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[2001] 3 C.F. 163

T-936-99

2001 CFPI 137

Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. et Novartis AG (demanderesses)

c.

RhoxalPharma Inc. et Le ministre de la Santé (défendeurs)

Répertorié : Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. RhoxalPharma Inc. (1re inst.)

Section de première instance, juge Tremblay-Lamer— Ottawa, 5 février, 1er mars 2001.

Brevets — Contrefaçon — Les tribunaux doivent adopter une interprétation téléologique à l’égard des revendications de brevet pour être équitable pour le titulaire du brevet et pour le public — Il n’y a pas contrefaçon si un élément essentiel est différent ou omis dans un dispositif censément contrefait — Le brevet se rapportant aux préparations pharmaceutiques qui comprennent, comme ingrédient actif, de la cyclosporine sous forme d’hydrosol se prêtant à l’injection par voie intraveineuse n’est pas contrefait par un comprimé de cyclosporine qui ne renferme pas d’hydrosol, mais qui forme un hydrosol in situ après ingestion.

La demanderesse, Novartis AG, était titulaire d’un brevet se rapportant en partie aux préparations pharmaceutiques qui comprenaient, comme ingrédient actif, de la cyclosporine sous forme d’hydrosol (une fine dispersion de particules solides dans un milieu aqueux). La demanderesse Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. a obtenu un certain nombre d’avis de conformité à l’égard d’un certain nombre de doses différentes de comprimés de cyclosporine. La défenderesse, RhoxalPharma Inc., a envoyé aux demanderesses un avis d’allégation dans lequel il est allégué que la fabrication, l’utilisation ou la vente des comprimés de cyclosporine qui ne renferment pas d’hydrosol, mais qui reposent sur la formation d’un hydrosol in situ après ingestion du comprimé, ne constituerait pas une contrefaçon du brevet.

Les demanderesses sollicitaient une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à la défenderesse, RhoxalPharma Inc., à l’égard de comprimés de 100 mg de cyclosporine destinés à être administrés par voie orale jusqu’après l’expiration du brevet des demanderesses.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Il s’agissait de savoir si la formation d’un hydrosol après ingestion d’un comprimé constitue une contrefaçon du brevet.

Les demanderesses ont la charge initiale de la preuve. Lorsque la non-contrefaçon est alléguée dans un avis d’allégation, la Cour présume en premier lieu que les allégations de fait contenues dans l’avis d’allégation sont avérées sauf dans la mesure où le demandeur prouve le contraire.

Dans Free World Trust c. Électro Santé Inc. et Whirlpool Corp. c. Camco Inc., la Cour suprême du Canada a précisé que, pour en arriver à une interprétation des revendications de brevet qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public, les tribunaux doivent adopter une interprétation téléologique à l’égard de pareilles revendications. La Cour a déclaré que, en exerçant ses fonctions en matière d’interprétation, un tribunal doit faire une distinction entre les éléments essentiels d’un brevet et les éléments non essentiels en se fondant sur les connaissances communes de l’ouvrier versé dans l’art auquel le brevet se rapporte à la date de la publication du brevet. Il n’y a pas contrefaçon si un élément essentiel est différent ou omis dans un dispositif censément contrefait, mais il peut y avoir contrefaçon si des éléments non essentiels sont substitués ou omis. De plus, la Cour a clairement fait savoir que les revendications doivent recevoir une seule et même interprétation à toutes les fins.

En l’espèce, selon une interprétation raisonnable et équitable des revendications de brevet, les comprimés de la défenderesse ne constituaient pas une contrefaçon du brevet. Le brevet ne s’appliquait qu’aux solutions avant l’ingestion. La divulgation du brevet indiquait clairement que l’invention concerne une préparation sous la forme d’un hydrosol stable, pharmacocompatible se prêtant à l’injection par voie intraveineuse de particules de cyclosporine qui sont suffisamment petites pour éviter l’obstruction des vaisseaux sanguins. Il n’était fait mention nulle part dans la divulgation ou dans les revendications de brevet d’un hydrosol se formant in situ. Le brevet ne s’appliquait pas à une préparation pharmaceutique ingérée qui forme un hydrosol in situ. Les comprimés de la défenderesse n’accomplissaient pas « essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat » que l’invention des demanderesses.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 55.2(4) (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4).

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, art. C.08.004.

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 6(1) (mod. par DORS/98-166, art. 5).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302; 169 N.R. 342 (C.A.F.); Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024; (2000), 194 D.L.R. (4th) 232; 9 C.P.R. (4th) 168; 263 N.R. 150; Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067; (2000), 194 D.L.R. (4th) 193; 9 C.P.R. (4th) 129; 263 N.R. 88.

