR disposait d’éléments de preuve montrant des violations régulières de la Convention de Genève et non des incidents isolés. Une conduite semblable était en cause dans la décision Key. Selon la preuve se rapportant à l’expérience personnelle du demandeur, ces violations étaient courantes. Dans son témoignage, il n’a pas déclaré qu’il s’agissait d’incidents particuliers. Le demandeur réitère que les nombreux exemples de conduite militaire condamnée qu’il a présentés étaieraient une demande d’asile en vertu du paragraphe 171 du Guide du HCNUR.

[130]   Selon le demandeur, il n’est pas nécessaire que la Cour décide si la conduite constituait dans les faits une violation de la Convention de Genève. L’enjeu est la façon dont la SPR a traité les éléments de preuve. La SPR n’a mentionné aucune des centaines de pages de preuve documentaire décrivant en détail les actions militaires des États‑Unis.

[131]   En ce qui a trait au moyen de défense de l’ordre illégal, le demandeur convient que la SPR a bien compris qu’il ne peut être invoqué lorsqu’une personne est accusée de désertion, mais elle a conclu à tort qu’il visait, aux États‑Unis, l’ensemble de la conduite militaire tombant sous le coup du paragraphe 171, alors que ce n’est pas le cas. Le paragraphe 171 a une portée plus large que le moyen de défense de l’ordre illégal qui peut être invoqué aux États‑Unis. Cette même erreur a été commise dans la décision Vassey.

[132]   Selon le défendeur, [traduction] « aucune armée en activité ne peut permettre que ses soldats choisissent les conflits avec lesquels ils sont d’accord ou ceux qu’ils décident de soutenir ». Le demandeur soutient cependant qu’une analyse relative à la protection de l’État ne se préoccupe pas du fonctionnement efficace de l’armée. Les deux questions étaient les suivantes : a) le demandeur était‑il associé à une conduite tombant sous le coup du paragraphe 171 du Guide du HCNUR; b) le demandeur sera‑t‑il sanctionné pour avoir refusé de participer à ces actions. Advenant l’imposition au demandeur d’une peine pour son absence peu importe son association à une conduite militaire condamnée en vertu du paragraphe 171, il a droit à la protection internationale contre cette peine.

[133]   Le demandeur affirme que le défendeur a mal compris son argument concernant le traitement différent assimilable à de la persécution. Le demandeur ne dit pas que toutes les situations dans lesquelles le refus d’accomplir le service militaire est motivé par des opinions politiques donnent lieu à de la persécution. Il y a persécution lorsque la personne se voit imposer une peine plus sévère en raison de ses opinions politiques (Vassey). De plus, il a été statué dans des affaires telles que Vassey, Hinzman et Walcott [Walcott c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 415] que les personnes qui critiquaient ouvertement les efforts de guerre américains étaient choisies comme cibles de persécution.

Le mémoire supplémentaire du défendeur

[134]   Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas fait d’efforts significatifs pour se prévaloir de la protection de l’État avant de présenter une demande d’asile au Canada. Ses tentatives visant à être transféré ou à être admissible à un poste de non‑combattant n’atteignent pas le niveau d’efforts requis de la part d’un citoyen d’un pays hautement démocratique comme les États‑Unis. De plus, les systèmes de justice militaire du Canada et du Royaume‑Uni ne constituent pas les critères en ce qui concerne la protection de l’État, et c’est pourquoi la SPR a privilégié l’affidavit du professeur Hansen.

[135]   Le demandeur n’a pas non plus établi l’existence d’une norme internationale reconnue relativement aux tribunaux militaires. Le Canada ne peut imposer ses normes constitutionnelles à d’autres pays (Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500). La Cour a statué que des lois américaines valides, comme l’Uniform Code of Military Justice (UCMJ), devraient bénéficier de la présomption de validité et de neutralité (décision Tuck, précitée). Il incombe au demandeur de démontrer que ces lois sont source de persécution.

[136]   En outre, les arrêts Findlay et Généreux ne créent pas une norme ayant force obligatoire. L’arrêt Findlay portait sur le droit à un tribunal indépendant et impartial conformément à la Convention européenne des droits de l’homme, soit un instrument qui ne lie ni les États‑Unis ni le Canada. L’arrêt Généreux portait quant à lui sur un système de justice militaire où n’existaient pas bon nombre des garanties que comporte le système américain, comme des mandats de trois ans pour les juges, le droit de sélectionner le juge ou le jury, les dispositions empêchant un juge d’être réprimandé et une chaîne de commandement distincte pour les juges militaires qui sont des cadres supérieurs des forces armées.

[137]   Dans l’arrêt Satiacum, précité, la Cour d’appel fédérale a statué qu’en l’absence d’une preuve contraire, la SPR doit tenir pour acquise la tenue d’un procès équitable. L’existence de circonstances « exceptionnelles » serait nécessaire pour entacher le système de justice américain. La SPR n’a pas estimé que les éléments de preuve présentés répondaient à cette norme. L’existence de cas d’influence indue de la chaîne de commandement ne signifie pas que l’ensemble du système de justice militaire est discrédité.

[138]   Selon le défendeur, les articles de journaux et les affidavits présentés par le demandeur n’établissent pas que les déserteurs ayant un profil public sont expressément ciblés. Ils montrent que plusieurs facteurs sont pris en compte pour engager une poursuite. Ces éléments de preuve sont de nature conjecturale et n’établissent pas, selon la prépondérance des probabilités, que les déserteurs militaires font l’objet de peines plus sévères. Dans la décision Vassey, la Cour a statué que le demandeur pouvait présenter des éléments de preuve concernant des personnes se trouvant dans une situation semblable, mais qu’il devait quand même démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les recours qui s’offraient à lui auraient tous conduit à un traitement inéquitable. La Cour fédérale a déclaré ce qui suit dans la décision Landry c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 594, au paragraphe 29 :

Les lois américaines sur la désertion sont censées être neutres et d’application générale. Il n’était pas déraisonnable pour le commissaire de conclure que la présomption n’était pas écartée par les affidavits des autres déserteurs, ni même d’indiquer que les peines sont de plus en plus sévères avec le temps. En 2005, il y a eu plus de 4 000 désertions. Quelques affidavits ne peuvent servir de fondement à une analyse statistique.

