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[2001] 3 C.F. 139

T-273-99

2001 CFPI 81

Diane McKeown (demanderesse)

c.

La Banque Royale du Canada et Barry B. Fisher (défendeurs)

Répertorié : McKeown c. Banque Royale du Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge O’Keefe—Toronto, 1er novembre 2000; Ottawa, 15 février 2001.

Relations du travail — Contrôle judiciaire de deux décisions rendues par un arbitre sous le régime du Code canadien du travail — La demanderesse a été congédiée par la Banque Royale par suite du défaut de paiement de deux clients — Elle a déposé une plainte de congédiement injuste en vertu de l’art. 240 du Code — La demanderesse a été inculpée de fraude, mais la Couronne a retiré les accusations — Elle a intenté contre la banque une action en dommages-intérêts pour cause de diffamation et poursuite abusive — La requête de la demanderesse en vue d’être autorisée à présenter une preuve de pardon et à contre-interroger trois témoins de la banque a été rejetée — La requête en vue de retirer la plainte portée en vertu du Code du travail afin de demander une réparation civile a également été rejetée — La norme de contrôle de la décision relative au retrait est celle de la décision manifestement déraisonnable — La demande de contrôle judiciaire visant la décision relative à la preuve était prescrite — Elle a été rejetée étant donné qu’aucune explication ne justifiait son retard — L’arbitre n’avait plus compétence pour agir une fois que la demanderesse avait retiré sa plainte — La décision de refuser à la demanderesse l’autorisation de retirer sa plainte de congédiement injuste était manifestement déraisonnable et dépassait la compétence de l’arbitre.

Pratique — Prescription — La demanderesse a déposé une plainte de congédiement injuste sous le régime du Code canadien du travail — Une demande de contrôle judiciaire visant une décision relative à la preuve rendue par l’arbitre le 4 août 1998 a été déposée le 22 février 1999 — Demande prescrite aux termes de l’art. 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale — Rejet de la demande en l’absence d’explication justifiant ce retard.

Il s’agissait de demandes de contrôle judiciaire visant deux décisions interlocutoires rendues par un arbitre sous le régime de la partie III du Code canadien du travail. La demanderesse, qui travaillait à la Banque Royale du Canada, a été congédiée en juillet 1995, par suite du défaut de paiement de deux clients dont elle avait approuvé la demande de prêt, ce qui avait décidé la banque de faire enquête. La demanderesse a déposé une plainte de congédiement injuste en vertu de l’article 240 du Code. Plus tard, elle a été inculpée de deux chefs d’accusation de fraude à l’égard des deux prêts. Par la suite, ces accusations ont été retirées par la Couronne. En mai 1998, la demanderesse a intenté contre la banque une action en dommages-intérêts pour cause de diffamation et de poursuite abusive. Peu de temps après, la demanderesse a présenté devant l’arbitre une requête en vue d’être autorisée à présenter une preuve de pardon et de soumettre trois témoins de la banque à un contre-interrogatoire plus poussé. Cette requête a été rejetée (la décision relative à la preuve). De plus, la demanderesse a tenté de retirer sa plainte de congédiement injuste afin de demander une réparation civile; cette requête a également été rejetée par l’arbitre (la décision relative au retrait). Voici les questions en litige : 1) la demande de contrôle judiciaire visant la décision relative à la preuve devrait-elle être rejetée parce qu’elle était prescrite? et 2) quelle norme de contrôle devrait s’appliquer à la décision relative au retrait et l’arbitre a-t-il commis une erreur de droit ou de compétence en refusant de permettre à la demanderesse de retirer sa plainte?

Jugement : la demande de contrôle judiciaire visant la décision relative à la preuve doit être rejetée; la demande de contrôle judiciaire visant la décision relative au retrait doit être accueillie.

1) Selon le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, les demandes de contrôle judiciaire doivent être présentées dans les 30 jours qui suivent la première communication de la décision à la partie concernée ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut accorder. La demande de contrôle judiciaire concernant la décision en date du 4 août 1998, soit la décision relative à la preuve, n’a été déposée que le 22 février 1999, longtemps après la date limite prévue. Il n’y avait aucune explication au sujet du retard à présenter la demande non plus qu’aucun indice permettant de croire que la demanderesse avait formé l’intention, dans le délai de 30 jours fixé par la Loi, de demander le contrôle judiciaire. Compte tenu de cette conclusion, la Cour a refusé d’accorder un délai supplémentaire. La demande de contrôle judiciaire visant la décision relative à la preuve a donc été rejetée parce qu’elle était prescrite.

2) La norme s’appliquant à l’examen de la décision relative au retrait était celle de la décision manifestement déraisonnable. La demanderesse a soutenu que le Code canadien du travail n’accorde pas à l’arbitre le pouvoir explicite de se prononcer sur le retrait d’une plainte et que, en l’absence de ce pouvoir, l’arbitre n’avait pas compétence pour trancher cette question. Les défendeurs ont allégué que, selon le paragraphe 242(3) du Code, l’examen d’une plainte et la communication de la décision sont obligatoires et qu’il n’existe aucun pouvoir discrétionnaire permettant à l’arbitre d’interrompre la procédure à mi-chemin en permettant au plaignant de retirer sa plainte. Par suite du retrait de la plainte, la poursuite des fonctions du tribunal n’était plus justifiée. Une fois que la demanderesse avait retiré sa plainte, l’arbitre n’avait plus compétence pour agir. La décision de refuser à la demanderesse l’autorisation de retirer sa plainte de congédiement injuste était une décision qui, en plus d’être manifestement déraisonnable, dépassait la compétence de l’arbitre. Par conséquent, cette décision doit être annulée.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 240 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15), 241, 242 (mod., idem, art. 16; L.C. 1998, ch. 26, art. 58), 243, 244 (mod. par L.C. 1993, ch. 42, art. 34), 245, 246.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(2) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Aylward v. McMaster University (1991), 79 D.L.R. (4th) 119; 47 Admin. L.R. 198 (Div. gén. Ont.); Grisdale and Ontario Southland Railway Inc., [1997] C.L.A.D. no 228 (QL).

