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Abdelrazik c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), 2009 CF 580, [2010] 1 R.C.F. 267

T-727-08

Abousfian Abdelrazik (demandeur)

c.

Le ministre des Affaires étrangères et le procureur général du Canada (défendeurs)

Répertorié : Abdelrazik c. Canada (Ministre des Affaires étrangères) (C.F.)

Cour fédérale, juge Zinn—Ottawa, 7 et 8 mai et 4 juin 2009.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Liberté de circulation et d’établissement — Contrôle judiciaire de la conduite du gouvernement du Canada faisant censément échec au retour du demandeur au Canada du Soudan et portant atteinte au droit dont il jouit en tant que citoyen du Canada, aux termes de l’art. 6 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte), d’entrer au Canada — Le demandeur, un Canado-soudanais, vivait à l’ambassade du Canada au Soudan, craignant d’être détenu et torturé par les autorités soudanaises — Le passeport canadien du demandeur a expiré pendant son séjour au Soudan et il n’a pas été renouvelé — De même, pendant son séjour au Soudan, le demandeur a été inscrit comme une personne associée à Al‑Qaïda par le Comité 1267 de l’ONU — Les personnes ainsi inscrites sont soumises à un gel des avoirs et à une interdiction de voyager — Ces faits ont empêché le demandeur de rentrer au pays — Le refus du gouvernement du Canada de délivrer au demandeur un passeport d’urgence en vertu de l’art. 10.1 du Décret sur les passeports canadiens constituait une atteinte prima facie au droit garanti par l’art. 6 de la Charte d’entrer au Canada — Il a été ordonné aux défendeurs de procurer au demandeur un passeport d’urgence lui permettant de voyager et d’entrer au Canada — Demande accueillie.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Clause limitative — Le gouvernement du Canada a refusé de délivrer au demandeur un passeport d’urgence en vertu de l’art. 10.1 du Décret sur les passeports canadiens, portant ainsi atteinte à son droit garanti par l’art. 6 de la Charte d’entrer au Canada — Aucune preuve ne démontrait que la conclusion du ministre des Affaires étrangères selon laquelle le demandeur présentait un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’un autre pays constituait en soi une défense fondée sur l’article premier — De plus, rien n’indiquait que le mécanisme prévoyant l’équité procédurale et la justice naturelle avait été suivi en l’espèce — Le refus du gouvernement de délivrer un passeport d’urgence n’était pas justifié au regard de l’article premier de la Charte.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Recours — Le demandeur, un Canado-soudanais, était piégé au Soudan — Le refus du gouvernement du Canada de lui délivrer un passeport d’urgence portait atteinte à l’art. 6 de la Charte — Le demandeur avait le droit d’être remis dans la situation dans laquelle, n’eût été de l’atteinte, il se serait trouvé — À tout le moins, il a été ordonné aux défendeurs de procurer au demandeur un passeport d’urgence lui permettant de voyager et d’entrer au Canada.

Droit international — Le Comité 1267 de l’ONU a inscrit le demandeur comme une personne associée à Al‑Qaïda — Les personnes ainsi inscrites sont soumises à un gel des avoirs à l’échelle mondiale, à une interdiction de voyager à l’échelle mondiale de même qu’à un embargo sur les armes — L’interdiction de voyager ne présentait aucun obstacle au retour du demandeur au Canada parce qu’il n’est pas obligatoire d’obtenir l’autorisation d’un gouvernement étranger pour pouvoir transiter par son espace aérien — Cette interprétation concordait avec l’objectif du Comité de limiter les mouvements de personnes inscrites sur la Liste et de voyager d’un pays à l’autre — L’interdiction de voyager ne restreint pas la mobilité au sein d’un même pays.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la conduite du gouvernement du Canada faisant censément échec au retour du demandeur au Canada du Soudan et portant ainsi atteinte au droit dont il jouit en tant que citoyen du Canada, aux termes de l’article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte), d’entrer au Canada. Le demandeur, un Canado-soudanais, vivait à l’ambassade du Canada à Khartoum, au Soudan, craignant d’être éventuellement détenu et torturé par les autorités soudanaises s’il quittait ce refuge. Il sollicitait une ordonnance enjoignant au Canada de le rapatrier « par n’importe quel moyen sûr dont il dispose ».

Le demandeur est arrivé au Canada en 1990 et il a été accepté en tant que réfugié au sens de la Convention en 1993. Il a ensuite obtenu la citoyenneté canadienne en 1995. Au Canada, il a fréquenté deux individus associés au terrorisme. Cependant, le dossier ne comportait aucune preuve qui permettait de conclure raisonnablement que le demandeur avait un lien quelconque avec le terrorisme ou des terroristes, à part le fait d’avoir fréquenté ces deux individus.

En 2003, le demandeur s’est rendu au Soudan muni d’un passeport canadien valide, mais son passeport a expiré pendant son séjour là-bas et n’a pas été renouvelé. Ce fait de même que d’autres circonstances l’ont empêché de rentrer au pays. Au Soudan, il a été arrêté, détenu et censément torturé par les autorités soudanaises. En outre, il a été interrogé par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) pendant qu’il était détenu. Après la libération du demandeur, le Comité 1267, qui met en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU visant à lutter contre le terrorisme international, a inscrit le demandeur comme une personne associée à Al‑Qaïda. Les personnes ainsi inscrites par le Comité 1267 sont soumises à un gel des avoirs à l’échelle mondiale, à une interdiction de voyager à l’échelle mondiale de même qu’à un embargo sur les armes. Une demande de radiation du demandeur a été soumise au Comité 1267, mais elle a été rejetée. De même, le demandeur a présenté plusieurs demandes à Passeport Canada en vue d’obtenir un nouveau passeport, mais ces demandes ont également été rejetées. Même si le ministre des Affaires étrangères a promis à plusieurs reprises de fournir au demandeur un passeport ou un document de voyage d’urgence, dès que le demandeur serait en mesure de rentrer au Canada, cette promesse n’a jamais été tenue. En fin de compte, toutes les tentatives entreprises par le demandeur pour rentrer au pays ont échoué.

Les questions litigieuses étaient celles de savoir si les défendeurs ont porté atteinte au droit constitutionnel qu’a le demandeur d’entrer au Canada, comme le lui garantit le paragraphe 6(1) de la Charte et, s’il y a eu atteinte à ce droit, si cette atteinte était justifiée au regard de l’article premier, comme étant une limite raisonnable qui est prescrite par la loi et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. S’il y a eu atteinte et que celle-ci n’était pas justifiée, la Cour devait concevoir la réparation qu’elle estimait convenable et juste en application du paragraphe 24(1) de la Charte.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Le droit d’entrer au Canada est garanti par le paragraphe 6(1) de la Charte et il s’agit d’un droit qui n’est garanti qu’aux citoyens du Canada. Il n’y a pas lieu de s’immiscer à la légère dans ce droit. Si on refuse à un citoyen le droit d’entrer au Canada, ce refus doit se justifier comme étant nécessaire pour réaliser un objectif raisonnable de l’État. C’est au demandeur qu’il incombe le fardeau de prouver qu’il y a eu atteinte à ce droit.

Bien qu’il ne soit pas obligatoire de conclure que l’atteinte à un droit garanti par la Charte ait été commise de mauvaise foi ou avec un motif ultérieur quelconque, une preuve de mauvaise foi ou pour un motif irrégulier peut être pertinente au moment d’examiner la mesure de réparation qu’il convient d’accorder en cas d’atteinte à un droit garanti par la Charte. Les arguments invoqués par le demandeur pour soutenir que les défendeurs avaient agi de mauvaise foi ont donc été pris en compte en l’espèce. Pour les motifs énoncés ci-dessous, la Cour a reconnu que le Canada s’était engagé dans une voie et avait posé des gestes précis qui constituaient une atteinte au droit du demandeur d’entrer au Canada.

La preuve soumise à la Cour démontrait, selon la prépondérance des probabilités, que la recommandation relative à la mise en détention du demandeur par le Soudan est venue directement ou indirectement du SCRS. En conséquence, le SCRS a été complice dans la mise en détention initiale du demandeur aux mains des Soudanais.

Il était raisonnable de conclure que les autorités canadiennes ne voulaient pas que le demandeur rentre au pays et qu’elles étaient disposées à examiner les moyens qui l’empêcheraient de revenir, comme le refus de délivrer un passeport d’urgence. En fait, au milieu de l’année 2004, les autorités canadiennes avaient décidé qu’elles ne prendraient aucune mesure active pour aider le demandeur à rentrer au pays.

Il n’y avait rien dans l’interdiction de voyager de la résolution 1267 de l’ONU pour empêcher de rapatrier le demandeur au Canada parce qu’il n’est pas obligatoire d’obtenir l’autorisation d’un gouvernement étranger pour pouvoir transiter par son espace aérien. Cette interprétation concordait avec l’objectif de l’interdiction de voyager dont le Comité 1267 fait état dans son document intitulé « Explication de l’interdiction de voyager », soit de « limiter les mouvements des personnes inscrites sur la Liste ». L’objectif du Comité est d’empêcher ces personnes de voyager d’un pays à l’autre. L’interdiction de voyager ne restreint pas la mobilité au sein d’un même pays. En outre, le mot « territoire », dans la résolution no 1822 de l’ONU n’englobe pas l’espace aérien. Par conséquent, l’affirmation contraire des défendeurs s’inscrit dans le cadre de la conduite à laquelle ces derniers se sont livrés pour veiller à ce que le demandeur ne puisse pas rentrer au Canada.

Le refus du ministre des Affaires étrangères, prononcé à la dernière minute en avril 2009, de délivrer au demandeur un passeport d’urgence en vertu de l’article 10.1 du Décret sur les passeports canadiens, malgré ses nombreuses assurances contraires dès que toutes les conditions préalables auraient été remplies (soit un itinéraire payé), constituait une atteinte au droit du demandeur, garanti par la Charte, d’entrer au Canada. Quand un citoyen se trouve à l’étranger, le gouvernement du Canada a l’obligation positive de lui délivrer un passeport d’urgence afin qu’il puisse rentrer au Canada; sans cela, le droit que le gouvernement du Canada garantit au paragraphe 6(1) de la Charte est illusoire. Si le gouvernement refuse de délivrer ce passeport d’urgence, il s’agit d’une atteinte prima facie aux droits que la Charte garantit à ce citoyen sauf si le gouvernement justifie son refus au regard de l’article premier. Pour refuser à un citoyen le droit d’entrer dans son propre pays il faut, à tout le moins, que l’on établisse ce risque accru pour justifier la prise d’une décision en vertu de l’article 10.1 du Décret. Aucune preuve ne démontrait que la décision du ministre selon laquelle le demandeur présentait un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’un autre pays constituait en soi une défense fondée sur l’article premier de la Charte. De plus, rien ne donnait à penser que le ministre avait suivi le processus prévu dans les directives de Passeport Canada, qui prévoient que chaque fois qu’il est possible de priver un citoyen de ses privilèges en matière de passeport, il existe un mécanisme qui permet à ce citoyen de bénéficier de l’équité procédurale et de la justice naturelle. Même s’il n’incombe pas au judiciaire de remettre en question l’opinion du ministre ou de substituer sa propre opinion à celle de ce dernier, quand l’opinion n’est fondée sur rien, la Cour ne peut pas conclure que le refus était nécessaire et justifié, compte tenu de l’importante atteinte à la Charte qu’implique le fait de refuser de délivrer un passeport à un citoyen canadien.

S’agissant de la réparation appropriée à la suite d’une atteinte à la Charte, le demandeur avait le droit d’être remis dans la situation dans laquelle, n’eût été de l’atteinte, il se serait trouvé. En conséquence, à tout le moins, il devait être ordonné aux défendeurs de procurer au demandeur un passeport d’urgence qui lui permettrait de voyager et d’entrer au Canada.

    LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n44], art. 1, 6, 7, 24(1).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Décret sur les passeports canadiens, TR/81-86, art. 4(3) (mod. par TR/2004-113, art. 3), 10.1 (édicté, idem, art. 5).

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21.

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, art. 1 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).

Loi sur les Nations Unies, L.R.C. (1985), ch. U-2, art. 2.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 77 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194).

Règlement d’application des résolutions des Nations Unies sur Al‑Qaïda et le Taliban, DORS/99-444 (mod. par DORS/2006-164, art. 1).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 81(2).

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, [1945] R.T. Can. no 7, art. 24, 25, 41.

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. n6, art. 1A(2).

Convention portant réglementation de la navigation aérienne, signée à Paris le 13 octobre 1919.

Convention relative à l’aviation civile internationale, 7 décembre 1944, [1944] R.T. Can. no 36.

Nations Unies Conseil de sécurité. Résolution 1267 (1999), adoptée par le Conseil de sécurité à sa 4051e séance, le 15 octobre 1999.

Nations Unies Conseil de sécurité. Résolution 1333 (2000), adoptée par le Conseil de sécurité à sa 4251e séance, le 19 décembre 2000.

Nations Unies Conseil de sécurité. Résolution 1390 (2002), adoptée par le Conseil de sécurité à sa 4452e séance, le 16 janvier 2002.

Nations Unies Conseil de sécurité. Résolution 1455 (2003), adoptée par le Conseil de sécurité à sa 4686e séance, le 17 janvier 2003.

Nations Unies Conseil de sécurité. Résolution 1526 (2004), adoptée par le Conseil de sécurité à sa 4908e séance, le 30 janvier 2004.

Nations Unies Conseil de sécurité. Résolution 1617 (2005), adoptée par le Conseil de sécurité à sa 5244e séance, le 29 juillet 2005.

Nations Unies Conseil de sécurité. Résolution 1735 (2006), adoptée par le Conseil de sécurité à sa 5609e séance, le 22 décembre 2006.

Nations Unies Conseil de sécurité. Résolution 1822 (2008), adoptée par le Conseil de sécurité à sa 5928e séance, le 30 juin 2008.

    JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Kamel c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 21, [2009] 4 R.C.F. 449; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; Veffer c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), 2008 CAF 247, [2008] 1 R.C.F. 61; Khadr c. Canada (Procureur général), 2006 CF 727, [2007] 2 R.C.F. 218; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; Markevich c. Canada, 2003 CSC 9, [2003] 1 R.C.S. 94.

décision différenciée :

Canada c. Grenier, 2005 CAF 348, [2006] 2 R.C.F. 287.

décisions examinées :

Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217; États-Unis d’Amérique c. Cotroni; États Unis d’Amérique c. El Zein, [1989] 1 R.C.S. 1469; Garland c. Consumers’ Gas Co., 2004 CSC 25, [2004] 1 R.C.S. 629; Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, [2002] 4 R.C.S. 429; Chorzow Factory Case (Ger. v. Pol.) (1928), P.C.I.J., Sr. A, No. 17 (13 septembre).

décisions citées :

Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915; R. c. Blackman, 2008 CSC 37, [2008] 2 R.C.S. 298; Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, 2006 CSC 6, [2006] 1 R.C.S. 256; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995; Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3.

    DOCTRINE CITÉE

Black’s Law Dictionary, 8e éd. St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 2004, « process ».

Canadian Oxford Dictionary, 2e éd. Toronto : Oxford University Press, 2004, « process ».

Fassbender, Bardo. Targeted Sanctions and Due Process. Study commissioned by the United Nations Office of Legal Affairs, Berlin :  Humboldt University Berlin, 2006.

Nations Unies. Comité du Conseil de sécurité créé par la Résolution 1267 (1999) concernant Al‑Qaida, les Taliban et les personnes et entités qui leur sont associées. Directives régissant la conduite des travaux du Comité, adoptées le 7 novembre 2002, modifiées les 10 avril 2003, 21 décembre 2005, 29 novembre 2006, 12 février 2007 et 9 décembre 2008.

Nations Unies. Comité du Conseil de sécurité créé par la Résolution 1267 (1999) concernant Al‑Qaida, les Taliban et les personnes et entités qui leur sont associées. Liste récapitulative concernant Al‑Qaida, Oussama ben Laden, les Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés, en ligne : <http://www.un.org/sc/committees/1267/pdf/consolidatedlist.pdf>.

Robert & Collins Senior: Dictionnaire français-anglais, anglais-français, 6e éd. Paris : Dictionnaires Le Robert, 2002, « aboutissement ».

Security Council Report. Update Report No. 4, April 21, 2008. « 1267 Committee (Al‑Qaida/Taliban Sanctions) », en ligne : <http://www.securitycouncilreport.org>.

Woolf, Lord. « Judicial Review—The Tensions Between the Executive and the Judiciary » (1998), 114 Law Q. Rev. 579.

    DEMANDE de contrôle judiciaire de la conduite du gouvernement du Canada faisant censément échec au retour du demandeur au Canada du Soudan et portant ainsi atteinte au droit dont il jouit en tant que citoyen du Canada, aux termes de l’article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés, d’entrer au Canada. Demande accueillie.

    ONT COMPARU

Yavar Hameed, Paul Champ, Audrey Brousseau et Khalid M. Elgazzar pour le demandeur.

Anne M. Turley, Elizabeth D. Richards et Zoe Oxaal pour les défendeurs.

    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Hameed Farrokhzad Elgazzar Brousseau, Ottawa, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

    Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]     Le juge Zinn : M. Abdelrazik vit à l’ambassade du Canada à Khartoum, au Soudan, le pays dont il a la citoyenneté par naissance, craignant d’être éventuellement détenu et torturé s’il quitte ce refuge; il voudrait rentrer au Canada, le pays dont il a la citoyenneté par choix, mais il lui est impossible de le faire. Il vit seul en compagnie d’étrangers, tandis que sa famille immédiate — ses jeunes enfants — se trouve à Montréal. Il est tout aussi victime du terrorisme international que les innocents dont la vie a été emportée par de récents actes de terrorisme barbares.

[2]     M. Abdelrazik dit que le gouvernement du Canada se livre à une conduite conçue pour faire échec à son retour au Canada et que, en agissant de la sorte, ce gouvernement porte atteinte au droit dont il jouit en tant que citoyen du Canada, aux termes de l’article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte), d’entrer ou de retourner au pays. Il qualifie les mesures prises par le Canada et l’inaction de ce dernier [traduction] « d’atermoiements, de réponses évasives, de dissimulation et, de façon générale, de mauvaise foi ».

[3]     Le Canada conteste cette façon de décrire sa conduite. Il dit que ce n’est pas lui qui fait obstacle au retour de M. Abdelrazik, mais le Comité du Conseil de sécurité des Nations Unies créé par la résolution 1267 [1999] [Comité 1267 de l’ONU], qui l’a inscrit sur la liste des personnes associées à Al‑Qaïda, ce qui le soumet donc à trois mesures applicables dans le monde entier : un gel des avoirs, un embargo sur les armes et une interdiction de voyager.

[4]     Il existe un conflit entre l’obligation qu’a le Canada, à titre de membre de l’Organisation des Nations Unies (ONU), de mettre en œuvre et de respecter les résolutions de cette dernière, notamment celles qui sont conçues pour assurer la sécurité contre le terrorisme international, et l’obligation qu’a le Canada, en ce faisant, de se conformer aux droits et aux libertés qu’il garantit à ses citoyens.

[5]     Outre ce conflit entre les obligations internationales et nationales du Canada, il y a aussi, dans le cas présent, un conflit entre les rôles que jouent l’exécutif et le judiciaire. Il s’agit d’un conflit positif, qui découle du travail de mise en balance qu’il est nécessaire de faire dans une démocratie constitutionnelle respectant le concept de la primauté du droit. Le lord Woolf1 a décrit comme suit ce conflit positif :

[traduction] Le conflit [. . .] est acceptable, car il démontre que les tribunaux accomplissent leur tâche consistant à veiller à ce que les mesures que prend le gouvernement au pouvoir soient conformes au droit. Le conflit est une conséquence nécessaire du maintien de l’équilibre du pouvoir entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire [. . .]

[6]     Le concept de la primauté du droit prévoit que le gouvernement et tous ceux qui exercent des pouvoirs dans le cadre de ce dernier sont tenus d’exercer ces pouvoirs d’une manière conforme aux lois en vigueur. Il s’agit de l’un des « principes constitutionnels directeurs fondamentaux » : Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, au paragraphe 32. Quand le gouvernement prend des mesures qui ne concordent pas avec le droit et que ses mesures se répercutent sur un citoyen, ce dernier a donc droit à une réparation appropriée. C’est ce que M. Abdelrazik cherche à obtenir. Il sollicite une ordonnance dans laquelle la Cour enjoindra au Canada de le rapatrier [traduction] « par n’importe quel moyen sûr dont il dispose ». Les défendeurs soutiennent qu’il n’y a pas lieu d’accorder une telle réparation, parce que le Canada n’a pas porté atteinte aux droits de M. Abdelrazik et, en outre, qu’en sollicitant une telle ordonnance, le demandeur demande à la Cour d’empiéter à tort sur les droits et les pouvoirs de l’exécutif.

[7]     Je conclus que les défendeurs ont porté atteinte au droit que la Charte confère à M. Abdelrazik d’entrer au Canada. Je ne conclus pas que le Canada s’est livré à une conduite et à une inaction qui équivalent à [traduction] « des atermoiements, des réponses évasives, de la dissimulation et, de façon générale, de la mauvaise foi », mais je suis d’avis qu’il y a eu une conduite et des gestes particuliers qui constituent une atteinte aux droits de M. Abdelrazik que les défendeurs n’ont pas réussi à justifier. Je conclus que M. Abdelrazik a droit à une réparation appropriée qui, dans les circonstances singulières de la situation dans laquelle il se trouve, exige que le gouvernement canadien intervienne immédiatement pour qu’il soit renvoyé au Canada. En outre, en conséquence des faits établissant la violation et des circonstances singulières de M. Abdelrazik, la réparation requiert que la Cour demeure saisie du dossier afin de s’assurer que M. Abdelrazik est retourné au Canada.

LE CONTEXTE FACTUEL

[8]     La plupart des faits pertinents sont peu contestés. Quant aux détails et aux conclusions de fait qui sont contestés, il en est question, le cas échéant, dans l’analyse des positions des parties. Les dispositions applicables de la Charte, des instruments internationaux et d’autres documents pertinents de nature juridique sont reproduites à l’annexe A jointe aux présents motifs.

[9]     M. Abdelrazik est né dans la République du Soudan et il détient toujours la citoyenneté soudanaise. Omar Hassan Ahmad al‑Bashir a accédé au pouvoir au Soudan en 1989 quand, en tant que colonel dans l’armée soudanaise, il s’est trouvé à la tête d’un groupe d’officiers prenant part à un coup d’État militaire. En 1989, M. Abdelrazik a été jeté en prison dans ce pays à titre d’opposant au nouveau gouvernement du président Omar al‑Bashir. M. Abdelrazik est arrivé au Canada en 1990, demandant l’asile à titre de réfugié au sens de la Convention. Aux termes de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6], un réfugié est une personne qui [article 1A(2)], « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Le Canada a mis en œuvre cette convention par l’entremise de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[10]     En 1992, le Canada a souscrit à la demande d’asile de M. Abdelrazik. De nombreux réfugiés ne demandent jamais la citoyenneté; ils se contentent de résider dans le pays d’accueil sans assumer les responsabilités et se prévaloir des droits dont la citoyenneté est assortie. M. Abdelrazik n’était pas de cet avis. Il a pris les mesures nécessaires et a obtenu la citoyenneté canadienne en 1995. Il a eu deux épouses canadiennes, et il est le père de trois enfants nés au Canada. Même s’il est aussi ressortissant et citoyen du Soudan, il dit qu’il considère le Canada comme son chez soi.

[11]     Entre 1990 et 2003, M. Abdelrazik a vécu à Montréal, où il était une connaissance d’Ahmed Ressam, qui a depuis ce temps été reconnu coupable aux États‑Unis d’avoir comploté en vue de faire exploser une bombe à l’aéroport de Los Angeles. M. Abdelrazik a témoigné pour le compte de la poursuite dans le cadre du procès de M. Ressam. Il signale qu’il l’a fait volontairement, et qu’il n’a pas témoigné sous la contrainte. Il connaissait également Adil Charkaoui, un résident permanent du Canada né au Maroc, qui a été arrêté en mai 2003 par le gouvernement canadien en vertu d’un certificat de sécurité délivré en application de l’article 77 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194] de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour cause de danger pour la sécurité nationale. Chacun, dit‑on, est jugé par ses fréquentations, mais M. Abdelrazik n’a jamais été accusé d’une infraction criminelle quelconque, de nature terroriste ou d’une autre nature, au Canada ou à l’étranger. Le dossier soumis à la Cour ne comporte aucune preuve qui permettrait de conclure raisonnablement que M. Abdelrazik a un lien quelconque avec le terrorisme ou des terroristes, à part le fait d’avoir fréquenté ces deux individus.

[12]     En mars 2003, M. Abdelrazik s’est rendu au Soudan pour rendre visite à sa mère malade et, dit‑il, pour éviter d’être harcelé par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) au lendemain des attaques terroristes menées contre les États‑Unis le 11 septembre 2001. Dans l’exposé des arguments des défendeurs, il est sous‑entendu que M. Abdelrazik, qui est retourné de son plein gré dans son pays de naissance, et ce, en dépit du fait que le président Omar al‑Bashir est toujours au pouvoir, est l’auteur de sa propre infortune. Il y a du vrai dans l’allégation selon laquelle, quel qu’ait été le motif de son retour au Soudan, cette décision était malavisée; s’il y avait un doute quelconque, les faits ultérieurs l’ont prouvé. Mais la sagesse ou la sottise d’avoir décidé de retourner dans son pays de naissance est peu pertinente à l’égard de la demande dont la Cour est saisie. Les droits que confère la Charte ne sont pas tributaires de la sagesse des choix que font les Canadiens, pas plus que de leurs convictions politiques. Une personne sotte ne jouit pas au regard de la Charte de droits moindres que les personnes qui ont fait des choix avisés ou qui sont considérées comme intègres sur le plan moral et politique.

