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[2001] 3 C.F. 20

T-1916-99

2001 CFPI 34

Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires (demanderesse)

c.

Commission canadienne du lait (défenderesse)

et

Le Comité canadien de gestion des approvisionnements de lait, l’Office de mise en marché du lait de l’Île-du-Prince-Édouard, la Régie de mise en marché du lait du Nouveau-Brunswick, la Fédération des producteurs de lait du Québec, les Producteurs laitiers de l’Ontario, Les producteurs de lait du Manitoba et la procureure générale du Québec (intervenants)

Répertorié : Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires c. Canada (Commission du lait) (1re inst.)

Section de première instance, juge Tremblay-Lamer— Ottawa, 16, 17 et 18 janvier et 7 février 2001.

Compétence de la Cour fédérale — Section de première instance — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Comité canadien de gestion des approvisionnements de lait a rejeté une demande de permis de la classe 5a) — La Cour n’a pas compétence pour contrôler la décision parce que le CCGAL n’est pas un office fédéral au sens de l’art. 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale — Le CCGAL n’est pas créé par une loi fédérale, mais a été constitué en vertu d’une entente fédérale-provinciale (PNCL) — Le fait que l’entente fédérale-provinciale ait été approuvée par décret ne suffit pas pour que le CCGAL soit « visé » par une loi fédérale — Les mots « confère by or under an Act of Parliament » (prévus par une loi fédérale) à l’art. 2(1) signifient que la compétence doit trouver sa source dans une loi fédérale — Les pouvoirs du CCGAL découlent directement de l’Entente des P-9 (une entente fédérale-provinciale modifiant le PNCL) qui n’est jamais devenue loi — Les pouvoirs exercés par le CCGAL en vertu de l’Entente des P-9 ont été expressément délégués aux offices provinciaux qui, à leur tour, ont mandaté le CCGAL en vertu de l’Entente — Ni la Loi ni le Règlement ne permettent la délégation de pouvoirs fédéraux au CCGAL — Le mandat du CCGAL lui a été confié par les signataires provinciaux en vertu de l’entente — Le CCGAL n’est pas contrôlé directement ou indirectement par un office fédéral.

Il s’agissait en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Comité canadien de gestion des approvisionnements de lait a rejeté la demande de permis de la classe 5a) présentée par la demanderesse. Les gouvernements fédéral et provinciaux ont compétence sur la gestion des approvisionnements de lait au Canada. Afin de permettre une réglementation uniforme du commerce interprovincial et intraprovincial des produits laitiers, les deux ordres de gouvernement ont conclu le Plan national de commercialisation du lait (PNCL) et l’Entente globale sur la mise en commun du lait de classe spéciale (Entente des P-9). L’Entente des P-9 comprend un protocole d’entente, qui établit un accord quant à la manière dont les signataires exercent leurs pouvoirs et s’acquittent de leurs responsabilités eu égard à la mise en commun du lait de classe spéciale, et un addenda, qui établit le Programme de permis des classes spéciales de lait (PPCSL). Le PPCSL est un programme destiné à maintenir la concurrence, tant sur le plan intérieur que sur le plan international, dans la vente des produits laitiers, à fixer le prix du lait vendu dans le cadre du commerce interprovincial et à effectuer la mise en commun des revenus. Le PPCSL prévoit cinq classes de lait, notamment la classe 5a) qui concerne le fromage comme ingrédient pour la transformation secondaire aux fins des marchés intérieurs et d’exportation. Le PPCSL prévoit qu’il est possible d’obtenir du lait des diverses classes grâce à un système de permis régi par la Commission canadienne du lait (CCL) sous la supervision du CCGAL.

La CCL est une société d’État à laquelle la Loi sur la Commission canadienne du lait confère certains pouvoirs pour qu’elle remplisse sa mission qui consiste à permettre aux producteurs de lait et de crème d’obtenir une juste rétribution de leur travail et de leur investissement, et d’assurer aux consommateurs un approvisionnement continu et suffisant de produits laitiers de qualité. L’article 9.1 autorise la CCL à conclure avec les provinces un accord pour coordonner la commercialisation des produits laitiers. La CCL est habilitée à déléguer de nombreux pouvoirs à un office provincial. Le Comité canadien de gestion des approvisionnements de lait (CCGAL) est un comité créé par entente. Il est chargé de déterminer les politiques et de superviser la mise en application du PNCL.

Les membres de la demanderesse sont des fabricants de pizza fraîche qui tirent la plupart de leurs revenus de la livraison à domicile. L’ACRSA a proposé d’élargir les critères d’admissibilité des produits au PPCSL afin que les fabricants de pizza fraîche puissent obtenir des permis de classe 5a). Le CCGAL ayant décidé de rejeter sa proposition, l’ACRSA a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

Le paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit qu’un « office fédéral » est un organisme ayant les pouvoirs « prévus par une loi fédérale » ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale.

Il s’agissait de déterminer si la Cour avait compétence pour contrôler l’exercice des pouvoirs du CCGAL, ce qui dépendait de la question de savoir si le CCGAL est un office fédéral au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale.

Jugement : la demande est rejetée.

La Cour n’avait pas compétence pour contrôler la décision parce que le CCGAL n’est pas un « office fédéral » au sens du paragraphe 2(1).

