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[2001] 1 C.F. 373

A-21-99

Nasteha Mohamed Adam (appelante) (demanderesse en première instance)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé) (défendeur en première instance)

Répertorié : Adam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.)

Cour d’appel, juges Rothstein, McDonald et Sharlow, J.C.A.Toronto, 22 et 25 août 2000.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Processus d’enquête en matière d’immigration Question certifiée : Est-ce qu’il existe un pouvoir inhérent de proroger un délai légal lorsque la justice l’exige et que le strict respect du délai va contre l’objectif de la loi? L’art. 11.4(2)b) du Règlement sur l’immigration de 1978 impose un délai de prescription de 15 jours aux demandeurs déboutés du statut de réfugié pour la présentation d’une demande visant l’attribution de la qualité de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) L’agent d’immigration a rejeté la demande parce qu’elle était tardive Il n’avait pas compétence pour proroger le délai légal fixé par le règlement régissant les DNRSRC Le délai de prescription fait partie intégrante de la procédure d’attribution de la qualité de DNRSRC et constitue une limite légale à la compétence conférée aux agents d’immigration pour traiter les demandes en vertu du règlement régissant les DNRSRC La disposition qui fixe ce délai est claire, sans ambiguïté.

Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Question certifiée : le défaut de prévoir, dans le règlement régissant les demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC), le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de prescription contrevient-il à l’art. 7 de la Charte parce qu’il n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale? Les demandeurs déboutés du statut de réfugié ont droit à une procédure conforme aux principes de justice fondamentale pour l’évaluation du risque auquel leur renvoi peut les exposer La question à trancher ne consistait pas à déterminer si un délai de prescription strict sans attribution d’un pouvoir discrétionnaire est conforme aux principes de justice fondamentale, mais si le régime établi par la Loi offre une protection suffisante, sur le plan de la procédure, contre le renvoi vers un pays où la sécurité de la personne est menacée La Loi offre cette protection en conférant (i) le droit de demander le contrôle judiciaire du rejet de la revendication du statut de réfugié; (ii) le droit de demander la résidence permanente au Canada en invoquant des motifs d’ordre humanitaire (avec la possibilité d’une évaluation du risque), en vertu de l’art. 114(2), tout en demandant qu’il soit sursis à la mesure de renvoi jusqu’à l’issue de la demande; (iii) le droit de présenter une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC, qui comporte nécessairement une évaluation du risque Le délai de prescription impose au demandeur éventuel une obligation de diligence raisonnable, mais ne porte pas atteinte aux garanties offertes à la personne dont la sécurité de la personne est menacée si elle est renvoyée dans un autre pays, ni n’oblige les autorités de l’immigration à interpréter le délai de prescription obligatoire comme s’il pouvait faire l’objet d’une prorogation discrétionnaire.

Voici les réponses aux questions certifiées par le juge des requêtes qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire du refus de l’agent d’immigration d’attribuer la qualité de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) à la demanderesse. L’alinéa 11.4(2)b) du Règlement sur l’immigration de 1978 impose au demandeur débouté du statut de réfugié un délai de prescription de 15 jours pour la présentation d’une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC, mais, en vertu d’une ligne directrice administrative, les demandes visant l’attribution de la qualité de DNRSRC oblitérées dans les 22 jours suivant la date de la décision sont acceptées comme présentées dans le délai imparti. Lorsque la SSR a donné avis à l’appelante du rejet de sa revendication, elle y a joint des renseignements sur la possibilité de présenter une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC, ainsi qu’un formulaire de demande. Ces renseignements précisaient que la demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC devait être présentée dans les 15 jours suivant la date de l’avis de la décision. L’appelante a posté une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC bien après l’expiration du délai de prescription de 15 jours. Un agent d’immigration a rejeté sommairement sa demande parce qu’il n’avait pas le pouvoir de traiter une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC oblitérée plus de 22 jours après la date du rejet de la revendication. Le juge des requêtes a certifié les questions suivantes : 1) Un agent d’immigration a-t-il le pouvoir inhérent de proroger le délai légal fixé pour le dépôt d’une demande sous le régime du règlement régissant les DNRSRC? 2) Le défaut d’attribuer, dans le règlement régissant les DNRSRC, un pouvoir discrétionnaire de proroger ce délai contrevient-il à l’article 7 de la Charte parce qu’il n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale? L’article 7 garantit à chacun le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et prévoit qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Arrêt : l’appel est rejeté et les deux questions reçoivent une réponse négative.

