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[2012] 2 R.C.F. 618

2010 CAF 334

A-352-09

Apotex Inc. (appelante)

c.

Le ministre de la Santé et le procureur général du Canada (intimés)

et

Eli Lilly Canada (intimée)

A-360-09

L’Association canadienne du médicament générique (appelante)

c.

Le procureur général du Canada et le ministre de la Santé (intimés)

et

Les compagnies de recherche pharmaceutique du Canada (intimée)

Répertorié : Association canadienne du médicament générique c. Canada (Santé)

Cour d’appel fédérale, juges Nadon, Sharlow et Layden-Stevenson, J.C.A.—Toronto, 7 juin; Ottawa, 9 décembre 2010.

Aliments et drogues –– Appels de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté les demandes de contrôle judiciaire formées par les appelantes en vue d’obtenir un jugement déclarant invalides et sans effet juridique l’art. 30(3) de la Loi sur les aliments et drogues et l’art. C.08.004.1 du Règlement sur les aliments et drogues (le Règlement sur la protection des données (le RPD)) — La Cour fédérale a déclaré que le RPD s’inscrivait dans les limites de la compétence du Parlement fédéral — Il s’agissait de déterminer si le RPD avait été valablement délégué par le Parlement au gouverneur en conseil — Est maintenu le principe selon lequel le Parlement dispose d’un large pouvoir de délégation par la voie de l’habilitation à prendre des règlements, sous réserve de la portée des dispositions habilitantes — L’art. 30(3) de la Loi confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre les règlements qu’il estime nécessaires pour la mise en œuvre de l’art. 1711 de l’Accord de libre-échange nord-américain ou du paragraphe 3 de l’art. 39 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce relativement à la protection des données de l’innovateur — En conséquence, le RPD a été pris en vertu d’une délégation valable du Parlement au gouverneur en conseil — L’art. 30(3) de la Loi donne au gouverneur en conseil une grande marge de liberté dans la définition des moyens par lesquels il mettra en œuvre les dispositions des traités — Le RPD est clairement conforme à la disposition habilitante — Par conséquent, le RPD s’inscrit dans les limites des pouvoirs conférés au gouverneur en conseil par l’art. 30(3) de la Loi — Appels rejetés.

Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Les appelantes ont sollicité un jugement déclarant invalides et sans effet juridique l’art. 30(3) de la Loi sur les aliments et drogues et l’art. C.08.004.1 du Règlement sur les aliments et drogues (le Règlement sur la protection des données (le RPD)) — Il s’agissait de déterminer si le RPD s’inscrivait dans les limites de la compétence législative fédérale, au titre des art. 91(2) ou 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, ou de la compétence résiduelle en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement que cette loi confère à l’État fédéral — La Cour fédérale a eu tort de conclure que le RPD, par son caractère véritable, relèverait de la compétence en matière d’échanges et de commerce; il était erroné d’essayer de déterminer le caractère véritable du RPD sans le situer dans l’ensemble du système dont il est devenu partie — L’objet du Règlement est de protéger la santé et la sécurité publiques — L’objet véritable du RPD est de faire en sorte que les Canadiens aient suffisamment accès à des drogues nouvelles, sans danger et efficaces, à des prix raisonnables — Le RPD n’est pas séparable du système global de droit criminel (protection de la santé et de la sécurité publiques) qu’établit le Règlement, système auquel il contribue; il fait partie intégrante du système global de protection de la santé et de la sécurité publiques — En conséquence, le RPD a un lien rationnel et fonctionnel avec le régime législatif fédéral qui détermine l’approbation des drogues nouvelles.

La Cour était saisie de deux appels de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté les demandes de contrôle judiciaire formées par les appelantes en vue d’obtenir un jugement déclarant invalides et sans effet juridique le paragraphe 30(3) de la Loi sur les aliments et drogues et l’article C.08.004.1, le Règlement sur la protection des données (le RPD), du Règlement sur les aliments et drogues. La Cour fédérale a déclaré que le RPD s’inscrivait dans les limites de la compétence du Parlement fédéral. Plus précisément, elle a conclu que le RPD entrait dans le champ du pouvoir de légiférer sur les échanges et le commerce conféré au Parlement fédéral par le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867, et que ce règlement était valide au double motif qu’il a un lien rationnel avec sa disposition habilitante (le paragraphe 30(3) de la Loi) et qu’il a été pris en vertu d’une sous‑délégation admissible au gouverneur en conseil par le Parlement. Le paragraphe 30(3) de la Loi confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre les règlements qu’il estime nécessaires pour la mise en œuvre des dispositions relatives à la protection des données de l’Accord de libre‑échange nord‑américain (l’ALENA), ainsi que de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (l’Accord sur les ADPIC). Le RPD établit une période d’exclusivité de marché pour les fabricants de drogues innovantes en suspendant pour une durée de huit ans l’approbation de la commercialisation des copies génériques de drogues nouvelles déjà approuvées.

  Il s’agissait de déterminer : 1) si le RPD avait été valablement délégué par le Parlement au gouverneur en conseil, conformément à une sous‑délégation admissible des responsabilités de mise en œuvre des traités, et, dans l’affirmative, si ce règlement entrait dans le champ du pouvoir conféré au gouverneur en conseil par le paragraphe 30(3) de la Loi; 2) si le RPD s’inscrivait dans les limites de la compétence législative fédérale, au titre des paragraphes 91(2) ou 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, ou de la compétence résiduelle en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement que cette loi confère à l’État fédéral.

Arrêt : les appels doivent être rejetés.

  Il n’y avait aucune bonne raison de s’écarter du principe formulé par la Cour suprême dans l’arrêt Gray (in re), à savoir que le Parlement dispose d’un large pouvoir de délégation par la voie de l’habilitation à prendre des règlements, sous réserve de la portée des dispositions habilitantes. En l’espèce, le paragraphe 30(3) de la Loi confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre les règlements qu’il estime nécessaires pour la mise en œuvre, concernant les drogues, de l’article 1711 de l’ALENA ou du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC. Aucune preuve n’a établi que le paragraphe 30(3) empêche le Parlement de révoquer ou d’annuler le pouvoir conféré au gouverneur en conseil ou le RPD promulgué en vertu de la loi habilitante. En conséquence, le RPD a été pris en vertu d’une délégation valable du Parlement au gouverneur en conseil.

Le RPD est clairement conforme à la disposition habilitante. Il s’agit d’un règlement ayant pour objet de mettre en œuvre, concernant les drogues, l’article 1711 de l’ALENA et le paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC. Ces dispositions visent à protéger les innovateurs à l’égard des « données non divulguées résultant d’essais ou d’autres données non divulguées » qu’ils doivent communiquer aux organismes d’État compétents pour obtenir l’approbation de leurs drogues nouvelles. L’exclusivité de marché, conférée par le RPD à l’innovateur, est le moyen qu’a choisi le gouverneur en conseil pour donner effet aux dispositions applicables de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC. Plus précisément, le RPD est une mesure prise par le gouverneur en conseil pour s’assurer que les données sont protégées contre toute exploitation déloyale dans le commerce. Le libellé du paragraphe 30(3) donne au gouverneur en conseil une très grande marge de liberté dans la définition des moyens par lesquels il mettra en œuvre les dispositions des traités. Le RPD s’inscrit donc dans les limites des pouvoirs conférés au gouverneur en conseil par le paragraphe 30(3) de la Loi.

La Cour fédérale a conclu à tort que le RPD, par son caractère véritable, relèverait de la compétence en matière d’échanges et de commerce. Il était par principe erroné d’essayer de déterminer le caractère véritable du RPD en se référant au libellé de ce règlement même et de sa loi habilitante, sans le situer dans l’ensemble du système dont il est devenu partie. Le Parlement a choisi de promulguer le paragraphe 30(3) de la Loi non pas sous la forme d’une loi indépendante, mais plutôt sous celle d’une modification d’une loi déjà existante et depuis longtemps reconnue comme constitutionnelle. Donc, la question cruciale était de savoir si le paragraphe 30(3), et par conséquent le RPD, constitue un exercice valide du pouvoir constitutionnel en vertu duquel la Loi a été promulguée. On a promulgué le RPD afin de mettre en œuvre l’article 1711 de l’ALENA et le paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC, aux fins de favoriser le développement de drogues nouvelles. C’est un mécanisme jugé nécessaire pour équilibrer les effets du système de réglementation établi par le Règlement, dont l’objet est de protéger la santé et la sécurité publiques. La Cour fédérale s’est trompée en omettant de prendre en considération l’intégralité du contexte de ce règlement. L’objet véritable du RPD n’est pas d’établir un équilibre entre les intérêts commerciaux des innovateurs et des génériqueurs, mais plutôt de faire en sorte que les Canadiens aient suffisamment accès à des drogues nouvelles, sans danger et efficaces, à des prix raisonnables. Le Règlement considéré dans son ensemble encourage la recherche et le développement de nouveaux médicaments propres à sauver des vies, à prévenir et guérir des maladies, et à améliorer en général la santé des Canadiens. La Cour fédérale a mis en question le passage du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation selon lequel le RPD a été promulgué pour favoriser le développement de drogues nouvelles. Elle a conclu à tort que ce passage constituait davantage une affirmation logique qu’une démonstration claire que, en l’absence de cette disposition, de nouveaux médicaments ne sont pas ou ne seront pas présentés en vue d’en obtenir l’approbation. La Cour fédérale s’est trompée sur ce point, en ce que les tribunaux ayant à déterminer le caractère véritable d’une loi ne doivent pas se préoccuper de son efficacité, c’est‑à‑dire de savoir si elle atteint en fait le but dans lequel on l’a promulguée.

Il était indubitable que le régime établi par le Règlement contribue à la protection de la santé et de la sécurité publiques, l’un des « buts habituels » du droit criminel. Le RPD n’est manifestement pas séparable du système global de droit criminel qu’établit le Règlement, système auquel il contribue. Il a échappé à la Cour fédérale que le RPD contribue au système global visant à protéger la santé et la sécurité publiques et en fait ainsi partie intégrante. En conséquence, le RPD a un lien rationnel et fonctionnel avec le régime législatif fédéral qui détermine l’approbation des drogues nouvelles. Étant donné cette conclusion, il n’était pas nécessaire de répondre à la question de savoir si le RPD relevait d’un autre chef de compétence législative fédérale.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(2),(27), 92(10).

Loi des mesures de guerre, 1914, S.C. 1914 (2e sess.), ch. 2, art. 6.

Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27, art. 30(3) (mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 117), 31 (mod. par L.C. 1997, ch. 6, art. 91).

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, art. C.08.002 (mod. par DORS/93-202, art. 24; 95-411, art. 4), C.08.002.1 (édicté, idem, art. 5), C.08.003.1 (édicté par DORS/2001-203, art. 5), C.08.004 (mod. par DORS/95-411, art. 6), C.08.004.1 (édicté, idem; 2006-241, art. 1).

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2, art. 1711.

Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, Annexe 1C de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, signé à Marrakech, Maroc, le 15 avril 1994, 1869 R.T.N.U. 299, art. 39.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Gray (in re) (1918), 57 R.C.S. 150; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199.

décision différenciée :

Bayer Inc. c. Canada (Procureur général), 1999 CanLII 8099 (C.A.F.), confirmant [1999] 1 C.F. 553 (1re inst.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2000] 1 R.C.S. vi.

décisions examinées :

Procureur général du Canada c. Transports Nationaux du Canada, Ltée et autre; Procureur général du Canada c. Compagnie de Transport Canadien Pacifique Ltée et autre, [1983] 2 R.C.S. 206; General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641; Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533; R. v. J.P., 2003 CabKII 17492, 67 O.R. (3d) 321 (C.A.); Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783.

décisions citées :

Barreau du Haut-Canada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1489, [2007] 4 R.C.F. 132; Canada (Attorney General) v. Giacomelli, 2010 ONSC 985 (CanLII), 317 D.L.R. (4th) 528; Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3; Standard Sausage Co. v. Lee (1933), 47 B.C.R. 411, [1933] 4 D.L.R. 501, [1934] 1 W.W.R. 81 (C.A. C.-B.); R. c. Wetmore et autres, [1983] 2 R.C.S. 284; C.E. Jamieson & Co. (Dominion) c. Canada (Procureur général), [1988] 1 C.F. 590 (1re inst.).

DOCTRINE CITÉE

Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 5e éd. supplémentée. Toronto : Thomson/Carswell, 2007.

Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, DORS/2006-241, Gaz. C. 2006.II.1495.

  APPELS de la décision (2009 CF 725) par laquelle la Cour fédérale a rejeté les demandes de contrôle judiciaire visant à obtenir un jugement déclarant invalides et sans effet juridique le paragraphe 30(3) de la Loi sur les aliments et drogues et l’article C.08.004.1, le Règlement sur la protection des données, du Règlement sur les aliments et drogues. Appels rejetés.

ONT COMPARU

Harry B. Radomski pour l’appelante dans le dossier A-352-09.

Edward Hore et Geoffrey Langen pour l’appelante dans le dossier A-360-09.

Frederick B. Woyiwada pour les intimés, le ministre de la Santé et le procureur général du Canada, dans les dossiers A-352-09 et A-360-09.

Richard G. Dearden et Wendy J. Wagner pour l’intimée, Eli Lilly Canada Inc., dans le dossier A-352-09.

Martin W. Mason et Graham Ragan pour l’intimée, les compagnies de recherche pharmaceutique du Canada, dans le dossier A-360-09.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Goodmans LLP, Toronto, pour l’appelante dans le dossier A-352-09.

Hazzard & Hore, Toronto, pour l’appelante dans le dossier A-360-09.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés, le ministre de la Santé et le procureur général du Canada, dans les dossiers A-352-09 et A-360-09.

