Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2001] 3 C.F. 70

A-820-99

2001 CAF 56

Le Commissaire à l’information du Canada (appelant)

c.

Le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (intimé)

et

Le Commissaire à la protection de la vie privée (intervenant)

Répertorié : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada) (C.A.)

Cour d’appel, juges Décary, Létourneau et Noël, J.C.A.—Ottawa, 21 février et 13 mars 2001.

Accès à l’information — Un citoyen a demandé des renseignements au sujet de quatre membres de la GRC — La demande a été refusée étant donné que les renseignements demandés étaient protégés par l’art. 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information — Après que le citoyen se fut plaint au Commissaire à l’information, la GRC a accepté de communiquer les affectations et postes actuels des quatre membres mais elle a refusé de communiquer des renseignements au sujet des anciennes affectations des agents — Aux termes de l’art. 19 de la Loi sur l’accès à l’information, c’est l’institution fédérale qui doit communiquer ou de refuser de communiquer un document contenant des renseignements personnels — Le juge des requêtes qui examine le refus de communication possède le pouvoir d’assurer la bonne application de la Loi — Rien ne montrait qu’il y avait eu mauvaise foi, obstruction ou des motifs illégitimes qui auraient pu autoriser le juge des requêtes à imposer des garanties — La demande était inadmissible étant donné qu’elle visait l’obtention de renseignements qui avaient trait aux antécédents professionnels de certains individus, plutôt qu’à un poste précis actuel ou passé.

Protection des renseignements personnels — La GRC a refusé de communiquer des renseignements au sujet des anciennes affectations de ses agents pour le motif qu’il s’agissait de renseignements personnels protégés par l’art. 3b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels — L’institution fédérale est mieux placée que la Cour pour soupeser au départ la protection de la vie privée par rapport à l’intérêt public dans la divulgation — Le but de l’art. 3b), est de protéger contre la communication les antécédents professionnels d’un individu — La protection de la vie privée d’un individu est un droit fondamental qui est garanti sur le plan constitutionnel — Le juge des requêtes a conclu à tort que l’exception prévue à l’art. 3j) se limitait aux postes occupés à l’heure actuelle — Une demande se rapportant au poste d’un individu doit préciser la période, l’étendue et le lieu du poste — En l’espèce, la demande était inadmissible étant donné qu’elle visait les antécédents professionnels d’individus.

GRC — Un citoyen a demandé des renseignements au sujet de quatre membres de la GRC relativement à la liste des affectations avec les dates de celles-ci, les plaintes publiques qui ont été déposées contre eux, les noms et les adresses, aux fins de signification, des membres qui ont été en service dans un détachement spécifique en 1986 — La GRC était d’avis que les renseignements demandés étaient protégés par l’art. 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information — Les renseignements demandés sont-ils visés par l’exception prévue dans la définition de « renseignements personnels » figurant à l’art. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels? — Devraient-ils être communiqués dans l’intérêt public même s’ils sont de nature personnelle? — Le juge de la C.F. 1re inst. n’a pas commis d’erreur en renvoyant l’affaire au commissaire de la GRC pour qu’il soupèse les intérêts en jeu — Une demande se rapportant aux postes qu’un individu a occupés dans le passé doit être précise et ne pas chercher à l’aveuglette à connaître tous les postes qu’un individu a occupés au cours de sa carrière.

