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[2012] 3 R.C.F. 744

T-427-10

2010 CF 1308

Jean-François Bonin et Manon Lapointe (demandeurs)

c.

Procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Bonin c. Canada (Procureur général)

Cour fédérale, juge Martineau—Ottawa, 22 novembre et 20 décembre 2010.

Couronne — Biens immeubles — Terrains publics — Sous-délégation de pouvoirs — Contrôle judiciaire de la légalité de la décision prise au nom de la Commission de la capitale nationale (CCN) autorisant le projet de démolition de la résidence des demandeurs — Les demandeurs louent de la CCN une résidence dans le parc de la Gatineau (Québec) — La décision contestée a été prise par le directeur administratif de la Direction de l’aménagement de la capitale sous l’autorité présumée de l’art. 12 de la Loi sur la capitale nationale — Les demandeurs, qui ont reçu un avis d’éviction six mois avant la prise de la décision, soutiennent que le directeur administratif n’avait pas le pouvoir légal d’approuver le projet de démolition — Le directeur administratif pouvait‑il examiner et approuver le projet de démolition sans examen ou approbation par la CCN elle-même ou son comité directeur — La Loi ne permet pas à la CCN de déléguer les pouvoirs prévus à l’art. 12 en matière de projets d’aménagement — Le rôle de la Direction de l’aménagement de la capitale est de faire des recommandations à la CCN non de s’y substituer — Le pouvoir d’approuver des projets d’aménagement entre dans les pouvoirs généraux de la CCN — Le pouvoir de la CCN de prendre les mesures nécessaires à l’application de la Loi, conféré à l’art. 19, ne comprend pas le pouvoir de déléguer ses pouvoirs en matière d’examen des projets visés au paragraphe 12(1) — Les membres de la CCN ou son comité directeur doivent examiner chaque projet au mérite, sinon la décision n’est pas opposable — Il fallait donc que le projet de démolition de la résidence des demandeurs soit soumis à la CCN ou à son comité directeur, le cas échéant — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire contestant la légalité de la décision prise au nom de la Commission de la capitale nationale (CCN), qui permettait la démolition d’une résidence sise dans le parc de la Gatineau (Québec) que les demandeurs louaient de la CCN. La décision contestée a été prise par la Direction de l’aménagement de la capitale sous l’autorité présumée de l’article 12 de la Loi sur la capitale nationale et signée le 16 mars 2009 par son directeur administratif. La Direction avait examiné le projet de démolition soumis par la Division de la gestion de l’immobilier, un autre département de la CCN (requérant). Le directeur administratif avait approuvé le projet et autorisé la démolition de la résidence et la remise en état du site. Le 9 septembre 2008, six mois avant la décision contestée, les demandeurs avaient reçu un avis écrit de la Division indiquant que la CCN avait décidé de les évincer et de démolir la résidence. Dans le cadre de leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs ont soutenu que le directeur administratif n’avait pas le pouvoir légal d’approuver le projet du requérant et d’ordonner la démolition.

L’article 12 de la Loi prévoit que certains types de projet d’aménagement dans la région de la capitale nationale doivent être examinés et approuvés par la CCN avant leur réalisation. Bien que le paragraphe 12(1) de la Loi confère un certain pouvoir discrétionnaire à la CCN, son exercice doit être encadré par les critères généraux énoncés au paragraphe 12(2) et il varie selon le type de projet. La CCN a adopté la résolution I‑5 sous le régime du Règlement administratif #1 (Questions organisationnelles d’ordre général), déléguant certains pouvoirs à son comité directeur, dont le pouvoir d’examiner et approuver les projets d’aménagement visés au paragraphe 12(1).

La question principale à trancher était de savoir si le directeur administratif de la Direction de l’aménagement de la capitale pouvait examiner et approuver le projet de démolition sans que la CCN elle-même ou, le cas échéant, son comité directeur ne l’ait examiné et ait donné son aval.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Il n’était pas nécessaire d’examiner la raisonnabilité de la décision contestée non plus que l’allégation des demandeurs voulant que l’équité procédurale n’ait pas été respectée. La décision devait être annulée tout simplement parce que la Loi ne permettait pas à la CCN de déléguer les pouvoirs prévus à l’article 12 de la Loi à son personnel ou aux experts et conseillers qu’elle engage. S’agissant des projets d’aménagement visés à l’article 12, le rôle de la Direction de l’aménagement de la capitale consiste à faire des recommandations à la CCN, non à s’y substituer. Le pouvoir d’approbation de projet émanant de tiers entre dans les pouvoirs généraux dont jouit la CCN en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi.