[13]     Le ou vers le 12 septembre 2003, M. Abdelrazik a été arrêté par les autorités soudanaises. Le demandeur a qualifié cette détention, pendant toute la durée de l’audience, [traduction] « d’arrestation et de détention illégales ». Du point de vue du droit canadien, cette description est indubitablement correcte; cependant, aucune preuve n’a été soumise à la Cour pour montrer que l’arrestation n’était pas conforme au droit soudanais. Il y a des preuves dans le dossier selon lesquelles des responsables soudanais ont admis que le maintien en détention de M. Abdelrazik, sans accusation aucune, portait atteinte à ses droits de la personne. C’est peut‑être pour cette raison‑là que les autorités ont finalement cherché à lui faire quitter le Soudan. Quoi qu’il en soit, la question de savoir si la détention était légitime ou non au Soudan est peu pertinente, selon moi, pour les questions dont la Cour est saisie. Le seul aspect de sa détention qui pourrait être pertinent est celui de savoir si, comme l’allègue le demandeur, les autorités canadiennes ont demandé qu’il soit détenu.

[14]     M. Abdelrazik s’est rendu au Soudan muni d’un passeport canadien valide et il aurait pu revenir au pays avant d’être mis en détention. Son passeport a expiré pendant qu’il était en détention et n’a pas été renouvelé. Ce fait de même que d’autres circonstances l’ont empêché de rentrer au pays.

[15]     La première période de détention de M. Abdelrazik a duré environ 11 mois. Il a d’abord été détenu dans la prison de sécurité de l’État à Khartoum, ensuite dans la prison de Kober et, de là, dans les installations du Bureau soudanais des crimes contre la République. Il allègue que le SCRS a expressément demandé au Soudan de le détenir et de l’arrêter. Les défendeurs nient cette allégation. Il n’est pas contesté que M. Abdelrazik a été interrogé par des agents du SCRS pendant qu’il était détenu au Soudan.

[16]     Lors de la première période de détention de M. Abdelrazik, l’ambassade du Canada à Khartoum lui a fourni une aide consulaire sous la forme de multiples visites consulaires et démarches diplomatiques, demandant aux Soudanais de le faire bénéficier de l’application régulière de la loi. M. Abdelrazik prétend avoir été torturé durant le temps qu’il a été détenu. Dans son affidavit du 25 juin 2008, il déclare qu’on l’a battu avec un tuyau de caoutchouc, qu’on lui a donné l’ordre de se tenir au garde‑à‑vous pendant des heures, qu’on l’a isolé dans une cellule glaciale et, en outre, qu’on lui a retiré ses médicaments contre l’asthme et ses lunettes. À la prison de Kober, il a fait trois grèves de la faim, et il dit avoir été puni en étant roué de coups et placé en isolement cellulaire. Le Canada nie être au courant que M. Abdelrazik a été torturé pendant qu’il était en détention.

[17]     En juillet 2004, M. Abdelrazik a été transféré par les Soudanais dans ce qu’il décrit comme une [traduction] « maison de transition » à Khartoum, où il a bénéficié d’une liberté de mouvement partielle. Il était tenu de se présenter chaque semaine aux autorités soudanaises et il semble qu’officiellement celles‑ci le considéraient encore comme étant [traduction] « en détention ». Il s’est rendu à plusieurs reprises à l’ambassade du Canada, et a demandé avec insistance qu’on l’aide à rentrer au pays. Il a aussi tenté de rencontrer plusieurs envoyés canadiens de premier plan au Soudan.

[18]     Il a semblé que M. Abdelrazik allait être en mesure de rentrer au Canada. Le ministère des Affaires étrangères a fait de réels efforts en juillet 2004 pour ramener M. Abdelrazik au pays par avion, via Francfort, en compagnie d’une escorte diplomatique, à bord d’un avion de la société aérienne Lufthansa. Le Canada a acheté des billets pour M. Abdelrazik, en utilisant les fonds de la femme qui, à l’époque, était son épouse. Cependant, quelques jours avant le départ prévu, la société Lufthansa a informé les défendeurs qu’elle ne pouvait pas prendre M. Abdelrazik à bord de l’un de ses avions parce que son nom figurait sur une liste de personnes [traduction] « interdites de vol ».

[19]     Une idée, d’origine soudanaise, selon laquelle M. Abdelrazik pourrait être renvoyé au Canada à bord du jet d’un ministre canadien en visite, a été rejetée par le Canada en août 2004. Une autre possibilité de rapatriement est apparue quand, le 20 octobre 2004, M. Abdelrazik a informé le consul canadien à Khartoum que le gouvernement soudanais serait peut‑être disposé à fournir un appareil pour le ramener au Canada. L’ambassade du Canada a informé par écrit les Soudanais que le Canada ne s’opposait pas en principe au fait que le Soudan ramène M. Abdelrazik au Canada, tant que l’on fournissait les renseignements ordinaires qui étaient nécessaires pour approuver le plan de vol, mais elle a prévenu que [traduction] « le gouvernement du Canada n’est pas disposé à contribuer au coût du vol, ni à fournir une escorte pour M. Abdelrazik durant le vol ». Dans la présente demande, M. Abdelrazik allègue que le refus de fournir une escorte a causé l’échec de l’offre, car, du point de vue du Soudan, la fourniture d’une escorte était une exigence [traduction] « inconditionnelle ». Les défendeurs nient que l’offre était assortie d’une telle condition et soutiennent que le Soudan a tout simplement laissé tomber le plan.

[20]     M. Abdelrazik a obtenu du ministre de la Justice du Soudan une décision écrite, datée du 26 juillet 2005, l’exonérant de toute affiliation à Al‑Qaïda. Malgré cette décision, en octobre 2005, le demandeur a été convoqué par les autorités soudanaises à une réunion. Craignant qu’on le jette de nouveau en prison, M. Abdelrazik a consulté les fonctionnaires consulaires canadiens pour savoir s’il devait répondre à la convocation des Soudanais. On lui a dit que oui, et on l’a assuré que le Canada [traduction] « y donnerait suite » s’il survenait quoi que ce soit.

[21]     M. Abdelrazik s’est présenté à la réunion comme prévu et a effectivement été gardé en détention pendant une période d’environ neuf mois, jusqu’en juillet 2006. Il a été gardé à la prison de Dabak où, dit‑il, les détenus étaient [traduction] « battus au hasard, semble‑t‑il ». Durant cette seconde période de détention, les fonctionnaires consulaires canadiens ont demandé, sans succès toutefois, à avoir accès à M. Abdelrazik, qui allègue avoir été une fois de plus torturé. De trois à cinq jours par mois, dit‑il, on le battait avec un tuyau de caoutchouc. À deux occasions, dit‑il, il a été enchaîné au cadre d’une porte et roué de coups.

[22]     Le 20 juillet 2006, jour où il a été mis en liberté, M. Abdelrazik a été désigné par le département du trésor des États‑Unis pour [traduction] « ses liens étroits avec le réseau d’Al‑Qaïda et son soutien envers ce dernier ». Le lendemain, il a été inscrit par le département d’État des États‑Unis comme [traduction] « une personne présentant un risque marqué de commettre des actes de terrorisme qui menacent la sécurité des ressortissants et la sécurité nationale des États‑Unis ». Le communiqué de presse émis de pair avec l’inscription du département du Trésor mentionnait que [traduction] « [s]elon des renseignements dont dispose le gouvernement des États‑Unis, Abd Al‑Razziq a fourni un appui administratif et logistique à Al‑Qaïda. Il a été identifié comme un proche d’Abu Zubayada, un ancien membre de haut rang du réseau Al‑Qaïda, participant à des activités de recrutement et d’entraînement »2. La Cour n’est au courant d’aucune communication publique de la part du gouvernement des États‑Unis quant aux informations dont ce dernier disposait et qui lui ont permis de conclure que M. Abdelrazik avait soutenu Al‑Qaïda.

[23]     Le 31 juillet 2006, M. Abdelrazik a été inscrit par le Comité 1267 de l’ONU comme une personne associée à Al‑Qaïda. Il est question plus en détail ci‑après du rôle et de la fonction du Comité 1267. À ce stade, il suffit de dire que ce comité met en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU visant à lutter contre le terrorisme international et qui, selon les défendeurs, ont eu une incidence sur le retour au Canada de M. Abdelrazik. L’inscription faite par le Comité 1267 est fondée sur les informations que l’on reçoit de gouvernements et d’organismes internationaux ou régionaux. Selon les directives du Comité [Directives régissant la conduite des travaux du Comité, adoptées le 7 novembre 2002, modifiées les 10 avril 2003, 21 décembre 2005, 29 novembre 2006, 12 février 2007 et 9 décembre 2008], une accusation criminelle ou une déclaration de culpabilité n’est pas une condition préalable au fait d’être inscrit sur la Liste récapitulative.

[24]     On ignore quel gouvernement a demandé que M. Abdelrazik soit inscrit sur la Liste récapitulative. On a avancé l’hypothèse que cette mesure avait été prise à la demande des États‑Unis, et cette hypothèse est raisonnable au vu de la preuve soumise à la Cour. Premièrement, il existe une preuve non contredite selon laquelle le Canada n’a pas demandé l’inscription et n’a pas pris part à la décision de le faire, car il n’était pas membre du Conseil de sécurité de l’ONU. Deuxièmement, il y a la preuve selon laquelle les autorités soudanaises avaient auparavant envoyé une lettre exonérant M. Abdelrazik de toute association avec Al‑Qaïda. Troisièmement, il y a la preuve qu’une semaine avant l’inscription sur la Liste récapitulative, les États‑Unis ont déposé des déclarations soutenant que M. Abdelrazik était associé à Al‑Qaïda. Il s’agit du seul pays à l’avoir fait. Quatrièmement, il n’y a aucune preuve que les États‑Unis sont déjà revenus sur cette position.

[25]     La Cour n’a été saisie d’aucune preuve directe selon laquelle M. Abdelrazik soutenait Al‑Qaïda, pécuniairement ou d’une autre façon, qu’il était membre de ce réseau ou qu’il en observait les principes. Aucune preuve n’a été présentée non plus quant aux motifs qui ont amené les autorités américaines à conclure que M. Abdelrazik avait soutenu Al‑Qaïda et qu’il constituait une menace pour la sécurité des États‑Unis. La Cour n’a été saisie d’aucune preuve — pas plus que, comme nous le verrons plus tard, M. Abdelrazik n’en dispose actuellement — quant au motif pour lequel le Comité 1267 l’a inscrit en tant que personne associée à Al‑Qaïda. La seule preuve directe qu’a la Cour se trouve dans un affidavit déposé par M. Abdelrazik et dans lequel ce dernier jure n’avoir aucun lien avec Al‑Qaïda :

[traduction] Je ne suis pas associé à Al‑Qaïda et je n’ai jamais commis d’actes terroristes. Je ne soutiens pas non plus les personnes qui commettent des actes de terrorisme. Je suis musulman, et le terrorisme est contraire à mes convictions religieuses. Je suis canadien, et le terrorisme met en danger ma famille qui se trouve au Canada. Pour ces raisons, je ne suis pas terroriste.

[26]     Le fait d’être inscrit par le Comité 1267 déclenche plusieurs sanctions : un gel des avoirs à l’échelle mondiale, une interdiction de voyager à l’échelle mondiale, de même qu’à un embargo sur les armes. L’inscription déclenche aussi l’application de dispositions réglementaires nationales, soit le Règlement d’application des résolutions des Nations Unies sur Al‑Qaïda et le Taliban, DORS/99‑444 [mod. par DORS/2006-164, art. 1]. Ce règlement interdit notamment à toute personne présente au Canada ainsi qu’à tout Canadien présent à l’étranger de fournir des fonds qu’utiliseront des personnes inscrites par le Comité 1267 comme étant associées à Al‑Qaïda.

[27]     En octobre 2007, l’avocat de M. Abdelrazik a présenté une requête demandant que le ministre des Affaires étrangères transmette la demande de radiation de son client au Comité 1267. À son tour, le Ministère a soumis des demandes de renseignements sur M. Abdelrazik au SCRS et à la GRC. Ces deux organismes ont répondu à ces demandes comme suit :

[traduction] M. Abdelrazik a quitté volontairement le Canada pour le Soudan en mars 2003. Le Service ne détient aucune information importante récente sur M. Abdelrazik. [Lettre du SCRS datée du 6 novembre 2007.]

[traduction] Nous vous informons que la GRC a procédé à un examen de ses dossiers et n’a pas pu trouver de renseignements importants et récents qui dénotent que M. Abdelrazik est impliqué dans une activité criminelle. [Lettre de la GRC datée du 15 novembre 2007.]

[28]     Après avoir reçu ces réponses du SCRS et de la GRC, le ministre des Affaires étrangères a transmis au Comité 1267 la demande de radiation de M. Abdelrazik. La note d’information établie pour le ministre en rapport avec la demande de radiation indique que [traduction] « le Secteur des services consulaires appuie sans réserve le retour éventuel [de M. Abdelrazik] au Canada » et signale, sous la rubrique [traduction] « Contexte » que [traduction] « M. Abdelrazik conserve le droit de retourner dans son propre pays de nationalité. Le droit international prévoit expressément un droit de retour, et empêche un État de priver une personne de la possibilité de retourner dans son propre pays de nationalité ».

[29]     Le 21 décembre 2007, le Comité 1267 a rejeté la demande de radiation. Aucun motif n’a été fourni.

[30]     Le 29 avril 2008 — il y a à peine plus d’un an — M. Abdelrazik, craignant d’être mis de nouveau en détention par les autorités soudanaises, a demandé et obtenu asile à l’ambassade du Canada à Khartoum. Au cours des mois précédents, il avait reçu de temps à autre la visite de membres des services du renseignement soudanais. Il avait aussi été interrogé par des agents du renseignement des États‑Unis. Le 12 septembre 2007, il a été intercepté pendant qu’il s’en allait rencontrer un photographe du journal Globe & Mail et on l’a averti de ne pas parler à des journalistes. À ce jour, il vit encore à l’ambassade. Le Canada partage forcément son opinion selon laquelle il risque d’être détenu et torturé de nouveau au Soudan, sans motif, s’il quitte l’ambassade, car sinon ce service consulaire extraordinaire n’aurait pas été nécessaire et, selon les observations des défendeurs au sujet du degré d’assistance consulaire que les citoyens canadiens sont en droit de recevoir, ce service n’aurait pas été offert. Les besoins de base de M. Abdelrazik sont assurés aux frais du gouvernement canadien, qui a obtenu du Comité 1267 l’autorisation d’accorder une aide en nature d’une valeur maximale de 400 $ par mois, de même qu’un prêt mensuel de 100 $. À part cela, il est sans ressources.

[31]     L’avocat du demandeur a rencontré des fonctionnaires des Affaires étrangères le 27 février 2008 afin de discuter de la situation de son client. Dans une lettre datée du 18 avril 2008, le directeur de la Gestion des cas consulaires du ministère des Affaires étrangères a écrit ce qui suit :

[traduction] En ce qui concerne la demande de passeport de M. Abdelrazik, j’aimerais vous rappeler l’engagement que nous avons pris, lequel a été exprimé à l’occasion de notre réunion du 27 février, de veiller à ce qu’il dispose d’un document de voyage d’urgence pour faciliter son retour au Canada. Nous entendons respecter cet engagement. [Non souligné dans l’original.]

Passeport Canada relève de la compétence du ministre des Affaires étrangères.

[32]     Ces observations n’étaient pas nouvelles. Des fonctionnaires canadiens avaient déclaré à maintes reprises au sein du service extérieur, au public canadien et à M. Abdelrazik que le Canada était résolu à fournir un passeport ou un document de voyage d’urgence une fois que M. Abdelrazik serait en mesure de rentrer au Canada. Un grand nombre de ces observations ont été extraites du dossier et sont présentées à l’annexe B jointe aux présents motifs.

[33]     Le 9 mars 2008, M. Abdelrazik a demandé un passeport canadien. Il n’avait reçu aucune réponse à une demande de passeport antérieure, déposée en décembre 2005. Il y a dans le dossier certains éléments de preuve selon lesquels Passeport Canada avait décidé, dès août 2005, de ne pas délivrer un passeport ordinaire à M. Abdelrazik. Dans la note sur le cas no 175, datée du 8 août 2005, Ralph Micucci, Direction générale de la sécurité de Passeport Canada, écrit ce qui suit : [traduction] « Dossier examiné et les seuls services de passeport qui seront pris en considération à l’égard de ce sujet est un passeport d’urgence en vue de son retour au Canada ». Il semble s’agir là d’une réponse à un message figurant dans la note sur le cas no 173, datée du 8 août 2005, où la personne agissant pour Mme Gaudet‑Fee écrit ceci :

[traduction] En prévision du fait que le sujet entre en contact avec la mission pour obtenir un passeport, nous vous saurions gré de nous fournir des instructions. Comme vous le savez, le sujet est inscrit sur la LCP. Faites‑nous savoir le plus tôt possible quel type de document de voyage KHRTM peut délivrer.

Les lettres LCP désignent la Liste de contrôle des passeports. Un document figurant dans le dossier, sous le titre [traduction] « Sécurité des passeports — Exigences de contrôle », indique ce qui suit :

[traduction] Le nom de chaque personne qui présente une demande de passeport (ou d’aide pécuniaire) doit être vérifié par rapport à la Liste de contrôle des passeports (LCP) avant qu’une mesure quelconque soit prise. Le formulaire de demande doit être annoté, conformément à la section réservée à l’administration. Si le nom du demandeur figure sur la Liste, sa demande doit être transmise à JWD [bureau des passeports] pour décision.

[34]     La note de M. Micucci a donné lieu à une réponse dans la note sur le cas no 176, de la part de la personne agissant pour Mme Odette Gaudet‑Fee : [traduction] « nous avons besoin d’une réponse sur le fond (le motif de votre décision) afin de justifier la délivrance d’un passeport d’urgence seulement. Il nous faut la justification ». Cette demande a incité Passeport Canada à orienter l’affaire vers le gestionnaire intérimaire, Revue de l’admissibilité, qui a répondu, sans être au courant de la décision antérieure dont M. Micucci avait fait état, en laissant entendre qu’aucune décision n’avait encore été prise, car aucune demande de passeport n’avait été reçue. Le dossier indique que, quand la demande ultérieure a été reçue, aucune réponse officielle n’a été fournie au demandeur. Peut‑être que l’on a jugé que c’était inutile car, le 22 octobre 2005, les autorités soudanaises avaient de nouveau mis M. Abdelrazik en détention. Aucune réponse officielle informant M. Abdelrazik qu’il n’avait pas droit à des services de passeport ordinaires n’allait être fournie avant trois ans. En réponse à sa demande de passeport du 9 mars 2008, Passeport Canada l’a informé le 2 avril 2008 qu’il autoriserait la délivrance d’un passeport d’urgence en vue de faciliter son rapatriement.

[35]     Le 25 août 2008, M. Abdelrazik est parvenu à obtenir une réservation sur un vol de la société aérienne Etihad en vue de son retour au Canada, via Abu Dhabi, sous réserve du paiement du prix du billet. Malgré les observations mentionnées plus tôt, le Canada n’a pas délivré de document de voyage.

[36]     Par une lettre datée du 23 décembre 2008, l’avocat de M. Abdelrazik a été informé par Passeport Canada que sa Section des enquêtes avait entrepris de faire enquête sur [traduction] « l’admissibilité à des services de passeport » de M. Abdelrazik, conformément à l’article 10.1 [édicté par TR/2004-113, art. 5] du Décret sur les passeports canadiens [TR/81-86], aux termes duquel « il est entendu que le ministre peut refuser de délivrer un passeport ou en révoquer un s’il est d’avis que cela est nécessaire pour la sécurité nationale du Canada ou d’un autre pays ». En attendant l’issue de l’enquête, l’avocat a été informé qu’aucun service de passeport ordinaire ne serait fourni à M. Abdelrazik. Cependant, la lettre du 23 décembre 2008 réitère que [traduction] « Passeport Canada délivrera un passeport d’urgence à M. Abdelrazik, après que celui‑ci aura présenté un itinéraire de voyage confirmé et payé à la Section des affaires consulaires de l’ambassade du Canada à Khartoum » (non souligné dans l’original).

[37]     Dans une annexe à sa lettre du 23 décembre 2008, Passeport Canada a inclus une copie de ses directives intitulées « Process by the Investigations Section of the Security Bureau Regarding Investigations Pertaining to Section 10.1 of the Canadian Passport Order » (Processus suivi par la Section des enquêtes de la Direction générale de la sécurité concernant les enquêtes relatives à l’article 10.1 du Décret sur les passeports canadiens). Le processus en question prévoit le fait d’être informé de la tenue d’une enquête et la communication des rapports d’enquête, de même que le droit de présenter, en réponse, des observations. Le « Backgrounder » (document d’information) du Ministère sur le refus de délivrer un passeport ou révocation du passeport pour des motifs de sécurité nationale indique que le processus d’enquête « a été spécialement conçu pour veiller à l’équité de la procédure et à la conformité avec les principes de justice naturelle ». Il serait raisonnable de conclure qu’un refus de passeport qui ferait abstraction du processus décrit dans ces directives serait, à première vue, non conforme à l’équité procédurale et aux règles de justice naturelle. La pertinence de ce fait devient évidente lorsqu’on examine la décision, prise par le ministre le 3 avril 2009, de refuser un passeport d’urgence à M. Abdelrazik sans observer l’une quel-conque des directives établies par son propre ministère.

[38]     Le 15 mars 2009, M. Abdelrazik a fourni au gestionnaire des affaires consulaires, à l’ambassade du Canada à Khartoum, un itinéraire de voyage confirmé et entièrement payé entre Khartoum et Toronto, à bord d’un vol de la société aérienne Etihad; la date de départ prévue était le 3 avril 2009.

[39]     Le lendemain, l’avocat de M. Abdelrazik a écrit aux avocats des défendeurs pour leur faire part de ce fait nouveau. Il a demandé aux défendeurs de [traduction] « prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que M. Abdelrazik puisse revenir au Canada en toute sécurité le 3 avril 2009 » (non souligné dans l’original). La lettre citait les observations des Affaires étrangères selon lesquelles un document de voyage d’urgence serait délivré sur présentation d’un itinéraire de voyage payé et confirmé pour M. Abdelrazik.

[40]     Le 3 avril 2009, M. Abdelrazik a appris de son avocat que le ministre des Affaires étrangères avait rejeté sa demande de passeport d’urgence, par la voie d’une lettre transmise environ deux heures avant son départ. La lettre, d’une phrase seulement et signée par un avocat du ministère de la Justice (Section des services juridiques du MAECI [Ministère des Affaires étrangères et Commerce international]), est libellée comme suit : [traduction] « Conformément à l’article 10.1 du Décret sur les passeports canadiens, le ministre des Affaires étrangères a décidé de rejeter la demande de passeport d’urgence de votre client ».

[41]     Dans son affidavit souscrit le 14 avril 2009, M. Abdelrazik déclare ceci en conclusion :

[traduction] Le ministre ne m’ayant pas délivré un document de voyage, il m’a été impossible de prendre mon vol du 3 avril 2009 et de rentrer au Canada par mes propres moyens. Je me trouve toujours à l’ambassade du Canada au Soudan.

LE CONTEXTE JURIDIQUE

La Charte canadienne des droits et libertés

[42]     Le seul droit visé par la Charte que soulève M. Abdelrazik en l’espèce est celui qu’il a, en tant que citoyen du Canada, d’entrer au Canada, comme le prévoit le paragraphe 6(1) de la Charte. Il s’agit là d’un droit qui n’est garanti qu’aux citoyens du Canada; il ne s’applique pas à ceux qui sont simplement résidents au Canada ou qui entretiennent un autre lien avec ce pays. Toutefois, ce droit a ses limites, c’est‑à‑dire qu’il est subordonné à « des limites qui [sont] raisonnables et dont la justification [peut] se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique », ainsi qu’il est indiqué à l’article premier de la Charte.

[43]     Dans l’arrêt États‑Unis d’Amérique c. Cotroni; États-Unis d’Amérique c. El Zein, [1989] 1 R.C.S. 1469, la Cour suprême du Canada a examiné les droits que confère le paragraphe 6(1) dans le contexte de l’extradition d’un citoyen canadien aux États‑Unis en vue de répondre à des accusations criminelles. La Cour a reconnu l’importance de la relation entre les citoyens et l’État et a fait remarquer qu’il n’y a pas lieu de s’immiscer à la légère dans le droit qu’a une personne de demeurer dans son pays. À la page 1480 du jugement, le juge La Forest décrit la situation comme suit :

    En examinant cette question, je commence par souligner qu’un document constitutionnel doit être abordé dans une perspective d’ensemble. En particulier, cette Cour a souligné à maintes reprises que les droits garantis par la Charte doivent recevoir une interprétation libérale afin de réaliser l’objectif qui consiste à assurer que les citoyens bénéficient pleinement de la protection accordée par la Charte (voir les remarques du juge en chef Dickson dans les arrêts Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, aux pp. 155 et 156; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S 295, à la p. 344). Le rapport étroit qui existe entre un citoyen et son pays favorise ce point de vue dans le présent contexte. Le droit de demeurer dans son pays est tel que, s’il faut lui porter atteinte, cette atteinte doit être justifiée comme étant nécessaire pour réaliser un objectif raisonnable de l’État.

Cela vaut aussi pour le droit qu’a quelqu’un, en tant que citoyen du Canada, d’entrer au Canada. Il n’y a pas lieu de s’immiscer à la légère dans ce droit; si l’on refuse à un citoyen le droit d’entrer au Canada, il faut alors que ce refus soit justifié comme étant nécessaire pour réaliser un objectif raisonnable de l’État.

[44]     Les défendeurs sont d’avis que ce n’est pas une mesure quelconque de la part du Canada qui empêche M. Abdelrazik d’entrer au Canada; il s’agit plutôt du fait que le Comité 1267 a inscrit son nom sur la Liste récapitulative, en tant que personne associée à Al‑Qaïda. Si cela est vrai, il n’y a donc rien que le Canada est obligé de justifier parce que ce n’est pas le Canada qui fait obstacle à l’entrée de ce citoyen au pays.

