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[2012] 4 R.C.F. 457

IMM-3686-10

2011 CF 278

Ratnasingam Ramalingam (alias Ramalingam Ratnasingam) (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Ramalingam c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Scott—Toronto, 10 février; Ottawa, 16 mars 2011.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent des visas, en vertu de l’art. 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, refusant la demande de résidence permanente présentée par le demandeur dans la catégorie des personnes à charge des réfugiés — Le demandeur n’a pas réussi à convaincre l’agent qu’il n’était pas interdit de territoire au Canada; l’agent a refusé la demande de visa en se fondant sur l’art. 11(1) de la Loi — L’art. 11 de la Loi peut-il être invoqué pour justifier à lui seul le refus de délivrer un visa? La décision de l’agent, en l’espèce, était-elle raisonnable? — L’interprétation que fait le défendeur de l’art. 11(1) de la Loi, selon laquelle l’agent ne peut, en droit, délivrer un visa à un demandeur que s’il est convaincu que celui-ci n’est pas interdit de territoire, est plus logique que celle du demandeur — Il n’y a rien, dans la Loi ou dans ses règlements d’application, qui laisse croire que la personne qui cherche à immigrer au Canada est, par défaut, non interdite de territoire — En conséquence, un agent peut rejeter une demande sans avoir à conclure expressément que le demandeur est interdit de territoire, au motif que la preuve n’est pas suffisante pour déterminer que le demandeur n’est pas interdit de territoire — En l’espèce, la décision de l’agent était raisonnable dans les circonstances — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent des visas du Haut-Commissariat du Canada à Colombo, au Sri Lanka, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, refusant la demande de résidence permanente présentée par le demandeur dans la catégorie des personnes à charge des réfugiés. Le demandeur est un Sri Lankais d’origine tamoule, dont la femme avait demandé et obtenu l’asile au Canada et l’avait parrainé. L’agent qui a interrogé le demandeur a jugé que celui-ci ne remplissait pas les conditions requises pour pouvoir immigrer au Canada. Plus particulièrement, l’agent a estimé que le demandeur est demeuré évasif, qu’il n’a pas dit la vérité et qu’il manquait de crédibilité sur plusieurs aspects de ses antécédents. Le demandeur n’a pas réussi à convaincre l’agent qu’il n’était pas interdit de territoire au Canada, et l’agent n’est pas allé au-delà de l’appréciation des antécédents du demandeur. Celui-ci s’est vu refuser un visa sur le fondement du paragraphe 11(1) de la Loi, qui oblige le demandeur à fournir des renseignements propres à convaincre l’agent qu’il n’est pas interdit de territoire. Le principal argument du demandeur était que l’agent a commis une erreur de droit en rejetant la demande sur le seul fondement du paragraphe 11(1) de la Loi.

 Les questions en litige étaient les suivantes : l’article 11 de la Loi peut-il être invoqué pour justifier à lui seul le refus de délivrer un visa? La décision de l’agent était-elle raisonnable?

Jugement : La demande doit être rejetée.

L’interprétation que le défendeur a faite du paragraphe 11(1) de la Loi était plus logique que celle du demandeur, compte tenu du libellé de cette disposition. Le défendeur a soutenu qu’un agent ne peut, en droit, délivrer un visa à un demandeur que s’il est convaincu que celui-ci n’est pas interdit de territoire; il n’y a rien dans la Loi ou dans ses règlements d’application qui laisse croire que la personne qui cherche à immigrer au Canada est, par défaut, non interdite de territoire. L’agent doit être convaincu que l’intéressé n’est pas interdit de territoire après avoir examiné et apprécié la preuve. En conséquence, l’agent peut rejeter une demande sans avoir à conclure expressément que le demandeur est interdit de territoire, au motif que, comme le demandeur n’a pas donné un portrait complet de ses antécédents, l’agent n’est pas en mesure de conclure que le demandeur « n’est pas interdit de territoire ».

La décision de l’agent était raisonnable dans les circonstances. L’appréciation qu’a faite l’agent de la crédibilité du demandeur et des réponses évasives de ce dernier n’était pas déraisonnable dans l’ensemble, et c’est à l’agent qu’il revient de faire cette appréciation. D’après les conclusions auxquelles il est arrivé, il lui était impossible de déterminer que le demandeur n’était pas en fait interdit de territoire, puisqu’il n’était pas en mesure de déterminer que le demandeur était interdit de territoire pour une raison précise.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, art. 9(3).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 11 (mod. par L.C. 2008, ch. 28, art. 116), 16, 33, 34, 35, 36 (mod., idem, ch. 3, art. 3), 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 72(1).

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Kumarasekaram c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1311.

décisions examinées :

Manigat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15703 (C.F. 1re inst.); Kang c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1981] 2 C.F. 807 (C.A.); Zhong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1636; Lu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 159; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 41; Kazimirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15869 (C.F. 1re inst.); Vimalenthirakumar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1181; Shi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1224; Zhou c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1230, [2012] 3 R.C.F. 123.

décisions citées :

Wang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 798; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Ghasemzadeh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 716, [2012] 1 R.C.F. 116; Belousyuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 746; Nadarasa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1112; Yousefian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 529.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent des visas, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, refusant la demande de résidence permanente présentée par le demandeur dans la catégorie des personnes à charge des réfugiés. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Lorne Waldman pour le demandeur

Nadine Silverman pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Waldman & Associates, Toronto, pour le demandeur

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        Le juge Scott : La Cour est saisie d’une demande présentée par Ratnasingam Ramalingam (le demandeur) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la Loi], en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision rendue par M. Frazer Mark, agent des visas (l’agent) du Haut-commissariat du Canada à Colombo, au Sri Lanka. L’agent a refusé la demande de résidence permanente présentée par le demandeur dans la catégorie des personnes à charge des réfugiés. Le fils du demandeur, Thanajan, est une personne à charge dans la présente demande.