En 1998, un citoyen a demandé à la GRC des renseignements au sujet de quatre de ses membres et de leurs affectations, y compris les dates de ces affectations, des copies de toutes les plaintes publiques qui ont été déposées contre eux, ainsi que les noms et les adresses, aux fins de signification, des membres qui ont été en service dans un détachement spécifique en Nouvelle-Écosse en 1986. Après que le citoyen se fut plaint au Commissaire à l’information, la GRC a fait savoir qu’elle était prête à communiquer les affectations et postes actuels des quatre membres. Toutefois, elle a refusé de communiquer des renseignements au sujet des anciennes affectations des agents pour le motif qu’il s’agissait de renseignements personnels protégés par l’alinéa 3b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Section de première instance rejetant la conclusion du Commissaire à l’information selon laquelle les renseignements demandés étaient visés par l’exception prévue dans la définition de renseignements personnels figurant à l’alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le juge des requêtes a cependant conclu que le commissaire de la GRC aurait dû déterminer si les renseignements auraient tout de même dû être communiqués dans l’intérêt public et il a renvoyé l’affaire au commissaire en lui ordonnant d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le paragraphe 19(2). L’appel soulevait deux points litigieux : 1) le juge des requêtes aurait-il dû exercer lui-même le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information? et 2) le juge des requêtes a-t-il commis une erreur en concluant que le sous-alinéa 3j)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et le paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information soustraient à la communication les postes qu’un employé d’une institution fédérale a occupés par le passé?

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

1) Aux termes de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, c’est le responsable d’une institution fédérale qui doit décider de communiquer ou de refuser de communiquer un document contenant des renseignements personnels. L’institution fédérale est mieux placée que la Cour pour prendre la décision initiale au sujet de la protection des renseignements personnels et pour soupeser au départ l’intérêt de l’individu en cause sur le plan de la protection de la vie privée par rapport à l’intérêt public dans la divulgation. Le simple fait que l’institution fédérale puisse avoir des intérêts opposés à ceux de la partie requérante et, par conséquent, qu’elle s’oppose à la communication n’est pas suffisant pour lui retirer l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 19(2). Le juge des requêtes qui examine le refus de communication possède le pouvoir, conformément à l’article 49 de la Loi sur l’accès à l’information, de rendre toute ordonnance en vue d’assurer le respect et la bonne application de cette Loi. Rien ne montrait qu’il y avait eu mauvaise foi, des motifs détournés ou illégitimes qui auraient pu autoriser le juge des requêtes à imposer des garanties en vue d’assurer qu’une institution fédérale récalcitrante qui fait de l’obstruction ne contrecarre pas l’objet de la loi. Il n’y avait aucune erreur dans la décision que le juge a prise de renvoyer l’affaire au commissaire de la GRC pour qu’il fasse une première évaluation des raisons d’intérêt public par rapport à une violation de la vie privée qui découle de la divulgation de renseignements personnels.

2) Le but de l’alinéa 3b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels est de protéger contre la communication les « antécédents professionnels » d’un individu. L’exception prévue au paragraphe 3j) de la Loi devrait être interprétée de façon à ne pas permettre la communication des « antécédents professionnels » d’un individu. Il existe une mince ligne de démarcation entre le principe et l’exception, une ligne qu’il est difficile de tracer dans l’abstrait, compte tenu du fait que l’expression « antécédents professionnels » n’est pas définie. La protection de la vie privée d’un individu est un droit fondamental qui est garanti sur le plan constitutionnel. La définition de « renseignements personnels » figurant à l’article 3j) de la Loi est fort générale et cela milite contre une interprétation large de l’exception prévue à l’alinéa 3j). Ce dernier autorise la communication de renseignements relatifs au poste actuel ou passé d’un individu, et n’est pas limité, comme le juge des requêtes l’a conclu, aux postes occupés à l’heure actuelle. Une demande se rapportant au poste d’un individu désigné doit préciser la période, l’étendue et le lieu du poste en cause. On ne saurait chercher à l’aveuglette à connaître tous les postes qu’un individu a occupés au sein du gouvernement au cours de sa période d’emploi. En l’espèce, la demande était inadmissible étant donné qu’elle visait des renseignements qui avaient trait aux antécédents professionnels de certains individus, plutôt qu’à un poste précis actuel ou passé.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 19, 49.

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 3 « renseignements personnels », 8(2)m).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Kelly c. Canada (Solliciteur général) (1992), 6 Admin. L.R. (2d) 54; 53 F.T.R. 147 (C.F. 1re inst.); Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403; (1997), 148 D.L.R. (4th) 385; 46 Admin. L.R. (2d) 155; 213 N.R. 161.

DÉCISION CITÉE :

Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Solliciteur général), [1988] 3 C.F. 551; (1988), 32 Admin. L.R. 103; 20 F.T.R. 314 (1re inst.).