Les obligations internationales du Canada

[45]     L’article 24 de la Charte des Nations Unies [26 juin 1945, [1945] R.T. Can. no 7] (la Charte de l’ONU) confère au Conseil de sécurité « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales ». Aux termes de l’article 41 de la Charte de l’ONU, le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures doivent être prises pour donner effet à ses décisions, et il peut inviter les membres des Nations Unies à appliquer ces mesures.

[46]     Selon l’article 25 de la Charte de l’ONU, « [l]es Membres de l’Organisation conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte ». Le Canada est membre de l’ONU et, dans le cadre de ses obligations, il a adopté la Loi sur les Nations Unies, L.R.C. (1985), ch. U‑2, qui dispose [à l’article 2] que le gouverneur en conseil peut prendre les décrets et règlements qui lui semblent « utiles » pour donner effet aux décisions du Conseil de sécurité de l’ONU.

[47]     En 1999, en réponse aux attentats à la bombe perpétrés le 7 août 1998 contre les ambassades des États‑Unis à Nairobi (Kenya) et à Dar es‑Salaam (Tanzanie) par Oussama ben Laden et des membres de son réseau, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté la résolution no 1267. Cette dernière était axée sur les talibans, qui permettaient à ben Laden et aux membres de son réseau d’utiliser leur territoire. Le paragraphe 4 de la résolution no 1267 énonce les mesures que le Conseil de sécurité a imposées aux États membres. Ces mesures se limitaient au départ à refuser aux aéronefs appartenant aux talibans l’autorisation de décoller de leur territoire ou d’y atterrir, sauf pour des motifs d’ordre humanitaire ou l’exécution d’obligations religieuses telles que le pèlerinage à La Mecque, ainsi qu’à geler les fonds et les ressources pécuniaires des talibans. Un comité formé de tous les membres du Conseil de sécurité (le Comité 1267) a été mis sur pied en vue de mettre en application la résolution no 1267 et de rendre compte de la situation au Conseil.

[48]     Les sanctions énoncées dans la résolution no 1267 ont été modifiées et affermies par des résolutions ultérieures, dont les nos 1333 (2000), 1390 (2002), 1455 (2003), 1526 (2004), 1617 (2005), 1735 (2006) et 1822 (2008), de sorte que les sanctions s’appliquent aujourd’hui à des personnes et à des entités désignées qui sont associées à Al‑Qaïda, à Oussama ben Laden et aux talibans, quel que soit l’endroit où elles se trouvent. Plus précisément, par la résolution no 1390 adoptée le 16 janvier 2002, ces mesures ont été élargies de façon à englober le réseau d’Al‑Qaïda et d’autres groupes terroristes associés en réponse aux attaques menées contre les États‑Unis le 11 septembre 2001. En dépit de ces résolutions ultérieures, le groupe de surveillance continue de porter le nom de « Comité 1267 ». La résolution la plus récente, et celle qui s’applique présentement à M. Abdelrazik, parce que son nom a été inscrit sur la Liste récapitulative, est la résolution no 1822, adoptée le 30 juin 2008.

[49]     Comme il a été indiqué, le Comité 1267 a inscrit M. Abdelrazik en tant que personne associée à Al‑Qaïda. Selon la définition donnée au paragraphe 2 de la résolution no 1822, le mot « associé » inclut notamment :

    a) le fait de participer au financement, à l’organisation, à la facilitation, à la préparation ou à l’exécution d’actes ou d’activités en association avec le réseau Al‑Qaida, Oussama ben Laden ou les Taliban, ou toute cellule, filiale ou émanation ou tout groupe dissident, sous leur nom, pour leur compte ou les soutenir;

    b) le fait de fournir, vendre ou transférer des armements et matériels connexes à ceux‑ci;

    c) le fait de recruter pour le compte de ceux‑ci;

    d) le fait de soutenir, de toute autre manière, des actes commis par ceux‑ci ou des activités auxquelles ils se livrent.

[50]     Une étude commandée par le Bureau des affaires juridiques des Nations Unies [Bardo Fassbender, Targeted Sanctions and Due Process, Berlin : Humboldt University Berlin, 2006, aux pages 4 et 5] résume le manque de procédures juridiques dont disposent les personnes inscrites par le Comité 12673 :

[traduction] Les personnes et les entités ciblées ne sont pas informées avant leur inscription et, de ce fait, elles n’ont pas la possibilité d’éviter d’être incluses dans une liste en établissant qu’une telle inclusion est injustifiée selon les termes de la ou des résolutions respectives du Conseil de sécurité. Les divers régimes de sanction comportent des procédures de radiation différentes, mais en aucun cas une personne ou une entité est‑elle autorisée à demander directement la radiation de son nom au comité respectif du Conseil de sécurité. Les personnes ou les entités ne peuvent pas être entendues par le Conseil ou un comité. Les procédures de radiation actuellement en vigueur mettent nettement l’accent sur le fait que les États particulièrement en cause (le « gouvernement identifiant », qui a initialement proposé l’inscription, et le « gouvernement requis » auquel une demande de radiation de la liste a été présentée par une personne ou une entité) règlent l’affaire par voie de négociation. La question de savoir si le comité respectif, ou le Conseil de sécurité lui‑même, accèdera à une demande de radiation relève entièrement de la discrétion du comité ou du Conseil; il n’existe aucune règle juridique qui obligerait le comité ou le conseil à accéder à une demande si des conditions précises sont remplies.

Néanmoins, aucune possibilité concrète n’est prévue pour qu’une personne ou une entité inscrite conteste son inscription devant un tribunal administratif ou de justice national, car les États membres de l’ONU sont tenus, conformément à l’article 103 de la Charte de l’ONU, de se conformer aux résolutions prises par le Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII de cette Charte. Si, à titre exceptionnel, une ordonnance légale nationale permettait à une personne d’intenter directement une action contre une résolution du Conseil de sécurité, l’Organisation des Nations unies jouirait d’une immunité absolue contre toute forme de procédure juridique engagée devant les tribunaux et les autorités d’un pays, ainsi que le prévoient l’article 105, paragraphe 1, de la Charte de l’ONU, la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies (résolution 1/22A de l’Assemblée générale du 13 février 1946) et d’autres accords.

D’éminents spécialistes du droit international ont fait remarquer que la situation actuelle équivaut à un « déni de recours juridiques » pour les personnes et les entités visées, et que, selon les principes du droit international en matière de droits de l’homme, cette situation est indéfendable : « Chacun doit être libre de montrer qu’il fait injustement l’objet de soupçons et que, par conséquent [par exemple], le gel de ses avoirs n’a aucun fondement valide ». [Renvois omis.]

[51]     J’ajoute mon nom à ceux qui considèrent le régime instauré par le Comité 1267 comme un déni de recours juridiques fondamentaux et comme une mesure indéfendable selon les principes du droit international en matière de droits de la personne. Rien dans la procédure d’inscription ou de radiation ne reconnaît les principes de justice naturelle ou n’assure une équité procédurale fondamentale. Contrairement au premier régime canadien des certificats de sécurité que la Cour suprême a rejeté dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, les processus d’inscription et de radiation du Comité 1267 ne comportent même pas un droit restreint à une audience. On ne peut guère dire que le processus du Comité 1267 satisfait à l’exigence de l’indépendance et de l’impartialité quand, comme cela semble être le cas de M. Abdelrazik, le pays qui demande l’inscription est l’un des membres de l’organisme qui décide s’il convient d’inscrire une personne ou — tout aussi important — de la radier. L’accusateur est aussi le juge.

[52]     Le processus du Comité 1267 a été modifié depuis son entrée en vigueur en vue de comporter l’obligation d’inclure, sur le site Web de la Liste récapitulative [Liste récapitulative concernant Al‑Qaida, Oussama ben Laden, les Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés], un compte rendu sommaire des motifs d’inscription. Indépendamment du fait que la résolution no 1822 prescrit qu’il est également nécessaire de fournir de tels renseignements pour ceux qui, comme M. Abdelrazik, étaient déjà inscrits, aucun compte rendu n’a encore été fourni au sujet du motif de l’inscription de M. Abdelrazik.

[53]     Initialement, les demandes de radiation ne pouvaient être faites que par l’État d’origine de la personne concernée. Là encore, une modification a été apportée afin de permettre à une personne inscrite de présenter en personne une demande au Comité 1267, ou de le faire par l’entremise de son État d’origine. Selon les Directives régissant la conduite des travaux du Comité [au paragraphe 7d)], le requérant qui souhaite présenter une demande de radiation « doit justifier sa demande de radiation et en décrire le fondement, en expliquant pourquoi il ne remplit plus les critères énoncés au paragraphe 2 de la résolution 1617 (2005) » (non souligné dans l’original). Ces critères sont les quatre exposés ci‑dessus, au paragraphe 49. Pour une personne comme M. Abdelrazik qui soutient n’avoir jamais rempli les critères et avoir été inscrit à tort en tout premier lieu, il est difficile de voir comment il lui est possible de fournir la justification demandée, surtout s’il ne possède aucune information quant au fondement de l’inscription initiale. L’alinéa 7g)(iii) des Directives dispose en outre que si la demande de radiation n’est pas nouvelle et si elle n’apporte aucune information supplémentaire (par rapport à la première demande), sa demande doit être renvoyée au requérant sans avoir été étudiée. Il est difficile de voir quelle information un requérant pourrait produire pour prouver un fait négatif, c’est‑à‑dire qu’il n’est pas associé à Al‑Qaïda. Il est impossible de prouver que les fées et les gnomes n’existent pas, pas plus que M. Abdelrazik ou que quiconque d’autre ne peut prouver qu’il n’est pas associé à Al‑Qaïda. Il est un principe fondamental de la justice canadienne et internationale que l’accusé n’a pas le fardeau de prouver son innocence, et que l’accusateur a le fardeau de prouver la culpabilité. Compte tenu de ces lacunes, il est fallacieux de la part des défendeurs de faire valoir, comme ils l’ont fait, que, si M. Abdelrazik a été inscrit à tort, le recours dont il dispose consiste à demander au Comité 1267 de faire radier son nom, et non pas de faire appel à la Cour. Comme je l’ai fait remarquer à l’audience, le régime du Comité 1267 représente, pour une personne inscrite, une situation qui n’est pas loin de ressembler à celle de Josef K. dans Le procès de Kafka, qui se réveille un matin et qui, pour des raisons qui ne sont jamais révélées à lui ou au lecteur, est arrêté et poursuivi pour un crime non précisé.

[54]     Le Conseil de sécurité de l’ONU a reconnu lui‑même l’extrême difficulté qu’ont les personnes inscrites à obtenir une radiation. Dans un document intitulé Update Report No. 4, April 21, 2008. « 1267 Committee (Al‑Qaida/Taliban Sanctions) » concernant le Comité 1267, le Conseil de sécurité indique ce qui suit [à la page 3] :

[traduction] Il est nettement plus facile pour un pays d’inscrire une personne ou une entité sur la Liste que de l’en radier. Par exemple, l’année dernière, les États‑Unis voulaient faire retirer le nom d’Abdul Hakim Monib, un ancien ministre taliban qui avait changé de camp et qui, jusqu’à récemment, était gouverneur de la province d’Uruzgan en Afghanistan, et travaillait avec les troupes des États‑Unis et de l’OTAN. Mais la Russie s’y est opposée. Dans d’autres cas, les États‑Unis ont empêché que l’on retire des noms et des entités qu’ils avaient présentés à cause d’une implication présumée avec Al‑Qaïda. [Non souligné dans l’original.]

J’ouvre ici une parenthèse pour faire remarquer qu’il est effrayant d’apprendre qu’un citoyen de notre pays ou de tout autre puisse voir son nom inscrit sur la liste du Comité 1267, sur de simples soupçons.

[55]     Le fait d’être inscrit par le Comité 1267 entraîne trois conséquences générales, énoncées au paragraphe 1 de la résolution no 1822 : un gel des avoirs, une interdiction de voyager et un embargo sur les armes. Seules les deux premières s’appliquent en l’espèce.

[56]     Le gel des avoirs dont il est question à l’alinéa 1a) exige des États qu’ils bloquent les avoirs des personnes inscrites et qu’ils veillent à ce que ni les fonds de ces personnes « ni d’autres fonds, actifs ou ressources économiques ne soient mis à la disposition, directement ou indirectement, de ces personnes ». Les défendeurs soutiennent que cette mesure empêche le Canada, ou quiconque se trouvant en territoire canadien, de payer le transport au Canada ou d’assurer ce transport pour M. Abdelrazik. C’est par suite de cette mesure que le Canada a demandé d’être dispensé de cette restriction afin de verser à M. Abdelrazik le prêt mensuel qu’il reçoit actuellement, de même que les installations que le pays lui procure à l’ambassade du Canada à Khartoum.

[57]     L’interdiction de voyager dont il est question à l’alinéa 1b) exige des États membres qu’ils empêchent l’entrée sur leur territoire ou le transit par leur territoire des personnes inscrites. Cette interdiction est assortie de trois dérogations qui, aux dires du demandeur, lui permettraient d’entrer au Canada. Cet argument sera examiné à la section « Analyse » [des présents motifs]. Le texte de la disposition en question est le suivant :

    1. [. . .]

    b) Empêcher l’entrée sur leur territoire ou le transit par leur territoire de ces personnes, étant entendu qu’aucune disposition du présent paragraphe n’oblige un État à refuser à ses propres ressortissants d’entrer sur son territoire ou à exiger d’eux qu’ils quittent le territoire, le présent paragraphe ne s’appliquant pas dans les cas où l’entrée ou le transit sont nécessaires aux fins d’une procédure judiciaire ou lorsque le Comité détermine au cas par cas uniquement que l’entrée ou le transit se justifient;

[58]     Les deux premières dérogations relatives à l’entrée d’un ressortissant sur son propre territoire ainsi qu’au transit par ce territoire qui sont nécessaires aux fins d’une procédure judiciaire sont analysées ci‑après. Les défendeurs soutiennent qu’aucune de ces deux dérogations ne permettrait à M. Abdelrazik de rentrer au Canada.

[59]     La troisième dérogation, qui prévoit que le Comité 1267, au cas par cas uniquement, peut autoriser l’entrée ou le transit s’ils « se justifient » ne s’applique pas à la présente demande, sauf pour noter ce qui suit. Les directives du Comité 1267 énoncent le processus à suivre pour demander cette dérogation. La demande doit être présentée par un État; la personne n’a pas le droit de présenter directement une demande au Comité 1267. La demande doit être faite dans les cinq jours au moins qui précèdent la date du voyage proposé. Il est indiqué [à l’alinéa 11c)] que la demande « doit » (« should » dans la version anglaise des Directives) inclure les informations suivantes :

11. [. . .]

         i)   Le numéro de référence permanent, le nom complet, la nationalité et le numéro du passeport ou du document de voyage de la personne inscrite sur la Liste récapitulative;

        ii)   L’objet du voyage et sa justification, avec copie des pièces pertinentes, détaillant notamment les informations concernant réunions ou rendez‑vous;

        iii)  La date et l’heure du départ et du retour;

        iv)  L’itinéraire complet du voyage, y compris les points de départ et de retour et tous les points de transit;

        v)   des informations détaillées sur les moyens de transports utilisés, y compris, le cas échéant, le numéro de dossier, les numéros de vol et le nom des navires;

        vi)  L’utilisation prévue des fonds ou autres avoirs financiers ou ressources économiques liés au voyage. Ces fonds ne peuvent être procurés que conformément aux dispositions du paragraphe 1 de la résolution 1452 (2002), tel que modifié par le paragraphe 15 de la résolution 1735 (2006). La procédure à suivre pour présenter une demande au titre de la résolution 1452 (2002) est énoncée à la section 10 des présentes directives. [Non souligné dans l’original.]

[60]     Si la demande de dérogation « doit » inclure ces renseignements relatifs au passeport, il est raisonnable de conclure que la personne qui fera le voyage doit être munie au préalable d’un passeport qui facilitera son voyage. Aucune preuve n’a été soumise à la Cour que les défendeurs ont demandé de quelque manière l’autorisation d’exclure M. Abdelrazik de l’interdiction de voyager qui lui était imposée afin qu’il puisse rentrer au Canada, ou qu’ils le feraient sans une ordonnance de la Cour.

LA QUESTION EN LITIGE

[61]     La question qui est en litige en l’espèce consiste à savoir si les défendeurs ont porté atteinte au droit constitutionnel qu’a M. Abdelrazik d’entrer au Canada, comme le lui garantit le paragraphe 6(1) de la Charte. S’il y a eu atteinte à ce droit, la Cour se doit alors d’examiner si cette atteinte est justifiée au regard de l’article premier, comme étant une limite raisonnable qui est prescrite par la loi et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Si la demande est accueillie, la Cour doit concevoir la réparation qu’elle estime convenable et juste eu égard aux circonstances, ainsi qu’il est exigé au paragraphe 24(1) de la Charte.

ANALYSE

Le Canada a‑t‑il porté atteinte au droit de M. Abdelrazik d’entrer au Canada?

[62]     Le demandeur soutient que les défendeurs ont porté atteinte au droit que lui confère la Charte d’entrer au Canada, ceux‑ci adoptant une conduite qui remonte à sa première mise en détention au Soudan. Il renvoie à 11 exemples d’actes et d’omissions d’agir de la part du Canada qui, soutient‑il, établissent un cadre de conduite qui constitue l’atteinte dont il est victime. Il ajoute que, s’il peut établir l’existence d’un ou de plusieurs de ces actes ou omissions, il a donc établi l’existence d’une atteinte au droit garanti par le paragraphe 6(1) de la Charte d’entrer au Canada. Les 11 incidents sur lesquels il se fonde sont les suivants :

1.   sa première mise en détention par les autorités soudanaises le 10 septembre 2003, ainsi que la torture à laquelle ces dernières l’ont soumis;

2.   les mesures prises pour le rapatrier au Canada à bord d’un vol de la société Lufthansa, prévu pour le 23 juillet 2004;

3.   la perspective d’un vol nolisé privé jusqu’au Canada, évoquée le 30 juillet 2004;

4.   l’offre faite par le Soudan de l’expédier au Canada à bord de l’un de ses aéronefs le 20 octobre 2004;

5.   la visite au Soudan du ministre canadien chargé de l’Agence canadienne de développement international en août 2004;

6.   la visite au Soudan du premier ministre Martin le 24 novembre 2004;

7.   la possibilité d’un vol intermédiaire des Forces canadiennes, depuis Khartoum jusqu’au camp Mirage des Forces canadiennes, situé au Moyen‑Orient et, de là, jusqu’au Canada, à bord d’un appareil des Forces canadiennes;

8.   la possibilité de prendre d’autres vols pour le Canada;

9.   l’interdiction de voyager prononcée par le Comité 1267 de l’ONU;

10. le vol du 15 septembre 2008;

11. la récente tentative de rapatriement et le vol prévu pour le 3 avril 2009.

[63]     Les défendeurs soutiennent que les preuves soumises à la Cour ne sont pas suffisantes pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’une quelconque de ces 11 circonstances ont porté atteinte au droit d’entrée au Canada de M. Abdelrazik. C’est au demandeur qu’incombe le fardeau de prouver qu’il y a eu atteinte à la liberté de circulation que lui garantit le paragraphe 6(1). Si le demandeur établit qu’il y a eu atteinte à son droit de circulation, il incombera dans ce cas aux défendeurs de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les gestes qu’ils ont posés sont justifiés au regard de l’article premier de la Charte.

[64]     Dans son avis de demande modifié et son exposé des arguments, le demandeur indique que les défendeurs agissent de mauvaise foi. Le passage suivant, tiré de son mémoire, illustre bien cette opinion :

[traduction] [. . .] au lieu d’aider le demandeur à faire ce qu’il ne peut pas faire seul, les défendeurs ont, de mauvaise foi, conspiré pour faire échec à son retour au Canada. Par leur inaction et de subtiles mesures de sabotage, les défendeurs ont fait échouer de nombreuses occasions de rapatriement — par exemple, en refusant de délivrer un passeport, en n’achetant pas un billet auprès de la seule société aérienne qui acceptait sa réservation, et même en ne se prévalant pas d’une offre d’un aéronef gratuit faite par le Soudan.

[65]     Pour conclure à une atteinte à un droit garanti par la Charte, il n’est pas obligatoire que cette atteinte ait été commise de mauvaise foi ou avec un motif ultérieur quelconque. Une action ou une série d’actions ou d’inactions peuvent constituer une atteinte à un droit garanti par la Charte, même lorsqu’elles ont lieu de bonne foi et sans malveillance. Cependant, à mon avis, une preuve indiquant qu’une atteinte a été commise de mauvaise foi ou pour un motif irrégulier peut être pertinente au moment d’examiner la mesure de réparation qu’il convient d’accorder en cas d’atteinte à un droit garanti par la Charte. Il est possible que, lorsque l’atteinte aux droits d’un citoyen a été commise de mauvaise foi, la Cour doive peut‑être en tenir compte au moment de concevoir une réparation qui compensera d’une manière appropriée l’atteinte et le préjudice causé à la personne lésée.

    La première détention et la torture alléguée

[66]     M. Abdelrazik a été mis en détention par les autorités soudanaises le 10 septembre 2003. Il prétend que sa détention a été [traduction] « demandée » par le SCRS. Il ajoute que ce fait est prouvé par des passages figurant dans deux documents inclus dans le dossier. Chaque document a été transmis par les Affaires étrangères au demandeur en réponse à une demande présentée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P‑21, et chacun contient des passages retranchés.

[67]     Le premier document sur lequel s’appuie le demandeur est une ébauche intitulée « Issue: Consular Case relating to Mr. Abousfian Abdelrazik » (« Question : Affaire consulaire concernant M. Abousfian Abdelrazik »). Ce document n’est pas daté, et aucun auteur n’est indiqué. Le demandeur soutient qu’il a été écrit avant le 23 juin 2005, soit la date d’une note de service émanant de Dave Dyet, directeur, Gestion des cas, Bureau des affaires consulaires, Khartoum, qui semble s’inspirer de cette ébauche. Le texte de cette dernière est le suivant :

[traduction] M. A. s’est rendu au Soudan en mars 2003 pour rendre visite à sa famille. Il était muni de son passeport canadien. En août 2003, il a été arrêté et détenu par les autorités soudanaises [passage retranché]. Les autorités soudanaises admettent volontiers qu’elles n’ont porté aucune accusation contre lui, mais qu’elles le détiennent à notre demande. [Passage retranché.]

[68]     Le second document sur lequel s’appuie le demandeur est un courriel daté du 16 décembre 2005, émanant de l’ambassade du Canada à Khartoum. Il a été approuvé par M. Bones, chef de mission à Khartoum auprès des Affaires étrangères à Ottawa. Ce courriel mentionne ce qui suit :

[traduction] Abusfian Abdelrazik a été arrêté le 10 septembre 2003 [passage retranché] et recommandé par le SCRS, pour association présumée à des éléments terroristes.

[69]     En réponse, les défendeurs se fondent sur un affidavit de Sean Robertson, directeur de la Gestion des cas consulaires, Affaires étrangères, souscrit le 9 septembre 2008, et dans lequel celui‑ci déclare : [traduction] « le défendeur n’a pas demandé que le demandeur soit gardé en détention par les autorités soudanaises ». Comme il l’a reconnu lors de son contre‑ interrogatoire sur cet affidavit, il n’y avait qu’un seul défendeur à l’époque où l’affidavit a été souscrit, soit le ministre des Affaires étrangères. Il a reconnu de plus qu’il ignorait si d’autres ministères ou organismes avaient demandé que M. Abdelrazik soit arrêté ou détenu.

[70]     Les défendeurs s’appuient également sur une lettre de Jim Judd, directeur, SCRS, adressée au président, Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, et datée du 5 mars 2009. Cette lettre, reproduite à partir du site Web du SCRS, a été déposée en tant que pièce jointe à un affidavit signé par un assistant juridique des avocats des défendeurs. Le passage pertinent de cette lettre est le suivant :

[traduction] Comme vous le savez, j’en suis sûr, les médias ont abondamment traité des efforts faits par un citoyen canadien, Abousofian Abdelrazik, pour rentrer au Canada à la suite de sa mise en liberté au Soudan. En fait, de récents reportages sont allés jusqu’à alléguer qu’Abousofian Abdelrazik avait été arrêté par les autorités soudanaises à la requête du SCRS, citant des documents obtenus dans le cadre d’une demande d’accès à l’information.

Le Service a déclaré à titre d’information publique qu’il ne s’occupait pas, et ne s’était pas occupé, de l’arrestation de citoyens canadiens à l’étranger et que, dans cette affaire, les employés du SCRS s’étaient comportés d’une manière conforme à la loi sur le SCRS, au droit canadien et aux politiques applicables. Afin d’éclaircir cette affaire pour les Canadiens, je demande que le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité — à la première occasion — fasse enquête sur l’exécution des obligations et des fonctions du Service en rapport avec le dossier d’Abousofian Abdelrazik, et qu’il en rende compte.

[71]     Le demandeur demande que la Cour tire une conclusion défavorable du fait que les défendeurs ont omis de déposer un affidavit de M. Judd. Le demandeur se fonde sur le paragraphe 81(2) des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)], qui prévoit que « [l]orsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables ».