La demanderesse a soutenu que le CCGAL est un office fédéral aux fins de l’application du PPCSL. Le CCGAL n’a pas été créé par une loi fédérale. Il a été constitué en vertu de l’entente (le PNCL) et tous les pouvoirs qu’il possède relativement à la mise en commun du lait de classe spéciale ne découlent pas d’une loi fédérale, mais plutôt de l’Entente des P-9, une entente fédérale-provinciale.

La demanderesse a soutenu que le décret approuvant l’entente fédérale-provinciale devrait être suffisant pour que le CCGAL soit « visé » par une loi fédérale. Les mots « conferred by or under an Act of Parliament » (prévus par une loi fédérale) au paragraphe 2(1) signifient simplement que la compétence doit trouver sa source dans une loi fédérale. Le texte français de la disposition l’indique clairement puisqu’on y utilise les mots « prévus ».

La demanderesse a soutenu que tous les pouvoirs exercés en vertu d’ententes fédérales-provinciales sont des pouvoirs prévus par une loi fédérale. Une distinction a été faite avec la décision Administration régionale Crie c. Canada (Administrateur fédéral), [1991] 3 C.F. 533 invoquée par la demanderesse, puisque le CCGAL n’est pas une création de la loi et que l’entente fédérale-provinciale, même si elle a été approuvée par décret, n’est jamais devenue loi.

Même si on pourrait considérer, lorsque les pouvoirs sont exercés en vertu d’un texte réglementaire, que le CCGAL est un office fédéral, il n’y a aucun texte réglementaire prévoyant le rôle du CCGAL et la manière dont il doit s’en acquitter eu égard au programme de permis.

En résumé, même si les questions visées par l’Entente des P-9 sont essentiellement de nature fédérale, le CCGAL n’exerce pas des pouvoirs prévus par une loi fédérale; ces pouvoirs découlent directement de l’Entente des P-9 qui n’est jamais devenue loi.

De plus, les pouvoirs exercés par le CCGAL en vertu de l’Entente des P-9 ont été expressément délégués aux offices provinciaux qui, à leur tour, ont mandaté le CCGAL en vertu de l’Entente. Ni la Loi ni le Règlement ne permettent la délégation de pouvoirs fédéraux au CCGAL. Le mandat du CCGAL en ce qui concerne la fixation du prix et la mise en commun lui a été confié par les signataires provinciaux en vertu de l’Entente. La question de savoir si la province était habilitée à confier un tel mandat au CCGAL n’a pas été soumise à la Cour. Le CCGAL n’est pas contrôlé directement ou indirectement par un office fédéral, la CCL agissant uniquement à titre de mandataire dans l’exécution des fonctions administratives nécessaires à l’application du programme.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91, 92.

Loi sur la Commission canadienne du lait, L.R.C. (1985), ch. C-15, art. 2, 8, 9 (mod. par L.C. 1994, ch. 26, art. 19; 1995, ch. 23, art. 2), 9.1 (édicté, idem, art. 3).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2(1) « office fédéral » (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18, 18.1(3) (édicté, idem, art. 5).

Règlement sur la commercialisation des produits laitiers, DORS/94-466.

JURISPRUDENCE

distinction faite d’avec :

British Columbia (Milk Marketing Board) v. Aquilini, [1997] B.C.J. no 843 (C.S.) (QL); conf. en partie par (1998), 165 D.L.R. (4th) 626; 9 Admin. L.R. (3d) 1; 112 B.C.A.C. 119; 59 B.C.L.R. (3d) 143 (C.A.); Administration régionale Crie c. Canada (Administrateur fédéral), [1991] 3 C.F. 533 (1991), 81 D.L.R. (4th) 659; 1 Admin L.R. (2d) 173 (C.A.).

DÉCISION CITÉE :

Ontario (Commission de la commercialisation du poulet) c. Canada (Office de commercialisation des poulets), [1993] 1 C.F. 116 (1992), 58 F.T.R. 34 (1re inst.).

DOCTRINE

Brown, D. J. M. et J. M. Evans. Judicial Review of Administrative Action in Canada, éd. à feuilles mobiles, Toronto : Canvasback Pub., 1998.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Comité canadien de gestion des approvisionnements de lait a rejeté la demande de permis de la classe 5a) présentée par la demanderesse. Demande rejetée pour le motif que la Cour n’avait pas compétence pour contrôler une décision du CCGAL puisque ce dernier n’est pas un « office fédéral » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale.

ONT COMPARU :

David W. Kent et Robert Wisner pour la demanderesse.

Barbara A. McIsaac, c.r., et Gregorios S. Tzemenakis pour la défenderesse.

Guy J. Pratte et Martine Richard pour l’intervenant le Comité de gestion des approvisionnements de lait.

David K. Wilson et David R. Elliott pour les intervenants l’Office de mise en marché du lait de l’Île-du-Prince-Édouard, la Régie de mise en marché du lait du Nouveau-Brunswick, la Fédération des producteurs de lait du Québec, les Producteurs laitiers de l’Ontario et Les producteurs de lait du Manitoba.

Gaétan Ouellet pour l’intervenante la procureure générale du Québec.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McMillan Binch, Toronto, pour la demanderesse.

McCarthy Tétrault, Ottawa, pour la défenderesse.

Borden Ladner Gervais s.a.r.l., Ottawa, pour l’intervenant le Comité de gestion des approvisionnements de lait.

Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour les intervenants l’Office de mise en marché du lait de l’Île-du-Prince-Édouard, la Régie de mise en marché du lait du Nouveau-Brunswick, la Fédération des producteurs de lait du Québec, les Producteurs laitiers de l’Ontario et Les producteurs de lait du Manitoba.

Bernard, Roy & Associés, Montréal, pour l’intervenante la procureure générale du Québec.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Tremblay-Lamer : L’Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires (ACRSA) sollicite en l’espèce le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Comité canadien de gestion des approvisionnements de lait (CCGAL) a rejeté, le 30 septembre 1999, sa demande de permis de la classe 5a).

LES FAITS

1.         La gestion des approvisionnements de lait au Canada

[2]        Il y a deux catégories de lait produit au Canada : le lait de consommation et le lait de transformation. Le lait de consommation est transformé en lait servant à consommation courante et en crème. Le lait de transformation est transformé en produits laitiers, par exemple, du beurre, du fromage, des poudres de lait, de la crème glacée et du yogourt. La présente demande de contrôle judiciaire concerne le lait de transformation et, surtout, l’achat de fromage[1].

[3]        Les gouvernements fédéral et provinciaux ont compétence sur la gestion des approvisionnements de lait. En vertu des articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], le pouvoir du gouvernement fédéral de réglementer l’industrie laitière se limite aux activités interprovinciales et internationales tandis que le pouvoir de chacune des assemblées législatives provinciales de réglementer ladite industrie se limite généralement aux activités effectuées dans la province même.

[4]        Les deux ordres de gouvernement ont conclu deux ententes, savoir le Plan national de commercialisation du lait (PNCL)[2] et l’Entente globale sur la mise en commun du lait de classe spéciale (Entente des P-9)[3], afin de permettre une réglementation uniforme du commerce interprovincial et intraprovincial des produits laitiers.

Commission canadienne du lait

[5]        La Commission canadienne du lait (CCL) est une société d’État créée en vertu de la Loi sur la Commission canadienne du lait (la Loi)[4]. La CCL a pour mission, d’une part, de permettre aux producteurs de lait et de crème dont l’entreprise est efficace d’obtenir une juste rétribution de leur travail et de leur investissement et, d’autre part, d’assurer aux consommateurs un approvisionnement continu et suffisant de produits laitiers de qualité[5].

[6]        L’article 9 [mod. par L.C. 1994, ch. 26, art. 19; 1995, ch. 23, art. 2] de la Loi confère certains pouvoirs à la CCL pour lui permettre de remplir sa mission. Elle peut notamment établir et exploiter un ou plusieurs systèmes de mise en commun pour la commercialisation du lait, calculer la production nationale cible de lait de transformation et, sous réserve d’un accord conclu en vertu de l’article 9.1 [édicté, idem, art. 3] de la Loi, mettre en œuvre un programme régissant les prix et les quantités de toute variété, qualité ou classe de lait ou de crème, ou de tout composant de ceux-ci, nécessaires pour assurer la compétitivité des produits laitiers sur la scène internationale. Il est important de souligner que la CCL n’exerce aucun de ces pouvoirs.

Offices provinciaux de mise en marché du lait

[7]        Chacune des provinces possède un office de mise en marché du lait (office provincial), un organisme constitué en vertu de la législation provinciale aux fins de promouvoir, de contrôler et de réglementer la production et la commercialisation du lait et des autres produits laitiers. Les offices provinciaux exercent leurs activités conformément au cadre établi à la fois par la législation provinciale et par les pouvoirs délégués en vertu de la Loi, dont la coordination est assurée par des accords fédéraux-provinciaux, c’est-à-dire le PNCL et l’Entente des P-9.

[8]        Les pouvoirs conférés aux offices provinciaux par la législation provinciale relativement à la mise en marché du lait dans la province sont complétés par les pouvoirs fédéraux délégués en vertu de la Loi en ce qui concerne la mise en marché interprovinciale et l’exportation du lait. L’article 9.1 de la Loi autorise la CCL à conclure avec les provinces un accord pour coordonner la commercialisation des produits laitiers, dont le lait. La CCL est habilitée à déléguer de nombreux pouvoirs à un office provincial, notamment à l’autoriser à exercer ses pouvoirs. L’article 9.1 prévoit ce qui suit :

9.1 La Commission peut, avec l’agrément du gouverneur en conseil, conclure avec une province ou un office un accord pour coordonner la commercialisation des produits laitiers, et notamment pour soit l’autoriser à exercer tout pouvoir similaire à ceux visés aux alinéas 9(1)f) à i) qui lui est conféré par le lieutenant-gouverneur en conseil d’une province ou qui l’est par les lois d’une province à un office, soit autoriser un office à exercer les pouvoirs visés aux alinéas 9(1)f) à i).

[9]        Les offices provinciaux qui sont intervenus dans la présente demande de contrôle judiciaire, savoir l’Office de mise en marché du lait de l’Île-du-Prince-Édouard, la Régie de mise en marché du lait du Nouveau-Brunswick, la Fédération des producteurs de lait du Québec, les Producteurs laitiers de l’Ontario et les Producteurs laitiers du Manitoba, ont des fonctions analogues et exercent des pouvoirs similaires dans leur province respective, notamment les pouvoirs fédéraux qui leur sont délégués par la CCL[6].