L’article 1 de la Résolution I-5, qui délègue au comité directeur les pouvoirs de l’article 12 de la Loi, est parfaitement en accord avec l’économie générale de la Loi. Par contre, l’article 2 de la Résolution I-5 est illégal, car son unique objet est de sous-déléguer à des fonctionnaires le pouvoir plénier que possède la CCN (ou, le cas échéant, le comité directeur) de donner des approbations en vertu de la Loi.

Bien que l’article 19 confère à la CCN le pouvoir de prendre des règlements administratifs régissant les activités énoncées au paragraphe 10(2), il en va autrement lorsqu’il s’agit de l’exercice de sa compétence d’attribution en matière d’aménagement. Le pouvoir de prendre les mesures nécessaires à l’application de la Loi ne comprend pas le pouvoir de déléguer les pouvoirs de la CCN en matière d’examen des projets visés au paragraphe 12(1). La CCN doit obligatoirement, pour tous les projets visés au paragraphe 12(1), tenir compte des éléments mentionnés au paragraphe 12(2) avant de rendre une décision en matière d’aménagement. Pour que la décision soit opposable au promoteur du projet, ministère ou toute personne, ainsi qu’au public, chaque projet doit être examiné par les membres de la CCN, ou le cas échéant par le comité directeur, à son mérite.

Il incombait donc à la Division de la gestion de l’immobilier, voire à la Direction de l’aménagement de la capitale, de référer le projet de démolition de la résidence à la CCN, ou au comité directeur, le cas échéant.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur la capitale nationale, L.R.C. (1985), ch. N-4, art. 3(1) (mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 285), 8(2),(3)a), 9 (mod., idem, art. 288), 10 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl), ch. 45, art. 3), 11, 12 (mod., idem, art. 5), 12.1 (édicté, idem), 12.2 (édicté, idem), 13 (mod. par L.C. 1996, ch. 10, art. 236), 19, 20 (mod. par L.C. 2002, ch. 13, art. 87).

DOCTRINE CITÉE

Commission de la capitale nationale. Comité directeur. Résolution I-5, adoptée par la Commission de la capitale nationale le 26 septembre 2001, art. 1, 2.

Commission de la capitale nationale. Plan directeur du parc de la Gatineau (2005), en ligne : <http://www.capitaleducanada.gc.ca/sites/default/files/pubs/CCN-parc-de-la-gatineau-plan-directeur-2005.pdf>.

Commission de la capitale nationale. Règlement administratif #1, Questions organisationnelles d’ordre général, 26 janvier 1996.

Commission de la capitale nationale. Règlement administratif #2, Sur la gestion et l’exécution des activités et des opérations de la commission, art. 29, 30, 31, en ligne : <http://www.1857.gc.ca/data/2/rec_docs/7095_By-law_2_%20April_2007.pdf>.

DEMANDE de contrôle judiciaire contestant la légalité d’une décision prise au nom de la Commission de la capitale nationale, visant à faire démolir la résidence louée par les demandeurs dans le Parc de la Gatineau (Québec). Demande accueillie.

ONT COMPARU

Pierre Landry pour les demandeurs.

Alexandre Kaufman pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Noël et Associés, Gatineau, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Voici les motifs du jugement et le jugement rendus en français par

[1]        Le juge Martineau : Les demandeurs sont locataires d’une résidence située dans le parc de la Gatineau, province de Québec (la résidence) qu’ils louent de la Commission de la capitale nationale (la Commission ou la CCN). Ils contestent la légalité d’une décision prise au nom de la CCN qui permet la démolition de la résidence (la décision contestée).

[2]        La décision contestée a été prise sous l’autorité présumée de l’article 12 [mod. par L.C. (1985) (4e suppl.), ch. 45, art. 5] de la Loi sur la capitale nationale, L.R.C. (1985), ch. N-4 (la Loi), tel qu’amendée par la Direction de l’aménagement de la capitale, et est signée le 16 mars 2009 par son directeur administratif, M. François Lapointe (le directeur administratif).

[3]        La Direction de l’aménagement de la capitale a examiné le projet de démolition soumis par la Division de la gestion de l’immobilier, un autre département de la CCN (le requérant). En l’espèce, le directeur administratif approuve le projet du requérant et permet à certaines conditions la démolition de la résidence et la remise en état du site.