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l., Ottawa, pour les intimées, Eli Lilly Canada Inc. et les compagnies de recherche pharmaceutique du Canada, dans les dossiers A-352-09 et A-360-09.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Nadon, J.C.A. : La Cour est saisie de deux appels de la décision de la Cour fédérale, 2009 CF 725, en date du 17 juillet 2009, par laquelle le juge Mandamin (le juge) a rejeté les demandes de contrôle judiciaire formées par les appelantes, soit Apotex Inc. (Apotex), appelante au dossier de la Cour A‑352‑09, et l’Association canadienne du médicament générique (l’ACMG), appelante au dossier de la Cour A‑360‑09, en vue d’obtenir un jugement déclarant invalides et sans effet juridique le paragraphe 30(3) [mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 117] de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F‑27 (la Loi), et l’article C.08.004.1 [édicté par DORS/95-411, art. 6; 2006-241, art. 1] — le Règlement sur la protection des données (le RPD) — du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870 (le Règlement).

[2]        Le juge a rejeté ces demandes, déclarant que le RPD s’inscrit dans les limites de la compétence du Parlement fédéral. Plus précisément, il a conclu que le RPD entre dans le champ du pouvoir de légiférer sur les échanges et le commerce conféré au Parlement fédéral par le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 11 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 3 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] (la Loi constitutionnelle). Il a aussi conclu que le RPD est valide au double motif qu’il a un lien rationnel avec sa disposition habilitante, le paragraphe 30(3) de la Loi, et qu’il a été pris en vertu d’une sous‑délégation admissible.

[3]        L’ACMG a déposé le 13 novembre 2009 un avis de question constitutionnelle, rédigé comme suit :

[traduction] L’appelante, l’Association canadienne du médicament générique, a l’intention de contester la constitutionnalité, l’applicabilité ou l’effet du paragraphe 30(3) de la Loi sur les aliments et drogues (la LAD), L.R.C. 1985, ch. F‑27, et d’un règlement supposé avoir été pris sous son régime, soit le Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues (protection des données), ci‑après désigné « Règlement sur la PD de 2005 », publié le 18 octobre 2006 à la Partie II de la Gazette du Canada, vol. 140, no 21, DORS/SOR/2006‑241, aux pages 1493 et 1494, et présenté comme modifiant l’article C.08.004.1 du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870 […]

[4]        Les deux textes sur lesquels portent essentiellement les présents appels, soit le paragraphe 30(3) de la Loi et le RPD, sont libellés comme suit :

La Loi

30. […]

(3) Sans que soit limité le pouvoir conféré par toute autre disposition de la présente loi de prendre des règlements d’application de la présente loi ou d’une partie de celle‑ci, le gouverneur en conseil peut prendre, concernant les drogues, les règlements qu’il estime nécessaires pour la mise en œuvre de l’article 1711 de l’Accord de libre‑échange nord‑américain ou du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce figurant à l’annexe 1C de l’Accord sur l’OMC.

Règlements relatifs à l’Accord de libre-échange nord-américain et à l’Accord sur l’OMC

Règlement sur la protection des données (RPD)

C.08.004.1 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

« drogue innovante » S’entend de toute drogue qui contient un ingrédient médicinal non déjà approuvé dans une drogue par le ministre et qui ne constitue pas une variante d’un ingrédient médicinal déjà approuvé tel un changement de sel, d’ester, d’énantiomère, de solvate ou de polymorphe.

« population pédiatrique » S’entend de chacun des groupes suivants : les bébés prématurés nés avant la 37semaine de gestation, les bébés menés à terme et âgés de 0 à 27 jours, tous les enfants âgés de 28 jours à deux ans, ceux âgés de deux ans et un jour à 11 ans et ceux âgés de 11 ans et un jour à 18 ans.

[…]

(2) Le présent article s’applique à la mise en œuvre de l’article 1711 de l’Accord de libre‑échange nord‑américain, au sens du terme « Accord » au paragraphe 2(1) de la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre‑échange nord‑américain, et du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce figurant à l’annexe 1C de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce, au sens du terme « Accord » au paragraphe 2(1) de la Loi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce.

(3) Lorsque le fabricant demande la délivrance d’un avis de conformité pour une drogue nouvelle sur la base d’une comparaison directe ou indirecte entre celle‑ci et la drogue innovante :

a) le fabricant ne peut déposer pour cette drogue nouvelle de présentation de drogue nouvelle, de présentation abrégée de drogue nouvelle ou de supplément à l’une de ces présentations avant l’expiration d’un délai de six ans suivant la date à laquelle le premier avis de conformité a été délivré à l’innovateur pour la drogue innovante;

b) le ministre ne peut approuver une telle présentation ou un tel supplément et ne peut délivrer d’avis de conformité pour cette nouvelle drogue avant l’expiration d’un délai de huit ans suivant la date à laquelle le premier avis de conformité a été délivré à l’innovateur pour la drogue innovante.

(4) Le délai prévu à l’alinéa (3)b) est porté à huit ans et six mois si, à la fois :

a) l’innovateur fournit au ministre la description et les résultats des essais cliniques concernant l’utilisation de la drogue innovante dans les populations pédiatriques concernées dans sa première présentation de drogue nouvelle à l’égard de la drogue innovante ou dans tout supplément à une telle présentation déposé au cours des cinq années suivant la délivrance du premier avis de conformité à l’égard de cette drogue innovante;

b) le ministre conclut, avant l’expiration du délai de six ans qui suit la date à laquelle le premier avis de conformité a été délivré à l’innovateur pour la drogue innovante, que les essais cliniques ont été conçus et menés en vue d’élargir les connaissances sur l’utilisation de cette drogue dans les populations pédiatriques visées et que ces connaissances se traduiraient par des avantages pour la santé des membres de celles‑ci.

(5) Le paragraphe (3) ne s’applique pas si la drogue innovante n’est pas commercialisée au Canada.

(6) L’alinéa (3)a) ne s’applique pas au fabricant ultérieur dans le cas où l’innovateur consent à ce qu’il dépose une présentation de drogue nouvelle, une présentation abrégée de drogue nouvelle ou un supplément à l’une de ces présentations avant l’expiration du délai de six ans prévu à cet alinéa.

(7) L’alinéa (3)a) ne s’applique pas au fabricant ultérieur s’il dépose une demande d’autorisation pour vendre cette drogue nouvelle aux termes de l’article C.07.003.

(8) L’alinéa (3)b) ne s’applique pas au fabricant ultérieur dans le cas où l’innovateur consent à ce que lui soit délivré un avis de conformité avant l’expiration du délai de huit ans prévu à cet alinéa ou de huit ans et six mois prévu au paragraphe (4).

(9) Le ministre tient un registre des drogues innovantes, lequel contient les renseignements relatifs à l’application des paragraphes (3) et (4). [Non souligné dans l’original.]

[5]        Le paragraphe 30(3) de la Loi confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre les règlements qu’il estime nécessaires pour la mise en œuvre des dispositions relatives à la protection des données de l’Accord de libre-échange nord-américain [Accord de libre‑échange nord‑américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2] (l’ALENA), ainsi que de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (l’Accord sur les ADPIC), qui constitue l’Annexe 1C de l’Accord sur l’OMC [Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, signé à Marrakech, Maroc, le 15 avril 1994, 1869 R.T.N.U. 299].

[6]        Le RPD établit une période d’exclusivité de marché pour les fabricants de « drogue[s] innovante[s] » en suspendant pour une durée de huit ans l’approbation de la commercialisation des copies génériques de drogues nouvelles déjà approuvées. Plus précisément, son alinéa 3a) interdit au fabricant de drogues génériques (le génériqueur) qui demande la délivrance d’un avis de conformité (ADC) pour une drogue nouvelle « sur la base d’une comparaison directe ou indirecte entre celle‑ci et la drogue innovante » de déposer une présentation de drogue nouvelle (PDN) « avant l’expiration d’un délai de six ans suivant la date à laquelle le premier avis de conformité a été délivré à l’innovateur pour la drogue innovante ». En outre, l’alinéa 3b) du RPD interdit au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un ADC au génériqueur « avant l’expiration d’un délai de huit ans suivant la date à laquelle le premier avis de conformité a été délivré à l’innovateur pour la drogue innovante ». Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation [DORS/2006-241, Gaz. C. 2006.II.1495] (le REIR) publié avec le RPD expose l’objet de ce dernier dans les termes suivants [à la page 1495] :

Description

L’objet des modifications à l’article C.08.004.1 du Règlement sur les aliments et drogues (le « règlement ») consiste à accorder aux drogues nouvelles une position concurrentielle sur les marchés internationaux et une période d’exclusivité de marché garantie d’une durée de huit ans. Une période de six mois supplémentaires de protection des données est possible dans le cas des drogues ayant fait l’objet d’essais cliniques conçus et menés dans le but d’accroître les connaissances sur le comportement du médicament chez les populations pédiatriques.

[7]        Avant la promulgation du RPD, seule l’existence d’un brevet non expiré pouvait empêcher un génériqueur d’obtenir le droit de commercialiser un médicament générique. Depuis cette promulgation, le génériqueur ne peut obtenir l’approbation de son médicament générique avant l’expiration de la période d’exclusivité de marché de la drogue innovante, même si celle‑ci n’est pas protégée par un brevet.

[8]        Un bref examen du système de réglementation promulgué par le Parlement relativement à la commercialisation des drogues au Canada, ainsi que des dispositions applicables de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC, nous aidera à mieux comprendre les questions que soulèvent les présents appels.

LE SYSTÈME DE RÉGLEMENTATION

[9]        La commercialisation d’une drogue nouvelle constitue une infraction criminelle au Canada, à moins que son fabricant n’ait reçu un ADC, c’est‑à‑dire la confirmation par le ministre qu’il s’est conformé au Règlement, qui vise à assurer l’innocuité et l’efficacité des drogues nouvelles.

[10]      Le Règlement prescrit la manière dont peuvent être établies l’innocuité et l’efficacité de la drogue et prévoit une procédure permettant au fabricant d’obtenir l’exemption de la responsabilité pénale. Il détaille en outre les renseignements que le fabricant doit fournir au ministre pour se faire délivrer un ADC. Le fabricant doit donc obtenir un ADC sous le régime du titre 8 [art. C.08.001 à C.08.018] de la partie C du Règlement, faute de quoi la vente ou l’annonce de la drogue au Canada donnera lieu à des poursuites pénales.

[11]      Le paragraphe C.08.002(1) [mod. par DORS/95-411, art. 4] du Règlement dispose que, pour obtenir un ADC, le fabricant doit déposer soit une présentation de drogue nouvelle (PDN), soit une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN). En règle générale, c’est une société pharmaceutique innovatrice (un innovateur) qui dépose une PDN. Les renseignements que fournit l’innovateur dans sa PDN servent à établir que sa drogue remplit les conditions réglementaires en ce qui concerne son innocuité, son efficacité et sa qualité. Plus précisément, les données de la PDN définissent la drogue, recensent ses avantages et ses effets indésirables, en décrivent le procédé de fabrication, et rendent compte des résultats des essais cliniques effectués sur des sujets volontaires, sains et malades.

[12]      La PDN comprend diverses sections, qui portent notamment sur les études précliniques, les études cliniques, la composition chimique et la fabrication. La partie sur les études précliniques réunit tous les renseignements concernant les expériences que l’innovateur a effectuées en laboratoire pour tester l’action et la toxicité de la drogue. La partie sur les études cliniques comprend les renseignements relatifs aux essais cliniques effectués sur des sujets volontaires sains et/ou malades pour tester l’innocuité et l’efficacité de la nouvelle drogue. Il peut arriver que le ministre exige des renseignements supplémentaires. Le contenu, la taille et le coût d’une PDN varient, mais on peut dire sans risque d’erreur que les renseignements exigés dans une PDN relative à une drogue active nouvelle, pour reprendre les termes du juge, « représentent un engagement important pour la société pharmaceutique innovatrice et peuvent compter de cent jusqu’à trois cents volumes de données » (motifs du juge, paragraphe 15).

[13]      Une fois satisfait par les renseignements que lui a fournis l’innovateur, le ministre peut délivrer un ADC. La drogue sera alors inscrite comme produit de référence canadien et recevra un numéro d’identification (DIN).

[14]      Le génériqueur qui souhaite copier une drogue commercialisée sans avoir à produire des rapports détaillés et une quantité considérable de données pour démontrer cliniquement l’innocuité et l’efficacité de sa drogue peut déposer ce qu’on appelle une présentation abrégée de drogue nouvelle. La PADN fournit au ministre des renseignements sur la composition et la fabrication du médicament générique, ainsi que sur les études établissant qu’il contient le même ingrédient médicinal, en quantité identique sous une forme posologique comparable, que le produit de référence canadien, qu’il est un équivalent pharmaceutique de celui‑ci et qu’il a la même biodisponibilité que lui.

[15]      Donc, plutôt que d’opérer une évaluation directe de l’innocuité ou de l’efficacité de sa drogue au moyen d’études cliniques, le génériqueur utilise le produit de référence canadien pour en démontrer la bioéquivalence à son propre produit. En général, une PADN contient moins de données qu’une PDN, soit de une à deux douzaines de volumes.

[16]      Une fois qu’il estime les conditions remplies, le ministre délivre un ADC au génériqueur. Le médicament générique ainsi déclaré conforme sera aussi inscrit comme produit de référence canadien et se verra aussi attribuer un DIN.

[17]      Je propose maintenant un bref examen des dispositions applicables de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC. Comme je le disais précédemment, le paragraphe 30(3) de la Loi a pour objet d’autoriser le gouverneur en conseil à prendre des règlements pour mettre en œuvre des dispositions déterminées, relatives à la protection des données, de l’ALENA aussi bien que de l’Accord sur les ADPIC. Plus précisément, le gouverneur en conseil est autorisé à prendre les règlements qu’il estime nécessaires pour la mise en œuvre de l’article 1711 de l’ALENA ou du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC.