Comité canadien de gestion des approvisionnements de lait

[10]      Le CCGAL est un comité créé par entente conformément au paragraphe H.1 du PNCL. En vertu des dispositions du PNCL et du Protocole d’entente[7], le CCGAL est chargé de déterminer les politiques et de superviser la mise en application du Plan. L’annexe du décret indique clairement que le CCGAL est chargé de superviser et de mettre en œuvre l’entente.

[11]      Le CCGAL est composé de représentants des offices provinciaux qui ont signé l’entente et de leurs gouvernements provinciaux respectifs. Chaque province qui a signé l’entente a un vote. De plus, les Producteurs laitiers du Canada, le Conseil national de l’industrie laitière du Canada et l’Association des consommateurs du Canada ont droit à un représentant chacun au sein du CCGAL, mais n’ont pas le droit de vote. La CCL s’acquitte de diverses fonctions administratives et de secrétariat pour le CCGAL, mais le représentant de la CCL n’a pas de droit de vote en ce qui concerne les affaires visées par l’Entente des P-9[8].

 Plan national de commercialisation du lait

[12]      Créé en 1984, le PNCL est un accord fédéral-provincial visant à coordonner la commercialisation des produits laitiers et des produits de la crème en ce qui a trait aux besoins intérieurs canadiens et aux autres besoins concernant le lait de transformation au Canada. Le préambule du PNCL est le résultat de la politique établie par le fédéral et les provinces signataires voulant « qu’un programme de gestion des approvisionnements des produits du lait de transformation soit continué dans le meilleur intérêt à long terme des consommateurs, des producteurs et des transformateurs ». À cette fin, les signataires ont reconnu qu’il était souhaitable que le PNCL soit ratifié par les agences et offices provinciaux dans toutes les provinces et par le Canada, et que la participation des autorités fédérales et provinciales était nécessaire pour assurer l’adoption et la mise en œuvre du Plan[9].

[13]      Les objectifs du PNCL sont d’établir l’équilibre entre l’approvisionnement en lait de transformation et les besoins prévus des Canadiens et de déterminer la part du lait de transformation qui revient aux provinces[10].

[14]      Les signataires du PNCL sont, notamment, les offices provinciaux constitués sous le régime d’une loi provinciale pour réglementer la commercialisation des produits laitiers dans le cadre du commerce intraprovincial ou leur production en vue d’une telle commercialisation (à l’exception de Terre-Neuve)[11].

[15]      Le PNCL comprend en outre un protocole d’entente ainsi qu’un addenda qui exposent son cadre d’application. Il est modifié par diverses autres ententes qui permettent la mise en commun des revenus tirés de la vente de lait de diverses classes. L’Entente des P-9 est particulièrement importante en l’espèce parce qu’elle crée des classes spéciales de lait utilisées pour desservir les marchés intérieurs et extérieurs et prévoit la mise en commun des revenus tirés de la vente du lait de transformation dans ces classes spéciales.

Entente globale sur la mise en commun du lait de classe spéciale

[16]      L’Entente des P-9 est une entente conclue par les signataires du PNCL relativement à la création des classes spéciales de lait utilisées pour desservir les marchés concurrentiels et à la mise en commun des revenus tirés de la vente du lait de transformation dans ces classes spéciales utilisées pour desservir les marchés intérieurs et extérieurs (l’Alberta et la Colombie-Britannique n’ont pas signé l’entente, mais en respectent les paramètres).

[17]      L’Entente des P-9 comprend en outre un protocole d’entente (partie I) et un addenda (partie II). Le but du protocole d’entente est d’établir un accord entre les signataires quant à la manière dont ils exercent leurs pouvoirs et s’acquittent de leurs responsabilités et quant à la manière dont ils mènent leurs affaires mutuelles eu égard à la mise en application et aux objectifs du Protocole d’entente sur la mise en commun du lait de classe spéciale. L’article 5 du protocole d’entente décrit plus particulièrement les activités de commercialisation qui font partie des classes spéciales de lait[12].

[18]      L’objectif de l’addenda est d’établir un programme, le Programme de permis des classes spéciales de lait (PPCSL), nécessaire au commerce international compétitif des produits laitiers. L’addenda décrit le fonctionnement d’une mise en commun nationale des revenus des classes spéciales et la mise en marché coordonnée des produits laitiers ainsi que les obligations et responsabilités des offices provinciaux et de la CCL. L’article 2 de l’addenda prévoit l’attribution aux offices provinciaux d’un pouvoir leur permettant de fixer le prix du lait commercialisé à l’échelle interprovinciale et d’effectuer la mise en commun des revenus[13].

[19]      L’article 4 de l’addenda (de concert avec l’article 9.1 de la Loi) prévoit la délégation aux offices provinciaux des pouvoirs fédéraux nécessaires leur permettant de mettre en application le PPCSL. Cet article indique en outre clairement que chaque office provincial doit exercer les pouvoirs qui lui sont ainsi conférés de la même manière qu’il exerce les pouvoirs similaires qui lui sont conférés par la province. Enfin, l’article 6 de l’addenda indique que tout changement au système doit être approuvé par le CCGAL[14].

Programme de permis des classes spéciales de lait

[20]      Le PPCSL est un programme destiné à maintenir la concurrence, tant sur le plan intérieur que sur le plan international, dans la vente des produits laitiers, à fixer le prix du lait vendu dans le cadre du commerce interprovincial et à effectuer la mise en commun des revenus. De plus, le programme prévoit un système de permis grâce auxquels les transformateurs peuvent acheter du lait à un prix abordable dans les provinces où ils exploitent leur entreprise pour l’utiliser dans les classes spéciales.