DÉCISION EXAMINÉE :

Conseil des Canadiens et al. c. Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence et al. (1997), 212 N.R. 254 (C.A.F.).

DÉCISIONS CITÉES :

Browne v. Dunn (1893), 6 R. 67 (H.L.); Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471; (1993), 101 D.L.R. (4th) 494; 11 Admin. L.R. (2d) 21; 93 CLLC 12,104; 148 N.R. 209; 53 C.A.Q. 171; Roberval Express Ltée c. Union des chauffeurs de camions, hommes d’entrepôts et autres ouvriers, local 106, et autres, [1982] 2 R.C.S. 888; (1982), 144 D.L.R. (3d) 673; 83 CLLC 14,023; 47 N.R. 34; Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; (1985), 24 D.L.R. (4th) 44; [1986] 1 W.W.R. 577; 69 B.C.L.R. 255; 16 Admin. L.R. 233; 23 C.C.C. (3d) 118; 49 C.R. (3d) 35; 63 N.R. 353; Innisfil (Municipalité du canton) c. Municipalité du canton de Vespra et autres, [1981] 2 R.C.S. 145; (1981), 123 D.L.R. (3d) 530; 15 M.P.L.R. 250; 37 N.R. 43; Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; (1995), 125 D.L.R. (4th) 583; 30 Admin. L.R. (2d) 1; 12 C.C.E.L. (2d) 1; 24 C.C.L.T. (2d) 217; 95 CLLC 210-027; 30 C.R.R. (2d) 1; 183 N.R. 241; 82 O.A.C. 321; U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; (1988), 35 Admin. L.R. 153; 95 N.R. 161; Air Canada c. Davis (1994), 72 F.T.R. 283 (C.F. 1re inst.); Énergie atomique du Canada Ltée c. Jindal (1996), 110 F.T.R. 221 (C.F. 1re inst.); conf. par (1998), 229 N.R. 212 (C.A.F.); Guelph General Hospital and O.N.A., Re (1992), 25 L.A.C. (4th) 260 (Ont.); Rasanen v. Rosemount Instruments Ltd. (1994), 17 O.R. (3d) 267; 112 D.L.R. (4th) 683; 1 C.C.E.L. (2d) 161; 94 CLLC 12,110; 68 O.A.C. 284 (C.A.).

DOCTRINE

Ball, S. R. Canadian Employment Law, loose-leaf ed. Aurora, Ont. : Canada Law Book, 1996.

DEMANDES de contrôle judiciaire visant deux décisions interlocutoires ([1999] C.L.A.D. no 31 (Q.L.)) par lesquelles un arbitre a refusé à la demanderesse l’autorisation de présenter une preuve et de soumettre trois témoins de l’employeur à un contre-interrogatoire plus poussé (la décision relative à la preuve) et ne lui a pas permis de retirer sa plainte de congédiement injuste (la décision relative au retrait). Demande de contrôle judiciaire visant la décision relative à la preuve rejetée pour cause de prescription; demande de contrôle judiciaire visant la décision relative au retrait accueillie.

ONT COMPARU :

Ernest J. Guiste pour la demanderesse.

Daniel V. MacDonald pour les défendeurs.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ernest Guiste & Associés, Toronto, pour la demanderesse.

McMillan Binch, Toronto, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et ordonnance rendus par

[1]        Le juge O’Keefe : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire datée du 22 février 1999 à l’égard de deux décisions interlocutoires que Barry B. Fisher, agissant en qualité d’arbitre (l’arbitre), a rendues sous le régime de la partie III du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (le Code). Dans la première décision en date du 4 août 1998 (la décision relative à la preuve), l’arbitre a refusé à Diane McKeown (la demanderesse) l’autorisation de présenter des éléments de preuve et de continuer à contre-interroger certains témoins de l’employeur. Dans la seconde décision, datée du 22 janvier 1999 (la décision relative au retrait) [McKeown et Banque royale du Canada, [1999] C.L.A.D. no 31 (QL)], l’arbitre a statué que la demanderesse ne pouvait retirer la plainte qu’elle avait déposée en application de l’article 240 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15] du Code.

L’ordonnance demandée

[2]        La demanderesse veut obtenir une ordonnance annulant la décision en date du 22 janvier 1999 et l’autorisant à retirer sa plainte et à poursuivre son action civile. Subsidiairement, la demanderesse veut obtenir une ordonnance annulant la décision du 4 août 1998 ou une ordonnance renvoyant la question à un nouvel arbitre. La demanderesse demande également des frais.

Les faits à l’origine du litige

[3]        La demanderesse, qui travaillait à la Banque Royale du Canada (la banque), a été congédiée le 26 juillet 1995. À l’époque, elle était directrice adjointe des services bancaires personnels et pouvait autoriser des prêts. Par suite du défaut de paiement de deux clients dont elle avait approuvé la demande de prêt, la banque a décidé de faire enquête. Celle-ci a été effectuée par M. Hodgins et a finalement mené au congédiement de la demanderesse, qui a déposé une plainte de congédiement injuste (la plainte) en vertu de l’article 240 du Code. L’arbitre a été nommé en janvier 1996 et chargé d’entendre la plainte à la demande de la demanderesse, qui était alors représentée par Me Bram Lecker.

[4]        Le 1er février 1996, la demanderesse a été inculpée de deux chefs d’accusation de fraude en vertu du Code criminel du Canada [L.R.C. (1985), ch. C-46] à l’égard des deux prêts susmentionnés. Elle a alors retenu les services de Me Dan Lawson pour la défendre relativement à ces accusations.

[5]        En ce qui concerne la plainte, la banque a été la première à présenter sa preuve et a fait témoigner 14 personnes au cours de dix auditions qui ont commencé le 22 avril 1996. Lorsqu’il a été interrogé les 22 et 24 avril 1996, Lee Enrico, le directeur des services bancaires de la succursale de Brampton, a présenté en preuve des pièces concernant les politiques, règles et procédures relatives à l’octroi de prêts. Lorsque Me Lecker a contre-interrogé M. Enrico, l’arbitre a avisé l’avocat que, s’il avait l’intention d’invoquer des faits allant à l’encontre du témoignage susmentionné, il devrait informer M. Enrico de ces faits afin que celui-ci puisse répondre aux allégations. Lors du contre-interrogatoire de M. Enrico, la banque a informé Me Lecker que, s’il avait l’intention de présenter des éléments de preuve allant à l’encontre du témoignage de cette personne sans lui donner la possibilité de répondre pendant son contre-interrogatoire, elle formulerait une objection au motif que cette preuve va à l’encontre de la règle énoncée dans l’arrêt Browne v. Dunn (1893), 6 R. 67 (C.L.). La banque a terminé la présentation de sa preuve principale le 31 mars 1997.