[18]      L’article 1711 de l’ALENA (signé le 17 décembre 1992) est libellé comme suit :

Article 1711 : Secrets commerciaux

1. Chacune des Parties assurera à toute personne les moyens juridiques d’empêcher que des secrets commerciaux ne soient divulgués à des tiers, acquis ou utilisés par eux, sans le consentement de la personne licitement en possession de ces renseignements et d’une manière contraire aux pratiques commerciales honnêtes, dans la mesure où :

a) les renseignements sont secrets, en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, ils ne sont pas généralement connus de personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre de renseignements en question ou ne leur sont pas aisément accessibles;

b) les renseignements ont une valeur commerciale, réelle ou potentielle, du fait qu’ils sont secrets; et

c) la personne licitement en possession de ces renseignements a pris des dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, en vue de les garder secrets.

2. Une Partie pourra exiger que, pour faire l’objet d’une protection, un secret commercial soit établi par des documents, des médias électroniques ou magnétiques, des disques optiques, des microfilms, des films ou autres supports analogues.

3. Aucune des Parties ne pourra restreindre la durée de protection des secrets commerciaux tant que subsistent les conditions énoncées au paragraphe 1.

4. Aucune des Parties ne pourra entraver ou empêcher l’octroi de licences volontaires à l’égard de secrets commerciaux en imposant des conditions excessives ou discriminatoires à l’octroi de ces licences ou des conditions qui réduisent la valeur des secrets commerciaux.

5. Lorsqu’une Partie subordonne l’approbation de la commercialisation de produits pharmaceutiques ou de produits chimiques pour l’agriculture qui comportent des éléments chimiques nouveaux, à la communication de données non divulguées résultant d’essais ou d’autres données non divulguées nécessaires pour déterminer si l’utilisation de ces produits est sans danger et efficace, cette Partie protégera ces données contre toute divulgation, lorsque l’établissement de ces données demande un effort considérable, sauf si la divulgation est nécessaire pour protéger le public, ou à moins que des mesures ne soient prises pour s’assurer que les données sont protégées contre toute exploitation déloyale dans le commerce.

6. Chacune des Parties prévoira, en ce qui concerne les données visées au paragraphe 5 qui lui sont communiquées après la date d’entrée en vigueur du présent accord, que seule la personne qui les a communiquées peut, sans autorisation de cette dernière à autrui, utiliser ces données à l’appui d’une demande d’approbation de produit au cours d’une période de temps raisonnable suivant la date de leur communication. On entend généralement par période de temps raisonnable, une période d’au moins cinq années à compter de la date à laquelle la Partie en cause a donné son autorisation à la personne ayant produit les données destinées à faire approuver la commercialisation de son produit, compte tenu de la nature des données, ainsi que des efforts et des frais consentis par cette personne pour les produire. Sous réserve de cette disposition, rien n’empêchera une Partie d’adopter à l’égard de ces produits des procédures d’homologation abrégées fondées sur des études de bioéquivalence et de biodisponibilité.

7. Lorsqu’une Partie se fie à une approbation de commercialisation accordée par une autre Partie, la période raisonnable d’utilisation exclusive des données présentées en vue d’obtenir l’approbation en question commencera à la date de la première approbation de commercialisation. [Non souligné dans l’original.]

[19]      Après la signature de l’ALENA, une version antérieure du paragraphe 30(3) de la Loi est entrée en vigueur le 1er janvier 1994, et l’on a promulgué une version antérieure de l’article C.08.004.1 du Règlement (le premier RPD), dont la publication à la Gazette du Canada date du 6 septembre 1995.

[20]      L’Accord sur les ADPIC a été signé le 15 avril 1994, soit environ un an avant la promulgation du premier RPD. Cependant, la version antérieure du paragraphe 30(3) de la Loi qui déléguait le pouvoir en question au gouverneur en conseil est entrée en vigueur le 1er janvier 1994; ce paragraphe ne faisait donc pas mention de l’Accord sur les ADPIC jusqu’à sa modification, qui a pris effet le 1er janvier 1996.

[21]      L’article 39 de l’Accord sur les ADPIC est ainsi libellé :

Article 39

1. En assurant une protection effective contre la concurrence déloyale conformément à l’article 10bis de la Convention de Paris (1967), les Membres protégeront les renseignements non divulgués conformément au paragraphe 2 et les données communiquées aux pouvoirs publics ou à leurs organismes conformément au paragraphe 3.

2. Les personnes physiques et morales auront la possibilité d’empêcher que des renseignements licitement sous leur contrôle ne soient divulgués à des tiers ou acquis ou utilisés par eux sans leur consentement et d’une manière contraire aux usages commerciaux honnêtes, sous réserve que ces renseignements:

a)   soient secrets en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, ils ne sont pas généralement connus de personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre de renseignements en question ou ne leur sont pas aisément accessibles;

b)   aient une valeur commerciale parce qu’ils sont secrets; et

c)      aient fait l’objet, de la part de la personne qui en a licitement le contrôle, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrets.

3. Lorsqu’ils subordonnent l’approbation de la commercialisation de produits pharmaceutiques ou de produits chimiques pour l’agriculture qui comportent des entités chimiques nouvelles à la communication de données non divulguées résultant d’essais ou d’autres données non divulguées, dont l’établissement demande un effort considérable, les Membres protégeront ces données contre l’exploitation déloyale dans le commerce. En outre, les Membres protégeront ces données contre la divulgation, sauf si cela est nécessaire pour protéger le public, ou à moins que des mesures ne soient prises pour s’assurer que les données sont protégées contre l’exploitation déloyale dans le commerce. [Non souligné dans l’original; note en bas de page omise.]

[22]      Le REIR, sous le titre « Contexte » [à la page 1495], explique dans les termes suivants les obligations contractées par les signataires de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC :

Contexte

Les modifications à l’article C.08.004.1 le règlement visent à clarifier et à mettre en œuvre, de façon efficace, les engagements du Canada en vertu de l’Accord de libre‑échange nord‑américain (ALÉNA) et les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) en matière de protection des données de tests non divulgués ou d’autres données nécessaires afin de déterminer l’innocuité et l’efficacité d’un produit pharmaceutique ou agricole qui comporte une nouvelle entité chimique. Les obligations prévues aux ADPIC exigent que les signataires fournissent une protection contre l’exploitation déloyale dans le commerce des données, alors que l’ALÉNA exige que les signataires prévoient une période raisonnable pendant laquelle aucun fabricant ultérieur n’est autorisé à se fonder sur les données du premier auteur pour obtenir l’approbation du produit. La période raisonnable est précisée et ne doit normalement pas être inférieure à cinq ans à partir de la date à laquelle la première approbation réglementaire a été accordée à l’auteur des données. Dans l’esprit de ces dispositions, le gouvernement a décidé d’accorder cette protection en permettant à l’innovateur ou au premier auteur des données soumises à l’approbation réglementaire de protéger l’investissement fait dans le développement du produit en prévoyant une période d’exclusivité du marché.

[23]      Le premier RPD a été modifié en 2006 pour faire place à la version qui est en litige en l’espèce (celle‑ci est entrée en vigueur le 5 octobre 2006 et a été publiée dans la Gazette du Canada le 18 du même mois).

[24]      Avant d’examiner la décision du juge, il paraît utile de dire quelques mots sur les décisions ci‑après collectivement désignées Bayer de la Cour fédérale et de notre Cour — soit Bayer Inc. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 C.F. 553 (1re inst.), confirmée par 1999 CanLII 8099 (C.A.F.), autorisation de pourvoi refusée, [2000] 1 R.C.S. vi (C.S.C., 15 juin 2000) —, que les appelantes invoquent relativement à l’une des questions soulevées par les présents appels.

[25]      Dans la décision Bayer, l’innovateur avait formé une requête en vue d’obtenir un jugement déclarant que le premier RPD prévoyait une période de protection de cinq ans pour les innovateurs à l’égard des drogues nouvelles pour lesquelles un ADC avait été délivré. Le texte du premier RPD, examiné dans cette affaire, était libellé comme suit :

C.08.004.1. (1) Lorsque le fabricant dépose une présentation de drogue nouvelle, une présentation abrégée de drogue nouvelle ou un supplément à l’une de ces présentations en vue de faire déterminer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle qui en est l’objet, et que le ministre examine les renseignements et le matériel présentés, dans une présentation de drogue nouvelle, par l’innovateur d’une drogue contenant une substance chimique ou biologique dont la vente comme drogue n’a pas été préalablement approuvée au Canada et s’appuie sur les données y figurant pour étayer la présentation ou le supplément du fabricant, il ne peut délivrer un avis de conformité à l’égard de cette présentation ou de ce supplément avant l’expiration du délai de cinq ans suivant la date à laquelle est délivré à l’innovateur l’avis de conformité ou l’approbation de commercialiser cette drogue, selon le cas, d’après les renseignements ou le matériel présentés par lui pour cette drogue.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas lorsque le fabricant d’une drogue nouvelle pour laquelle un avis de conformité a été délivré aux termes de l’article C.08.004 autorise par écrit un autre fabricant à se fonder sur les résultats d’essais ou d’autres données présentés au sujet de la drogue nouvelle.

(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas lorsque les données sur lesquelles le ministre s’appuie étaient contenues dans les renseignements et le matériel présentés par l’innovateur avant le 1er janvier 1994. [Non souligné dans l’original.]

[26]      Quant à la version du paragraphe 30(3) de la Loi en vigueur à l’époque de la décision Bayer, elle était rédigée dans les termes suivants :

30. […]

 

(3) Sans que soit limité le pouvoir conféré par toute autre disposition de la présente loi de prendre des règlements d’application de la présente loi ou d’une partie de celle‑ci, le gouverneur en conseil peut, pour la mise en œuvre de l’article 1711 de l’Accord de libre‑échange nord‑américain, prendre des règlements prévoyant dans quelle mesure, s’il y a lieu, une personne peut, lorsqu’elle tente de déterminer la sûreté ou l’efficacité d’une drogue nouvelle, pour l’application des règlements pris en vertu des paragraphes (1) ou (2), se fonder sur des essais ou d’autres données présentés au ministre, conformément à ces règlements, par une autre personne. [Non souligné dans l’original.]

Règlements relatifs à l’Accord de libre-échange nord-américain

[27]      On voit donc que le premier RPD interdisait au ministre de délivrer un ADC au génériqueur avant l’expiration d’un délai de « cinq ans suivant la date à laquelle [avait été] délivré à l’innovateur l’avis de conformité ou l’approbation de commercialiser » sa drogue nouvelle. Cependant, cette interdiction ne s’appliquait qu’aux cas où le ministre, aux fins d’établir s’il y avait lieu de délivrer un ADC au génériqueur à la suite du dépôt d’une PADN, examinait « les renseignements et le matériel [qui lui sont] présentés » dans une PDN par l’innovateur d’une drogue et s’appuyait sur les données figurant dans ces renseignements et ce matériel.

[28]      La principale question soumise dans la décision Bayer au juge Evans, alors juge de la Cour fédérale, et ensuite portée devant notre Cour, était celle de savoir si le ministre, dans le cadre de l’étude d’une PADN déposée par un génériqueur souhaitant obtenir la confirmation de l’innocuité et de l’efficacité de sa drogue nouvelle au moyen d’une comparaison avec celle d’un innovateur, avait examiné et utilisé le rapport confidentiel détaillé sur l’innocuité et les preuves confidentielles de l’efficacité clinique déposés par cet innovateur avec sa PDN. Le juge Evans et notre Cour ont répondu à cette question par la négative. C’est le juge Rothstein, alors juge de notre Cour, qui a rédigé les motifs de cette dernière. Il a formulé les observations suivantes aux paragraphes 15 et 18 [paragraphes 12 et 15 sur CanLII] :

Les dispositions de l’ALENA visent à protéger les secrets commerciaux. Si le fabricant de produits génériques choisit l’option consistant pour le ministre à examiner les renseignements confidentiels fournis par l’innovateur à l’appui de sa demande d’avis de conformité, alors le fabricant se fonde en réalité sur ces renseignements, selon ce que prévoit le paragraphe 6 de l’article 1711. Il est manifeste que, si les données confidentielles ne sont pas utilisées, alors les dispositions de l’ALENA relatives aux secrets commerciaux ne sont pas applicables. Plus précisément, si un fabricant de produits génériques est en mesure d’établir l’innocuité et l’efficacité de son produit sur la foi d’études de bioéquivalence et de biodisponibilité, sans que le ministre n’ait à examiner et à utiliser les données confidentielles fournies par l’innovateur, alors la protection minimale de cinq ans contre la concurrence n’est aucunement justifiée. Cette interprétation du paragraphe C.08.004.01(1) s’accorde avec les paragraphes 5 et 6 de l’article 1711 de l’ALENA.

[…]

Le paragraphe C.08.004.1(1) et les paragraphes 5 et 6 de l’article 1711 de l’ALENA tiennent compte de l’obligation pour les innovateurs de produits pharmaceutiques de divulguer au gouvernement des renseignements confidentiels qui leur appartiennent. Les deux textes prévoient que le gouvernement peut utiliser, au nom du fabricant de produits génériques, ces renseignements confidentiels ou renseignements portant sur des secrets commerciaux, et, lorsque cela se produit, l’innovateur est protégé pendant un minimum de cinq ans contre la concurrence. Lorsque le gouvernement n’utilise pas, au nom du fabricant de produits génériques, lesdits renseignements confidentiels ou renseignements se rapportant à des secrets commerciaux, la disposition n’est pas applicable. [Non souligné dans l’original.]

[29]      J’examinerai maintenant la décision frappée d’appel.

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[30]      Le juge a conclu que le RPD constitue un exercice valide de la compétence sur les échanges et le commerce conférée à l’État fédéral par le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle. Il a aussi conclu que le RPD a un lien rationnel avec le paragraphe 30(3) de la Loi et qu’il entre dans le champ du pouvoir réglementaire octroyé au gouverneur en conseil par le Parlement.

[31]      Le juge a fait précéder ces conclusions d’un examen de la procédure que doivent suivre les fabricants de drogues pour obtenir l’approbation de la commercialisation de leurs produits au Canada ainsi que du contexte législatif du RPD et du paragraphe 30(3) de la Loi, y compris des accords internationaux visés par cette dernière disposition. Dans le cadre de cet examen, il a aussi passé en revue la jurisprudence relative à l’interprétation des dispositions en question.