[72]     Les défendeurs ont informé la Cour que la lettre jointe à l’affidavit de l’assistant juridique n’était pas présentée pour la véracité de son contenu, mais plutôt pour montrer qu’un autre organe décisionnel avait été chargé d’examiner les mesures prises par le SCRS dans la présente affaire et, de ce fait, ils ont soutenu que la Cour devrait hésiter à tirer quelque conclusion que ce soit à propos du rôle joué par le SCRS dans la détention de M. Abdelrazik. Je suis d’avis que la demande faite par le SCRS pour que le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité examine son rôle n’empêche pas la Cour de procéder à son propre examen et de tirer, sur la foi des documents qui lui sont soumis, des conclusions qui lui sont propres. Dans les circonstances de l’espèce, circonstances dans lesquelles le demandeur met carrément en doute cette conduite, la Cour se soustrairait à sa responsabilité si elle n’effectuait pas son propre examen. Il est regrettable que les défendeurs aient décidé de ne produire aucun affidavit du SCRS qui aurait aidé à garantir que la Cour avait en main un dossier complet. Nous ne pouvons déterminer le rôle joué par les responsables de la sécurité canadiens qu’à partir des documents qui ont été déposés.

[73]     Les défendeurs ont fait valoir qu’il existait dans le dossier des éléments de preuve qui contredisaient ceux du demandeur. Plus précisément, ils se fondent sur des passages présents dans cinq documents versés dans le dossier.

[74]     Le premier document est une lettre écrite par M. Dyet, directeur, Gestion des cas, Bureau des affaires consulaires, Affaires étrangères, aux autorités soudanaises en date du 18 mai 2004, dans laquelle il écrit que [traduction] « nous croyons également comprendre que les fonctionnaires canadiens n’ont pas demandé qu’il soit détenu par les autorités soudanaises ».

[75]     Le deuxième document est un courriel adressé par M. Hutchings, de l’ambassade du Canada, à des fonctionnaires en poste à l’Administration centrale des Affaires étrangères le 1er juin 2004, dans lequel il écrit ce qui suit :

[traduction] M. Abdelrazik a téléphoné ce matin pour dire que les autorités [soudanaises] lui avaient maintenant raconté une nouvelle histoire. Elles lui disent qu’il est gardé en détention, et l’a été, parce que les États‑Unis ont prié le Canada de demander au Soudan de le tenir sous garde. Ou, une variante — que le Canada préfère le garder au Soudan que de le remettre aux États‑Unis. Je lui ai dit que jamais je n’avais entendu une telle histoire, mais que j’en ferais rapport.

[76]     Le troisième document est un courriel, daté du même jour, de la part d’Odette Gaudet‑Fee, de l’Administration centrale des Affaires étrangères, qui répond à M. Hutchings. Elle y écrit ce qui suit :

[traduction] Et puis quoi encore? Même si les États‑Unis ont prié le Canada de demander au Soudan de le garder, si les autorités soudanaises n’ont aucune raison de le détenir, pourquoi assument‑elles les responsabilités que d’autres pays devraient assumer? En présumant que les États‑Unis ont des problèmes avec lui, ces autorités devraient laisser les États‑Unis s’occuper de lui. [Passage retranché] Je suis d’avis que nous devrions continuer de faire pression sur les Soudanais pour qu’ils produisent une preuve que les États‑Unis et/ou le Canada ont demandé sa mise en détention, ou qu’ils devraient l’inculper en vertu des lois soudanaises, ou alors le laisser aller.

[77]     Le quatrième document est une note sur le cas portant le no 35 et datée du 5 juin 2004, de Mme Gaudet‑Fee, et dans laquelle elle écrit ce qui suit :

[traduction] J’aimerais aussi que nous transmettions une autre note au [ministère soudanais des Affaires étrangères] pour leur demander d’expliquer ce qui se passe. Nous leur avons dit auparavant que le Canada n’a pas demandé au Soudan de garder en détention M. Abdelrazik et, s’ils ont une preuve du contraire, ils devraient nous fournir des détails et nous aiderons à trouver le motif de la détention.

[78]     Le cinquième document est une note sur le cas portant le no 43 et datée du 24 juin 2004, de Mme Gaudet‑Fee, et dans laquelle elle écrit ce qui suit :

[traduction] Nous avons demandé si [le chargé à l’ambassade du Soudan] savait qui avait demandé la mise en détention de M. Abdelrazik. Il n’était pas au courant des détails.

[79]     Les déclarations sur lesquelles se fondent les défendeurs à l’appui de l’argument selon lequel les autorités canadiennes n’ont pas demandé au Soudan de mettre en détention M. Abdelrazik sont loin d’être suffisantes pour pouvoir tirer cette conclusion. Tout ce qu’elles établissent est que, à l’époque où les documents ont été écrits, des fonctionnaires des Affaires étrangères, tant à l’ambassade à Khartoum qu’à l’Administration centrale à Ottawa, n’étaient au courant d’aucune demande du Canada pour que M. Abdelrazik soit mis en détention. De la déclaration selon laquelle [traduction] « s’ils ont une preuve du contraire, ils devraient nous fournir des détails et nous aiderons à trouver le motif de la détention », on peut déduire que Mme Gaudet‑Fee considérait qu’il était au moins possible qu’un organisme ou une instance quelconque du Canada ait été à l’origine de la détention de M. Abdelrazik. Cette déclaration montre certainement que Mme Gaudet‑Fee n’exprime que ce qu’elle sait elle‑même, et non pas ce que savent tous les fonctionnaires canadiens qui peuvent avoir été à l’origine d’une telle demande.

[80]     Il ressort d’au moins trois documents figurant dans le dossier que Mme Gaudet‑Fee et d’autres personnes aux Affaires étrangères ne s’exprimaient qu’en leur propre nom et en celui de leur ministère.

[81]     Il y a un échange de courriels portant sur la demande de M. Abdelrazik en vue d’obtenir du gouvernement du Canada une lettre officielle attestant que ce n’est pas sur l’ordre du Canada que son nom figure sur une liste d’interdiction de vol de sociétés aériennes. M. Hutchings, de l’ambassade, déclare qu’il pourrait fournir une telle lettre et il propose le texte suivant : [traduction] « Vous m’avez demandé d’indiquer quel rôle le GC a joué en rapport avec la présence de votre nom sur les listes de surveillance des lignes aériennes. Je puis vous garantir que le GC n’est intervenu d’aucune manière dans la décision d’inscrire votre nom sur de telles listes. » Mme Gaudet‑Fee, de l’Administration centrale, répond ce qui suit dans un courriel du 13 avril 2005 : [traduction] « David, je crois comprendre que vous voulez l’aider, mais vous ne pouvez pas écrire cette lettre [. . .] il faut vraiment qu’elle provienne d’autres instances [. . .] et ce ne sont pas aux affaires consulaires à le faire [. . .] en outre, nous ne savons pas, pas vraiment » (non souligné dans l’original).

[82]     Dans une note sur le cas portant le no 198 et datée du 13 décembre 2005, Mme Gaudet‑Fee écrit, en faisant référence à l’avocate de M. Abdelrazik, que celle‑ci [traduction] « a tiré quelques présomptions au sujet de la GRC, du SCRS, etc., et je l’ai donc informée que nous, aux affaires consulaires, n’avons aucune conversation ouverte avec la GRC ou le SCRS sur ce dossier et qu’étant donné que notre mandat n’était que consulaire, c’est ce que nous avons fait » (non souligné dans l’original).

[83]     Enfin, dans le courriel du 16 décembre 2005 dont il est question au paragraphe 68 qui précède, il y a un passage dans lequel l’ambassade à Khartoum reconnaît avoir été informée par l’Agence du renseignement et de la sécurité du Soudan qu’il y avait un lien entre le SCRS et la mise en détention de M. Abdelrazik, lien que l’ambassade dit ignorer. Le passage en question relate une discussion qu’ont eue des fonctionnaires canadiens à l’ambassade à Khartoum et M. Altayeb, haut fonctionnaire auprès de l’Agence nationale du renseignement et de la sécurité du Soudan (ANRS dans le courriel). Sous la rubrique [traduction] « Participation du Canada », l’auteur écrit ce qui suit :

[traduction] L’ANRS/Alatyeb s’inquiète du bien‑être du sujet et de sa situation, et il note que cela a eu un effet négatif sur sa famille. Il a aussi déclaré que les contacts avec les fonctionnaires canadiens étaient réguliers, mais peu concluants. C’est‑à‑dire que l’ANRS soutient que tous les contacts récents ont mené à des déclarations répétées de la part de responsables de la sécurité du Canada sur le terrain, qui réitéraient que le dossier de M. Abdelrazik « était un dossier consulaire », et ce, malgré le fait que les premières recommandations concernant sa détention avaient émané du SCRS [KHRTM signale que, si c’est effectivement le cas, on ne nous a pas parlé de ces communications]. Il a été des plus catégoriques lorsqu’il a fait part de son inquiétude et de son agacement face au fait que le SCRS et les autorités supérieures du GC semblaient peu intéressés à aider à régler la situation de M. Abdelrazik. [Non souligné dans l’original.]

[84]     Il convient aussi de noter, dans ce courriel, la déclaration suivante faite sous la rubrique [traduction] « Options dont il a été question avec l’ANRS », qui soulève une question quant au rôle que les services de sécurité du Canada et des États‑Unis peuvent jouer dans le règlement de la situation de M. Abdelrazik.

[traduction] De l’avis de l’ANRS, ce problème ne sera réglé qu’à la suite d’un dialogue constructif entre les responsables de la sécurité du Canada et des États‑Unis au sujet de l’éventuel règlement du dossier de M. Abdelrazik : les Français ne sont plus en cause et le maintien de bonnes relations avec les États‑Unis occupe une place primordiale dans les priorités du Soudan en matière de renseignement.

[85]     Le fardeau de prouver que le Canada, ou l’un de ses organismes, a contribué au fait que le Soudan a mis M. Abdelrazik en détention pèse sur les épaules du demandeur. La seule preuve soumise à la Cour et traitant du rôle, si rôle il y a, que le SCRS a joué dans sa mise en détention est une preuve par ouï‑dire figurant dans des documents obtenus à la suite d’une demande présentée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P‑21. Les défendeurs ont fourni des éléments de preuve à partir desquels je conclus que les fonctionnaires du Canada, aux Affaires étrangères, n’ont joué aucun rôle dans sa détention; cependant, ils n’ont fourni aucune preuve traitant expressément de la question de savoir si des responsables de la sécurité du Canada ont joué un rôle dans cette détention. Néanmoins, c’est au demandeur qu’il incombe de prouver son allégation, et non aux défendeurs de la réfuter.

[86]     L’ébauche de document dont il est question au paragraphe 67 des présents motifs est une preuve selon laquelle des autorités soudanaises non nommées disent qu’elles détiennent M. Abdelrazik à [traduction] « notre » demande. Comme il s’agit d’une ébauche d’un document établi par un fonctionnaire canadien, le mot [traduction] « notre » doit être considéré comme faisant référence au Canada. Le second document dont il est question au paragraphe 68 comporte un court passage retranché qui précède la phrase pertinente — environ un quart de ligne, mais il inclut, au sujet de l’arrestation de M. Abdelrazik, les mots [traduction] « et recommandé par le SCRS, pour association présumée à des éléments terroristes ». Les défendeurs soutiennent que, dans les deux cas, les documents relatent des informations que l’ambassade à Khartoum a reçues des autorités soudanaises et qu’il s’agit de [traduction] « ouï‑dire multiple qui n’est pas étayé quant à la véracité de son contenu » et qu’ils sont [traduction] « peu fiables en soi ».

[87]     Il n’est pas certain que le second document renvoie à des renseignements reçus des autorités soudanaises. Le passage pertinent figure sous la rubrique [traduction] « Aperçu du dossier de cas » et semble être un énoncé factuel du dossier, considéré sous un angle canadien. Il n’y a rien dans le passage retranché menant à la phrase en litige qui indique qu’il s’agit d’une relation d’informations reçues d’un responsable soudanais. Il s’agit d’une énumération de faits, et non pas d’informations reçues.

[88]     Le dernier passage du même courriel, reproduit au paragraphe 83 qui précède, est manifestement un état d’informations reçues d’un haut fonctionnaire de l’Agence nationale du renseignement et de la sécurité du Soudan, M. Altayeb. La preuve constitue du ouï‑dire. Selon la méthode d’analyse raisonnée qui s’applique à la règle du ouï‑dire, la preuve est recevable si l’on établit le double critère de la fiabilité et de la nécessité selon la prépondérance des probabilités : R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915; R. c. Blackman, 2008 CSC 37, [2008] 2 R.C.S. 298.

[89]     Le critère de la nécessité est établi, car la seule façon dont le demandeur pourrait faire soumettre à la Cour une preuve directe de la façon dont il a été mis en détention serait par l’entremise d’un haut fonctionnaire du SCRS ou de l’ANRS. Il n’est pas loisible au demandeur de citer des témoins du SCRS ou de l’ANRS à comparaître et à témoigner, et les défendeurs ont décidé de ne pas déposer un affidavit du SCRS. Par conséquent, le seul moyen qu’avait le demandeur de disposer de cette preuve était de la trouver dans des documents obtenus à la suite d’une demande présentée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[90]     Le critère de la fiabilité est rempli à cause de la façon dont cet énoncé a été fait. Il s’agit d’une déclaration d’un haut responsable de la sécurité du Soudan faite à un haut fonctionnaire du ministère canadien des Affaires étrangères au sujet de la détention, par le Soudan, d’un citoyen canadien et d’une relation de cette conversation par le fonctionnaire canadien à ses supérieurs. Il n’y a aucune raison de soupçonner — et tout lieu de croire — que le fonctionnaire canadien relaterait avec exactitude la conversation à ses supérieurs. Il n’y a pas lieu non plus de douter de l’honnêteté du responsable soudanais de la sécurité. Le fonctionnaire canadien décrit la conversation comme étant [traduction] « étonnamment directe ». Le responsable soudanais savait, en s’entretenant avec un fonctionnaire canadien, qu’il était possible de vérifier facilement la véracité de ce qu’il disait au sujet de la participation du SCRS. Il y a donc peu de chances que sa déclaration soit contraire à la vérité, et elle satisfait donc au critère de la fiabilité.

[91]     Une allégation selon laquelle le Canada a été complice d’un État étranger qui garde en détention un citoyen canadien est fort sérieuse, surtout lorsqu’aucune accusation n’est en suspens contre ce dernier et que ce citoyen a fui dans le passé le pays en question en tant que réfugié au sens de la Convention. Cependant, à mon avis, la preuve soumise à la Cour établit, selon la prépondérance des probabilités, que la recommandation relative à la mise en détention de M. Abdelrazik par le Soudan est venue directement ou indirectement du SCRS. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, au vu du dossier dont dispose la Cour, que le SCRS a été complice dans la mise en détention initiale de M. Abdelrazik aux mains des Soudanais. Cette conclusion repose sur le dossier qui a été soumis à la Cour dans le cadre de la présente demande. Il sera possible de démontrer que le rôle du SCRS a été différent si ce dernier fournit des renseignements détaillés et complets sur le rôle qu’il a joué.

[92]     Il n’y a pas lieu de mettre en doute l’affirmation faite par le demandeur dans son affidavit selon laquelle il a été torturé lors de sa détention. Il n’existe aucune preuve du contraire. Cependant, le demandeur n’est pas parvenu à établir que les autorités canadiennes étaient au courant qu’il avait été torturé durant sa période de détention. Je conclus que le Canada n’avait aucunement connaissance que le demandeur avait été torturé avant d’en être informé par l’avocat de M. Abdelrazik, à une réunion tenue à Ottawa le 27 février 2008. C’est le mois suivant que M. Abdelrazik a rencontré un député fédéral et au moins un fonctionnaire des Affaires étrangères et qu’il leur a montré les marques qu’il avait sur le corps et qui, a‑t‑il dit, étaient dues aux tortures qu’il avait subies.

[93]     Il y a dans le dossier des éléments de preuve selon lesquels les conditions régnant dans les prisons soudanaises sont dures, et que le Canada le savait. Il ressort du dossier qu’au cours de la première période de détention, la seule au cours de laquelle des fonctionnaires consulaires ont été autorisés à lui rendre visite, M. Abdelrazik n’a pas mentionné qu’il avait été torturé, et il n’y a aucune preuve que l’on ait pu raisonnablement conclure, d’après son aspect ou son comportement, qu’on le torturait. Le demandeur laisse entendre que les agents consulaires canadiens qui lui ont rendu visite avaient l’obligation positive de lui demander directement s’il était torturé ou non. Je doute qu’il existe en droit une telle obligation positive; cependant, il n’en demeure pas moins qu’il n’existe aucune preuve que les défendeurs savaient, avant que M. Abdelrazik cesse d’être détenu, qu’il avait été torturé.

Le vol de la société Lufthansa prévu pour le 23 juillet 2004

[94]     Par un courriel daté du 13 juillet 2004, des fonctionnaires en poste à l’ambassade du Canada à Khartoum ont confirmé aux Affaires étrangères à Ottawa qu’ils avaient réservé à titre provisoire une place à bord d’un vol de la Lufthansa pour M. Abdelrazik, le 23 juillet 2004. Le vol était provisoire, parce qu’il n’avait pas encore été confirmé qu’il y aurait une place disponible; cela n’est pas déterminant, car il semble que le vol a par la suite été confirmé. La réservation a été faite au nom de l’ambassade du Canada, mais il était obligatoire de communiquer le nom du passager avant le 15 juillet 2004. Le vol était de Khartoum à Montréal, avec une escale de trois ou quatre heures à Francfort, en Allemagne. La partie « Francfort–Montréal » du voyage était à bord d’un appareil d’Air Canada. Le billet avait été acheté grâce à des fonds fournis par l’épouse de M. Abdelrazik. Le Canada avait également pris des dispositions pour qu’un fonctionnaire des Affaires étrangères accompagne M. Abdelrazik à bord de l’avion. La note sur le cas no 91, datée du 20 juillet 2004, mentionne que [traduction] « l’escorte est notre contribution, afin de nous assurer que M. Abdelrazik rentre bel et bien au Canada ». En outre, il ressort du dossier que le Canada était disposé à ce qu’un fonctionnaire canadien armé accompagne également M. Abdelrazik si cela s’avérait nécessaire, afin de garantir qu’il prenne le vol en question. Enfin, le Canada avait délivré à M. Abdelrazik un passeport canadien d’urgence, valable pour la période du voyage, ce qui lui permettait de rentrer au pays.

[95]     Dès le départ, le Canada a reconnu que le statut de passager de M. Abdelrazik pourrait poser un problème s’il était inscrit sur une liste d’interdiction de voyager. Le dossier contient une note de service, datée du 15 juillet 2004 et émanant du directeur, Division du renseignement extérieur, Affaires étrangères, dans laquelle on peut lire ceci :

[traduction] [M. Abdelrazik] est censé rentrer au Canada le 23 juillet, à bord d’un avion de la Lufthansa. Ce vol comportera une escale de 3 à 6 heures en Allemagne. Il arriverait à Montréal le même jour.

Il y a, toutefois, un problème potentiel : la possibilité que son nom apparaisse sur l’une des listes américaines d’« interdiction de voyager par avion » [passage retranché]. Si tel était le cas, la Lufthansa refuserait de le prendre comme passager. Cela pourrait amener les Allemands à le renvoyer au Soudan (à condition qu’il puisse monter à bord d’un avion à Khartoum), où il serait vraisemblablement détenu de nouveau. [Non souligné dans l’original.]

[96]     Ces craintes se sont réalisées. Le ou vers le 22 juillet 2004, les autorités canadiennes ont été informées que la société Lufthansa avait décidé qu’elle ne transporterait pas M. Abdelrazik. Cette information a donné lieu à une série de discussions entre des fonctionnaires des Affaires étrangères du Canada et des représentants de la société Lufthansa — les fonctionnaires canadiens essayant de comprendre les motifs du refus et tentant de convaincre la société Lufthansa de changer d’avis. Dans une note sur le cas portant le no 110 et datée du 22 juillet 2004, quatre motifs de refus sont énoncés : [traduction] « 1) il est inscrit sur la liste américaine des personnes interdites de voyager à bord d’un avion, 2) son association avec Al‑Qaïda, 3) ils ne sont pas satisfaits de l’escorte et 4) Air Canada a également refusé de l’accepter ». La note mentionne que la société Lufthansa refusait de changer d’avis, et ce, même si l’on fournissait une escorte policière et même si l’on persuadait Air Canada de changer sa position. C’est donc dire que la préoccupation véritable de la société Lufthansa a dû être l’inscription de M. Abdelrazik sur la liste des personnes interdites de voyager en avion et ses liens allégués avec Al‑Qaïda. Il a été dit aux fonctionnaires canadiens que [traduction] « il n’y a rien que nous pouvons faire pour changer la décision ».

[97]     Le demandeur se fonde sur la conduite du gouvernement canadien dans cette situation, en partie, par contraste avec les mesures prises plus tard, quand une escorte et un passeport d’urgence ont été refusés. Il s’appuie également sur des documents figurant dans le dossier et indiquant à l’ambassade du Canada à Khartoum de ne prendre aucune disposition additionnelle ou de rechange [traduction] « avant que les prochaines étapes soient réglées », ce qui est suivi d’un renvoi à une réunion tenue au Bureau du Conseil privé, qui dénote que la situation de M. Abdelrazik n’était pas une affaire consulaire ordinaire. Enfin, on laisse entendre que les défendeurs auraient dû en faire plus. Il est allégué que M. Abdelrazik est un [traduction] « Canadien en détresse », dont le rapatriement dépend uniquement des autorités canadiennes et que ces dernières ont fait montre à son égard d’une attitude de laisser‑faire.

[98]     Il m’est impossible de souscrire aux arguments du demandeur à l’égard de ce vol manqué. Il ressort clairement du dossier que les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères du Canada avaient tout fait pour organiser le vol. Ils avaient même été jusqu’à fournir une escorte. Le dossier indique qu’ils soupçonnaient que M. Abdelrazik était peut‑être inscrit sur une liste d’interdiction de voyager en avion, mais il n’y a aucune preuve qu’ils en étaient sûrs avant que la société Lufthansa refuse de le prendre à bord de l’un de ses appareils. Et même là, les fonctionnaires canadiens étaient disposés à offrir une escorte armée et à utiliser leur pouvoir de persuasion auprès d’Air Canada, si cela pouvait changer la position de la société Lufthansa. On leur a dit que non. Dans ces circonstances, il n’est ni juste ni exact de dire que le Canada a fait montre d’une attitude de laisser‑faire.

[99]     D’après des documents produits en réponse à la demande présentée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il semble que des fonctionnaires consulaires aient bel et bien tenté de trouver pour M. Abdelrazik un autre itinéraire qui ne mettait en cause ni la société Lufthansa ni la société Air Canada. Un courriel daté du 24 juillet 2004 et adressé à l’ambassade à Khartoum joint une réservation confirmée pour [traduction] « M. Abdul/Razik » à bord d’un vol Khartoum–Casablanca d’Air Emirates, dont le départ était prévu pour le 26 juillet 2004, avec une escale à Dubaï, ainsi qu’une correspondance sur un vol Casablanca–Montréal de la société Royal Air Maroc le 27 juillet 2004. Le dossier n’établit pas clairement ce qu’il est advenu de ce vol. Rien n’indique que ces transporteurs ont par la suite refusé de prendre M. Abdelrazik à bord d’un de leurs appareils. Il y a un courriel envoyé à l’ambassade à Khartoum qui dit que [traduction] « ces réservations ont été faites, mais il est impossible de les utiliser avant que nous ayons obtenu l’autorisation ». Peut‑être que l’autorisation n’a pas été donnée.

[100]      Le dossier n’établit l’existence d’aucune conduite ou inaction de la part des défendeurs en ce qui concerne ce vol manqué de la société Lufthansa qui constituerait une preuve d’une violation de l’article 6 de la Charte.

La possibilité d’un vol nolisé privé évoquée le 30 juillet 2004

[101]      Lorsqu’il est devenu évident, aux yeux du demandeur et de sa famille, que son inscription sur la liste américaine des personnes interdites de voyager à bord d’un avion signifiait qu’il était extrêmement improbable qu’une société aérienne commerciale quelconque le prenne comme passager, la femme qui était à l’époque son épouse a évoqué auprès de fonctionnaires des Affaires étrangères la possibilité de noliser un aéronef privé pour le retour de son époux à Montréal. Il n’y a aucune preuve dans le dossier que l’épouse de M. Abdelrazik a fait plus qu’évoquer l’idée auprès des Affaires étrangères; il est probable que le coût estimatif du voyage — de 70 000 $ à 80 000 $ — faisait qu’un tel vol était impossible. Il est impossible de laisser entendre sérieusement qu’à ce stade précoce du séjour de M. Abdelrazik au Soudan, le Canada aurait dû se charger du coût d’un vol nolisé privé. Pour dire les choses simplement, il restait encore à étudier d’autres options moins coûteuses.

[102]      Le demandeur se fonde sur une déclaration contenue dans la note sur le cas portant le no 123 et datée du 30 juillet 2004, rédigée par Mme Gaudet‑Fee, des Affaires étrangères à Ottawa, comme preuve de [traduction] « l’attitude » des Affaires étrangères et, soutient‑il, cela prouve qu’il n’y a jamais eu d’intention véritable de le faire revenir au Canada. La déclaration contestée est la suivante :

[traduction] Donc, si elle parvient à obtenir un avion privé, il y a fort peu de choses que nous pourrions faire pour l’empêcher, lui, d’entrer au Canada. Il aurait besoin d’un PU [c.‑à‑d. un passeport d’urgence] et je suppose que cela peut être refusé, mais reste à voir pour quel motif.

Attendons donc de voir.

[103]      [traduction] « Pourquoi les fonctionnaires canadiens envisageaient‑ils même de refuser de délivrer un passeport d’urgence? », demande le demandeur. Bonne question. Il dit que la seule réponse est que ces derniers n’avaient aucune intention de l’autoriser à revenir au Canada et que, si un vol nolisé avait été organisé, la seule façon de pouvoir l’empêcher d’entrer au Canada était de refuser de lui délivrer un passeport d’urgence.