[139]   De plus, les éléments de preuve qu’a présentés le demandeur ont démontré que les peines infligées aux personnes qui s’exprimaient publiquement variaient de 6 mois à 15 mois, tandis que les peines imposées à d’autres personnes variaient entre 100 jours et 14 mois. Contrairement à ce que le demandeur prétend, la preuve n’établit pas que les membres du deuxième groupe avaient un profil public avant que la décision de poursuivre ne soit prise et il est difficile d’attribuer cette prétendue différence uniquement à un profil public.

[140]   En outre, les circonstances entourant une désertion ne constituent pas un facteur pertinent que doit prendre en compte un poursuivant. Dans la décision Lowell c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 649, la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 26 :

L’existence du pouvoir discrétionnaire du poursuivant, de sorte que ceux qui se trouvent dans la situation du demandeur peuvent faire l’objet d’une peine d’emprisonnement alors que d’autres non, ne montre pas en soi qu’il subira des difficultés de la sorte visée dans une demande CH qui est accueillie. Le fait est qu’il existe une gamme de peines possibles auxquelles le demandeur peut être exposé. Comme l’a souligné l’agente, la preuve indique qu’il est peu probable qu’il purge plus de 15 mois, et ce, uniquement après avoir bénéficié de l’application régulière de la loi.

[141]   De plus, le défendeur soutient que la SPR a bien compris la possibilité d’invoquer le moyen de défense de l’ordre illégal et que celui‑ci ne peut être opposé à une accusation de désertion. La SPR a cependant déclaré qu’il était possible de recourir à d’autres moyens de défense pour l’absence physique, comme celui invoqué dans l’arrêt Huet‑Vaughn. Le motif de désertion est également admissible lors de la détermination de la peine. Le fait que le motif est inadmissible comme moyen de défense ne rend pas inadéquate la protection de l’État aux États‑Unis. Le défendeur fait également valoir que la décision Key est peu utile, puisque la Cour a choisi de ne pas examiner la disponibilité de la protection de l’État dans cette affaire.

[142]   Les incidents décrits par le demandeur ne constituent pas une conduite visée par la première partie du critère prévu au paragraphe 171 du Guide du HCNUR. Ainsi, l’application du moyen de défense de l’ordre illégal à ces faits est de nature conjecturale. Le défendeur soutient en outre que le paragraphe 171 n’est pas pertinent pour la prétention du demandeur. La question en l’espèce concerne une poursuite pour désertion et non la possibilité d’accusations pour avoir refusé de se livrer à des actes qui peuvent tomber sous le coup du paragraphe 171.

[143]   La décision Vassey n’aide pas non plus le demandeur de la façon dont il le prétend. Cette décision concernait l’omission de la SPR de fournir des motifs suffisants quant à la raison pour laquelle elle avait conclu que le motif n’était pas pertinent pour l’accusation de désertion. Elle n’a formulé aucune opinion quant à la possibilité d’invoquer le moyen de défense de l’ordre illégal en vertu du paragraphe 171.

ANALYSE

Protection de l’État — Le système de justice militaire américain est‑il impartial et indépendant?

[144]   Dans la décision Vassey, le juge Scott devait se prononcer sur une demande de contrôle judiciaire qui comportait des similitudes étonnantes avec la présente affaire. Le décideur était le même, M. Vassey appartenait à la même unité de la 82e division aéroportée que le demandeur et l’avocat avait présenté des éléments de preuve semblables.

[145]   Je crois qu’il est intéressant de jeter un œil sur la façon dont le juge Scott a apprécié la situation devant lui aux paragraphes 62 à 68 dans la décision Vassey :

La Cour convient avec le défendeur que les conclusions de la Cour d’appel fédérale dans Hinzman et Satiacum, précités, lient la Cour et qu’elles liaient également la Commission, mais elle ne peut interpréter ces arrêts comme infirmant l’arrêt Ward, précité, de la Cour suprême. La Cour suprême a statué de manière claire dans Ward qu’un revendicateur d’asile peut réfuter la présomption de protection de l’État en établissant que des personnes placées dans une situation semblable n’ont pas pu bénéficier du dispositif de protection étatique.

Le demandeur avait donc la possibilité de présenter des éléments de preuve sur des individus placés dans une situation semblable pour démontrer que le système de justice militaire aux États‑Unis n’offrait pas une avenue dont il pouvait se prévaloir dans son pays afin d’obtenir la protection de l’État, étant donné l’absence d’indépendance ou d’impartialité ou l’absence de moyens de défense relativement à l’accusation de désertion. Mais le demandeur devait également démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les recours qui s’offraient à lui auraient tous conduit à un traitement inéquitable à cause du système de justice militaire américain.

Il incombait à la Commission, quant à elle, de prendre en considération l’ensemble des éléments de preuve présentés. Cela ne l’obligeait pas à résumer dans sa décision tous les éléments de preuve, dans la mesure où elle traitait de manière appropriée des éléments qui contredisaient ses conclusions (voir Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.); Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL)). L’obligation d’apprécier ces éléments de preuve était une expertise des experts affiants qui les présentaient (voir Gunes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 664; Begashaw c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 462).

L’obligation de la Commission de s’expliquer s’inscrit en proportion directe à la pertinence des éléments de preuve présentées.

Les éléments de preuve présentés par le demandeur sur l’indépendance et l’impartialité du système de cour martiale aux É.‑U. provenaient de plusieurs personnes reconnues comme des experts du droit militaire américain. M. Fidell est professeur de droit à l’université Yale et président du National Institute of Military Justice depuis 1991. M. Rehkopf, qui a été un juge‑avocat dans la U.S. Air Force, a publié de nombreux articles sur les façons de se désengager de l’armée aux États‑Unis.

