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[2001] 3 C.F. 342

T-1168-96

2001 CFPI 242

Allison G. Abbott, Margaret Abbott et Margaret Elizabeth McIntosh (demanderesses)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

et

Corporation Hôtelière Canadien Pacifique (intervenante)

Répertorié : Abbott c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, protonotaire Hargrave— Winnipeg, 11 mai 2000; Vancouver, 26 mars 2001.

Couronne — Biens immeubles — Baux de terrain dans les parcs nationaux — Baux comportant des clauses de reconduction perpétuelle — La Couronne ne peut pas se soustraire aux obligations qui lui incombent en vertu des baux, même lorsque le ministre n’est pas habilité par la loi ou par un règlement à octroyer des baux comportant de telles clauses, puisque son pouvoir n’est assujetti à aucune restriction expresse. — Obiter : la Couronne est précluse de nier l’existence du droit de reconduction perpétuelle.

Interprétation des lois — Éviter l’absurdité — Pour déterminer si la Couronne pouvait considérer comme nuls des baux consentis dans des parcs nationaux au motif qu’ils auraient été accordés par erreur et sans droit avec des droits de reconduction, il convient d’interpréter la loi de façon à éviter des résultats absurdes — Si les baux étaient consentis seulement pour une période déterminée, les gens d’affaires n’investiraient pas dans des installations dignes des parcs et attrayantes pour le public. — Le mandat de la Couronne n’est pas de conserver les parcs dans leur état originel.

Interprétation des lois — Concession bonne et valable — En présence de deux interprétations possibles d’une concession faite par la Couronne (un bail de terrain situé dans un parc national avec droit de reconduction), l’une rendant la concession valide et l’autre l’invalidant, pour l’honneur de la Couronne et dans l’intérêt du citoyen, il faut adopter l’interprétation qui en reconnaît la validité.

Cette action découle à l’origine de baux accordés à des propriétaires de chalets dans le parc national du Mont-Riding. La Corporation Hôtelière Canadien Pacifique, à qui la Couronne a loué des terrains ayant fait l’objet d’aménagements importants, à Banff et au Lac Louise, est intervenue de crainte que la conclusion de ce litige n’ait un impact négatif sur les droits de reconduction contenus dans ses baux. Depuis 1892, CP est détentrice de baux dans le parc des montagnes Rocheuses du Canada. Selon un décret de 1890, le ministre pouvait octroyer des baux n’excédant pas 42 ans mais avec droit de reconduction. À l’origine, les baux de CP comportaient des clauses de reconduction. Dans l’espoir d’éviter un long procès, la Couronne a demandé à la Cour de statuer sur deux points de droit : 1) La Couronne était-elle, au moment où elle les a consentis, légalement habilitée à accorder aux demanderesses des baux comportant des clauses de reconduction perpétuelle? 2) Sinon, les locataires peuvent-ils invoquer le comportement des parties relativement aux clauses de reconduction des baux depuis la concession des tout premiers baux?

Jugement : il faut répondre par l’affirmative aux deux questions.

Puisque le dernier bail consenti à CP datait de 1956, et puisque le règlement établi après l’octroi d’un bail ne peut modifier ou retirer rétroactivement des droits déjà accordés et consacrés dans un tel bail, il n’était pas nécessaire d’examiner la réglementation édictée après 1959. La Couronne a soutenu qu’après 1930, elle n’avait pas le pouvoir de conclure des baux contenant des clauses de reconduction perpétuelle. La réglementation antérieure à 1930 comportait des dispositions sur la reconduction. Les lois et règlements postérieurs n’y pourvoyaient pas; la reconduction n’était pas interdite, cette question n’étant tout simplement pas abordée. La Couronne a soutenu que l’octroi de droits de reconduction perpétuelle pour les baux portant sur des terrains situés dans un parc national dérogeait à l’intention du législateur qui était de les conserver intacts. La Couronne a fait valoir que les baux étaient par conséquent nuls et sans effet. Elle a allégué que la simple mention du droit de louer ne confère pas le pouvoir d’accorder une reconduction de bail. Cependant, dans l’arrêt Verreault (J.E.)& Fils Ltée c. Procureur général (Québec), [1977] 1 R.C.S. 41, la Cour suprême du Canada s’est écartée de l’orthodoxie juridique en matière de contrat en statuant que suivant les règles générales du mandat, et notamment celles concernant le mandat apparent, un ministre est habilité à lier la Couronne par contrat à moins que ce pouvoir ne soit restreint par une loi. D’ailleurs, dans l’arrêt R. c. CAE Industries Ltd., [1986] 1 C.F. 129 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a statué qu’en l’absence d’interdiction dans la loi, le contrat liait la Couronne puisqu’il relevait de la responsabilité générale des ministres. L’arrêt Reine, La v. Walker, [1970] R.C.S. 649, favorise les demanderesses en ce que les juges majoritaires ont statué que la Loi des parcs de 1930, et son règlement, de même que les restrictions qui y sont imposées, ne doivent pas s’interpréter comme s’appliquant rétroactivement, ou de façon à retirer des droits acquis. La Couronne a soutenu que l’octroi de clauses de reconduction perpétuelle était contraire à l’article 4 de la Loi des parcs de 1930 (à savoir que les terrains devaient être entretenus et utilisés de manière qu’ils restent intacts pour la jouissance des générations futures). Toutefois, l’objet de la législation était atteint par le règlement établi en vertu de l’article 7 de la Loi des parcs, qui pourvoit à l’administration, à la protection, au contrôle, à la gestion et la protection des parcs et de leurs ressources de même qu’à la prévention des dommages dans les parcs, et par les dispositions relatives aux peines. En l’espèce, la résolution du contrat causerait au public de bonne foi de graves inconvénients sans que soit poursuivi l’objet de la loi : Archbolds (Freightage) Ltd. v. S. Spanglett Ltd., [1961] 1 Q.B. 374, le lord juge Devlin.

Conclure que les baux sont nuls et non avenus mènerait à un résultat commercialement absurde et priverait les usagers de la possibilité de profiter des parcs. Si les baux étaient consentis pour une durée de 42 ans seulement, les gens d’affaires ne seraient pas intéressés à investir dans des installations dignes de ces parcs et attrayantes pour le public. Le mandat de la Couronne est de mettre les parcs à la disposition du public pour son bénéfice, son instruction et sa jouissance et non de les conserver dans leur état originel, non affectés par des mises en valeur importantes et par les visiteurs canadiens. Suivant un principe d’interprétation, la loi devrait être interprétée de façon à éviter une absurdité. En outre, selon une règle générale, il est établi que pour l’honneur de la Couronne et dans l’intérêt du citoyen, la Couronne ne peut dénoncer son acte propre en présence de deux règlements, un valide et un invalide, en vertu desquels elle peut avoir agi : St. Saviour in Southwark (Churchwardens of) Case (1613), 77 E.R. 1025.

La disposition réglementaire pertinente pourvoyant aux baux d’une durée de 42 ans, « renouvelables par semblables termes », n’a jamais été expressément révoquée, non plus qu’elle n’a été abrogée implicitement. Premièrement, l’abrogation implicite est tout à fait incompatible avec la façon de concevoir la loi au Canada : Driedger on the Construction of Statutes. Deuxièmement, en l’espèce, la législation, les lois et les règlements, antérieurs et actuels, ne sont pas incompatibles.

Un bail perpétuel n’équivaut pas à une cession définitive du terrain qui porterait atteinte à la jouissance des générations futures. Les droits de renouvellement dépendent de l’observation rigoureuse des dispositions du bail. En cas de non-respect, la Couronne aurait la faculté de reprendre possession des terrains et d’invalider le bail ou le rendre inopérant.

Le pouvoir d’un ministre, agissant comme mandataire, de lier la Couronne subsiste même en l’absence de disposition législative spécifique ou de décret, pour autant qu’il n’existe aucune restriction à l’exercice de ce pouvoir.

En conclusion, il faut répondre affirmativement à la première question.

Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’aborder la deuxième question, il peut être utile de le faire dans le cas où cette décision ferait l’objet d’une révision. La Couronne ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver l’erreur mutuelle qui aurait permis d’invalider le contrat. La réponse affirmative à la seconde question était fondée sur l’irrecevabilité en equity. Pendant son argumentation, la Couronne a admis que sa position pouvait paraître injuste et qu’elle ne se présentait pas devant la Cour les mains nettes. La Couronne soutient qu’elle s’est trompée elle-même et qu’elle a trompé les demanderesses et l’intervenante quant à savoir si des clauses de reconduction perpétuelle pouvaient être incluses dans les baux de terrains situés dans des parcs. Puisque la Corporation Hôtelière Canadien Pacifique a cédé ses baux existants moyennant l’assurance que les baux de remplacement comporteraient les mêmes modalités, la Couronne est maintenant précluse de nier l’existence du droit de reconduction perpétuelle.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Acte du Parc des Montagnes Rocheuses, 1887, S.C. 1887, ch. 32, art. 4.

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34.

Décret C.P. 1911-1336, Gazette du Canada, vol. XLV.

Décret C.P. 1916-1935.

Décret C.P. 1918-675, Gazette du Canada, vol. LI, p. 3667.

Décret C.P. 1919-674, Gazette du Canada, vol. LII, p. 3092.

Décret C.P. 1927-1553, Gazette du Canada, vol. LXI, p. 552.

Décret C.P. 1929-890, Gazette du Canada, vol. LXII, p. 4237.

Décret C.P. 1930-1452, art. 6, Gazette du Canada, vol. LXIV, p. 33.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 43.

Loi des parcs nationaux, S.C. 1930, ch. 33, art. 4, 6, 7, 9(1).

Loi des Réserves forestières et des Parcs fédéraux, S.C. 1911, ch. 10, art. 18(2).

Loi des réserves forestières et des parcs fédéraux, S.R.C. 1927, ch. 78, art. 21.

Loi modifiant la Loi des parcs nationaux, S.C. 1950, ch. 45, art. 2.

Loi modifiant la Loi sur les parcs nationaux, S.C. 1953-54, ch. 6.

Loi sur les parcs nationaux, S.R.C. 1952, ch. 189, art. 6, 7.

Règlements généraux régissant les parcs nationaux, DORS/54-666, art. 3 (mod. par DORS/58-330, art. 1; DORS/62-78, art. 1).

Règlements pour le contrôle et la régie du Parc des Montagnes Rocheuses du Canada, 30 juin 1890, art. 14, Gazette du Canada, Vol. XXIII, p. 47.

Règlement régissant les parcs nationaux du Canada, DORS/47-1010, art. 6.

Règlements des réserves forestières fédéraux, C.P. 1913-2028, art. 64, Gazette du Canada, Vol. XLVII, p. 521.

Règlements des parcs nationaux du Canada, C.P. 1909-1340, art. 2, Gazette du Canada, vol. XLIII, p. 77.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Reine, La v. Walker, [1970] R.C.S. 649; (1970), 11 D.L.R. (3d) 173; Athlumney, In re. Ex parte Wilson, [1898] 2 Q.B. 547; Verreault (J.E.) & Fils Ltée c. Procureur général (Québec), [1977] 1 R.C.S. 41; (1975), 57 D.L.R. (3d) 403; Archbolds (Freightage) Ltd. v. S. Spanglett Ltd., [1961] 1 Q.B. 374 (C.A.); St. Saviour in Southwark (Churchwardens of) Case (1613), 77 E.R. 1025; Lyons et autres c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 633; (1984), 58 A.R. 2; 14 D.L.R. (4th) 482; [1985] 2 W.W.R. 1; 15 C.C.C. (3d) 417; 43 C.R. (3d) 97; 56 N.R. 6; Canadian Pacific Railway Co. v. The King (1906), 38 R.C.S. 137; Banque de Montréal c. Procureur général (Qué.), [1979] 1 R.C.S. 565; (1978), 96 D.L.R. (3d) 586; 25 N.R. 330; Somerville Belkin Indust. Ltd. v. Man., [1987] 5 W.W.R. 553; (1987), 49 Man. R. (2d) 204 (B.R. Man.); conf. par [1988] 3 W.W.R. 523; (1988), 51 Man. R. (2d) 232; 38 B.L.R. 122 (C.A. Man.); Public Utilities Act, In re, [1920] 1 W.W.R. 31; (1919), 50 D.L.R. 506; 15 Alta. L.R. 416 (C.A. Alb.); conf. par (1920), 61 R.C.S. 213; 56 D.L.R. 88; [1921] 1 W.W.R. 655.