[4]        Le dispositif de la décision contestée se lit comme suit :

L’APPROBATION FÉDÉRALE D’UTILISATION DU SOL EST DONNÉE POUR LA DÉMOLITION D’UNE RÉSIDENCE AU 288, CHEMIN KINGSMERE DANS LE PARC DE LA GATINEAU (MUNICAPILITÉ DE CHELSEA), EN VERTU DE L’ARTICLE 12 DE LA LOI SUR LA CAPITALE NATIONALE, SOUS RÉSERVE DES CONDITIONS SUIVANTES :

1.       Conditions relatives à l’utilisation du sol

a)     L’approbation est donnée uniquement pour les travaux visant à démolir une résidence située au 288, chemin Kingsmere dans le parc de la Gatineau et à remettre le site en état, le tout tel que décrit aux documents et aux plans identifiés à l’annexe A;

b)   Toute modification du présent projet ou tout autre projet sur des terrains de la CCN devra faire l’objet d’une demande adressée au directeur administratif, aménagement de la capitale pour examen et approbation;

c)       Le projet devra être conforme aux lois et règlements applicables (fédéral, provincial et municipal).

2.      Conditions relatives au design

a)    Le site devra être exempt de tout débris à la fin des travaux.

3.      Conditions relatives à l’environnement

a)    Toutes les mesures d’atténuation identifiées dans le rapport « Class Screening Procedure — Demolitions — 288 Kingsmere Road » préparé par les Services environnementaux de la CCN en date du 27 octobre 2006, doivent être mises en place;

b)   Toutes les mesures d’atténuation standards identifiées par la Division ressources naturelles du parc de la Gatineau en date du 2 février 2007, doivent être mises en place.

4.      Conditions relatives au patrimoine et à l’archéologie

a)     Si des vestiges d’occupation humaine ancienne sont retrouvés sur le terrain visé pendant la période de démolition, les travaux doivent être suspendus immédiatement et Ève Wertheimer, gestionnaire, Programme du patrimoine à la CCN devra être avisée immédiatement au 613-239-5225.

5.      Suivi des conditions relatives à l’utilisation du sol, design et à l’environnement

a)     Le suivi de ces conditions sera de responsabilité de Robert Parent (613-239-5591), agent de portefeuille des biens immobiliers, Division de la gestion de l’immobilier à la CCN.

6.      Affaires immobilières / permis d’accès

a)    L’entrepreneur retenu pour effectuer les travaux devra obtenir de la CCN un permis d’accès pour utiliser ses terrains et procéder aux travaux, et ce avant le début des travaux. La personne à contacter pour l’obtention du permis d’accès est Richard Moore, agent principal, Division du parc de la Gatineau, au 819-827-6017.

[5]        Le défendeur n’a soumis aucun affidavit des personnes directement impliquées dans le processus ayant mené à la décision contestée. Toutefois, la preuve documentaire de la CCN produite avec l’affidavit de M. Jean-François Bonin, l’un des deux demandeurs, révèle que la décision de démolir la résidence avait déjà été prise par la CCN longtemps avant l’implication de la Direction de l’aménagement de la capitale et de son directeur.

[6]        Le 9 septembre 2008, six mois avant la décision contestée, M. Robert Parent, agent de portefeuille des biens immobiliers, Gestion de l’immobilier, avise par écrit les demandeurs que la Commission a décidé de les évincer et de démolir la résidence. D’une part, la propriété a besoin de réparations importantes à court et moyen terme. D’autre part, elle n’est pas désignée comme étant un édifice fédéral du patrimoine. Par conséquent, la résidence devra être démolie. M. Parent explique que cette décision est en accord avec le Plan directeur du parc de la Gatineau (2005) qui recommande de démolir les résidences du parc n’ayant pas une valeur patrimoniale et qui sont à la fin de leur cycle de vie ou requièrent des travaux d’envergure.

[7]        D’autre part, le 9 septembre 2008, un avis officiel d’éviction signé par la conseillère juridique de la CCN est transmis aux demandeurs pour les aviser que « [t]el qu’expliqué dans la lettre de M. Parent à laquelle cet avis [d’éviction] est joint […] la CCN a décidé de démolir la résidence située sur la propriété à la fin du présent bail se terminant le 30 avril 2009. La CCN entend remettre les lieux dans leur état naturel, soit celui d’espace vert ».

[8]        Si les demandeurs ne sont pas d’accord avec cette décision, ils sont invités par la CCN à contester l’avis d’éviction devant la Régie de logement « pour lui demander de se prononcer sur l’opportunité de démolir la propriété ». Les demandeurs décident de ne pas quitter les lieux à la fin du bail. Ils entreprennent des procédures devant la Régie du logement. Leur cause doit être entendue le 9 mars 2010.

[9]        Coup de théâtre, deux semaines avant l’audition, le procureur des demandeurs reçoit une copie de la décision contestée en date du 16 mars 2009 et qui lui est communiquée à ce moment à titre de pièce dont le procureur de la CCN entend se servir devant la Régie. L’audience est suspendue et les présentes procédures en contrôle judiciaire sont entreprises en avril 2010 pour contester la légalité de la décision contestée.