I.          Les faits

[2]        Né le 19 mars 1949, le demandeur est un Sri Lankais d’origine tamoule. Son fils Thanajan est né le 9 mars 1985. Le demandeur a épousé sa femme en 1975, et ils ont eu en tout cinq enfants : deux sont au Canada, deux se trouvent au Sri Lanka et un est au Royaume-Uni. La femme du demandeur, qui est également sa répondante, a demandé l’asile du fait des opinions politiques qui lui étaient imputées, de sa nationalité et de son appartenance à un groupe social déterminé.

[3]        Le demandeur explique qu’il a travaillé comme gardien de prison pour le gouvernement sri‑lankais de 1971 à 1991. Entre 1971 et 1976, il travaillait à Borella, une banlieue de Colombo, et, en 1976, il a été muté à la prison de Kopay à Jaffna. Il a pris sa retraite en 1991 et a ouvert une épicerie avec des membres de sa famille à Kopay. Au bout de cinq ans, il a laissé le commerce et est retourné à Colombo pour travailler comme gardien de sécurité dans une usine de vêtements.

[4]        Le demandeur allègue également les faits suivants :

a) des individus appartenant aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET) étaient au nombre des prisonniers dans l’établissement carcéral où le demandeur travaillait mais il n’a jamais été appelé à les garder;

b) le demandeur a commencé à recevoir une pension du gouvernement après 1991, alors qu’il travaillait encore;

c) le demandeur a donné de l’argent aux TLET à deux reprises : en 1991–1992, il leur a donné deux souverains d’or et, alors qu’il exploitait son épicerie, il a été contraint de leur remettre une taxe de 250 roupies par mois;

d) aucun des membres de la famille du demandeur ne s’est jamais joint aux TLET ou à tout autre groupe de militants. Les TLET ont adressé au demandeur plusieurs demandes, qu’il a refusées. On ne lui a pas fait de mal, ce qui n’était pas inusité, parce qu’il était âgé et à la retraite;

e) en 1996, le demandeur et sa famille se sont installés à Colombo en vue d’être parrainés par le fils aîné du demandeur et de pouvoir immigrer au Canada. En janvier 2006, la femme et la fille du demandeur se sont installées au Canada. Le demandeur a reçu des appels téléphoniques d’individus qui étaient au courant que sa femme et ses enfants étaient à l’étranger et qui menaçaient de kidnapper les autres enfants du demandeur s’il ne leur donnait pas d’argent. Le demandeur a demandé à sa femme de demander l’asile au Canada à ce moment-là. Sa demande d’asile a été acceptée;

f) le demandeur avait peur et il est parti avec ses deux autres enfants pour l’Inde, où ils ont séjourné de mars à décembre 2006. Il n’a pas réussi à subvenir à ses besoins en Inde et, comme la situation s’était améliorée au Sri Lanka, il est rentré au Sri Lanka.

[5]        Le demandeur a été reçu en entrevue par l’agent le 4 mai 2010. Le résumé de cette entrevue est contenu dans les notes versées au Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI), aux pages 7 à 9. Une lettre refusant la demande du demandeur a été envoyée le 18 mai 2010.

II.         La décision à l’examen

[6]        La lettre dans laquelle se trouve la décision explique qu’il a été jugé que le demandeur ne remplissait pas les conditions requises pour pouvoir immigrer au Canada. On y cite le paragraphe 16(1) de la Loi, qui oblige l’intéressé à répondre véridiquement à toutes les questions qui lui sont posées. L’agent affirme que le demandeur est demeuré évasif, qu’il n’a pas dit la vérité et qu’il manquait de crédibilité sur plusieurs aspects de ses antécédents. De nombreuses divergences ont été constatées entre les renseignements communiqués par le demandeur et ceux que sa femme avait donnés dans sa demande d’asile. Le demandeur n’a pas réussi à convaincre l’agent qu’il n’était pas interdit de territoire au Canada et l’agent n’est pas allé au-delà de l’appréciation des antécédents du demandeur. L’agent cite le paragraphe 11(1) [mod. par L.C. 2008, ch. 28, art. 116] de la Loi, qui prévoit que l’agent peut délivrer un visa « sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi ».

[7]        Dans le résumé de l’entrevue consigné dans les notes versées au système STIDI, l’agent relève que l’entrevue s’est déroulée en présence d’un interprète. L’agent a d’abord posé des questions au sujet des antécédents professionnels du demandeur. Le demandeur lui a répondu qu’il était à sa retraite et qu’il recevait une pension et qu’il avait exploité une épicerie avant de déménager à Colombo. Interrogé sur ce qu’il faisait à Colombo, le demandeur a expliqué qu’il avait travaillé comme gardien de prison, puis comme gardien de sécurité dans une usine de vêtements. Après avoir vérifié la chronologie des antécédents professionnels du demandeur, l’agent a signalé que ceux-ci n’étaient pas relatés dans la formule de demande. L’agent a fait observer, après confirmation auprès de l’interprète, que le demandeur avait modifié son récit à plusieurs reprises et qu’il [traduction] « a l’habitude de donner des réponses minimales à mes questions sans tenir compte de ce qu’il a déjà dit ».