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Montreal Trust Co. v. C.N.R., [1939] 3 D.L.R. 497; [1940] 1 W.W.R. 293; [1939] A.C. 613; [1939] 3 All E.R. 930 (C.P.); R. c. CAE Industries Ltd., [1986] 1 C.F. 129 (1985), 29 D.L.R. (4th) 347; [1985] 5 W.W.R. 481; 30 B.L.R. 236; 61 N.R. 19 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Cornish v. Abington (1859), 4 H. & N. 549; 157 E.R. 956; Greenwood v. Martins Bank, Ld., [1933] A.C. 51 (H.L.); Queen Victoria Niagara Falls Pk. Com’rs v. Internat’l R. Co., [1928] 4 D.L.R. 755; (1928), 63 O.L.R. 49 (C.A. Ont.).

DÉCISIONS CITÉES :

Banque de Montréal c. Procureur général (Qué.), [1979] 1 R.C.S. 565; (1978), 96 D.L.R. (3d) 586; 25 N.R. 330; Ouellette v. Canadian Pacific Ry. Co., [1925] A.C. 569 (C.P.).

DOCTRINE

Black’s Law Dictionary, 5th ed. St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 1979, « ownership ».

Cheshire, Fifoot and Furmston’s Law of Contract, 11th ed., London : Butterworths, 1986.

Driedger, E. A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.

Griffith, J. A. G. and H. Street. Principles of Administrative Law, 3rd ed. London : Sir Isaac Pitman & Sons, 1963.

Lordon, Paul. La Couronne en droit canadien. Cowansville (Québec), 1992.

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto : Butterworths, 1994.

Williams and Rhodes Canadian Law of Landlord and Tenant, 6th ed. by C. Bentley et al. Toronto : Carswell, 1988.

DEMANDE de statuer sur deux points de droit : 1) La Couronne était-elle, au moment où elle les a consentis, légalement habilitée à octroyer aux demanderesses des baux de terrains dans des parcs nationaux comportant des clauses de reconduction perpétuelle? 2) Sinon, les locataires peuvent-ils invoquer le comportement des parties relativement aux clauses de reconduction depuis la concession des tout premiers baux? Il faut répondre par l’affirmative aux deux questions.

ONT COMPARU :

Arthur J. Stacey pour les demanderesses.

Paul D. Edwards pour la défenderesse.

Judson E. Virtue pour l’intervenante.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thompson Dorfman Sweatman, Winnipeg, pour les demanderesses.

Duboff, Edwards, Haight & Schachter, Winnipeg, pour la défenderesse.

MacLeod Dixon, Calgary, pour l’intervenante.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le protonotaire Hargrave : L’action des demanderesses, agissant à titre de représentantes, découle à l’origine de divers baux accordés à des propriétaires de chalets dans le parc national du Mont-Riding. En termes simples, la Couronne sollicite l’annulation de plusieurs baux, soutenant que pendant environ 60 ans, elle a par erreur et sans droit accordé des baux comportant des droits de reconduction et que par conséquent, sous réserve de la doctrine de la divisibilité, ces baux sont nuls et non avenus.

[2]        L’action a pris une dimension plus large avec l’intervention de la Corporation Hôtelière Canadien Pacifique (CP Hôtels), détentrice de baux comportant des droits de reconduction au Lac Louise et dans le parc national de Banff, dont certains remontent aux années 1890.

[3]        Dans l’espoir d’éviter un long procès, la défenderesse demande à la Cour de statuer sur deux points de droit :

1. La défenderesse était-elle, au moment où elle les a consentis, légalement habilitée à accorder aux demanderesses des baux comportant des clauses de reconduction à perpétuité?

2. Si, au moment où elle les a consentis, la Couronne n’était pas légalement habilitée à leur accorder des baux comportant des clauses de reconduction à perpétuité, les demanderesses peuvent-elles en droit, invoquer à l’encontre de la défenderesse le comportement des parties relativement aux clauses de reconduction des baux depuis la concession du tout premier bail ainsi qu’elles l’allèguent dans la déclaration amendée?

La réponse à ces questions influencera également la position de l’intervenante, CP Hôtels, locataire de terrains ayant fait l’objet d’aménagements importants, à Banff et au Lac Louise. En premier lieu, il convient de déterminer avec précision quelle était la législation, lois et règlements, qui régissait le pouvoir de la Couronne en matière de concession de baux. Cependant, avant d’examiner ces questions, auxquelles je réponds par l’affirmative dans les deux cas, j’exposerai quelques éléments historiques et j’aborderai quelques décisions pertinentes.

HISTORIQUE

[4]        Au moyen d’un rappel historique, je commencerai par ordre chronologique en renvoyant premièrement à la législation s’appliquant à CP Hôtels, puis à celle s’appliquant à CP Hôtels et aux demanderesses. En 1892, 1893 et 1906, le Canadien Pacifique (le CP Rail), auteur de l’intervenante CP Hôtels, a conclu quatre baux portant sur une terre. Cette terre faisait partie d’un secteur réservé comme « parc public et lieu de plaisance » connu sous le nom de parc des Montagnes Rocheuses du Canada, selon l’Acte du Parc des Montagnes Rocheuses, 1887, S.C. 1887, ch. 32. Le règlement d’application de l’Acte du Parc des Montagnes Rocheuses, 1887 a été adopté par décret le 30 juin 1890[1].

[5]        L’article 4 de l’Acte du Parc des Montagnes Rocheuses, 1887 accordait au ministre de l’Intérieur le contrôle et l’administration du parc, et au gouverneur en conseil le pouvoir d’établir des règlements. L’alinéa 4c) permettait au ministre de l’Intérieur et au gouverneur en conseil d’établir des règlements à des fins diverses, y compris :

4. […]

(c) Le louage pour tout terme d’années de tels lopins de terre dans le parc qu’il jugera à propos dans l’intérêt public, pour la construction de maisons d’habitation et d’établissements destinés au commerce ou à l’industrie, ou à la réception de ceux qui visiteront le parc;

[6]        Les Règlements pour le contrôle et la régie du Parc des Montagnes Rocheuses du Canada, adopté par décret le 30 juin 1890 [Gazette du Canada, vol. XXIII, p. 47], comporte entre autres des dispositions relatives aux baux n’excédant pas 42 ans avec droit de reconduction, à des loyers devant être fixés à l’occasion par le ministre :

14. Le ministre de l’Intérieur pourra faire arpenter et disposer en lots à bâtir dans le but d’y construire des maisons d’habitation ordinaire et pour des fins de commerce et d’industrie et pour la commodité des personnes qui visitent le parc, et pourra accorder des baux pour ces lots d’une durée n’excédant pas quarante-deux ans avec le droit de renouvellement à des prix qu’il fixera de temps à autre; il pourra aussi mettre à part les parties du parc qu’il jugera convenables pour des emplacements de marchés, de prisons, de palais de justice, d’églises, de cimetières, d’institutions charitables, de carrés et autres fins semblables.

[7]        Les quatre premiers baux conclus par le CP Rail entre 1892 et 1906, sont désignés par les parties comme étant les baux du groupe un. Ils ont été conclus en application du décret du 30 juin 1890, qui pourvoit expressément à la reconduction des baux.

[8]        Le groupe deux se compose d’un bail daté du 1er janvier 1911 accordé à Canadien Pacifique et relatif à l’exploitation du Lac Louise par CP Hôtels. Ce bail a été conclu sous l’autorité de la Loi des Réserves forestières et des Parcs fédéraux, S.C. 1911, ch. 10. Le règlement antérieur de 1909, C.P. 1340 [Règlements des parcs nationaux du Canada, 21 juin 1909, Gazette du Canada, vol. XLIII,] a été rétabli par décret en date du 6 juin 1911 [C.P. 1911-1336, Gazette du Canada, Vol XLV] et constitue le règlement d’application de la Loi des Réserves forestières et des Parcs fédéraux. Plutôt que d’énumérer toute cette documentation, je soulignerai simplement que le paragraphe 18(2) de la Loi des Réserves forestières et des Parcs fédéraux et l’article 2 du décret C.P. 1909-1340 sont sensiblement les mêmes que ceux établis par l’Acte du Parc des Montagnes Rocheuses, 1887 et le décret y afférent du 30 juin 1890. Ainsi, la réglementation prévoyait un droit de reconduction.

[9]        La troisième catégorie est constituée d’un bail du 2 avril 1948, conclu sous l’autorité de la Loi des parcs nationaux, S.C. 1930, ch. 33, bail qui a été renouvelé et qui est toujours en vigueur. Un second bail fait partie de ce groupe et il daté du 25 juin 1952, alors que la Loi des parcs nationaux de 1930 modifiée, était en vigueur. La Loi des parcs nationaux de 1930[2] (la Loi des parcs de 1930) permet au gouverneur en conseil d’établir des règlements concernant l’octroi de baux pour lots sur des emplacements de ville pour fins de résidence et de commerce. Le décret C.P. 1947-5045 du 8 décembre 1947 [Règlements des parcs nationaux, DORS/47-1010] prévoit que des baux peuvent être octroyés par le ministre pour tout terme n’excédant pas 42 ans. Ce deuxième bail concerne le parc de Banff et le locataire original était Brewster Transport Company Ltd.

[10]      Il existe une quatrième catégorie de baux du CP Rail, dont l’un a été conclu le 20 août 1956 avec le Canadien Pacifique, alors que la Loi sur les parcs nationaux, S.R.C. 1952, ch. 189, modifiée par S.C. 1953-54, ch. 6, était en vigueur. Le décret y afférent est le C.P. 1954-1918, daté du 8 décembre 1954 [Règlements généraux régissant les parcs nationaux, DORS/54-666]. Les dispositions de la Loi sur les parcs nationaux de 1952 sont sensiblement les mêmes que celles de la Loi des parcs nationaux de 1930 et DORS/47-1010, le champ d’application de la Loi de 1952 et du Règlement de 1947 étant légèrement plus étendu.

[11]      Tous les baux se trouvant dans les quatre catégories précédentes, et qui sont présentement détenus par CP Hôtels, comportaient à l’origine une disposition relative à la reconduction à perpétuité.

[12]      En ce qui concerne les baux sur lesquels se fondent les demanderesses, portant sur des terrains situés dans le parc national du Mont-Riding, ils ont tous été octroyés entre 1934 et 1959, chacun pour un terme de 42 ans, et ils comportent tous une clause de reconduction à perpétuité. Comme première législation au soutien de leur demande, les demanderesses invoquent la Loi des Réserves forestières et des Parcs fédéraux de 1911[3]. Les règlements pris en vertu de la Loi de 1911 sont les décrets C.P. 1913-2028 (8 août 1913) [Règlements des réserves forestières fédéraux, Gazette du Canada, vol. XLVII] modifié par C.P. 1916-1935 (20 avril 1916), C.P. 1918-675 (26 mars 1918) [Gazette du Canada, vol. LI], C.P. 1919-674 (29 mars 1919), C.P. 1927-1553 (11 août 1927) [Gazette du Canada, vol. LXI] et C.P. 1929-890 (29 mai 1929) [Gazette du Canada, vol. LXII]. Le C.P. 1909-1340 du 21 juin 1909, étant le règlement pris en vertu de l’Acte du Parc des Montagnes Rocheuses, 1887, est également invoqué, mais il n’est toutefois pas pertinent pour les demanderesses. Enfin, il y a la Loi des parcs de 1930, dont le paragraphe 9(1) maintien en vigueur tous les règlements adoptés sous le régime de la Loi des Réserves forestières et des Parcs fédéraux, ce qui inclurait le C.P. 1913-2028.