[6]        La demanderesse a commencé la présentation de sa preuve en témoignant d’abord elle-même. Au cours de son interrogatoire principal, elle a tenté de présenter en preuve des demandes de prêt à l’égard desquelles les politiques et procédures n’auraient pas été suivies (lequel manquement aurait été appuyé par les directeurs appelés à témoigner pour la banque). Le 8 septembre 1997, l’arbitre a statué que l’admission de cette preuve irait à l’encontre de la règle énoncée dans l’arrêt Browne v. Dunn, précité, étant donné que les témoins de la banque n’ont pas eu la possibilité de répondre aux allégations formulées contre eux.

[7]        En septembre 1997, la demanderesse a retenu les services de Me Guiste en remplacement de Mes Lecker et Lawson, afin qu’il s’occupe à la fois de la défense contre les accusations criminelles portées contre elle et de la plainte qu’elle avait déposée en vertu du Code.

[8]        Le 4 mai 1998, les accusations criminelles portées contre la demanderesse ont été retirées.

[9]        Dans une déclaration datée du 6 mai 1998, la demanderesse a intenté contre la banque et M. Hodgins une action en dommages-intérêts pour cause de diffamation et de poursuite abusive, entre autres motifs. La banque et M. Hodgins ont déposé des défenses (M. Hodgins a joint à la sienne une demande reconventionnelle).

[10]      Le 28 juillet 1998, la demanderesse a présenté une requête visant à obtenir une ordonnance qui l’autoriserait à présenter une preuve de pardon ainsi qu’une ordonnance sommant la banque de renvoyer trois témoins en vue d’un contre-interrogatoire plus poussé. Dans une décision datée du 4 août 1998 (la décision relative à la preuve), qui est visée par la présente demande de contrôle judiciaire, l’arbitre a rejeté la requête de la demanderesse.

[11]      Dans une lettre datée du 9 octobre 1998, Me Guiste a tenté de retirer la plainte de la demanderesse :

[traduction] Aucune autre audience n’est nécessaire dans la présente affaire.

Notre cliente a décidé de retirer sa plainte de congédiement injuste afin d’exercer son droit de demander une réparation civile conformément au paragraphe 246(1) du Code canadien du travail (partie III). Comme vous le savez, Me Harris et moi-même ne sommes intervenus que très tard dans l’affaire concernant le Code canadien du travail.

Espérant le tout conforme, nous vous prions d’agréer l’expression de nos meilleurs sentiments.

[12]      La banque a demandé à l’arbitre de rejeter la plainte de façon définitive. Une requête portant sur la tentative de la demanderesse de retirer sa plainte a été entendue devant l’arbitre le 20 octobre 1998 (la décision relative au retrait). Dans une décision en date du 22 janvier 1999, qui est visée par la présente demande de contrôle judiciaire, l’arbitre a rejeté la requête de la demanderesse en vue d’obtenir l’autorisation de retirer sa plainte.

Les questions en litige

[13]      1. Voici les questions concernant la décision du 4 août 1998 (la décision relative à la preuve) :

1) La demande devrait-elle être rejetée au motif que la demanderesse n’a pas présenté sa demande de contrôle judiciaire à l’intérieur du délai prévu par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale?

2) L’arbitre a-t-il commis une erreur de droit ou de compétence en refusant à la demanderesse l’autorisation de présenter une preuve de pardon?

3) L’arbitre a-t-il commis une erreur de droit ou de compétence en tranchant comme il l’a fait la demande de la demanderesse en vue de rappeler Carlos Harper, Darlene Grylls et Lloyd Hodgins pour poursuivre leur contre-interrogatoire?

4) Quelle est la norme de contrôle que la Cour devrait appliquer à la décision relative à la preuve?

2. Voici les questions concernant la décision du 22 janvier 1999 (la décision relative au retrait) :

1) Quelle norme de contrôle devrait s’appliquer à la décision du 22 janvier 1999?

2) L’arbitre a-t-il commis une erreur de droit ou de compétence en refusant de permettre à la demanderesse de retirer sa plainte sans porter atteinte aux autres recours civils qu’elle pourrait avoir contre la banque défenderesse et d’autres personnes, eu égard au paragraphe 246(1) du Code et à tous les autres faits et circonstances exposés de façon détaillée dans le dossier?

Les dispositions législatives pertinentes

[14]      Le paragraphe 18.1(2) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la Loi), est ainsi libellé :

18.1 (1) […]

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

[15]      Voici le texte des articles 240 à 246 [art. 242 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 16; L.C. 1998, ch. 26, art. 58), 244 (mod. par L.C. 1993, ch. 42, art. 34)] du Code canadien du travail :

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si :

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la plainte doit être déposée dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date du congédiement.

(3) Le ministre peut proroger le délai fixé au paragraphe (2) dans les cas où il est convaincu que l’intéressé a déposé sa plainte à temps mais auprès d’un fonctionnaire qu’il croyait, à tort, habilité à la recevoir.

241. (1) La personne congédiée visée au paragraphe 240(1) ou tout inspecteur peut demander par écrit à l’employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement; le cas échéant, l’employeur est tenu de lui fournir une déclaration écrite à cet effet dans les quinze jours qui suivent la demande.

(2) Dès réception de la plainte, l’inspecteur s’efforce de concilier les parties ou confie cette tâche à un autre inspecteur.

(3) Si la conciliation n’aboutit pas dans un délai qu’il estime raisonnable en l’occurrence, l’inspecteur, sur demande écrite du plaignant à l’effet de saisir un arbitre du cas :

a) fait rapport au ministre de l’échec de son intervention;

b) transmet au ministre la plainte, l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement et tous autres déclarations ou documents relatifs à la plainte.