[8]        Interrogé par l’agent sur les raisons qui avaient incité sa femme à demander l’asile, le demandeur a répondu qu’il lui avait demandé de présenter une demande d’asile à cause des problèmes qu’il avait au Sri Lanka. L’agent a relevé qu’il était déclaré dans le FRP [formulaire de renseignements personnels] de la femme du demandeur qu’elle avait elle-même eu des problèmes avant de quitter le Sri Lanka et qu’elle n’évoquait pas les problèmes du demandeur. Le demandeur a alors ajouté qu’elle avait elle aussi eu son lot de problèmes. Il y avait des divergences entre le FRP de l’épouse et les réponses du demandeur au sujet de la question de savoir si la famille avait déjà été déplacée avant le séjour en Inde. L’épouse avait répondu par l’affirmative et le demandeur, par la négative, pour ensuite se rétracter lorsqu’on l’a interrogé au sujet de la réponse que sa femme avait donnée.

[9]        Le demandeur a nié avoir eu le moindre contact avec les TLET, mais a mentionné qu’il leur avait donné deux souverains d’or et qu’il avait refusé de leur donner plus d’argent. Interrogé au sujet des conséquences de son refus, il a parlé de la taxe de 250 roupies qu’il leur avait payée pendant quatre ans. Il a affirmé avoir refusé de leur donner de la nourriture, tout en affirmant que son refus n’avait pas eu de conséquences. Il a également expliqué que ses enfants avaient refusé de joindre les rangs des TLET lorsque des membres des TLET étaient venus à leur école pour les recruter, et a ajouté que ses enfants n’avaient pas eu à subir de conséquences eux non plus. Il a expliqué que son fils avait refusé de servir de sentinelle pour les TLET, mais l’agent a fait observer que le fils avait affirmé qu’il avait été obligé de fournir ce service. L’agent a demandé si les TLET savaient que le demandeur avait déjà travaillé pour le gouvernement. Le demandeur a répondu qu’ils le savaient et qu’ils lui avaient demandé de quitter la région, mais qu’ils l’avaient laissé tranquille après qu’il eut refusé. L’agent a estimé que ces déclarations n’étaient pas crédibles.

[10]      Le demandeur a parlé des menaces d’enlèvement et du séjour en Inde et l’agent a relevé que ces faits n’étaient mentionnés dans aucun des FRP et qu’ils n’étaient pas crédibles à son avis. Le demandeur affirmait qu’il était rentré au Sri Lanka lorsque la situation s’était améliorée. L’agent a demandé au demandeur de lui expliquer pourquoi il voulait que sa femme demande l’asile au Canada si la situation s’était améliorée. Le demandeur a alors reparlé des menaces d’enlèvement.

[11]      L’agent a fait observer que, dans l’ensemble, le demandeur avait donné des « réponses minimales » pendant toute la durée de l’entrevue et qu’il avait modifié à plusieurs reprises la version des « faits ». Il était évasif et peu crédible dans ses réponses, à tel point que l’agent n’arrivait pas à faire la distinction entre les faits et la fiction. La version des faits donnée par les divers membres de la famille se contredisait, et l’agent avait constaté des contradictions troublantes au sujet des rapports du demandeur avec les TLET. L’agent ne pouvait, « en conscience », aller plus loin que l’appréciation des antécédents du demandeur. Il a examiné le dossier en fonction de l’existence d’éventuelles raisons d’ordre humanitaire, mais a conclu que ces raisons ne soustrayaient pas le demandeur à l’exigence d’une vérification de ses antécédents.

III.        Dispositions législatives applicables

[12]      Voici les dispositions pertinentes de la Loi :

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

[…]

Visa et documents

16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

Obligation du demandeur

(2) S’agissant de l’étranger, les éléments de preuve pertinents visent notamment la photographie et la dactyloscopie et il est tenu de se soumettre, sur demande, à une visite médicale.

Éléments de preuve

(3) L’agent peut exiger ou obtenir du résident permanent ou de l’étranger qui fait l’objet d’une arrestation, d’une mise en détention, d’un contrôle ou d’une mesure de renvoi tous éléments, dont la photographie et la dactyloscopie, en vue d’établir son identité et vérifier s’il se conforme à la présente loi.

[…]

Établissement de l’identité

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

b) être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations;

c) l’annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d’asile;

d) la perte de la citoyenneté au titre de l’alinéa 10(1)a) de la Loi sur la citoyenneté dans le cas visé au paragraphe 10(2) de cette loi.

Fausses déclarations

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :

a) l’interdiction de territoire court pour les deux ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

b) l’alinéa (1)b) ne s’applique que si le ministre est convaincu que les faits en cause justifient l’interdiction.

Application

IV.       Questions en litige et norme de contrôle applicable

[13]      La présente demande soulève les questions suivantes :

A. L’article 11 [mod. par L.C. 2008, ch. 28, art. 116] de la Loi peut-il être invoqué pour justifier à lui seul le refus de délivrer un visa?

B. La décision de l’agent était-elle raisonnable?

[14]      Les parties s’entendent pour dire que la norme de contrôle qui s’applique à cette dernière question est celle de la décision raisonnable, l’appréciation des faits et de la crédibilité du demandeur faite par l’agent commandant la retenue de la Cour (Wang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 798, au paragraphe 11). La première question est par contre assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte étant donné qu’il s’agit d’une question de droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 47 et 48).