1) Le délai de prescription fait partie intégrante de la procédure d’attribution de la qualité de DNRSRC et constitue une limite légale à la compétence conférée aux agents d’immigration pour traiter les demandes présentées en vertu du règlement régissant les DNRSRC. La disposition qui fixe ce délai est claire et ne comporte aucune ambiguïté.

2) Les demandeurs déboutés du statut de réfugié ont droit à une procédure conforme aux principes de justice fondamentale pour l’évaluation du risque auquel leur renvoi peut les exposer. Néanmoins, la question à trancher ne consiste pas à déterminer si l’existence d’un délai de prescription strict pour le dépôt d’une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC, sans disposition conférant un pouvoir discrétionnaire de prorogation, est conforme aux principes de justice fondamentale, mais si le régime établi par la Loi sur l’immigration, dans son ensemble, offre aux demandeurs déboutés du statut de réfugié une protection suffisante, sur le plan de la procédure, contre leur renvoi vers un pays où leur sécurité personnelle est menacée. Le régime législatif satisfaisait à ce critère. La Loi sur l’immigration établit plusieurs mesures de protection, sur le plan de la procédure, dont peuvent se prévaloir les demandeurs déboutés du statut de réfugié susceptibles d’être renvoyés dans un tel pays. Ils peuvent, premièrement, demander le contrôle judiciaire du rejet de leur revendication du statut de réfugié; deuxièmement, demander la résidence permanente au Canada en invoquant des motifs d’ordre humanitaire (avec la possibilité d’une évaluation du risque), en vertu du paragraphe 114(2), tout en demandant qu’il soit sursis à la mesure de renvoi jusqu’à l’issue de la demande; et, troisièmement, présenter une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC, qui comporte nécessairement une évaluation du risque. Le délai de prescription qui restreint le droit de présenter une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC impose au demandeur éventuel une obligation de diligence raisonnable. Cette exigence ne porte pas atteinte aux garanties offertes à la personne dont la sécurité risque d’être menacée si elle est renvoyée dans un autre pays. Elle n’oblige pas non plus les autorités de l’immigration à interpréter ce délai de prescription, exprimé en termes obligatoires, comme s’il pouvait faire l’objet d’une prorogation discrétionnaire.

Une personne qui ne dépose pas de demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC, ou dont la demande d’attribution de la qualité de DNRSRC est rejetée, peut toujours présenter une demande indépendante fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et une demande de sursis du renvoi, qui comporteraient, le cas échéant, une évaluation du risque.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 53(1)b) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 43), 114(2) (mod., idem, art. 102).

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1) « demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada » (mod. par DORS/93-44, art. 1), 11.4(2)b) (édicté, idem, art. 10; 97-182, art. 5).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 C.F. 592 (2000), 18 Admin. L.R. (3d) 159; 5 Imm. L.R. (3d) 1; 252 N.R. 1 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. accordée [2000] S.C.C.A. no 106 (QL); Farhadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 6 Imm. L.R. (3d) 80 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. demandée [2000] S.C.C.A. no 251 (QL).

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 3 C.F. 487 (1989), 61 D.L.R. (4th) 573; 47 C.R.R. 361; 8 Imm. L.R. (2d) 165 (C.A.).

APPEL, autorisé par la certification de questions, interjeté à l’encontre de la décision par laquelle un juge des requêtes a statué qu’il n’existait ni pouvoir ni obligation de proroger le délai de prescription du dépôt d’une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC. Les questions certifiées étaient les suivantes : 1) Un agent d’immigration a-t-il le pouvoir inhérent de proroger le délai légal fixé pour le dépôt d’une demande sous le régime du règlement régissant les DNRSRC; 2) Le défaut d’attribuer, dans le règlement régissant les DNRSRC, un pouvoir discrétionnaire de proroger ce délai contrevient-il à l’article 7 de la Charte parce qu’il n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale? (Adam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 161 F.T.R. 42 (C.F. 1re inst.)). Ces deux questions ont reçu une réponse négative et l’appel a été rejeté.