[13]      Le paragraphe 7(1) de la Loi des parcs de 1930 prévoit que le gouverneur en conseil peut octroyer des baux, y compris des baux pour résidence. Rien dans cette Loi n’interdit l’octroi de baux pouvant être reconduits perpétuellement.

[14]      Le décret C.P. 1913-2028, ci-dessus mentionné et maintenu en vigueur par la Loi des parcs de 1930, permet au ministre de l’Intérieur de faire le louage de lots de station estivale et, aux termes de l’alinéa c) de l’article 64 des conditions régissant les baux, le ministre peut octroyer des baux pour une période de 42 ans « renouvelables par semblables termes au loyer à être fixé par le ministre ». Par la suite, le décret C.P. 1930-1452 daté du 23 juin 1930 a cherché à harmoniser les règlements en vigueur. Le décret C.P. 1930-1452 a abrogé ou modifié plusieurs décrets mais n’affecte pas le décret C.P. 1913-2028. Le décret C.P. 1930-1452 est également important en l’espèce, en ce que, adopté sous l’autorité de l’Acte du Parc des Montagnes Rocheuses, 1887 et visant seulement les parcs Yoho, des Glaciers, Jasper et Elk Island, il ne diminue pas le pouvoir conféré au ministre par le décret C.P. 1913-2028 adopté sous la Loi des Réserves forestières et des Parcs fédéraux de 1911. Le décret C.P. 1913-2028, qui a peut-être été abrogé après l’octroi du dernier bail en cause, est l’un des fondements juridiques de la position des demanderesses et de l’intervenante : comme il est souligné dans Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., 1994, Butterworths, Toronto, et abstraction faite pour le moment du concept d’abrogation implicite [traduction] « une loi ne s’abroge pas, non plus qu’elle ne cesse d’avoir effet par le seul passage du temps ou par son non-usage ou en raison de sa désuétude » (page 492) et [traduction] « [E]n d’autres mots, l’abrogation d’un texte législatif n’a pas pour effet d’anéantir tout droit, privilège, obligation ou responsabilité résultant du texte législatif ainsi abrogé » (page 526), se reportant à l’article 43 de la Loi d’interprétation [L.R.C. (1985), ch. I-21].

[15]      DORS/47-1010, daté du 8 décembre 1947 et adopté aux termes de la Loi des parcs de 1930, est un texte législatif plus récent. Le paragraphe 6(1) de ce règlement prévoit que les [traduction] « baux de lots situés dans des emplacements de ville et dans des subdivisions peuvent être octroyés par le ministre pour tout terme n’excédant pas quarante-deux ans ». Ce paragraphe prévoit plus loin que [traduction] « tous les formulaires de baux et de permis devront être approuvés par le sous-ministre de la Justice ».

[16]      Le texte législatif suivant est DORS/54-666 du 8 décembre 1954, qui a révoqué le décret DORS/47-1010. Le paragraphe 3(1) de DORS/54-666 prévoit :

[traduction] 3. (1) Lorsque la valeur d’un lot situé dans un emplacement de ville ou une subdivision est inférieure à cinq mille dollars, le ministre peut octroyer un bail sur ledit lot pour tout terme n’excédant pas quarante-deux ans […]

Selon le paragraphe 3(3), tous les formulaires de baux et de permis doivent être approuvés par le ministre. DORS/58-330 a modifié la section 3 de DORS/54-666 et précisé que la valeur de 5 000 $ dont il est question est celle du terrain seulement.

[17]      J’aimerais faire remarquer une fois de plus que les baux en cause, selon les demanderesses, ont été signés entre 1934 et 1959. Le dernier bail consenti à Canadien Pacifique date de 1956. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner la réglementation édictée après 1959, la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Reine, La c. Walker[4] ayant clairement statué qu’un règlement établi après l’octroi d’un bail ne peut modifier ou retirer rétroactivement des droits déjà accordés et consacrés dans un tel bail : voir à la page 667 de Walker, où le juge Martland fait sien un extrait de Athlumney, In re. Ex parte Wilson[5] :

[traduction] Il se peut qu’aucune règle d’interprétation ne soit plus solidement établie que celle-ci : un effet rétroactif ne doit pas être donné à une loi de manière à altérer un droit ou une obligation existants, sauf en matière de procédure, à moins que ce résultat ne puisse pas être évité sans faire violence au texte.

Le juge Wright dans Athlumney, ajoute :

[traduction] Si la rédaction du texte peut donner lieu à plusieurs interprétations, on doit l’interpréter comme devant prendre effet pour l’avenir seulement.

Dans Walker, le juge Martland poursuit en soulignant que la Loi des parcs de 1930 et son règlement d’application ne sont pas censés retirer et ne doivent pas s’interpréter de façon à retirer des droits acquis par les intimés locataires. Je vais maintenant commencer mon analyse par un survol de la position adoptée par la Couronne quant à sa capacité de conclure des baux avec les demanderesses et l’intervenante CP Hôtels : la défenderesse allègue qu’après 1930, elle n’avait pas la capacité de conclure des baux contenant des clauses de reconduction.

ANALYSE

[18]      La Couronne soutient que la réglementation en vigueur avant 1930 contenait des dispositions relatives à la reconduction, alors que la législation postérieure limitait la capacité de la Couronne à consentir de telles clauses, et que les règlements adoptés de temps à autre ne contenaient aucune disposition autorisant l’octroi de clauses de reconduction. Je ferai remarquer ici qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’interdit les clauses de reconduction et que contrairement à la législation et aux règlements antérieurs, le droit de reconduction n’a pas été affecté par la Loi des parcs de 1930. Selon l’interprétation qu’en fait l’avocat de la Couronne, la Loi des parcs de 1930 est contraignante, restrictive et impérative en ce qu’elle exige que les parcs soient conservés intacts et ne fassent pas l’objet d’aliénation. Par conséquent, on peut en conclure que la reconduction perpétuelle des droits contenus dans les baux des terrains situés dans les parcs nationaux est dérogatoire et contrevient aux restrictions législatives applicables à ces terrains et ce, depuis 1930. Dans son argumentation, la Couronne a reconnu que l’annulation des clauses de reconduction pourrait causer un préjudice à un grand nombre de personnes, ajoutant toutefois qu’à son avis, rien ne peut y remédier, même pas l’adoption d’une ligne de conduite. Selon la Couronne, les baux sont invalides, nuls et sans effet. Nous verrons que cela va trop loin.

Première question de droit

[19]      Examinons plus particulièrement la première question, à savoir si la défenderesse était légalement habilitée à octroyer aux demanderesses des baux contenant des clauses de reconduction à perpétuité, au moment où ces baux ont été octroyés.

[20]      Les baux des terrains situés dans le parc national du Mont-Riding, proclamé parc fédéral en 1930, ont été conclus à différents moments entre 1934 et 1959. Par conséquent, de l’avis de la Couronne, la Loi des parcs de 1930 s’applique. L’avocat renvoie à plusieurs passages de cette Loi :

4. (1) Les parcs sont par les présentes dédiés au peuple canadien pour son bénéfice, son instruction et sa jouissance, subordonnément aux dispositions de la présente loi et des règlements, et ces parcs doivent être entretenus et utilisés de manière qu’ils restent intacts pour la jouissance des générations futures.

[…]

6. (1) Les terrains situés dans les parcs ne doivent pas être aliénés, choisis pour s’y établir, ni colonisés, et personne ne doit employer ni occuper quelque partie de ces terrains, si ce n’est sous l’autorité de la présente loi ou des règlements établis sous son empire.

[…]

7. (1) Le gouverneur en conseil peut, à l’occasion, et ainsi qu’il le juge opportun, établir des règlements pour

[…]

g) L’octroi de baux pour lots sur des emplacements de ville pour fins de résidence et de commerce; l’octroi de permis pour des terrains situés hors des emplacements de ville et qui ne servent qu’au délassement des personnes visitant les parcs;

La Loi des parcs de 1930 ne comportait pas de dispositions sur la reconduction des baux.

[21]      Ensuite, l’avocat de la Couronne fait valoir que le décret C.P. 1930-1452, du 23 juin 1930 [Gazette du Canada, vol. LXIV, p. 33], remplace l’article 2 du décret C.P. 1909-1340, lequel prévoyait clairement un droit de reconduction. Le décret C.P. 1930-1452 a seulement donné au ministre de l’Intérieur le droit « d’émettre des baux de lots pour tout terme quelconque n’excédant pas quarante-deux ans ». Cela dépasse clairement l’effet initial du décret C.P. 1913-2028 et l’effet continu du Règlement, considérant que celui-ci n’a sûrement pas été abrogé par le décret C.P. 1930-1452.

[22]      La défenderesse fait ensuite valoir un passage de DORS/47-1010 du 8 décembre 1947, qui révoque le décret C.P. 1909-1340, lequel avait été rétabli par le décret C.P. 1911-1336 et modifié par le décret C.P. 1930-1452. Le passage en question, au paragraphe 6(1), autorise le ministre à octroyer des baux de lots, de townsites et de subdivisions pour un terme ne devant pas excéder 42 ans. La défenderesse soutient l’évidence même, à savoir que la modification n’a d’aucune façon eu d’incidence sur la capacité de la Couronne à conclure des baux. Il est intéressant de souligner que DORS/47-1010 révoque expressément plusieurs décrets, quelques-uns antérieurs et d’autres postérieurs au décret C.P. 1913-2028, mais qu’il ne révoque pas le décret C.P. 1913-2028, qui autorise la reconduction des baux.

[23]      La Couronne renvoie à la Loi modifiant la Loi des parcs nationaux, S.C. 1950, ch. 45, laquelle modifie la Loi des parcs de 1930 [article 6]. La Loi modificative définit les terres publiques et à son article 2 dispose :

2. […]

Les terres publiques situées dans les parcs ne doivent pas être aliénées, choisies pour s’y établir, ni colonisées, et personne ne doit employer ni occuper quelque partie de ces terres, sauf sous l’autorité de la présente loi ou des règlements.

La Loi modificative comporte des dispositions relatives à l’octroi de baux dans les parcs, mais une fois de plus, elle reste muette quant à la question de la reconduction. La Couronne fait valoir que ces modifications n’ont eu aucun impact sur les restrictions continues quant à la capacité de la Couronne à conclure des baux : par contre, ces restrictions, quelles qu’elles soient, n’étaient peut-être pas aussi importantes que la Couronne aimerait le croire.

[24]      Ultérieurement, DORS/47-1010 a été révoqué par DORS/54-666 du 8 décembre 1954, lequel dispose en partie que le ministre ou un fonctionnaire du ministère des Affaires du Nord et des Ressources Nationales, au nom du ministre, peut accorder des baux d’une durée de 42 ans dans un townsite ou autre subdivision lorsque la valeur du lot est inférieure à 5 000 $. Le décret DORS/58-330 du 7 août 1958 a clarifié cette disposition en précisant que la restriction de 5 000 $ pour les locations concerne la valeur du lot, sans les bâtisses et les améliorations.

[25]      Enfin, la législation revient à la case départ lorsque le 1er mars 1962, le gouvernement fédéral a pris DORS/62-78; modifiant DORS/54-666 modifié par DORS/58-330, révoquant plusieurs paragraphes du Règlements généraux régissant les parcs nationaux et autorisant le ministre à octroyer, dans certaines circonstances, un droit de reconduction pour un terme supplémentaire de 21 ans :

1. Révoquer les paragraphes (1) et (2) de l’article 3 des Règlements généraux régissant les parcs nationaux et les remplacer par ce qui suit :

3. (1) Le Ministre ou un fonctionnaire du ministère du Nord canadien et des Ressources nationales autorisé par le Ministre peut émettre un bail pour toute période d’au plus quarante-deux ans avec faculté de renouvellement pour une autre période d’au plus vingt et un ans à l’égard

a)   d’un lot situé dans un emplacement de ville, devant servir à une ou à plusieurs des fins de résidence, de commerce, d’écoles, d’églises, d’hôpitaux ou de lieux de divertissement,

b)   d’un lot situé dans un lotissement autre qu’un emplacement de ville, devant servir à des fins de résidence durant la période du 1er jour d’avril au 31 octobre de chaque année, ou

[…]

lorsque la valeur du lot ou de la parcelle de terrain, les bâtiments et autres améliorations non compris, est inférieure à cinq mille dollars.