[32]      Après avoir récapitulé la preuve produite par les parties, le juge en a tiré les conclusions suivantes au paragraphe 46 de ses motifs :

1.   La PDN exige la compilation d’un gros volume de données de recherche et cliniques sur l’innocuité et l’efficacité d’une drogue nouvelle, à laquelle les sociétés pharmaceutiques innovatrices doivent consacrer beaucoup d’effort, de temps et d’argent.

2.   La PADN relative aux copies génériques demande aussi des renseignements pharmacologiques et cliniques importants pour établir l’innocuité et l’efficacité par comparaison avec une drogue à l’innocuité démontrée. La compilation de ces renseignements requiert des fabricants de médicaments génériques un temps et un coût de développement importants, mais moindres par comparaison avec la PDN.

3.   Les médicaments génériques sont disponibles au public à un coût moindre que celui des drogues récemment approuvées, ce qui, dans une certaine mesure, résulte de leurs frais de développement inférieurs.

4.   La protection des données exigées par les gouvernements pour l’approbation des drogues nouvelles fait l’objet d’accords internationaux, l’ALENA et l’Accord sur les ADPIC, dont le Canada est signataire.

5.   Le Canada est perçu comme ne se conformant pas au même degré que d’autres pays, notamment les États‑Unis et l’Union européenne, aux prescriptions de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC en matière de protection des données.

[33]      Le juge s’est ensuite attaqué à la question de savoir si le RPD entre dans le champ de la compétence fédérale en matière de droit criminel prévue au paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle.

[34]      Il a d’abord entrepris d’établir le caractère véritable du RPD. À cette fin, il a examiné attentivement le texte de ce règlement, son objet déclaré, ses effets juridiques et économiques, ainsi que le libellé des dispositions applicables de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC. Il a conclu que le RPD a pour objet de mettre en œuvre des dispositions déterminées de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC, et que son effet juridique est la protection des renseignements communiqués par les innovateurs dans leurs PDN. À son avis, l’effet visé par le RPD est l’établissement d’un équilibre entre les intérêts commerciaux respectifs des innovateurs et des génériqueurs, en ce que ce règlement veut à la fois protéger les investissements des innovateurs dans la recherche et le développement et faire baisser les prix des médicaments en permettant l’entrée sur le marché de produits génériques.

[35]      Ce raisonnement l’a amené à formuler la conclusion suivante au paragraphe 79 de ses motifs :

Je conclus que le caractère véritable du Règlement sur la protection des données est la recherche d’un équilibre de considérations commerciales entre la protection des investissements des fabricants innovateurs pour rassembler l’information de la PDN visant l’obtention d’un avis de conformité à l’égard d’une drogue nouvelle et l’approbation éventuelle par un avis de conformité de la PADN d’un fabricant de génériques à l’égard d’une version générique moins chère de la drogue nouvelle.

[36]      Le juge a ensuite déclaré qu’il ne pouvait souscrire à la thèse des intimés selon laquelle le RPD ferait partie intégrante du système global de réglementation de la commercialisation des drogues au Canada, dont l’essence consisterait à protéger la santé et la sécurité publiques en interdisant toutes les drogues sauf celles dont l’innocuité et l’efficacité ont été prouvées, de sorte que ce système relèverait de la compétence législative fédérale au titre du pouvoir relatif au droit criminel que le paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle confère au Parlement.

[37]      Plus précisément, le juge a conclu que la recherche d’un équilibre des considérations commerciales relatives aux innovateurs et aux génériqueurs ne fait pas partie du système visant à protéger la santé et la sécurité publiques. Par conséquent, à son avis, on ne peut dire que le RPD fasse partie intégrante du Règlement : la relation du RPD avec le système de réglementation serait plutôt celle d’une partie accessoire. Il formule ainsi les observations suivantes au paragraphe 84 de ses motifs :

Le Règlement sur la protection des données ne constitue pas un texte visant la sécurité du public qui relèverait de la compétence fédérale en matière de droit criminel en vertu du paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, contrairement au système global de réglementation des médicaments. Le règlement visé n’en fait pas partie intégrante dans la mesure où il ne renforce pas la protection de la santé et la sécurité du public sans la disposition relative à la protection des données.

[38]      Le juge a donc conclu que le RPD outrepasse la compétence fédérale en matière de droit criminel que prévoit le paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle.

[39]      Le juge a ensuite examiné le point de savoir si le Règlement pourrait être intra vires au titre d’un autre chef de compétence législative fédérale. Il s’est ainsi demandé s’il relèverait de la compétence législative fédérale selon le paragraphe 91(2) (la réglementation des échanges et du commerce) ou selon le volet de l’intérêt national de la compétence résiduelle en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement.

[40]      Il a d’abord étudié la question de savoir si le RPD pourrait relever du volet de la réglementation générale des échanges et du commerce de la compétence prévue au paragraphe 91(2) et a commencé son analyse par une récapitulation approfondie de la jurisprudence pertinente. Il s’est notamment référé à l’arrêt Procureur général du Canada c. Transports Nationaux du Canada, Ltée et autre; Procureur général du Canada c. Compagnie de Transport Canadien Pacifique Ltée et autre, [1983] 2 R.C.S. 206 (Transports Nationaux du Canada), où la Cour suprême du Canada a formulé les critères au moyen desquels les tribunaux judiciaires peuvent distinguer les matières qui relèvent de la compétence fédérale sur les échanges et le commerce des matières locales provinciales. Le juge a résumé comme suit, au paragraphe 97, les conclusions de la Cour suprême sur ce point :

Dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Transports nationaux du Canada, [1983] 2 R.C.S. 206 (Transports nationaux du Canada), le juge Dickson, dans des motifs séparés, a ajouté un complément aux critères de validité selon le second volet de la compétence en matière d’échanges et de commerce formulés par le juge en chef Laskin. Outre 1) le fait que la disposition fasse partie d’un système général de réglementation, 2) le fait que le système soit contrôlé par un organisme de surveillance et 3) le fait que la législation porte sur le commerce dans son ensemble plutôt que sur une industrie particulière, le juge Dickson a ajouté 4) le fait que les provinces ne pourraient pas, conjointement ou séparément, adopter une telle loi et 5) le fait que l’omission d’inclure une seule ou plusieurs provinces compromettrait l’application de cette loi dans d’autres parties du pays.

[41]      Le juge a ensuite examiné l’arrêt de la Cour suprême du Canada General Motors of Canada c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641 (General Motors), où le juge en chef Dickson écrivait que les principes formulés dans l’arrêt Transports Nationaux du Canada « constituent une façon ordonnée de distinguer les matières qui relèvent de la compétence fédérale concernant les échanges et le commerce et les matières locales provinciales » (motifs du juge, paragraphe 100).

[42]      S’appuyant sur ces principes, le juge a formulé un certain nombre de conclusions.

[43]      Tout d’abord, il a conclu que le Règlement établit un système valide de réglementation relative à l’approbation des drogues nouvelles et des médicaments génériques, dont l’application est surveillée par le ministre. Selon le juge, l’existence de ce système remplit les deux premiers critères de l’arrêt Transports Nationaux du Canada.

[44]      Il a ensuite conclu que le RPD, bien qu’il y soit accessoire plutôt que d’en faire partie intégrante, constitue un complément du système valide de réglementation établi pour la commercialisation des médicaments au Canada. Le RPD, constate‑t‑il, porte sur la fabrication et la commercialisation des médicaments, c’est‑à‑dire, selon lui, sur une matière locale afférente à un seul secteur d’activité. Toutefois, ajoute‑t‑il, le RPD « a une incidence de dimension nationale » (motifs du juge, paragraphe 104), puisqu’il a été pris en application de traités internationaux, soit l’ALENA et l’Accord sur les ADPIC. La mise en œuvre ou le défaut de mise en œuvre de ces accords par le Canada « a une dimension nationale en ce qui concerne la capacité du Canada de participer aux échanges mondiaux », fait‑il observer; « [d]ans ce sens, le [RPD] porte sur une véritable question économique d’intérêt national du type envisagé par le juge Dickson dans l’arrêt Transports nationaux du Canada » (motifs du juge, paragraphe 105).

[45]      Enfin, au paragraphe 106 de ses motifs, le juge a examiné le dernier critère formulé dans l’arrêt Transports Nationaux du Canada :

Le Règlement sur la protection des données porte sur l’autorisation de la commercialisation de médicaments nouveaux. Les législatures provinciales ne peuvent adopter de loi qui retarde l’approbation des médicaments génériques parce que l’approbation par les provinces de médicaments en vue de la commercialisation entrerait en conflit de façon caractérisée avec la compétence fédérale en matière de droit criminel, prévue au paragraphe 91(27), permettant d’interdire la commercialisation de drogues, sauf celles dont l’innocuité et l’efficacité ont été établies. Vu l’incapacité des gouvernements provinciaux d’adopter une loi en vue de l’approbation par stades des médicaments génériques, le cinquième critère énoncé par le juge en chef Dickson, soit le défaut d’une ou plusieurs provinces compromettant l’application du système dans d’autres parties du pays, est sans application.

[46]      De l’analyse résumée ci‑dessus, le juge a conclu que le RPD est un exercice valide sur le plan constitutionnel de la compétence législative fédérale en matière d’échanges et de commerce que prévoit le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle.

[47]      Il est ensuite passé à la question de savoir si le paragraphe 30(3) de la Loi et le RPD relèvent du Parlement fédéral au titre de sa compétence en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement, mais il n’a formulé aucune conclusion à ce sujet, estimant que ce n’était pas nécessaire.

[48]      Le juge a ensuite examiné le point de savoir si le RPD excède la compétence réglementaire du gouverneur en conseil en raison d’un défaut de lien rationnel avec le pouvoir relatif aux secrets commerciaux et aux renseignements confidentiels conféré par le paragraphe 30(3) de la Loi.

[49]      Après avoir récapitulé les moyens des appelantes aux paragraphes 111 à 117 de ses motifs, le juge a examiné les dispositions applicables de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC, examen dont il a conclu que les renseignements protégés par ces dispositions « ne sont pas nécessairement “secrets”, mais comprennent aussi des données recueillies moyennant un coût considérable et qui ne sont pas autrement accessibles au public assemblées sous cette forme » (motifs du juge, paragraphe 120).

[50]      Il a ensuite exprimé l’avis que les renseignements et documents que contiennent les PDN des innovateurs constituent des données qui répondent aux définitions applicables de l’ALENA aussi bien que de l’Accord sur les ADPIC. Ces renseignements ne sont peut‑être pas secrets à tous égards, fait‑il observer, mais sous la forme où ils sont rassemblés, « ils sont propres au fabricant de médicaments innovateur et ont de la valeur » (motifs du juge, paragraphe 123). Il en a conclu que les données contenues dans la PDN entrent dans le champ d’application du RPD.

[51]      Dirigeant ensuite son attention vers le paragraphe 5 de l’article 1711 de l’ALENA et vers l’Accord sur les ADPIC, le juge a noté que si l’ALENA définit un mécanisme de protection par l’exclusivité de marché, l’Accord sur les ADPIC ne précise pas les mesures à prendre par ses signataires. De l’examen du contenu de ces dispositions, il a déduit que l’État fédéral s’était rendu compte que le premier RPD ne suffisait pas à remplir les obligations découlant pour lui de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC. C’est entre autres le REIR publié avec le RPD qui l’a amené à cette conclusion, plus précisément le passage de ce document concernant l’arrêt Bayer de notre Cour. Rappelons à ce sujet les observations formulées par le juge aux paragraphes 126 et 127 de ses motifs :

Le gouvernement fédéral a reconnu que le règlement antérieur ne satisfaisait pas à ses obligations découlant de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC comme il l’a indiqué en renvoyant dans le REIR aux conclusions de la Cour dans l’arrêt Bayer CF. En édictant la version actuelle du Règlement sur la protection des données, le gouvernement fédéral assure, au moyen d’un mécanisme d’exclusivité de marché, la protection de l’investissement effectué par le fabricant de médicaments pour compiler les études de recherche et les données cliniques étendues nécessaires pour obtenir un ADC portant sur un nouveau médicament. Le règlement prévoit la possibilité pour le fabricant de médicaments innovateur de rentrer dans son investissement coûteux et d’en tirer profit pendant une certaine période avant que d’autres ne puissent aussi en profiter en faisant des copies génériques de ce médicament.

En fabriquant une copie générique d’un médicament approuvé, on échappe au besoin de produire les études de recherche et les données cliniques. Le processus de la PADN tire profit indirectement des renseignements de la PDN qu’a dû élaborer le fabricant de médicaments innovateur. Il en résulte une utilisation de deuxième stade ou ultérieure des travaux effectués par l’innovateur pour obtenir l’approbation de la PADN. Dans l’arrêt Bristol‑Meyers, le juge Binnie a expliqué comment le fabricant de médicaments génériques « s’appuie » sur le nouveau médicament approuvé du fabricant de médicaments innovateur.

21  Le Règlement ADC n’emploie pas l’expression « fabricant de produits génériques », mais il est possible de désigner ainsi, par souci de simplicité, le fabricant qui obtient un ADC en raison d’une équivalence pharmaceutique avec un « produit de référence canadien ».

22  De façon générale, la « deuxième personne » entend fabriquer et distribuer une « copie » du médicament actif. Si elle copie le produit approuvé, elle peut s’appuyer sur les données relatives à son innocuité et à son efficacité et sur les études cliniques soumises par la première personne « innovante ». Ces emprunts réduisent la quantité de données justificatives nécessaires et le délai d’approbation, d’où le fait que la demande écourtée est connue sous le nom de Présentation abrégée de drogue nouvelle (« PADN »). [Souligné dans l’original.]