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d’arbitre la personne qu’il juge qualifiée pour entendre et trancher l’affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement.

(2) Pour l’examen du cas dont il est saisi, l’arbitre :

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l’arbitre :

a) décide si le congédiement était injuste;

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l’appui, à chaque partie ainsi qu’au ministre.

(3.1) L’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste;

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

(4) S’il décide que le congédiement était injuste, l’arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur :

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

243. (1) Les ordonnances de l’arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

(2) Il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warrantovisant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action d’un arbitre exercée dans le cadre de l’article 242.

244. (1) La personne intéressée par l’ordonnance d’un arbitre visée au paragraphe 242(4), ou le ministre, sur demande de celle-ci, peut, après l’expiration d’un délai de quatorze jours suivant la date de l’ordonnance ou la date d’exécution qui y est fixée, si celle-ci est postérieure, déposer à la Cour fédérale une copie du dispositif de l’ordonnance.

(2) Dès le dépôt de l’ordonnance de l’arbitre, la Cour fédérale procède à l’enregistrement de celle-ci; l’enregistrement confère à l’ordonnance valeur de jugement de ce tribunal et, dès lors, toutes les procédures d’exécution applicables à un tel jugement peuvent être engagées à son égard.

245. Le gouverneur en conseil peut, par règlement, préciser, pour l’application de la présente section, les cas d’absence qui n’ont pas pour effet d’interrompre le service chez l’employeur.

246. (1) Les articles 240 à 245 n’ont pas pour effet de suspendre ou de modifier le recours civil que l’employé peut exercer contre son employeur.

(2) L’article 189 s’applique dans le cadre de la présente section.

Les arguments de la demanderesse au sujet de la décision relative à la preuve4 août 1998

[16]      La demanderesse cite dans son mémoire certains extraits de la décision dans laquelle l’arbitre lui a refusé l’autorisation de présenter une preuve de pardon ainsi que de poursuivre le contre-interrogatoire de Carlos Harper, Darlene Grylls et Lloyd Hodgins.

[17]      La demanderesse soutient que la preuve de pardon ne pourrait raisonnablement être considérée comme une preuve visant à attaquer la crédibilité d’un témoin. Par conséquent, l’arbitre a mal appliqué la règle énoncée dans l’arrêt Browne v. Dunn, précité (selon la demanderesse, cette règle obligerait toute personne qui a l’intention de présenter une preuve visant à attaquer la crédibilité d’un témoin, à informer d’abord le témoin de cette preuve au cours du contre-interrogatoire), parce que la demanderesse n’est nullement tenue de contre-interroger le témoin à ce sujet.

[18]      La demanderesse ajoute que le refus d’admettre une preuve pertinente va à l’encontre des règles de justice naturelle, notamment lorsque la preuve exclue est une preuve de défense ou de justification. Au soutien de cet argument, la demanderesse invoque les arrêts suivants : Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471; Roberval Express Ltée c. Union des chauffeurs de camion, hommes d’entrepôts et autres ouvriers, s. local 106 et autres, [1982] 2 R.C.S. 888, et Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643.

[19]      En dernier lieu, la demanderesse fait valoir que le déni de son droit fondamental de contre-interroger un témoin constitue une erreur de droit susceptible de révision et cite à cet égard l’arrêt Innisfil (Municipalité du canton) c. Municipalité du canton de Vespra et autres, [1981] 2 R.C.S. 145.

Question 1(1)

1. Question concernant la décision du 4 août 1998 (la décision relative à la preuve) :

(1) La demande devrait-elle être rejetée au motif que la demanderesse n’a pas présenté sa demande de contrôle judiciaire à l’intérieur du délai prévu par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale?

[20]      La demande de contrôle judiciaire concernant la décision en date du 4 août 1998, soit la décision relative à la preuve, n’a été déposée que le 22 février 1999. Selon le paragraphe 18.1(2) de la Loi, les demandes de contrôle judiciaire doivent être présentées dans les 30 jours qui suivent la première communication de la décision à la partie concernée ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut accorder. La prorogation de délai peut être accordée avant ou après l’expiration du délai de 30 jours. Dans l’affaire Conseil des canadiens et al. c. Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence et al. (1997), 212 N.R. 254 (C.A.F.), le juge Hugessen, J.C.A., s’est exprimé comme suit à la page 255 :

Premièrement, nous ne croyons pas que le juge a pris en compte un facteur non pertinent lorsqu’il s’est demandé si le Conseil avait eu l’intention de présenter une demande de contrôle judiciaire dans le délai prescrit par la loi. Il n’existe pas de liste de contrôle immuable à vérifier chaque fois qu’une demande de prolongation de délai est examinée; le plus que l’on puisse dire est que la Cour examinera généralement si une explication adéquate a été fournie pour l’omission d’agir en temps opportun et si la cause du requérant est défendable. La question que le juge s’est posée était certainement pertinente à la première de ces deux questions.

Deuxièmement, nous ne sommes pas convaincus que le fait pour le juge d’avoir omis de prendre en compte certains autres facteurs censément pertinents pourrait avoir vicié sa décision. Les appelants se fondent principalement sur la décision rendue par la présente Cour dans Grewal c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 2 C.F. 263; 63 N.R. 106 (C.A.F.). Dans cette affaire, le juge en chef Thurlow a dit :

Pour répondre à la première de ces questions, il faut notamment se demander si le requérant avait, dans le délai de 10 jours, l’intention de présenter sa demande et s’il a toujours eu cette intention par la suite. Tout abandon de cette intention, tout relâchement ou défaut du requérant de poursuivre cette fin avec la diligence qui pouvait raisonnablement être exigée de lui ne pourrait que nuire considérablement à ses chances d’obtenir la prorogation. La longueur de la période pour laquelle la prorogation est exigée et la question de savoir si cette prorogation causerait un préjudice à la partie adverse et, si c’est le cas, la nature de ce préjudice, sont également pertinentes. Cependant, en dernière analyse, la question de savoir si l’explication donnée justifie la prorogation nécessaire doit dépendre des faits de l’espèce et, à mon avis, nous commettrions une erreur si nous tentions d’énoncer des règles qui auraient l’effet de restreindre un pouvoir discrétionnaire que le Parlement n’a pas jugé bon de restreindre. (aux pages 277 et 278 [C.F.])