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Beecham Group Ltd. v. Bristol Laboratories Ltd., [1978] R.P.C. 153 (H.L.).

DÉCISION CITÉE :

Graver Tank & Mfg. Co. v. Linde Air Products Co., 339 U.S. 605 (1950).

DEMANDE d’ordonnance conformément au paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et au paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à RhoxalPharma Inc. à l’égard de comprimés de 100 mg de cyclosporine destinés à être administrés par voie orale. Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Anthony George Creber et Jennifer L. Wilkie pour les demanderesses.

Jean-François Buffoni, Marie Lafleur et Martin Sheehan pour la défenderesse RhoxalPharma Inc.

Personne n’a comparu pour le défendeur le ministre de la Santé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson, Ottawa, pour les demanderesses.

Fasken Martineau DuMoulin, Montréal, pour la défenderesse RhoxalPharma Inc.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur le ministre de la Santé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Tremblay-Lamer : Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. et Novartis AG (les demanderesses) sollicitent une ordonnance conformément au paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets [L.R.C. (1985), ch. P-4 (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art 4)] et au paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) [DORS/93-133 (mod. par DORS/98-166, art. 5)] interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis en vertu de l’article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues [C.R.C., ch. 870] (avis de conformité) à RhoxalPharma Inc. (la défenderesse) à l’égard de comprimés de 100 mg de cyclosporine destinés à être administrés par voie orale jusqu’après l’expiration des lettres patentes canadiennes 1,308,656 intitulées : « Hydrosols of Pharmacologically Active Agents and their Pharmaceutical Compositions Comprising Them », délivrées le 13 octobre 1992 (le brevet).

LES FAITS

[2]        La cyclosporine est un médicament immunosuppresseur; ce médicament est vendu au Canada; il est destiné à être utilisé dans les cas de transplantations d’organes, à savoir des greffes de rein ou du cœur, ainsi que pour traiter certaines maladies auto- immunes[1]. Le brevet relatif à la cyclosporine elle-même est expiré.

[3]        Novartis AG est titulaire du brevet canadien 1,308,656. Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. a obtenu un certain nombre d’avis de conformité à l’égard d’un certain nombre de doses différentes de comprimés de cyclosporine, notamment des comprimés de 100 mg. Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. a déposé des listes de brevets à l’égard de ses avis de conformité relatifs à la cyclosporine et le ministre de la Santé a établi la liste des brevets de Novartis AG à l’égard des produits de cyclosporine de Novartis Pharmaceuticals Canada Inc.[2]

[4]        Le brevet se rapporte en partie aux préparations pharmaceutiques qui comprennent, comme ingrédient actif, de la cyclosporine sous forme d’hydrosol. Les hydrosols forment une fine dispersion de particules solides dans un milieu aqueux, à savoir de l’eau.

[5]        Les revendications de brevet se rapportent à des préparations pharmaceutiques sous la forme d’hydrosols. La première revendication se rapporte à des préparations pharmaceutiques destinées à être administrées par voie intraveineuse :

1. Une préparation pharmaceutique pour administration par voie intraveineuse, dont l’agent actif contient une cyclosporine, ladite préparation renfermant soit :

a) un hydrosol, dont les particules contiennent ledit agent actif sous forme solide, ont un diamètre de 1 à 10 000 nanomètres, et sont stabilisées de telle façon que leur distribution granulométrique demeure constante; soit

b) la phase particulaire stabilisée de l’hydrosol ci-dessus sous forme sèche ou isolée[3].

[6]        La deuxième revendication se rapporte à des préparations pharmaceutiques sans préciser les modalités d’administration :

2. Une préparation pharmaceutique dont l’agent actif contient une cyclosporine, ladite préparation renfermant soit :

a) un hydrosol, dont les particules contiennent ledit agent actif sous forme solide, ont un diamètre de 1 à 10 000 nanomètres, et sont stabilisées de telle façon que leur distribution granulométrique demeure constante; soit

b) la phase particulaire stabilisée de l’hydrosol ci-dessus sous forme sèche ou isolée[4].

[7]        Par une lettre en date du 12 avril 1999, la défenderesse a envoyé aux demanderesses un avis d’allégation dans lequel il est entre autres allégué que la fabrication, l’utilisation ou la vente des comprimés de cyclosporine ne constituerait pas une contrefaçon du brevet :

[traduction] Nous avons à notre disposition des comprimés de cyclosporine sous forme de gel mou qui ne renferment pas d’hydrosol et, plus précisément, qui ne renferment pas l’hydrosol tel qu’il est décrit et revendiqué dans le brevet. Par conséquent, étant donné qu’au moins un élément essentiel de chaque revendication ne se trouve pas dans notre produit, le brevet n’est pas contrefait[5].