Or, après avoir résumé les éléments de preuve pendant plusieurs pages, la Commission se contente d’une analyse quelque peu limitée des dépositions des cinq experts affiants. Sa seule conclusion veut que, bien qu’elle soit problématique, l’influence illicite des commandements peut néanmoins constituer un moyen de défense. Cela ainsi que les mécanismes autocorrecteurs prévus à l’article 37 [de l’UCMJ] démontrent l’existence de la protection de l’État. La Commission n’a fait aucun commentaire particulier sur les déclarations des experts affiants sur l’inefficacité de ces mécanismes autocorrecteurs. La Commission ne traite pas de leurs conclusions quant au processus de sélection du jury, l’absence d’inamovibilité des juges militaires et l’insuffisance des juges en appel. Elle n’indique pas non plus pour quelles raisons elle préférait la déposition du professeur Hansen à celle des quatre autres experts affiants. Mais elle a néanmoins conclu ainsi au paragraphe 93 de sa décision : « L’efficacité de la protection de l’État est un facteur à prendre en considération, mais j’estime que, selon la prépondérance des probabilités, les éléments de preuve ne montrent pas que le système de justice militaire américain est gravement atteint ». Cette conclusion de la Commission était‑elle raisonnable?

Comme le juge de Montigny l’a écrit dans la décision Smith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1194, [2011] 1 R.C.F. 36, alors qu’il faisait également un commentaire [au paragraphe 52] sur l’évaluation d’une déposition de M. Rehkopf par la Commission, « il ne suffisait pas pour le commissaire de résumer la preuve présentée par la demanderesse. Il aurait dû l’examiner et l’évaluer dans ses motifs ». Le juge de Montigny a ajouté ceci au paragraphe 69 :

[…] je suis d’avis que son affidavit valait plus que l’opinion d’une personne ordinaire que le commissaire pouvait rejeter sans motif. De toute évidence, M. Rehkopf avait beaucoup d’expérience en tant qu’avocat militaire et avait agi à titre d’avocat de la défense, de procureur et de juge pendant de nombreuses années. Le commissaire était tout à fait libre de se fier à une autre preuve qu’à celle fournie par M. Rehkopf.

La Cour conclut que l’omission par la Commission d’apprécier les éléments de preuve sur l’indépendance et l’impartialité du système des cours martiales américain et d’expliquer pourquoi elle préférait des éléments de preuve contraires à ceux du demandeur était déraisonnable, car les éléments de preuve documentaire dont la Commission n’a pas tenu compte dans ses motifs touchent à l’une des questions centrales soulevées par la revendication du demandeur. [Souligné dans l’original.]

[146]   En l’espèce, le même commissaire de la SPR indique clairement [au paragraphe 69] qu’il a « eu la possibilité d’examiner la décision de la Cour fédérale en ce qui concerne Christopher Marco Vassey, qui a servi dans la même unité que celle du demandeur d’asile en l’espèce et qui était en Afghanistan au même moment pendant un certain temps, et [qu’il en a] tenu compte dans le cadre de [s]on analyse de la présente affaire » [note en bas de page omise].

[147]   Suivant les enseignements de la décision Vassey, la SPR a précisé ensuite la question de savoir si le système de justice militaire américain est impartial et indépendant [aux paragraphes 70 à 73] :

Le système de justice militaire américain est‑il impartial et indépendant? Il a été soutenu par le demandeur d’asile que le système de justice militaire américain ne satisfaisait pas aux exigences relatives à un tribunal indépendant et impartial établies par la Cour suprême du Canada dans la décision Généreux. Comparer les lois et le système judiciaire d’un autre pays à ceux du Canada constitue l’un des aspects à considérer dans l’analyse de cette question, mais il ne s’agit pas du critère définitif. Le critère consiste à établir, selon la prépondérance des probabilités, si la protection de l’État offerte par le pays est adéquate. J’expose les opinions présentées dans cette affaire afin d’évaluer les observations du demandeur d’asile.

Le ministre a présenté un article et deux affidavits rédigés par le professeur [Victor Hansen]. Le demandeur d’asile a présenté deux affidavits rédigés par [Donald Rehkopf fils], ainsi qu’un affidavit rédigé par le professeur [Eugene R. Fidell] et un affidavit rédigé par la professeure [Marjorie Cohn] et [Kathleen Gilberd] concernant cette question.

Toutes ces personnes ont fondamentalement reconnu que le commandant militaire aux États‑Unis joue un rôle clé dans le système de justice militaire. C’est souvent le commandant qui ordonne des enquêtes sur des allégations de mauvaise conduite. Le commandant responsable du militaire soupçonné détermine quelles accusations seront portées contre lui, le cas échéant. Le commandant détermine quel palier de la cour martiale (cour martiale simplifiée, cour martiale spéciale ou cour martiale générale) statuera sur le cas. Le commandant sélectionne aussi le tribunal militaire (jurés) qui instruira l’affaire.

Dans l’affaire Généreux, la Cour suprême du Canada a conclu que la structure et la constitution de la cour martiale générale de l’époque ne répondaient pas aux exigences prévues à l’alinéa 11d) de la Charte des droits et libertés. Les conditions essentielles de l’indépendance judiciaire n’étaient pas respectées. La Cour a examiné trois conditions essentielles. [Notes en bas de page omises.]

[148]   La SPR a ensuite examiné et apprécié les éléments de preuve portant sur ce point. Elle a résumé de façon générale les conflits présentés en preuve aux paragraphes 78 et 79 de la décision :

Dans leurs affidavits, [Donald Rehkopf fils] et le professeur Professor [sic] [Eugene R. Fidell] analysent, entre autres questions, la manière dont le système de justice militaire américain correspond aux trois domaines de conditions essentielles de l’indépendance judiciaire établies dans l’affaire Généreux. Ils concluent que le système de justice militaire américain ne respecte pas la majorité de ces conditions. Dans leur affidavit, [Marjorie Cohn] et [Kathleen Gilberd] indiquent également que le pouvoir du commandant du système de justice militaire américain pose problème pour ce qui est de fournir un procès équitable aux accusés.

