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[2001] 3 C.F. 127

A-794-99

2001 CAF 10

Lloyd Lewis McLean (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : McLean c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.)

Cour d’appel, juges Noël, Evans et Sharlow, J.C.A.— Vancouver, 7 et 8 février 2001.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — Appel du rejet d’une demande de contrôle judiciaire présentée suite au rejet d’une demande d’obtention de la citoyennetéAppelant né en 1943 aux É.U.A., du mariage d’un père américain et d’une mère canadienne — Droit d’établissement au Canada en 1951 — Première de plusieurs expulsions en 1972 — Plusieurs enquêtes se sont soldées par la conclusion qu’il n’y avait pas droit à la citoyenneté canadienne — L’art. 4 de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 accordait la citoyenneté aux enfants nés d’un père canadien hors du Canada des liens du mariage avant 1947; l’art. 5 accorde le même droit aux enfants nés après 1947 — L’art. 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1976 est venu supprimer cette différence de traitement pour les personnes nées après 1947 — L’arrêt Benner c. Secrétaire d’État a conclu que l’art. 5(2)b) était inconstitutionnel en ce qu’il imposait des conditions plus exigeantes à ceux qui réclamaient la citoyenneté par filiation maternelle — L’appelant soutient que la distinction sur laquelle on s’appuie pour lui refuser la citoyenneté enfreint l’art. 15 de la Charte — Il soutient n’avoir jamais invoqué la Loi sur la citoyenneté, puisqu’il n’a jamais fait une demande formelle de citoyenneté — La citoyenneté a des conséquences en vertu de plusieurs lois — Le moment qui importe est celui où il s’est heurté à un texte de loi qui tenait compte du fait qu’il n’était pas citoyen, c.-à-d. lorsqu’il s’est opposé à son expulsion au motif qu’il était un citoyen canadien et qu’on a décidé que ce n’était pas le cas — L’appelant connaissait les dispositions de la Loi sur la citoyenneté bien avant que la Charte n’entre en vigueur — Il recherchait une application rétroactive de la Charte — Appel rejeté.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Citoyens — Appel du rejet d’une demande de contrôle judiciaire présentée suite au rejet d’une demande d’obtention de la citoyenneté — Appelant né en 1943 aux É.U.A., du mariage d’un père américain et d’une mère canadienne — L’art. 4 de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 accordait la citoyenneté aux enfants nés d’un père canadien hors du Canada des liens du mariage avant 1947; l’art. 5 accorde le même droit aux enfants nés après 1947 — L’art. 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté de 1976 est venu supprimer cette différence de traitement pour les personnes nées après 1947 — L’arrêt Benner c. Secrétaire d’État a conclu que l’art. 5(2)b) était inconstitutionnel — L’appelant soutient que la distinction sur laquelle on s’appuie pour lui refuser la citoyenneté enfreint l’art. 15 de la Charte — Le raisonnement de l’arrêt Benner s’applique aux personnes nées hors Canada avant 1947 des liens du mariage, dont la mère était née au Canada, mais le recours à la Charte lui donnerait un caractère rétroactif.

Le présent appel porte sur le rejet d’une demande de contrôle judiciaire présentée suite au rejet d’une demande d’obtention de la citoyenneté canadienne. L’appelant est né des liens du mariage aux États-Unis d’Amérique en 1943, d’un père américain et d’une mère canadienne. Il est venu s’installer au Canada entre 1947 et 1949, et il a obtenu le droit d’établissement à titre de résident permanent en 1951. Il a été expulsé en 1972, suite à sa condamnation pour trafic de stupéfiants. Il a été expulsé à 12 occasions par la suite. Avant chacune de ces expulsions, l’appelant a fait l’objet d’une enquête et il a chaque fois affirmé qu’il était citoyen canadien. Chaque fois qu’il a présenté ces affirmations on l’a informé qu’il n’était pas un citoyen. En 1997, l’appelant a réclamé un certificat prouvant sa citoyenneté. La demande a été traitée comme une demande de citoyenneté canadienne et elle a été rejetée. La demande subséquente pour obtenir le contrôle judiciaire a aussi été rejetée.