ONT COMPARU :

Geraldine Sadoway pour l’appelante (demanderesse en première instance).

Susan Nucci pour l’intimé (défendeur en première instance).

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Parkdale Community Legal Services, Toronto, pour l’appelante (demanderesse en première instance).

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé (défendeur en première instance).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour prononcés à l’audience par

[1]        Le juge Sharlow, J.C.A. : La question en litige est celle de savoir si un agent d’immigration a le pouvoir ou l’obligation de trancher une demande de prorogation du délai de prescription fixé par l’alinéa 11.4(2)b) du Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172 [édicté par DORS/93-44, art. 10; 97-182, art. 5]. Selon ce Règlement, un demandeur débouté du statut de réfugié a 15 jours pour présenter une demande visant l’attribution de la qualité de « demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada » (DNRSRC).

[2]        Le juge des requêtes a statué qu’il n’existait pas de pouvoir ni d’obligation de proroger le délai de prescription : (1998), 161 F.T.R. 42 (C.F. 1re inst.). Il a toutefois certifié les questions suivantes pour permettre la formation d’un appel devant la Cour [à la page 50] :

Est-ce qu’il existe un pouvoir inhérent de proroger un délai légal lorsque la justice l’exige et que le strict respect du délai va contre l’objectif de la loi?

Est-ce que le délai strict de 15 jours prévu à l’alinéa 11.4(2)b) du Règlement sur l’immigration, pour une demande d’« évaluation du risque » en vertu du programme concernant les DNRSRC, après réception d’un avis de refus d’une revendication du statut de réfugié, viole l’art. 7 de la Charte des droits et libertés, étant donné qu’un tel délai, qui ne peut être prorogé, n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale?

[3]        Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec le juge des requêtes et je suis d’avis de répondre à ces deux questions par la négative.

[4]        Les faits sont les suivants. L’appelante, Mme Adam, est citoyenne de la Somalie. Elle a quitté son pays en 1991, à l’âge de 18 ans, pour échapper à la guerre civile. Elle s’est d’abord rendue au Kenya, puis elle est arrivée au Canada en 1996, où elle a revendiqué le statut de réfugié. La section du statut de réfugié (SSR) a rejeté sa revendication dans une décision en date du 7 juillet 1997.

[5]        En qualité de demanderesse déboutée du statut de réfugié, Mme Adam devenait donc susceptible d’être renvoyée du Canada. Elle aurait toutefois pu présenter une demande en vertu du paragraphe 11.4(2) du Règlement sur l’immigration pour se faire attribuer la qualité de DNRSRC. Elle devait déposer cette demande dans les 15 jours suivant la date où elle a reçu avis du rejet de sa revendication. Si sa demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC avait été accueillie, aucune mesure de renvoi n’aurait pu être prise contre elle et elle aurait été autorisée à demander le droit d’établissement sans quitter le Canada.

[6]        Pour que sa demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC soit accueillie, Mme Adam aurait dû convaincre un agent d’immigration qu’elle satisfaisait à plusieurs conditions. Aux fins de l’appel, il suffit de mentionner la condition énoncée à l’alinéa c) de la définition d’un « demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada » figurant au paragraphe 2(1) [mod. par DORS/93-44, art. 1] du Règlement sur l’immigration de 1978. Selon cet alinéa, Mme Adam devait être une personne :

2. (1) […]

« demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada »

[…]

c) dont le renvoi vers un pays dans lequel il peut être renvoyé l’expose personnellement, en tout lieu de ce pays, à l’un des risques suivants, objectivement identifiable, auquel ne sont pas généralement exposés d’autres individus provenant de ce pays ou s’y trouvant :

(i) sa vie est menacée pour des raisons autres que l’incapacité de ce pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats,

(ii) des sanctions excessives peuvent être exercées contre lui,

(iii) un traitement inhumain peut lui être infligé.