[52]      Se fondant sur l’arrêt de la Cour suprême Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533 (Bristol‑Myers), le juge a noté au paragraphe 130 de ses motifs que « [l]a preuve de l’innocuité et de l’efficacité d’un médicament générique par comparaison avec un médicament approuvé antérieurement [c’est‑à‑dire une drogue innovante] s’appuie nécessairement sur les renseignements fournis dans la PDN antérieure », ajoutant qu’il était convaincu que le RPD prévoit pour les innovateurs une protection conforme aussi bien à l’ALENA qu’à l’Accord sur les ADPIC. Il en concluait que le RPD, en établissant une période d’exclusivité de marché, « prévoit une autre forme de protection contre la divulgation d’une manière envisagée dans les deux accords internationaux » (motifs du juge, paragraphe 131).

[53]      Le juge s’est ensuite attaqué à la dernière question portée devant lui, soit celle de savoir si le paragraphe 30(3) de la Loi constitue une sous‑délégation inadmissible par le Parlement de ses responsabilités de mise en œuvre des traités internationaux. L’appelante soutenait que la délégation de pouvoirs du Parlement au gouverneur en conseil opérée par le paragraphe 30(3) est contraire aux principes de la suprématie du Parlement et du contrôle de la législation. Ce paragraphe, faisait valoir l’appelante, permet au gouverneur en conseil d’exercer des pouvoirs considérables en temps de paix sans être contrôlé par le Parlement, de définir la portée des obligations internationales du Canada, d’assumer des obligations indéterminées au nom du Canada, ainsi que de réviser ses règlements en fonction de modifications du droit international qui, d’une part, sont incertaines et, d’autre part, échappent au contrôle du Parlement. Le juge a conclu à l’absence de bien‑fondé de ces arguments.

[54]      Selon lui, le Parlement a conféré au gouverneur en conseil « le pouvoir de prendre des règlements dans un domaine restreint délimité par les bornes des dispositions de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC » (motifs du juge, paragraphe 134). On ne peut dire, ajoutait‑il, que le Parlement avait laissé indéfinie la portée du pouvoir réglementaire du gouverneur en conseil, puisque le renvoi à l’article 1711 de l’ALENA et au paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC délimite le champ d’application du paragraphe 30(3) de la Loi. Il a poursuivi son raisonnement dans les termes suivants, au paragraphe 135 de ses motifs :

La portée des dispositions de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC relatives aux médicaments est limitée. L’objet des règlements ne peut comprendre que les éléments suivants :

1.   le moment de l’approbation des formulations proposées de médicaments génériques;

2.   les situations où l’innocuité du nouveau médicament initial a été prouvée par l’assemblage de données recueillies au prix d’un effort considérable;

3.   l’innocuité du médicament générique postérieur [a] été prouvée par référence à l’innocuité antérieurement établie du nouveau médicament innovant;

4.   le délai minimal avant les copies génériques est de cinq ans.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[55]      Il y a deux questions à trancher dans les présents appels :

1. Le pouvoir de prendre le RPD a‑t‑il été valablement délégué par le Parlement au gouverneur en conseil, conformément à une sous‑délégation admissible des responsabilités de mise en œuvre des traités, et, dans l’affirmative, ce règlement entre‑t‑il dans le champ du pouvoir conféré au gouverneur en conseil par le paragraphe 30(3) de la Loi (la question de la délégation)?

2. Le RPD s’inscrit‑il dans les limites de la compétence législative fédérale, au titre des paragraphes 91(2) ou (27) de la Loi constitutionnelle, ou des pouvoirs résiduels en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement que cette loi confère à l’État fédéral (la question constitutionnelle)?

[56]      J’examinerai d’abord la question de la délégation, puis la question constitutionnelle. Je note d’entrée de jeu que — on ne s’en étonnera pas — toutes les parties sont d’accord pour dire que la norme de contrôle applicable aux deux questions est celle de la décision correcte. Je ne vois aucune raison de ne pas souscrire à ce point de vue.

I.          LA QUESTION DE LA DÉLÉGATION

[57]      Je traiterai d’abord la question de savoir si le pouvoir de prendre le RPD a été valablement délégué par le Parlement au gouverneur au conseil, puisque, si cette sous‑délégation est inadmissible, il n’y a pas lieu de se demander si ledit RPD, tel qu’il est promulgué, entre dans le champ des pouvoirs réglementaires du gouverneur en conseil.

[58]      Les appelantes font valoir que la Cour suprême a examiné l’étendue du pouvoir du Parlement d’autoriser le gouverneur en conseil à prendre des règlements dans l’arrêt Gray (in re) (1918), 57 R.C.S. 150 (Re Gray), [traduction] « arrêt maintenant presque centenaire, rendu dans le contexte de mesures de guerre ». Il serait donc temps, selon elles, que les tribunaux déterminent l’étendue de ce pouvoir [traduction] « à notre époque de mondialisation, en fonction de la position actuelle du Canada dans la communauté internationale » (exposé des faits et du droit d’Apotex, paragraphe 74).

[59]      Dans l’arrêt Re Gray, la Cour suprême examinait l’article 6 de la Loi des mesures de guerre, 1914, S.C. 1914 (2e sess.), ch. 2, qui déléguait des pouvoirs étendus au gouverneur en conseil. La majorité de la Cour a confirmé la validité constitutionnelle de cet article, en dépit des termes très larges dans lesquels il conférait au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements et du fait qu’il prévoyait la possibilité de modifier ou d’abroger d’autres textes de loi. Le juge Duff a décrit la disposition en question comme suit, aux pages 166 et 167 de cet arrêt :

[traduction] Les termes […] sont d’une portée suffisante pour conférer au gouverneur en conseil, pour la durée de la guerre, le pouvoir de prendre des « décrets et règlements » sur tout objet relevant de la compétence législative du Parlement, à la seule condition que ledit gouverneur en conseil juge ces « décrets et règlements » opportuns du fait de l’existence réelle ou appréhendée, entre autres, de l’état de guerre.

[60]      Il a ensuite formulé les observations suivantes, à la page 170 :

[traduction] On n’essaie pas ici de substituer l’exécutif au Parlement au sens où l’on porterait atteinte à l’équilibre existant des pouvoirs constitutionnels en augmentant le poids de la prérogative aux dépens du corps législatif. Le Parlement pourrait à tout moment révoquer les pouvoirs conférés et annuler tout acte accompli en vertu de ceux‑ci : il n’a pas abandonné, et en fait ne pouvait pas abandonner, la moindre parcelle de sa propre compétence législative. Le juste point de vue sur l’effet de ce type de législation est que le corps subordonné auquel le Parlement a attribué le pouvoir de légiférer est supposé agir en tant que son mandataire ou son organe et que les dispositions promulguées par ce mandataire prennent effet en vertu de la décision législative antérieure (formelle ou implicite) selon laquelle elles auront force de loi […] [Non souligné dans l’original.]

[61]      Le juge Anglin, avec qui le juge Davis a exprimé son accord, a défini le pouvoir de délégation du Parlement en termes très larges à la page 176 du même arrêt :

[traduction] L’idée que le Parlement pourrait renoncer complètement à ses fonctions législatives est si peu concevable qu’il n’y a même pas lieu d’examiner la constitutionnalité d’une quelconque entreprise de cette nature. Un tel renoncement mis à part, toute délégation limitée paraît s’inscrire dans le champ de la compétence législative […]

[62]      Il va même plus loin, à la page 182 :

[traduction] Quoi qu’il en soit, tout ce qu’il nous appartient de faire en tant que cour de justice est d’établir quels sont les pouvoirs que le Parlement entendait conférer et s’il possédait la compétence législative nécessaire à cette fin.

[63]      On ne m’a pas convaincu qu’il y a de bonnes raisons de s’écarter du principe formulé par la Cour suprême dans l’arrêt Re Gray, à savoir que le Parlement dispose d’un large pouvoir de délégation par la voie de l’habilitation à prendre des règlements, sous réserve de la portée des dispositions habilitantes. Avec tout le respect que je leur dois, je dois refuser l’invitation des appelantes à réexaminer la compétence du Parlement pour déléguer au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements. La Cour fédérale et la Cour supérieure de justice de l’Ontario se sont appuyées dans des décisions récentes sur le principe de Re Gray; voir Barreau du Haut‑Canada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1489, [2007] 4 R.C.F. 132; et Canada (Attorney General) v. Giacomelli, 2010 ONSC 985 (CanLII), 317 D.L.R. (4th) 528. De même, la Cour d’appel de l’Ontario a cité l’arrêt Re Gray avec approbation aux paragraphes 20 à 23 de l’arrêt R. v. J.P., 2003 CanLII 17492, 67 O.R. (3d) 321, se référant aux passages reproduits ci‑dessus des motifs des juges Duff et Anglin.

[64]      Pour revenir à la présente espèce, le paragraphe 30(3) de la Loi confère au gouverneur en conseil le pouvoir de « prendre […] les règlements qu’il estime nécessaires » pour la mise en œuvre, concernant les drogues, de l’article 1711 de l’ALENA ou du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC. Il n’a pas été produit de preuve ni présenté d’arguments probants qui établiraient que le paragraphe 30(3) empêche le Parlement de révoquer ou d’annuler le pouvoir conféré au gouverneur en conseil ou le RPD promulgué en vertu de la loi habilitante.

[65]      Je passe maintenant à la question de savoir si le RPD s’inscrit dans les limites du pouvoir conféré au gouverneur en conseil par le paragraphe 30(3) de la Loi.

[66]      Les arguments des appelantes sont en résumé les suivants. Premièrement, elles font valoir que le RPD a été promulgué pour la mise en œuvre de dispositions déterminées de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC; deuxièmement, ces dispositions ont pour fin de protéger les secrets commerciaux et les renseignements confidentiels; troisièmement, le RPD vise à protéger les innovateurs sans égard à la question de savoir si les renseignements communiqués dans la PDN sont secrets ou confidentiels. Autrement dit, les appelantes soutiennent l’absence de lien rationnel entre les données communiquées par les innovateurs dans leurs PDN et le type de données que les dispositions applicables de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC visent à protéger.

[67]      Les appelantes affirment en outre que le juge a commis une erreur en concluant que les génériqueurs s’appuient sur les renseignements « secrets » des PDN, puisqu’ils ne s’appuient pas en fait sur de tels renseignements lorsqu’ils demandent l’approbation de leurs médicaments génériques. Les appelantes vont plus loin, soutenant que les génériqueurs ne s’appuient pas même « indirectement » sur les données contenues dans les PDN des innovateurs; selon elles, les génériqueurs n’utilisent aucunement les renseignements secrets ou confidentiels contenus dans les PDN des innovateurs ni ne s’appuient sur ces renseignements, pas plus que le ministre.

[68]      Invoquant l’arrêt Bayer de notre Cour, les appelantes soutiennent que si le ministre n’examine pas les données confidentielles contenues dans la PDN d’un innovateur ni ne s’appuie sur elles au cours de la procédure d’étude de la PADN d’un génériqueur, les dispositions relatives aux secrets commerciaux de l’ALENA n’entrent pas en ligne de compte. Apotex écrit ainsi au paragraphe 60 de son exposé des faits et du droit : [traduction] « En concluant de la sorte, cette honorable Cour a posé [dans l’arrêt Bayer] que l’utilisation indirecte, même si elle est établie, n’est pas pertinente pour la protection que visent ces obligations découlant de traités internationaux ».

[69]      Enfin, selon les appelantes, le juge a commis une erreur en concluant que le premier RPD ne permettait pas au Canada de remplir les obligations résultant pour lui de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC. À leur avis, le premier RPD était conforme aux obligations internationales contractées par le Canada, de sorte que la promulgation du RPD n’était pas nécessaire.

[70]      Comme je le disais plus haut, l’arrêt Re Gray pose en principe que le Parlement dispose d’un large pouvoir de délégation par la voie de l’habilitation à prendre des règlements, sous réserve de la portée des dispositions habilitantes. Or, le paragraphe 30(3) autorise le gouverneur en conseil à prendre les règlements qu’il estime nécessaires pour la mise en œuvre de l’article 1711 de l’ALENA et du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC.

[71]      Le paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC impose explicitement aux Membres de l’OMC qui subordonnent l’approbation de la commercialisation de produits pharmaceutiques comportant des entités chimiques nouvelles à la communication de « données non divulguées résultant d’essais ou d’autres données non divulguées, dont l’établissement demande un effort considérable », l’obligation de protéger « ces données contre l’exploitation déloyale dans le commerce ». Ce paragraphe prescrit aussi aux Membres de protéger « ces données contre la divulgation […] à moins que des mesures ne soient prises pour s’assurer que les données sont protégées contre l’exploitation déloyale dans le commerce ». Mais il ne précise pas la manière dont les Membres doivent protéger les données ni les mesures qu’ils doivent prendre pour en assurer la protection « contre l’exploitation déloyale dans le commerce ».

[72]      Le paragraphe 30(3) de la Loi renvoie à l’article 1711 de l’ALENA dans sa totalité, mais seuls les paragraphes 5, 6 et 7 de cet article paraissent avoir inspiré le RPD. Ces trois paragraphes, tout comme le paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC, portent sur les obligations des signataires concernant la protection des données à la communication desquelles les pouvoirs publics subordonnent l’approbation de la commercialisation des produits pharmaceutiques. Le paragraphe 5 de l’article 1711 de l’ALENA oblige les Parties à assurer une protection analogue à celle qu’exige le paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC. Le paragraphe 6 de l’article 1711 stipule que les Parties doivent prendre des mesures propres à empêcher les génériqueurs d’utiliser les données contenues dans une PDN « à l’appui d’une demande d’approbation de produit au cours d’une période de temps raisonnable suivant la date de leur communication ». Ce paragraphe précise qu’« [o]n entend généralement par période de temps raisonnable, une période d’au moins cinq années » à compter de la date à laquelle la Partie en cause a délivré un ADC à un innovateur pour sa drogue innovante.

[73]      Les dispositions de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC que je viens d’examiner ne se rapportent pas, à mon humble avis, à la protection des secrets commerciaux. Les dispositions qui se rapportent effectivement à la protection des secrets commerciaux sont les paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 1711 de l’ALENA, et le paragraphe 2 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC. On remarquera à ce propos que le paragraphe 1 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC établit une distinction nette entre les « secrets commerciaux » et la « protection des données », qui fait l’objet du paragraphe 3 du même article :

Article 39

1. En assurant une protection effective contre la concurrence déloyale conformément à l’article 10bis de la Convention de Paris (1967), les Membres protégeront les renseignements non divulgués [c.-à-d. les secrets commerciaux] conformément au paragraphe 2 et les données communiquées aux pouvoirs publics ou à leurs organismes [c.-à-d. la protection des données] conformément au paragraphe 3. [Non souligné dans l’original.]