En vertu de l’article 4 de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947, un enfant né hors du Canada dans les liens du mariage avant l’entrée en vigueur de la Loi obtenait la citoyenneté si son père était né au Canada. L’alinéa 5b)(i) d’alors accordait aussi la citoyenneté canadienne aux personnes nées hors du Canada d’un père canadien après l’entrée en vigueur de la Loi. Ce droit n’était pas accordé à un enfant né dans les liens du mariage d’une mère canadienne. En 1977, l’alinéa 5(2)b) est venu étendre le droit à la citoyenneté aux personnes nées à l’étranger d’une mère canadienne avant le 15 février 1977, qui n’était pas admissible à la citoyenneté aux termes du sous-alinéa 5(1)b)(i) de l’ancienne Loi. Dans l’arrêt Benner c. Secrétaire d’État, qui portait sur une personne née après 1947 et qui pouvait donc se prévaloir de l’alinéa 5(2)b), la Cour suprême du Canada a conclu que le fait d’exiger que les enfants nés d’une mère canadienne se soumettent à une enquête de sécurité et prêtent serment d’allégeance imposait des conditions plus exigeantes à ceux qui réclamaient la citoyenneté canadienne par filiation maternelle qu’à ceux qui se fondaient pour ce faire sur leur filiation paternelle, ce qui enfreignait l’article 15 de la Charte.

L’appelant a soutenu que sa demande n’aurait pas du être traitée comme une demande fondée sur l’alinéa 5(2)b), puisqu’à l’époque pertinente, il était un citoyen canadien en vertu de l’alinéa 3(1)d), qui porte qu’a qualité de citoyen toute personne ayant cette qualité au 14 février 1977. L’appelant soutient que n’eut été la distinction fondée sur sa filiation maternelle, il aurait été un citoyen avant 1977 en vertu de l’article 4 de la Loi de 1947. Il soutient que l’arrêt Benner ne porte pas uniquement sur la constitutionnalité de l’alinéa 5(2)b), mais appuie le point de vue plus large voulant qu’il est discriminatoire de traiter les enfants nés à l’étranger comme si leurs droits variaient selon qu’ils fondent leur revendication de la citoyenneté sur leur père ou sur leur mère. La distinction sur laquelle on s’appuie pour refuser la citoyenneté en l’instance ne peut pas plus résister à un examen en vertu de la Charte que l’alinéa 5(2)b) tel qu’il était rédigé avant l’arrêt Benner. Finalement, l’appelant soutient que le fait d’appliquer le paragraphe 15(1) de la Charte n’aurait pas pour effet de donner un caractère rétroactif ou rétrospectif à la Charte.

Les questions en litige étaient les suivantes : 1) la demande a-t-elle été correctement traitée comme une demande de citoyenneté fondée sur l’alinéa 5(2)b); 2) l’arrêt Benner porte-t-il uniquement sur la constitutionnalité de l’alinéa 5(2)b); 3) l’application du paragraphe 15(1) de la Charte en l’instance aurait-elle pour résultat de lui donner un caractère rétroactif ou rétrospectif.

Arrêt : l’appel est rejeté.

En présumant que le raisonnement de l’arrêt Benner s’applique aux personnes nées hors Canada avant le 1er janvier 1947 des liens du mariage, et dont la mère était née au Canada, l’appelant n’a pas démontré que son recours à la Charte ne lui donnait pas un caractère rétroactif ou rétrospectif. L’appelant a soutenu qu’il n’avait pas invoqué les dispositions de la Loi sur la citoyenneté en tant que telles, puisqu’il n’avait jamais fait une demande formelle de citoyenneté canadienne ou de reconnaissance de sa citoyenneté canadienne. Cette distinction importe peu. Le statut de citoyen d’une personne (ou l’absence de ce statut) a des conséquences non seulement en vertu de la Loi sur la citoyenneté, mais aussi en vertu d’autres lois qui font appel à cette notion. Par conséquent, le moment qui importe au vu du critère adopté dans l’arrêt Benner est la date à laquelle l’appelant s’est pour la première fois heurté à un texte de loi qui tenait compte du fait qu’il n’était pas citoyen canadien, en l’instance celui où il s’est opposé à son expulsion au motif qu’il était un citoyen canadien et où l’on a décidé que ce n’était pas le cas. Dans chacun de ces cas, le moment en cause est celui où le statut de la personne en question lui a été reproché et l’a privée du droit d’obtenir un avantage. L’appelant connaissait bien les dispositions de la Loi et il les avait maintes fois invoquées bien avant que la Charte n’entre en vigueur. Le juge des requêtes n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que l’appelant recherchait une application rétroactive de la Charte.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C., 1985, appendice II, no 44], art. 15(1).

Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, ch. 15, art. 4, 5.

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 3(1)d), 5(2)b), 12(1).

Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, ch. 108.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358; (1997), 143 D.L.R. (4th) 577; 42 C.R.R. (2d) 1; 37 Imm. L.R. (2d) 195; 208 N.R. 81; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 25 C.C.E.L. 255; 10 C.H.R.R. D/5719; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255.

APPEL du rejet d’une demande de contrôle judiciaire présentée suite au rejet d’une demande d’obtention de la citoyenneté (McLean c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 177 F.T.R. 219 (C.F. 1re inst.)). Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Catherine A. Sullivan pour l’appelant.

Brenda Carbonell pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Catherine A. Sullivan, Vancouver, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Noël, J.C.A. : Le présent appel porte sur une décision du juge Richard (alors juge en chef adjoint), rendue le 4 novembre 1999 ((1999), 177 F.T.R. 219 (C.F. 1re inst.)). Cette décision rejetait la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelant de la décision de George Hill, agent de la citoyenneté, qui avait rejeté la demande de l’appelant visant à l’obtention de la citoyenneté canadienne.

[2]        Les faits pertinents sont énoncés succinctement dans la décision frappée d’appel :

Le demandeur, Lloyd Lewis McLean, est citoyen américain. Sa mère est née en Saskatchewan le 21 décembre 1922. Son père est né aux États-Unis en 1921. Les parents du demandeur se sont mariés en 1942 et se sont ensuite installés à Clinton (Iowa), où le demandeur est né le 4 novembre 1943.

Les parents du demandeur ont divorcé et le demandeur est venu s’installer au Canada avec sa mère et sa sœur entre 1947 et 1949.

Le 13 décembre 1951, le demandeur a obtenu le droit d’établissement à titre de résident permanent. Il a perdu ce statut de résident permanent quand une première ordonnance d’expulsion a été prise contre lui le 7 mars 1972.

Le demandeur a fait l’objet d’un certain nombre d’enquêtes tenues aux termes du paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration de 1970. Au cours de ces enquêtes, le demandeur a fait valoir qu’il ne devait pas être expulsé du Canada au motif qu’il était citoyen canadien. Au cours de chacune de ces enquêtes, l’arbitre a déterminé que le demandeur n’était pas citoyen canadien.

Dans une lettre datée du 3 novembre 1997, le demandeur réclamait un certificat prouvant sa citoyenneté canadienne au motif qu’il était né aux États-Unis en 1943 d’une mère canadienne. Il a présenté cette demande en s’appuyant sur sa conviction qu’il avait droit à la citoyenneté canadienne aux termes de la décision de la Cour suprême du Canada dans Benner c. Secrétaire d’État du Canada, [1997] 1 R.C.S. 358.

Le défendeur a traité la demande comme une demande de citoyenneté canadienne et, dans une lettre datée du 27 juillet 1998, a refusé cette demande.

[3]        L’agent de la citoyenneté a conclu que l’appelant ne répondait pas aux critères de l’alinéa 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi), et que l’arrêt Benner [Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358] ne s’appliquait pas à son cas.

[4]        La demande de l’appelant pour obtenir le contrôle judiciaire de la décision susmentionnée de l’agent de la citoyenneté a été rejetée par le juge en chef adjoint, d’où le présent appel.

[5]        Afin de placer la question soulevée dans l’appel dans son contexte, il y a lieu de rappeler que la notion de citoyenneté canadienne a été introduite le 1er janvier 1947, avec l’adoption de la Loi sur la citoyenneté canadienne [S.C. 1946, ch. 15] (la Loi de 1947). Les articles 4 et 5 de la Loi de 1947 sont rédigés comme suit :

4. Une personne, née avant l’entrée en vigueur de la présente loi, est citoyen canadien de naissance

[…]

b) Lorsqu’elle est née hors du Canada […] et que son père ou, dans le cas d’une personne née hors du mariage, sa mère

(i) est né (ou née) au Canada […] et n’était pas devenu étranger (ou devenue étrangère) lors de la naissance de ladite personne, ou

[…]

si, à l’entrée en vigueur de la présente loi, ladite personne n’est pas devenue étrangère, et a été licitement admise au Canada en vue d’une résidence permanente ou est mineure.

5. Une personne, née après l’entrée en vigueur de la présente loi, est citoyen canadien de naissance

[…]

b) Si elle est née hors du Canada […], et si

(i) son père ou, dans le cas d’un enfant né hors du mariage, sa mère, à la naissance de ladite personne, est citoyen canadien en raison de sa naissance au Canada […], ou parce qu’il lui a été accordé un certificat de citoyenneté ou du fait d’avoir été citoyen canadien lors de la mise en vigueur de la présente loi.