[7]        L’avocate de Mme Adam a affirmé, et l’avocate de la Couronne n’a pas contesté, que le pays en cause dans le cas de Mme Adam aurait été la Somalie.

[8]        Lorsque la SSR a donné avis à Mme Adam du rejet de sa revendication, elle y a joint des renseignements sur la possibilité de présenter une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC, ainsi que le formulaire de demande requis. Le premier paragraphe du document décrivant la demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC disait ce qui suit :

[traduction] Les personnes qui se sont vu refuser la reconnaissance du statut de réfugié au Canada peuvent demander que leur situation soit examinée sous le régime applicable aux demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC). Le régime applicable aux DNRSRC vise les personnes qui, bien qu’elles ne soient pas des réfugiés au sens de la Convention, seraient exposées à des risque si elles étaient renvoyées du Canada.

[9]        Cette description des DNRSRC est raisonnablement exacte. Le formulaire de demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC est un document relativement simple d’une page, qui demande seulement des renseignements identifiant le demandeur et le pays visé par la demande. Ce formulaire peut être envoyé par courrier ordinaire. Aucun droit n’est exigible en vertu du Règlement sur l’immigration de 1978 pour la présentation d’une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC.

[10]      Les renseignements transmis à Mme Adam avec la décision défavorable concernant sa revendication précisaient qu’une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC devait être présentée [traduction] « dans les 15 jours suivant la date de l’avis de la décision ». Ils expliquaient aussi ce qui semble être une ligne directrice administrative selon laquelle les demandes visant l’attribution de la qualité de DNRSRC oblitérées dans les 22 jours suivant la date de la décision sont acceptées comme présentées dans le délai imparti. Cette ligne directrice a apparemment été adoptée pour allouer un délai raisonnable entre la date de la signature de l’avis écrit de la décision et la date à laquelle on peut raisonnablement s’attendre que le revendicateur la reçoive par la poste. Il n’est pas contesté que le règlement proprement dit prévoit que c’est à la date de la réception de l’avis que le délai de prescription de 15 jours commence à courir.

[11]      Aucune preuve n’établit que Mme Adam aurait été incapable de comprendre les renseignements qui lui ont été transmis si elle les avait lus. Elle ne nie pas non plus les avoir reçus.

[12]      Mme Adam a présenté une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC, mais ne l’a postée que le 3 octobre 1997, bien après l’expiration du délai de prescription de 15 jours. Un agent d’immigration a rejeté sommairement sa demande parce qu’il n’avait pas le pouvoir de traiter une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC oblitérée plus de 22 jours après la date du rejet de la revendication. C’est cette décision qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire visée par l’appel.

[13]      Voici l’explication fournie relativement à la présentation tardive de la demande. Au cours du processus de revendication du statut de réfugié, Mme Adam était représentée par un avocat. Mme Adam affirme dans son affidavit avoir tenté de communiquer avec son avocat lorsqu’elle a reçu la décision défavorable concernant sa revendication, mais que celui-ci ne l’a pas rappelée avant environ une semaine. Lorsqu’il a finalement communiqué avec elle, il lui a expliqué qu’il avait déménagé son bureau et qu’il n’avait donc pas pris connaissance de la décision défavorable. Elle l’a rencontré plus tard et il lui a expliqué la procédure à suivre pour demander le contrôle judiciaire de cette décision. Elle lui a versé la somme de 50 $, qu’elle avait reçue de membres de sa famille au Canada pour payer les droits de dépôt.

[14]      En ce qui concerne la possibilité de présenter une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC, Mme Adam a offert le témoignage suivant :

[traduction] Nous n’avons pas parlé de l’aide qu’il aurait pu m’apporter pour que je présente une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC, parce que cette démarche coûtait trop cher. Il ne m’a pas dit qu’il existait un délai de prescription pour la présentation d’une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC ni que je pouvais signer un formulaire et l’envoyer moi-même pour m’assurer que ma demande serait traitée.

[15]      Ce témoignage laisse croire que l’avocat a discuté d’une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC avec Mme Adam, mais que cette solution a été écartée en raison du coût des services de l’avocat. Dans une lettre postérieure, en date du 2 octobre 1997, l’avocate actuelle de Mme Adam a expliqué au directeur de la section de la révision des revendications refusées de Toronto que l’ancien avocat de Mme Adam ne l’avait pas informée de la possibilité de remplir un formulaire de demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC [traduction] « parce qu’il croyait que les chances de succès étaient trop faibles pour présenter une demande ».