[26]      La Couronne soutient que, depuis 1962, plusieurs règlements ont limité la capacité de la Couronne à octroyer des baux de terrains et qu’aucun de ces règlements ne contenait de disposition expresse portant sur la reconduction. Cependant, je considère qu’aucun des règlements cités dans le résumé n’interdit expressément la reconduction d’un bail. La Couronne allègue qu’aucun des règlements postérieurs à 1962 ne corrige ce qu’elle considère comme une illégalité dans l’octroi des clauses de reconduction perpétuelle.

[27]      La Couronne poursuit en alléguant que lorsqu’une législation ou un règlement touche de façon expresse ou implicite au pouvoir de la Couronne de contracter, toutes les conditions statutaires doivent être respectées, le pouvoir de contracter ne pouvant être plus étendu que ce qui est envisagé par la Loi : en effet, pour paraphraser la position de la Couronne, la simple mention du droit de louer ne donne pas le pouvoir d’accorder une reconduction de bail. Pour soutenir cette thèse, la Couronne renvoie à plusieurs arrêts de jurisprudence. Le plus ancien est Montreal Trust Co. v. C.N.R.[6], une décision du Conseil privé. Cette affaire portait sur une interdiction législative formelle rendant nul et de nul effet un contrat signé avec la Couronne. Il importe de souligner que cette interdiction était explicite : en l’espèce, il n’existe aucune interdiction législative formelle empêchant la reconduction d’un bail.

[28]      La Couronne renvoie également à l’arrêt Verreault (J.E.) & Fils Ltée c. Procureur général (Québec)[7]. Dans cette affaire, la législation en cause n’était pas restrictive, il s’agissait plutôt d’une loi habilitante. Comme il n’existait aucune interdiction empêchant le sous-ministre de signer un contrat au nom du ministre, le contrat relevait de la théorie générale des contrats et de ce fait, il était valide. En fait, cet arrêt favorise plutôt les demanderesses puisque aucune des dispositions législatives invoquées par la Couronne dans son argumentation ou dans sa documentation n’interdit l’octroi d’une clause de prolongation des baux. Mais en l’espèce, ce qui est important c’est que dans l’arrêt Verreault, la Cour suprême du Canada souhaitait déroger à la prudence juridique en matière de contrats lorsqu’elle a statué que suivant les règles générales du mandat, et notamment celles concernant le mandat apparent, un ministre est habilité à lier la Couronne par contrat à moins que ce pouvoir ne soit restreint par une loi. L’arrêt suivant R. c. CAE Industries Ltd.[8] aborde cette théorie.

[29]      Dans l’arrêt CAE Industries, la Couronne a été tenue responsable d’un contrat conclu par trois ministres qui avaient le pouvoir réel, sinon apparent, de lier la Couronne. Dans cet arrêt, le juge Stone, au nom de la majorité, se reporte à plusieurs décisions appuyant la thèse selon laquelle lorsqu’une loi régit le pouvoir de contracter, le contrat ne peut avoir d’effet à moins que toutes les conditions édictées par la loi n’aient été remplies. Malgré tout, la décision dans cette affaire repose sur le fait qu’il n’existait aucune interdiction statutaire et par conséquent, le contrat que la Couronne tentait de faire invalider était valide parce qu’il relevait de la responsabilité générale des trois ministres concernés. Encore une fois, cet arrêt n’aide pas la Couronne puisqu’en l’espèce, il n’existe aucune disposition expresse restreignant la capacité d’octroyer un droit de reconduction au moment de la signature d’un bail.

[30]      Le dernier arrêt que j’aborderai, lequel a été également invoqué par l’avocat de la Couronne, est Walker[9], qui traite du droit de reconduction de baux de terrains dans le parc national Jasper. Dans cette affaire, la Couronne soutenait que les baux étaient nuls puisque que le pouvoir de reconduire les baux n’existait pas légalement au moment de la reconduction. Le juge Martland, au nom de la majorité, a fait remarquer l’absence d’un texte législatif clair permettant de se soustraire à une obligation découlant d’un contrat de bail. La Couronne avait apparemment soutenu que même si les baux primitifs avaient été conclus alors qu’il était usuel d’accorder des clauses de reconduction, elle n’avait plus l’obligation de les reconduire le moment venu, étant donné qu’il n’existait à cette époque aucun pouvoir spécifique autorisant la reconduction. Le juge Martland, au nom de la majorité, résume ainsi l’affaire (à la page 665) :

[…] ce que l’appelante soutient en réalité est que si le gouvernement conclut une convention, signée en son nom par un mandataire, l’obligeant à faire quelque chose dans l’avenir, l’obligation d’exécuter son engagement cesse si, à l’époque de l’exécution, le mandataire n’a plus alors le pouvoir de faire ce qui a été promis. À mon avis, une telle prétention ne se défend pas. Tout autant que les citoyens, le gouvernement est obligé d’exécuter ses contrats. Cette obligation peut disparaître par l’effet de dispositions législatives appropriées, mais en l’absence de pouvoirs clairement conférés par la loi, il ne peut s’y soustraire. L’obligation ne devient pas nulle du simple fait que le pouvoir du ministre de consentir de nouveaux baux est moins étendu qu’il ne l’était à l’époque où le bail primitif a été consenti.

Comme nous le verrons, ceci favorise assurément les demanderesses et l’intervenante. Cependant, le juge Martland ajoute le commentaire suivant (à la page 666) :

Dans l’affaire présente, aucune prohibition légale n’empêche l’appelante d’exécuter son obligation. Il arrive seulement, en ce qui a trait à la concession de nouveaux baux, que les pouvoirs du ministre font l’objet d’une définition moins étendue qu’auparavant.

À vrai dire, l’arrêt Walker favorise les demanderesses en ce que les juges majoritaires ont statué que la Loi des parcs de 1930 et son règlement, de même que les restrictions qui y sont imposées, ne doivent pas s’interpréter comme s’appliquant rétroactivement, ou de façon à retirer des droits acquis (page 667).

[31]      La Couronne allègue que l’article 6 de la Loi des parcs de 1930 et son règlement d’application régissent l’aliénation des terrains dans les parcs et qu’un bail constitue une aliénation. La Couronne soutient qu’une telle aliénation doit être, selon les termes utilisés dans les différents règlements depuis 1930 « pour un terme ne devant pas excéder quarante-deux ans ». De plus, le mot « terme » n’inclurait pas le délai de reconduction. La Couronne fait valoir que le libellé de la Loi des parcs de 1930 et du règlement de cette époque est restrictif et impératif, particulièrement parce que le texte permettant l’octroi d’un bail pour un terme de 42 ans a été modifié par rapport à la législation antérieure qui, elle, permettait clairement la reconduction. En conséquence, soutient-on, si le législateur est muet sur la question de la reconduction, celle-ci ne devrait pas être possible.

[32]      La Couronne poursuit en alléguant qu’une situation de reconduction perpétuelle serait contraire à l’article 4 de la Loi des parcs de 1930, étant donné que tous les terrains « doivent être entretenus et utilisés de manière qu’ils restent intacts pour la jouissance des générations futures ». La Couronne met l’accent sur le mot « intacts » et fait valoir qu’un bail perpétuel n’est pas conciliable avec cette exigence. Bien que cette exigence puisse aussi être interprétée de manière à faire obstacle à la concession de tout bail, il est plus exact de dire que la Loi des parcs de 1930 et la réglementation afférente établissent certaines normes dont l’inobservation entraîne un dommage qui, soit nécessite une correction, soit pourrait entraîner l’annulation du bail. Effectivement, l’objet de la législation sur les parcs est amplement atteint par les dispositions législatives et réglementaires, par exemple, le règlement établi en vertu de l’article 7 de la Loi des parcs de 1930, qui pourvoit à l’administration, à la protection, au contrôle, à la gestion et la protection des parcs et de leurs ressources de même qu’à la prévention des dommages dans les parcs, et par les dispositions relatives aux peines. Pour reprendre une remarque du lord juge Devlin dans Archbolds (Freightage) Ltd. v. S. Spanglett Ltd.[10], remarque très appropriée en l’espèce [traduction] « la résolution du contrat causerait au public de bonne foi de graves inconvénients et préjudices, sans que soit poursuivi l’objet de la loi » : dans cette affaire, le juge était d’opinion que l’objet de la loi était suffisamment atteint par les peines qui y étaient prévues.

[33]      La Couronne termine son argumentation en affirmant qu’étant donné que la concession de baux comportant une clause de reconduction est contraire aux restrictions statutaires postérieures à 1930, ces baux sont par conséquent, nuls, invalides et inexécutables.

[34]      Adopter l’opinion de la Couronne selon laquelle les baux des demanderesses et de l’intervenante CP Hôtels sont nuls et non avenus ou qu’ils ne comportent pas de droit de reconduction, mène à un résultat commercialement absurde et, à vrai dire, à un résultat qui priverait les usagers des parcs de la possibilité de profiter de tous les parcs, y compris les usagers occasionnels des installations de Banff et du Lac Louise. En effet, si les baux étaient seulement pour un terme de 42 ans, aucune entreprise importante ne serait intéressée à investir dans des installations et des commodités dignes des parcs en question et attrayantes pour le public. En conséquence, si les baux consentis étaient d’une durée trop courte pour la survie économique des locataires, la Couronne ne remplirait pas son mandat, qui est de mettre les parcs à la disposition du public pour son bénéfice, son instruction et sa jouissance. La Couronne se trouverait plutôt à conserver les parcs dans leur état originel, non affectés par des mises en valeur importantes ou par le peuple canadien, ce qui mènerait à un résultat inconciliable avec le mandat de la Couronne, voire à un résultat absurde.

[35]      La façon moderne de contourner une absurdité est résumée dans Driedger on the Construction of Statutes, op.cit, aux pages 85 et 86, dont je commenterai les quatre points. Premièrement, on doit présumer qu’une loi n’est pas censée produire des conséquences absurdes. Deuxièmement, l’absurdité comprend la violation du caractère raisonnable, du sens commun et des autres normes publiques, elle ne s’entend pas seulement de ce qui est choquant ou impensable, mais également des conséquences jugées indésirables parce qu’elles vont à l’encontre des valeurs et principes que la Cour tient pour importants. Troisièmement, on doit privilégier une interprétation de la loi qui limite les conséquences absurdes, même dans la mesure où cela vient contredire le sens habituel des mots si ce sens mène à une absurdité. Enfin, dans les limites de la plausibilité, plus la raison d’éviter une absurdité est pressante, plus la dérogation au sens ordinaire des mots sera permise.

[36]      À ces quatre principes, j’aimerais ajouter une règle générale que le juge Martland a fait ressortir dans Walker, précité, à la page 662 : la Couronne ne peut dénoncer son acte propre en présence de deux règlements, un valide et un invalide, en vertu desquels la Couronne peut avoir agi; pour l’honneur de la Couronne et dans l’intérêt du citoyen, il faut adopter l’interprétation qui reconnaît l’intention de la Couronne de faire une concession valide et correcte. Le juge Martland se reporte ici à l’arrêt St. Saviour in Southwark (Churchwardens of) Case[11], une décision du lord juge Coke, à la page 1027 :

[traduction] Lorsqu’une concession du Roi peut s’interpréter de deux façons différentes, c’est-à-dire, si une interprétation permet de considérer la concession valable en droit, et une autre interprétation oblige à la juger non valable en droit, alors, pour l’honneur du Roi et dans l’intérêt du citoyen, il faut adopter l’interprétation qui donne effet à l’acte consenti par le Roi, car le Roi n’a pas voulu faire une concession nulle; l’affaire de Sir J. Molin’s case supporte ce point de vue, comme on le voit à la 6e partie de mon recueil.

La langue utilisée dans ce passage par lord Coke, homme savant et expérimenté dont l’influence fut considérable dans la formation et le développement de la common law, remonte à l’époque de Shakespeare, mais le concept est toujours actuel.