[8]        Dans l’avis d’allégation, il est déclaré que les comprimés de la défenderesse ne renferment pas d’hydrosol. Les demanderesses l’ont admis[6].

ARGUMENTS

[9]        Les demanderesses soutiennent que la vente des comprimés de la défenderesse constituerait une contrefaçon du brevet.

[10]      Les demanderesses affirment que la deuxième revendication de brevet se rapporte à des préparations pharmaceutiques indépendamment des modalités d’administration et que cette revendication s’applique donc aux comprimés de la défenderesse.

[11]      Les demanderesses déclarent qu’une « préparation pharmaceutique » peut exister sous plusieurs formes obtenues avant ou après l’ingestion. Pour que le brevet soit contrefait, le comprimé de la défenderesse en soi n’a pas à renfermer un hydrosol. Il y aura contrefaçon dans la mesure où un hydrosol est formé dans un milieu aqueux, à savoir l’ajout d’eau ou d’un fluide gastro-intestinal, en suivant les instructions du fabricant, par exemple, au moyen de l’ingestion.

[12]      Les demanderesses allèguent également que la défenderesse contrefait le brevet en incitant les patients et d’autres personnes à contrefaire celui-ci du fait qu’ils suivent les instructions qui sont jointes à ses comprimés.

[13]      La défenderesse soutient qu’il n’y a pas de contrefaçon du brevet, parce que, au moment où les comprimés sont vendus, il n’y a pas d’hydrosol.

[14]      La défenderesse affirme que la « préparation pharmaceutique » mentionnée dans la deuxième revendication de brevet ne s’applique pas à un hydrosol formé in situ. Il n’est nulle part fait mention d’un hydrosol formé in situ dans la divulgation ou dans les revendications de brevet.

[15]      La défenderesse allègue également qu’il ne peut pas y avoir incitation à la contrefaçon parce que ses comprimés ne contrefont pas le brevet. La défenderesse soutient que de toute façon les demanderesses n’ont pas établi qu’il en serait ainsi.

LE POINT LITIGIEUX

Les comprimés de cyclosporine de 100 mg de la défenderesse constituent-ils une contrefaçon de la deuxième revendication de brevet?

ANALYSE

[16]      En l’espèce, il s’agit uniquement de savoir si la formation d’un hydrosol après ingestion d’un comprimé constitue une contrefaçon du brevet.

[17]      Les demanderesses ont la charge initiale de la preuve. Comme l’a dit la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), cette charge est « difficile puisqu’il s’agit de réfuter certaines ou l’ensemble des conclusions de l’avis d’allégation, conclusions qui, si elles n’étaient pas contestées, permettraient au ministre de délivrer l’avis de conformité »[7].

[18]      Lorsque la non-contrefaçon est alléguée dans un avis d’allégation, la Cour devrait en premier lieu présumer que les allégations de fait contenues dans l’avis d’allégation sont avérées sauf dans la mesure où le demandeur prouve le contraire. Pour décider si les allégations sont fondées, la Cour doit examiner selon la prépondérance des probabilités si, à la lumière des faits tels qu’ils sont présumés ou prouvés, les allégations permettraient en droit de conclure que le brevet ne serait pas contrefait par le défendeur[8].

[19]      En appréciant la question de la contrefaçon, la Cour doit tout d’abord interpréter les revendications des demanderesses et, en second lieu, comparer les comprimés de la défenderesse aux revendications telles qu’elles sont interprétées de façon à déterminer si ces comprimés sont visés par la portée des revendications.

[20]      Dans deux décisions récentes, Free World Trust c. Électro Santé Inc.[9] et Whirlpool Corp. c. Camco Inc.[10], la Cour suprême du Canada a réglé la controverse qui existait au sujet de la question de savoir s’il convient d’interpréter littéralement les revendications de brevet ou s’il convient d’adopter une approche plus libérale indiquant l’« essence » ou l’« essentiel » de l’invention. Il est maintenant clair que les tribunaux doivent adopter une interprétation téléologique à l’égard de pareilles revendications.

[21]      La Cour suprême a insisté sur le fait que l’interprétation téléologique vise à en arriver à une interprétation des revendications de brevet qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. En exerçant ses fonctions en matière d’interprétation, un tribunal doit faire une distinction entre les éléments essentiels d’un brevet et les éléments non essentiels en se fondant sur les connaissances communes de l’ouvrier versé dans l’art auquel le brevet se rapporte à la date de la publication du brevet.