Dans son affidavit, le professeur [Hansen] reconnaît le rôle du commandant militaire dans le système américain, mais affirme qu’il comporte des mécanismes de surveillance suffisants pour que l’accusé bénéficie d’un traitement équitable de son cas. Il déclare que la justice militaire est l’un des principaux outils du commandant pour maintenir la discipline dans les rangs. Il soutient qu’il existe des mesures de protection réglementaires contre l’influence indue de la chaîne de commandement (Unlawful Command Influence — UCI). Il affirme que la mesure de protection la plus importante contre l’UCI est l’article 37 du code unifié de la justice militaire (Unified Code of Military Justice — UCMJ). Il dit que cet article interdit précisément à un commandant de censurer, de réprimander ou d’admonester tout militaire, un juge militaire ou un avocat relativement à toute décision de la cour ou peine prononcée par la cour ou relativement aux fonctions du tribunal. L’alinéa 37a) interdit aussi de tenter d’exercer une influence non autorisée sur un membre d’une cour martiale ou d’un tribunal. Selon l’alinéa 37b), il est interdit de commenter ou d’examiner le rendement au travail d’une personne en qualité de membre d’une cour martiale dans des rapports d’évaluation et du rendement, ou au moment de déterminer l’admissibilité d’une personne en vue d’une promotion, d’une affectation, d’une possibilité d’entrée dans l’armée ou d’un maintien en poste dans l’organisation. Il soutient aussi que, en plus de cette mesure de protection contre l’UCI, les cours d’appel militaires ont volontairement accueilli des allégations d’UCI dans le processus de contrôle des appels.

[149]   La SPR résume ensuite la preuve des deux parties concernant cette question et le commissaire conclut qu’il privilégie le témoignage du professeur Hansen. Donald Rehkopf fils, le professeur Fidell, la professeure Cohn et Kathleen Gilberd sont tous en désaccord avec le professeur Hansen sur la question de l’équité du système de justice militaire américain. Ils affirment que ce système de justice n’est pas conforme aux principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Généreux. Comme l’a déclaré Donald Rehkopf fils, les prétentions du professeur Hansen concernant des mesures de contrôle importantes peuvent sembler légitimes en théorie, mais dans la réalité du système de cours martiales aux États‑Unis, l’UCI continue d’être un problème important.

[150]   La SPR poursuit, aux paragraphes 107 à 109, avec un résumé des prétentions des deux parties et parvient à ses conclusions sur cette question :

Au cours de l’examen du système judiciaire d’un pays, pour évaluer s’il existe une protection de l’État, le critère applicable est celui de savoir si la protection offerte par le système est adéquate, et non celui de savoir si cette protection est conforme à celle offerte par le système canadien ou par le système de tout autre pays.

Je privilégie l’opinion du professeur [Hansen] à celle des autres. Il dit qu’il a lu l’affidavit du professeur [Fidell] et qu’il éprouve un grand respect envers lui. Toutefois, il s’agit d’un aspect sur lequel ils ne sont pas d’accord. Le professeur [Hansen] reconnaît les changements apportés par le Canada et le Royaume‑Uni, mais il ne croit pas que des modifications doivent être apportées au système américain simplement parce que c’est ce qu’ont fait les autres pays. Il a analysé les divers facteurs liés au système américain, comme il a déjà été mentionné, et il estime que le système demeure équitable. Le fait que le système de justice étranger ne soit pas conforme à celui du Canada ou d’un autre pays ne veut pas dire que la protection offerte par ce système est inadéquate. Par exemple, le système de justice pénale de certains pays repose sur le modèle inquisitoire et non sur un modèle accusatoire. Cela ne signifie pas que le système est inadéquat simplement parce qu’il n’est pas conforme au modèle canadien ou à tout autre modèle international. 

J’estime que le système de justice militaire des É.‑U. assurerait une protection adéquate au demandeur d’asile.

[151]   Cette logique est difficile à suivre. M. Rehkopf et le professeur Fidell, appuyés par la professeure Cohn et Kathleen Gilberd, nous disent essentiellement que le système de justice militaire américain est inéquitable parce qu’il ne répond pas aux principes d’équité énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Généreux. Par ailleurs, selon le professeur Hansen, il existe des mesures de contrôle qui rendent le système équitable, mais il ne dit pas que le système respecte les principes énoncés dans l’arrêt Généreux. Il est donc difficile de comprendre ce que le professeur Hansen veut dire lorsqu’il parle d’équité ou les principes qu’il utilise pour évaluer l’équité. Le professeur Hansen déclare clairement que le système américain est différent du système canadien et du système britannique, mais il ne croit pas que le système américain doive être modifié simplement parce que d’autres pays ont changé leur système. Il conclut que le système américain est quand même équitable. Or, on ne sait pas vraiment ce qu’il entend par équité ni quelles sont les normes qu’il utilise pour mesurer l’équité. Par exemple, un système qui ne respecte pas les principes énoncés dans l’arrêt Généreux peut‑il être équitable? La SPR répond à cette question comme suit [au paragraphe 107] :

Au cours de l’examen du système judiciaire d’un pays, pour évaluer s’il existe une protection de l’État, le critère applicable est celui de savoir si la protection offerte par le système est adéquate, et non celui de savoir si cette protection est conforme à celle offerte par le système canadien ou par le système de tout autre pays. 

[152]   De toute évidence, l’équité doit avoir un lien avec le caractère adéquat, sinon il ne serait pas nécessaire que la SPR entreprenne cette analyse. Le raisonnement est donc que le système américain est adéquat parce que le professeur Hansen dit que, même s’il n’est pas conforme au système du Canada et aux principes énoncés dans l’arrêt Généreux, il est quand même équitable. Les autres témoins déclarent qu’il est inadéquat parce qu’il est inéquitable et il est inéquitable parce qu’il ne respecte pas les principes énoncés dans l’arrêt Généreux. S’appuyant sur le professeur Hansen, la SPR déclare que le système américain est adéquat parce qu’il est quand même équitable et il est équitable parce que […] ? Nous ne le savons tout simplement pas, à moins que la SPR ne dise qu’il est équitable parce que le professeur Hansen estime qu’il l’est et que c’est suffisant pour la SPR.

[153]   Il me semble que si la SPR rejette le recours aux normes canadiennes et internationales comme guide de ce qui est adéquat quant à l’équité d’un système de justice, elle doit indiquer clairement les normes qu’elle utilise pour en apprécier l’équité et le caractère adéquat.