[104]      Les défendeurs soutiennent que cette déclaration doit être lue dans le contexte des faits qui l’entourent. La déclaration a été faite, disent‑ils, aussitôt après que le Canada a découvert que M. Abdelrazik était inscrit sur une liste d’interdiction de voyager à bord d’un avion que les sociétés aériennes Lufthansa et Air Canada reconnaissaient toutes deux, de même que sur la liste d’interdiction de voyager à bord d’un avion des États‑Unis, et qu’il était allégué qu’il avait des liens avec Al‑Qaïda.

[105]      Même si aucun passeport d’urgence n’a été demandé, parce que l’option du vol privé ne s’est pas concrétisée, je trouve le commentaire de la fonctionnaire des Affaires étrangères fort troublant. Je trouve peu convaincante l’explication des défendeurs. Certes, la déclaration a été faite peu après que les Affaires étrangères ont découvert l’existence de la liste d’interdiction de voyager à bord d’un avion et appris, pour la première fois semble‑t‑il, que M. Abdelrazik avait censément des liens avec Al‑Qaïda. Ni l’un ni l’autre de ces deux faits n’expliquent pourquoi un fonctionnaire canadien des Affaires étrangères aurait fait des réflexions au sujet du fait de refuser un passeport d’urgence à M. Abdelrazik.

[106]      Le seul fait nouveau qui est ressorti après l’échec du vol de la société Lufthansa était que M. Abdelrazik était inscrit sur un certain nombre de listes d’interdiction de voyager à bord d’un avion. Le Canada était au courant depuis quelques jours du lien allégué entre M. Abdelrazik et Al‑Qaïda. Le 20 juillet 2004, un communiqué de presse le concernant et diffusé par le Département du Trésor des États‑Unis déclarait qu’il était citoyen canadien et, en fait, précisait son numéro de passeport canadien. Le Canada savait donc qu’on le soupçonnait d’entretenir des liens avec Al‑Qaïda avant même l’échec du vol de la société Lufthansa, et rien n’indiquait que ce fait aurait une incidence sur le passeport d’urgence qu’il avait reçu du Canada. De plus, même après avoir été informés qu’il était inscrit sur la liste d’interdiction de voyager à bord d’un avion, les fonctionnaires des Affaires étrangères étaient disposés à prendre des dispositions — et ils en ont pris — pour que M. Abdelrazik prenne le vol prévu. Là encore, la liste d’interdiction de voyager à bord d’un avion n’a eu aucune incidence sur le passeport d’urgence que le Canada avait émis. Que s’est‑il passé entre le 23 et le 30 juillet 2004 qui a amené Mme Gaudet‑Fee à faire des réflexions sur de possibles motifs de refuser un passeport d’urgence? Il n’y a pas de réponse à cette question, car les défendeurs ont décidé de ne pas déposer d’affidavit de sa part.

[107]      M. Abdelrazik soutient que cette déclaration prouve que le Canada avait l’intention de lui refuser un passeport d’urgence, dès le 30 juillet 2004 au moins, mais que le pays ne lui a jamais fait savoir que ce passeport serait refusé, car on ne croyait pas qu’il serait un jour en mesure de bel et bien quitter le Soudan et de prendre l’avion pour le Canada. Il ajoute que le fait que le Canada ait refusé de délivrer le passeport d’urgence, après de nombreuses promesses qu’il le fournirait, et après avoir finalement obtenu un itinéraire payé pour un vol fixé au 3 avril 2009, prouve qu’il s’agissait là, depuis le début, de l’intention du Canada.

[108]      À mon avis, il est raisonnable de conclure, d’après les réflexions faites le 30 juillet 2004 par la fonctionnaire des Affaires étrangères, que les autorités canadiennes ne voulaient pas que M. Abdelrazik rentre au pays et qu’elles étaient disposées à examiner les moyens qui l’empêcheraient de revenir, comme le refus de délivrer un passeport d’urgence. Cette conclusion est en outre étayée par les circonstances extraordinaires dans lesquelles le ministre a pris la décision, le 3 avril 2009, de refuser d’accorder au demandeur un passeport d’urgence.

L’offre du Soudan de l’expédier au Canada à bord de l’un de ses avions

[109]      Le 20 octobre 2004, M. Abdelrazik a fait savoir à l’ambassade du Canada à Khartoum que le gouvernement soudanais avait indiqué qu’il était disposé à l’expédier au Canada, à ses frais, à bord d’un avion privé. M. Hutchings, directeur de l’ambassade du Canada, a répondu ce qui suit le 31 octobre 2004 :

[traduction] Le Canada ne s’oppose pas à cette mesure en principe, mais exige qu’on lui fournisse les renseignements ordinaires qui sont nécessaires pour faire approuver le plan de vol, c’est‑à‑dire l’itinéraire et les dates de vol, le type et l’indicatif de l’appareil, la liste nominative des passagers, etc.

Une fois que ces renseignements auront été fournis, nous pourrons demander l’autorisation de fournir à M. Abdelrazik un passeport d’urgence.

Le gouvernement du Canada n’est pas disposé à contribuer au coût du vol, pas plus qu’à fournir une escorte pour M. Abdelrazik à bord de ce vol.

[110]      Le demandeur demande à la Cour de comparer le refus catégorique du Canada de fournir une escorte pour le vol proposé à l’offre faite quelques mois plus tôt d’en fournir une pour le vol de la société Lufthansa. Le dossier n’établit pas clairement si c’est M. Abdelrazik ou le gouvernement du Soudan qui a demandé qu’un fonctionnaire des Affaires étrangères escorte M. Abdelrazik. Le demandeur se plaint que le Canada imposait au Soudan et à lui‑même le fardeau de fournir tous les renseignements de vol nécessaires et qu’il ne prenait aucune mesure concrète pour contribuer à l’effort de rapatriement.

[111]      Étant donné que les renseignements qu’exigeait le Canada étaient les renseignements de vol [traduction] « ordinaires » et que seules les autorités soudanaises étaient au courant de tous ces derniers, on ne peut pas dire que le Canada a omis de prêter assistance à cet égard. Les avocats du demandeur ont admis en toute franchise que l’on ne pouvait pas dire qu’il ressortait du dossier que le défaut de fournir une escorte était la raison pour laquelle cette solution de vol possible a échoué.

[112]      Même s’il devait s’agir d’un vol nolisé privé organisé par les Soudanais et même s’il y avait peut‑être eu à bord des fonctionnaires qui auraient escorté M. Abdelrazik jusqu’au Canada, il y a lieu de se demander pourquoi le Canada a si rapidement annulé l’offre, faite à peine quelques mois plus tôt, de fournir une escorte. Aucun motif n’a été donné à cet effet4. Le demandeur avance l’hypothèse que ce refus illustre une fois de plus que le Canada avait décidé de ne jamais faire revenir M. Abdelrazik au pays et que les fonctionnaires canadiens ne feraient rien pour faciliter son retour. S’il était établi que ce vol a échoué à cause du refus de fournir une escorte canadienne, l’hypothèse du demandeur serait peut‑être fondée. Comme il n’y a pas lieu de croire qu’il s’agit là du motif pour lequel le vol ne s’est pas concrétisé, je ne puis souscrire à la position du demandeur.

Les vols canadiens à partir de Khartoum

[113]      Le demandeur soutient que, si le gouvernement canadien avait pris des mesures concrètes pour le faire rapatrier, il y aurait eu d’autres solutions de rechange au vol nolisé des Soudanais. Ces solutions ont été qualifiées [traduction] d’« occasions manquées ». Le ministre chargé de l’Agence canadienne du développement international s’est rendu à Khartoum à bord d’un avion du gouvernement en août 2004, tout comme le premier ministre Martin le 24 novembre suivant. Le demandeur soutient de plus que le Canada aurait pu le ramener du Soudan à bord d’un appareil militaire canadien depuis Khartoum jusqu’au camp Mirage, au Moyen‑Orient, et de là, jusqu’au Canada à bord d’un vol militaire.

[114]      À mon avis, même si ces solutions étaient un moyen possible de rapatrier M. Abdelrazik, on ne peut les prendre en considération que si le Canada se trouvait dans l’obligation positive, au sens du paragraphe 6(1) de la Charte, de prendre ce genre de mesures extraordinaires en vue de le rapatrier. À l’époque et dans les circonstances du moment, le Canada n’était pas tenu de prendre ces mesures extraordinaires.

Le vol du 15 septembre 2008

[115]      En août 2008, la société Etihad a procuré à M. Abdelrazik une réservation de vol confirmée à bord d’un avion en partance de Khartoum pour Toronto, via Abu Dhabi, sous réserve du paiement du prix du billet et des taxes applicables. M. Abdelrazik a demandé que le Canada lui délivre un passeport d’urgence pour ce voyage, mais aucun n’a été fourni.

[116]      À l’audience, les défendeurs se sont opposés à ce que le demandeur présente une observation quelconque sur les faits liés à ce voyage proposé, à part le fait qu’un itinéraire non payé avait été retenu. Cette opposition était fondée sur le fait qu’il y avait eu des discussions de règlement entre les parties sur la question, ainsi que sur l’ordonnance de la protonotaire Tabib du 27 novembre 2008, dans laquelle celle‑ci a décidé que seules étaient recevables les questions soumises en contre‑interrogatoire qui authentifiaient l’itinéraire. J’ai décidé que la preuve selon laquelle aucun passeport d’urgence n’avait été délivré était également recevable, car il en était fait mention dans l’affidavit de M. Abdelrazik et qu’il ne faisait aucun doute qu’il resterait au Soudan. J’ai décidé qu’en accord avec l’ordonnance de la protonotaire, rien d’autre n’était admissible en preuve.

[117]      La Cour ne dispose donc d’aucune preuve indiquant pourquoi le passeport d’urgence n’a pas été délivré. Le vol n’a pas été payé et nous ignorons si le demandeur aurait été en mesure de payer la réservation si un passeport avait été délivré. Il n’y a aucune preuve que le Canada avait songé à prêter de l’argent à M. Abdelrazik pour payer ce vol, même s’il fallait obtenir l’autorisation du Comité 1267.

[118]      Le demandeur soutient que des fonctionnaires canadiens lui avaient dit plus tôt qu’un passeport d’urgence serait délivré s’il obtenait un itinéraire, mais que, à la suite de ce vol possible, les défendeurs avaient changé les conditions, l’obligeant à avoir un itinéraire payé avant qu’ils délivrent un passeport d’urgence.

[119]      Il y a des éléments qui étayent cet argument. Le mot [traduction] « payé » n’est ajouté qu’après ce fait aux assurances des fonctionnaires canadiens. La première mention de ce mot figure dans une lettre adressée à l’avocat du demandeur, en date du 23 décembre 2008, par le directeur général, Bureau de la sécurité, Passeport Canada.

[traduction] [. . .] pour faciliter le retour de M. Abdelrazik au Canada, Passeport Canada délivrera à ce dernier un passeport d’urgence, une fois qu’il aura présenté un itinéraire de voyage confirmé et payé à la Section consulaire de l’ambassade du Canada à Khartoum. [Non souligné dans l’original.]

[120]      De l’avis du Canada, il était interdit, au regard de la résolution no 1822 et des lois du Canada, d’aider pécuniairement M. Abdelrazik. Le Canada était également au courant que ce dernier était sans ressources. Il n’est pas déraisonnable de laisser entendre, comme le demandeur l’a fait, qu’en ajoutant la condition du paiement de l’itinéraire, le Canada s’assurait qu’il n’aurait pas à délivrer le passeport d’urgence. Le demandeur soutient que cette condition additionnelle est une preuve de plus que le Canada n’a jamais eu l’intention de l’autoriser à rentrer au pays. Le poids de la preuve étaye cet argument.

L’interdiction de voyager du Comité 1267 de l’ONU

[121]      L’interdiction de voyager que le Comité 1267 de l’ONU a établie prescrit que les États doivent « empêcher l’entrée sur leur territoire ou le transit par leur territoire » des personnes inscrites, « étant entendu qu’aucune disposition du présent paragraphe n’oblige un État à refuser à ses propres ressortissants d’entrer sur son territoire ou à exiger d’eux qu’ils quittent le territoire, le présent paragraphe ne s’appliquant pas dans les cas où l’entrée ou le transit sont nécessaires aux fins d’une procédure judiciaire ou lorsque le Comité détermine au cas par cas uniquement que l’entrée ou le transit se justifient ».

[122]      Aux dires des défendeurs, cette disposition s’applique au transit par l’espace aérien d’un État, en plus des déplacements sur ses terres et ses eaux. M. Abdelrazik doit traverser un espace aérien étranger pour rentrer chez lui depuis le Soudan. Les défendeurs sont d’avis que toute aide canadienne se soldant par un vol aérien serait contraire aux obligations internationales du Canada. Le demandeur soutient que l’interprétation des défendeurs est inexacte et il allègue de plus que l’utilisation que fait le Canada de cette résolution de l’ONU pour le priver du droit de rentrer au Canada est un [traduction] « exemple hautement machiavélique et délibéré de déni » des droits que la Charte lui garantit.

[123]      Les défendeurs se fondent sur la Convention portant réglementation de la navigation aérienne de Paris [signée à Paris le 13 octobre 1919] (Convention de Paris) et sur la Convention relative à l’aviation civile internationale de Chicago [7 décembre 1944, [1944] R.T. Can. no 36] (Convention de Chicago) pour étayer sa thèse selon laquelle le mot « territoire », tel qu’employé dans la résolution de l’ONU, englobe l’espace aérien. À mon avis, ces conventions ne font qu’illustrer que les États ont certains droits sur les voyages faits dans l’espace aérien au‑dessus de leur territoire; mais cela ne veut pas dire que le mot « territoire », dans la résolution no 1822, englobe l’espace aérien.

[124]      Aux termes de l’article premier de la Convention de Chicago : « Les États contractants reconnaissent que chaque État a la souveraineté complète et exclusive sur l’espace aérien au‑dessus de son territoire » (non souligné dans l’original). C’est donc dire que le mot « territoire », dans cette convention, n’englobe pas l’espace aérien; l’espace aérien est au‑dessus du territoire, et n’en fait pas partie. S’il faut une justification additionnelle à cette interprétation, elle figure à l’article 2 : « Aux fins de la présente Convention, il faut entendre par territoire d’un État les régions terrestres et les eaux territoriales adjacentes qui se trouvent sous la souveraineté, la suzeraineté, la protection ou le mandat dudit État ». L’article 3 autorise les États à interdire aux aéronefs de survoler leur territoire, mais l’espace aérien n’est pas leur territoire. Les articles I, II et III de la Convention de Paris sont rédigés de la même façon. Bref, ces traités confèrent aux États la souveraineté sur l’espace aérien situé au‑dessus de leur territoire, mais cela ne veut pas dire que l’espace aérien est inclus dans la définition d’un « territoire », comme le prétendent les défendeurs.

[125]      Je conclus par ailleurs que l’interprétation qu’avancent les défendeurs est contraire aux observations faites par le Canada à l’ONU, qui exposent en détail de quelle façon le Canada a mis en œuvre l’interdiction de voyager.

[126]      La résolution no 1455 (2003) du Conseil de sécurité priait les États de déclarer au Comité 1267 la façon dont ils avaient mis en œuvre ses mesures. Par une lettre datée du 15 avril 2003, l’ambassadeur et représentant permanent du Canada écrivait au Conseil de sécurité pour lui demander d’informer le Comité 1267 que le Canada [traduction] « a mis en œuvre la totalité de ces mesures au moyen, notamment, d’instruments législatifs et réglementaires, décrits dans le document ci‑joint » (non souligné dans l’original). Lorsqu’on examine le document en question, sous la rubrique [traduction] « IV. Interdiction de voyager », on voit qu’il n’y est fait référence qu’aux mesures prises par le Canada à l’endroit des personnes qui y sont interdites de territoire en application des dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Cette loi ne s’applique qu’aux personnes qui « entrent » au Canada — elle ne s’applique pas à celles qui transitent par l’espace aérien situé au‑dessus du territoire canadien. Il faut donc conclure qu’en indiquant que le Canada a mis en œuvre la totalité des mesures prévues par la résolution de l’ONU, le Canada était probablement d’avis que cette résolution ne l’obligeait pas à empêcher les personnes inscrites de traverser l’espace aérien canadien pendant qu’elles se rendaient ailleurs, sans cela le Canada aurait fait état des mesures prises pour empêcher que ces personnes traversent son espace aérien. Il n’y a aucune preuve que le Canada empêche de quelque manière que ce soit les personnes inscrites sur la liste du Comité 1267 de transiter par l’espace aérien au‑dessus du pays.

[127]      En outre, l’interprétation que font les défendeurs de l’interdiction de voyager du Comité 1267 mène à un résultat illogique. Selon cette interprétation, la résolution permet à un citoyen d’entrer au Canada uniquement s’il se trouve à un poste frontalier canadien, mais elle empêche ce même citoyen d’atteindre ce poste frontalier, car il lui est impossible de transiter par voie terrestre ou par voie aérienne pour s’y rendre. Selon l’interprétation des défendeurs, la dérogation qui prévoit qu’aucun État n’est tenu d’empêcher ses citoyens d’y entrer perd tout son sens, car il est presque impossible qu’une personne inscrite se trouve à un poste frontalier et il n’y a aucune possibilité, dans l’état actuel de la technologie, qu’elle puisse tout simplement se transporter jusqu’au poste frontalier sans transiter par la voie terrestre ou aérienne. Il est tout simplement impossible que cela ait pu être l’intention des auteurs de la résolution.

[128]      L’argument selon lequel la sanction n’est pas destinée à viser un transit par la voie aérienne quand une personne retourne au pays dont elle a la citoyenneté est également étayé par un document d’information que le Comité 1267 a établi, sous le titre « Explication de l’interdiction de voyager ». Après avoir énoncé les deux premières dérogations : i) entrée de ressortissants de l’État sur son territoire ou départ de ressortissants du territoire et ii) lorsque l’entrée ou le transit sont nécessaires aux fins d’une procédure judiciaire, le Comité écrit ce qui suit :

Note : Les États Membres ne sont pas tenus de signaler au Comité 1267 l’entrée sur le territoire ou le transit par leur territoire de toute personne inscrite sur la Liste lorsqu’ils exercent leurs droits en vertu des dérogations i) et ii) ci‑dessus [. . .]

Si, comme le soutiennent les défendeurs, des États autres que le Canada sont tenus d’empêcher le transit de M. Abdelrazik à titre de personne inscrite sur la liste du Comité 1267 par leur espace aérien pendant son rapatriement au Canada, le Comité 1267 semble ne pas être au courant de cette obligation. Non seulement ce transit est‑il autorisé, mais aucun signalement n’est nécessaire si la personne transite au‑dessus des terres d’un État pendant qu’elle fait route vers le pays dont elle a la citoyenneté. Le transit par voie aérienne comporte souvent une escale, et M. Abdelrazik devra vraisemblablement en faire une lors de son retour au Canada; le pays d’escale n’est pas obligé d’empêcher l’entrée ou de signaler le transit au Comité 1267. En fait, ce dernier semble avoir reconnu avec sagesse que, s’il doit permettre à un citoyen de rentrer dans son pays, il ne peut pas obliger des pays à empêcher qu’il transite par leur territoire.

[129]      Pour ces raisons, je conclus que l’interdiction de voyager de l’ONU ne présente aucun obstacle au retour de M. Abdelrazik au Canada. Cette interprétation concorde avec l’objectif de l’interdiction de voyager dont le Comité 1267 fait état dans son document intitulé « Explication de l’interdiction de voyager ». Le Comité 1267 y déclare que cette interdiction a pour but de « limiter les mouvements des personnes inscrites sur la Liste ». Il convient de noter que l’interdiction de voyager ne restreint pas la mobilité au sein même d’un pays. Son objectif est d’empêcher ces personnes de voyager d’un pays à un autre en vue de recueillir des fonds et des armes et de propager le terrorisme. M. Abdelrazik n’aura pas plus de mobilité, au sens de ce terme, s’il se trouve au Canada que s’il se trouve au Soudan.

Le vol prévu pour le 3 avril 2009

[130]      En mars 2009, M. Abdelrazik est parvenu à obtenir et à payer un vol de Khartoum à Montréal, avec escale à Abu Dhabi. On l’avait assuré à maintes reprises, depuis des années, qu’un passeport d’urgence serait délivré dans cette éventualité. Malgré les nombreuses assurances données par le Canada durant près de cinq ans, et réitérées pas plus tard que le 23 décembre 2008, le 3 avril 2009, deux heures à peine avant le départ prévu du vol, le ministre des Affaires étrangères a refusé de délivrer ce passeport d’urgence au motif qu’il était d’avis, comme il est indiqué au paragraphe 10.1 du Décret sur les passeports canadiens, « que cela est nécessaire pour la sécurité nationale du Canada ou d’un autre pays ».

[131]      Les défendeurs invoquent un certain nombre d’arguments pour inciter la Cour à ne pas considérer ou examiner ce refus comme faisant partie de la contestation du demandeur fondée sur la Charte. Avec tout le respect que je dois aux défendeurs et à leurs avocats, je conclus qu’aucun de ces arguments n’est fondé. Compte tenu de la contestation que le demandeur a faite, à savoir qu’on a porté atteinte aux droits que lui garantit la Charte, et eu égard aux éléments de preuve examinés jusqu’ici, le défaut de la Cour d’examiner ce refus, dans ces circonstances, serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[132]      Les défendeurs font valoir, en premier lieu, qu’étant donné que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Kamel c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 21, [2009] 4 R.C.F. 449, a conclu que l’article 10.1 du Décret sur les passeports canadiens n’était pas contraire à la Charte, il s’ensuit que les décisions que prend le ministre sous le régime de cette disposition sont également conformes à la Charte. Cet argument est fondamentalement contraire à la décision qu’a rendue la Cour suprême du Canada dans Eldridge c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, où, au paragraphe 20, la Cour déclare que la Charte canadienne peut s’appliquer de deux façons : à la loi ou aux décisions prises sous le régime de cette dernière.

Premièrement, une loi peut être jugée inconstitutionnelle suivant son texte même parce qu’elle porte atteinte à un droit garanti par la Charte et que sa validité n’est pas sauvegardée par l’article premier. En pareil cas, la loi est invalide et le tribunal est tenu de la déclarer inopérante en vertu du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Deuxièmement, il est possible que la Charte soit violée non pas par la loi elle‑même, mais par les actes d’un décideur à qui on a délégué son application. Dans un tel cas, la loi reste valide, mais une réparation peut être demandée en vertu du par. 24(1) de la Charte à l’égard de l’acte inconstitutionnel.

Cette opinion a été confirmée plus récemment par la Cour suprême dans l’arrêt Multani c. Commission scolaire Marguerite‑Bourgeoys, 2006 CSC 6, [2006] 1 R.C.S. 256.

[133]      Par conséquent, même s’il n’y a aucun doute que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Kamel, a conclu que l’article 10.1 du Décret sur les passeports canadiens était constitutionnellement valide, cela ne veut pas dire que chaque refus que signifie le ministre sous le régime de cette disposition est forcément valide sur le plan constitutionnel. Dans Kamel, la question soumise à la Cour d’appel fédérale se bornait à savoir si l’article 10.1 portait atteinte à l’article 6 de la Charte et, dans l’affirmative, s’il était justifié au regard de l’article premier de cette dernière. Dans son jugement, le juge Décary a pris soin de faire remarquer ce qui suit [au paragraphe 11] : « Je ne passerai en conséquence aucun commentaire relativement aux autres aspects de ce dossier et rien dans mes motifs ne doit être interprété comme ayant un impact sur la décision qui sera éventuellement rendue par le ministre après réexamen de la demande de passeport de M. Kamel. » Autrement dit, l’article est valide, mais pas forcément la décision rendue sous le régime de ce dernier.

[134]      Comme le sous‑entend le paragraphe 4(3) [mod. par TR/2004-113, art. 3] du Décret sur les passeports canadiens, la délivrance d’un passeport ou le refus d’en délivrer un est une question de prérogative royale. Dans l’arrêt Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441, la Cour suprême du Canada a déclaré que, dans les cas où la prérogative royale porte atteinte aux droits que la Charte garantit à une personne, il s’ensuit que la Cour peut contrôler l’exercice de cette prérogative.

[135]      Dans l’arrêt Veffer c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), 2007 CAF 247, [2008] 1 R.C.F. 641, au paragraphe 23, la Cour d’appel fédérale a elle aussi confirmé de manière précise que l’exercice de la prérogative royale dans le cadre de la délivrance des passeports est susceptible d’examen afin d’en vérifier la conformité à la Charte :

[. . .] il n’y a aucun doute que la politique de Passeport Canada est susceptible d’examen au regard de la Charte, même si la délivrance des passeports est une prérogative royale. Comme l’a dit le juge Laskin dans la décision Black v. Canada (Prime Minister) (2001), 54 O.R. (3d) 215 (C.A.), au paragraphe 46 :

[traduction] Aux termes de l’alinéa 32(1)a), la Charte s’applique au législateur fédéral et au gouvernement du Canada pour toutes les compétences fédérales. La prérogative de la Couronne relève de la compétence fédérale. C’est donc dire que lorsqu’une personne prétend que l’exercice d’une prérogative de la Couronne viole les droits garantis par la Charte, le tribunal est tenu de trancher.

[136]      Les défendeurs soutiennent que la validité de la décision prise par le ministre le 3 avril 2009 de ne pas délivrer un passeport d’urgence n’est pas une question que la Cour peut examiner dans le cadre de la présente demande. La voie, disent‑ils, que le demandeur aurait dû suivre était de présenter une demande de contrôle judiciaire, en vertu de l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. idem, art. 14)], pour contester cette décision. Sans cela, la Cour n’a pas en main un dossier de preuve qui permet d’évaluer la validité de la décision.