[37]      Deux approches me permettent de confirmer le pouvoir légal de la Couronne d’octroyer aux demanderesses des baux contenant une clause de reconduction perpétuelle. La première approche, préconisée par les demanderesses, repose sur l’arrêt Walker, précité, et le règlement mis en vigueur par le décret C.P. 1913-2028, qui prévoit la concession de baux de 42 ans « renouvelable par semblables termes ».

[38]      Alors que plusieurs règlements concernant les parcs et les réserves forestières établis dans les années 1900 me paraissent avoir été expressément révoqués, personne n’a été en mesure de me soumettre quoique ce soit indiquant que le décret C.P. 1913-2028, pris sous le régime de la Loi des Réserves forestières et des Parcs fédéraux, S.C. 1911, ch. 10, ait jamais été révoqué. J’aimerais particulièrement souligner que la Loi des Réserves forestières et des Parcs fédéraux s’applique à plusieurs ensembles de terrains, y compris ceux formant maintenant le parc national du Mont-Riding et le parc des Montagnes Rocheuses du Canada, et qu’aux termes du paragraphe 18(2) (article 21 des S.R.C. 1927, ch. 78), le gouverneur en conseil peut établir des règlements concernant la concession de baux pour différentes fins, y compris la construction de maisons d’habitation et d’établissement destinés au commerce ou à l’industrie. J’aimerais également répéter que les règlements adoptés après 1959, date de concession du dernier bail en cause, n’ont aucune incidence sur les baux déjà octroyés, car la Loi des parcs de 1930 et son règlement d’application « ne doivent pas s’interpréter comme s’appliquant rétroactivement de façon à retirer des droits acquis » (Walker, précité, à la page 667).

[39]      J’ai précédemment évoqué le concept d’abrogation implicite d’une loi. Le moment paraît opportun pour en finir avec ce concept. Dans l’ouvrage Driedger on the Construction Statutes, op.cit., on souligne qu’en présence d’une législation postérieure, il n’y a pas d’abrogation implicite à moins que le maintien des deux dispositions soit jugé impossible ou autrement inacceptable. Alors que dans certains cas le principe de la prépondérance peut s’appliquer, la disposition subséquente l’emportant sur la disposition antérieure incompatible, la pratique habituelle au Canada consiste à abroger la loi par l’édiction de dispositions très stylisées : [traduction] « l’abrogation implicite est tout à fait incompatible avec la façon de concevoir la loi au Canada » (Driedger, op.cit., à la page 496). En l’espèce, la législation, les lois et les règlements, antérieurs et actuels, ne sont pas incompatibles. Une législation autorise la reconduction des baux tandis qu’une autre est muette à ce sujet. En conséquence, l’application des deux dispositions n’est ni impossible ou ni autrement inacceptable[12].

[40]      Les motifs des juges majoritaires dans l’arrêt Walker, précité, viennent également appuyer la conclusion que le décret C.P. 1913-2028, dont l’article 64 permet la concession de baux pour un terme de 42 ans avec reconduction pour la même période, est applicable. Le décret C.P. 2028 permet l’octroi de baux avec reconduction continue et constitue ainsi le fondement des baux consentis aux demanderesses, du moins jusqu’en 1947. Les baux consentis entre 1947 et 1959 sont également valides parce que le règlement alors en vigueur, le décret DORS/47-1010, stipulait qu’une approbation ministérielle était requise quant au formulaire des baux : la Couronne n’a présenté aucun argument tendant à démontrer que les baux consentis pendant cette période et comportant une clause de reconduction perpétuelle n’auraient pas été validement approuvés. Cela nécessite de plus amples explications.

[41]      L’argument de départ des demanderesses veut que la Couronne, sous réserve d’une loi ou d’un règlement limitant ses pouvoirs, possède le pouvoir et la capacité d’une personne physique et ne peut, en invoquant son statut, se soustraire à la responsabilité qui résulte d’un contrat qui serait valide autrement : voir Banque de Montréal c. Procureur général (Qué.)[13]. Cette question de capacité et d’incapacité à rendre nuls les contrats valablement consentis s’accompagne de jurisprudence selon laquelle la Couronne possède la capacité générale de contracter, à moins que ce pouvoir ne soit spécifiquement limité par une loi. C’est là le principe général qui ressort de l’arrêt Verreault (J.E.) & Fils Ltée c. Procureur général (Québec)[14], examiné et commenté, au nom de la majorité, par le juge Stone dans R. c. CAE Industries Ltd., précité, à la page 165 :

Je suis convaincu que dans la décision qu’elle a rendue dans l’affaire Verreault, la Cour suprême voulait déroger à ce qui était considéré comme de la prudence juridique en matière de contrat, c’est-à-dire qu’un ministre de la Couronne n’est pas habilité à lier la Couronne par contrat à moins que le pouvoir d’agir ainsi ne soit prévu dans une loi ou un décret. Si je comprends bien, il est statué que, suivant les règles générales du mandat, et notamment celles concernant le mandat apparent, un ministre de la Couronne est habilité, en sa qualité de chef d’un ministère, à lier la Couronne par contrat à moins que ce pouvoir ne soit restreint par une loi.

Ainsi, la question en l’espèce reste à savoir s’il existe une disposition dans la Loi des parcs de 1930, en vigueur à cette époque ou dans tout règlement adopté sous l’autorité de cette Loi, qui restreigne le pouvoir de contracter de la Couronne et particulièrement celui de consentir des baux renouvelables perpétuellement.

[42]      La Loi des parcs de 1930 dispose que les terres ne doivent pas être aliénées, choisies pour s’y établir, colonisées ou employées ou occupées, sous réserve de ce qui est prévu dans la Loi et le règlement d’application. Le paragraphe 7(1) stipule notamment que le gouverneur en conseil peut, à l’occasion, établir des règlements visant :

7. (1) […]

g)   L’octroi de baux pour lots sur des emplacements de ville pour fins de résidence et de commerce;

Le paragraphe 9(1) de la Loi des parcs de 1930 est particulièrement pertinent puisqu’il maintient en vigueur le règlement antérieur, ce qui comprendrait le décret C.P. 1913-2028 :

9. (1) Tous les règlements établis par le gouverneur en son conseil sous le régime des dispositions de la Loi du parc des montagnes Rocheuses ou de la Loi des réserves forestières et des parcs fédéraux, en vigueur à l’époque de l’adoption de la présente loi, continuent d’être exécutoires jusqu’à ce qu’ils aient été abrogés.

J’aimerais souligner ici que le décret C.P. 1909-1340, modifié de temps à autre et invoqué par la défenderesse dans son argumentation, n’a pas été établi sous l’autorité de la Loi des Réserves forestières et des Parcs fédéraux, qui serait la loi pertinente s’agissant des demanderesses, mais bien sous l’autorité de l’Acte du Parc des Montagnes Rocheuses. Ainsi, ne reste que le décret C.P. 1913-2028 comme règlement applicable. L’article 64 autorise le ministre à louer des terres pour des lots de station estivale et plus particulièrement, aux termes de l’alinéa 64c), à consentir des baux de 42 ans renouvelables par semblables termes :

64. […]

c) Des baux de lots à bâtir dans les stations estivales dûment établies peuvent être consentis selon un formulaire approuvé par le ministre, pour un terme de quarante-deux ans, renouvelable par semblables termes, au loyer à être fixé par le ministre.

Il ressort clairement de cette disposition qu’il peut y avoir plus d’une reconduction.

[43]      J’aimerais dire encore un fois que le règlement contemporain de la Loi des parcs de 1930, le décret C.P. 1930-1452, a annulé ou modifié plusieurs décrets, mais pas le décret C.P. 1913-2028. Cependant, le décret C.P. 1930-1452 est pertinent dans une certaine mesure.

[44]      Après avoir abrogé plusieurs règlements, le décret C.P. 1930-1452 a ajouté au règlement général adopté sous le régime de la Loi des parcs de 1930 une disposition permettant au ministre de l’Intérieur, d’« accorder des baux de lots pour un terme quelconque n’excédant pas quarante-deux ans ». Cette modification ne diminue en rien le pouvoir conféré au ministre par le décret C.P. 1913-2028, étant donné que ce règlement a été établi sous la Loi des Réserves forestières et des Parcs fédéraux, laquelle visait tous les parcs, alors que le règlement général, décret C.P. 1930-1452, a été établi sous l’autorité de l’Acte du Parc des Montagnes Rocheuses, et visait, comme le prévoit son préambule, uniquement le parc des Montagnes Rocheuses du Canada, le parc Yoho, le parc des Glaciers, le parc Jasper et le parc Elk Island.

[45]      Pour résumer la situation à ce stade-ci, à compter de l’adoption de la Loi des parcs de 1930 et au moins jusqu’à ce que le règlement de 1947 soit établi, le décret C.P. 1913-2028 était en vigueur et permettait la reconduction multiple pour des termes de 42 ans. Plus encore, rien dans la Loi des parcs de 1930 n’interdisait à la Couronne d’accorder des baux pouvant être reconduits perpétuellement.

[46]      Peut-être le décret C.P. 1913-2028 n’a-t-il jamais été abrogé. Cependant, l’avocat des demanderesses a, à bon droit, porté à mon attention DORS/47-1010 du 8 décembre 1947, soit le Règlement d’application de la Loi des parcs de 1930, qui encore une fois révoque plusieurs autres règlements et prévoit au paragraphe 6(1), que le ministre peut louer des lots et des emplacements de ville et des subdivisions [traduction] « pour tout terme n’excédant pas quarante-deux ans ». Selon le paragraphe 6(3) de ce règlement, le formulaire de bail doit être approuvé par le sous-ministre de la Justice. Ce règlement fut à son tour abrogé en 1954 par DORS/54-666 qui portait sur les baux de lots pouvant être consentis sur des emplacements de ville ou des subdivisions d’une valeur inférieure à cinq mille dollars, par le ministre ou un fonctionnaire du ministère des Affaires du Nord et des Ressources Naturelles au nom du ministre, en vertu d’une autorisation générale ou spéciale, sur les formulaires approuvés par le ministre : voir les paragraphes 3(1) et (3).

[47]      Comme je l’ai déjà signalé, les baux ont été accordés aux demanderesses entre 1934 et 1959, et en 1956 quant à celui de l’intervenante : la Cour suprême du Canada, dans Walker, précité, a précisé que le règlement pris après la concession d’un bail ne rétroagit pas de façon à en modifier les modalités. Ainsi, je n’ai pas à considérer l’effet des modifications de 1962 incluses dans DORS/62-78, modifiant DORS/54-666, afin de permettre la reconduction d’un bail pour un terme de 21 ans.

[48]      Les demanderesses et l’intervenante font valoir que le langage clair et simple du décret C.P. 1913-2028 indique que le ministre était expressément habilité à accorder des baux de terrains et que ces baux pouvaient être reconduits. Même dans les règlements ultérieurs, on retrouve le pouvoir du ministre d’accorder des baux de terrains, selon les formulaires approuvés par le sous-ministre de la Justice; cependant rien dans la Loi des parcs de 1930 ou dans tout autre règlement ultérieur pertinent n’indique quelles sont les modalités qui doivent ou non être incluses dans de tels baux. Je reviens ici aux règles modernes concernant l’absurdité, telles qu’énoncées dans Driedger on the Construction of Statutes, et citées précédemment, et à l’arrêt St. Saviour cité dans Walker, précité. Les règles relatives à l’absurdité constituent une mise en garde contre une interprétation de la loi qui conduirait à une absurdité, notion pouvant inclure les conséquences jugées indésirables parce qu’elles contredisent des valeurs ou des principes considérés importants par les tribunaux. En m’appuyant sur la décision St. Saviour, je peux envisager deux interprétations, l’une permettant la reconduction des baux et l’autre l’interdisant, et je choisis celle qui confirme l’intention de la Couronne et qui est dans l’intérêt du citoyen, car je ne peux me résoudre à conclure que la Couronne voulait faire une concession nulle.