[154]   Il convient de noter que ni le professeur Hansen ni la SPR ne conteste le fait que le système de justice militaire américain ne respecte pas les normes d’équité canadiennes ou reconnues internationalement. Il ressort clairement des éléments de preuve dont disposait la SPR que le système ne respecte pas ces normes. Selon la position de la SPR, la non‑conformité du système à ces normes ne rend pas la protection de l’État inadéquate. À mon avis, cela donne lieu à deux erreurs susceptibles de révision. Premièrement, cela signifie que la décision n’est pas justifiée, transparente et intelligible parce qu’il n’est pas possible de déterminer ce que veut dire la SPR lorsqu’elle parle d’équité dans le système américain ni la raison pour laquelle l’équité équivaut au caractère adéquat lorsque, de toute évidence, le système de justice américain n’est pas conforme aux normes canadiennes et internationales. En outre, j’estime qu’on ne peut dire que la décision appartient aux issues possibles acceptables qui peuvent se justifier au regard des faits et du droit. En effet, comme le demandeur le déclare, c’est commettre une erreur de droit que de conclure qu’un système non conforme aux normes d’équité de base reconnues internationalement comme étant fondamentales pour tout système de tribunaux peut néanmoins assurer une protection de l’État adéquate.

[155]   De même, je fais mien et incorpore à mes motifs l’argument suivant du demandeur :

[traduction] Le législateur a expressément indiqué que les décisions rendues en vertu de la Loi, qui pourraient inclure des évaluations de la protection de l’État en vertu des articles 96 et 97, doivent être compatibles avec la Charte et doivent respecter les obligations du Canada en vertu des instruments internationaux portant sur les droits de l’homme. L’article 3 de la Loi prévoit en partie ce qui suit :

(3) Interprétation et mise en œuvre — L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet

[…]

f) de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire.

Même si l’alinéa 3(3)f) de la LIPR n’incorpore pas dans le droit canadien les « instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire », il indique que « [l’]interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet […] de se conformer » à ces instruments.

Le demandeur soutient qu’une interprétation de la protection de l’État « adéquate » qui permet que le caractère « adéquat » soit inférieur aux normes énoncées dans les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire, n’est pas une interprétation qui serait conforme à ces instruments. Par conséquent, la conclusion de la Commission selon laquelle un système qui ne répond pas aux normes est néanmoins adéquat est déraisonnable et contraire à l’alinéa 3(3)f) de la Loi.

[156]   Je suis également d’accord avec le demandeur pour dire que le Guide du HCNUR lui‑même indique clairement que pour déterminer si une poursuite équivaut à de la persécution « les autorités nationales seront souvent amenées à prendre leur décision par référence à leurs propres lois nationales » et qu’« il peut être utile de se référer aux principes énoncés dans les divers instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier dans les pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, qui ont force obligatoire pour les états parties et qui sont des instruments auxquels ont adhéré nombre des états parties à la Convention de 1951 ». Voir le Guide du HCNUR, chapitre 2d), au paragraphe 60. En l’espèce, la SPR a clairement ignoré ces lignes directrices et principes.

[157]   Je suis de plus d’accord avec le demandeur que la SPR a été déraisonnable en privilégiant la position du professeur Hansen, étant donné qu’il ne fournit aucune norme d’équité acceptable pour mesurer le caractère adéquat et qu’il estime simplement que la Cour suprême du Canada et la communauté internationale ont tort à propos des qualités exigées d’un système pour qu’il soit fondamentalement équitable. Je conviens que le système américain ne pose pas problème uniquement parce qu’il est différent du système canadien. Le problème réside dans le fait qu’il ne répond pas aux exigences d’équité fondamentale du droit canadien (Généreux) et international.

[158]   Pour sa part, le professeur Fidell décrit clairement le problème et le point de référence qu’il utilise pour mesurer l’équité et le caractère adéquat (aux paragraphes 9, 11, 14, 26, 28 à 31 et 35) :

[traduction] On m’a demandé de fournir un affidavit qui traite de la structure et de la procédure du système de justice militaire des États‑Unis. Plus précisément, j’ai été invité à aborder les questions de l’indépendance et de l’impartialité du système, et surtout de l’indépendance des juges militaires, de la sélection des membres de la cour martiale et de la question de l’influence indue de la chaîne de commandement (UCI).

[…]

En raison de mon expérience, résumée ci‑dessus, je suis compétent pour fournir une preuve d’expert sur ces sujets. J’ai été autorisé à témoigner en qualité d’expert, soit en personne, soit par affidavit, devant plusieurs cours fédérales et d’État aux États‑Unis sur des questions de droit militaire.

[…]

L’indépendance des juges militaires aux États Unis n’est pas suffisamment protégée et ne satisferait pas au critère établi dans Généreux.

[…]

Compte tenu des mesures décrites dans les paragraphes qui précèdent, qui contrastent vivement avec les mandats de cinq ans que prévoit la Loi sur la Défense nationale, L.C. 1998, ch. 35, article 42, les juges militaires et les juges militaires de la cour d’appel ne répondent pas au critère de l’inamovibilité énoncé dans Généreux ni aux normes d’indépendance judiciaire militaire en vigueur à l’échelle internationale.

[…]

Le troisième critère établi dans Généreux, à savoir l’indépendance institutionnelle, révèle aussi une différence importante entre le système des deux pays. Aux États‑Unis, les juges militaires sont nommés par le JAG […] Dans la mesure où les JAG relèvent en fin de compte du cadre supérieur militaire de leur secteur, cet arrangement ne permet pas l’indépendance institutionnelle de la chaîne de commandement.

[…]

Le processus de sélection des membres de la cour martiale est structurellement inadéquat pour assurer une indépendance et une impartialité complètes.

En vertu de l’UCMJ, les membres jouent le rôle de jurés. Ils sont choisis par l’autorité convocatrice (AC) […] Il arrive souvent que le conseiller juridique de l’AC (appelé le juge‑avocat de l’état‑major) influe sur la sélection, mais la décision revient ultimement à l’autorité convocatrice. Il n’est pas nécessaire que l’AC soit un avocat et encore moins un juge militaire agréé. L’AC est aussi chargée de déterminer quelles accusations seront portées et à quel palier de la cour martiale seront instruits les cas, ainsi que d’examiner et d’approuver ou de désapprouver la procédure après le procès.