V.        Analyse

A.        L’article 11 de la Loi peut-il être invoqué pour justifier à lui seul le refus de délivrer un visa?

[15]      Le principal argument du demandeur est que l’agent a commis une erreur de droit en rejetant la demande sur le seul fondement du paragraphe 11(1) de la Loi. Le demandeur affirme que l’unique question litigieuse soumise à l’agent était de savoir si le demandeur était ou non interdit de territoire. Le demandeur affirme que le paragraphe 11(1) ne saurait être invoqué pour justifier à lui seul le refus d’une demande de résidence permanente et il fait valoir que, pour pouvoir conclure à l’interdiction de territoire au Canada, l’agent devait se fonder sur l’une des dispositions que prévoit la Loi à cet égard, et plus précisément sur les articles 33 à 43 [art. 36 (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 3)]. Le demandeur affirme qu’à défaut de conclusion fondée sur l’une ou l’autre de ces dispositions, l’agent ne pouvait rejeter sa demande que s’il refusait de fournir sur demande les renseignements pertinents. Le demandeur se fonde principalement sur le jugement Manigat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15703 (C.F. 1re inst.), pour faire cette affirmation. Dans l’affaire Manigat, la demanderesse avait refusé de se soumettre à une analyse génétique visant à prouver que les personnes à sa charge étaient ses enfants biologiques. La Cour a déclaré ce qui suit (au paragraphe 12) :

En l’espèce, il est important de souligner que l’agent n’a pas rejeté la demande au motif que les enfants n’étaient pas à la charge de l’épouse du demandeur : il ne s’est aucunement prononcé sur cette question. La demande a été rejetée à défaut par la mère de produire des tests sanguins ADN qui auraient pu prouver les liens de filiation entre elle et ses enfants, vu que les déclarations de naissance tardives ou de présentations au temple ne satisfaisaient pas l’agent. Bref, l’épouse du demandeur n’a pas satisfait aux exigences de l’article 9(3) de la Loi n’ayant pu établir, de façon satisfaisante, le lien de filiation qui aurait démontré qu’elle avait des personnes à charge. Ce faisant, elle ne s’est pas acquittée de l’obligation qui lui incombait. L’agent des visas a donc eu raison de conclure que la non-observation, de la part de la requérante principale, des conditions du paragraphe 9(3) de la Loi justifiait le refus d’un visa […] [Note en bas de page omise.]

[16]      Le demandeur affirme que le jugement Manigat est bien fondé, mais qu’il a une portée limitée, de sorte qu’on ne peut rejeter une demande au motif que l’intéressé n’a pas réussi à démontrer qu’il n’est pas interdit de territoire, sauf s’il refuse de fournir les renseignements pertinents qu’on lui réclame. En l’espèce, le demandeur affirme qu’il n’a pas omis de fournir les renseignements que l’agent lui a demandés et il nie avoir été évasif.

[17]      Dans ses observations écrites, le demandeur affirme qu’en permettant à l’agent de refuser sa demande sur le seul fondement de l’article 11, on créerait un dangereux précédent, étant donné que l’agent pourrait ainsi se livrer à des conjectures sans fin sur la possibilité que des renseignements n’aient pas été communiqués dans les cas où la preuve n’est pas suffisante pour conclure de façon certaine à l’interdiction de territoire. Le demandeur affirme que rien dans la jurisprudence n’appuie une interprétation aussi large et ouverte de l’article 11.

[18]      L’article 11 oblige le demandeur à fournir des renseignements propres à convaincre l’agent qu’il n’est pas interdit de territoire. Le demandeur affirme que l’agent ne peut conclure qu’il ne s’est pas conformé aux conditions ainsi prévues par la Loi que lorsque le demandeur refuse de fournir des renseignements. Le demandeur fait observer qu’un demandeur peut être interdit de territoire en vertu du paragraphe 40(1) parce qu’il refuse de communiquer des renseignements ou qu’il ne répond pas véridiquement aux questions, ainsi que la Cour l’a précisé dans le jugement Ghasemzadeh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 716, [2012] 1 R.C.F. 116. Le demandeur affirme que notre Cour ne devrait pas élargir la portée des motifs d’interdiction de territoire pour y inclure des situations dans lesquelles l’agent n’est pas satisfait de la réponse que le demandeur donne à sa question.

[19]      Le demandeur invoque aussi l’arrêt Kang c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1981] 2 C.F. 807 (C.A.), qui portait sur le paragraphe 9(3) de l’ancienne Loi [Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52] (le paragraphe 9(3) disposait : « Toute personne doit répondre sincèrement aux questions de l’agent des visas et produire toutes les pièces qu’il réclame pour établir que son admission ne contreviendrait pas à la présente loi ni aux règlements ») (à la page 809) :

Pour trancher cet appel, il n’est pas nécessaire d’examiner si le père de l’appelante a contrevenu au paragraphe 9(3) en mentant à l’agent des visas. Ainsi que je l’ai dit à l’audience, le fait qu’une personne demandant un visa a contrevenu au paragraphe 9(3) ne la fait pas tomber dans la catégorie des personnes non admissibles au sens de l’alinéa 19(2)d).

[20]      Le demandeur cite également le jugement Zhong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1636, qui portait sur une interdiction de territoire pour cause de « grande criminalité » au sens de l’article 36, de même que le jugement Lu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 159, dans lequel notre Cour a confirmé une conclusion de fausse déclaration tout en refusant de déclarer le demandeur « interdit de territoire au Canada pour criminalité ».