[137]      Un argument semblable a été invoqué par la Couronne et rejeté par la Cour dans Khadr c. Canada (Procureur général), 2006 CF 727, [2007] 2 R.C.F. 218. La Couronne a demandé à la Cour de ne pas se prononcer sur la question de savoir si le fait de ne pas délivrer un passeport à M. Khadr était contraire aux articles 6 et 7 de la Charte en raison de l’insuffisance du dossier. Je souscris sans réserve aux propos suivants, extraits des paragraphes 57 à 59 de cette décision du juge Phelan :

    Les préoccupations du défendeur au sujet du dossier sont de deux ordres. Il reconnaît, premièrement, que le demandeur n’a pas été traité équitablement puisqu’il n’a pas eu l’occasion de s’exprimer au sujet du nouveau motif de refus d’un passeport—la sécurité nationale. On présume de la sorte que le ministre avait le droit de créer ce nouveau motif, hors du cadre du Décret sur les passeports canadiens. Le défendeur déclare, deuxièmement, qu’il n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve relativement à l’article premier de la Charte en vue de démontrer que, s’il y a atteinte à tout droit garanti par la Charte, cette atteinte est justifiée.

    On peut répondre simplement à cela que le défendeur ne peut priver le demandeur de son droit à une décision équitable en raison de son propre défaut de présenter une preuve valable. Le demandeur doit se débrouiller avec le dossier tel qu’il est et non tel qu’il souhaiterait qu’il soit. Et il en est de même pour le défendeur, qui doit accepter le dossier tel qu’il l’a créé; il ne dispose pas d’une deuxième occasion de créer un dossier nouveau et amélioré.

    Pour ce qui est de la preuve relative à l’article premier, le défendeur a misé sur le fait que les arguments liés à la Charte seraient rejetés sans que soit nécessaire une analyse fondée sur l’article premier. Parfois on perd en misant de la sorte.

[138]      Le juge Phelan [au paragraphe 61] a décidé en fin de compte qu’il ne trancherait pas l’affaire pour des motifs fondés sur la Charte car, comme il est indiqué dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, « les tribunaux devraient s’abstenir de traiter de questions liées à la Charte soulevées dans une demande de contrôle judiciaire lorsque cela n’est pas nécessaire ». Dans la présente affaire, la seule prétention que soulève le demandeur est celle qui repose sur la Charte; ce dernier n’invoque pas le fait que la décision était inéquitable sur le plan procédural et contraire aux règles de justice naturelle. Il est donc nécessaire en l’espèce de trancher la question relative à la Charte qui a été soulevée à l’égard de la décision rendue.

[139]      Les défendeurs font valoir aussi que la façon dont le demandeur se propose de procéder constitue, en fait, une contestation incidente de la décision du ministre. Cela, disent‑ils en invoquant les décisions rendues par la Cour d’appel fédérale dans Canada c. Grenier, 2005 CAF 348, [2006] 2 R.C.F. 287, ainsi que par la Cour suprême dans Garland c. Consumers’ Gas Co., 2004 CSC 25, [2004] 1 R.C.S. 629, équivaut à une contestation incidente de la décision, alors que la voie qu’il convient de suivre pour contester cette dernière est de recourir à un contrôle judiciaire. Les avocats des défendeurs font ensuite remarquer, en passant, que le délai prévu pour produire une demande en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales en vue de soumettre à un contrôle judiciaire la décision datée du 3 avril 2009 est expiré.

[140]      M. Grenier était détenu dans une institution fédérale. Il avait été placé en isolement préventif par le directeur de l’institution pour avoir lancé quelques formulaires en direction d’un gardien, geste que ce gardien disait avoir perçu comme une menace. Plutôt que de contester la décision par la voie d’un contrôle judiciaire, M. Grenier a intenté une action en dommages‑ intérêts trois ans après la décision, disant que cette dernière était illégale parce qu’elle était oppressive et arbitraire. La Cour avait à trancher s’il était nécessaire que le détenu conteste la décision par une demande de contrôle judiciaire avant d’engager une action en dommages‑intérêts. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il n’est pas loisible à une partie qui conteste la décision d’un organisme fédéral de choisir entre un contrôle judiciaire et une action en dommages‑intérêts, car l’article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] de la Loi sur les Cours fédérales exige que l’on procède par la voie d’un contrôle judiciaire.

[141]      L’arrêt Grenier n’aide pas la cause des défendeurs. Contrairement à cet arrêt, dans lequel la contestation a été engagée par la voie d’une action, l’affaire dont la Cour est saisie est introduite par la voie d’un avis de demande en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Il n’y a pas de contestation indirecte; il s’agit d’une contestation directe des décisions que les défendeurs ont prises.

[142]      Dans l’arrêt Garland, la Cour suprême du Canada s’est rangée à l’avis du juge des requêtes, selon qui, comme il avait été conclu plus tôt que les frais pour paiement tardif de l’intimée étaient contraires au Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46], l’intimée ne disposait d’aucun moyen de défense contre la demande de l’appelant en vue d’obtenir le remboursement des frais perçus. L’intimée avait défendu l’action en se fondant sur le fait que les frais contestés avaient été autorisés par les ordonnances tarifaires de la Commission de l’énergie de l’Ontario. La Cour suprême a conclu que l’action de l’appelant ne constituait pas une contestation indirecte des ordonnances de la Commission. Dans le cadre de ses motifs, la Cour analyse, comme suit, la règle interdisant les contestations indirectes [au paragraphe 71] :

La règle interdisant les contestations indirectes empêche une partie d’attaquer les ordonnances antérieures d’un tribunal judiciaire ou administratif [. . .]. En général, cette règle est invoquée lorsqu’une partie tente de contester la validité d’une ordonnance exécutoire devant un tribunal non compétent en la matière, c’est‑à‑dire lorsque la validité de l’ordonnance est contestée dans le cadre de procédures autres que celles dont cette partie disposait pour la contester directement (c.‑à‑d. l’appel ou le contrôle judiciaire). Dans l’arrêt Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594, p. 599, notre Cour a ainsi décrit la règle interdisant les contestations indirectes :

Selon un principe fondamental établi depuis longtemps, une ordonnance rendue par une cour compétente est valide, concluante et a force exécutoire, à moins d’être infirmée en appel ou légalement annulée. De plus, la jurisprudence établit très clairement qu’une telle ordonnance ne peut faire l’objet d’une attaque indirecte; l’attaque indirecte peut être décrite comme une attaque dans le cadre de procédures autres que celles visant précisément à obtenir l’infirmation, la modification ou l’annulation de l’ordonnance ou du jugement. [Renvois et sources omis.]

[143]      Le demandeur soutient que sa contestation de la décision du ministre n’est pas indirecte, au sens où le décrit la Cour suprême, car il ne conteste pas la décision indirectement ou devant le mauvais tribunal. Il conteste la validité constitutionnelle de la décision prise par le ministre en vertu de la Charte devant la Cour fédérale, laquelle constitue, pour une telle contestation, le tribunal approprié.

[144]      Dans le cas présent, je suis d’accord avec le demandeur. On ne peut pas dire que la contestation de la décision du ministre est faite de manière indirecte. Le défendeur conteste la décision directement, ainsi que devant le tribunal approprié. Il lui était loisible de contester la décision en se fondant sur le fait qu’elle enfreignait les règles de justice naturelle et d’équité procédurale, mais il a décidé de ne pas le faire. Étant donné que la présente demande était déjà en instance et sur le point d’être entendue, le choix d’une telle voie concordait avec le principe bien établi selon lequel toutes les questions pertinentes doivent être considérées en bloc, et non pas scindées. Il s’est adressé à la Cour pour déposer une preuve par affidavit additionnelle dans le cadre du dossier relatif à la présente demande. Cette preuve additionnelle comprend la décision que le ministre a rendue le 3 avril 2009, de même que son incidence sur le rapatriement du demandeur. Cette requête a été accueillie, sur consentement, et, par la voie d’une ordonnance rendue le 17 avril 2009, la Cour a permis que la preuve additionnelle soit soumise à un contre‑interrogatoire.

[145]      Il ressort clairement d’une lecture de l’avis de demande que le demandeur prétend que les défendeurs ont porté atteinte de façon constante à son droit constitutionnel d’entrer au Canada. Les passages suivants, extraits de l’avis de demande modifié, reflètent cette prétention :

[traduction] Les défendeurs ont fait échec aux efforts faits par le demandeur pour rentrer au Canada et, en fait, ils ont comploté pour le maintenir de facto en exil au Soudan en recourant à une combinaison de mesures prises par négligence ou de mauvaise foi.

[. . .]

En agissant de mauvaise foi, les défendeurs ont porté atteinte au droit qu’a le demandeur, en tant que Canadien, d’entrer au Canada. Cette atteinte constante met en péril la vie, la liberté et la sécurité de la personne du demandeur, en l’exilant au Soudan. Ces droits sont protégés par la Charte canadienne des droits et libertés et sont l’objet de la présente demande.

Il sollicite une déclaration portant que les défendeurs portent atteinte au droit d’entrer au Canada que lui garantit le paragraphe 6(1) de la Charte et, en vertu du paragraphe 24(1), il demande réparation.

[146]      La décision que le ministre a rendue le 3 avril 2009 n’était que la plus récente des actions et des inactions qui, d’après la plainte formulée, constituent l’atteinte constante dont il est question en l’espèce et, à mon avis, elle est à juste titre susceptible d’examen par la Cour dans le cadre de la présente demande. Si les défendeurs souhaitaient exclure cette décision‑là de l’examen de la Cour, ils auraient dû s’opposer à la requête du demandeur en vue de produire des preuves supplémentaires, laquelle requête soumet directement cette décision à la Cour dans le cadre de la présente instance. Il convient d’examiner la décision du 3 avril 2009 pour déterminer le véritable sujet de controverse qui oppose ces parties; ne pas le faire causerait au demandeur une injustice flagrante.

[147]      Enfin, il est évident que les défendeurs connaissaient exactement la question soumise à la Cour, à savoir s’ils avaient porté atteinte ou non au droit qu’a le demandeur d’entrer au Canada. Dans leur mémoire écrit des arguments, déposé le 9 avril 2009, on peut lire ce qui suit :

[traduction] La Charte n’entre pas en ligne de compte en l’espèce. L’incapacité dans laquelle se trouve actuellement le demandeur de rentrer au Canada est due au fait qu’il est inscrit sur la Liste du Comité 1267, ainsi qu’à l’interdiction qui en résulte de voyager en transitant par d’autres pays. Le gouvernement n’a pas interdit au demandeur d’entrer au Canada, ce qui serait contraire à l’article 6 de la Charte. En tout état de cause, ce dernier a omis de fournir à la Cour un fondement factuel et juridique suffisant pour fonder ses allégations fort sérieuses d’atteinte aux droits que la Charte lui garantit. L’article 6 de la Charte ne crée pas une obligation positive pour le Canada de rapatrier ses citoyens. Une telle interprétation irait à l’encontre des obligations internationales du Canada et s’immiscerait dans des questions de prérogative royale, d’affaires étrangères et de haute politique.

[148]      À mon avis, l’argument selon lequel le gouvernement du Canada n’a pas interdit au demandeur d’entrer au Canada était inexact lorsqu’il a été invoqué six jours après que le ministre eut refusé de délivrer au demandeur un passeport d’urgence. Indépendamment du fait que le vol de la société Etihad Airways, prévu pour le 3 avril 2009, aurait enfreint ou pas l’interdiction de voyager prescrite dans la résolution no 1822, la Cour ne dispose d’aucune preuve indiquant que, si M. Abdelrazik avait eu en main un passeport d’urgence délivré par le Canada, il n’aurait pas été à bord de cet avion et ne se trouverait pas aujourd’hui au Canada. Je conclus que c’est seulement à cause des actions prises par le ministre le 3 avril 2009 que M. Abdelrazik ne se trouve pas aujourd’hui au Canada.

[149]      Les défendeurs soutiennent que le droit d’entrer au Canada, que prévoit le paragraphe 6(1) de la Charte, n’impose pas d’obligations positives au Canada. Leur argument, pour paraphraser la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995, est que la liberté d’entrer au Canada que prévoit le paragraphe 6(1) empêche le Canada de refuser l’entrée d’un citoyen au pays (sous réserve de l’article premier) mais ne l’oblige pas à prendre des mesures positives, comme la délivrance d’un passeport ou la fourniture d’un aéronef en vue de faire le voyage jusqu’au Canada.

[150]      Dans l’arrêt Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, [2002] 4 R.C.S. 429, une affaire concernant l’article 7 de la Charte, la Cour suprême a reconnu qu’un jour on considérera peut‑être que la Charte comporte des obligations positives, et que le défaut de poser le geste positif constituera ainsi une atteinte à la Charte. Plus précisément [au paragraphe 82] :

La question n’est donc pas de savoir si l’on a déjà reconnu — ou si on reconnaîtra un jour — que l’art. 7 crée des droits positifs. Il s’agit plutôt de savoir si les circonstances de la présente affaire justifient une application nouvelle de l’art. 7, selon laquelle il imposerait à l’État l’obligation positive de garantir un niveau de vie adéquat.

[151]      La Cour, de même que la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Kamel, ainsi que dans le passage qui suit, ont noté l’importance cruciale que revêt un passeport, non seulement pour pouvoir voyager, mais pour qu’un citoyen puisse entrer au Canada5. Le fait que M. Abdelrazik a obtenu et payé un billet de retour au Canada le 3 avril 2009, mais qu’on l’a empêché de prendre l’avion juste parce qu’il n’avait pas le passeport d’urgence que le Canada lui avait promis prouve cette importance [Kamel, aux paragraphes 14 et 15] :

    L’appelant soutient que le paragraphe 6(1) de la Charte, qui confère à tout citoyen canadien « le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir », n’impose pas à l’État l’obligation de faciliter les déplacements internationaux des citoyens canadiens et que l’intimé n’a pas fait la preuve qu’un passeport soit nécessaire pour entrer au Canada ou en sortir.

    Nous n’avons pas jugé utile, à l’audience, d’entendre l’intimé sur cette question. Nous sommes en effet substantiellement d’accord sur ce point avec les propos du juge Noël. Ce serait interpréter la Charte dans un monde irréel que de conclure que le refus de délivrer un passeport à un citoyen canadien ne porte pas atteinte à son droit d’entrer au Canada ou d’en sortir. Il se peut qu’en théorie un citoyen canadien n’ait pas à être muni d’un passeport pour entrer au Canada ou en sortir. En réalité, toutefois, il est bien peu de pays dans lesquels le citoyen canadien qui veut sortir du Canada puisse entrer s’il n’a pas de passeport et il est bien peu de pays qui permettent à un canadien non muni d’un passeport de rentrer au Canada (d.a. vol. 7, p. 1406, affidavit Thomas). Le fait de ne pouvoir aller à peu près nulle part sans passeport et le fait de ne pouvoir rentrer au Canada d’à peu près nulle part sans passeport constituent à leur face même une restriction au droit d’un citoyen canadien d’entrer au Canada ou d’en sortir, ce qui suffit, bien sûr, pour qu’entre en jeu la protection de la Charte. Le paragraphe 6(1) établit un droit concret qui doit être apprécié en fonction de la réalité politique contemporaine. Que signifie un droit qu’on n’a pas en pratique la possibilité d’exercer?

[152]      Je suis d’accord avec la Cour d’appel. Selon moi, quand un citoyen se trouve à l’étranger, le gouvernement du Canada a l’obligation positive de lui délivrer un passeport d’urgence afin qu’il puisse rentrer au Canada; sans cela, le droit que le gouvernement du Canada garantit au paragraphe 6(1) de la Charte est illusoire. Si le gouvernement refuse de délivrer ce passeport, il s’agit d’une atteinte prima facie aux droits que la Charte garantit à ce citoyen sauf si le gouvernement justifie son refus au regard de l’article premier. Comme il est indiqué dans l’arrêt Cotroni, la Cour suprême a conclu que cette atteinte doit être justifiée comme étant nécessaire pour réaliser un objectif raisonnable de l’État. Dans l’arrêt Kamel, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’article 10.1 du Décret sur les passeports canadiens était un objectif raisonnable de l’État; cependant, l’intimé doit quand même établir que les décisions prises en vertu de l’article 10.1 sont « justifiées » au cas par cas.

[153]      Je conclus qu’en ne lui délivrant pas un passeport d’urgence, les défendeurs ont porté atteinte au droit que la Charte confère au demandeur, en tant que citoyen canadien, d’entrer au Canada. Selon moi, il n’est pas nécessaire de décider si ce manquement a été commis de mauvaise foi; un manquement, qu’il soit de mauvaise foi ou de bonne foi, n’en est pas moins un manquement et, à défaut d’une justification au regard de l’article premier de la Charte, la partie lésée a droit à une réparation. S’il avait été nécessaire de déterminer s’il s’agissait d’un manquement commis de mauvaise foi, je n’aurais aucunement hésité à tirer cette conclusion au vu du dossier qui m’a été soumis. Comme je le dis depuis le début, il existe une preuve à l’appui de la prétention du demandeur selon laquelle le gouvernement du Canada a décidé, à l’époque de l’inscription du nom du demandeur sur la liste du Comité 1267, que M. Abdelrazik ne serait pas autorisé à rentrer au Canada. Le seul moyen juridique d’atteindre cet objectif était d’obtenir une ordonnance établie en vertu de l’article 10.1 du Décret sur les passeports canadiens. Au lieu d’engager ce processus à ce moment‑là, le Canada a avancé un certain nombre d’arguments pour expliquer pourquoi un passeport d’urgence ne lui était pas fourni, mais seules quelques‑unes étaient exactes : son nom figure sur une liste de personnes interdites de voyager à bord d’un avion et les transporteurs aériens commerciaux ne l’accepteront pas; il a obtenu un itinéraire, mais n’a pas payé le billet d’avion, il est inscrit sur la liste du Comité 1267 et ne peut pas traverser l’espace aérien d’États membres; enfin, même s’il est parvenu à remplir la dernière condition fixée par le Canada, c’est‑à‑dire d’avoir un billet payé, le refus est nécessaire pour assurer la sécurité nationale du Canada ou d’un autre pays. Il s’agissait là d’un avis que le ministre devait formuler uniquement après que l’on eut suivi le processus prescrit par son propre ministère, ce qui aurait donné à M. Abdelrazik la possibilité de connaître les sujets de préoccupation et d’y répondre. Non seulement cela n’a pas été fait, mais le ministre a attendu jusqu’à la toute dernière minute avant le départ du vol pour refuser de délivrer le passeport d’urgence, et même si le motif de ce refus est indiqué, il n’explique pas sur quel fondement la décision a été prise, il n’explique pas ce qui a changé pendant que M. Abdelrazik vivait à l’ambassade du Canada et qui justifie ce revirement soudain, et rien n’indique si la décision reposait sur le fait qu’il était un danger pour la sécurité nationale du Canada ou d’un autre pays. En outre, aucune explication n’a été donnée quant au fait de savoir si M. Abdelrazik présenterait un risque pour la sécurité s’il rentrait au Canada, ou un risque pour la sécurité qui serait pire que s’il restait au Soudan. À mon avis, pour refuser à un citoyen le droit d’entrer dans son propre pays il faut, à tout le moins, que l’on établisse ce risque accru pour justifier la prise d’une décision en vertu de l’article 10.1 du Décret sur les passeports canadiens. Si ce citoyen ne pose pas un risque accru, quelle justification peut‑il y avoir pour porter atteinte à la Charte en lui refusant de rentrer chez lui; surtout quand, comme c’est le cas en l’espèce, la solution de rechange est d’exiler effectivement le citoyen en l’obligeant à passer le reste de sa vie à l’ambassade du Canada à l’étranger. En bref, le seul fondement du refus de délivrer le passeport était que le ministre était arrivé à cette opinion; rien n’a été offert et aucun effort n’a été fait pour justifier cette opinion.

[154]      Les défendeurs n’ont fourni aucune preuve à l’appui d’une défense fondée sur l’article premier contre l’atteinte prima facie à la Charte, relativement au refus de délivrer le passeport d’urgence. Ils ont simplement indiqué à la Cour qu’il n’y avait eu aucune atteinte. Comme j’ai conclu qu’il y en avait eu une, il incombait alors aux défendeurs de la justifier. En l’absence d’une preuve quelconque, cette atteinte n’a pas été justifiée. Indépendamment de cela, j’ai examiné la question de savoir si la décision du ministre selon laquelle M. Abdelrazik présentait un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’un autre pays constituait en soi une défense fondée sur l’article premier, et je suis arrivé à la conclusion que non.

[155]      Comme il a été mentionné plus tôt, les directives de Passeport Canada prévoient que, chaque fois qu’il est possible de priver un citoyen de ses privilèges en matière de passeport, il existe un mécanisme qui permet à ce citoyen de bénéficier de l’équité procédurale et de la justice naturelle. Il est juste de présumer que le ministre a instauré ces processus au sein de son ministère en reconnaissance des droits que la Charte confère à un citoyen et de la relation spéciale qui existe entre un citoyen et son pays. Rien ne donne à penser que le ministre a suivi ces processus. En fait, il semble avoir pris la décision de refuser le passeport d’urgence sans contribution aucune de Passeport Canada. Il a eu de nombreuses années pour prendre cette décision après avoir suivi les processus fixés par son propre ministère, s’il y avait un fondement quelconque à l’appui de son opinion. Il ne l’a pas fait. Rien dans le compte rendu de sa décision n’indique que cette dernière est fondée sur des informations qu’il a reçues récemment. Rien n’indique le fondement qui sous‑tend sa décision. Même si l’on peut dire qu’une décision comme celle qu’il a prise est prescrite par la loi, puisqu’elle est fondée sur l’article 10.1 du Décret sur les passeports canadiens, il faut également montrer que la décision elle‑même est justifiée comme étant nécessaire pour réaliser un objectif raisonnable de l’État, ainsi que la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Cotroni. Il ne suffit tout simplement pas au ministre de dire qu’il est arrivé à cette opinion et « faites‑moi confiance » — il doit faire plus que cela; il doit établir que cela était « nécessaire ». Il n’incombe pas au judiciaire de remettre en question l’opinion du ministre ou de substituer sa propre opinion à celle de ce dernier, mais, quand l’opinion n’est fondée sur rien, la Cour ne peut pas conclure que le refus était nécessaire et justifié, compte tenu de l’importante atteinte à la Charte qu’implique le fait de refuser de délivrer un passeport à un citoyen canadien. En l’espèce, le refus de délivrer le passeport d’urgence a, en réalité, pour effet de laisser M. Abdelrazik vivre comme un détenu dans un pays étranger, voué à passer le reste de sa vie à l’ambassade du Canada ou à s’en aller et s’exposer au risque d’être détenu et torturé.

[156]      J’ai conclu que le Canada s’était engagé dans une voie et avait posé des gestes précis qui constituaient une atteinte au droit qu’a M. Abdelrazik d’entrer au Canada. Plus précisément, je conclus :

i) que le SCRS a été complice dans la mise en détention de M. Abdelrazik par les autorités soudanaises en 2003;

ii) que, au milieu de l’année 2004, les autorités canadiennes avaient décidé qu’elles ne prendraient aucune mesure active pour aider M. Abdelrazik à rentrer au Canada et que, malgré leurs nombreuses assurances, elles envisageraient de refuser de lui accorder un passeport d’urgence s’il le fallait pour s’assurer qu’il ne revienne pas au Canada;

iii) qu’il n’y a rien dans la résolution de l’ONU qui empêche de rapatrier M. Abdelrazik au Canada — il n’est pas obligatoire d’obtenir l’autorisation d’un gouvernement étranger pour pouvoir transiter par son espace aérien — et l’affirmation contraire des défendeurs s’inscrit dans le cadre de la conduite à laquelle ces derniers se sont livrés pour veiller à ce que M. Abdelrazik ne puisse pas rentrer au Canada;

iv) que le refus par le Canada de délivrer un passeport d’urgence, le 3 avril 2009, après que le demandeur eut rempli toutes les conditions préalables à la délivrance d’un tel passeport que le Canada avait fixées antérieurement, constitue une atteinte au droit que lui garantit la Charte d’entrer au Canada, et il n’a pas été établi que cette atteinte se justifiait au regard de l’article premier de la Charte.

[157]      Comme j’ai conclu que le Canada avait porté atteinte au droit qu’a le demandeur, en tant que citoyen du Canada, d’entrer dans son pays, il a droit à une réparation appropriée.

Quelle est la réparation appropriée?

[158]      Je suis d’accord avec les défendeurs qu’un tribunal ne doit pas en faire plus qu’il n’en faut pour concevoir une réparation à la suite d’une atteinte à la Charte : Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3. En l’espèce, le demandeur a le droit d’être remis dans la situation dans laquelle, n’eût été de l’atteinte, il se serait trouvé — à Montréal.

[159]      En disant cela, j’ai à l’esprit le principe du droit international selon lequel [traduction] « la réparation doit, dans toute la mesure du possible, effacer les conséquences de l’acte illégal et rétablir la situation qui, selon toute probabilité, aurait existé si cet acte n’avait pas eu lieu », ainsi que l’a indiqué la Cour permanente d’arbitrage dans la décision Chorzow Factory Case (Ger. v. Pol.) (1928), P.C.I.J., Sr. A, no 17, à la page 47 (13 septembre). Comme l’a écrit le juge en chef Dickson dans l’arrêt Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, à la page 348, « [l]es diverses sources du droit international des droits de la personne — les déclarations, les pactes, les conventions, les décisions judiciaires et quasi judiciaires des tribunaux internationaux, et les règles coutumières — doivent, à mon avis, être considérées comme des sources pertinentes et persuasives quant il s’agit d’interpréter les dispositions de la Charte ». Dans le même ordre d’idées, je suis d’avis que les principes du droit international sont utiles lorsqu’il est nécessaire de concevoir, comme c’est le cas en l’espèce, une réparation juste et appropriée au titre de la Charte.

[160]      Par conséquent, à tout le moins, il doit être ordonné aux défendeurs de procurer à M. Abdelrazik un passeport d’urgence qui lui permettra de voyager et d’entrer au Canada. Il dispose, pour ce faire, d’un certain nombre de moyens. Il a déjà obtenu auparavant un billet d’avion et il pourrait être capable de le faire de nouveau. De l’avis de la Cour, cela réparerait l’atteinte et cette mesure est celle qui empiéterait le moins sur le rôle de l’exécutif. Si ce voyage est possible et si le demandeur n’a pas de fonds, ou en manque, pour payer un billet d’avion en se servant de son billet inutilisé du 3 avril 2009, il est alors ordonné aux défendeurs de payer les frais du billet, ou les frais additionnels, qui sont nécessaires, car, sans l’atteinte commise, le demandeur n’aurait pas à engager cette dépense.