APPEL d’une décision de la Section de première instance ((1999), 179 F.T.R. 75) rejetant la conclusion du Commissaire à l’information selon laquelle les renseignements demandés étaient visés par l’exception prévue dans la définition des « renseignements personnels » figurant à l’alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Daniel Brunet et Karen L. Rudner pour l’appelant.

Christopher M. Rupar et Susanne G. Pereira pour l’intimé.

Dougald E. Brown et Steven J. Welchner pour l’intervenant.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Commissariat à l’information, Ottawa, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Nelligan O’Brien Payne LLP, Ottawa, pour l’intervenant.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Létourneau, J.C.A. : Cet appel soulève deux points litigieux :

a) Le juge des requêtes [(1999), 179 F.T.R. 75] a-t-il commis une erreur en concluant que le sous-alinéa 3j)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, et le paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, autorisent uniquement la communication du poste qu’un fonctionnaire occupe actuellement ou du dernier poste qu’un ancien fonctionnaire a occupé et, par conséquent, qu’ils interdisent la communication des anciens postes?

b) Après avoir conclu que les renseignements en question étaient protégés, le juge des requêtes aurait-il dû déterminer, en vertu du sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, si des raisons d’intérêt public justifiaient nettement une éventuelle violation de la vie privée?

Je trancherai d’abord la seconde question. Cependant, je dois auparavant résumer les faits pertinents de façon que l’on comprenne mieux ces questions.

Les faits et la procédure

[2]        Le 4 juin 1998, un citoyen canadien a demandé à la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) les renseignements suivants au sujet de quatre membres de la Gendarmerie :

[traduction] La liste des collectivités auxquelles les agents de la Gendarmerie royale du Canada ci-après désignés ont été affectés, y compris les dates des affectations :

1) le gendarme caporal intérimaire Robert Shedden, détachement de Wells (C.-B.);

2) le sergent d’état-major Kenneth Craig, sous-officier, détachement de Quesnel (C.-B.);

3) le caporal Bob Zimmerman, détachement de Quesnel (C.-B.);

4) le sergent d’état-major Larry Ronald Wendell, sous-officier-conseil, division du Nord, Williams Lake.

Des copies de toutes les plaintes publiques qui ont été déposées contre chacun des individus susmentionnés;

Le nom et l’adresse, aux fins de signification, du membre, actuel ou ancien, qui a agi à titre de sous-officier responsable/détachement de Baddeck (Nouvelle-Écosse) de la Gendarmerie royale du Canada au mois d’août 1986.

[3] Le coordonnateur de l’accès à l’information à la GRC a allégué que les renseignements demandés étaient protégés conformément au paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information et il a refusé de les communiquer. Il convient ici de reproduire cette disposition ainsi que les parties pertinentes de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui définit ce que l’on entend par « renseignements personnels » :

Loi sur l’accès à l’information

19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Loi sur la protection des renseignements personnels

3. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

« renseignements personnels », Les renseignements personnels, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment :

a) les renseignements relatifs à sa race, à son origine nationale ou ethnique, à sa couleur, à sa religion, à son âge ou à sa situation de famille;

b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;

[…]

toutefois, il demeure entendu que, pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant :

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment :

(i) le fait même qu’il est ou a été employé par l’institution,

(ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail,

(iii) la classification, l’éventail des salaires et les attributions de son poste,

(iv) son nom lorsque celui-ci figure sur un document qu’il a établi au cours de son emploi,

(v) les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de son emploi. [Je souligne.]

[4]        Le citoyen s’est plaint au Commissaire à l’information, qui a informé la GRC du fait qu’il était prêt à procéder à une enquête. À la suite de discussions, la GRC a fait savoir qu’elle était prête à communiquer, et elle a communiqué, les affectations et postes actuels des quatre membres de la GRC ainsi que le dernier poste et la dernière affectation de l’agent de la GRC qui avait servi à Baddeck (Nouvelle-Écosse), avant de prendre sa retraite en 1986. Toutefois, la GRC a refusé de communiquer des renseignements au sujet des anciennes affectations des agents pour le motif que ces renseignements se rapportaient aux antécédents professionnels de ces individus et qu’il s’agissait donc de renseignements personnels protégés par l’alinéa 3b).