[10]      Dans le cadre de leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs soumettent que le directeur administratif n’a pas le pouvoir légal d’approuver le projet du requérant et d’ordonner la démolition de la résidence. S’agissant d’une question de compétence, impliquant l’interprétation de la Loi, c’est la norme de la décision correcte qui doit régir l’examen de la légalité de la décision contestée.

[11]      La décision contestée a été prise par le directeur administratif au nom de la Commission sous l’autorité présumée de l’article 12 de la Loi qui édicte :

12. (1) Doivent être soumis à la Commission, pour approbation préalable, les projets visant :

a) des travaux, par un ministère, de construction, de modification, d’agrandissement ou de démolition d’un bâtiment ou autre ouvrage sur des terrains de la région de la capitale nationale;

b) des travaux, par une personne, de construction, de modification, d’agrandissement ou de démolition d’un bâtiment ou autre ouvrage sur des terrains publics de la région de la capitale nationale;

c) le changement, par un ministère ou une personne, de l’affectation de terrains publics dans la région de la capitale nationale.

Présentation des projets

(2) Dans l’examen des projets, la Commission tient compte des éléments suivants :

a) l’emplacement, la situation, la conception, les plans et l’utilisation envisagée, en cas de construction, de modification ou d’agrandissement d’un bâtiment ou autre ouvrage;

b) en cas de démolition, les modalités de celle-ci, ainsi que l’emplacement, la situation, la conception et l’utilisation du bâtiment et autre ouvrage;

c) l’emplacement, la situation et l’utilisation actuelle et envisagée, en cas de changement d’affectation de terrains publics.

Approbation des projets

(3) Il est interdit de procéder à la réalisation des projets visés au paragraphe (1) sans avoir préalablement obtenu l’approbation de la Commission.

Interdiction

(4) Dans le cas d’un bâtiment ou autre ouvrage, le présent article ne s’applique aux modifications intérieures que si elles sont liées à un changement d’affectation.

Modifications intérieures

[12]      En l’espèce, il s’agit de déterminer si le projet de démolition soumis par le requérant pouvait être examiné et approuvé par le directeur administratif, et ce, sans que la Commission elle-même ou, le cas échéant, son comité directeur mentionné à l’article 9 [mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 288] de la Loi, n’ait examiné et donné son aval à un tel projet.

[13]      Rappelons que la Commission est composée de 15 membres ou commissaires, dont le président et le premier dirigeant (paragraphe 3(1) [mod., idem, art. 285] de la Loi), tandis que le comité directeur est composé du président, du premier dirigeant et de trois autres commissaires, dont au moins un de la province de Québec, qui sont nommés par la Commission elle-même (paragraphe 9(1) de la Loi).

[14]      En vertu de l’alinéa 10(1)a) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 45, art. 3] de la Loi, la Commission a pour mission d’établir des plans d’aménagement, de conservation et d’embellissement de la région de la capitale nationale et de coordonner l’aménagement des terrains publics dans la région. Il s’agit d’un rôle politique qu’elle accomplit en tenant compte des trois objectifs généraux mentionnés dans cette dernière disposition. On peut dire à cet égard que la Commission exerce un rôle quasi législatif relativement à l’aménagement des terrains publics dans la région de la capitale nationale, rôle bien entendu qui doit être exercé de manière coordonnée avec les autorités provinciales et municipales (article 11 de la Loi).

[15]      L’article 12 de la Loi est une disposition attributive de compétence qui prévoit que certains types de projet d’aménagement dans la région de la capitale nationale doivent être examinés et approuvés préalablement par la Commission avant leur réalisation. C’est une disposition qui va bien au-delà de l’administration interne et des affaires corporatives de la Commission, qui donne un droit de regard sur les projets d’autrui à l’égard de terrains, ou le cas échéant, de terrains publics, situés sur le territoire de la capitale nationale. Ces projets peuvent être initiés par un ministère (ce qui inclut la CCN elle-même) ou par toute personne, c’est-à-dire un tiers.

[16]      Chaque projet doit être examiné à son mérite par la Commission. Si le paragraphe 12(1) de la Loi accorde une certaine discrétion à la Commission, son exercice est par ailleurs encadré par les critères généraux que l’on retrouve énoncés au paragraphe 12(2) de la Loi et qui varient selon le type de projet. De même, toute approbation donnée par la Commission peut-être assujettie aux conditions que la Commission estime utiles (paragraphe 12.2(2) [édicté, idem, art. 5] de la Loi).