[21]      Après avoir examiné les documents déposés en l’espèce, je ne puis trouver aucune explication au sujet du retard à présenter la demande non plus qu’aucun indice permettant de croire que la demanderesse avait formé l’intention, dans le délai de 30 jours fixé par la Loi, de demander le contrôle judiciaire. Compte tenu de cette conclusion, je ne suis pas disposé à accorder un délai supplémentaire pour permettre à la demanderesse de déposer la demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision relative à la preuve. La demande de contrôle judiciaire se rapportant à la décision du 4 août 1998 (la décision relative à la preuve) est donc rejetée parce qu’elle est prescrite.

Question 2(1)

2. Question concernant la décision en date du 22 janvier 1999 (la décision relative au retrait) :

(1) Quelle norme de contrôle devrait s’appliquer à la décision du 22 janvier 1999?

[22]      La première question à trancher est celle de la norme de contrôle applicable à la décision du 22 janvier 1999 (la décision relative au retrait). Il est indubitable que l’arbitre avait initialement compétence pour entendre la plainte. Il a été nommé en vertu de la Loi pour entendre la plainte de la demanderesse. Toutefois, le 9 octobre 1998, la demanderesse a écrit à l’arbitre par l’entremise de son avocat pour retirer sa plainte. Après avoir pris connaissance de cette lettre, l’arbitre a fixé une audition afin d’entendre les observations des parties au sujet des conséquences de la lettre de retrait de la demanderesse. L’arbitre a statué que la demanderesse ne pouvait retirer sa plainte et a rejeté la requête portant retrait. J’ai l’intention d’appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable pour examiner la décision relative au retrait.

Question 2(2)

2. Question concernant la décision du 22 janvier 1999 (la décision relative au retrait) :

(2) L’arbitre a-t-il commis une erreur de droit ou de compétence en refusant de permettre à la demanderesse de retirer sa plainte sans porter atteinte aux autres recours civils qu’elle pourrait avoir contre la banque défenderesse et d’autres personnes, eu égard au paragraphe 246(1) du Code et à tous les autres faits et circonstances exposés de façon détaillée dans le dossier?

[23]      Il reste maintenant à décider si l’arbitre a rendu une décision manifestement déraisonnable en refusant de permettre à la demanderesse de retirer sa plainte.

Les arguments de la demanderesse au sujet de la décision relative au retrait22 janvier 1999

[24]      La demanderesse allègue que la décision de l’arbitre est fondée sur des « facteurs non pertinents » et qu’elle soulève une « crainte de partialité ». Dans ses observations, la demanderesse cite certains extraits de la décision dans laquelle l’arbitre lui a refusé le droit de retirer la plainte.

[25]      La demanderesse soutient que l’arbitre a examiné un facteur non pertinent (la question du coût du litige pour la banque) et s’est fondé en grande partie sur ce facteur pour en arriver à sa décision. Plus précisément :

€€€€€€ Le Code autorise l’arbitre à adjuger des frais uniquement à l’employé injustement congédié et non à l’employeur qui a gain de cause;

€€€€€€ L’arbitre n’a pas tenu compte des frais que la demanderesse a dû engager;

€€€€€€ L’arbitre n’a pas tenu compte du fait que la demanderesse a changé d’avocat lorsqu’il a conclu, malgré l’absence de preuve à ce sujet, qu’elle sera avantagée par rapport à la banque, étant donné qu’elle a déjà contre-interrogé les témoins de celle-ci;

€€€€€€ De toute évidence, la banque n’a pas eu de mal à faire venir Mme Grylls et M. Harper antérieurement pour qu’ils témoignent.

[26]      La demanderesse invoque également les arguments suivants :

€€€€€€ Le Code n’accorde pas à l’arbitre le pouvoir explicite de se prononcer sur le retrait d’une plainte. En l’absence de ce pouvoir, l’arbitre n’a pas compétence pour trancher cette question;

€€€€€€ Le Code vise des objectifs de réparation et s’éloigne sensiblement des règles de common law. Refuser au salarié le droit de retirer sa plainte sans conséquence juridique défavorable irait à l’encontre de l’esprit et de l’objectif du texte législatif;

€€€€€€ Le droit que le Code reconnaît à la demanderesse en l’espèce est un droit individuel et non collectif, comme celui qui découle de la négociation collective, et ce droit individuel peut exister de façon concurrente avec d’autres droits, comme l’indique le paragraphe 246(1) du Code : « Les articles 240 à 245 n’ont pas pour effet de suspendre ou de modifier le recours civil que l’employé peut exercer contre son employeur ». Selon la demanderesse, cette disposition lui permet de soutenir que le législateur avait manifestement l’intention de ne pas porter atteinte à ces autres droits;

€€€€€€ De façon générale, il n’existe pas de fondement autre que les textes législatifs concernant la négociation collective pour l’application des conventions collectives. L’arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, est invoqué au soutien de cet argument;

€€€€€€ Le rejet présumé d’une demande de retrait en l’espèce a de graves répercussions sur différents droits autres que ceux de la demanderesse et de la banque (par exemple, cette décision peut avoir des répercussions sur les actions en diffamation ou les actions découlant de l’utilisation abusive des procédures, de l’infliction intentionnelle de souffrances morales et de poursuites abusives).

[27]      La demanderesse cite l’arrêt U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048 pour soutenir que, lorsque le principal problème à régler dans une demande de contrôle judiciaire réside dans la compétence du tribunal, les cours de justice devraient se demander si le législateur voulait que cette question relève de la compétence accordée au tribunal. Selon la demanderesse, le Code indique clairement que l’arbitre est investi du pouvoir restreint de décider si une personne a ou non été injustement congédiée. L’arbitre n’a donc pas le pouvoir de décider si un plaignant peut ou non retirer sa plainte.