[74]      Il en va de même pour l’article 1711 de l’ALENA, dont les paragraphes 1 à 4 portent clairement sur les « secrets commerciaux », alors que ses paragraphes 5 à 7 s’appliquent à la protection, pour ce qui concerne l’approbation de la commercialisation de produits pharmaceutiques qui comportent des éléments chimiques nouveaux, des « données non divulguées résultant d’essais ou d’autres données non divulguées nécessaires pour déterminer si l’utilisation de ces produits est sans danger et efficace ». Autrement dit, ces dispositions visent manifestement à limiter l’utilisation par les génériqueurs des données établies par les innovateurs dans le but de faire approuver leurs « drogues innovantes ».

[75]      Le RPD, à son paragraphe 2, indique qu’il s’applique à la mise en œuvre de l’article 1711 de l’ALENA et du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC. Il dispose ensuite, au paragraphe 3, que lorsqu’un fabricant, c’est‑à‑dire un génériqueur, demande la délivrance d’un ADC pour une drogue nouvelle « sur la base d’une comparaison directe ou indirecte entre celle‑ci et la drogue innovante », il ne peut déposer de PADN avant l’expiration d’un délai de six ans suivant la date à laquelle un ADC a été délivré à l’innovateur pour sa drogue innovante. Le même paragraphe porte en outre que le ministre ne peut délivrer d’ADC au génériqueur avant l’expiration d’un délai de huit ans suivant la date à laquelle un ADC a été délivré à l’innovateur.

[76]      À mon avis, le RPD est clairement conforme à la disposition habilitante. Il s’agit d’un règlement ayant pour objet de mettre en œuvre, concernant les drogues, l’article 1711 de l’ALENA et le paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC. L’exclusivité de marché, conférée par le RPD à l’innovateur, est le moyen qu’a choisi le gouverneur en conseil pour donner effet aux dispositions applicables de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC. Plus précisément, le RPD me paraît être une mesure prise par le gouverneur en conseil « pour s’assurer que les données sont protégées contre toute exploitation déloyale dans le commerce ».

[77]      Force m’est donc de rejeter le moyen des appelantes selon lequel il n’existerait pas de lien rationnel entre les données contenues dans la PDN d’un innovateur et le type de données que les dispositions applicables de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC visent à protéger. Il est en effet manifeste que les données qu’ont pour fin de protéger l’article 1711 de l’ALENA et le paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC sont précisément les données à l’égard desquelles le RPD confère l’exclusivité de marché, c’est‑à‑dire les données contenues dans la PDN d’un innovateur pour une drogue innovante. Par conséquent, je ne vois aucune erreur dans les conclusions suivantes du juge consignées aux paragraphes 120 et 123 de ses motifs :

D’après la formulation des paragraphes 1 et 5 de l’article 1711 de l’ALENA et du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC, il est évident que les renseignements ne sont pas nécessairement « secrets », mais comprennent aussi des données recueillies moyennant un coût considérable et qui ne sont pas autrement accessibles au public assemblées sous cette forme.

[…]

À mon avis, les données de la PDN des fabricants de médicaments innovateurs répondent aux définitions tant de l’ALENA que de l’Accord sur les ADPIC. Les renseignements ne sont peut‑être pas secrets à tous égards, mais sous la forme où ils sont compilés, ils sont propres au fabricant de médicaments innovateur et ont de la valeur. Je conclus que ce sont des renseignements qui tombent dans la portée du Règlement sur la protection des données.

[78]      Les appelantes, à l’appui de leur thèse que le juge a commis une erreur concernant le type de données que visent à protéger l’article 1711 de l’ALENA et le paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC, font valoir que notre Cour a tranché cette question dans l’arrêt Bayer, où le juge Rothstein a conclu, au paragraphe 15 de ses motifs, que l’article 1711 est conçu pour protéger les « données confidentielles » et que son objet est la protection des « secrets commerciaux ».

[79]      À mon sens, la conclusion formulée par notre Cour dans l’arrêt Bayer ne nous lie pas. Premièrement, aucune des questions mises en litige dans cet appel ne se rapportait au point de savoir si les données que vise à protéger l’article 1711 de l’ALENA sont les « données confidentielles » ou les « secrets commerciaux ». Cette affaire, comme je le disais précédemment, portait plutôt sur le point de savoir si le ministre, dans le cadre de l’étude d’une PADN, est réputé avoir examiné ou utilisé les données contenues dans la PDN de l’innovateur. Deuxièmement, comme la question dont nous sommes ici saisis n’avait pas été mise en litige dans l’arrêt Bayer, la Cour semble avoir tout simplement considéré comme allant de soi que la catégorie de données qui faisait l’objet du différend était celle des « renseignements confidentiels » ou des « secrets commerciaux ». Il est aussi à noter que le paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC n’avait pas été porté devant la Cour dans l’arrêt Bayer, et il va sans dire que le paragraphe 30(3) de la Loi aussi bien que le RPD étaient alors libellés différemment.

[80]      Je conclus donc que, contrairement à l’affirmation des appelantes, les conclusions formulées par le juge aux paragraphes 120 et 123 de ses motifs ne sont pas [traduction] « en contradiction directe avec l’interprétation que cette honorable Cour a donnée des mêmes dispositions dans Bayer ».

[81]      J’examinerai maintenant la thèse des appelantes selon laquelle le juge aurait commis une erreur en concluant que la période d’exclusivité de marché que le RPD octroie aux innovateurs constitue un mécanisme approprié pour assurer la protection qu’exigent l’ALENA et l’Accord sur les ADPIC. Selon les appelantes, [traduction] « cette conclusion est erronée, puisque le juge de première instance n’a pas tenu compte du fait que le génériqueur ne s’appuie pas sur les renseignements supposés “secrets” que contient la PDN et qu’il n’y a donc pas de lien rationnel entre une période d’exclusivité de marché et les dispositions habilitantes des traités ».

[82]      Les appelantes contestent notamment la conclusion formulée par le juge au paragraphe 127 de ses motifs, selon laquelle les génériqueurs, au moyen de la procédure de la PADN, « tire[nt] profit indirectement des renseignements de la PDN qu’a dû élaborer le fabricant de médicaments innovateur » et qu’il en résulte « une utilisation de deuxième stade ou ultérieure des travaux effectués par l’innovateur pour obtenir l’approbation de la PADN ». À mon avis, cet argument des appelantes est fondé sur une interprétation erronée du RPD et du paragraphe 30(3) de la Loi. En effet, les appelantes, en raisonnant ainsi, me paraissent oublier que le RPD aussi bien que le paragraphe 30(3) de la Loi ont été modifiés depuis l’arrêt Bayer de notre Cour.

[83]      Il est vrai que le paragraphe 6 de l’article 1711 de l’ALENA oblige les Parties à prendre des mesures pour empêcher, en ce qui concerne les données visées au paragraphe 5 du même article, c’est‑à‑dire les « données non divulguées résultant d’essais ou d’autres données non divulguées nécessaires pour déterminer si l’utilisation de ces produits [les drogues innovantes] est sans danger et efficace », les personnes autres que celles qui les ont communiquées d’« utiliser ces données à l’appui d’une demande d’approbation de produit au cours d’une période de temps raisonnable suivant la date de leur communication ». Donc, cette disposition vise à empêcher les génériqueurs de faire usage des données protégées à l’appui de leurs PADN.

[84]      Quant au paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC, il dispose simplement que les Membres de l’OMC doivent protéger les données de la nature susdite « contre l’exploitation déloyale dans le commerce ».

[85]      Le paragraphe 30(3) de la Loi, comme je le disais précédemment, habilite le gouverneur en conseil à prendre les règlements qu’il estime nécessaires pour mettre en œuvre les dispositions applicables de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC. Le Parlement a donc laissé au gouverneur en conseil le soin de décider la manière dont il protégerait les données des innovateurs « contre l’exploitation déloyale dans le commerce ». Il ne fait aucun doute que le libellé du paragraphe 30(3) donne au gouverneur en conseil une très grande marge de liberté dans la définition des moyens par lesquels il mettra en œuvre les dispositions des traités. La version précédente du paragraphe 30(3) n’était pas formulée de manière aussi large que l’actuelle : elle autorisait simplement le gouverneur en conseil à prendre, aux fins de la mise en œuvre de l’article 1711 de l’ALENA, « des règlements prévoyant dans quelle mesure, s’il y [avait] lieu, une personne [pouvait] […] se fonder sur des essais ou d’autres données » présentés au ministre par un innovateur.

[86]      Par conséquent, en vertu du paragraphe 30(3) de la Loi, le gouverneur en conseil a promulgué le RPD et disposé que les innovateurs seraient protégés par le moyen d’une période déterminée d’exclusivité de marché lorsqu’un génériqueur demanderait la délivrance d’un ADC pour une drogue nouvelle « sur la base d’une comparaison directe ou indirecte entre celle‑ci et la drogue innovante ». J’estime en conséquence que le débat dont notre Cour était saisie dans l’arrêt Bayer n’est pas pertinent pour les présents appels. La chose devient évidente à la lecture du passage suivant du REIR publié avec le RPD [aux pages 1495 et1496] :

Contexte

[…]

En vertu du règlement en vigueur [le premier RPD], la période de protection de l’exclusivité des données survient lorsque le ministre de la Santé examine les données non divulguées d’un innovateur et s’y fie afin de délivrer un avis de conformité au fabricant de produit générique. Cependant, pour recevoir un avis de conformité au Canada, un fabricant de produit générique doit uniquement faire la preuve de sa bioéquivalence avec le produit de l’innovateur, en comparant le produit générique à celui de l’innovateur. Par conséquent, en réalité, le ministre n’examine généralement pas les données que comporte la présentation de l’innovateur pour délivrer un avis de conformité pour un produit générique. Ainsi, la protection des données ne s’applique pas lorsque la bioéquivalence est à la base de la présentation, comme l’a confirmé la Cour fédérale d’appel dans l’affaire Bayer Inc c. Canada (Procureur général), 87 C.P.R. (3d) 293.

Bien que la comparaison nécessaire pour démontrer la bioéquivalence soit rarement établie à l’aide d’un examen des données de l’innovateur, elle demande néanmoins que l’on puisse se fier à son produit. Par conséquent, ces modifications sont présentées dans le but de préciser le fait qu’une telle confiance entraîne la période d’exclusivité. [Non souligné dans l’original.]

[87]      Comme le fait observer le REIR, le RPD, contrairement au premier RPD, examiné dans la décision Bayer, ne subordonne pas l’octroi de l’exclusivité de marché à la condition que le ministre ait examiné ou utilisé les données de l’innovateur. Le RPD dispose simplement que le génériqueur ne peut demander la délivrance d’un ADC pour une drogue nouvelle avant l’expiration d’un délai de six ans suivant la délivrance d’un ADC à un innovateur pour une « drogue innovante », et que le ministre ne peut délivrer d’ADC au génériqueur avant l’expiration d’un délai de huit ans à compter de la délivrance d’un ADC à un innovateur, dans le cas où le génériqueur demande la délivrance de son ADC « sur la base d’une comparaison directe ou indirecte » entre sa nouvelle drogue et une drogue innovante.

[88]      Autrement dit, le critère est le point de savoir, non pas si le ministre ou le génériqueur s’appuie sur les données de l’innovateur, mais s’il y a eu comparaison, directe ou indirecte, entre la drogue nouvelle du génériqueur et une drogue innovante. Le REIR formule ce principe dans ses propres termes lorsqu’il dit : « Bien que la comparaison nécessaire pour démontrer la bioéquivalence soit rarement établie à l’aide d’un examen des données de l’innovateur, elle demande néanmoins que l’on puisse se fier à son produit. »

[89]      Le juge a conclu dans les termes suivants, au paragraphe 130 de ses motifs, qu’était rempli le critère énoncé au paragraphe 3 du RPD :

Bristol‑Meyers a répondu à la question de l’utilisation des renseignements de la PDN dans le processus de la PADN. La preuve de l’innocuité et de l’efficacité d’un médicament générique par comparaison avec un médicament approuvé antérieurement s’appuie nécessairement sur les renseignements fournis dans la PDN antérieure.

[90]      Ces observations doivent être lues dans le contexte du paragraphe 127 des mêmes motifs, où le juge fait remarquer que le génériqueur, en obtenant un ADC par suite du dépôt d’une PADN, « échappe au besoin de produire les études de recherche et les données cliniques ». En conséquence, selon lui, le processus de la PADN « tire profit […] des renseignements de la PDN qu’a dû élaborer le fabricant de médicaments innovateur ». Il étaye ce point de vue des remarques suivantes formulées par le juge Binnie, aux paragraphes 21 et 22 de l’arrêt Bristol‑Myers :

Le Règlement ADC n’emploie pas l’expression « fabricant de produits génériques », mais il est possible de désigner ainsi, pas souci de simplicité, le fabricant qui obtient un ADC en raison d’une équivalence pharmaceutique avec un « produit de référence canadien ».

De façon générale, la « deuxième personne » entend fabriquer et distribuer une « copie » du médicament actif. Si elle copie le produit approuvé, elle peut s’appuyer sur les données relatives à son innocuité et à son efficacité et sur les études cliniques soumises par la première personne « innovatrice ». Ces emprunts réduisent la quantité de données justificatives nécessaires et le délai d’approbation, d’où le fait que la demande écourtée est connue sous le nom de Présentation abrégée de drogue nouvelle (« PADN »).