[6]        Un enfant né hors du Canada dans les liens du mariage obtenait donc la citoyenneté si son père était né au Canada; l’article 4 établissait ceci pour les enfants nés avant 1947 et l’article 5 faisait de même pour ceux nés après 1947. Toutefois, ce droit n’était pas accordé à un enfant né dans les liens du mariage d’une mère canadienne (à moins, bien sûr que le père soit aussi né au Canada).

[7]        Cette différence de traitement a été partiellement corrigée en 1977 [S.C. 1974-75-76, ch. 108], avec l’abrogation de la Loi de 1947 et son remplacement par la Loi actuelle. L’alinéa 5(2)b) actuel est rédigé comme suit :

5. (1) […]

2) Le ministre attribue en outre la citoyenneté :

[…]

b) sur demande qui lui est présentée par la personne qui y est autorisée par règlement et avant le 15 février 1979 ou dans le délai ultérieur qu’il autorise, à la personne qui, née à l’étranger avant le 15 février 1977 d’une mère ayant à ce moment-là qualité de citoyen, n’était pas admissible à la citoyenneté aux termes du sous-alinéa 5(1)b)(i) de l’ancienne loi. [Non souligné dans l’original.]

[8]        Comme on peut le voir, cette disposition étendait le droit à la citoyenneté canadienne aux seules personnes qui pouvaient se prévaloir du sous-alinéa 5(1)b)(i) de la Loi de 1947 [mod. par S.C. 1950, ch. 29, art. 2] (soit les personnes nées après 1947). Les enfants nés avant 1947 et qui sont dans une situation semblable ne se voient pas accorder le droit à la citoyenneté.

[9]        L’arrêt Benner, dont il est question dans la décision de l’agent de la citoyenneté, portait sur une personne née après 1947 et qui pouvait donc se prévaloir de l’alinéa 5(2)b). Toutefois, à l’époque en cause, les enfants nés d’une mère canadienne (par rapport à ceux nés d’un père canadien) devaient satisfaire à une exigence additionnelle, en ce qu’il leur fallait se soumettre à une enquête de sécurité ainsi que prêter serment d’allégeance. La Cour suprême du Canada a conclu que ces exigences (qui n’existent plus dans la Loi actuelle) enfreignaient le paragraphe 15(1) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], en ce qu’elles imposaient des conditions plus exigeantes à ceux qui réclamaient la citoyenneté canadienne par filiation maternelle qu’à ceux qui se fondaient pour ce faire sur leur filiation paternelle.

[10]      Je vais maintenant examiner la décision en litige. La demande de contrôle judiciaire a été rejetée pour quatre motifs :

1) La demande a été correctement traitée comme une demande de citoyenneté fondée sur l’alinéa 5(2)b);

2) L’arrêt Benner n’appuie pas l’affirmation de l’appelant qu’il aurait droit à la citoyenneté canadienne;

3) L’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés ne s’applique pas à la situation de l’appelant;

4) Quoi qu’il en soit, pour accorder la citoyenneté canadienne à l’appelant au motif que la distinction qui fonde le refus est contraire à l’article 15 de la Charte, il faudrait donner un caractère rétroactif ou rétrospectif à l’application de la Charte.

[11]      L’avocate de l’appelant a soutenu devant nous que le juge des requêtes avait commis une erreur en concluant que la demande avait été correctement traitée comme une demande fondée sur l’alinéa 5(2)b). Elle a affirmé qu’à l’époque pertinente, l’appelant était un citoyen canadien en vertu de l’alinéa 3(1)d) de la Loi et que sa demande aurait dû être traitée en conséquence :

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne :

[…]

d) ayant cette qualité au 14 février 1977;

L’avocate s’appuie sur l’arrêt Benner pour soutenir que l’appelant était et est encore un citoyen canadien en vertu de l’alinéa 3(1)d), parce que, n’eut été la distinction fondée sur sa filiation maternelle, il aurait été un citoyen avant 1977 au sens de cette disposition, en vertu de l’article 4 de la Loi de 1947.