[17]      De même, la décision de la Commission n’est pas toujours finale et le Parlement a prévu une sorte de droit d’appel devant le Cabinet lorsqu’un projet a été refusé par la Commission. En effet, en vertu du paragraphe 12.2(1) [édicté, idem] de la Loi, le gouverneur en conseil peut donner son approbation à tout projet refusé par la Commission dans le cadre de l’article 12 de la Loi (ou de l’article 12.1 [édicté, idem] de la Loi). Dans ce dernier cas, toute approbation donnée par le gouverneur en conseil peut être assujettie aux conditions que ce dernier estime utiles (paragraphe 12.2(2) de la Loi)

[18]      Dans la décision contestée, aucune référence explicite n’est faite par le directeur administratif à l’un ou l’autre des alinéas a), b) et c) du paragraphe 12(1) de la Loi, non plus qu’aux critères mentionnés aux alinéas a), b) et c) du paragraphe 12(2) de la Loi. À première vue, l’autorisation semble être pour la démolition de la résidence (alinéas 12(1)a) et (2)b) de la Loi). Toutefois, en réponse aux interrogations de la Cour, à l’audience, le procureur du défendeur a soutenu que la décision contestée aurait plutôt trait à l’exercice du pouvoir donné à la Commission par l’alinéa 12(1)c) de la Loi, c’est-à-dire d’approuver un projet de changement, par un ministère ou une personne, de l’affectation de terrains publics dans la région de la capitale nationale.

[19]      La Commission a déjà établi des plans généraux d’aménagement des terrains publics situés dans la région de la capitale nationale, incluant des plans d’orientation, des plans directeurs et sectoriels, et des plans de zone. Or, la résidence louée aux demandeurs se trouve sur un terrain situé à l’intérieur de la zone « R1 – récréation extensive », décrite dans le Plan directeur du parc de la Gatineau (mai 2005) (le Plan directeur).

[20]      Essentiellement, depuis le début du dossier, la Division de la gestion de l’immobilier de la CCN projette de démolir la résidence louée aux demandeurs, compte tenu du fait qu’elle n’est pas reconnue comme un édifice patrimonial et qu’elle nécessite d’importants travaux de rénovation. En l’espèce, le projet de démolition devait obligatoirement être soumis à la Commission pour approbation préalable tel que le stipule l’alinéa 12(1)a) de la Loi.

[21]      À première vue, il n’est pas question de modifier le zonage ou la vocation des terrains de la zone R1. Les terrains publics sur lesquels se retrouve la résidence sont situés dans le parc de la Gatineau. Le caractère « vert » du parc est déjà consacré par le Plan directeur. Une fois que la propriété aura été démolie, le site actuel sera remis en état et se confondra avec les terrains avoisinants du parc.

[22]      N’empêche, s’il faut également procéder à un changement de l’affectation des terrains publics sur lesquels se retrouve la propriété louée aux demandeurs, comme le suggère le défendeur, le projet de changement d’affectation devait également être obligatoirement soumis à la Commission pour approbation préalable tel que le stipule l’alinéa 12(1)c) de la Loi.

[23]      Le défendeur reconnait qu’en vertu de l’article 12 de la Loi, il incombe à la Commission d’approuver tout projet de démolition de bâtiment et/ou de changements de l’affectation de terrains publics dans la région de la capitale. Toutefois, le défendeur fait valoir que les pouvoirs décisionnels prévus à l’article 12 de la Loi peuvent être délégués par la Commission à son comité directeur en vertu d’une résolution adoptée par la Commission en vertu du paragraphe 9(2) de la Loi. De même, le paragraphe 9(3) de la Loi prévoit que la Commission peut créer un comité d’aménagement de la capitale nationale ainsi que les autres comités qu’elle estime utiles pour l’application de la Loi.

[24]      Le Règlement administratif #1, Questions organisationnelles d’ordre général de la Commission énumère les pouvoirs exécutifs généraux que possèdent les dirigeants et prévoit que la Commission peut par résolution créer des comités, nommer les commissaires qui seront membres de ces comités et établir le mandat de chaque comité. Ceci dit, bien que la Commission possède le pouvoir de créer un comité d’aménagement de la capitale, elle ne semble pas l’avoir fait à date.

[25]      De fait, le 26 septembre 2001, la Commission a adopté la Résolution I-5 qui délègue certains pouvoirs à son comité directeur. En vertu des alinéas 1(c) et (k) de la Résolution I-5, le comité directeur peut notamment :

1. […]

(c) approuver les propositions pour la construction, la modification, l’agrandissement ou la démolition d’un bâtiment ou d’un ouvrage par une personne, un ministère et par la Commission sur des terrains publics ou des terrains, selon le cas, dans la région de la Capitale nationale;

[…]

(k) examiner les recommandations de la direction et approuver les plans sectoriels et les plans de zone, ainsi que les modifications aux plans d’orientation, aux plans directeurs et sectoriels, et aux plans de zone; [Non souligné dans l’original.]