[5]        Dans le rapport d’enquête qu’il a présenté au commissaire de la GRC, le Commissaire à l’information a conclu que les renseignements en question n’étaient pas protégés contre la communication par l’alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il a donc recommandé que la GRC communique, au sujet des agents :

a) la liste des affectations passées, ainsi que leur position et les dates y afférentes;

b) la liste des grades, les dates auxquelles ces grades ont été obtenus ainsi que la date et l’année de prise d’effet;

c) leurs années d’ancienneté;

d) la date anniversaire du service.

[6]        À la suite du refus de la GRC de suivre la recommandation et d’une discussion avec le plaignant, le Commissaire à l’information, avec l’autorisation appropriée du plaignant, a demandé à la Section de première instance de cette Cour d’examiner le refus de communiquer les renseignements dont la communication avait été recommandée.

[7]        Le juge de la Section de première instance a rejeté l’allégation du Commissaire à l’information selon laquelle les renseignements demandés étaient visés par l’exception prévue dans la définition des « renseignements personnels » figurant à l’alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. En d’autres termes, il était d’avis que les renseignements demandés étaient des renseignements personnels protégés.

[8]        Toutefois, le juge était convaincu que le commissaire de la GRC avait omis de déterminer, conformément au paragraphe 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information et au sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, si les renseignements demandés, même s’ils étaient de nature personnelle, ne devaient pas être communiqués, dans l’intérêt public. L’effet combiné de ces deux dispositions, ci-après reproduites est de permettre la communication des renseignements si des raisons d’intérêt public justifient une éventuelle violation de la vie privée :

Loi sur l’accès à l’information

19. (1) […]

(2) Le responsable d’une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où :

a) l’individu qu’ils concernent y consent;

b) le public y a accès;

c) la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Loi sur la protection des renseignements personnels

8. (1) […]

(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants :

[…]

m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l’avis du responsable de l’institution :

(i) des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée,

(ii) l’individu concerné en tirerait un avantage certain.

[9]        Le juge a ensuite renvoyé l’affaire au commissaire de la GRC en lui ordonnant d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré au paragraphe 19(2). Le Commissaire à l’information en a appelé de la décision du juge des requêtes; nous sommes ici saisis des deux questions ci-dessus énoncées.

Le juge des requêtes aurait-il dû exercer lui-même le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information?

[10]      Une lecture minutieuse de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information montre clairement que c’est le responsable de l’institution fédérale qui doit, conformément au paragraphe 19(1), refuser la communication d’un document contenant des renseignements personnels et que c’est également le responsable d’une institution fédérale qui, conformément au paragraphe 19(2), peut communiquer ce document si, à son avis, les conditions énoncées au sous-alinéa 8(2)m)(i) sont remplies. Cette interprétation du fonctionnement de la Loi, donnée par le juge Strayer (tel était alors son titre) dans la décision Kelly c. Canada (Solliciteur général) (1992), 6 Admin. L.R. (2d) 54 (C.F. 1re inst.), à la page 58, a été approuvée comme suit par le juge La Forest, de la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, aux pages 457 et 458 :

Dans Kelly c. Canada (Solliciteur général) (1992), 53 F.T.R. 147, le juge Strayer a analysé la méthode générale à adopter à l’égard des exemptions discrétionnaires prévues à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il affirme, à la p. 149 :

Comme on peut le voir, ces exemptions exigent que le responsable d’un établissement prenne deux décisions : 1) une décision de fait sur la question de savoir si les renseignements en question correspondent à la description de renseignements susceptibles de ne pas être divulgués; et 2) une décision discrétionnaire sur la question de savoir s’il convient néanmoins de divulguer lesdits renseignements.