[12]      L’avocate ajoute que le juge des requêtes a commis une erreur connexe lorsqu’il a conclu que l’arrêt Benner ne traitait que de la constitutionnalité de l’alinéa 5(2)b). Selon l’appelant, l’arrêt Benner appuie le point de vue plus large voulant qu’il est discriminatoire de traiter les enfants nés à l’étranger comme si leurs droits variaient selon qu’ils fondent leur revendication de la citoyenneté sur leur père ou sur leur mère. La distinction sur laquelle on s’appuie pour refuser la citoyenneté en l’instance ne peut pas plus résister à un examen en vertu de la Charte que l’alinéa 5(2)b) tel qu’il était rédigé avant l’arrêt Benner.

[13]      Finalement, l’appelant soutient que le juge des requêtes a commis une erreur en concluant que le fait de se fonder en l’instance sur le paragraphe 15(1) de la Charte aurait pour effet de donner un caractère rétroactif ou rétrospectif à la Charte. L’avocate a soutenu plus particulièrement que le juge des requêtes ne pouvait conclure au vu de la preuve qui lui était présentée que l’appelant « connaissait bien » sa situation au niveau de la citoyenneté et qu’il avait « invoqué » les dispositions de la Loi sur la citoyenneté avant que l’article 15 de la Charte n’entre en vigueur.

Décision

[14]      Je suis disposé à trancher le présent appel en appliquant le raisonnement de l’arrêt Benner aux personnes nées hors Canada avant le 1er janvier 1947 des liens du mariage, et dont la mère était née au Canada. Toutefois, pour que l’appelant ait gain de cause il devait convaincre la Cour que son recours à la Charte, à supposer qu’il soit justifié par ailleurs, ne lui donnait pas un caractère rétroactif ou rétrospectif. Il n’y est pas arrivé.

[15]      La situation donnant un caractère rétroactif ou rétrospectif à la Charte a été examinée en profondeur dans l’arrêt Benner. La question à trancher (au paragraphe 45) :

[…] consiste donc à caractériser la situation : s’agit-il réellement de revenir en arrière pour corriger un événement passé, survenu avant que la Charte crée le droit revendiqué, ou s’agit-il simplement d’apprécier l’application contemporaine d’un texte de loi qui a été édicté avant l’entrée en vigueur de la Charte?

[16]      Dans l’arrêt Benner, on a soutenu que le moment clé de la chronologie des événements menant à la revendication fondée sur la Charte était la naissance de l’appelant, en 1962. C’est à ce moment-là que les droits reconnus par la Loi sur la citoyenneté se seraient « cristallisés ». Cet argument a été rejeté d’emblée (au paragraphe 51) :

L’idée que des droits se cristallisent au moment de la naissance me crée certaines difficultés, particulièrement dans le contexte de l’art. 15. Cette situation suggérerait que chaque fois qu’une personne née avant le 17 avril 1985 subirait les effets discriminatoires d’une mesure législative, ces effets seraient à l’abri des contestations fondées sur la Charte. Comme la couleur de notre peau est déterminée à notre naissance, suivant cette logique, des droits attribués en fonction de la couleur de la peau par une loi particulière « se cristalliseraient » donc à ce moment. Selon la thèse avancée par l’intimé, les personnes nées avant l’entrée en vigueur de l’art. 15 seraient donc dans l’impossibilité d’invoquer la Charte pour contester l’application, même récente, d’une telle mesure législative. En fait, le Parlement du Canada ou une législature pourraient soustraire des lois discriminatoires à tout examen en disposant qu’elles s’appliquent uniquement aux personnes nées avant 1985.

[17]      Parlant pour toute la Cour, le juge Iacobucci a présenté l’approche qu’il fallait adopter (au paragraphe 55) :

Je suis d’avis que la situation de l’appelant s’apparente davantage à celle du demandeur dans l’affaire Andrews, précitée. Monsieur Andrews a demandé à être admis à l’exercice du droit en Colombie-Britannique. L’article 42 de la Barristers and Solicitors Act, R.S.B.C. 1979, ch. 26, exigeait qu’il soit citoyen canadien, ce qu’il n’avait jamais été. En statuant que cette disposition violait le par. 15(1) de la Charte, notre Cour ne s’est pas attachée à la date à laquelle M. Andrews est devenu un étranger (la date de sa naissance), mais plutôt à la date à laquelle il s’est heurté à un texte de loi qui tenait compte du fait qu’il n’était pas citoyen canadien. J’estime qu’il convient d’appliquer la même analyse en l’espèce […] [Non souligné dans l’original.]