[21]      Le PPCSL prévoit cinq classes de lait dont le prix varie en fonction de l’utilisation finale du lait, notamment la classe 5a) qui concerne le fromage comme ingrédient pour la transformation secondaire aux fins des marchés intérieurs et d’exportation.

Permis de la classe 5a)

[22]      Le PPCSL prévoit qu’il est possible d’obtenir du lait des diverses classes grâce à un système de permis régi par la CCL sous la supervision du CCGAL.

2.         La proposition de l’ACRSA au CCGAL

[23]      L’ACRSA est la plus importante association d’accueil et de restauration au Canada. Un bon nombre de ses membres sont des fabricants de pizza fraîche qui tirent la plupart de leurs revenus de la livraison à domicile.

[24]      La CCL a déjà accordé des permis de classe 5 à des fabricants de pizza fraîche (non membres de l’ACRSA)[15]. L’ACRSA a décidé, au nom de ses membres, de demander des permis de classe 5a) pour les fabricants de pizza fraîche.

[25]      La CCL a informé l’ACRSA, avant que celle-ci ne présente une demande officielle, que deux choix s’offraient à elle et à ses membres pour obtenir des permis de classe 5a)[16].

[26]      Le premier choix était de nature administrative; il s’agissait pour chacun des membres de l’ACRSA qui souhaitait obtenir un permis de présenter une demande en utilisant le document Renseignements généraux et demandes pour transformateurs secondaires[17].

[27]      Ces demandes sont examinées par un employé de la CCL qui détermine si l’auteur de la demande respecte les critères d’admissibilité au PPCSL. L’ACRSA a en outre été informée qu’en cas de refus de la demande, le processus d’appel est déclenché. La demande est ensuite soumise au CCGAL qui l’examine[18].

[28]      Il a été clairement indiqué que la CCL devrait nécessairement refuser une telle demande parce que les produits frais (autres que ceux à base de beurre) ne sont pas admissibles en vertu du PPCSL[19].

[29]      Le deuxième choix qui s’offrait à l’ACRSA, en tant qu’association professionnelle, consistait à faire au nom de ses membres une proposition de modification de la politique applicable en vertu du PPCSL afin que les pizzas fraîches soient incluses dans les produits visés[20].

[30]      L’inclusion de produits frais (autres que ceux à base de beurre) dans la classe 5 entraînerait un changement de politique majeur quant à la portée du PPCSL. Une telle décision ne peut être prise que par le CCGAL comme le prévoient le paragraphe H.1 du Plan et l’article 3 de la partie II de l’Entente des P-9[21].

[31]      Le 31 août 1998, l’ACRSA a officiellement informé la CCL qu’elle demanderait, au nom de ses membres, que les fabricants de pizza fraîche puissent obtenir des permis de classe 5a)[22].

[32]      Le 28 mai 1999, le Comité technique du Comité des ingrédients s’est réuni pour examiner la proposition de l’ACRSA. Le Comité a convenu de ce qui suit à la majorité :

[traduction] Il est recommandé que la demande de classe spéciale présentée par l’ACRSA soit rejetée. Dans sa demande, l’ACRSA n’a pas démontré comme il le lui incombait que ses membres sont admissibles au programme[23].

[33]      Un extrait du Rapport du Comité technique du Comité des ingrédients en date du 29 juin 1999 a été remis au Comité des ingrédients le même jour[24].

[34]      La CCL a ensuite demandé aux membres du Comité des ingrédients leurs commentaires sur la recommandation du Comité technique[25].

[35]      Le Comité des ingrédients s’est réuni le 29 juin 1999 et a recommandé, à la suite d’un vote majoritaire, que la proposition de l’ACRSA d’élargir les critères d’admissibilité des produits au PPCSL soit rejetée[26].

[36]      Les 29 et 30 septembre 1999, le CCGAL s’est réuni et a décidé de rejeter la proposition de l’ACRSA[27].

[37]      Le 3 novembre 1999, l’ACRSA a présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire de la décision du CCGAL.

QUESTION EN LITIGE

Le CCGAL est-il un office fédéral au sens de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1)]?

[38]      Pour les motifs qui suivent, la Cour est d’avis que le CCGAL n’est pas un office fédéral et, par conséquent, elle n’examinera pas les questions soulevées par la demanderesse relativement à la possibilité que la décision puisse être « sujette à révision » et au manquement à l’équité procédurale à laquelle elle aurait pu avoir droit.

POSITION DE L’ACRSA

[39]      La demanderesse soutient que notre Cour a compétence pour contrôler la décision du CCGAL. L’ACRSA invoque la décision British Columbia (Milk Marketing Board) v. Aquilini de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (confirmée en partie par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique)[28] pour soutenir que le CCGAL est un office fédéral aux fins de l’application du PPCSL. Dans cette décision, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a notamment analysé la délégation de pouvoirs faite au CCGAL en vertu de la Loi et du Règlement sur la commercialisation des produits laitiers[29]. L’ACRSA affirme que, même si la décision Aquilini portait sur les pouvoirs du CCGAL de déterminer le quota fédéral en vertu du plan national, le CCGAL n’en demeure pas moins un office fédéral aux fins de l’application du PPCSL. Le programme vise essentiellement à réglementer le commerce international et interprovincial des produits laitiers aux fins de leur transformation secondaire.