[26]      À la lecture de la Résolution I-5, on peut donc constater que la Commission a spécifiquement délégué au comité directeur constitué en vertu du paragraphe 9(2) de la Loi, le pouvoir d’examiner et d’approuver les projets d’aménagement visés au paragraphe 12(1) de la Loi. D’autre part, puisqu’aucun comité d’aménagement n’a été créé par la Commission, il incombe au comité directeur de solliciter, le cas échéant, l’opinion du personnel, des conseillers et des experts dont les services ont pu être retenus par la Commission.

[27]      Faut-il le rappeler, en vertu de l’alinéa 8(3)a) de la Loi, le gouverneur en conseil peut approuver un organigramme en vue de la création et de la classification des postes permanents nécessaire au bon fonctionnement de la Commission. Dans ce cadre particulier, le paragraphe 8(2) de la Loi prévoit que la Commission peut employer le personnel, les experts et les conseillers qu’elle juge nécessaires pour l’application de la Loi.

[28]      Mais voilà, dans le cas sous étude, la décision de démolir la résidence, et le cas échéant, de modifier l’affectation des terrains publics sur lesquels se retrouve la résidence, n’a pas été prise par la Commission ou le comité directeur, mais plutôt par la Division de la gestion de l’immobilier de la CCN (le requérant) ou par la Direction de l’aménagement de la capitale, suivant qu’on se place au 9 septembre 2008, date de l’envoi de l’avis d’éviction aux demandeurs, ou au 16 mars 2009, date à laquelle la Direction de l’aménagement de la capitale permet au requérant de procéder au projet de démolition de la résidence aux conditions spécifiées par le directeur administratif.

[29]      C’est bien là où le bât blesse, car aussi qualifiés et compétents que soient les membres du personnel de la Commission, les demandeurs soumettent que la décision contestée ne pouvait légalement être prise que par les commissaires eux-mêmes à l’occasion d’une réunion régulière ou spéciale de la Commission ou du comité directeur, au cours de laquelle aurait pu être examiné et débattu le projet du requérant, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[30]      Bien que la Commission elle-même, et le cas échéant, son comité directeur, ont respectivement compétence en vertu des paragraphes 12(1) et 9(2) de la Loi pour examiner et approuver le projet du requérant, le défendeur soumet que ce dernier pouvoir peut légalement être sous-délégué en vertu de l’article 19 de la Loi à la Direction de l’aménagement de la capitale et à tout cadre désigné, pourvu que toute discrétion administrative ainsi conférée au personnel ou à certains employés, ait été bien encadrée par la Commission.

[31]      Ainsi, aux termes de l’article 2 de la Résolution I-5, le défendeur soumet qu’un projet d’aménagement visé au paragraphe 12(1) de la Loi, n’a pas à être soumis à l’approbation du comité directeur ou de la Commission elle-même lorsque sont par ailleurs remplies les conditions décrites au Règlement administratif #2, Sur la gestion et l’exécution des activités et des opérations de la Commission (le Règlement administratif #2).

[32]      À ce chapitre, le défendeur se réfère à la section « III. Approbations en vertu des articles 12 et 12.1 de la Loi » du Règlement administratif #2. Les articles 30 et 31 du Règlement administratif #2 sont pertinents :

Approbations en vertu des paragraphes 12(1)(a) et (b) de la Loi

30.    Le présent article régit les approbations relatives à des projets qui sont présentés par une personne ou un ministère; qui visent la construction, la modification ou l’agrandissement d’un bâtiment ou d’un autre ouvrage sur un terrain public de la Région de la capitale nationale; et qui, premièrement, impliquent des travaux mineurs et, deuxièmement, respectent les modalités du Plan de la capitale du Canada.

Les approbations de tels projets peuvent être signées par le vice-président responsable de l’aménagement de la capitale ou le directeur responsable de l’aménagement de la capitale ou le directeur responsable du design et de l’utilisation du sol, avec ou sans imposition de conditions relativement à la signature, pourvu que, selon le cas, chacune des conditions suivants soient respectées :

le projet ne modifie pas la conception du bâtiment ou de l’ouvrage visé; le projet ne modifie pas de façon importante l’environnement de l’emplacement; les travaux proposés font partie d’un projet dont la conception a déjà été approuvée par la Société; les travaux proposés sont d’importance mineure en fonction du contexte de la capitale nationale.