[18]      Il ajoute ceci, au paragraphe 56 :

Lorsqu’on applique l’art. 15 à des questions de statut, ou à ce que Driedger, précité, appelle « le fait d’être quelque chose », l’élément important n’est pas le moment où la personne acquiert le statut en cause, mais celui auquel ce statut lui est reproché ou la prive du droit d’obtenir un avantage. En l’espèce, ce moment est celui où le greffier intimé a examiné et rejeté la demande de l’appelant. Étant donné que cela s’est produit bien après l’entrée en vigueur de l’art. 15, l’examen en regard de la Charte du traitement réservé à l’appelant par l’intimé ne met pas en jeu l’application rétroactive ou rétrospective de ce texte. [Non souligné dans l’original.]

[19]      En l’instance, le juge des requêtes est arrivé à la conclusion de fait que l’appelant connaissait bien les dispositions de la Loi et qu’il les avait maintes fois invoquées bien avant que la Charte n’entre en vigueur. Le dossier qui lui était présenté démontrait que l’appelant a été expulsé pour la première fois le 7 mars 1972, suite à sa condamnation pour trafic de stupéfiants. Il a été expulsé à 12 occasions par la suite, soit pour des condamnations pour trafic de stupéfiants, soit en vertu de dispositions de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2]. Avant chacune de ces expulsions, l’appelant a fait l’objet d’une enquête en vertu de la Loi sur l’immigration. Il a chaque fois affirmé qu’il était citoyen canadien, et qu’il détenait la citoyenneté canadienne de sa mère qui était canadienne au moment de sa naissance. Chaque fois qu’il a présenté ces affirmations on l’a informé qu’il n’était pas un citoyen et qu’il ne pouvait avoir acquis la citoyenneté de sa mère. (Dossier d’appel, onglet 6, pages 73, 82, 85, 103, 110, 119, 140, 145, 149, 154 et 162.)

[20]      Le juge des requêtes a fait remarquer dans ses motifs que lors de ces enquêtes, lorsque la personne prétend être citoyen canadien, l’enquête doit être ajournée s’il est déterminé que, si ce n’était la revendication de citoyenneté de cette personne, une mesure de renvoi serait prise. L’ajournement a pour but de permettre à la personne visée de présenter une demande de certificat de citoyenneté aux termes du paragraphe 12(1) de la Loi. En l’instance, on n’a pas présenté de demande de cette nature à l’occasion des ajournements et l’arbitre, après avoir examiné la preuve pertinente quant à la revendication de citoyenneté de l’appelant, a conclu à chacune de ces occasions qu’il n’avait pas établi son droit à la citoyenneté.

[21]      Néanmoins, l’avocate a soutenu que rien dans la preuve ne démontrait que l’appelant avait invoqué les dispositions de la Loi sur la citoyenneté en tant que telles, puisqu’il n’avait jamais fait une demande formelle de citoyenneté canadienne ou de reconnaissance de sa citoyenneté canadienne.

[22]      Selon moi, cette distinction importe peu. Le statut de citoyen d’une personne (ou l’absence de ce statut) a des conséquences non seulement en vertu de la Loi sur la citoyenneté, mais aussi en vertu d’autres lois qui font appel à cette notion. Par conséquent, le moment qui importe au vu du critère adopté par la Cour suprême dans l’arrêt Benner n’est pas la date à laquelle M. Benner avait fait une demande en vertu de la Loi sur la citoyenneté, mais bien la date à laquelle il s’est pour la première fois « heurté à un texte de loi qui tenait compte du fait qu’il n’était pas citoyen canadien ».

[23]      Dans l’arrêt Benner, ce moment est arrivé lorsque M. Benner a demandé la citoyenneté et où on la lui a refusée. Dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, ce moment se situe au moment où M. Andrews a demandé à être admis au barreau de la Colombie-Britannique et s’est vu opposer un refus. En l’instance, ce moment se situe à la date à laquelle l’appelant s’est opposé à son expulsion au motif qu’il était un citoyen canadien et qu’on a décidé que ce n’était pas le cas. Dans chacun de ces cas, le moment en cause est celui où le statut de la personne en question lui a été reproché et l’a privée du droit d’obtenir un avantage.

[24]      L’application du critère énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Benner aux faits en l’instance mène tout droit à la conclusion que l’appelant connaissait bien les dispositions de la Loi et qu’il les avait maintes fois invoquées avant que la Charte n’entre en vigueur. Selon moi, le juge des requêtes n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que l’appelant recherchait une application rétroactive de la Charte.

[25]      Pour ces motifs, je rejetterais l’appel. Les parties ne les ayant pas réclamés, aucuns dépens ne seront adjugés.

Le juge Evans, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Sharlow, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

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