[16]      Il n’est pas possible de déterminer, à partir du dossier, si l’ancien avocat de Mme Adam l’a ou non bien conseillée relativement à la procédure de demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC. Néanmoins, quels que soient les conseils qu’il a donnés à Mme Adam, il est clair que les documents qui lui ont été envoyés par la SSR contenaient les renseignements et le formulaire dont elle avait besoin.

[17]      La demande d’autorisation d’introduire une procédure de contrôle judiciaire présentée par Mme Adam à l’encontre du rejet de sa revendication a échoué parce que le dossier de demande n’a pas été complété à temps. L’explication proposée à cet égard est que Mme Adam n’était pas en mesure de payer son ancien avocat et qu’elle ne pouvait obtenir aucune aide financière de sa famille, de l’aide juridique, ni de son avocate actuelle, qui travaille pour la clinique juridique Parkdale Community Legal Services.

[18]      Mme Adam avait aussi le droit de présenter une demande en vertu du paragraphe 114(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 102] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, afin d’obtenir réparation pour des motifs d’ordre humanitaires. Elle ne l’a pas fait. Il a été plaidé qu’elle n’était pas en mesure de payer les droits de 500 $. Toutefois, le juge des requêtes a souligné que la preuve sur ce point était insuffisante. Mme Adam n’a pas fourni de preuve directe quant aux raisons pour lesquelles elle n’a pas déposé de demande en vertu du paragraphe 114(2).

[19]      La première question à trancher est celle de savoir si un agent d’immigration a le pouvoir inhérent de proroger le délai légal fixé pour le dépôt d’une demande sous le régime du règlement régissant les DNRSRC. Selon moi, il faut y répondre par la négative. Le délai de prescription fait partie intégrante de la procédure d’attribution de la qualité de DNRSRC et constitue une limite légale à la compétence conférée aux agents d’immigration pour traiter les demandes présentées en vertu du règlement régissant les DNRSRC. La disposition qui fixe ce délai est claire et ne comporte aucune ambiguïté.

[20]      La deuxième question certifiée est celle de savoir si le défaut du gouverneur en conseil d’attribuer, dans le règlement régissant les DNRSRC, un pouvoir discrétionnaire de proroger ce délai contrevient à l’article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] parce qu’il n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale. Voici ce que dit l’article 7 :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[21]      Dans l’affaire Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 C.F. 592 (C.A.), la Cour a reconnu sans débat que l’expression de l’opinion qu’une personne constitue un danger, prévue par l’alinéa 53(1)b) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 43] de la Loi sur l’immigration, enclenche l’application de l’article 7 de la Charte, si cette opinion a pour effet de permettre le renvoi de l’intéressé dans un pays où il est susceptible d’être torturé. Par la suite, la Cour a statué, dans l’arrêt Farhadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 6 Imm. L.R. (3d) 80 (C.A.F.), qu’une personne, dont le fondement de la revendication du statut de réfugié à l’égard d’un pays donné est jugé crédible, a droit à ce qu’une évaluation du risque soit effectuée et une décision prise à cet égard en conformité avec les principes de la justice fondamentale avant qu’il puisse être décidé valablement de la renvoyer dans ce pays.

[22]      Dans ces deux causes, l’évaluation du risque constituait un aspect de la procédure d’expression de l’opinion que l’intéressé représentait un danger, qui est l’une des étapes du processus de renvoi, même si elle ne correspond pas en soi à la décision de prendre une mesure de renvoi ou d’expulsion. Dans les deux cas, la Cour a conclu que la disposition législative en cause contrevenait à l’article 7 de la Charte, mais qu’elle était validée par l’article premier. (Une autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada a été accordée dans l’affaire Suresh [[2000] S.C.C.A. no 106 (QL)] et demandée dans l’affaire Farhadi [[2000] S.C.C.A. no 251 (QL)].)