Approbations en vertu de l’article 12(1)c) de la Loi

31.    Le présent article régit les approbations relatives aux projets présentés par une personne ou un ministère et visant à modifier l’affectation de terrains publics de la Région de la capitale nationale, notamment les projets visant à démolir un bâtiment ou une structure érigé sur un terrain public.

Les approbations relatives à de tels projets peuvent être signés par le vice-président responsable de l’aménagement de la capitale ou le directeur responsable du design et de l’utilisation du sol, avec ou sans imposition de conditions, pourvu que chacune des conditions suivantes soient respectées :

(i)     la modification proposée respecte les modalités du Plan de la capitale du Canada;

(ii)    il est peu probable que les travaux projetés aient un effet néfaste sur l’environnement;

(iii)   les travaux projetés n’auront pas un impact important sur le tissu urbain ou infrastructure municipale du pourtour de l’emplacement;

(iv)   dans le cas d’une demande de démolition, le bâtiment ou la structure visés ne possèdent aucune valeur ni désignation patrimoniale suivant une revue par le Bureau d’examen des édifices fédéraux du patrimoine.

[33]      Dans les faits, la décision de démolir la résidence a été prise et annoncée officiellement le 9 septembre 2008 par M. Robert Parent, agent de portefeuille des biens immobiliers, Gestion de l’immobilier. On peut donc raisonnablement se demander si les articles 30 et 31 du Règlement administratif #2 peuvent aujourd’hui être invoqués ex post facto par le défendeur pour justifier la légalité de la décision contestée en date du 16 mars 2009 et qui est signée par M. François Lapointe, Directeur administratif, Direction de l’aménagement de la capitale (le directeur administratif).

[34]      D’ailleurs, bien que le directeur administratif mentionne l’article 12 de la Loi, il n’y a aucune référence dans la décision contestée à l’article 30 du Règlement administratif #2, qui traite des approbations en vertu des alinéas 12(1)a) et b) de la Loi, ou encore à l’article 31 du Règlement administratif #2, qui traite des approbations en vertu de l’alinéa 12(1)c) de la Loi et que le défendeur invoque en l’espèce aujourd’hui.

[35]      Toutefois, il n’est pas nécessaire d’examiner la raisonnabilité de la décision contestée, ainsi que l’allégation des demandeurs à l’effet que l’équité procédurale n’a pas été respectée. De l’avis de la Cour, la décision contestée doit être annulée tout simplement parce que la Loi ne permet pas à la Commission de déléguer les pouvoirs prévus à l’article 12 de la Loi à son personnel ou aux experts et conseillers qu’elle engage.

[36]      Ainsi, au-delà des difficultés d’application que soulève l’interaction de l’article 2 de la Résolution I-5 avec les articles 30 et 31 du Règlement administratif #2, il est clair que la compétence d’attribution de la Commission d’examiner et d’approuver tout projet d’aménagement mentionné au paragraphe 12(1) de la Loi, doit être exercée par la Commission en vertu de l’article 12, sinon par le gouverneur en conseil en vertu de l’article 12.2 de la Loi lorsqu’un projet a été refusé par la Commission.

[37]      En ce qui a trait aux projets d’aménagement visés à l’article 12 de la Loi, compte tenu de l’économie générale et des dispositions de la Loi que la Cour a déjà passées en revue, il nous apparait que le rôle de la Direction de l’aménagement de la capitale soit plus modeste. Essentiellement, celui-ci est de faire des recommandations à la Commission et non de se substituer à cette dernière. Il ne faut pas perdre de vue que le pouvoir d’approbation de projets d’aménagement qui sont initiés par un ministère ou une personne, donc par des tiers, ne fait pas partie de l’apanage des pouvoirs généraux d’ordre corporatif que possède la Commission en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi.

[38]      Le législateur ne s’exprime pas pour ne rien dire; il faut interpréter les dispositions de la Loi en tenant compte de leur objet et de leur emplacement. Or, les articles 11 à 13 [mod. par L.C. 1996, ch. 10, art. 236] de la Loi font partie d’un chapitre spécial intitulé « Aménagement ». S’agissant de la Commission, un pouvoir décisionnel aussi important que celui prévu à l’article 12 de la Loi, doit être exercé par les commissaires constituant la Commission en vertu du paragraphe 3(1) de la Loi, à moins que celui-ci n’ait été délégué au comité directeur constitué en vertu du paragraphe 9(2) de la Loi.

[39]      Aussi, il est impératif afin d’assurer la réalisation de la mission politique confiée par l’article 10 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 45, art. 3] de la Loi à la Commission que le processus décisionnel inscrit à l’article 12 de la Loi demeure transparent et que la Commission soit toujours imputable vis-à-vis du gouvernement des décisions d’ordre public ayant trait à des travaux d’aménagement, par un ministère ou une personne, sur des terrains ou sur des terrains publics de la région de la capitale nationale, voire lorsqu’il s’agit d’un changement de l’affectation des mêmes terrains publics.