[21]      Dans ses observations écrites, le demandeur cite également l’affaire Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 41, dans laquelle la Cour a annulé un refus fondé sur l’omission du demandeur de convaincre l’agent qu’il n’était pas interdit de territoire. Il y avait eu un manquement à l’équité, mais la Cour avait également annulé la décision parce que l’agent ne pouvait refuser un candidat sélectionné par le Québec que s’il y avait un constat d’interdiction de territoire. Le demandeur affirme que les observations incidentes suivantes sont pertinentes (au paragraphe 18) :

L’alinéa 9(1)a) de la Loi prévoit qu’un demandeur obtiendra le statut de résident permanent s’il satisfait aux exigences de sélection du Québec à titre d’investisseur et qu’il n’est pas interdit de territoire. L’agent des visas n’a pas conclu que le demandeur était interdit de territoire; en fait, l’agent des visas a déclaré qu’il ne pouvait pas [traduction] « être convaincu que le demandeur n’est pas interdit de territoire ». Il ne s’agit pas d’une conclusion selon laquelle le demandeur est interdit de territoire. Si l’agent des visas avait conclu que M. Chen ne répondait pas véridiquement aux questions au sujet de la source de ses fonds, comme l’exige l’article 16 de la Loi, il aurait pu conclure que M. Chen était interdit de territoire en vertu des articles 40 ou 41 de la Loi. Il ne l’a pas fait et, compte tenu de l’alinéa 9(1)a) de la Loi, il n’avait pas la compétence pour refuser le visa de résident permanent à M. Chen.

[22]      Le demandeur affirme que si l’agent avait conclu qu’il ne répondait pas véridiquement aux questions ou qu’il refusait de communiquer des renseignements, il aurait dû rejeter sa demande en invoquant les articles 40 ou 41 et qu’il ne pouvait se contenter de ne citer que l’article 11.

[23]      Le demandeur cite les jugements Belousyuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 746; Nadarasa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1112, et Yousefian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 529, comme exemples de demandeurs dont la demande avait été rejetée pour fausse déclaration pour d’autres motifs. Le demandeur signale que, dans le jugement Kazimirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15869 (C.F. 1re inst.), la Cour a effectivement confirmé un refus fondé sur l’article 11, mais soutient que cela s’explique uniquement par le fait que, dans cette affaire, l’agent avait de toute évidence conclu que le demandeur n’était pas crédible lorsqu’il niait avoir trempé dans des crimes de guerre. Il y avait donc une conclusion claire de manque de véridicité qui équivalait à une conclusion de fausse déclaration.

[24]      Le principal argument du défendeur est que l’agent n’a pas réussi à tirer une conclusion d’interdiction de territoire en se fondant sur l’un des motifs énumérés aux articles 34 à 42 parce qu’il n’était pas en mesure de vérifier les antécédents du demandeur, et qu’il n’était donc pas en mesure de conclure que le demandeur n’était pas interdit de territoire au sens du paragraphe 11(1). L’agent n’a pas pu se rendre à l’étape à laquelle il devait continuer à évaluer la demande parce qu’il ne pouvait pas confirmer que le demandeur n’était pas interdit de territoire; suivant cette interprétation, l’examen prévu au paragraphe 11(1) est une composante nécessaire de toute évaluation d’une demande de résidence permanente. Le défendeur soutient qu’il n’y a pas de doute que l’agent ne peut, en droit, délivrer un visa à un demandeur que s’il est convaincu que celui-ci n’est pas interdit de territoire. Il n’y a rien dans la Loi ou dans ses règlements d’application qui laisse croire que la personne qui cherche à immigrer au Canada est, par défaut, non interdite de territoire.

[25]      Le défendeur affirme que les réponses du demandeur étaient suffisamment vagues et incohérentes pour empêcher l’agent de se prononcer avec quelque certitude sur les antécédents du demandeur. En raison du défaut du demandeur de se conformer à l’article 16, l’agent ne disposait pas des renseignements nécessaires pour déterminer si le demandeur était interdit de territoire ou non.

[26]      Dans ses observations écrites, le défendeur conteste l’interprétation étroite que le demandeur fait du jugement Manigat, et il fait valoir que, dans cette affaire, la décision s’expliquait par le fait que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’elle n’était pas interdite de territoire. Le défendeur affirme que les motifs exposés par la Cour dans ce jugement ne justifient pas l’interprétation étroite que le demandeur fait de cette décision. Dans l’affaire Manigat, la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir le lien de filiation qui était en cause; l’agent avait besoin de ce renseignement pour déterminer si elle était interdite de territoire ou non. Si le demandeur ne fournit pas les renseignements dont l’agent a besoin pour confirmer son identité, il est alors impossible à l’agent de déterminer que ce demandeur n’est pas interdit de territoire. Le défendeur affirme que l’interprétation du demandeur créerait une situation où les demandeurs pourraient mentir dans leurs observations sans s’exposer à des conséquences et où l’agent serait toujours obligé de conclure que le demandeur n’est pas interdit de territoire à moins qu’il refuse de fournir des renseignements ou qu’il tombe carrément sous le coup d’un des motifs d’interdiction de territoire.