Les arguments de la défenderesse au sujet de la décision relative au retrait22 janvier 1999

[28]      Quelle norme de contrôle la Cour devrait-elle appliquer à cette décision?

Selon la défenderesse, les circonstances de la présente affaire peuvent être distinguées de celles des arrêts Air Canada c. Davis (1994), 72 F.T.R. 283 (C.F. 1re inst.), et Énergie atomique du Canada Ltée c. Jindle (1996), 110 F.T.R. 221 (C.F. 1re inst.) (conf. par (1998), 229 N.R. 212 (C.A.F.)). Dans la présente affaire, il est indubitable que la plainte a été soumise en bonne et due forme à l’arbitre conformément au paragraphe 241(1) du Code. Par conséquent, la restriction énoncée au paragraphe 242(3.1) en ce qui concerne la compétence de l’arbitre n’est pas pertinente en l’espèce.

La défenderesse ajoute que la décision de l’arbitre devrait être examinée en fonction de la norme du caractère manifestement déraisonnable. L’alinéa 242(2)b) énonce que l’arbitre fixe lui-même la procédure à suivre. Selon la défenderesse, la décision examinée en l’espèce est une décision de cette nature et relevait de la compétence prévue dans le texte législatif.

[29]      La décision de l’arbitre était-elle manifestement déraisonnable ou, subsidiairement, était-elle correcte?

Le paragraphe 242(2) du Code prévoit que l’arbitre doit examiner la plainte. Par conséquent, selon la défenderesse, l’arbitre n’a pas le pouvoir discrétionnaire de ne pas examiner la plainte, exception faite de ce qui est prévu au paragraphe 242(3.1), et n’a pas non plus le pouvoir discrétionnaire de permettre à la partie plaignante de retirer sa plainte. C’est le ministre, et non la plaignante, qui saisit l’arbitre de la plainte.

La défenderesse ajoute que, selon le paragraphe 242(3), l’examen d’une plainte et la communication de la décision sont obligatoires et il n’existe aucun pouvoir discrétionnaire permettant à l’arbitre d’interrompre la procédure à mi-chemin en permettant au plaignant de retirer sa plainte.

La défenderesse cite l’ouvrage de S. R. Ball, Canadian Employment Law, publication à feuillets mobiles, Aurora (Ontario) : Canada Law Book, 1996, pour soutenir que l’arbitre a eu raison de se guider sur les sentences arbitrales rendues dans les litiges liés aux conventions collectives pour examiner la question dont il était saisi. Les sentences arbitrales indiquent deux tendances possibles :

1. Un arbitre a compétence pour décider si un syndicat devrait ou non être autorisé à retirer un grief et, dans l’affirmative, à quelles conditions. La défenderesse fait valoir que l’arbitre a choisi de suivre cette tendance et de se fonder sur la sentence arbitrale rendue dans l’affaire Guelph General Hospital and O.N.A., Re (1992), 25 L.A.C. (4th) 260 (Ont.), à la page 261.

2. Le rejet d’un grief équivaut à une décision sur le fond au sujet des allégations à l’origine du grief et à une conclusion de l’arbitre selon laquelle les allégations ne sont ni prouvées ni justifiées. La défenderesse fait valoir que cette position est moins favorable à la demanderesse et a demandé à l’arbitre de suivre cette tendance, mais l’arbitre a préféré la première interprétation aux fins de sa décision.

Selon la défenderesse, l’arbitre a examiné tous les facteurs pertinents dans sa décision, notamment la question de savoir si le retrait d’une plainte causerait un préjudice à la banque.

La défenderesse allègue que la décision ne va pas à l’encontre du paragraphe 246(1) du Code, parce qu’elle n’empêche pas la demanderesse d’exercer un recours civil. La décision a pour effet de reconnaître la réalité, soit la possibilité pour une cour de justice saisie d’une action civile d’examiner la décision définitive rendue par l’arbitre au sujet de la plainte. Il a été décidé qu’une sentence arbitrale peut donner lieu à une irrecevabilité à remettre en cause une question dans des instances subséquentes (Rasanen v. Rosemount Instruments Ltd. (1994), 17 O.R. (3d) 267 (C.A.), aux pages 277 à 284).

Analyse et décision

[30]      Très peu de décisions ont été rendues au sujet du retrait d’une plainte déposée sous le régime du Code canadien du travail. Dans l’affaire Aylward v. McMaster University (1991), 79 D.L.R. (4th) 119 (Div. gén. Ont.), le juge Flinn a formulé les remarques suivantes aux pages 126 à 128 :

[traduction] L’avocat du requérant a demandé à la cour de conclure, d’abord, que la décision du tribunal de poursuivre les procédures de son propre chef était nulle ab initio, parce que, une fois que la plainte avait été retirée, le tribunal n’avait plus compétence et, en second lieu, compte tenu des règles de procédure établies par le Sénat, le tribunal ne pouvait être juge dans sa propre affaire (la partialité institutionnelle). Autrement dit, il ne devrait pas agir à la fois en qualité de juge et de poursuivant.

À cet égard, l’avocat du requérant a cité le jugement que le juge Beetz a prononcé dans l’affaire Harelkin c. Université de Regina (1979), 96 D.L.R. (3d) 14, à la page 47, [1979] 2 R.C.S. 561, à la page 583, [1979] 3 W.W.R. 676, où il a cité avec approbation les propos de lord Devlin dans Ridge v. Baldwin, [1964] A.C. 40 (C.L.), aux pages 138 et 139 :

[traduction] « L’appelant prétend qu’il cherche à invalider ab initio la décision du comité. Ceci doit vouloir dire que le comité n’avait pas le pouvoir statutaire de prendre une décision. S’il l’avait eu, alors, bien que la décision prise puisse être mauvaise ou infirmée par la cour en vertu de son pouvoir de surveillance des procédures des tribunaux d’instance inférieure, sa décision ne serait pas nulle ab initio mais serait valide jusqu’à ce qu’elle soit infirmée. Pour qu’elle soit nulle ab initio, il faut qu’une condition qui confère le pouvoir au comité n’ait pas été respectée.»