Le premier type de décision est, je crois, révisable par la Cour et celle-ci peut y substituer sa propre conclusion, sous réserve, à mon avis, de la nécessité de faire preuve d’une certaine déférence envers les décisions des personnes qui, de par les responsabilités institutionnelles qu’elles assument, sont mieux placées pour juger la question…

Le second type de décision est purement discrétionnaire. À mon sens, en révisant une telle décision la Cour ne devrait pas tenter elle-même d’exercer de nouveau le pouvoir discrétionnaire, mais plutôt examiner le document en question et les circonstances qui l’entourent et se demander simplement si le pouvoir discrétionnaire semble avoir été exercé de bonne foi et pour un motif qui se rapporte de façon logique à la raison pour laquelle il a été accordé.

J’estime qu’il s’agit de la bonne façon d’aborder la révision de l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au sousal. 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[11]      D’un point de vue purement pratique, la méthode que le législateur a adoptée est raisonnable. L’institution fédérale est en possession des documents. Elle traite régulièrement de nombreuses demandes de communication. Elle acquiert une certaine expertise dans le traitement de ces affaires ainsi qu’en ce qui concerne l’application de la Loi. Elle est mieux placée que la Cour pour prendre la décision initiale au sujet de la protection des renseignements personnels et pour soupeser au départ l’intérêt de l’individu en cause sur le plan de la protection de la vie privée par rapport à l’intérêt public qui comprend les besoins de l’institution.

[12]      Toutefois, l’appelant soutient qu’il y a des cas inhabituels, comme celui dont nous sommes ici saisis, où il ne conviendrait pas que le juge renvoie l’affaire à l’institution fédérale pour qu’elle effectue l’appréciation en vertu du sous-alinéa 8(2)m)(i) parce que l’institution a des intérêts opposés à ceux de la partie requérante et qu’elle a clairement intérêt à ne pas communiquer les renseignements. L’avocat de l’appelant a soutenu qu’en pareil cas, le juge des requêtes devrait trancher la question lui-même ou, s’il renvoie l’affaire à l’institution, continuer à superviser le dossier en vue de veiller à ce qu’une appréciation adéquate soit effectuée en vertu du sous- alinéa 8(2)m)(i).

[13]      Je ne crois pas que le simple fait que l’institution fédérale puisse avoir des intérêts opposés à ceux de la partie requérante et, par conséquent, qu’elle s’oppose à la communication soit suffisant pour lui retirer l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 19(2). Si tel était le critère, l’institution fédérale devrait également être privée du pouvoir prévu au paragraphe 19(1) lorsqu’il s’agit de prendre une décision initiale au sujet de la communication du document demandé.

[14]      Cela dit, je peux concevoir que dans certaines circonstances, la mauvaise foi ou l’existence de motifs détournés ou illégitimes puisse être établie, et que cette preuve puisse convaincre le juge des requêtes que des garanties et protections sont nécessaires en vue d’assurer qu’une institution fédérale récalcitrante qui fait de l’obstruction ne contrecarre pas l’objet de la Loi sur l’accès à l’information et celui du sous- alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le juge des requêtes qui examine le refus de communication possède le pouvoir, conformément à l’article 49 de la Loi sur l’accès à l’information, de rendre toute ordonnance qu’il estime indiquée en vue d’assurer le respect et la bonne application de cette Loi. C’est pourquoi il a rendu une ordonnance renvoyant l’affaire au commissaire de la GRC pour que ce dernier examine l’exception prévue au sous-alinéa 8(2)m)(i). Il possède également la compétence intrinsèque voulue, lorsqu’il rend une ordonnance, pour imposer des conditions ou pour prendre des mesures susceptibles d’assurer son exécution. Je ne suis pas prêt à ce stade à éliminer la possibilité que, dans un cas approprié, un juge puisse demeurer compétent de façon à veiller à ce que l’on observe en temps opportun et de façon satisfaisante l’ordonnance par laquelle il a renvoyé l’affaire à une institution fédérale pour examen en vertu du sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[15]      De même, je peux concevoir que, dans de rares cas, la conduite et l’attitude de l’institution auraient toujours été telles qu’il n’y aurait aucun doute quant à la décision que prendrait l’institution si l’affaire lui était renvoyée, et que la délivrance d’une ordonnance en ce sens constituerait alors un pur gaspillage de temps et d’argent. Dans ces conditions, rien n’empêcherait le juge des requêtes d’inférer que le pouvoir discrétionnaire a été exercé et que la communication a été refusée, et de procéder ensuite à l’examen de l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Cependant, tel n’est pas ici le cas.