[27]      Le défendeur soutient que le libellé du paragraphe 11(1) appuie l’interprétation suivant laquelle l’agent doit être convaincu que l’intéressé n’est pas interdit de territoire après avoir examiné et apprécié la preuve, et non que l’agent doit considérer que l’intéressé n’est pas interdit de territoire dès lors que tous les documents qu’il a réclamés ont été fournis. Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas démontré que l’application que l’agent a faite du paragraphe 11(1) était entachée d’une erreur de droit.

[28]      Le défendeur cite l’affaire Vimalenthirakumar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1181, où le demandeur tentait de faire valoir que l’agent avait estimé qu’il pouvait être admis au Canada lorsqu’il avait conclu qu’il n’était pas interdit de territoire (au paragraphe 18) :

Selon le demandeur, l’agent avait rendu une décision favorable et l’avait jugé admissible. Il soutient en fait qu’en consignant aux notes du STIDI qu’il n’était pas interdit de territoire, l’agent s’est dessaisi du dossier. Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, ni l’agent ni qui que ce soit d’autre à l’ambassade canadienne n’a rendu de décision favorable au demandeur ou déterminé que celui‑ci était admissible au Canada. L’agent a uniquement formulé une conclusion initiale ou préliminaire portant que le demandeur paraissait admissible, mais aucune décision n’a été rendue, aucun visa n’a été délivré, et l’agent a poursuivi l’examen de la demande […] [Souligné dans l’original.]

[29]      Le défendeur cite cette décision pour montrer que les expressions « admissible » et « non interdit de territoire » (en anglais « admissible » et « not inadmissible ») sont des concepts distincts et qu’en conséquence, le fait que l’intéressé n’a pas été expressément déclaré « interdit de territoire » pour l’un des motifs énumérés ne signifie pas nécessairement que le demandeur est pour autant « admissible ».

[30]      Le défendeur cite également le jugement Shi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1224, où la Cour a confirmé la conclusion de l’agent, qui avait estimé qu’il n’était pas en mesure de déterminer si l’étranger était interdit de territoire au sens de l’article 11 (aux paragraphes 7 et 8) :

Le principal défaut du raisonnement de M. Shi vient du fait que lagent des visas na pas conclu quil était interdit de territoire; il a plutôt rejeté sa demande. Le paragraphe 11(1) prévoit quune demande de visa ou dun autre document dentrée peut être rejetée pour deux motifs différents : a) parce que l’étranger est interdit de territoire ou b) parce quil ne se conforme pas à la LIPR. En lespèce, lagent des visas a fondé sa décision sur deux conclusions :

- il n’était pas certain de la manière dont M. Shi avait accumulé sa fortune;

- il n’était pas convaincu que M. Shi s’était conformé aux paragraphes 11(1) et 16(1) de la LIPR.

Lagent des visas na pas conclu que M. Shi était interdit de territoire suivant lune des dispositions des articles 34 à 41. Sil lavait fait, les conséquences auraient été beaucoup plus graves que le simple rejet de la demande de résidence permanente. Par exemple, M. Shi naurait pas pu, suivant larticle 179 du Règlement, obtenir un visa de résident temporaire au titre de la catégorie des visiteurs, des travailleurs ou des étudiants, car un étranger doit démontrer quil nest pas interdit de territoire sil veut obtenir un tel visa (alinéa 179e) du Règlement). Même si sa demande de résidence permanente a été rejetée, M. Shi peut toujours (sous réserve dun contrôle et dautres critères dadmissibilité) être autorisé à venir au Canada en qualité de visiteur.

[31]      Le défendeur cite également l’affaire Kumarasekaram c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1311, où l’agent avait conclu que le demandeur ne l’avait pas convaincu qu’il n’était pas interdit de territoire étant donné qu’il existait des divergences entre le FRP du demandeur et celui que son épouse avait rempli à l’appui de la demande d’asile. Dans cette affaire, l’agent a estimé que le demandeur était demeuré évasif et qu’il ne lui avait pas fourni spontanément des renseignements. L’agent s’est par conséquent dit d’avis qu’il n’avait pas un tableau complet des activités du demandeur. Le juge Rennie a déclaré ce qui suit (au paragraphe 9) :

En vertu de l’article 11 de la LIPR, un agent des visas doit avoir la preuve que le demandeur « n’est pas interdit de territoire » et se conforme à cette loi. Il incombe toujours au demandeur de fournir une preuve suffisante afin de justifier l’exercice, en sa faveur, du pouvoir discrétionnaire : Kazimirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1193. En l’espèce, le demandeur demande à la Cour de substituer son opinion quant à la franchise et à la sincérité dont il a fait preuve lors de l’entrevue, et quant à savoir s’il s’est acquitté de son fardeau de prouver qu’il n’était interdit de territoire. Ici, les divergences notées par l’agent étaient concrètes de même qu’objectives et justifieraient le doute chez n’importe quelle personne raisonnable.

[32]      Le défendeur affirme que le demandeur ne peut invoquer le jugement Chen à l’appui de ses arguments, étant donné que, dans le jugement Zhou c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1230, [2012] 3 R.C.F. 123, aux paragraphes 12 et 13, où le demandeur tentait d’invoquer les mêmes remarques incidentes formulées dans le paragraphe précité du jugement Chen, la Cour a expressément restreint l’application du jugement Chen en expliquant qu’il ne portait que sur des décisions rendues par le Québec.