En ce qui a trait à la partialité institutionnelle, l’avocat du requérant a cité l’arrêt Hajee v. York University (1985), 11 O.A.C. 72 (C. div.), où le comité du sénat a décidé que l’étudiant pouvait contre-interroger les témoins uniquement par l’entremise du président du comité, qui avait apparemment le pouvoir discrétionnaire de poser ou non les questions proposées. Voici comment le juge Krever s’est exprimé à la page 73 :

[traduction] Il n’y a pas d’offense plus grave à l’endroit de l’intégrité d’un établissement universitaire ou d’un corps professoral que celle de la malhonnêteté, qu’il s’agisse d’une malhonnêteté de nature intellectuelle ou d’une fraude. Le désir de mettre à jour cette malhonnêteté et d’infliger à ses auteurs la punition qu’ils méritent est donc compréhensible, lorsque cette malhonnêteté semble exister. En revanche, il faut à tout prix éviter de conclure à la légère à l’existence de celle-ci. Le droit de mettre à jour cette malhonnêteté crée une obligation correspondante de permettre à la personne qui est accusée de malhonnêteté d’invoquer les moyens de protection raisonnables à sa disposition pour être en mesure de répondre aux accusations graves découlant de ce droit.

L’avocat de la partie intimée a soutenu que les procédures ne pouvaient être considérées comme nulles. Le tribunal a été constitué en bonne et due forme et a examiné des questions qui relevaient de sa compétence. L’avocat a fait valoir que, lorsque la plainte a été retirée, la décision du comité de poursuivre les procédures de son propre chef pouvait être contestée uniquement parce qu’elle était manifestement déraisonnable et, tel n’étant pas le cas, la Cour ne devrait pas intervenir.

La cour est d’avis que l’audience n’était pas nulle, parce qu’elle a été tenue devant un tribunal constitué en bonne et due forme et précédée d’un avis donné de façon régulière; de plus, le tribunal était disposé et prêt à entendre les observations de l’avocat du professeur, de l’étudiant requérant et même ses propres témoins, s’ils avaient été appelés. Dans l’arrêt Dayco (Canada) Ltd. v. C.A.W. (1990), 73 D.L.R. (4th) 718, 90 C.L.L.C. ¶ 14,040, 74 O.R. (2d) 648, la Cour d’appel de l’Ontario, qui commentait le jugement qu’a prononcé le juge Beetz dans U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, 35 Admin. L.R. 153, 89 C.L.L.C. ¶14,045, a formulé les commentaires suivants aux pages 728 et 729 :

[traduction] Dans l’arrêt Bibeault, le juge Beetz a décrit la méthode à suivre pour appliquer son analyse pragmatique et fonctionnelle afin de décider si une question relève de la compétence d’un tribunal ou d’un arbitre. Il a dit, à la page 1088 :

« […] la première étape de l’analyse nécessaire à la notion de l’erreur « manifestement déraisonnable » consiste à déterminer la compétence du tribunal. Pour ce faire, la Cour examine non seulement le libellé de la disposition législative qui confère la compétence au tribunal administratif, mais également l’objet de la loi qui crée le tribunal, la raison d’être de ce tribunal, le domaine d’expertise de ses membres, et la nature du problème soumis au tribunal. ».

Le juge Beetz a poursuivi en disant que la cour doit examiner la nature de la question dont le tribunal est saisi et décider comment elle cadre avec le régime administratif. S’il s’agit d’une question visée par la définition pragmatique et fonctionnelle de la compétence du tribunal, une cour de justice ne pourra intervenir que si le tribunal commet une erreur manifestement déraisonnable. Cependant, si la question concerne une disposition législative restreignant la compétence du tribunal, la décision de celui-ci pourra être contestée si elle est erronée. Une fois que la norme de révision est établie, la cour peut examiner le fond de la demande.

La question que le tribunal devait trancher en l’espèce était une question qui relevait clairement de sa compétence et la décision s’y rapportant ne pourrait faire l’objet d’une révision judiciaire, à moins que le tribunal n’ait perdu sa compétence en rendant une décision manifestement déraisonnable.

Cette position semblerait correspondre à la situation la plus favorable que la partie requérante puisse invoquer. Dans l’affaire Harelkin, précitée, le juge Beetz s’exprime comme suit à la p. 48 :

Il ne fait aucun doute qu’en l’espèce le comité du conseil avait compétence pour entendre et trancher la demande ou la requête de l’appelant. Il n’y avait pas absence de compétence. En exerçant cette compétence, le comité du conseil a erré en n’observant pas les règles de justice naturelle. Bien que d’un certain point de vue on puisse dire que cette erreur est « assimilable » à une erreur d’ordre juridictionnel, il ne s’ensuit pas que la décision est entachée de la même nullité que si le comité n’avait pas été compétent. La décision du comité est simplement annulable à la demande de la partie lésée et peut être portée en appel jusqu’à ce qu’elle soit annulée par une cour supérieure ou infirmée par le Sénat.

Dans la présente affaire, une fois que la plainte a été retirée, la poursuite des fonctions du tribunal n’était plus justifiée. Les observations formulées dans les affaires de nullité permettent d’aller plus loin et de se demander si la décision de procéder est manifestement déraisonnable.

L’avocat des intimés a fait valoir que la malhonnêteté d’un membre du corps professoral est un problème qui concerne l’université et nous convenons qu’il s’agit d’une question ayant une importance vitale à l’intérieur du milieu universitaire. Elle l’est tout autant pour l’étudiant et, par conséquent, elle comporte l’obligation correspondante d’assurer l’équité procédurale lors de l’examen des allégations connexes. Il n’est pas nécessaire de décider si la conduite du professeur constituait un retrait réel de l’accusation ou, subsidiairement, un retrait de sa participation, par le transfert du fardeau de la preuve. Dans un cas comme dans l’autre, l’équilibre de la poursuite dans le débat contradictoire est rompu. La décision du conseil de poursuivre a entraîné une fusion des fonctions du poursuivant avec celles du juge, comme l’a démontré l’enquête du conseil au sujet de la disponibilité du professeur pour témoigner. Il n’existe aucun cadre procédural permettant au conseil de poursuivre les procédures en qualité de poursuivant ou de s’engager dans une procédure de la nature d’une enquête. Par conséquent, cette décision dépassait son rôle quasi judiciaire et son pouvoir et, pour cette raison,

a) elle était manifestement déraisonnable;

b) elle constituait une faille institutionnelle permettant raisonnablement de craindre que le conseil n’agisse pas de manière tout à fait impartiale;

c) elle dépassait la compétence et allait à l’encontre des règles de justice naturelle.