[40]      L’ACRSA invoque également deux décisions de notre Cour, Office de commercialisation des poulets[30] et Administration régionale Crie[31], pour soutenir que les pouvoirs exercés par un office fédéral en vertu d’un accord fédéral-provincial sont des pouvoirs prévus par une loi fédérale.

[41]      L’ACRSA souligne que l’exception prévue du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale a simplement pour but de permettre à un organisme provincial, dont les décisions sont par ailleurs contrôlées par les cours supérieures de la province, de rester sous la supervision de ces cours même lorsqu’il exerce les pouvoirs qui lui sont délégués par une loi fédérale. L’ACRSA soutient que le CCGAL est un office, distinct des offices provinciaux, qui est constitué sous le régime du plan national et non d’une loi provinciale.

POSITION DE LA CCL, DU CCGAL ET DES INTERVENANTS

[42]      Les avocats du CCGAL, de la CCL et des offices provinciaux intervenant aux présentes font valoir que notre Cour est une cour créée par la loi, ne possédant aucune compétence inhérente et n’ayant donc d’autre compétence que celle qui lui est attribuée par la loi. Par conséquent, en vertu du libellé exprès du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale, il faudrait que le législateur ait conféré des pouvoirs à l’office qui est censé être assujetti à la compétence de la Cour; mais même si tel était le cas, la simple délégation d’un pouvoir fédéral à un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ne suffirait pas pour que la Cour ait compétence.

[43]      Ils soutiennent que le CCGAL n’est pas créé par une loi fédérale et ne possède pas de personnalité juridique distincte. Le CCGAL est un simple comité ou groupe, créé en vertu d’une entente, au sein duquel les offices provinciaux exercent de façon consensuelle les pouvoirs qui leur sont conférés par les lois provinciales, lesquels pouvoirs sont complétés par les pouvoirs délégués en vertu de la législation fédérale.

[44]      Les pouvoirs fédéraux sont délégués directement aux offices provinciaux qui ne sont pas habilités à déléguer leurs pouvoirs au CCGAL. Aucun pouvoir fédéral permettant de fixer les prix ou d’effectuer la mise en commun n’a été délégué au CCGAL. Par conséquent, notre Cour n’a pas compétence sur le CCGAL.

[45]      La procureure générale du Québec soutient que notre Cour n’a pas compétence sur la décision prise par les membres votants du CCGAL parce qu’ils exercent simplement leurs droits en vertu d’une entente privée.

ANALYSE

[46]      Comme nous l’avons souligné au début, la seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si notre Cour a compétence pour contrôler l’exercice de ces pouvoirs par le CCGAL. En vertu du paragraphe 18.1(3) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour peut :

18.1 […]

(3) […]

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

[47]      Par conséquent, notre Cour aura compétence si le CCGAL est un « office fédéral » suivant la définition prévue au paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale :

2. (1) […]

« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[48]      Il importe peu pour déterminer si notre Cour a compétence que le CCGAL ait exercé des pouvoirs lui permettant de formuler des politiques ou d’autres pouvoirs, comme l’ont dit les auteurs Brown et Evans :

[traduction] En conséquence, c’est la source du pouvoir d’un tribunal et non la nature du pouvoir exercé ou de l’organisme l’exerçant qui permet principalement de déterminer s’il est visé par la définition. Le critère consiste tout simplement à déterminer si le pouvoir de l’organisme est prévu par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale[32].

[49]      Les mots utilisés dans la définition d’« office fédéral » suggèrent certains éléments essentiels.

[50]      Un organisme relèvera de la compétence prima facie de la Cour fédérale parce qu’il a exercé, qu’il exerce ou qu’il est censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale. Par ailleurs, il sera néanmoins soustrait à la compétence de la Cour fédérale parce qu’il est constitué sous le régime d’une loi provinciale.

[51]      La première étape de l’analyse consiste à déterminer la source des pouvoirs exercés ou censés être exercés. En l’espèce, les pouvoirs invoqués concernent le pouvoir de fixer les prix dans la création de classes spéciales de lait utilisées pour desservir les marchés intérieurs et extérieurs. Ces pouvoirs constituent l’essence même de l’Entente des P-9.

[52]      Comme nous l’avons expliqué ci-dessus, le CCGAL est un comité créé en vertu du paragraphe H.1 du PNCL, exerçant les pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 1 du protocole d’entente (partie I) et l’article 6 de l’addenda (partie II) de l’Entente des P-9. Son rôle consiste essentiellement à superviser et coordonner l’application de l’Entente des P-9.

[53]      Il est clair que le CCGAL n’est pas créé par une loi fédérale. Il a été constitué en vertu de l’entente et tous les pouvoirs qu’il possède relativement à la mise en commun du lait de classe spéciale découlent de l’Entente des P-9 elle-même et non d’une loi fédérale.

[54]      En fait, l’avocat de la demanderesse a reconnu que les pouvoirs exercés par le CCGAL ne sont pas prévus par une loi fédérale, mais il a soutenu qu’ils sont plutôt conférés « en vertu » (« under » dans le texte anglais) d’une loi fédérale. L’existence d’un instrument émanant du gouvernement fédéral (le décret approuvant l’entente fédérale-provinciale) prévoyant que le CCGAL est l’organe de surveillance devrait être suffisant pour que celui-ci soit visé par une loi fédérale.