[16]      En l’espèce, rien ne montre qu’il y a eu mauvaise foi, obstruction ou des motifs illégitimes qui auraient pu autoriser le juge des requêtes à imposer des garanties. De plus, aucune demande d’ordonnance spéciale fondée sur l’article 49 ou d’ordonnance assortie de conditions n’a été présentée au juge. Je ne puis constater aucune erreur dans la décision que le juge a prise de renvoyer l’affaire au commissaire de la GRC pour qu’il fasse une première évaluation des raisons d’intérêt public par rapport à la violation de la vie privée résultant de la divulgation de renseignements personnels.

Le juge des requêtes a-t-il commis une erreur en concluant que le sous-alinéa 3j)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et le paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information exemptent de la communication les postes qu’un employé d’une institution fédérale a occupés par le passé?

[17]      La question de la portée de l’alinéa 3j) et du sous-alinéa 3j)(i) a suscité devant nous un débat intéressant. Le Commissaire à l’information donne une interprétation libérale à l’exception énoncée à l’alinéa 3j) en vue de justifier la communication des renseignements demandés. Je dois dire que, à la limite, l’approche adoptée par le Commissaire à l’information pourrait aller à l’encontre du but de l’alinéa 3b), qui vise à protéger contre la communication les « antécédents professionnels » d’un individu.

[18]      Le commissaire de la GRC a soutenu que l’exception prévue à l’alinéa 3j) devrait être interprétée restrictivement et qu’une telle interprétation justifiait son refus de communiquer les anciens postes ou les anciennes fonctions des agents désignés dans la demande. Subsidiairement, son avocat nous a fait savoir qu’il serait prêt à accepter l’interprétation proposée par l’intervenant, soit le Commissaire à la protection de la vie privée.

[19]      La position que le Commissaire à la protection de la vie privée a prise est intéressante et je crois qu’il s’agit de l’approche qui permet le mieux d’atteindre et de réaliser les objectifs respectifs de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur l’accès à l’information. Le Commissaire à la protection de la vie privée soutient, et je souscris à son avis, que l’exception devrait être interprétée de façon à ne pas permettre la communication des « antécédents professionnels » d’un individu. Cela dit, je dois admettre qu’il n’est pas et qu’il ne sera pas toujours facile de déterminer dans quelles circonstances une demande de renseignements se rapportant au poste occupé par un individu, telle qu’elle est autorisée à l’alinéa 3j), cesse d’être telle et devient une demande se rapportant aux « antécédents professionnels » de cet individu. Il existe une mince ligne de démarcation entre le principe et l’exception, une ligne qu’il est difficile de tracer dans l’abstrait, compte tenu du fait en particulier que l’expression « antécédents professionnels » n’est pas définie.

[20]      La protection de la vie privée d’un individu est un droit fondamental qui est garanti sur le plan constitutionnel. La définition de « renseignements personnels » figurant à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels est fort générale et, comme l’a dit la Cour suprême, à la page 436, paragraphe 69 de l’arrêt Dagg, en approuvant une conclusion tirée en ce sens par le juge en chef adjoint Jerome dans la décision Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Solliciteur général), [1988] 3 C.F. 551 (1re inst.), à la page 551, elle « illustre tout à fait les efforts considérables qui ont été déployés pour protéger l’identité des individus ». Cela milite certes contre une interprétation large de l’exception prévue à l’alinéa 3j) telle que proposée par le Commissaire à l’information, laquelle en fin de compte aura pour effet ou est susceptible d’avoir pour effet de vider la définition de « renseignements personnels » de son contenu en ce qui concerne les « antécédents professionnels ».