Compte tenu de la conclusion selon laquelle la fonction essentielle du tribunal était une fonction quasi judiciaire en ce qui a trait à l’examen des questions de malhonnêteté de l’établissement et selon laquelle la décision de poursuivre était manifestement déraisonnable, est-il possible d’accorder une réparation satisfaisante à l’intérieur des paramètres des règles de procédure établies par le Sénat?

Même si cette affaire concernait un milieu universitaire, la question dont je suis saisi en l’espèce est la même. Quel est l’effet d’une plainte retirée?

[31]      Je reconnais que, par suite du retrait de la plainte, [traduction] « la poursuite des fonctions du tribunal n’était plus justifiée ». Selon les paragraphes 242(1) et (2) de la Loi, la tâche de l’arbitre consiste à « entendre et trancher l’affaire ». En raison de la lettre que la demanderesse a fait parvenir à l’arbitre, la plainte n’existe plus. L’arbitre n’est saisi d’aucune autre question à entendre et à trancher. Le seul pouvoir dont l’arbitre disposait est celui qui lui a été accordé par le texte législatif. J’estime qu’une fois que la demanderesse a retiré sa plainte, l’arbitre n’avait plus compétence pour agir. À mon avis, la décision de refuser à la demanderesse l’autorisation de retirer sa demande était une décision qui, en plus d’être manifestement déraisonnable, dépassait la compétence de l’arbitre. Par conséquent, cette décision de l’arbitre doit être annulée.

[32]      Dans l’affaire Grisdale and Ontario Southland Railway Inc., [1997] C.L.A.D. no 228 (QL), l’arbitre I. A. Hunter en est arrivé à une conclusion similaire. Cette affaire portait également sur un arbitrage fondé sur les dispositions du Code canadien du travail qui sont invoquées en l’espèce. L’arbitre Hunter s’est exprimé comme suit aux paragraphes 4 à 7 de sa décision :

[traduction] Le soir du 6 mai 1997, j’ai reçu une télécopie et un appel téléphonique subséquent de Me Neelam Jolly, l’avocate des deux plaignants. Le texte suivant figurait sur la télécopie :

[traduction]

Monsieur Hunter,

Objet : Ontario Southland Railway

Par suite de notre conversation téléphonique en date du 6 mai 1997, je vous écris pour confirmer que j’ai reçu de M. Sabourin et de M. Grassdale des directives m’enjoignant de retirer leurs plaintes. Je m’excuse de vous donner cet avis à la dernière minute. Toutefois, je n’ai reçu mes directives qu’aujourd’hui, vers 16h50. Veuillez noter que j’ai laissé un message sur la boîte vocale de l’avocat de la partie adverse pour l’informer des directives de mes clients.

Au cours de l’audience du 7 mai 1997, aucun des plaignants n’a comparu, ni même leur avocate. Toutefois, M. Campbell a comparu et (1) s’est opposé au retrait unilatéral de la plainte, surtout à la toute dernière minute, (2) a soutenu qu’une fois que les plaintes sont portées à mon attention en qualité d’arbitre, je suis saisi de ces plaintes. Étant donné que son client a consacré du temps et de l’argent à se préparer en ce qui concerne la question constitutionnelle, l’avocat a fait valoir que je devrais entendre la preuve et rendre une décision au sujet de cette question.

Par conséquent, la nouvelle question qui m’est posée est celle de savoir si les plaignants peuvent retirer unilatéralement une plainte présentée sous le régime de l’article 242 du Code canadien du travail.

Pour en arriver à ma décision, je souligne que je suis désigné en vertu du Code canadien du travail. Ma compétence découle entièrement de ce texte législatif et je dois me fonder sur celui-ci pour rendre ma décision.

L’arbitre ajoute les commentaires suivants aux paragraphes 9 et 10 :

[traduction] À mon avis, la condition préliminaire d’origine législative qui sous-tend l’exercice de l’un ou l’autre de ces pouvoirs réside dans « la plainte ». Dans la présente affaire, il n’y a plus de « plainte » devant moi. MM. Grisdale et Sabourin ont formulé la plainte et, à mon sens, ils ont le droit unilatéral de la retirer, malgré le manque de courtoisie démontré à l’endroit de l’intimé, de M. Campbell et de moi-même par la façon abrupte dont ils ont agi.

Si je devais faire droit à la demande de M. Campbell et fixer une autre audience au sujet de la question constitutionnelle, j’entendrais les arguments d’une seule des parties au sujet d’une question de droit importante. Malgré les frais et inconvénients occasionnés à l’intimé, je ne suis pas une cour de justice qui entend un renvoi constitutionnel, ni même un professeur de droit donnant un avis consultatif sur une question constitutionnelle. Je suis un arbitre chargé de décider si deux individus, en l’occurrence, Grisdale et Sabourin, ont été congédiés injustement, comme ils l’ont allégué à un moment donné. Grisdale et Sabourin ont retiré cette allégation et je n’ai plus la compétence voulue pour poursuivre. Je suis functus officio.

Je souscris à la conclusion de l’arbitre Hunter, mais pas nécessairement à son point de vue au sujet du statut de functus officio.

[33]      La demande de contrôle judiciaire concernant la décision relative au retrait en date du 22 janvier 1999 est accueillie.

[34]      Étant donné que chacune des parties a eu partiellement gain de cause, aucune ordonnance n’est rendue au sujet des frais.

ORDONNANCE

[35]      La demande de contrôle judiciaire se rapportant à la décision du 4 août 1998 (la décision relative à la preuve) est rejetée.

[36]      La demande de contrôle judiciaire se rapportant à la décision du 22 janvier 1999 (la décision relative au retrait) est accueillie.

[37]      Aucune ordonnance n’est rendue au sujet des frais.

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