[55]      Je ne suis pas d’accord. Je n’accepte pas la distinction générale faite par la demanderesse entre les termes « by » et « under » du texte anglais. À mon avis, les mots « conferred by or under an Act of Parliament » au paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale signifient simplement que la compétence doit trouver sa source dans une loi fédérale. Le texte français de l’article l’indique clairement puisqu’on y utilise les mots « prévus », « compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ».

[56]      La demanderesse soutient que dans l’arrêt Administration régionale Crie[33], la Cour a conclu que tous les pouvoirs exercés en vertu d’ententes fédérales-provinciales sont des pouvoirs prévus par une loi fédérale. Je ne suis pas d’accord pour dire que c’est le cas. Dans cette décision, il s’agissait de déterminer si l’administrateur fédéral avait exercé une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale en vertu des articles 2 et 18 de la Loi sur la Cour fédérale.

[57]      La Cour d’appel fédérale a statué que la nomination de l’administrateur fédéral découlait de l’application d’un texte législatif fédéral. Le mécanisme de nomination d’un administrateur fédéral était prévu par l’entente qui était devenue loi. Une fois nommé, l’administrateur fédéral était un « office fédéral » en ce sens que ses pouvoirs étaient prévus par la loi fédérale plutôt que par l’entente elle-même.

[58]      En l’espèce, les divers liens entre la Loi, le PNCL et l’Entente des P-9 qui confèrent son mandat au CCGAL sont manifestement très différents de ceux qui existaient dans l’arrêt Administration régionale Crie. On n’y trouve aucun des liens mentionnés plus haut. Le CCGAL n’est pas une création de la loi et l’entente fédérale-provinciale, même si elle a été approuvée par décret, n’est jamais devenue loi.

[59]      Par ailleurs, je reconnais que l’on pourrait considérer que, lorsque les pouvoirs sont exercés en vertu d’un texte réglementaire, le CCGAL est un office fédéral, comme ce fut le cas dans la décision Aquilini[34] où la Cour suprême de la Colombie-Britannique a notamment analysé la délégation de pouvoirs faite au CCGAL en vertu de la Loi et du Règlement sur la commercialisation des produits laitiers en ce qui concerne l’administration du quota fédéral de lait. La Cour a conclu qu’en s’acquittant des fonctions prévues au règlement, le CCGAL n’était un office fédéral qu’en ce qui concerne les questions des quotas fédéraux. Toutefois, en l’espèce, il n’y a aucun texte réglementaire prévoyant le rôle du CCGAL et la manière dont il doit s’en acquitter eu égard au programme de permis.

[60]      En résumé, même si je reconnais que les questions visées par l’Entente des P-9 sont essentiellement de nature fédérale, le problème réside dans le fait que le CCGAL n’exerce pas des pouvoirs prévus par une loi fédérale; ces pouvoirs découlent directement de l’Entente des P-9 qui n’est jamais devenue loi.

[61]      De plus, les pouvoirs exercés par le CCGAL en vertu de l’Entente des P-9 ont été expressément délégués aux offices provinciaux qui, à leur tour, ont mandaté le CCGAL en vertu de l’Entente.

[62]      Comme nous l’avons vu ci-dessus, l’article 9.1 de la Loi autorise la délégation de pouvoirs à une province ou à des offices provinciaux à la suite d’un accord.

[63]      L’Entente des P-9 prévoit dans son préambule que les provinces (par l’intermédiaire de leur office provincial respectif) ont convenu de créer des classes spéciales de lait qui seront vendues à un prix préférentiel :

ATTENDU QUE les autorités des provinces signataires ont décidé de créer des classes spéciales de lait dont le prix est fixé à un niveau concurrentiel sur les marchés intérieur et extérieur[35];

[64]      La partie II de l’Entente des P-9 est un addenda au protocole d’entente (partie I) qui prévoit la délégation des pouvoirs nécessaires pour coordonner la mise en marché des produits laitiers.

[65]      Ainsi, la partie II accorde aux offices provinciaux le pouvoir nécessaire leur permettant de fixer le prix du lait vendu à l’échelle interprovinciale et d’effectuer la mise en commun des revenus, et elle établit que la CCL servira d’agent « pour les fonctions administratives de l’exploitation du programme »[36].

[66]      Pour ce qui est du pouvoir juridique nécessaire pour habiliter les offices provinciaux à établir et à exécuter le programme de mise en commun, le paragraphe 4 de la partie II de l’Entente des P-9 prévoit :

Sujet à l’approbation du gouverneur en conseil, la Commission autorise les offices, en autant qu’il est nécessaire afin de leur permettre d’exécuter pleinement le programme tel qu’établi dans le protocole d’entente et ses annexes, à exercer tous les pouvoirs de la Commission établis aux paragraphes 9(1)f) à i) de la Loi de la Commission canadienne du lait. Les offices exerceront les pouvoirs qui leur sont accordés de la même manière qu’ils exercent leurs pouvoirs provinciaux similaires[37].

[67]      Contrairement à la décision Aquilini[38], ni la Loi ni le Règlement ne permettent la délégation de pouvoirs fédéraux au CCGAL. Le mandat du CCGAL en ce qui concerne la fixation du prix et la mise en commun lui a été confié par les signataires provinciaux en vertu de l’entente.