[161]      Le demandeur a demandé que les défendeurs le ramènent au Canada [traduction] « par n’importe quel moyen sûr dont il[s] dispose[nt] ». À mon avis, à ce stade‑ci, l’idéal est de laisser aux défendeurs le soin de déterminer de quelle façon ramener au pays M. Abdelrazik, en consultation avec ce dernier, sous réserve de la supervision de la Cour et du fait d’agir avec célérité.

[162]      Les défendeurs peuvent faire valoir qu’il leur est impossible d’accorder une aide financière pour que M. Abdelrazik puisse rentrer au Canada, car la résolution no 1822 l’interdit. Comme il a été indiqué, une dérogation à l’interdiction de voyager et au gel des avoirs est nécessaire aux fins d’une « procédure judiciaire » (« judicial process » dans la version anglaise de cette résolution).

[163]      Selon la définition qu’en donne le Canadian Oxford Dictionary (2e éd.), le mot « process » (processus en français) est « a course of action or proceeding » (un plan d’action ou une manière de procéder). Selon le Black’s Law Dictionary (8e éd.), ce même mot désigne « the proceedings in any action or prosecution » (les procédures engagées dans le cadre d’une action ou d’une poursuite). Un processus judiciaire a le même sens qu’une procédure judiciaire. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Markevich c. Canada, 2003 CSC 9, [2003] 1 R.C.S. 94, a analysé le sens du mot « proceeding », dans la version anglaise de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C‑50 [art. 1 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21)], et elle a conclu que ce terme avait un sens large. Les observations qu’elle a formulées dans cet arrêt s’appliquent tout autant en l’espèce [au paragraphe 24] :

Bien que le mot « proceeding » dans la version anglaise soit souvent utilisé dans le contexte d’une action en justice, sa définition est plus large. La Cour d’appel du Manitoba affirme dans Royce c. MacDonald (Municipality) (1909), 12 W.L.R. 347, p. 350, que le mot « proceeding » [traduction] « a un sens très large : il vise notamment des étapes ou mesures qui ne sont liées d’aucune façon à des actions ou poursuites en justice ». Selon la définition que donne le Black’s Law Dictionary (6e éd. 1990), p. 1204, le terme « proceeding » s’entend notamment [traduction] « d’une mesure que l’on doit prendre pour obtenir un résultat donné; d’un mode d’action prescrit pour la mise en œuvre d’un droit ».

[164]      Par conséquent, une procédure judiciaire, pour les besoins de la dérogation au gel des avoirs et à l’interdiction de voyager, englobe plus que la délivrance d’une citation à comparaître comme témoin devant un tribunal, comme l’ont fait valoir les défendeurs. Elle englobe toutes les étapes de la procédure judiciaire, y compris celles qui sont imposées par le tribunal par voie d’ordonnance dans le cadre de la poursuite ou de la demande. Cette opinion est étayée par la version française de la résolution 1617 du Conseil de sécurité, où figure la phrase suivante [au paragraphe 1b)] : « le présent paragraphe ne s’applique pas lorsque l’entrée ou le transit est nécessaire à l’aboutissement d’une procédure judiciaire ». D’après le sens ordinaire de ce terme, « aboutissement » signifie, en anglais, « outcome, result » (ou, en français, « résultat ou issue »)6. Cela, selon moi, inclurait les mesures requises à prendre dans le cadre de l’exécution ou de l’aboutissement d’une ordonnance judiciaire.

[165]      En l’espèce, toute aide de cette nature que fournirait le Canada est nécessaire à l’aboutissement de la présente procédure judiciaire, et ne constitue pas une violation de la résolution de l’ONU.

[166]      Il est en outre exigé, de l’avis de la Cour, que les défendeurs, et ce, aux frais du Canada, fournissent une escorte des Affaires étrangères pour accompagner M. Abdelrazik lors de son vol entre Khartoum et Montréal, sauf si ce dernier renonce à cette exigence. À mon avis, cette mesure est nécessaire pour veiller à ce que M. Abdelrazik ne soit pas arrêté ou retardé durant son retour au Canada pendant qu’il est en transit ou lors d’une escale dans un aéroport étranger. Cette escorte doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour s’assurer que M. Abdelrazik rentre au Canada sans entrave. Pour reprendre les propos antérieurs des Affaires étrangères — il s’agit là de la contribution du Ministère pour veiller à ce que M. Abdelrazik rentre bien au Canada.

[167]      Il est de plus exigé, de l’avis de la Cour, que cette dernière soit convaincue que M. Abdelrazik est bel et bien rentré au Canada. Par conséquent, pour l’aboutissement de la présente procédure judiciaire, la Cour exige que M. Abdelrazik comparaisse devant elle à l’heure et à la date précisées dans le jugement.

[168]      La Cour se réserve le droit de superviser la mise en application du présent jugement ainsi que celui de rendre les ordonnances additionnelles qui pourront être nécessaires pour assurer le retour en toute sécurité de M. Abdelrazik au Canada.

[169]      Comme les parties l’ont convenu, la question des dépens est reportée. Le demandeur fera part aux défendeurs de ses observations sur les dépens et il en transmettra à la Cour une copie, d’une longueur maximale de 15 pages, dans les 15 jours suivant le présent jugement. Les défendeurs signifieront et déposeront leurs observations en réponse, d’une longueur maximale de 15 pages, et dans un délai supplémentaire de 15 jours. Le demandeur aura 10 jours de plus pour y répliquer, dans un document d’une longueur maximale de 10 pages.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.   la présente demande est accueillie;

2.   il y a eu atteinte au droit qu’a le demandeur d’entrer au Canada, ce qui est contraire au paragraphe 6(1) de la Charte;

3.   il est ordonné aux défendeurs de délivrer un passeport d’urgence au demandeur afin qu’il puisse rentrer au Canada;

4.   les défendeurs, après avoir consulté le demandeur, prendront les mesures nécessaires pour assurer le transport de ce dernier entre Khartoum et Montréal (Canada), de façon à ce qu’il arrive au pays au plus tard dans les 30 jours suivant la date des présentes;

5.   si ces dispositions de voyage n’ont pas été prises dans les 15 jours suivant la date des présentes, les parties en aviseront la Cour et celle‑ci tiendra sur‑le‑champ une audience au cours de laquelle elle se réservera le droit de délivrer les ordonnances additionnelles qu’elle jugera utiles pour assurer le transport et l’arrivée en toute sécurité du demandeur au Canada dans les 30 jours suivant le présent jugement, ou dans le délai plus long que la Cour jugera alors nécessaire dans les circonstances;

6.   en exécution de la présente procédure judiciaire, il est ordonné au demandeur de comparaître devant moi à 14 h le mardi 7 juillet 2009, aux bureaux de la Cour fédérale situés au 30, rue McGill, Montréal (Québec), Canada, ou, au gré du demandeur, et à la suite d’un préavis de cinq jours signifié à la Cour et aux défendeurs, au 90, rue Sparks, Ottawa (Ontario), ou alors à tout autre endroit que la Cour fixera par la suite, sous réserve d’une prorogation de cette date à la suite d’une demande de l’une ou l’autre des parties et à la condition que la Cour soit persuadée qu’il est impossible ou peu pratique pour le demandeur, sans que les défendeurs en soient responsables, de comparaître à la date et à l’heure fixées;

7.   la question des dépens est reportée.

ANNEXE A

                           TABLE DES MATIÈRES             Page(s)

Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 6, 24                                               

340

Conseil de sécurité des Nations Unies : Résolution 1822 (2008)                              

341

Directives régissant la conduite des travaux du Comité, 9 décembre 2008, art. 11 « Dérogations aux mesures d’interdiction de voyage »................................................................

345

Conseil de sécurité de l’ONU — Explication de l’interdiction de voyager              

348

Décret sur les passeports canadiens, TR/81‑86, art. 4, 10.1                                    

351

Annexe B..............................................................

352

Charte canadienne des droits et libertés

    1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[. . .]

    6. (1) Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir.

    (2) Tout citoyen canadien et toute personne ayant le statut de résident permanent au Canada ont le droit :

a) de se déplacer dans tout le pays et d’établir leur résidence dans toute province;

b) de gagner leur vie dans toute province.

    (3) Les droits mentionnés au paragraphe (2) sont subordonnés :

a) aux lois et usages d’application générale en vigueur dans une province donnée, s’ils n’établissent entre les personnes aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle;

b) aux lois prévoyant de justes conditions de résidence en vue de l’obtention des services sociaux publics.

    (4) Les paragraphes (2) et (3) n’ont pas pour objet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer, dans une province, la situation d’individus défavorisés socialement ou économiquement, si le taux d’emploi dans la province est inférieur à la moyenne nationale.

[. . .]

    24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

    (2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

Conseil de sécurité des Nations Unies : Résolution 1822 (2008) (adoptée par le Conseil de sécurité à sa 5928e séance, le 30 juin 2008)

Le Conseil de sécurité,

    Rappelant ses résolutions 1267 (1999), 1333 (2000), 1363 (2001), 1373 (2001), 1390 (2002), 1452 (2002), 1455 (2003), 1526 (2004), 1566 (2004), 1617 (2005), 1624 (2005), 1699 (2006), 1730 (2006) et 1735 (2006), ainsi que les déclarations de son président sur la question,

    Réaffirmant que le terrorisme, sous toutes ses formes et manifestations, constitue l’une des menaces les plus sérieuses contre la paix et la sécurité et que tous les actes de terrorisme, quels qu’ils soient, sont criminels et injustifiables, quels qu’en soient les motivations, l’époque et les auteurs, et condamnant une fois de plus catégoriquement le réseau Al‑Qaida, Oussama ben Laden, les Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés pour les multiples actes de terrorisme qu’ils ne cessent de perpétrer dans le but de provoquer la mort de civils innocents et d’autres victimes, de détruire des biens et de porter gravement atteinte à la stabilité,

Réaffirmant qu’il faut combattre par tous les moyens, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international et notamment du droit international des droits de l’homme, du droit des réfugiés et du droit international humanitaire, les menaces que les actes de terrorisme font peser sur la paix et la sécurité internationales, et soulignant à cet égard le rôle important que l’Organisation des Nations Unies joue dans la conduite et la coordination de cette lutte,

Se félicitant de l’adoption par l’Assemblée générale de la Stratégie antiterroriste mondiale de l’Organisation des Nations Unies (A/60/288) du 8 septembre 2006 et de la création de l’Équipe spéciale de la lutte contre le terrorisme en vue d’assurer la coordination et la cohérence d’ensemble de l’action antiterroriste menée par les organismes des Nations Unies,

Se déclarant à nouveau profondément préoccupé par la multiplication des actes de violence et de terrorisme commis en Afghanistan par les Taliban et Al‑Qaida ainsi que les autres personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés,

Rappelant sa résolution 1817 (2008) et renouvelant son appui à l’action menée contre la production illicite et le trafic de stupéfiants au départ de l’Afghanistan et de précurseurs chimiques vers ce pays, dans les pays voisins, les pays situés le long des itinéraires empruntés par les trafiquants, les pays de destination de la drogue et les pays producteurs de précurseurs,

Exprimant la profonde préoccupation que lui inspire le détournement délictueux de l’Internet par Al‑Qaida, Oussama ben Laden, les Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés, pour réaliser des actes de terrorisme,

Insistant sur le fait que le terrorisme ne peut être vaincu que grâce à l’adoption d’une démarche suivie et globale, fondée sur la participation et la collaboration actives de l’ensemble des États et organismes internationaux et régionaux, pour contrer, affaiblir, isoler et neutraliser la menace terroriste,

Soulignant que les sanctions sont un instrument important prévu par la Charte des Nations Unies de maintien et de rétablissement de la paix et de la sécurité internationales et soulignant également, à cet égard, la nécessité d’une mise en œuvre rigoureuse des mesures visées au paragraphe 1 de la présente résolution, comme important outil de lutte contre le terrorisme,

Priant instamment tous les États Membres, les organismes internationaux et les organisations régionales d’allouer suffisamment de ressources pour faire face à la menace permanente et directe que représentent le réseau Al‑Qaida, Oussama ben Laden et les Taliban ainsi que les autres personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés, notamment en participant activement à l’identification de ceux qui parmi eux devraient être visés par les mesures envisagées au paragraphe 1 de la présente résolution,

Soulignant une fois de plus que le dialogue entre le Comité créé par la résolution 1267 (1999) (« le Comité ») et les États Membres est indispensable à la pleine mise en œuvre des mesures prises,

Prenant note des difficultés auxquelles se heurte la mise en œuvre des mesures prises par les États Membres conformément aux dispositions énoncées au paragraphe 1 de la présente résolution et reconnaissant les efforts que ne cessent de déployer les États Membres et le Comité en vue d’assurer que des procédures équitables et claires soient en place pour l’inscription de personnes, de groupes, d’entreprises et d’entités sur la liste établie en application des résolutions 1267 (1999) et 1333 (2000) (« la Liste récapitulative »), et pour leur radiation de ces listes, ainsi que pour l’octroi d’exemptions pour raisons humanitaires,

Réaffirmant que les mesures envisagées au paragraphe 1 de la présente résolution ont un caractère préventif et sont indépendantes des règles pénales de droit interne,

Soulignant que tous les États Membres sont tenus de mettre en œuvre intégralement la résolution 1373 (2001), y compris en ce qui concerne tout membre des Taliban ou du réseau Al‑Qaida et les personnes, groupes, entreprises et entités associés au réseau Al‑Qaida, à Oussama ben Laden ou aux Taliban qui participent au financement d’actes de terrorisme ou d’activités terroristes, les organisent, les planifient, les facilitent, les préparent, les exécutent ou leur apportent un soutien, ou qui participent au recrutement de terroristes, ainsi que de faciliter le respect des obligations imposées en matière de lutte contre le terrorisme, conformément à ses résolutions sur la question,

Se félicitant de la création, par le Secrétaire général, conformément à la résolution 1730 (2006), au sein du Secrétariat d’un point focal chargé de recevoir les demandes de radiation et prenant note avec appréciation de la coopération en cours entre le point focal et le Comité,

Se félicitant de la poursuite de la coopération entre le Comité et INTERPOL, notamment de l’élaboration des Notices spéciales, qui aident les États Membres à mettre en œuvre les mesures prises, et reconnaissant le rôle de l’Équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions (« Équipe de surveillance ») à cet égard,

Se félicitant de la poursuite de la coopération entre le Comité et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, notamment en matière d’assistance technique et de renforcement des capacités, destinée à aider les États Membres à honorer leurs obligations au titre de la présente résolution et des autres résolutions et instruments internationaux pertinents,

Prenant note avec préoccupation de la menace persistante que représentent pour la paix et la sécurité internationales Al‑Qaida, Oussama ben Laden, les Taliban et autres personnes, groupes et entités qui leur sont associés et réaffirmant sa détermination à faire front à cette menace sous tous ses aspects,

Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,

Mesures

1.   Décide que tous les États doivent prendre les mesures résultant déjà de l’alinéa b) du paragraphe 4 de la résolution 1267 (1999), de l’alinéa c) du paragraphe 8 de la résolution 1333 (2000) et des paragraphes 1 et 2 de la résolution 1390 (2002) concernant Al‑Qaida, Oussama ben Laden, les Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés, ainsi qu’il ressort de la liste établie en application des résolutions 1267 (1999) et 1333 (2000) (la « Liste récapitulative » ou « Liste »), à savoir :

a)   Bloquer sans délai les fonds et autres avoirs financiers ou ressources économiques de ces personnes, groupes, entreprises et entités, y compris les fonds provenant de biens leur appartenant ou contrôlés, directement ou indirectement, par eux ou par des personnes agissant pour leur compte ou sur leurs instructions, et veiller à ce que ni ces fonds, ni d’autres fonds, actifs ou ressources économiques ne soient mis à la disposition, directement ou indirectement, de ces personnes, groupes, entreprises et entités par leurs ressortissants ou par des personnes établis sur leur territoire;

b)   Empêcher l’entrée sur leur territoire ou le transit par leur territoire de ces personnes, étant entendu qu’aucune disposition du présent paragraphe n’oblige un État à refuser à ses propres ressortissants d’entrer sur son territoire ou à exiger d’eux qu’ils quittent le territoire, le présent paragraphe ne s’appliquant pas dans les cas où l’entrée ou le transit sont nécessaires aux fins d’une procédure judiciaire ou lorsque le Comité détermine au cas par cas uniquement que l’entrée ou le transit se justifient;

c)   Empêcher la fourniture, la vente ou le transfert directs ou indirects à ces personnes, groupes, entreprises et entités, à partir de leur territoire ou par leurs ressortissants établis hors de leur territoire, ou au moyen de navires ou d’aéronefs sous leur pavillon, d’armements et de matériels connexes de tous types, y compris les armes et les munitions, les véhicules et l’équipement militaires, l’équipement paramilitaire et les pièces de rechange pour les armes et matériels susmentionnés, ainsi que de conseils techniques, d’une assistance ou d’une formation portant sur des activités militaires;

2.   Réaffirme que les actes ou activités indiquant qu’une personne, un groupe, une entreprise ou une entité est « associé » à Al‑Qaida, à Oussama ben Laden ou aux Taliban sont les suivants :

a)   Le fait de participer au financement, à l’organisation, à la facilitation, à la préparation ou à l’exécution d’actes ou d’activités en association avec le réseau Al‑Qaida, Oussama ben Laden ou les Taliban, ou toute cellule, filiale ou émanation ou tout groupe dissident, sous leur nom, pour leur compte ou les soutenir;

b)   Le fait de fournir, vendre ou transférer des armements et matériels connexes à ceux‑ci;

c)   Le fait de recruter pour le compte de ceux‑ci;

d)   Le fait de soutenir, de toute autre manière, des actes commis par ceux‑ci ou des activités auxquelles ils se livrent.

Directives régissant la conduite des travaux du Comité

(adoptées le 7 novembre 2002, modifiées les
10 avril 2003, 21 décembre 2005,
29 novembre 2006, 12 février 2007 et 9 décembre 2008)

[. . .]

11. Dérogations aux mesures d’interdiction de voyage

À l’alinéa b) du paragraphe 2 de la résolution 1390 (2002), tel que réaffirmé par les résolutions ultérieures, notamment à l’alinéa b) du paragraphe 1 de la résolution 1822 (2008), le Conseil de sécurité a décidé que l’interdiction de voyager imposée par le régime de sanctions visant Al‑Qaida et les taliban ne s’applique pas lorsque le Comité détermine, cela uniquement au cas par cas, que l’entrée sur le territoire d’un pays ou le transit par ce territoire est justifié(e).

a)      Toute demande de dérogation doit être présentée par écrit au Président du Comité, au nom de la personne inscrite. Les États pouvant soumettre une demande par l’intermédiaire de leur mission permanente auprès de l’Organisation des Nations Unies sont le ou les États de destination, le ou les États de transit, l’État de nationalité et l’État de résidence. S’il n’existe pas d’autorité centrale effective dans le pays où se trouve la personne inscrite, un bureau ou un organisme des Nations Unies dans ce pays peut soumettre la demande de dérogation au nom de cette personne.

b)     Chaque demande de dérogation doit parvenir au président du Comité le plus tôt possible, et dans tous les cas au moins cinq jours ouvrables avant la date du voyage envisagé.

c)      Chaque demande de dérogation doit inclure les informations suivantes :

        i)    Le numéro de référence permanent, le nom complet, la nationalité et le numéro du passeport ou du document de voyage de la personne inscrite sur la liste récapitulative;

        ii)   L’objet du voyage et sa justification, avec copie des pièces pertinentes, détaillant notamment les informations concernant réunions ou rendez‑vous;

        iii)  La date et l’heure du départ et du retour;

        iv)  L’itinéraire complet du voyage, y compris les points de départ et de retour et tous les points de transit;

        v)   des informations détaillés sur les moyens de transports utilisés, y compris, le cas échéant, le numéro de dossier, les numéros de vol et le nom des navires;

        vi)  L’utilisation prévue des fonds ou autres avoirs financiers ou ressources économiques liés au voyage. Ces fonds ne peuvent être procurés que conformément aux dispositions du paragraphe 1 de la résolution 1452 (2002), tel que modifié par le paragraphe 15 de la résolution 1735 (2006). La procédure à suivre pour présenter une demande au titre de la résolution 1452 (2002) est énoncée à la section 10 des présentes directives.

d)     Une fois que le Comité a approuvé une demande de dérogation à l’interdiction de voyager, le Secrétariat en avise par écrit la mission permanente auprès de l’Organisation des Nations Unis de l’État de résidence de la personne inscrite, de son État de nationalité, de l’État ou des États où cette personne se rendra et de tout État de transit, ainsi que tout bureau ou tout organisme des Nations Unies concerné aux termes du paragraphe a) ci‑dessus, afin de les informer du voyage, de l’itinéraire et des horaires approuvés.

e)      L’État dans lequel la personne inscrite a déclaré qu’elle résiderait à l’issue du voyage faisant l’objet de la dérogation (ou le bureau ou l’agence des Nations Unies visé au paragraphe a) ci‑dessus) doit confirmer par écrit au Président du Comité, dans un délai de cinq jours ouvrables suivant la date à laquelle expire la dérogation, que le voyage a été effectué par cette personne.

f)      Nonobstant toute dérogation à l’interdiction de voyager, les personnes inscrites sur la Liste récapitulative restent soumises aux mesures énoncées au paragraphe 1 de la résolution 1822 (2008).

g)     Toute modification des informations fournies conformément au paragraphe c) ci‑dessus, concernant notamment les points de transit, doit être examinée par le Comité et signalée à son président au moins trois jours ouvrables avant la date du commencement du voyage.

h)     Toute demande de prorogation d’une dérogation est régie par les dispositions énoncées ci‑dessus et doit être soumise par écrit au Président du Comité accompagnée de l’itinéraire modifié, au moins cinq jours ouvrables avant la date d’expiration de la dérogation approuvée.

i)      L’État auteur de la demande (ou le bureau ou l’agence des Nations Unies visé au paragraphe a) ci‑dessus) informe le Président du Comité, immédiatement et par écrit, de toute modification de la date de départ pour tout voyage ayant déjà fait l’objet d’une dérogation. Une notification écrite suffit lorsque le début du voyage est avancé ou reporté de 48 heures au plus et que l’itinéraire annoncé reste inchangé. Si le début du voyage est avancé ou reporté de plus de 48 heures, ou si l’itinéraire est modifié, une nouvelle demande de dérogation doit être soumise selon les modalités énoncées aux paragraphes a), b) et c) ci‑dessus.

j)      En cas d’évacuation d’urgence vers l’État approprié le plus proche, notamment pour des raisons médicales ou humanitaires ou en cas de force majeure, le Comité détermine si le voyage est justifié aux sens des dispositions de l’alinéa b) du paragraphe 1 de la résolution 1822 (2008) dans les 24 heures suivant la communication du nom de la personne inscrite qui doit effectuer le voyage, du motif du voyage, de la date et de l’heure de l’évacuation, ainsi que les précisions concernant le transport, notamment les points de transit et la destination. L’autorité établie par un médecin ou un autre responsable national compétent, donnant autant de détails que possible sur la nature de l’urgence et le lieu où le traitement ou toute autre assistance nécessaire a été reçue par la personne concernée, sans préjudice du respect du secret médical, ainsi que des informations concernant la date et l’heure du retour de cette personne dans son pays de résidence ou de nationalité, et le moyen de transport utilisé, et des détails complets sur toutes les dépenses liées à l’évacuation d’urgence.

k)     Sauf décision contraire du Comité, toute demande de dérogation et de prorogation d’une dérogation qui a été approuvée selon la procédure ci‑dessus est affichée sur le site Web du Comité, à la rubrique « Dérogations » jusqu’à son expiration. [Renvois omis.]

Explication de l’interdiction de voyager

1. Historique

Le 16 janvier 2002, le Conseil de sécurité a décidé, par sa résolution 1390 (2002), d’imposer une interdiction de voyager à Oussama ben Laden, aux membres de l’organisation Al‑Qaida, aux Taliban et autres personnes qui leur sont associées, ainsi qu’ils figurent sur la Liste récapitulative établie par le Comité 1267. Aucune date d’expiration n’a été fixée pour la mesure d’interdiction de voyager, qui a été réaffirmée dans les résolutions ultérieures du Conseil de sécurité concernant le régime des sanctions imposées par la résolution 1267 et plus récemment à l’alinéa b) du paragraphe 1 de la résolution 1822 (2008), adoptée le 30 juin 2008.

Au titre de la mesure d’interdiction de voyager, tous les États Membres de l’Organisation des Nations Unies doivent :

« Empêcher l’entrée sur leur territoire ou le transit par leur territoire de ces personnes [inscrites sur la Liste], étant entendu qu’aucune disposition du présent paragraphe n’oblige un État à refuser à ses propres ressortissants d’entrer sur son territoire ou à exiger d’eux qu’ils quittent le territoire, le présent paragraphe ne s’appliquant pas dans les cas où l’entrée ou le transit sont nécessaires aux fins d’une procédure judiciaire ou lorsque le Comité créé par la résolution 1267 (1999) (le “Comité”) détermine au cas par cas uniquement que l’entrée ou le transit se justifient. »

2. Objectif de l’interdiction de voyager

La mesure d’interdiction de voyager visant Al‑Qaida et les Taliban a pour objectif de limiter les mouvements des personnes inscrites sur la Liste. Comme les deux autres mesures visées au paragraphe 1 de la résolution 1822 (2008), elle a un caractère préventif et ne repose pas sur les normes établies en vertu du droit pénal interne.