[91]      Les appelantes soutiennent que le juge a tort d’invoquer à cet égard l’arrêt Bristol‑Myers. Je ne peux les suivre en cela. S’il est vrai que le ministre n’examine pas habituellement les renseignements communiqués par l’innovateur aux fins d’établir s’il y a lieu de délivrer un ADC au génériqueur à la suite du dépôt d’une PADN sur la base de la bioéquivalence, on ne saurait guère douter que la procédure de la PADN met en jeu, à tout le moins, une utilisation indirecte des renseignements sur l’innocuité et l’efficacité tirés de la PDN de l’innovateur. Autrement dit, le génériqueur s’appuie sur les renseignements contenus dans la PDN de l’innovateur en ce que : i) ces renseignements sont la source des connaissances réelles sur l’innocuité et l’efficacité de la drogue et sur les conditions de son utilisation; ii) sans ces connaissances, il ne serait pas possible au génériqueur de produire sa drogue nouvelle sans effectuer de considérables études non cliniques et cliniques (voir l’affidavit de Mme Ann Elizabeth Bowes, cahier d’appel, vol. II, page 472). C’est en ce sens que le génériqueur s’appuie sur les données communiquées par l’innovateur dans sa PDN. Le passage suivant du REIR [à la page 1497] se révèle pertinent à cet égard :

Mécanisme déclencheur

Le mécanisme déclencheur vise à assujettir les fabricants de médicaments génériques et les deuxièmes fabricants qui tentent de se fonder sur la comparaison directe ou indirecte entre leur drogue et une drogue innovante. Comme l’a mentionné la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, de telles comparaisons directes ou indirectes excluraient les présentations dans lesquelles le parrain de la présentation ne se fie pas aux données d’innocuité et d’efficacité d’un autre fabricant afin d’obtenir une approbation en vertu du règlement. Cela est conforme à l’article 1711 de l’ALÉNA ainsi qu’au paragraphe 3 de l’article 39 des ADPIC, du fait qu’il n’y aurait pas d’utilisation déloyale de données ou de fondement sur ces données pour obtenir l’approbation du produit. Le mécanisme cherche à englober les présentations assujetties aux dispositions qui s’appliquent aux présentations abrégées de drogues nouvelles et à celles qui sont soumises en vertu des dispositions visant les drogues nouvelles, dans la mesure où l’on a établi une comparaison, qu’elle soit directe ou indirecte, avec la drogue innovante. [Non souligné dans l’original.]

[92]      Enfin, je n’ai pas à me prononcer sur l’argument des appelantes selon lequel le juge a eu tort de conclure que le premier RPD ne permettait pas au Canada de remplir les obligations découlant pour lui de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC. Le point de savoir si cette affirmation est ou non fondée n’est pas pertinent pour les questions en litige dans les présents appels. Cependant, ce que cet argument montre clairement, c’est que les appelantes n’approuvent pas le moyen choisi par le gouverneur en conseil pour mettre en œuvre les dispositions applicables de ces deux accords.

[93]      À mon humble avis, cette position est intenable. Le Parlement, par le moyen du paragraphe 30(3) de la Loi, a conféré au gouverneur en conseil le pouvoir de « prendre […] les règlements qu’il estime nécessaires » pour remplir les obligations découlant des traités en question. Par conséquent, le gouverneur en conseil est seul à même de décider des moyens nécessaires pour satisfaire à ces obligations. Cela étant, à moins qu’on n’établisse la mauvaise foi — ce qu’on n’a pas fait —, notre Cour ne peut mettre ni ne mettra en question les moyens que le gouverneur en conseil a estimés indiqués pour remplir les obligations découlant des traités.

[94]      En conséquence, je conclus que le RPD a été pris en vertu d’une délégation valable du Parlement au gouverneur en conseil et qu’il s’inscrit dans les limites des pouvoirs de ce dernier.

II.         LA QUESTION CONSTITUTIONNELLE

[95]      La première étape de l’examen d’une contestation constitutionnelle telle que celle dont notre Cour est saisie consiste à déterminer le « caractère véritable » ou essentiel du texte attaqué. En d’autres termes, il nous faut définir les caractéristiques dominantes ou les plus importantes de ce texte. Le tribunal saisi d’une telle question doit aussi prendre en considération les effets du texte contesté, c’est‑à‑dire la manière dont il change les droits et les responsabilités de ceux qui y sont assujettis. Peter W. Hogg explique la marche à suivre par le tribunal à cet égard à la page 15‑13 du vol. I de Constitutional Law of Canada, 5e éd. supplémentée, Toronto : Thomson/Carswell, 2007, mise à jour en 2009 :

[traduction] La détermination du caractère véritable n’est pas un processus de nature purement technique ou formelle, qui se limiterait au seul fonctionnement juridique de la loi attaquée […] le fait, par exemple, qu’une loi provinciale prévoie la perception d’une taxe ne suffit pas à la faire classer comme loi fiscale. Le tribunal ne tient pas compte seulement des effets juridiques directs mais aussi des objets sociaux ou économiques que la loi vise à réaliser. Si le tribunal conclut que l’objet de ce qui est présenté comme une simple taxe est de réglementer ou de détruire les banques, il définira la loi comme se rapportant au système bancaire et la déclarera invalide. [Note en bas de page omise.]

[96]      Une fois qu’on a déterminé le caractère véritable de la loi, il faut la classer en fonction des chefs de compétence que prévoit la Loi constitutionnelle. Si ce caractère véritable se rattache à une matière relevant de la compétence législative fédérale, les empiètements accessoires sur la compétence provinciale seront permis (voir Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, aux paragraphes 22 à 34).

[97]      Passons maintenant à l’examen du caractère véritable du RPD.

[98]      Les appelantes soutiennent que le caractère véritable du RPD est à chercher du côté des facteurs commerciaux et non de la sécurité publique. Selon elles, le RPD outrepasse la compétence fédérale en matière d’échanges et de commerce et n’est valablement promulgué sous aucun autre chef de compétence fédérale. Au contraire, font‑elles valoir, la protection des secrets commerciaux et des renseignements confidentiels concerne la propriété et les droits civils, et relève à ce titre de la compétence provinciale (paragraphe 92(10) de la Loi constitutionnelle).

[99]      Les intimés soutiennent quant à eux que le caractère véritable se rapporte à la santé et à la sécurité publiques et n’empiète sur aucun chef de compétence provinciale. Selon la Couronne, le RPD relève de la compétence fédérale en matière de droit criminel. Les autres intimés souscrivent à cette thèse, mais affirment qu’il est également valide au titre du pouvoir de réglementation des échanges et du commerce, ainsi que de la compétence en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement.

[100]   Le juge a conclu (au paragraphe 79 de ses motifs) que le caractère véritable du RPD « est la recherche d’un équilibre de considérations commerciales entre la protection des investissements des fabricants innovateurs pour rassembler l’information de la PDN visant l’obtention d’un avis de conformité à l’égard d’une drogue nouvelle et l’approbation éventuelle par un avis de conformité de la PADN d’un fabricant de génériques à l’égard d’une version générique moins chère de la drogue nouvelle ».

[101]   Après avoir tiré cette conclusion, le juge a examiné le point de savoir à quel chef de compétence de la Loi constitutionnelle rattacher le caractère véritable du RPD. Il a conclu que le RPD relève non pas de la compétence législative de l’État fédéral en matière de droit criminel, mais de son pouvoir de réglementation des échanges et du commerce.

[102]   En toute déférence, je ne puis souscrire à la conclusion du juge selon laquelle le RPD, par son caractère véritable, relèverait de la compétence en matière d’échanges et de commerce. À mon sens, il est par principe erroné d’essayer de déterminer le caractère véritable du RPD en se référant au libellé de ce règlement même et de sa loi habilitante, sans le situer dans l’ensemble du système dont il est devenu partie. J’exposerai de manière plus détaillée ci‑dessous les motifs qui sous‑tendent ma conclusion. Qu’il me suffise pour l’instant de dire qu’il est important de noter que le Parlement a choisi de promulguer le paragraphe 30(3) de la Loi non pas sous la forme d’une loi indépendante, mais plutôt sous celle d’une modification d’une loi déjà existante et depuis longtemps reconnue comme constitutionnelle. Donc, la question cruciale était de savoir si le paragraphe 30(3), et par conséquent le RPD, constitue un exercice valide du pouvoir constitutionnel en vertu duquel la Loi a été promulguée.

[103]   J’ai déjà brièvement décrit le système de réglementation que le Règlement met en place. Ce système constitue en infraction criminelle la commercialisation d’une drogue nouvelle, à moins que le ministre n’ait conclu à son innocuité et à son efficacité. Si la drogue en question est sans danger et efficace, le ministre délivre à son fabricant un avis qui en atteste la conformité au Règlement (c’est‑à‑dire un avis de conformité ou ADC).

[104]   Pour obtenir un ADC à l’égard d’une drogue nouvelle et être ainsi exempté de l’interdiction de la commercialisation de drogues nouvelles, le fabricant doit remplir les nombreuses conditions auxquelles le Règlement subordonne la délivrance d’un tel ADC, notamment celle du dépôt d’une PDN ou d’une PADN.

[105]   Il ne fait aucun doute qu’une interdiction sans exceptions protégerait le public contre les drogues dangereuses. Cependant, elle irait à l’encontre du but recherché, puisque alors aucune drogue nouvelle ne serait jamais mise sur le marché. La santé et la sécurité publiques en souffriraient donc, étant donné qu’on n’essaierait pas de découvrir et de commercialiser des drogues nouvelles. Par conséquent, l’État a prévu une exception pour éviter les effets indésirables d’une interdiction totale de la commercialisation de drogues nouvelles. Cette exception permet au fabricant de démontrer au ministre que sa drogue nouvelle est sans danger et efficace en lui présentant une PDN ou une PADN. Autrement dit, l’État a essayé de trouver un équilibre entre son obligation de protéger les Canadiens contre les drogues dangereuses et son obligation de leur donner accès à des drogues nouvelles à la fois sans danger et efficaces.

[106]   Jusqu’à une date récente, le Règlement se préoccupait principalement des « innovateurs » qui investissent des sommes considérables dans la recherche de drogues nouvelles, sans danger et efficaces. J’ai déjà exposé la procédure de la PDN, par laquelle l’innovateur essaie d’obtenir un ADC pour sa nouvelle drogue. Comme l’a constaté le juge au paragraphe 46 de ses motifs, cette procédure coûte très cher et prend beaucoup de temps.

[107]   Le Règlement a été récemment modifié de manière à permettre aux génériqueurs de bénéficier de l’exemption de l’interdiction. Le génériqueur peut maintenant démontrer par la procédure de la PADN l’innocuité et l’efficacité de sa drogue nouvelle. Cette procédure, ainsi que le juge le fait observer au paragraphe 46 de ses motifs, exige aussi beaucoup de temps et d’argent, mais pas autant que la procédure à laquelle sont soumis les innovateurs. Cette différence s’explique par le fait que le génériqueur peut obtenir un ADC pour sa drogue nouvelle en établissant qu’elle est l’équivalent pharmaceutique du produit de référence canadien (créé par un innovateur), c’est‑à‑dire qu’elle contient le même ingrédient médicinal que lui, en quantité identique sous une forme posologique comparable.

[108]   Ainsi, le génériqueur n’a pas à évaluer directement l’innocuité et l’efficacité cliniques de sa drogue sur la base d’études cliniques. Il utilise plutôt la drogue nouvelle d’un innovateur pour en démontrer la bioéquivalence avec la sienne. En ce sens, comme je l’ai déjà expliqué, le génériqueur s’appuie en fait, au moins indirectement, sur les renseignements et données que l’innovateur a communiqués dans sa PDN.

[109]   La procédure de la PADN, en permettant aux génériqueurs de commercialiser leurs produits, rend possible l’entrée sur le marché canadien d’un plus grand nombre de drogues nouvelles, ainsi que la baisse de leurs prix, les médicaments génériques se vendant en général moins cher que les « drogues innovantes ». Cependant, l’entrée de drogues nouvelles génériques moins chères que leurs produits peut avoir pour effet de décourager les innovateurs de découvrir d’autres « drogues innovantes » pour les Canadiens. Plus précisément, à moins de pouvoir rentrer dans leurs dépenses et tirer un bénéfice raisonnable de la vente de leurs drogues nouvelles, les innovateurs n’auront pas d’incitation à faire des recherches pour trouver de telles drogues.

[110]   C’est en fonction de cette préoccupation qu’on a promulgué le RPD afin de mettre en œuvre l’article 1711 de l’ALENA et le paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC, qui visent à protéger les innovateurs à l’égard des « données non divulguées résultant d’essais ou d’autres données non divulguées » qu’ils doivent communiquer aux organismes d’État compétents pour obtenir l’approbation de leurs drogues nouvelles.

[111]   J’essaierai maintenant d’établir le caractère véritable du RPD à la lumière de ce contexte.

[112]   Comme le REIR l’explique sans ambiguïté, l’État visait, par la promulgation du RPD, à créer « un meilleur équilibre entre la nécessité de disposer de drogues nouvelles et celle de préserver l’aspect concurrentiel du marché afin de faciliter l’accès à ces drogues » (non souligné dans l’original). Pour trouver la source de cette proposition, il faut examiner le RPD dans le contexte de l’ensemble du système de règlementation qu’établit le Règlement.

[113]   À mon avis, l’examen de ce contexte intégral révèle que le RPD est un mécanisme jugé nécessaire pour équilibrer les effets du système de réglementation établi par le Règlement, dont l’objet est de protéger la santé et la sécurité publiques. On remarque notamment que le RPD joue un rôle important relativement à la procédure de la PADN, en neutralisant ou réduisant les effets défavorables qu’elle pourrait entraîner. Plus précisément, le RPD, en octroyant aux innovateurs une période d’exclusivité de marché de huit ans, met en place un régime propre à les inciter à poursuivre leur recherche de « drogues innovantes ». En dernière analyse, le RPD a pour raison d’être d’encourager la création et le développement de drogues nouvelles, ce qui, on ne saurait guère le contester, constitue un objectif valable de santé et de sécurité publiques.