[49]      En résumé, jusqu’en 1947 au moins, peut-être jusqu’en 1962, au moment où le terme de reconduction de 21 ans apparaît dans le règlement pris sous le régime de la Loi des parcs de 1930 et peut-être même plus tard, le décret C.P. 1913-2028 permettait au ministre de consentir des baux contenant une clause de reconduction. Selon l’arrêt Walker, précité, ces baux pouvaient être validement reconduits conformément au décret C.P. 1913-2028, et je me reporte ici à un passage de cet arrêt aux pages 661 et 662 :

Donc, il s’agit ici d’une affaire où le gouvernement a consenti les deux baux en question, en se fondant sur le règlement de 1913, qui lui confère un pouvoir suffisant. Ayant agi de la sorte, peut-il maintenant prétendre qu’il aurait dû consentir ces baux sous le régime du règlement antérieur de 1909 et qu’ils ne sont valides que dans la mesure où ils sont conformes à ce règlement-là? À mon avis, le gouvernement ayant ostensiblement agi en vertu du pouvoir que lui conférait un certain règlement ne peut contester le bien-fondé des actes posés par son agent, à moins d’établir que le règlement sur lequel ce dernier s’est basé ne lui donnait pas le pouvoir voulu pour agir ainsi. Le gouvernement n’a pas le droit de dénoncer son acte propre en alléguant que son agent aurait pu agir plus correctement en invoquant un autre règlement, si celui-ci n’a pas choisi cette ligne de conduite.

[50]      Ainsi, la question peut être de savoir si un bail avec clause de reconduction perpétuelle pourrait être nul. Les éditeurs de l’ouvrage Williams and Rhodes Canadian Law of Landlord and Tenant, 6e éd., à la page 14-26, écrivent qu’[traduction] « une disposition relative à la reconduction perpétuelle n’est pas nulle », et ils font également valoir que même s’ils sont contre une telle interprétation, les tribunaux reconnaîtront le concept de bail à reconduction perpétuelle lorsque cela est clairement exprimé, renvoyant à ce sujet à l’arrêt Walker, précité, à titre d’exemple.

[51]      À l’examen de tout ce qui précède et particulièrement de l’exposé du juge Martland dans l’arrêt Walker, précité, aux pages 661 et 662, selon lequel la Couronne ne peut dénoncer son acte propre, il en ressort deux propositions valides. Premièrement, alors que le décret C.P. 1913-2028 restait en vigueur, il est manifeste, vu l’arrêt Walker, que la Couronne était habilitée à accorder des baux contenant une clause de reconduction perpétuelle. Deuxièmement, la réglementation établie à compter de 1947 à commencer par DORS/47-1010, de même que la réglementation subséquente, toutes énoncent que le formulaire de bail doit être approuvé par le sous-ministre de la Justice. Rien n’indique que les formulaires qui ont utilisés pendant des années de 1947 jusqu’à ce la loi permette à nouveau la reconduction des baux, n’ont pas été approuvés par le sous-ministre de la Justice, qui aurait vu que le droit de reconduction perpétuelle y était clairement stipulé. Il n’est pas permis aujourd’hui à la Couronne de dénoncer les actes de ses fonctionnaires qui ont utilisé ces formulaires et consenti des baux. J’examinerai plus attentivement cette question de la dénonciation.

[52]      Que la Couronne, qui a consenti des baux comportant des droits de reconduction entre 1930 et 1959, allègue que les formulaires étaient incorrects ou que ses fonctionnaires n’avaient pas le pouvoir de consentir de tels baux, constitue une sorte de dénonciation qui a été rejetée par le juge Martland dans Walker. Le principe y énoncé à la page 665, selon lequel la Couronne, tout comme les personnes physiques, doit respecter ses contrats à moins d’une disposition statutaire claire par laquelle elle peut se soustraire à ses obligations, est également pertinent. En effet, la théorie générale du mandat est applicable à la Couronne, ses ministres et ses fonctionnaires. La Couronne est liée par les actes de ses représentants ayant agi dans les limites de leur mandat apparent : voir Verreault (précité) et particulièrement le résumé à la page 42 et le passage extrait de Griffith et Street, Principles of Administrative Law, 3e éd., 1963, aux pages 46 et 47.

[53]      Si on continue avec la période se situant entre 1947 et 1959, cette dernière année étant celle du dernier bail des demanderesses, le règlement pourvoit à l’octroi de baux pour une période supérieure à 42 ans et aux conditions ayant été approuvées par le ministre ou le sous-ministre de la Justice. Aucun de ces règlements n’interdit expressément la concession de baux comportant une clause de reconduction à perpétuité, ou à l’inverse aucun ne pourvoit à la reconduction de bail. Cependant, à différentes époques, la Couronne a consenti des baux comportant une clause de reconduction pour un ou plusieurs termes. Rien n’indique que les baux comportant des clauses de reconduction perpétuelle n’ont pas été approuvés comme le requiert la loi et qu’ils pourraient par conséquent être invalides. Tout ceci mène à conclure que la réponse à la première question devrait être affirmative dans le cas des demanderesses et également dans le cas de CP Hôtels, si l’on considère que le décret C.P. 1913-2028 a été adopté sous le régime de la Loi des Réserves forestières et des Parcs fédéraux, loi applicable au parc des Montagnes Rocheuses au Canada. Cependant, j’aimerais examiner encore le cas de CP Hôtels dont la tenure à bail a commencé sous l’empire de l’Acte du Parc des Montagnes Rocheuses, 1887, S.C. 1887, ch. 32 (l’Acte du Parc des Montagnes Rocheuses, 1887). L’article 4 de cette Loi place le parc sous le contrôle et l’administration du ministre de l’Intérieur. Cet article autorise le gouverneur en conseil à adopter des règlements à des fins diverses, y compris le louage de lopins de terre dans le parc.

[54]      Par décret daté du 30 juin 1890, le gouverneur en conseil a habilité le ministre de l’Intérieur à consentir, de temps à autre, des baux de terrain dans le parc, « pour tout terme n’excédant pas quarante-deux ans, avec droit de reconduction » (article 14).

[55]      De la même façon, aux termes de la Loi des Réserves forestières et des Parcs fédéraux de 1911, S.C. 1911, ch. 10, de la Loi des parc de 1930 et de la Loi sur les parcs nationaux de 1952, S.R.C. 1952, ch. 189, le gouverneur en conseil est autorisé à prendre des règlements pour le louage de terrains pour fins d’industries et de commerces. Dans chaque cas, le règlement pertinent autorise le ministre à conclure des baux pour un nombre d’années déterminé, sans toutefois qu’il soit question de reconduction. Il reste à déterminer si, en l’absence d’une stipulation permettant la reconduction perpétuelle, le ministre avait le droit de consentir des baux comportant toutes les clauses additionnelles pouvant être raisonnablement nécessaires à des fins de commerce, y compris des droits de reconduction de longue durée et ce, dans le but de favoriser les investissements d’importance. On pourrait soutenir que puisque la loi doit prévoir expressément la reconduction perpétuelle, elle devrait également comporter une disposition expresse traitant de toutes les clauses pertinentes à inclure dans un bail. Selon CP Hôtels, tant que le règlement ne restreint pas le pouvoir ou l’autorité conféré par la Loi et en l’absence d’interdiction expresse, le ministre peut déterminer les conditions raisonnablement applicables aux circonstances. En effet, il est allégué que le ministre peut, dans un bail, prévoir toutes conditions qui ne sont pas spécifiquement interdites, de façon à réaliser efficacement l’objet de la loi et de la réglementation concernant le louage de terrains dans les parcs.

[56]      Aucune des lois ou règlements pertinents n’interdit expressément au ministre d’octroyer des baux comportant une clause de reconduction perpétuelle. Assurément, l’article 6 de la Loi des parcs de 1930 limite la cession de terres situées dans des parcs si ce n’est sous l’autorité de la Loi et des règlements :

6. (1) Les terrains situés dans les parcs ne doivent pas être aliénés, choisis pour s’y établir, ni colonisés, et personne ne doit employer ni occuper quelque partie de ces terrains si ce n’est sous l’autorité de la présente loi ou des règlements établis sous son empire.

La Loi sur les parcs nationaux de 1952 contient, à son article 6, une disposition semblable. J’aimerais faire remarquer ici qu’un bail constitue en fait une forme d’aliénation de terres et que l’article 6 de la Loi de 1930 et de la Loi de 1952 permet l’aliénation de terres situées dans les parcs pour autant que ce soit sous l’autorité de la Loi ou des règlements. L’article 7 de chacune de ces lois autorise le gouverneur en conseil à établir des règlements concernant l’octroi de baux. Ainsi les conditions prévues à l’article 6 sont remplies par les dispositions expresses de ces lois.

[57]      Comme je l’ai dit précédemment, les règlements autorisent l’octroi de baux pour un terme de 42 ans. Jusque là, outre la disposition relative à la reconduction, les baux détenus par CP Hôtels sont conformes aux lois et aux règlements pertinents, mais la Couronne soutient que le droit de reconduction perpétuelle équivaut à une aliénation permanente et qu’il contrevient ainsi à l’article 4 de la Loi des parcs de 1930, qui prévoit que les parcs doivent être utilisés de façon à les laisser intacts pour les générations futures, article que je répéterai pour des raisons de commodité :

4. (1) Les parcs sont par les présentes dédiés au peuple canadien pour son bénéfice, son instruction et sa jouissance, subordonnément aux dispositions de la présente loi et des règlements, et ces parcs doivent être entretenus et utilisés de manière qu’ils restent intacts pour la jouissance des générations futures.

Je conviens avec l’intervenante que les dommages que la loi cherche à éviter incluent ceux causés par l’industrialisation et le surdéveloppement des terres situées dans les parcs, mais la loi en autorise aussi le développement s’il est fait sous l’autorité de la Loi et des règlements. J’accepte ici la preuve par affidavit de M. Woods portant que CP Hôtels a fait d’importants investissements et réinvestissements dans son hôtel et ses installations, et qu’une telle entreprise commerciale vise l’intérêt du public qui visite les parcs et utilise ces installations. Même sans la preuve par affidavit fournie par CP Hôtels, on peut facilement conclure que le droit de reconduction perpétuelle constitue, pour des gens d’affaires qui engagent des sommes importantes et qui doivent avoir une vision à long terme, une raison d’investir et de réinvestir dans des installations de qualité.

[58]      À ce stade-ci, je me dois de considérer si, comme le fait valoir la Couronne, un bail perpétuel pourrait constituer une cession ou une aliénation définitive de terrain qui porterait atteinte à la jouissance des générations futures. On peut répondre avec raison que les droits de reconduction dépendent de l’observation rigoureuse des dispositions du bail. En cas de non-respect, la Couronne aurait la faculté de reprendre possession des terrains et d’invalider le bail ou le rendre inopérant, une théorie que nous avons déjà explorée. Parmi les choix qui s’offrent à elle, la Couronne n’a pas prévu que le locataire puisse avoir un véritable droit de propriété dans les terrains. J’aimerais ici renvoyer au Black’s Law Dictionary, 5e éd., 1979, qui définit le droit de propriété comme étant [traduction] « un droit ou un titre absolu ou exclusif dans un bien ou dans une créance » et [traduction] « le droit exclusif d’user, de jouir et de disposer d’une chose ayant comme attribut essentiel le droit de contrôler, de gérer et d’aliéner cette chose ». Or, le droit qu’a la Couronne de reprendre possession écarte tout droit exclusif pour le locataire d’user, de jouir et de disposer d’une chose, ceux-ci étant caractéristiques du droit de propriété.