[21]      Toutefois, je crois que l’alinéa 3j) autorise la communication de renseignements relatifs au poste actuel ou passé d’un individu, et n’est pas limité, comme le juge des requêtes l’a conclu, aux postes occupés à l’heure actuelle. L’objet de la Loi et le libellé de l’alinéa 3j) ou du sous-alinéa 3j)(i) n’exigent pas une interprétation qui restreindrait la communication aux postes actuels. Contrairement à ce que l’intimé a soutenu, je ne vois rien dans le sous- alinéa 3j)(i) qui indique que cette disposition a une portée aussi limitée. La disposition en question vise simplement à établir si un individu était ou est encore un employé du gouvernement. Le fait même qu’un individu exerce ou exerçait un emploi peut être révélé et, de fait, cela est essentiel pour un citoyen lorsqu’il s’agit de déterminer si sa demande de communication est adressée à l’autorité compétente et s’il vaut la peine de la poursuivre.

[22]      Toutefois, contrairement à une demande se rapportant à un poste ou à une catégorie de postes qui peuvent révéler le nom de leurs titulaires, une demande se rapportant au poste d’un individu désigné, et en particulier aux postes que celui-ci a occupés par le passé, doit préciser la période, l’étendue et le lieu du poste en cause. On ne saurait chercher à l’aveuglette à connaître tous les postes ou les nombreux postes qu’un individu a occupés au sein du gouvernement au cours de sa période d’emploi étant donné que cela deviendrait en fait une demande se rapportant aux antécédents professionnels de l’individu. Comme l’a dit le juge La Forest dans l’arrêt Dagg, à la page 447, pareille demande, au lieu d’être une demande de renseignements se rapportant à un poste qui identifie par ailleurs l’individu qui l’occupe, devient une demande de renseignements concernant avant tout l’individu lui-même. Par conséquent, un citoyen pourrait par exemple demander à bon droit si M. Untel a travaillé au ministère de la Justice en 1994, quel poste il occupait à ce moment-là, quelles étaient les attributions du poste et à quel endroit les fonctions étaient exercées. Cependant, il ne pourrait pas, sans qu’on lui oppose avec raison l’exception prévue à l’alinéa 3b), demander des renseignements au sujet des postes que M. Untel a occupés au sein du gouvernement de 1980 à 1994. Bien sûr, entre ces deux extrêmes, il y a une vaste gamme de demandes se rapportant au poste occupé par un individu désigné qui peuvent être plus ou moins précises et qu’il faudrait apprécier selon les faits qui leur sont propres afin de déterminer si elles sont visées par le principe de la non-communication ou par l’exception.

[23]      Si j’applique en l’espèce ces principes, je puis uniquement conclure que la demande, lorsqu’elle est appréciée dans son ensemble et par rapport à son objectif primordial, se rapporte aux antécédents professionnels d’individus précis, plutôt qu’à un poste précis actuel ou passé.

[24]      En premier lieu, la demande ne se rapporte pas au poste occupé par un individu, comme le prévoit l’exception, mais à son affectation, à savoir à son lieu de travail. Le fait qu’un individu a peut-être été affecté à Ottawa en 1997 n’indique pas les fonctions qu’il exerçait ou le poste qu’il occupait au sein de l’organisation. Demander toute la liste des affectations passées d’un individu, c’est en fait demander en partie quels sont ses antécédents professionnels, en ce qui concerne son lieu de travail.

[25]      En second lieu, la liste des grades et des dates auxquelles ces grades ont été obtenus ne fournit elle non plus aucune indication au sujet du poste occupé par les individus concernés. De plus, cette demande imprécise et illimitée quant à la période en cause met principalement l’accent sur la recherche de renseignements personnels concernant ces individus. On pourrait dire la même chose de la demande de communication des années de service de ces individus et des dates anniversaires y afférentes.

[26]      J’ai minutieusement examiné le contenu de la demande de communication, l’objet de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le rôle complémentaire de ces lois et l’interprétation obligatoire qui leur a été donnée par la Cour suprême du Canada, et je rejetterais cet appel en adjugeant les dépens à l’intimé.

Le juge Décary, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Noël, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.