[68]      La défenderesse et les intervenants sont d’avis que le CCGAL est une « tribune » pour les offices provinciaux et qu’il ne constitue pas une entité décisionnelle. Je ne suis pas d’accord avec cette affirmation. L’Entente des P-9 indique clairement que le CCGAL est l’organisme de surveillance. La question de savoir si la province était habilitée à confier un tel mandat au CCGAL n’a pas été soumise à la Cour. Mais ce qui est sûr, c’est que le CCGAL n’est pas contrôlé directement ou indirectement par un office fédéral, la CCL agissant uniquement à titre de mandataire dans l’exécution des fonctions administratives nécessaires à l’application du programme.

[69]      Pour tous ces motifs, je conclus que notre Cour n’a pas compétence pour contrôler une décision du CCGAL parce qu’il ne s’agit pas d’un « office fédéral » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale.

[70]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.



[1]  Affidavit principal, dossier de la demande conjointe, vol. IX, onglet 11, p. 1715, par. 23.

[2]  PNCL, statuts, vol. 1, onglet 6.

[3]  Entente des P-9, statuts, vol. 1, onglet 7.

[4]  L.R.C. (1985), C-15.

[5]  Ibid., art. 8.

[6]  Affidavit de Myles, vol. IX, onglet 14, p. 1941, par. 10.

[7]  PNCL, statuts, vol. 1, onglet 6, p. 4, par. H.1.

[8]  PNCL, statuts, vol. 1, onglet 6, p. 4, par. H.1; Entente des P-9, addenda (partie II), statuts, vol. 1, onglet 7, art. 2.

[9]  Affidavit principal, vol. IX, onglet 11, p. 1716, par. 28; affidavit de Myles, vol. IX, onglet l4, p. 1938, par. 12; PNCL, statuts, vol. 1, onglet 6, p. 1, par. A et B.

[10]  Affidavit principal, vol. IX, onglet 11, p. 1716, par. 28; affidavit de Myles, vol. IX, onglet l4, p. 1942, par. 12; PNCL, statuts, vol. 1, onglet 6, p. 1, par. E.1.

[11]  Loi, art. 2; PNCL, statuts, vol. 1, onglet 6, p. 25 et suiv.

[12]  Entente des P-9, protocole (partie I), statuts, vol. 1, onglet 7.

[13]  Addenda de l'Entente des P-9 (partie II), statuts, vol. 1, onglet 7, p. 31, art. 2.

[14]  Addenda de l'Entente des P-9 (partie II), statuts, vol. 1, onglet 7, p. 31-32, art. 2, 4 et 6.

[15]  Affidavit de Sullivan, dossier de la demande conjointe, vol. 1, onglet 2, p. 12, par. 5 et 6.

[16]  Affidavit de Coyle, dossier de la demande conjointe, vol. 5, onglet 7, p. 952, par. 52 et 53.

[17]  Affidavit de Coyle, dossier de la demande conjointe, vol. 5, onglet 7, p. 952, par. 53.

[18]  Affidavit de Coyle, dossier de la demande conjointe, vol. 5, onglet 7, p. 952 et 952, par. 53.

[19]  Affidavit de Coyle, dossier de la demande conjointe, vol. 5, onglet 7, p. 953, par. 54.

[20]  Affidavit de Coyle, dossier de la demande conjointe, vol. 5, onglet 7, p. 953, par. 55.

[21]  Affidavit de Coyle, dossier de la demande conjointe, vol. 5, onglet 7, p. 953, par. 55, et affidavit de Sullivan, dossier de la demande conjointe, vol. 1, onglets 2B et 2C, p. 34 et 84.

[22]  Affidavit de Coyle, dossier de la demande conjointe, vol. 5, onglet 7, p. 955, par. 59, et affidavit de Sullivan, dossier de la demande conjointe, vol. 1, onglet 2, p. 18, par. 25, et onglet 2K, p. 176.

[23]  Affidavit de Coyle, dossier de la demande conjointe, vol. 5, onglet 7, p. 962, par. 84, et onglet 7G, p. 1221.

[24]  Ibid.

[25]  Affidavit de Coyle, dossier de demande conjointe, vol. 5, onglet 7, p. 962 et 963, par. 85.

[26]  Affidavit de Coyle, dossier de la demande conjointe, vol. 5, onglet 7, p. 964, par. 90.

[27]  Affidavit de Coyle, dossier de la demande conjointe, vol. 5, onglet 7, p. 968, par. 102.

[28]  [1997] B.C.J. No. 843 (C.S.) (QL), conf. en partie par (1998), 165 D.L.R. (4th) 626 (C.A.C.-B.).

[29]  DORS/94-466.

[30]  Ontario (Commission de la commercialisation du poulet) c. Canada (Office de commercialisation des poulets), [1993] 1 C.F. 116 (1re inst.).

[31]  Administration régionale Crie c. Canada (Administrateur fédéral), [1991] 3 C.F. 533 (C.A.).

[32]  D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, éditions à feuilles mobiles, vol. 1 (Toronto: Canvasback Pub., 1998), à la p. 2-45.

[33]  Précité, note 31.

[34]  Précité, note 28.

[35]  Dossier de la demande conjointe, vol. I, Entente des P-9, onglet 2C, à la p. 84.

[36]  Dossier de la demande conjointe, vol. I, Entente des P-9 (partie II), onglet 2C, p. 113.

[37]  Dossier de la demande conjointe, vol. I, Entente des P-9 (partie II), onglet 2C, p. 113 et 114.

[38]  Précité, note 28.

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