[59]      L’avocat de l’intervenante poursuit en faisant remarquer que même si les règlements en vigueur entre 1930 et 1962 ne comportaient pas de disposition expresse concernant la reconduction, ils n’excluaient pas la possibilité d’offrir une certaine reconduction pour les baux consentis pendant cette période. L’avocat fait valoir que dans le cas contraire, le résultat serait commercialement absurde. J’ai déjà fait remarquer que les catégories d’absurdité ne sont pas étanches et qu’elles peuvent inclure tout résultat jugé non désirable s’il contrevient à des valeurs ou à des principes importants. Décider que les baux conclus entre 1930 et 1962 ne pouvaient comporter de clauses de reconduction mènerait ainsi à une fermeture prématurée des établissements du CP Hôtels et constituerait une absurdité puisque l’objectif ultime de la signature des baux commerciaux, c’est-à-dire d’offrir des commodités au public des parcs, serait mis en échec. Je pense par exemple à la décision Lyons et autres c. La Reine[15], dont les motifs ont été rendus par le juge Estey au nom de la majorité. Dans cette affaire, en supposant que le gouvernement eût décidé d’accorder à des agences d’enquête des pouvoirs inutilisables en pratique et afin d’éviter une telle absurdité, le juge Estey a conclu qu’il pouvait déduire qu’une partie du Code criminel [S.R.C. 1970, ch. C-34] permettait l’entrée dans une propriété privée pour y installer des dispositifs d’écoute téléphonique. À la page 691, le juge Estey a écrit :

En cherchant la façon dont ces dispositions doivent être interprétées, il faut se demander si on doit considérer que le Parlement a voulu conférer aux organismes d’enquête un pouvoir qui ne saurait être exercé. L’invocation des pouvoirs accordés en vertu de la partie IV.1 pour faciliter la découverte du crime ne sert à rien si l’autorisation accordée ne vise que du matériel isolé sans ordonner ou permettre qu’il soit utilisé avec des dispositifs autorisés d’interception par branchement clandestin de lignes téléphoniques ou de surveillance électronique ou acoustique. C’est une chose que de laisser trop de latitude à l’organisme d’enquête, mais c’est une toute autre chose que de rendre toute l’entreprise inutile.

Nier que le législateur devait avoir l’intention d’inclure une clause de reconduction dans ses baux, clause nécessaire pour un projet à long terme de développement commercial de qualité, équivaudrait, selon les termes du juge Estey, à « rendre toute l’entreprise inutile ».

[60]      L’avocat de l’intervenante préconise une interprétation légèrement différente de ce concept d’absurdité. Il souligne un passage de Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., Butterworths, 1983 (aux pages 127 et 128) :

[traduction] En général, une modification dans le libellé d’une disposition remise en vigueur laisse prévoir un certain changement. Ainsi dans l’arrêt Bathurst Paper Ltd. c. Ministre des Affaires municipales, le juge Laskin a dit : « [I]l est raisonnable de croire que les modifications aux lois ont un but, à moins que des indices intrinsèques, ou des indices extrinsèques recevables, démontrent qu’on n’ait voulu qu’en polir le style ». Cependant, comme le juge Laskin l’indique, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’un changement en profondeur était recherché. Dans l’arrêt Ouellette v. Canadian Pacific Railway Co. le litige portait sur une ancienne disposition de la Loi sur les chemins de fer, qui avait été d’une certaine façon amputée par l’omission de certaines phrases, lors de sa remise en vigueur. Lord Shaw y a fait la remarque suivante :

Une fois raccourcie, la disposition est moins nébuleuse, et elle atteint le même but […], comme avant.

Il a rejeté toute présomption

voulant que, parce qu’il existe une différence dans l’expression, il s’ensuit nécessairement que la loi a été modifiée. Les mots réellement utilisés doivent supporter l’interprétation tout comme ils ne doivent pas être affectés par une telle présomption.

Non seulement n’y a-t-il pas de présomption concernant le texte clair de la loi, comme l’a souligné Driedger en renvoyant au discours de lord Shaw aux pages 575 et 576 dans l’arrêt Ouellette v. Canadian Pacific R. Co.[16], mais encore le renvoi au libellé exprès d’une loi antérieure comme outil d’interprétation n’est nécessaire que lorsque le texte à interpréter est ambigu et douteux, ainsi qu’il a été exposé dans l’arrêt Canadian Pacific Railway Co. v. The King[17] :

[traduction] Par conséquent, il est soutenu qu’une modification dans le texte indique un changement d’intention et que le fait que ces mots aient été retranchés démontre que le législateur voulait ajouter leurs frais aux coûts de la ligne dans l’évaluation du montant de la subvention.

Je suis absolument incapable de souscrire à cet argument. La règle d’interprétation des lois qui est invoquée s’applique seulement lorsque les termes à interpréter sont ambigus et douteux. Comme M. Hardcastle l’a dit dans sa troisième édition, à la page 119 :

Parfois, si un texte législatif n’est pas clair, il est possible d’y jeter un peu de lumière en remarquant que certains mots « ont été omis délibérément » comme l’a dit le lord juge Brett dans Union Bank of London v. Ingram (1882) (1).

Voilà, mais on ne peut valablement soutenir que les termes de la Loi ne sont pas clairs; il n’est pas nécessaire d’y jeter un peu de lumière pour en comprendre le sens. Les mots peuvent avoir été omis délibérément par le rédacteur, mais probablement parce qu’ils étaient inutiles.

Dans l’arrêt Canadian Pacific Railway Co. v. The King, précité, la Cour suprême du Canada rejette l’idée qu’une législation antérieure puisse être utile à l’interprétation d’une loi postérieure lorsque le texte de cette dernière est clair. Si l’on applique ce principe aux règlements adoptés entre 1930 et 1962, les termes qui y sont employés énoncent clairement que le ministre a le pouvoir d’octroyer des baux d’une durée n’excédant pas 42 ans. Cependant, et cela est frappant, les règlements ne prévoient pas d’autres conditions devant être incluses dans les baux de terrains; or, d’un point de vue commercial, il faut inclure des conditions additionnelles pour leur donner un certain effet. À vrai dire, les règlements n’interdisent pas l’inclusion de conditions additionnelles dans les baux, et le ministre doit être habilité à exercer un pouvoir discrétionnaire quant aux dispositions utiles pouvant y être insérées. La clause de reconduction perpétuelle pourrait bien être considérée comme le résultat de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. Ceci nous mène à la question du pouvoir de la Couronne.

[61]      Pour commencer, la Couronne est assujettie à tous les principes généraux de la common law et de l’equity, à moins d’une disposition contraire dans les règles de la prérogative ou dans les lois : c’est ce qu’a dit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Banque de Montréal c. Procureur général (Qué.)[18] :

Même alors que les droits et prérogatives de la Couronne étaient beaucoup plus étendus qu’aujourd’hui, l’on admettait néanmoins que celle-ci était liée par les contrats qu’elle avait passés (arrêt Banker, (14 How. St. Tr. 1). En 1886, dans Windsor and Annapolis Railway. Co. v. The Queen (11 App. Cas. 607), lord Watson disait à la p. 613 :

[traduction] Leurs Seigneuries sont d’avis qu’on doit maintenant considérer établi en droit que toutes les fois que la Couronne et un sujet concluent un contrat valide il y aura ouverture à pétition de droit pour dommages-intérêts si la Couronne viole ce contrat […]

Dans un arrêt récent (Verreault & Fils c. Procureur général du Québec ([1977] 1 R.C.S. 41), cette Cour a retenu la responsabilité en dommages de la Couronne à la suite de la rupture d’un contrat de construction.

Le principe de la responsabilité contractuelle de la Couronne n’est donc plus discutable.

J’ai déjà évoqué l’arrêt Walker, précité, aux pages 665 et 666, à l’appui de la thèse selon laquelle la Couronne, comme tout citoyen, est obligée d’exécuter ses contrats, en l’absence de toute interdiction clairement édictée par la loi.

[62]      Alors que la Couronne est bailleur pour chacun des baux détenus par CP Hôtels, un ministre de la Couronne a prescrit les dispositions du formulaire de bail. Le ministre a signé les baux au nom de la Couronne, son rôle étant celui d’un mandataire. La Couronne, à titre de mandant, doit remplir ses obligations contractuelles. J’aimerais ici renvoyer à un passage de l’arrêt Walker, aux pages 664 et 665, où la Cour commence par réfuter une thèse et poursuit en expliquant le rôle du ministre, dont celui de mandataire :

L’appelante énonce sa thèse de cette façon : une personne placée dans la situation du ministre qui s’engage à reconduire un bail, s’engage en fait à exercer son pouvoir d’accorder un bail dans l’avenir, et un tel contrat est toujours subordonné à l’existence en permanence de ce pouvoir. Si ce pouvoir n’existe pas lorsque le moment est venu d’exécuter le contrat, le ministre est déchargé de son obligation.

Cette prétention ne tient pas compte du fait que les contrats de bail en litige n’ont pas été conclus avec le ministre mais avec le gouvernement. Le ministre a prescrit le formulaire du bail et les baux ont été signés au nom du gouvernement par le sous-ministre de l’Intérieur; cependant, le rôle du ministre n’a pas été celui de commettant. Il n’était qu’un mandataire.

À mon avis, une telle prétention ne se défend pas. Tout autant que les citoyens, le gouvernement est obligé d’exécuter ses contrats. Cette obligation peut disparaître par l’effet de dispositions législatives appropriées, mais en l’absence de pouvoirs clairement conférés par la loi, il ne peut s’y soustraire. L’obligation ne devient pas nulle du simple fait que le pouvoir du ministre de consentir de nouveaux baux est moins étendu qu’il ne l’était à l’époque où le bail primitif a été consenti.

[63]      Ce pouvoir d’un ministre, agissant comme mandataire, de lier la Couronne subsiste même en l’absence de disposition législative spécifique ou de décret, pour autant qu’il n’existe aucune restriction à l’exercice de ce pouvoir. Ce principe est exposé, avec plusieurs renvois jurisprudentiels que j’ai omis, dans l’arrêt Somerville Belkin Indust. Ltd. v. Man.[19], une décision de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, confirmé par la Cour d’appel du Manitoba[20] :

[traduction] En l’absence de disposition législative expresse, le pouvoir d’un mandataire de la Couronne de signer des contrats liant la Couronne est déterminé par les règles générales du mandat […] En conséquence, indépendamment de la loi, un contrat signé par le mandataire de la Couronne liera la Couronne dans la mesure où il a été conclu dans les limites des pouvoirs qui lui ont été conférés.

Le pouvoir peut être spécifique ou apparent; dans ce cas, on l’appelle aussi « mandat apparent » comme l’a souligné le juge Stone de la Cour d’appel fédérale dans R. c. CAE Industries Ltd. Dans cet arrêt, le juge Stone renvoie à l’affaire Verreault, précité, de la Cour suprême du Canada et dit ceci (à la page 165) :

Si je comprends bien, il est statué que, suivant les règles générales du mandat et notamment celles concernant le mandat apparent, un ministre de la Couronne est habilité, en sa qualité de chef d’un ministère, à lier la Couronne par contrat à moins que ce pouvoir ne soit restreint par une loi.

Cette thèse de l’obligation d’une restriction imposée par la loi est renforcée par le décision de la Cour d’appel d’Alberta dans Public Utilities Act, In re[21] :

[traduction] Il semblerait très étrange, en effet, que le législateur n’ait pas énoncé en termes clairs son intention d’accorder à la Commission le droit d’écarter les modalités d’un contrat.

Cette décision de la Cour d’appel a été confirmée par la Cour suprême du Canada[22].

[64]      J’en conclus que le gouvernement fédéral ne peut pas se soustraire aux obligations qui lui incombent en vertu des baux conclus avec CP Hôtels, même lorsque le ministre n’est pas habilité par la loi ou par un règlement à octroyer des baux comprenant une clause de reconduction perpétuelle, puisque son pouvoir n’est assujetti à aucune restriction expresse. Ainsi, en ce qui concerne tant les demanderesses que l’intervenante, CP Hôtels, la réponse à la première question est affirmative.

La deuxième question

[65]      La deuxième question est intéressante. Il s’agit de déterminer si, dans le cas où la Cour viendrait à la conclusion que la Couronne n’était pas, au moment où elle les a consentis, légalement habilitée à leur octroyer des baux comportant des clauses de reconduction perpétuelle, les demanderesses peuvent, en droit, invoquer contre elle le comportement des parties relativement à ces baux depuis leur concession originale, ainsi qu’elles l’allèguent dans la déclaration modifiée. Bien entendu, l’intervenante CP Hôtels est également intéressée par cette question.