[33]      Examinant les décisions citées par le demandeur, je constate d’entrée de jeu que l’affaire Kang remonte à 1981 et qu’elle semble avoir été jugée plus précisément en fonction du libellé de l’ancienne loi. Je ne crois pas qu’elle s’applique particulièrement au cas qui nous occupe. Le juge Pratte déclare, à la page 810 :

Il ne s’ensuit pas que la non-observation, de la part d’un requérant, des conditions du paragraphe 9(3) ne tire pas à conséquence. Cette non-observation peut ou non, selon le cas, justifier le refus d’un visa; mais elle n’a pas, comme l’a présumé la décision dont appel, pour effet de faire du requérant un membre de la catégorie des personnes non admissibles prévue à l’alinéa 19(2)d).

[34]      Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le jugement Zhou a pour effet de restreindre l’application du jugement Chen aux affaires émanant du Québec (au paragraphe 13) :

Le demandeur se fonde avec erreur sur les décisions Chen et Belkacem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 375, quant à la question de la compétence de l’agente de rejeter la demande de visa sans tirer de conclusion au sujet de l’interdiction de territoire. Les décisions Chen et Belkacem portaient sur des décisions rendues par la province de Québec en vertu de l’Accord Canada‑Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubins [5 février 1991]. L’alinéa 12a) de cet Accord prévoit que « [l]e Québec est seul responsable de la sélection des immigrants à destination de cette province et le Canada est seul responsable de l’admission des immigrants dans cette province ». Comme le Québec est seul responsable de la sélection des étrangers qui ont l’intention d’habiter dans cette province, l’alinéa 9(1)a) de la Loi s’applique. C’est sur cette disposition que la Cour s’est fondée dans les deux décisions pour laisser entendre que l’agent n’avait pas compétence pour rejeter un visa s’il n’y avait pas de conclusion d’interdiction de territoire.

[35]      Si j’ai bien compris, la distinction que le demandeur tente de faire entre l’affaire Kazimirovic et la présente espèce tient au fait que, dans l’affaire Kazimirovic, l’agente avait une raison plus concrète de penser que la version des faits du demandeur n’était pas crédible, parce qu’elle était au courant de certains événements qui s’étaient déroulés sur le plan militaire en ex‑Yougoslavie et qui ne semblaient pas corroborer la version des faits du demandeur. Toutefois, le paragraphe suivant du jugement ne semble pas à mon avis appuyer l’argument du demandeur suivant lequel le paragraphe 11(1) était censé avoir la portée limitée qu’il lui attribue (au paragraphe 10) :

Il incombait au demandeur de convaincre l’agente des visas qu’il avait les compétences voulues afin d’être admis au Canada en tant qu’immigrant, et comme il a exposé un récit au sujet de son service militaire qui, selon l’agente des visas, n’était pas digne de foi, il n’a tout simplement pas rempli le fardeau qui lui incombait.

[36]      Dans l’ensemble, l’interprétation que le défendeur fait du paragraphe 11(1) m’apparaît plus logique, compte tenu du libellé de cette disposition. Après avoir pris connaissance du jugement Manigat, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que rien ne permet de penser que la Cour entendait en limiter l’application aux motifs circonscrits évoqués par le demandeur.

[37]      Vu la décision récente rendue dans l’affaire Kumarasekaram, je conclus que le demandeur a tort de prétendre que la jurisprudence n’appuie pas le rejet d’une demande fondée sur le paragraphe 11(1). Je suis persuadé qu’un agent peut rejeter une demande sans avoir à conclure expressément que le demandeur est interdit de territoire, au motif que, comme le demandeur n’a pas donné un portrait complet de ses antécédents, l’agent n’est pas en mesure de conclure que le demandeur n’est pas interdit de territoire.

B.        La décision de l’agent était-elle raisonnable?

[38]      Le demandeur nie avoir été évasif ou avoir omis de fournir quelque renseignement que ce soit à l’agent, et il affirme que les notes versées au système STIDI appuient ses dires. Il fait valoir que ses antécédents professionnels sont clairement exposés dans les notes versées au système STIDI. Il a clairement expliqué la nature de ses rapports avec les TLET, à qui il a versé des pots-de-vin sous forme d’or et de taxes, et ajoute qu’il n’a jamais gardé de membres des TLET en prison et qu’il n’a jamais cédé aux demandes qu’ils lui avaient faites de quitter la région. Le demandeur soutient que l’agent ne disposait d’aucun élément de preuve concret qui aurait pu l’amener à ne pas ajouter foi au témoignage du demandeur et il ajoute que l’agent n’a offert aucun élément de preuve pour justifier son affirmation qu’il n’était pas vraisemblable que les TLET le laissent tranquille malgré le fait qu’il avait travaillé pour le gouvernement comme gardien de prison. Il n’y avait donc aucun fondement factuel qui appuyait l’appréciation de la crédibilité à laquelle l’agent a procédé. Le demandeur relève que les contradictions peuvent s’expliquer par le fait que l’agent l’interrogeait sur des faits qui remontaient à une quinzaine ou une vingtaine d’années.

[39]      Le demandeur affirme également que l’agent n’aurait pas dû tenir compte des divergences relevées entre son témoignage et celui de son fils au sujet de la question de savoir si son fils avait travaillé comme sentinelle pour les TLET, étant donné que le demandeur présentait sa demande en tant que personne à charge de sa femme et non de son fils. Le demandeur affirme également que son témoignage que son fils avait refusé de servir de sentinelle et le témoignage de son fils qu’il était tenu de le faire ne se contredisent pas. Le demandeur a signalé à la Cour qu’au paragraphe 7 de son témoignage, son fils déclare qu’il avait d’abord refusé, mais qu’il avait par la suite dû obtempérer.