[114]   S’il est vrai, comme le juge l’a conclu au paragraphe 79 de ses motifs, que le RPD vise « un équilibre de considérations commerciales entre la protection des investissements des fabricants innovateurs […] et l’approbation éventuelle par un avis de conformité de la PADN d’un fabricant de génériques », il s’est trompé, à mon humble avis, en omettant de prendre en considération l’intégralité du contexte de ce règlement. L’objet véritable du RPD n’est pas d’établir un équilibre entre les intérêts commerciaux des innovateurs et des génériqueurs, mais plutôt de faire en sorte que les Canadiens aient suffisamment accès à des drogues nouvelles, sans danger et efficaces, à des prix raisonnables. Autrement dit, le Règlement considéré dans son ensemble encourage la recherche et le développement de nouveaux médicaments propres à sauver des vies, à prévenir et guérir des maladies, et à améliorer en général la santé des Canadiens, qui ne peuvent profiter de la découverte et du développement de tels médicaments qu’après que les données et l’information produites par des essais précliniques et cliniques approfondis ont démontré l’innocuité et l’efficacité de ces « drogues innovantes » de manière à convaincre le ministre. Le RPD joue un rôle important dans ce système de réglementation.

[115]   Au paragraphe 76 de ses motifs, le juge met en question le passage du REIR selon lequel le RPD a été promulgué pour encourager les innovateurs et/ou leur permettre de récupérer leurs investissements, et ainsi favoriser le développement de drogues nouvelles. Selon lui, « la preuve sur ce point est davantage une affirmation logique qu’une démonstration claire que, en l’absence de cette disposition, les innovateurs ne présentent ou ne présenteront pas de médicaments nouveaux en vue d’en obtenir l’approbation ». À mon humble avis, le juge se trompe sur ce point, en ce que les tribunaux ayant à déterminer le caractère véritable d’une loi ne doivent pas se préoccuper de son efficacité, c’est‑à‑dire de savoir si elle atteint en fait le but dans lequel on l’a promulguée. Le juge La Forest a expliqué ce principe dans ses motifs dissidents, au paragraphe 44 de l’arrêt RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199 :

Lorsqu’il est admis, comme cela doit l’être à mon avis, que l’usage du tabac a des effets nocifs sur la santé et que, lors de l’adoption de la loi en question, le Parlement souhaitait lutter contre ces effets, alors la sagesse de la méthode qu’il a choisie ne peut être déterminante relativement à sa compétence de légiférer. L’analyse du caractère véritable d’une loi a pour but de déterminer l’objet sous‑jacent que visait le Parlement au moment de l’adoption de cette loi; il ne s’agit pas de déterminer s’il a choisi cet objet judicieusement ou s’il l’aurait atteint plus efficacement en légiférant autrement; […] [Non souligné dans l’original.]

[116]   La Cour suprême a répété unanimement ce principe au paragraphe 18 du Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783 :

Les effets juridiques d’une loi sont déterminés par l’examen de son application et de ses effets sur les Canadiens. Le procureur général de l’Alberta dit que la loi ne réussira pas à atteindre son but. Selon lui, pour ce qui a trait à un objet de droit criminel, le régime législatif sera inefficace (p. ex. les criminels n’enregistreront pas leurs armes); là où elle aura un effet, la loi ne contribuera pas à la lutte contre le crime (p. ex. en imposant aux agriculteurs de la paperasserie inutile). Ces préoccupations ont été adressées, comme il se doit, au Parlement qui les a examinées. Dans le cadre de ses compétences constitutionnelles, c’est au Parlement qu’il appartient de juger s’il est probable qu’une mesure atteindra le but poursuivi; l’efficacité n’est pas pertinente dans le cadre de l’analyse du partage des pouvoirs par notre Cour : […] [Non souligné dans l’original.]

[117]   Je conclus donc que le caractère véritable du RPD est la mise en œuvre de l’article 1711 de l’ALENA et du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC, aux fins de favoriser le développement de drogues nouvelles, lequel constitue un objectif valable de santé et de sécurité publiques.

[118]   Je passe maintenant à la question de savoir si le caractère véritable du RPD relève de la compétence législative que la Loi constitutionnelle attribue à l’État fédéral. À mon sens, le RPD constitue un exercice valide de la compétence fédérale en matière de droit criminel que prévoit le paragraphe 91(27) de ladite Loi constitutionnelle.

[119]   La Cour suprême, soulignant la nature absolue de la compétence en matière de droit criminel que le paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle confère à l’État fédéral, a délimité cette compétence au paragraphe 32 de l’arrêt RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), où l’on peut lire ce qui suit sous la plume du juge La Forest (dissident quant au résultat, mais cautionné par la majorité sur ce point) :

Vu que la santé comme matière constitutionnelle présente un caractère « informe » et qu’il s’ensuit que tant le Parlement que les législatures provinciales peuvent validement légiférer dans ce domaine, il importe de faire ressortir de nouveau la nature plénière de la compétence en matière de droit criminel. Dans le Renvoi sur la margarine, précité, aux pp. 49 et 50, le juge Rand établit clairement que la protection de la « santé » constitue un des « buts habituels » du droit criminel, et que la compétence en matière de droit criminel peut validement être exercée pour protéger le public contre un « effet nuisible ou indésirable ». Le fédéral possède une vaste compétence pour ce qui est de l’adoption de lois en matière criminelle relativement à des questions de santé, et cette compétence n’est circonscrite que par les exigences voulant qu’elles comportent une interdiction accompagnée d’une sanction pénale, et qu’elles visent un mal légitime pour la santé publique. Si une loi fédérale donnée possède ces caractéristiques et ne constitue pas par ailleurs un empiétement « spécieux » sur la compétence provinciale, c’est alors une loi valide en matière criminelle; voir Scowby, précité, aux pp. 237 et 238. [Non souligné dans l’original.]

[120]   À mon sens, le critère que la Cour suprême a formulé dans l’arrêt RJR-MacDonald se trouve rempli dans la présente espèce. Premièrement, pour ce qui concerne l’interdiction, l’article C.08.002 [mod. par DORS/93-202, art. 24; 95-411, art. 4] du Règlement dispose qu’il est interdit de vendre ou d’annoncer une drogue nouvelle à moins que ne soient réunies les conditions qu’il énonce, qui sont entre autres le dépôt d’une PDN et la délivrance d’un ADC. Deuxièmement, en ce qui a trait à la nécessité d’une sanction pénale, l’article 31 [mod. par L.C. 1997, ch. 6, art. 91] de la Loi, libellé comme suit, prévoit bien des sanctions de cette nature :

31. Sous réserve de l’article 31.1, quiconque contrevient à la présente loi ou aux règlements pris sous le régime de la présente partie commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité :

a) par procédure sommaire, pour une première infraction, une amende maximale de cinq cents dollars et un emprisonnement maximal de trois mois, ou l’une de ces peines et, en cas de récidive, une amende maximale de mille dollars et un emprisonnement maximal de six mois, ou l’une de ces peines;

b) par mise en accusation, une amende maximale de cinq mille dollars et un emprisonnement maximal de trois ans, ou l’une de ces peines.

Contravention à la Loi ou aux règlements

[121]   Il reste à établir si se trouve rempli dans la présente espèce le troisième volet du critère formulé par le juge La Forest, à savoir que la loi considérée doit viser « un mal légitime pour la santé publique ». Il faut à mon sens répondre à cette question par l’affirmative.

[122]   On ne saurait mettre en doute, à mon avis, que le régime établi par le Règlement contribue à la protection de la santé et de la sécurité publiques, l’un des « buts habituels » du droit criminel; voir Standard Sausage Co. v. Lee (1933), 47 B.C.R. 411 (C.A.C.‑B.); et R. c. Wetmore et autres, [1983] 2 R.C.S. 284. Autrement dit, le Règlement a pour raison d’être de protéger le public contre la vente de médicaments dangereux et/ou inefficaces tout en faisant en sorte de lui donner accès à des médicaments sans danger et efficaces.

[123]   Comme le juge le fait observer au paragraphe 81 de ses motifs, aucune des parties ne conteste que la protection de la santé et de la sécurité publiques relève sans ambiguïté de la compétence législative fédérale en matière de droit criminel, et que la Loi et le Règlement constituent un système valide de réglementation de la santé et de la sécurité publiques. Ce qui est contesté, c’est le point de savoir si le RPD, pour reprendre les termes du juge, « fait partie intégrante d’un système légal valide ».

[124]   Il est important de se rappeler que le juge a conclu que le RPD ne fait pas partie intégrante du Règlement, mais qu’il en constitue plutôt une partie accessoire (motifs du juge, paragraphe 83). Cependant, il explique au paragraphe 102 de ses motifs que le RPD, « bien qu’il soit accessoire à ce système, plutôt que partie intégrante de celui‑ci, constitue un “complément” du système fédéral valide de réglementation établi pour la commercialisation des médicaments au Canada ».

[125]   À mon avis, le RPD n’est manifestement pas séparable du système global de droit criminel qu’établit le Règlement, système auquel, comme je l’ai déjà expliqué, il contribue. Le juge, comme je l’ai aussi expliqué plus haut, a commis une erreur en limitant sa détermination du caractère véritable au libellé du RPD et de sa loi habilitante, sans prendre en considération l’ensemble du système. Par conséquent, il lui a échappé que le RPD contribue au système global visant à protéger la santé et la sécurité publiques et en fait ainsi partie intégrante.

[126]   Mis à part l’interdiction de commercialiser des drogues nouvelles que formule le paragraphe C.08.002(1) du Règlement et l’exception prévue pour ceux qui convainquent le ministre de l’innocuité et de l’efficacité de leur drogue nouvelle et se voient en conséquence délivrer un ADC, le régime législatif, qui comprend le RPD, se rapporte aux conditions auxquelles est subordonnée l’exemption de poursuites pénales. À mon sens, on ne peut contester sérieusement que l’exemption d’une interdiction de droit criminel, exemption qui englobe nécessairement toutes les conditions dont elle dépend, constitue de la même façon que l’interdiction elle‑même un exercice de la compétence en matière de droit criminel (voir le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, aux paragraphes 38 à 40).

[127]   Donc, dans la mesure où elle peut être rattachée aux objectifs de droit criminel de la législation, l’exemption de l’interdiction constitue un exercice de la compétence en matière de droit criminel. En l’occurrence, l’objectif de droit criminel de la législation est de faire en sorte que seules des drogues sans danger soient mises à la disposition des Canadiens; voir C.E. Jamieson & Co. (Dominion) c. Canada (Procureur général), [1988] 1 C.F. 590 (1re inst.).

[128]   Récapitulons l’ensemble du contexte. Le paragraphe C.08.002(1) du Règlement formule l’interdiction de commercialiser des drogues nouvelles et prévoit l’exemption de cette interdiction, subordonnée au dépôt d’une PDN suivi de la délivrance d’un ADC. Les paragraphes C.08.002(2) et (3) précisent les modalités du dépôt de la PDN, notamment les renseignements qui doivent être communiqués pour démontrer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle. L’article C.08.002.1 [édicté par DORS/95-411, art. 5] énumère les conditions précises auxquelles on peut déposer une PADN et les renseignements qu’il faut fournir pour convaincre le ministre de l’innocuité et de l’efficacité de la drogue nouvelle qui en fait l’objet. L’article C.08.003.1 [édicté par DORS/2001-203, art. 5] autorise le ministre à examiner certaines catégories de renseignements non communiqués par le fabricant dans sa PDN ou sa PADN, aux fins d’établir si l’innocuité et l’efficacité de la drogue ont été démontrées. L’article C.08.004 [mod. par DORS/95-411, art. 6] dispose que le ministre, après avoir examiné la PDN ou la PADN, doit soit délivrer un ADC au fabricant, soit l’informer de la non‑conformité de sa présentation. Enfin, le RPD énonce d’autres conditions qui doivent être remplies relativement au dépôt d’une PADN et à la délivrance de l’ADC y afférent. Prises ensemble, ces dispositions définissent l’exemption de poursuites pénales pour ce qui concerne la commercialisation d’une drogue nouvelle.

[129]   J’estime que le RPD remplit les trois volets du critère formulé par la Cour suprême dans l’arrêt RJR‑MacDonald.

[130]   J’estime également que le RPD n’empiète nullement sur les matières relevant de la compétence provinciale, puisque les provinces n’ont absolument aucun rôle à jouer dans l’approbation des drogues nouvelles sur les bases de l’innocuité et de l’efficacité. En outre, le RPD n’empiète pas non plus sur la compétence provinciale pour autoriser les génériqueurs à commercialiser leurs drogues. Le juge formule à ce sujet l’observation suivante au paragraphe 106 de ses motifs :

Le Règlement sur la protection des données porte sur l’autorisation de la commercialisation de médicaments nouveaux. Les législatures provinciales ne peuvent adopter de loi qui retarde l’approbation des médicaments génériques parce que l’approbation par les provinces de médicaments en vue de la commercialisation entrerait en conflit de façon caractérisée avec la compétence fédérale en matière de droit criminel, prévue au paragraphe 91(27), permettant d’interdire la commercialisation de drogues, sauf celles dont l’innocuité et l’efficacité ont été établies.

[131]   On voit donc que les conditions fixées par le RPD aux génériqueurs et au ministre en ce qui a trait au dépôt de la PADN et à la délivrance de l’ADC y afférent n’empiètent pas sur la compétence provinciale au sens constitutionnel.

[132]   Pour conclure, le RPD me paraît avoir un lien rationnel et fonctionnel avec le régime législatif fédéral qui détermine l’approbation des drogues nouvelles, et contribuer manifestement à l’équilibration des effets d’une procédure établie par l’État fédéral pour protéger la santé et la sécurité publiques en vertu de sa compétence législative en matière de droit criminel. Étant donné cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si le RPD relève d’un autre chef de compétence législative fédérale, tel que celui du paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle ou celui de la paix, de l’ordre et du bon gouvernement.

DÉCISION

[133]   Je rejetterais les appels avec un seul mémoire de dépens en faveur des intimés.

La juge Sharlow, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Layden-Stevenson, J.C.A. : Je suis d’accord.

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