[66]      À vrai dire, il n’est peut-être pas nécessaire d’aborder la deuxième question, étant donné la réponse affirmative à la première question. Cependant, elle mérite au moins qu’on s’y attarde brièvement. En outre, une réponse à cette question peut devenir utile dans le cas où ma décision ferait l’objet d’une révision.

[67]      Dans son argumentation, la Couronne a fait valoir qu’une erreur mutuelle avait été commise quant à la possibilité de reconduction perpétuelle des baux et qu’en conséquence, les baux étaient nuls : d’un point de vue restreint, l’erreur mutuelle peut survenir à l’occasion, mais souvent, [traduction] « de l’ensemble des éléments de preuve, là où une personne raisonnable conclurait à l’existence d’un contrat dans un sens donné, la Cour, malgré une erreur matérielle, validera le contrat de façon à lier les deux parties » : Cheshire, Fifoot and Furmston’s Law of Contract, Londres, Butterworths, 1986, aux pages 236 et 237. Cheshire, Fifoot et Furmston se reportent ici à plusieurs textes de jurisprudence et de doctrine, dont un extrait tiré de Cornish v. Abington (1859), 4 H. & N. 549, aux pages 555 et 556, 157 E.R. 956, à la page 959. L’extrait entier tiré de Cornish, une décision du baron en chef Pollock, se lit comme suit :

[traduction] Si une partie s’exprime d’une façon qui, dans le cours ordinaire des affaires et selon le sens commun des mots, mène à une certaine signification, elle ne peut prétendre par la suite qu’elle n’est pas liée si une autre partie a agi en fonction de la compréhension qu’elle en a eue. Quiconque, par ses agissements ou par sa façon réelle de s’exprimer, se conduit de façon à ce qu’une autre personne puisse raisonnablement conclure à l’existence d’une entente ou d’un permis, qu’elle ait ou non eu l’intention de contracter, la personne s’étant ainsi exprimé ou ayant agi de cette façon ne peut par la suite s’opposer aux conclusions raisonnables qui ont été tirées de ses paroles ou de sa conduite.

Il incombe à la Couronne de prouver l’erreur mutuelle qui viendrait invalider le contrat, mais elle ne s’est pas acquittée de ce fardeau. En l’espèce, toute personne raisonnable conclurait à l’existence d’un contrat. Cette question n’a pas été réellement discutée, cependant, l’avocat a approfondi la question de l’irrecevabilité.

[68]      La réponse affirmative à la seconde question est fondée sur l’irrecevabilité en equity. Du côté des demanderesses et de l’intervenante CP Hôtels, on plaide que l’irrecevabilité comporte plusieurs facettes. Premièrement, ayant octroyé les baux comportant un droit de reconduction, la Couronne est maintenant empêchée de nier qu’elle en avait le pouvoir. Deuxièmement, la Couronne ne peut subordonner l’approbation d’une cession de bail à l’abandon de la clause de reconduction. Troisièmement, la Couronne a demandé à plusieurs reprises, soit en 1922, 1947 et 1958, et CP y a consenti, l’abandon des baux et la conclusion de nouveaux baux afin de faciliter la subdivision et permettre l’ajout d’une écloserie, les baux de remplacement comportant la même clause de reconduction perpétuelle. J’aimerais faire remarquer que pendant son argumentation, la Couronne a admis que sa position pouvait paraître injuste et qu’elle ne se présentait pas devant la Cour les mains nettes. Elle explique s’être elle-même trompée en croyant que les clauses de reconduction perpétuelle pouvaient être incluses dans les baux de terrains situés dans des parcs : la Couronne a, par le fait même, trompé les défenderesses et le CP Rail.

[69]      Les demanderesses et CP Hôtels ont invoqué la théorie de l’irrecevabilité en equity, également appelée irrecevabilité en raison de la conduite (estoppel in pais), irrecevabilité résultant d’une déclaration écrite. Les éléments de l’irrecevabilité en raison de la conduite, un peu plus larges, sont les suivants : premièrement, une affirmation qui a pour but d’inciter la personne à qui elle est faite à adopter une certaine ligne de conduite; deuxièmement, une action résultant de l’affirmation, de la part la personne à qui l’affirmation a été faite; et troisièmement, un préjudice causé à cette personne en raison de cette action. Cela est clairement énoncé par la Chambre des lords dans l’arrêt Greenwood v. Martins Bank, Ld.[23] :

[traduction] Les facteurs essentiels pour fonder une fin de non-recevoir sont, je pense, les suivants :

(1.) Une affirmation, ou une conduite y équivalant, qui a pour but d’inciter la personne à qui elle est faite à adopter une certaine ligne de conduite.

(2.) Une action ou une omission résultant de l’affirmation, en paroles ou en actes, de la part de la personne à qui l’affirmation est faite.

(3.) Un préjudice causé à cette personne en conséquence de cette action ou omission.

[70]      Cette doctrine de l’irrecevabilité en equity résultant d’une déclaration écrite est applicable à la Couronne. Je me reporte ici à l’arrêt Queen Victoria Niagara Falls Pk. Com’rs v. Internat’l R. Co.[24], de la Cour d’appel de l’Ontario, pour le principe de base et pour son abondante jurisprudence :

[traduction] Que la doctrine de l’irrecevabilité résultant d’une déclaration s’applique même contre la Couronne est un principe bien établi : voir A.-G. to the Prince of Wales v. Collom, [1916] 2 K.B. 193; A.-G. for Trinidad & Tobago v. Bourne, [1895] A.C. 83; Plimmer v. Mayor etc. of Wellington, (1884) 9 App. Cas. 699.

D’autres décisions portant que la Couronne est liée par la doctrine de l’irrecevabilité en raison de la conduite sont citées dans l’ouvrage de Lordon, La Couronne en droit canadien, 1992, Yvon Blais aux pages 350 et 351. On y dit d’emblée que l’irrecevabilité n’est pas possible quand l’affirmation contrevient clairement à une disposition législative, mais tel n’est pas le cas en l’espèce. Lordon cite plusieurs décisions publiées à l’appui de cette thèse. De plus, alors qu’il est bien établi qu’un citoyen ne peut invoquer l’irrecevabilité de la Couronne pour faire appliquer des dispositions réglementaires ou fiscales, il n’y a aucune raison pour que la Couronne échappe à l’irrecevabilité résultant d’une activité commerciale et de la théorie générale des contrats, et j’aimerais ici me reporter d’un point de vue général à l’arrêt Queen Victoria Niagara Falls Pk. Com’rs, précité.

[71]      Dans la présente affaire, en ce qui concerne tout d’abord les baux des demanderesses dans le parc national du Mont-Riding, entre 1934 et même jusqu’en 1965, la Couronne a adopté une attitude indiquant son intention de consentir des baux susceptibles d’être perpétuellement reconduits à la condition que les locataires en respectent les modalités. En conséquence, et vu l’absence de toute interdiction claire, la Couronne est maintenant empêchée de nier qu’elle avait le pouvoir d’octroyer des baux comportant des clauses de reconduction perpétuelle.

[72]      L’avocat du CP Hôtels présente la question de manière légèrement différente, fondant l’irrecevabilité sur d’autres circonstances. Il soutient que la Couronne et ses ministres avaient un devoir positif d’agir conformément à leur pouvoir législatif et réglementaire et qu’ils ne pouvaient excéder ce pouvoir au détriment de Canadien Pacifique. L’avocat fait également remarquer que les baux primitifs, maintenant détenus par CP Hôtels, ont été reconduits à plusieurs reprises conformément aux clauses de reconduction perpétuelle.

[73]      L’avocat de l’intervenante fait valoir l’argument suivant, auquel je souscris :

[traduction] Il est allégué que si la Couronne n’avait pas le pouvoir d’accorder les clauses de reconduction perpétuelle se trouvant dans un ou plusieurs des baux originaux conclus avec Canadien Pacifique, il était de son devoir d’en aviser ce dernier ou bien de faire valoir ses droits de mettre un terme ou de répudier la clause de reconduction perpétuelle au moment où les baux avec Canadien Pacifique ont été reconduits. La Couronne n’a pas agi ainsi et Canadien Pacifique a, au cours du siècle qui s’est écoulé depuis l’octroi du premier bail de terrain dans les Montagnes Rocheuses, engagé des sommes considérables dans la propriété ainsi louée, comptant sur sa capacité de reconduire perpétuellement ses baux. [Article 48 du mémoire de l’intervenante.]

En résumé, le Canadien Pacifique et CP Hôtels, locataires pendant plus d’un siècle de terrains dans les montagnes Rocheuses, ont investi des sommes importantes dans leurs propriétés, se fondant sur des baux comportant une clause de reconduction perpétuelle, alors que la Couronne a, ou bien omis d’informer Canadien Pacifique ou CP Hôtels de son incapacité d’accorder des baux avec clause de reconduction perpétuelle, ou bien omis de les informer qu’elle pouvait répudier ces baux.

[74]      Plus particulièrement, l’intervenante a aussi fourni des éléments de preuve montrant que Canadien Pacifique, à la demande de la Couronne et pour assurer l’aménagement plus artistique d’une subdivision, a abandonné son bail du 2 avril 1906 avec sa clause de reconduction perpétuelle et a conclu, le 2 avril 1922, un nouveau bail comprenant un droit de reconduction perpétuelle. Plus tard en 1947, Canadien Pacifique a renoncé à un terrain et a conclu avec la Couronne un bail de remplacement comprenant les mêmes droits de reconduction qu’elle avait sur le terrain repris par la Couronne et dont celle-ci avait besoin pour aménager une écloserie. Plus récemment, en 1952, une inondation a rendu nécessaire une nouvelle subdivision des terres du Canadien Pacifique. La Couronne a demandé à Canadien Pacifique de céder ses baux existants et de conclure de nouveaux baux aux mêmes conditions, y compris la reconduction perpétuelle. Dans chacun de ces cas, Canadien Pacifique soutient, et cela n’a pas été contredit sérieusement, que la cession des baux existants était conditionnelle à l’octroi de baux de remplacement comportant les mêmes modalités. En conséquence, et je suis d’accord, la Couronne est précluse de nier l’existence du droit de reconduction perpétuelle.

[75]      L’examen que j’ai fait de la question de l’irrecevabilité est succinct, cependant comme je l’ai fait remarquer, cette analyse n’est pas vraiment nécessaire compte tenu de la réponse affirmative à la première question et le raisonnement menant à la réponse affirmative à la seconde question s’en trouve ainsi écourté.

[76]      Je remercie les avocats pour l’effort qu’ils ont consacré à la préparation des pièces et à leurs présentations.



[1]  La législation antérieure est analysée plus à fond par le juge Martland dans l'arrêt Reine, La c. Walker, [1970] R.C.S. 649.

[2]  S.C. 1930, ch. 33.

[3]  S.C. 1911, ch. 10, modifié: pour une version plus accessible, voir celle de 1927, S.R.C. 1927, ch. 78.

[4]  [1970] R.C.S. 649.

[5]  [1898] 2 Q.B. 547, aux p. 551 et 552.

[6]  [1939] 3 D.L.R. 497 (C.P.).

[7]  [1977] 1 R.C.S. 41.

[8]  [1986] 1 C.F. 129 (C.A.).

[9]  [1970] R.C.S. 649.

[10]  [1961] 1 Q.B. 374 (C.A.), à la p. 390.

[11]  (1613), 77 E.R. 1025.

[12]  Voir Driedger, op.cit., aux p. 493 à 496.

[13]  [1979] 1 R.C.S. 565.

[14]  [1977] 1 R.C.S. 41.

[15]  [1984] 2 R.C.S. 633.

[16]  [1925] A.C. 569 (C.P.).

[17]  (1906), 38 R.C.S. 137, aux p. 142 et 143.

[18]  [1979] 1 R.C.S. 565, aux p. 573 et 574.

[19]  [1987] 5 W.W.R. 553, aux p. 558 et 559.

[20]  [1988] 3 W.W.R. 523.

[21]  [1920] 1 W.W.R. 31, à la p. 37.

[22]  (1920), 61 R.C.S. 213.

[23]  [1933] A.C. 51 (H.L.), à la p. 57.

[24]  [1928] 4 D.L.R. 755 (C.A. Ont.), à la p. 769.

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