[22]      La Cour suprême du Canada a dit qu’il n’y a pas contrefaçon si un élément essentiel est différent ou omis dans un dispositif censément contrefait. Toutefois, il peut y avoir contrefaçon si des éléments non essentiels sont substitués ou omis. Pour qu’un élément particulier soit considéré comme non essentiel, il doit être démontré que le lecteur versé dans l’art à la date de la publication du brevet se serait rendu compte que cet élément n’était clairement pas destiné à être essentiel en ce sens qu’il pouvait être substitué ou omis sans influer sur le fonctionnement de l’invention.

[23]      L’interprétation téléologique est à juste titre axée sur le libellé des revendications, interprété en toute connaissance et dans le contexte du mémoire descriptif dans son ensemble[11].

[24]      Quant à la question de savoir s’il convient d’employer une méthode d’interprétation des revendications autre que l’interprétation téléologique dans une procédure judiciaire autre qu’une action en contrefaçon, j’estime que dans l’arrêt Whirlpool Corp. la Cour suprême du Canada a clairement fait savoir que les revendications doivent recevoir une seule et même interprétation à toutes les fins :

b) L’acceptation de l’argument des appelantes pourrait faire en sorte que l’interprétation des revendications lorsqu’il est question de validité soit différente de celle donnée lorsqu’il est question de contrefaçon (à supposer que l’interprétation téléologique soit retenue pour les questions de contrefaçon). Toutefois, une règle fondamentale d’interprétation des revendications a toujours voulu que les revendications reçoivent une seule et même interprétation à toutes les fins[12]. [Je souligne.]

[25]      Pour les motifs ci-après énoncés, je conclus que les comprimés des défenderesses ne constituent pas une contrefaçon du brevet.

[26]      Selon les demanderesses, l’expression « préparation pharmaceutique » telle qu’elle est employée dans le brevet s’applique à un hydrosol formé in situ.

[27]      Selon une interprétation raisonnable et équitable des revendications de brevet, je ne puis souscrire à la position des demanderesses.

[28]      La deuxième revendication se rapporte à une prépondérance pharmaceutique comprenant de la cyclosporine qui exige la présence d’un hydrosol ou une « forme sèche ou isolée » de l’hydrosol.

[29]      La divulgation du brevet indique clairement que l’invention concerne une préparation sous la forme d’un hydrosol stable, pharmacocompatible se prêtant à l’injection par voie intraveineuse de particules de cyclosporine qui sont suffisamment petites pour éviter l’obstruction des vaisseaux sanguins.

[30]      Selon le mémoire descriptif, la préparation pharmaceutique mentionnée dans la deuxième revendication de brevet s’applique aux solutions intraveineuses :

L’invention concerne un hydrosol d’un agent à action pharmacologique, sous une forme applicable par voie intraveineuse, stabilisée et pharmacocompatible, forme qui est une suspension, ou qui est à l’état sec et peut être remise en suspension, dans un milieu aqueux.

[…]

L’invention concerne en particulier un hydrosol de particules solides d’un agent actif, sous une forme qui, en suspension dans l’eau et administrée telle quelle, se comporte du point de vue de l’action pharmacologique, comme une solution injectable[13].

[31]      Je n’ai pu trouver nulle part dans le brevet une mention d’un hydrosol qui pourrait être formé après ingestion par le patient. Le brevet enseigne des variantes d’un procédé, exigeant une intervention humaine, aux fins de la fabrication d’une solution intraveineuse composée d’un hydrosol :

Une solution de l’agent actif dans un solvant miscible à l’eau, est mélangée avec, comparativement, une grande quantité d’eau. Le mélange est effectué de préférence rapidement de façon à activer la formation des particules en même temps et selon une distribution étroite. Le mélange rapide produit également un grand nombre de particules colloïdales. La taille des particules peut être fixée de façon durable en réduisant au minimum l’effet du solvant organique, solvant qui sera donc de préférence éliminé. L’élimination peut être effectuée par évaporation, p. ex. dans un évaporateur rotatif. On peut poursuivre l’évaporation de façon à faire évaporer également l’eau de l’hydrosol. Cela est effectué de préférence par lyophilisation, afin de faciliter la redispersion. Après l’évaporation complète de l’eau, un lyophilisat sec peut être obtenu, particulièrement avec la cyclosporine A, la gélatine, le mannitol et un additif acide[14].