[23]      Le processus de renvoi d’un demandeur débouté du statut de réfugié commence par le rejet de sa revendication. La procédure d’attribution de la qualité de DNRSRC permet au demandeur débouté du statut de réfugié d’obtenir le même type d’évaluation du risque que celle à laquelle ont droit automatiquement les réfugiés ou les demandeurs du statut de réfugié qui font l’objet d’une opinion portant qu’ils constituent un danger. Il serait incongru, après avoir reconnu que le risque auquel ces derniers sont exposés enclenche l’application de l’article 7 de la Charte, de conclure qu’un demandeur débouté du statut de réfugié ne peut invoquer l’article 7 de la Charte pour faire valoir son droit à une évaluation du risque conforme aux principes de justice fondamentale.

[24]      Je conclus donc que les demandeurs déboutés du statut de réfugié ont droit à une procédure conforme aux principes de justice fondamentale pour l’évaluation du risque auquel leur renvoi peut les exposer. Néanmoins, la question à trancher ne consiste pas à déterminer si l’existence d’un délai de prescription strict pour le dépôt d’une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC, sans disposition conférant un pouvoir discrétionnaire de prorogation, est conforme aux principes de justice fondamentale. La Cour doit plutôt décider si le régime établi par la Loi sur l’immigration, dans son ensemble, offre aux demandeurs déboutés du statut de réfugié une protection suffisante, sur le plan de la procédure, contre leur renvoi vers un pays où leur sécurité personnelle est menacée.

[25]      Je suis d’avis que le régime législatif satisfait à ce critère. La Loi sur l’immigration établit plusieurs mesures de protection, sur le plan de la procédure, dont peuvent se prévaloir les demandeurs déboutés du statut de réfugié susceptibles d’être renvoyés dans un tel pays. Ils peuvent, premièrement, demander le contrôle judiciaire du rejet de leur revendication du statut de réfugié et, deuxièmement, demander le droit d’établissement sans avoir à quitter le pays en invoquant des motifs d’ordre humanitaire (avec la possibilité d’une évaluation du risque) en vertu du paragraphe 114(2), tout en demandant qu’il soit sursis au renvoi jusqu’à l’issue de la demande. Ils peuvent, troisièmement, présenter une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC, qui comporte nécessairement une évaluation du risque.

[26]      Le délai de prescription qui restreint le droit de présenter une demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC impose au demandeur éventuel une obligation de diligence raisonnable. Cette exigence ne porte pas atteinte aux garanties offertes à la personne dont la sécurité risque d’être menacée si elle est renvoyée dans un autre pays. Elle n’oblige pas non plus les autorités de l’immigration à interpréter ce délai de prescription, exprimé en termes obligatoires, comme s’il pouvait faire l’objet d’une prorogation discrétionnaire.

[27]      La source la plus convaincante à l’appui des prétentions de Mme Adam est la décision prononcée par la Cour dans l’affaire Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 3 C.F. 487 (C.A.). Dans cette affaire, la Cour a affirmé que la Commission d’appel de l’immigration avait l’obligation de traiter une demande de réexamen d’une revendication du statut de réfugié, même si elle était déposée après l’expiration du délai légal, parce qu’elle avait l’obligation prépondérante de déterminer si le demandeur était privé d’un droit garanti par la Charte. Cette instance a été tranchée dans le contexte d’une version précédente de la Loi sur l’immigration et sous un régime de reconnaissance du statut de réfugié qui a été remplacé depuis par le régime actuel. Il se peut que, sous l’ancien régime, un délai de prescription empêchant l’appelant de faire trancher sa revendication du statut de réfugié ait porté atteinte à un droit garanti par la Charte, parce qu’il menait inexorablement à son renvoi dans un pays où sa sécurité pouvait être menacée. Ce n’est cependant pas le cas sous le régime de la loi actuelle. Une personne qui ne dépose pas de demande visant l’attribution de la qualité de DNRSRC, ou dont la demande d’attribution de la qualité de DNRSRC est rejetée, peut toujours présenter une demande indépendante fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et une demande de sursis du renvoi, qui comporteraient, le cas échéant, une évaluation du risque.

[28]      Pour ces motifs, l’appel est rejeté.

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