Les États Membres sont invités à ajouter les noms des personnes concernées à leur liste de surveillance des visas et à leur fichier national de contrôle pour assurer une application effective de l’interdiction.

Les États Membres sont également invités à prendre d’autres mesures pertinentes conformément à leurs obligations internationales et nationales, notamment d’annuler les visas et autorisations d’entrée ou de refuser de délivrer des visas ou autorisations d’entrée aux personnes inscrites sur la Liste.

3. Obligations des États Membres eu égard à l’interdiction de voyager

Tous les États Membres de l’Organisation des Nations Unies sont tenus d’appliquer la mesure d’interdiction de voyager contre toutes les personnes inscrites sur la Liste récapitulative établie par le Comité 1267. L’interdiction de voyager s’applique à toutes les personnes inscrites sur la Liste, où qu’elles se trouvent. Il incombe à l’État d’entrée ou de transit la responsabilité d’appliquer la mesure.

Au titre de la mesure d’interdiction de voyager, les États doivent :

    •   Empêcher l’entrée sur leur territoire des personnes inscrites sur la Liste; et

    •   Empêcher le transit par leur territoire des personnes inscrites sur la Liste, sauf si l’une des trois dispositions portant dérogation s’applique (voir explication au paragraphe 4 ci‑dessous).

L’obligation d’empêcher l’entrée sur leur territoire des personnes inscrites sur la Liste s’applique en toutes circonstances, quels que soient la méthode d’entrée, le point d’entrée ou la nature des documents de voyage utilisés, le cas échéant, et en dépit de toute autorisation ou de tout visa délivrés par l’État conformément à la réglementation nationale.

L’obligation d’empêcher le transit par le territoire d’un État Membre s’applique à tout passage à travers le territoire d’un État Membre, si bref soit‑il, même si l’intéressé dispose des documents de voyage, des autorisations ou des visas de transit exigés par l’État conformément à sa réglementation nationale et peut démontrer qu’il poursuivra son voyage vers un autre État.

4. Dérogations à l’interdiction de voyager

Il est prévu trois types de dérogation à la mesure d’interdiction de voyager, ainsi qu’il ressort de l’alinéa b) du paragraphe 1 de la résolution 1822 (2008) :

i. Entrée de ressortissants de l’État sur son territoire ou départ de ressortissants du territoire

La mesure d’interdiction de voyager visant Al‑Qaida et les Taliban ne fait pas obligation à un État Membre de refuser à ses propres ressortissants, y compris ceux jouissant de la double nationalité, d’entrer sur son territoire ou d’exiger d’eux qu’ils quittent le territoire.

ii. Lorsque l’entrée ou le transit sont nécessaires aux fins d’une procédure judiciaire

La mesure d’interdiction de voyager ne fait pas obligation d’arrêter ou de poursuivre les personnes concernées au motif qu’elles sont inscrites sur la Liste récapitulative établie par le Comité 1267. Toutefois, s’il y a des raisons de soupçonner toute personne inscrite sur la Liste d’avoir commis une infraction passible de peines en vertu de la législation nationale, l’autorité nationale compétente peut prendre les mesures voulues pour permettre l’entrée ou le transit sur le territoire national de cette dernière de sorte qu’elle soit présente aux fins d’une procédure judiciaire.

Il pourrait s’agir notamment, sans que cette liste soit limitative, de permettre à toute personne inscrite sur la Liste d’entrer sur le territoire d’un État Membre en rapport avec une procédure judiciaire lorsque la présence de cette personne peut être nécessaire aux fins d’identification, de témoignage et de toute autre assistance dans le cadre de l’enquête ou des poursuites engagées à raison d’une infraction commise par quelqu’un d’autre que la personne inscrite sur la Liste, ou en rapport avec une instance civile.

Note : Les États Membres ne sont pas tenus de signaler au Comité 1267 l’entrée sur le territoire ou le transit par leur territoire de toute personne inscrite sur la Liste lorsqu’ils exercent leurs droits en vertu des dérogations i) et ii) ci‑dessus. Néanmoins, étant donné que tout renseignement concernant l’entrée ou le transit d’une personne inscrite sur la Liste au titre de ces dérogations peut présenter un intérêt pour le Comité, les États sont invités à en informer le Comité en conséquence.

iii. Lorsque le Comité détermine au cas par cas uniquement que l’entrée ou le transit se justifient

En novembre 2002, le Comité 1267 a adopté un mécanisme pour examiner les demandes de dérogation à la mesure d’interdiction de voyager visant Al‑Qaida et les Taliban (voir le paragraphe m) de la section 4) des Directives du Comité [PDF]). Le 2 septembre 2008, le Comité a approuvé des procédures précises à cet égard (voir la section 11 des Directives du Comité).

En résumé, au titre de cette troisième dérogation, les personnes inscrites sur la Liste peuvent solliciter une dérogation pour effectuer des voyages nécessaires, notamment pour subir un traitement médical ou pour s’acquitter de leur devoir religieux, par l’intermédiaire de l’État de destination, de l’État de transit, de l’État de nationalité ou de l’État de résidence. S’il n’existe pas de gouvernement central effectif dans le pays où se trouve l’intéressé, le bureau ou l’organisme des Nations Unies dans ce pays peut présenter la demande de dérogation en son nom. Sauf cas d’urgence, le voyage ne peut avoir lieu qu’après approbation officielle du Comité 1267.

En cas d’urgence, le Comité déterminera si le voyage se justifie en vertu des dispositions de l’alinéa b) du paragraphe 1 de la résolution 1822 (2008), dans les 24 heures, une fois que le nom de la personne inscrite sur La liste qui souhaite voyager et les autres renseignements visés au paragraphe j) de la section 11 des Directives du Comité lui auront été communiqués.

Le Comité prend ses décisions concernant les demandes de dérogation par consensus et au cas par cas, conformément à ses directives.

Les utilisations proposées des fonds et autres actifs financiers ou ressources économiques en rapport avec le voyage ne sont accordées par le Comité qu’en application du paragraphe 1 de la résolution 1452 (2002), modifié par le paragraphe 15 de la résolution 1735 (2006). On trouvera les procédures à suivre pour présenter une demande au titre de la résolution 1452 (2002) à la section 10 des Directives du Comité [PDF].

Décret sur les passeports canadiens, TR/81-86

4. (1) Sous réserve du présent décret, un passeport peut être délivré à toute personne qui est citoyen canadien en vertu de la Loi.

(2) Aucun passeport n’est délivré à une personne qui n’est pas citoyen canadien en vertu de la Loi.

(3) Le présent décret n’a pas pour effet de limiter, de quelque manière, la prérogative royale que possède Sa Majesté du chef du Canada en matière de passeport.

(4) La prérogative royale en matière de passeport peut être exercée par le gouverneur en conseil ou le ministre au nom de Sa Majesté du chef du Canada.

[. . .]

10.1 Sans que soit limitée la généralité des paragraphes 4(3) et (4), il est entendu que le ministre peut refuser de délivrer un passeport ou en révoquer un s’il est d’avis que cela est nécessaire pour la sécurité nationale du Canada ou d’un autre pays.

ANNEXE B

Sommaire des assurances données au sujet de la
délivrance d’un passeport d’urgence

[traduction] Son retour a été le sujet de discussions aux échelons les plus élevés, dont des ministres, et il a été décidé qu’il avait « droit à un document de voyage canadien à usage unique » qui lui permettrait de se rendre au Canada. [Document non daté, dossier du demandeur, page 149.]

[traduction] Les fonctionnaires consulaires fourniraient un document de voyage temporaire (ainsi que d’autres mesures d’aide consulaire, en cas de besoin) pour que M. Abdelrazik puisse rentrer au Canada s’il était possible de prendre des dispositions de voyage. [. . .] En tant que citoyen canadien, M. Abdelrazik a droit à un document de voyage canadien à usage unique qui lui permettrait de se rendre au Canada. Cependant, le Canada n’est pas disposé à prendre des dispositions extraordinaires pour lui permettre de rentrer au pays. [Document non daté, dossier du demandeur, page 149.]

[traduction]

Q :    Si Air Canada ou n’importe quel autre transporteur accepte d’amener cette personne au Canada, est‑ce qu’AEC l’aiderait à obtenir les documents de voyage dont il a besoin pour son retour?

R :    Oui, nous le ferions, comme pour n’importe quel Canadien désireux de rentrer au Canada. Dans le cas présent, M. Abdelrazik recevrait un document (passeport d’urgence) lui permettant de prendre un vol de retour au pays. [28 juillet 2004, ébauche 10, infocapsule, communication faite en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, page 1072.]

[traduction]

Q :    En tant que citoyen canadien, M. Abdelrazik n’a‑t‑il pas le droit de rentrer au Canada?

R :    Oui, en tant que citoyen canadien, M. Abdelrazik a droit à un document de voyage canadien temporaire qui faciliterait son voyage au Canada. Cependant, en raison de préoccupations liées à la sécurité, les sociétés aériennes ont indiqué qu’elles ne sont pas en mesure de lui fournir un service de passager depuis le Soudan jusqu’au Canada. En l’absence d’un itinéraire confirmé, nous ne pouvons pas délivrer un document de voyage temporaire. [30 juillet 2004, aucune source, dossier du demandeur, page 166.]

[traduction] En général, nous continuerons de fournir une aide consulaire — les services de base, c’est‑à‑dire lui rendre visite, communiquer avec sa famille, s’assurer que ses droits sont protégés dans le cadre des conventions internationales, délivrer un document de voyage temporaire, etc. [4 août 2004, courriel de D. Dyet à D. Hutchings, dossier du demandeur, pages 942 et 943.]

[traduction] Vous devriez dire à M. A., la prochaine fois qu’il téléphone, que le gouvernement du Canada n’est pas en mesure d’organiser son voyage au Canada. Notre offre de PU tient toujours, mais nous ne pouvons pas intervenir auprès des sociétés aériennes pour organiser les vols. [4 août 2004, courriel de D. Dyet à D. Hutchings, communication faite en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, page 1203.]

[traduction] Je transmettrai le message que le Canada n’est pas en mesure d’organiser son voyage, mais que nous sommes disposés à lui fournir un PU. [4 août 2004, courriel de D. Dyet à S. Ahmed, dossier du demandeur, page 944.]

[traduction] J’ai transmis votre message à M. A., à savoir que le GC n’était pas en mesure d’organiser son voyage, mais que nous étions prêts à lui fournir un PU. [4 août 2004, courriel de D. Hutchings à D. Dyet, communication faite en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, page 1202.]

[traduction] Son passeport canadien a expiré pendant qu’il se trouvait en détention, et tant lui‑même que les autorités soudanaises nous demandent de le renouveler. Le Bureau des passeports a toutefois donné instruction qu’on ne lui délivre qu’un passeport d’urgence, une fois qu’un itinéraire sera confirmé. Un tel passeport ne serait valable que pour un aller simple vers le Canada, conformément aux dates et à l’itinéraire précisés dans le passeport. [4 août 2004, courriel de D. Hutchings à D. Dyet, dossier du demandeur, page 947.]

[traduction] Le Bureau des passeports a déjà autorisé la délivrance d’un PU pour le retour de M. Abdelrazik au Canada. Malgré les changements apportés à ses plans de voyage, nous sommes toujours disposés à autoriser la délivrance d’un PU, à la condition que l’on remplisse toutes les exigences habituelles. [4 août 2004, note au dossier no 126, communication faite en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, page 739.]

[traduction] M. A. a téléphoné et a demandé s’il y avait du nouveau; nous lui avons parlé de la même offre, que nous étions disposés à lui délivrer un PU une fois qu’il aurait confirmé l’itinéraire, et il a demandé qui devrait le fournir; nous lui avons dit que ça devait être lui, pas nous, il a demandé comment il pouvait le faire, puisqu’il est en détention. [15 août 2004, Note sur le cas no 135, communication faite en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, page 752.]

[traduction] La position du GC est que nous sommes disposés à lui fournir un PU en vue de son rapatriement au Canada, s’il n’y a pas d’accusations portées contre lui, mais nous ne sommes pas en mesure de changer la décision des sociétés aériennes. [17 août 2004, note sur le cas no 136, communication faite en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, page 753.]

[traduction] M. Abdelrazik s’est rendu au Soudan en utilisant son passeport canadien et il dit qu’il n’a pas eu de passeport soudanais depuis un certain temps. Son passeport canadien a expiré pendant qu’il était en détention, et lui‑même et les autorités soudanaises nous demandent de le renouveler. Le Bureau des passeports a toutefois donné instruction qu’on ne lui délivre qu’un passeport d’urgence seulement, une fois qu’un itinéraire serait confirmé. Un tel passeport ne serait valable que pour un aller simple vers le Canada, conformément aux dates et à l’itinéraire précisés dans le passeport. [9 septembre 2004, aucune source, dossier du demandeur, page 186.]

[traduction] Nous étudions la même voie avec M. A. depuis un certain temps maintenant. Nous étions disposés à lui fournir un passeport d’urgence s’il pouvait obtenir un moyen de quitter le Soudan par avion. Cela lui était impossible. Aucune société aérienne ne pourrait l’accepter à cause de ses associations antérieures alléguées. Il y a peu de chances que cela ait changé. [27 septembre 2004, courriel de K. Sigurdson à D. Hutchings, dossier du demandeur, page 180.]

[traduction] Les fonctionnaires canadiens ont offert à M. Abdelrazik un passeport d’urgence pour un retour simple au Canada, à la condition qu’il puisse prendre ses propres dispositions de voyage. [29 septembre 2004, courriel de D. Dyet à K. Sigurdson, dossier du demandeur, page 177.]

[traduction] Les fonctionnaires canadiens ont offert à M. Abdelrazik un passeport d’urgence pour un retour simple au Canada, à la condition qu’il puisse prendre ses propres dispositions de voyage. [30 septembre 2004, courriel de K. Sigurdson à D. Dyet, dossier du demandeur, page 514.]

[traduction] J’ai dit que nous étions disposés à délivrer un PU une fois qu’un mode de transport possible aurait été identifié et que j’informerais Ottawa de cette proposition. [18 octobre 2004, courriel de D. Hutchings à K. Sigurdson, dossier du demandeur, page 949.]

[traduction] La réponse du gouvernement canadien est simple : un service consulaire, sous la forme d’un passeport d’urgence, doit être fourni au sujet une fois seulement que le gouv. can. (tous les ministères et organismes concernés) aura obtenu tous les détails sur ses plans de voyage approuvés.

[. . .]

Ce n’est qu’après avoir eu toutes ces informations que nous serons en mesure de donner le feu vert pour la délivrance d’un PU. Il est à noter que c’est Ottawa qui a le dernier mot. [26 octobre 2004, courriel de K. Sigurdson à D. Hutchings, dossier du demandeur, page 161.]

[traduction] Je (ou Alan Bones) pourrais expliquer à cette réunion que le Canada continue de faire part de ses préoccupations sur son cas au gouvernement soudanais et qu’il est prêt à fournir un service consulaire, y compris un passeport d’urgence s’il devient possible pour lui de voyager. [21 mars 2005, courriel de D. Hutchings à K. Sigurdson, dossier du demandeur, page 715.]

[traduction] Je lui ai dit que, à ma connaissance, il n’y avait pas de changement dans la position du Canada; nous étions disposés à délivrer un passeport d’urgence s’il était possible de confirmer son transport et un itinéraire. Je n’étais au courant d’aucune nouvelle possibilité à cet égard. [10 avril 2005 courriel de D. Hutchings à O. Gaudet‑Fee, communication faite en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, page 103.]

[traduction] Son retour a été le sujet de discussions aux échelons les plus élevés, dont des ministres, et il a été décidé qu’il avait « droit à un document de voyage canadien à usage unique » qui lui permettrait de se rendre au Canada. [23 juin 2005 note de service de D. Dyet, dossier du demandeur, page 163.]

[traduction]  En tant que citoyen canadien, M. Abdelrazik a droit à un document de voyage canadien à usage unique qui lui permettrait de se rendre au Canada. Cependant, le Canada n’est pas disposé à prendre les dispositions extraordinaires pour lui permettre de rentrer au pays.

[. . .]

En l’absence d’un itinéraire confirmé, le gouvernement du Canada ne peut pas délivrer un document de voyage temporaire. [Notes pour une allocation, 31 janvier 2007, sécurité et planification d’urgence, dossier du demandeur, page 211.]

[traduction] La position du gouvernement du Canada à ce jour est que M. Abdelrazik est un citoyen canadien et qu’il a le droit de rentrer au pays, à la condition qu’il puisse prendre ses propres dispositions de voyage. L’ambassade du Canada à Khartoum est disposée à délivrer à M. Abdelrazik un passeport canadien d’urgence. Cela ne se ferait qu’après confirmation des arrangements de voyage. [15 octobre 2007, courriel de IFM à ISI, dossier du demandeur, page 260.]

[traduction] Une demande de dérogation à l’interdiction de voyager a été suggérée comme solution de rechange. JLH/Nolke ont expliqué qu’en tant que Canadien, M. Abdelrazik avait le droit de rentrer au pays — il était plutôt question de savoir comment. CNO a confirmé qu’un passeport d’urgence ou un document de voyage pourrait être délivré (sous réserve de l’accord de Passeport Canada), comme cela a été le cas quand CNO a essayé au départ de rapatrier M. Abdelrazik, mais qu’il faudrait obtenir un itinéraire de voyage afin de pouvoir délivrer un tel document. Cependant, CNO a fait remarquer qu’étant donné que M. Abdelrazik est demeuré inscrit sur la liste américaine des personnes interdites de voyager par avion, nous allions devoir faire preuve d’imagination pour déterminer comment le ramener au Canada, car de nombreuses sociétés aériennes et de nombreux pays se fient à cette liste. [29 février 2008, courriel de K. Boutin à C. McIntyre, dossier du demandeur, pages 221 et 222.]

[traduction]  En ce qui concerne la demande de passeport de M. Abdelrazik, j’aimerais vous rappeler l’engagement que vous avez pris, lors de la réunion que nous avons tenue le 27 février, afin que nous soyons sûrs qu’il dispose d’un passeport d’urgence qui facilitera son retour au Canada. Nous ne revenons pas sur cet engagement. [18 avril 2008, lettre de S. Robertson à Y. Hameed, dossier du demandeur, page 512.]

[traduction] Nous devons donc savoir quelle serait notre position s’il était libéré. Je suggère que nous demeurions réceptifs. Si M. A. est capable de réserver une place pour le Canada auprès d’une société aérienne, nous délivrerons un passeport d’urgence et accorderons un prêt de transport s’il signe un engagement à rembourser. [17 mars 2005, courriel de K. Sigurdson à D. Livermore, dossier du demandeur, page 791.]

[traduction] Maintenant, la question, comme il est indiqué dans le courriel, est de savoir si nous pouvons continuer de refuser de renouveler son passeport canadien, qui a expiré lors de sa période de détention. Vous aviez dit que nous ne devrions lui fournir qu’un passeport d’urgence une fois qu’il aurait soumis son itinéraire et que cet itinéraire aurait été approuvé à Ottawa. Comme il figure sur la liste noire, il ne peut pas soumettre un itinéraire, de sorte que nous lui refusons effectivement un passeport même s’il est aujourd’hui libre sans condition au Soudan, qu’il n’y a aucune accusation portée contre lui au Soudan ou au Canada et qu’il ne fait plus l’objet [. . .] d’une enquête au Soudan. Dites‑nous ce que vous en pensez. [8 août 2005, de l’ambassade à Khartoum, dossier du demandeur, page 899.]

[traduction] En tant que citoyen canadien, M. Abdelrazik a le droit prima facie de rentrer au Canada et nous sommes disposés à délivrer des documents de voyage une fois qu’un itinéraire aura été établi. Si le gouvernement soudanais met un moyen de transport aérien à la disposition de M. Abdelrazik pour qu’il puisse être rapatrié, nous pouvons certifier que les autorités canadiennes faciliteront l’accès à l’espace aérien canadien et que nous accorderons le droit d’atterrissage. [20 décembre 2005, lettre de l’ambassade du Canada à Khartoum, dossier des défendeurs, page 276.]

[traduction] Les efforts que fera le gouvernement du Canada pour faciliter le retour d’Abdelrazik au Canada dépendront de la confirmation de son vol et de ses dispositions de voyage. Le point contre lequel ils ont buté en juin 2004 [passage retranché] demeure inscrit sur une liste américaine d’interdiction de voyager à bord d’un avion et ne peut exclure qu’on refuse de le faire monter à bord ou qu’il soit gardé en détention lors d’une escale durant son voyage. [5 mai 2006, note d’information destinée au ministre des Affaires étrangères, dossier du demandeur, page 905.]

[traduction] Voyez quels sont ses plans à long terme — ceux‑ci comporteront fort probablement un retour au Canada. Expliquez la situation et les limites (sur le plan consulaire). Dès le départ, on l’a informé qu’il devait fournir un itinéraire, qu’on lui fournirait un PU. Cela n’a pas changé, mais nous avons effectivement besoin d’un itinéraire et nous devrons payer son billet. Peut‑être que sa famille pourrait aider. [27 juin 2006, note sur le cas d’O. Gaudet‑Fee, dossier du demandeur, page 864.]

[traduction] Abdelrazik semble être en assez bonne santé, mais les premières impressions sont celles d’un homme brisé. Lorsqu’on l’a informé que nous ne pouvions pas garantir son retour au Canada et qu’il faudrait obtenir un itinéraire de voyage avant de pouvoir lui remettre un document de voyage, Abdelrazik a été visiblement secoué. [20 juillet 2006, de l’ambassade à Khartoum, dossier du demandeur, page 870.]

[traduction] 1. Dans ce cas‑ci, si le passeport n’a pas été délivré, est‑ce dû au fait que M. Abdelrazik n’avait pas présenté d’informations suffisantes pour établir son identité en tant que citoyen canadien, ce qui constitue le motif A? (Pièce 4 art. 520.1 — motifs de refus) (Q : 167)

Une demande de passeport est une demande de document de voyage. Passeport Canada dispose d’un pouvoir discrétionnaire au sujet de la délivrance de ce type de document de voyage, qu’il s’agisse d’un passeport à durée de validité limitée ou d’un passeport ordinaire. Tant le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international que Passeport Canada ont, autant que je sache, toujours soutenu que M. Abdelrazik recevrait un passeport d’urgence lui permettant de rentrer au Canada aussitôt que l’on pourrait obtenir un itinéraire de voyage confirmé. Autant que je sache, telle est la réponse à sa demande. Selon moi, M. Abdelrazik n’aurait pas droit à un passeport à durée de validité limitée si son identité en tant que citoyen canadien était contestée.

2.   Savez‑vous pourquoi M. Abdelrazik n’a pas reçu de passeport? (Q : 170)

Je suis un peu au courant du traitement de la demande de passeport de M. Abdelrazik grâce à un fichier d’ordinateur auquel j’ai accès en direct et que j’ai consulté après mon contre‑interrogatoire. Selon ce fichier, M. Abdelrazik est inscrit sur la LS de Passeport Canada et doit donc obtenir l’autorisation de Passeport Canada avant de pouvoir recevoir un document de voyage. On l’a informé qu’il devait présenter un itinéraire de voyage confirmé pour son retour au Canada avant qu’on puisse lui remettre un passeport à durée de validité limitée (c’est‑à‑dire un passeport d’urgence). [17 décembre 2008, réponses données par S. Robertson à des questions posées lors d’un interrogatoire, dossier du demandeur, page 875.]

[traduction] Il est à noter qu’en attendant l’issue de notre enquête, aucun service de passeport ordinaire ne sera fourni à votre client. Cependant, indépendamment de ce qui précède, pour faciliter son retour au Canada Passeport Canada délivrera un passeport d’urgence à M. Abdelrazik, après que ce dernier aura présenté un itinéraire confirmé et payé à la Section des affaires consulaires de l’ambassade du Canada à Khartoum. [23 décembre 2008, lettre de F. Fernandes à Y. Hameed, dossier du demandeur, page 884.]

1   Lord Woolf, « Judicial Review—The Tensions Between the Executive and the Judiciary » (1998), 114 Law Q. Rev. 579, à la p. 580.

2   Selon des rapports diffusés par les États-Unis et publiquement accessibles, M. Abu Zubayada a été capturé en mars 2002, il est actuellement détenu aux installations que tiennent les États-Unis à Guantanamo Bay et il a été soumis à des [traduction] « techniques d’interrogatoire poussées », dont de nombreux incidents de water-boarding (simulacre de noyage), une pratique considérée par bien des gens comme un acte de torture.

3    Le Security Council Report : Update Report, April 21, 2008, No. 4 [« 1267 Committee : Al‑Qaida/Taliban Sanctions »] reflète ces préoccupations et ces plaintes. Il est fait référence à une réunion tenue le 8 novembre 2007 au cours de laquelle [traduction] « le représentant du centre de coordination du Secrétariat a fait état d’un “sentiment d’agacement évident” parmi les requérants, qui voulaient savoir pourquoi ils étaient inscrits sur la liste, quels États les avaient désignés et comment ils pouvaient faire appel, demandes auxquelles le centre de coordination n’est pas autorisé à répondre ».

4   On peut présumer que c’est parce que le Canada avait décidé qu’aucune mesure extraordinaire ne serait prise pour faire rapatrier M. Abdelrazik. Dans un courriel daté du 11 août 2004, M. Dyet déclare ce qui suit : [traduction] « Manifestement, plusieurs ministres chargés des affaires consulaires et de la sécurité nationale ont discuté de ce dossier, et il a été décidé que nous devions [passage retranché] aider M. Abdelrazik à rentrer au Canada ». On ne peut que supposer quels sont les mots qui se cachent derrière ces deux pouces de texte retranché.

5   Voir aussi les par. 62 à 70, dans la décision Khadr c. Canada (Procureur général), 2006 CF 727, [2007] 2 R.C.F. 218.

6   Robert & Collins Senior : Dictionnaire français-anglais, anglais-français, 6e éd. Paris : Dictionnaires Le Robert, 2002.

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