[32]      La partie de la divulgation dans laquelle il est dit que les particules solides stables de cyclosporine sous une forme « qui est à l’état sec et peut être remise en suspension » sont visées par la portée de l’invention montre clairement que l’inventeur voulait que pareilles particules soient remises en suspension pour utilisation sous une forme applicable par voie intraveineuse.

[33]      Le brevet présente 12 exemples illustrant l’invention. Dans chacun d’entre eux, l’hydrosol est obtenu par une série d’opérations mécaniques, consistant à dissoudre l’agent actif dans un alcool, à ajouter de l’eau et à agiter. La préparation ainsi formée peut être injectée par voie intraveineuse. L’hydrosol ne se forme jamais spontanément, et ne se forme jamais in situ. Dans les exemples, l’administration par voie orale n’est pas envisagée.

[34]      Il n’est fait mention nulle part dans la divulgation ou dans les revendications de brevet d’un hydrosol se formant in situ. L’absence de pareille mention dans ce qui constitue par ailleurs une description complète de l’hydrosol, de ses avantages, de ses emplois et du procédé par lequel il est fabriqué permet de conclure que le brevet ne s’applique pas à une préparation pharmaceutique ingérée qui forme un hydrosol in situ.

[35]      La deuxième revendication ne dit rien au sujet des modalités d’administration et elle ne peut donc pas être limitée aux préparations pharmaceutiques destinées à être administrées par voie intraveineuse, mais je suis convaincue qu’un examen contextuel du brevet peut uniquement nous amener à conclure qu’il s’applique aux solutions avant l’ingestion.

[36]      Les demanderesses affirment que la décision Beecham Group Limited est déterminante. Dans la décision Beecham, le brevet s’appliquait à de l’ampicilline. Le médicament de la défenderesse, l’hétacilline, se transformait en ampicilline lorsqu’il était ingéré. La Chambre des lords a statué que l’on s’était attribué l’essence du brevet de la demanderesse puisque l’hétacilline n’avait pas en soi d’activité antibactérienne. Sa seule valeur en tant qu’agent antibactérien découlait du fait qu’elle se transformait en ampicilline[15].

[37]      La présente affaire est différente sur plusieurs points importants. Comme l’a souligné la défenderesse, ce n’est pas la valeur de la cyclosporine dont il faut tenir compte, mais celle de l’hydrosol. L’invention des demanderesses vise à fournir un hydrosol de petites particules stables d’un agent à action pharmacologique pour administration par voie intraveineuse. De toute évidence, tel n’est pas le but du produit de la défenderesse qui est administré par voie orale. Bref, les comprimés de la défenderesse n’accomplissent pas « essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat » que l’invention des demanderesses[16].

[38]      Comme l’a dit le juge Binnie dans l’arrêt Free World Trust :

[…] l’ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d’un résultat souhaitable, mais bien à l’enseignement d’un moyen particulier d’y parvenir. La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d’exercer un monopole sur tout moyen d’obtenir le résultat souhaité[17].

[39]      Pour les motifs susmentionnés, les demanderesses n’ont pas réussi à démontrer que les comprimés de la défenderesse constituent une contrefaçon de son brevet. Les procédures relatives à l’avis de conformité sont donc rejetées.



[1] Dossier de la demande, vol. 1, onglet 2, brevet canadien 1,308,656, aux p. 5 à 7.

[2] Dossier de la demande, vol. 1, onglet 3, affidavit Rousseau, aux par. 5 et 6.

[3] Dossier de la demande, vol. 1, onglet 2, brevet canadien 1,308,656, à la p. 28.

[4] Ibid.

[5] Dossier de la demande, vol. 1, onglet 4, avis d'allégation, à la p. 37.

[6] Dossier de la demande, vol. 3, onglet 15, mémoire des points d'argument, au par. 71.

[7] (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.), au par. 23.

[8] Ibid.

[9] [2000] 2 R.C.S. 1024.

[10] [2000] 2 R.C.S. 1067.

[11] Ibid., aux par. 42 à 50.

[12] Ibid., au par. 49.

[13] Dossier de la demande, vol. 1, onglet 2, brevet canadien, 1,308,656, aux p. 10 et 12.

[14] Dossier de la demande, vol. 1, onglet 2, brevet canadien 1,308,656, aux p. 20 et 21.

[15] Beecham Group Ltd. v. Bristol Laboratories Ltd., [1978] R.P.C. 153 (H.L.), aux p. 197 et 202.

[16] Supra, note 9, au par. 28 (citant Graver Tank & Mfg. Co. v. Linde Air Products Co., 339 U.S. 605 (1950), à la p. 608).

[17] Ibid., par. 32.

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