Loin d’être indépendante du commandement, le processus de la sélection des membres est une fonction qui est liée de manière intrinsèque au commandement. Le système américain remonte à l’époque des British Articles of War. Il a fait l’objet de nombreuses critiques au cours des années.

De toute évidence, en ce qui concerne la désignation des membres des cours martiales par l’AC, le système des États‑Unis ne serait pas acceptable à la lumière du premier aspect du critère énoncé dans Généreux. Il ne répondrait pas non plus aux exigences de la Convention européenne sur les droits de l’homme formulées dans Findlay c United Kingdom, [1997] CEDH 8, 24 RCEDH 221.

[…]

Pour les motifs qui précèdent, et sous toute réserve des améliorations qui ont été apportées au cours des 50 dernières, le système de justice militaire des États‑Unis ne pourrait probablement pas être considéré comme équitable s’il devait être évalué au regard des normes canadiennes ou internationales contemporaines. [Non souligné dans l’original.]

[159]   Au bout du compte, j’estime que la SPR n’a pas trouvé une façon d’éviter les erreurs qu’elle a commises dans la décision Vassey. Malgré la pléthore d’éléments de preuve fondés sur des principes à l’effet contraire, elle s’est désespérément raccrochée au point de vue du professeur Hansen. Or, à mon avis, ce point de vue ne constituait rien de plus qu’une opinion personnelle qui ne se rattachait à aucun principe relatif à l’équité et au caractère suffisant et qui tentait de défendre le système de justice militaire américain qui, selon la preuve dont je dispose et dont disposait la SPR, semble dépassé et malheureusement aux antipodes des normes canadiennes et internationales.

Peine différente

[160]   Dans la décision Vassey, aux paragraphes 77 à 81, le juge Scott a fourni à la SPR les orientations suivantes concernant le traitement différent :

Le demandeur soutient devant la Commission que la protection de l’État était inexistante en ce qui avait trait à l’exercice discriminatoire du pouvoir discrétionnaire de poursuivre. Le demandeur a présenté à la Commission des éléments de preuve qui indiquaient que, bien qu’une grande partie des déserteurs bénéficient d’un renvoi par mesure administrative, ceux qui se prononcent publiquement contre la guerre en Iraq étaient sélectionnés pour être traduits en cour martiale pour désertion. La Cour a reconnu qu’un nombre disproportionné de personnes qui se sont prononcées contre les guerres en Iraq et en Afghanistan ont été effectivement poursuivies pour désertion.

Par exemple, dans la décision Rivera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 814, le juge Russell a révisé une décision de la Commission en ce qui avait trait à l’utilisation du pouvoir discrétionnaire de poursuivre dans le but d’infliger un traitement plus sévère aux individus s’étant prononcés contre la guerre par le moyen d’un procès en cour martiale. Au paragraphe 101, le juge Russell a conclu ce qui suit à propos de la décision de la Commission :

[…] il faut reprendre l’ensemble de l’analyse relative à la protection de l’État en tenant compte du risque allégué, et de la preuve à l’appui, à savoir que les autorités américaines n’appliqueront pas une loi d’application générale de façon neutre, mais qu’elles choisiront la demanderesse principale comme cible de poursuites et de sanctions simplement du simple fait de ses opinions politiques, alors que d’autres déserteurs, qui ne se sont pas prononcés contre la guerre en Iraq, ont fait l’objet de renvoi par mesure administrative.

En l’espèce, la Commission a largement ignoré les éléments de preuve présentés par le demandeur relativement à des individus placés dans des situations similaires et au pouvoir discrétionnaire du poursuivant. La Commission conclut que le système de justice bénéficiait de ce pouvoir discrétionnaire et que son exercice était approprié en présence de facteurs aggravants.

Le paragraphe 169 du Guide des procédures du HCNUR indique que :

Un déserteur ou un insoumis peut donc être considéré comme un réfugié s’il peut démontrer qu’il se verrait infliger pour l’infraction militaire commise une peine d’une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Il en irait de même si l’intéressé peut démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté pour ces motifs, indépendamment de la peine encourue pour désertion.

À ce titre, il ressort du Guide des procédures du HCNUR, ainsi que de la jurisprudence précitée, que l’utilisation du pouvoir discrétionnaire de poursuivre pour infliger à un déserteur une peine d’une sévérité disproportionnée en raison de ses opinions politiques peut constituer de la persécution.

[161]   Tout comme dans la décision Vassey, le demandeur en l’espèce a soutenu qu’une peine disproportionnée lui serait imposée s’il était renvoyé aux États‑Unis en raison du fait qu’il a exprimé ses opinions politiques publiquement à l’encontre des guerres en Iraq et en Afghanistan. Le demandeur s’est aussi appuyé sur le paragraphe 169 du Guide du HCNUR.

[162]   La réponse de la SPR à cette question se trouve essentiellement aux paragraphes 112 à 114 de la décision :

Pour ce qui est des poursuites, les procureurs du système de justice pénale se voient accorder le pouvoir discrétionnaire quant aux personnes qui devraient être accusées et aux crimes pour lesquels elles devraient être accusées. Dans son examen du pouvoir de poursuite discrétionnaire, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

Le pouvoir discrétionnaire est une caractéristique essentielle de la justice criminelle. Un système qui tenterait d’éliminer tout pouvoir discrétionnaire serait trop complexe et rigide pour fonctionner. Les forces policières exercent nécessairement un pouvoir discrétionnaire quand elles décident de porter des accusations, de procéder à une arrestation et aux fouilles et perquisitions qui en découlent, tout comme la poursuite quand elle décide de retirer une accusation, de demander une suspension, de consentir à un ajournement, de procéder par voie d’acte d’accusation plutôt que par voie de déclaration sommaire de culpabilité, de former appel, etc. Il est reconnu que ce pouvoir discrétionnaire est favorable au système judiciaire. Les procureurs ne sont pas tenus de motiver leurs décisions.