[40]      Le demandeur n’est pas d’accord non plus avec l’idée qu’il existe des divergences entre son témoignage et le FRP de sa femme. Essentiellement, lorsqu’elle parle de la famille dans son FRP, sa femme considère de toute évidence que le demandeur fait partie de la famille. Par conséquent, selon le demandeur, il n’y a pas de contradiction. En ce qui concerne les déplacements, dans son entrevue, le demandeur avait seulement expliqué qu’ils étaient allés en Inde. Lorsqu’on lui a fait remarquer que sa femme avait dit qu’ils avaient été déplacés à Meesalai, le demandeur a accepté ce fait, en expliquant qu’il croyait que l’agent faisait allusion à une autre période. Le demandeur affirme que, comme il avait fini par admettre qu’ils avaient été déplacés à Meesalai, il n’y avait pas de divergence et qu’il n’y avait donc pas d’élément de preuve démontrant qu’il était déraisonnable de sa part de se tromper au sujet de la période visée.

[41]      Le demandeur affirme enfin que les contradictions ne tiraient pas à conséquence et que l’agent en a exagéré l’importance.

[42]      Le défendeur soutient que l’agent avait le droit de tenir compte du FRP de sa femme et du témoignage de son fils, étant donné qu’il cherchait à vérifier les antécédents du demandeur et qu’il avait le droit d’examiner les documents fournis par les membres de la famille du demandeur pour vérifier les antécédents de ce dernier. Dans le cadre de cet examen, l’agent pouvait tenir compte des divergences relevées entre les récits fournis. Le défendeur affirme que la plupart des divergences constatées par le demandeur avaient des incidences sur la demande du demandeur et sur sa crédibilité, et il soutient que le demandeur s’oppose simplement à l’appréciation que l’agent a faite de la preuve, ce qui ne justifie pas l’intervention de la Cour.

[43]      Le défendeur répète les conclusions de l’agent, qui affirmait que le demandeur était demeuré évasif et s’était contredit au sujet de ses antécédents professionnels, des raisons à l’origine de la demande d’asile de sa femme, du déplacement de sa famille, de l’argent qu’il a versé aux TLET, et du fait que le FRP d’aucun des membres de la famille ne faisait état de menaces d’enlèvement. Le défendeur soutient qu’il ne suffit pas que le demandeur explique qu’il a fini par tout dire à l’agent; les conclusions de l’agent suivant lesquelles le demandeur affirmerait avoir répondu complètement aux questions qui lui étaient posées pour ensuite changer sa version ou modifier des détails, ont amené l’agent à conclure raisonnablement que le témoignage du demandeur n’était pas cohérent.

[44]      Le défendeur soutient que, même s’il pouvait avoir des réserves au sujet de certaines des conclusions de l’agent, il était évident que, prises globalement, les préoccupations de l’agent avaient eu comme effet cumulatif d’amener celui-ci à conclure raisonnablement que le demandeur n’avait pas dit la vérité contrairement à ce qu’exige le paragraphe 16(1), de sorte qu’il n’était pas en mesure de conclure que le demandeur n’était pas interdit de territoire au sens du paragraphe 11(1).

[45]      Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que les réserves exprimées par l’agent au sujet de ses antécédents professionnels ne semblent pas raisonnables, étant donné que les notes versées au système STIDI montrent clairement que le demandeur avait effectivement indiqué le temps qu’il avait travaillé comme gardien de prison, comme épicier puis comme gardien de sécurité, mais qu’il n’en avait pas fait la liste par ordre chronologique lors de son entrevue. Tous les documents soumis par le demandeur me semblent confirmer son témoignage à cet égard et le demandeur m’a convaincu par son explication qu’il avait tout simplement parlé de ses emplois sans suivre l’ordre chronologique à cause de la confusion créée par la question que l’agent lui avait posée au sujet de ses activités à Colombo.

[46]      J’estime toutefois dans l’ensemble que ce problème ou l’interprétation du mot « famille » dans le FRP de sa femme n’entachent pas toute la décision de l’agent. Il ressort de l’examen du FRP de sa femme (dossier du demandeur, pages 65 et 66) que celle-ci a expliqué longuement pourquoi elle avait demandé l’asile, en remontant jusqu’en 1991, et non, comme le demandeur l’avait affirmé lors de son entrevue, qu’il lui avait dit de demander l’asile en 2006 uniquement à cause des problèmes qu’il avait au Sri Lanka à l’époque. Elle a effectivement mentionné que le demandeur était allé en Inde avec les enfants, mais elle ne parle pas des menaces d’enlèvement.

[47]      Il est de jurisprudence constante qu’il convient de faire preuve de retenue envers les conclusions des agents, qui ont l’avantage d’avoir eu un contact direct avec les demandeurs, lesquels ont été avertis à l’avance qu’ils seraient interrogés.

[48]      Il n’y a rien dans les conclusions de l’agent qui m’amène à croire que son appréciation de la crédibilité du demandeur et des réponses évasives de ce dernier était déraisonnable dans l’ensemble. C’est à l’agent qu’il revient de faire cette appréciation, et je suis persuadé que, d’après les conclusions auxquelles il arrivait, il lui était impossible de déterminer si le demandeur était effectivement interdit de territoire, sans pour autant avoir été en mesure de déterminer qu’il était interdit de territoire pour une raison précise.

[49]      Je rejette donc la demande parce que j’estime que la décision de l’agent était raisonnable dans les circonstances.

JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

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