J’accepte le témoignage de [Bridget Wilson] ainsi qu’un autre affidavit de [Donald G. Rehkopf] selon lequel l’influence indue de la chaîne de commandement ne peut être invoquée en défense contre un supposé traitement différent. Toutefois, au moment de décider si la présomption relative à la protection de l’État a été réfutée en raison d’un traitement différent, la norme de preuve est celle de la prépondérance des probabilités. Les affidavits et les déclarations fournis par diverses personnes qui ont été traduites en cour martiale pour désertion ainsi que les rapports sur les médias et les rapports ou affidavits d’experts sont mentionnés dans les observations sur la persécution fondée sur les opinions politiques, et ils seront traités plus loin dans la présente décision. Le fait qu’il n’existe peut‑être pas de mécanisme officiel d’examen du pouvoir de poursuite discrétionnaire au sein du système de justice militaire américain ne permet pas de conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe pas de protection de l’État adéquate. Comme il a été souligné dans la décision susmentionnée de la Cour suprême du Canada, le pouvoir de poursuite discrétionnaire fait partie intégrante du système de justice pénale. [Notes en bas de page omises.]

[163]   Il me semble que ce qui précède passe complètement à côté de la prétention du demandeur. Sa préoccupation n’était pas l’exercice du pouvoir discrétionnaire en soi, mais le fait que le système de justice militaire américain ne comporte aucun mécanisme pour protéger une personne lorsque le pouvoir discrétionnaire du poursuivant est exercé de façon partiale et inappropriée en raison de ses opinions politiques. Au paragraphe 114 de la décision, la SPR semble reconnaître « qu’il n’existe peut‑être pas de mécanisme officiel d’examen du pouvoir de poursuite discrétionnaire au sein du système de justice militaire américain ». Après avoir reconnu ce fait, la SPR ne traite pas de la façon dont le demandeur serait protégé contre l’abus de ce pouvoir discrétionnaire, ni de la façon dont le système de justice criminelle peut être adéquat s’il n’existe aucun mécanisme d’examen du pouvoir discrétionnaire de poursuivre. À cet égard, la SPR n’a pas retenu les enseignements de la décision Vassey.

[164]   La SPR a aussi examiné certains éléments de preuve présentés par le demandeur concernant des personnes se trouvant dans une situation semblable et qui ont reçu une peine différente pour s’être exprimées publiquement à l’encontre des guerres en Iraq et en Afghanistan. La conclusion de la SPR sur ce point est présentée au paragraphe 162 de la décision :

Je ne peux conclure que, selon la prépondérance des probabilités, les peines infligées pour des infractions relatives à l’absence aux personnes qui se sont prononcées contre les guerres et à celles qui ne l’ont pas fait diffèrent disproportionnellement. Je ne peux conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe pas de protection adéquate sur le fondement d’un traitement différent en matière de sanctions. Le demandeur d’asile n’a pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État. Encore une fois, à la lumière de la même preuve, et dans l’hypothèse où ma conclusion concernant la protection de l’État serait incorrecte, je conclus que le demandeur d’asile n’est pas visé à l’article 169 du Guide du HCR, puisque toute peine qu’il se verrait infliger pour une infraction relative à l’absence ne serait pas disproportionnellement sévère.

[165]   Pour arriver à cette conclusion, la SPR a brièvement comparé, aux paragraphes 155 et 156, les peines imposées à ceux qui se sont exprimés publiquement et aux personnes qui, selon elle, ne l’ont pas fait :

[Camilo Mejia] a été condamné à une peine d’emprisonnement de 12 mois, et le temps réel qu’il a passé en prison a été de 9 mois. [Stephen Funk] a été condamné à une peine d’emprisonnement de 6 mois. [Kevin Benderman] a été condamné à une peine d’emprisonnement de 15 mois et il a purgé une peine de 13 mois. [Agustin Aguayo] a purgé une peine de 7 mois. [Ivan Brobeck] a été condamné à une peine d’emprisonnement de 8 mois dans une prison réservée aux Marines. [James Burmeister] a été condamné à une peine d’emprisonnement de 9 mois, et il a purgé 3 mois et 10 jours. [Robin Long] a été condamné à une peine d’emprisonnement de 15 mois et il a purgé 12 mois. [Cliff Cornell] a été condamné à une peine d’un an, qui a par la suite été réduite à 11 mois.

Le ministre a présenté d’autres cas où des peines ont été infligées à des [traduction] « résistants à la guerre en Iraq » : [Abdullah William Webster] s’est vu infliger une peine d’emprisonnement de 14 mois, et il a purgé 11 mois. [Ryan Jackson] s’est vu infliger une peine d’emprisonnement de 100 jours, et [Tony Anderson], une peine d’emprisonnement de 14 mois. Il n’existe aucun élément de preuve convaincant montrant que ces personnes ont déclaré publiquement qu’elles s’opposaient à la guerre. [Notes en bas de page omises.]

[166]   Comme le souligne le demandeur, la SPR disposait d’éléments de preuve convaincants qui contredisaient directement ces conclusions :

a. La preuve établissait clairement que Ryan Jackson et Tony Anderson s’étaient ouvertement déclaré contre les guerres en Iraq et en Afghanistan. Un article public présentait des renseignements concernant le procès en cour martiale de Tony Anderson (voir le dossier du demandeur, aux pages 521 à 524 et 636 à 647).

b. Il y a le tableau de Wikipedia mentionné par la SPR qui indique clairement que M. Anderson, M. Jackson et Abdullah William Webster étaient publiquement associés à l’opposition aux guerres.

c. Selon la preuve présentée par la professeure Cohn et de Mme Gilberd, les déserteurs étaient plus susceptibles d’être choisis comme cibles de poursuites s’ils exprimaient publiquement leur opposition à la guerre en Iraq.

d. Il y avait également la déclaration de l’avocat Eric Seitz selon laquelle même des objecteurs de conscience sincères s’opposant aux guerres en Iraq et en Afghanistan ont [traduction] « fait l’objet de peines sévères, notamment de longues périodes d’incarcération ».

[167]   Ces renseignements contredisent directement les conclusions de la SPR et ils auraient dû être mentionnés et traités. Ils ont été écartés ou ignorés. Quoi qu’il en soit, les conclusions de la SPR sur la peine différente étaient déraisonnables en raison de ses renseignements. Encore une fois, la SPR semble avoir ignoré les enseignements de la décision Vassey.

Le paragraphe 171 du Guide du HCNUR

[168]   Après sa conclusion concernant la protection de l’État adéquate, la SPR a conclu [au paragraphe 61] de façon subsidiaire que « les actions militaires auxquelles s’oppose le demandeur d’asile ne tombent pas sous le coup des articles 169 et 171 du Guide du HCR ».

[169]   En ce qui a trait au paragraphe 171, la SPR conclut comme suit aux paragraphes 145 à 148 de la décision :

Les actes de divers officiers et d’autres personnes peuvent n’être que des incidents isolés, mais comme dans le cas de la prison d’Abu Ghraib, il n’existe aucun élément de preuve convaincant montrant que des actes commis en Afghanistan qui pourraient être visés à l’article 171 du Guide du HCR ont été tolérés par les É.‑U., qu’ils étaient systématiques ou que les É.‑U., par principe ou en pratique, n’accordent pas d’importance aux présumées violations du droit international des droits de la personne commises en Afghanistan.

J’estime que le demandeur d’asile n’a pas établi qu’il a été associé à des actions militaires, ou qu’il a été complice de telles actions condamnées par la communauté internationale comme étant contraires aux règles de conduite les plus élémentaires. Il n’a pas démontré que les É.‑U., que ce soit par une politique délibérée ou par l’indifférence des autorités, ont exigé de leurs combattants qu’ils commettent des actions généralisées de violation du droit humanitaire ou les y ont autorisés.

Je ne peux conclure que, selon la prépondérance des probabilités, les É.‑U. ne permettraient pas au demandeur d’asile d’invoquer, pour sa défense, pour avoir refusé d’obéir à un ordre, que la question était visée à l’article 171 du Guide du HCR, étant donné qu’il s’agirait d’un crime comme il est précisé dans l’affaire [Huet‑Vaughn].

J’estime que le demandeur d’asile n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État pour ce motif, et dans l’hypothèse où ma conclusion serait incorrecte, je ne peux conclure, à la lumière de la même preuve et selon la prépondérance des probabilités, que les É.‑U., que ce soit par une politique délibérée ou par l’indifférence des autorités, ont exigé de leurs combattants qu’ils commettent des actions généralisées de violation du droit humanitaire ou les y ont autorisés, faisant en sorte que le demandeur d’asile serait visé à l’article 171 du Guide du HCR.

[170]   Un des problèmes fondamentaux que suscite l’approche de la SPR sur cette question est qu’elle évalue les expériences personnelles du demandeur comme étant des incidents isolés qui n’étaient pas tolérés par les États‑Unis et qui n’étaient pas systémiques, ni une question de politique, tout en ignorant complètement la preuve documentaire objective qui confirme la véracité de la situation opposée.

[171]   Le demandeur a présenté une preuve documentaire volumineuse provenant de sources indépendantes crédibles, comme Amnistie internationale, qui discute des pratiques militaires courantes autorisées par l’armée américaine en Iraq et en Afghanistan. Cette preuve décrit une conduite tombant sous le coup du paragraphe 171 et indique que les États‑Unis n’ont pas respecté leurs obligations internationales à cet égard. La SPR ignore simplement cette preuve.

[172]   De plus, selon le témoignage du demandeur lui‑même, il s’agissait de pratiques courantes de la part de l’armée américaine. La SPR a toutefois conclu qu’il s’agissait d’incidents isolés, sans aucunement expliquer la raison pour laquelle elle a rejeté le témoignage du demandeur sur ce point.

[173]   La SPR semble aussi avoir mal compris le droit concernant les moyens de défense qui peuvent être opposés à une accusation de désertion dans l’armée américaine [au paragraphe 147] :

Je ne peux conclure que, selon la prépondérance des probabilités, les É.‑U. ne permettraient pas au demandeur d’asile d’invoquer, pour sa défense, pour avoir refusé d’obéir à un ordre, que la question était visée à l’article 171 du Guide du HCR, étant donné qu’il s’agirait d’un crime comme il est précisé dans l’affaire [Huet‑Vaughn].

[174]   La décision Vassey a traité de cette question aux paragraphes 68, 69 et 74, que la SPR en l’espèce prétend avoir examinés et pris en compte.

[175]   Dans la décision Key, le juge Barnes a également traité de la question aux paragraphes 29 et 30.

[176]   Dans ses motifs, la SPR semble convenir avec le demandeur qu’il ne serait pas en mesure d’opposer un moyen de défense fondé sur le paragraphe 171 du Guide du HCNUR à une accusation de désertion. Comme l’enseigne la décision Vassey [au paragraphe 75], cet état du droit des États‑Unis « touche directement à l’existence de la protection de l’État ». La SPR conclut néanmoins que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État adéquate.

[177]   Le demandeur avait soutenu, comme en fait foi le paragraphe 134 de la décision, que s’il avait reçu un ordre illégal, il serait uniquement en mesure de présenter un moyen de défense s’il avait reçu l’ordre de commettre un crime ou un crime de guerre, et non de commettre une action qui se situait au‑dessous de ce critère, mais qui était visée par le paragraphe 171 du Guide du HCNUR. Au paragraphe 147 de la décision, la SPR semble rejeter cette position.

[178]   Compte tenu de l’enseignement donné au paragraphe 74 de la décision Vassey, cette conclusion, ainsi que l’analyse relative à la protection de l’État qui est fondée sur elle, me semble déraisonnable. La SPR a essentiellement reconnu les faits que le demandeur a présentés, mais a alors choisi d’ignorer ce que la Cour avait dit sur la question dans la décision Vassey.

[179]   Le défendeur a soutenu que le motif de la désertion peut être soulevé lors de la détermination de la peine et qu’il ne minera ainsi pas la protection de l’État de la façon dont l’a indiqué le demandeur. Cette prétention ne faisait toutefois pas partie de l’analyse de la SPR relativement à cette question et elle ne peut donc pas maintenant être utilisée pour défendre la décision.

Conclusions

[180]   Pour les motifs qui précèdent, je dois conclure que la décision est déraisonnable et qu’elle doit être renvoyée pour nouvel examen.

[181]   Les deux parties conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier et la Cour est du même avis.

JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1. La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SPR différemment constitué pour que celui‑ci procède à un nouvel examen.

2. Il n’y a aucune question à certifier.

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