[40]      Ceci dit, l’article 1 de la Résolution I-5, qui délègue au comité directeur les pouvoirs de l’article 12 de la Loi, nous semble parfaitement en accord avec l’économie générale de la Loi. Après tout, le paragraphe 9(2) de la Loi oblige le comité directeur à présenter, à chaque réunion de la Commission, le compte-rendu de ses activités depuis la précédente, ce qui fait qu’au bout du compte, le comité directeur reste imputable vis-à-vis la Commission.

[41]      Par contre, l’article 2 de la Résolution I-5 est illégal. En effet, son unique objet est de sous-déléguer à des fonctionnaires le pouvoir plénier que possède la Commission, ou le cas échéant, le comité directeur, de donner des approbations en vertu de la Loi (notamment en vertu de l’article 12 de la Loi dans les cas mentionnés dans le Règlement administratif #2). Les articles 29, 30 et 31 du Règlement administratif #2, qui doivent être lus en corrélation avec l’article 2 de la Résolution I-5, sont également ultra vires des pouvoirs que possède la Commission en vertu de la Loi et constituent une sous-délégation illégale de pouvoir.

[42]      À cet égard, l’article 19 de la Loi n’a pas la portée juridique que veut lui conférer le défendeur. Tout au plus, la Commission peut « par règlement administratif, régir son activité et prendre les mesures nécessaires à l’application de la présente loi ». Au nom de la flexibilité, ces règlements administratifs n’ont pas force de loi, ils n’ont pas à être publiés et peuvent être modifiés ou remplacés à tout moment par la Commission.

[43]      Le pouvoir de prendre des « règlements administratifs » (« by-laws ») visé à l’article 19 de la Loi est bien entendu incompatible avec l’existence d’un pouvoir réglementaire au sens large, c'est-à-dire lorsque le législateur a autorisé l’autorité dite « règlementaire » à adopter des règles obligatoires (« regulations ») pouvant régir la conduite d’autrui (comme à l’article 20 [mod. par L.C. 2002, ch. 13, art. 87] de la Loi dans le cas des règlements d’application pris par le gouverneur en conseil).

[44]      Ainsi, dans le but de « régir son activité », il est parfaitement loisible à la Commission de prévoir, par règlement administratif, les niveaux d’autorisation interne en matière financière, de désigner les dirigeants et employés qui peuvent signer des ententes au nom de la Commission. Il s’agit ni plus ni moins de règles de régie interne. Si la Commission peut encadrer, par règlement administratif, les activités corporatives énumérées au paragraphe 10(2) de la Loi, il en va autrement lorsqu’il s’agit de l’exercice de la compétence d’attribution donnée en matière d’aménagement à la Commission.

[45]      Le pouvoir de « prendre les mesures nécessaires à l’application de la [L]oi » ne comprend pas le pouvoir de déléguer les pouvoirs de la Commission en matière d’examen des projets visés au paragraphe 12(1) de la Loi. La Commission ne peut « légiférer » par des règles internes (articles 30 et 31 du Règlement administratif #2) sur les critères d’approbation, ni renoncer à l’avance à exercer son pouvoir discrétionnaire d’approbation en déléguant cette fonction à la Direction de l’aménagement de la capitale et à ses employés.

[46]      Dans ce dernier cas, la Commission doit obligatoirement, dans le cas de chaque projet visé au paragraphe 12(1), tenir compte des éléments mentionnés au paragraphe 12(2) de la Loi avant de rendre une décision en matière d’aménagement. Pour que sa décision soit opposable au promoteur du projet, ministère ou toute personne, ainsi qu’au public, chaque projet doit être examiné par les membres de la Commission, ou le cas échéant par le comité directeur, à son mérite.

[47]      Si le législateur avait voulu que la Commission puisse prendre des règlements d’application en vue de préciser les critères ou les conditions d’approbation des projets visés à l’article 12 de la Loi, il l’aurait fait d’une façon expresse à l’article 12 ou ailleurs dans la Loi. À preuve, le Parlement a pris la peine d’adopter l’article 20 de la Loi, qui permet expressément au gouverneur en conseil de prendre des règlements en vue de protéger les biens de la Commission et de maintenir l’ordre ou de prévenir des accidents sur les propriétés de la Commission.

[48]      De la même manière, si le législateur avait voulu que les pouvoirs décisionnels conférés à la Commission par l’article 12 de la Loi puissent être délégués à des fonctionnaires, il l’aurait fait d’une façon expresse. À preuve, le Parlement a pris la peine d’adopter le paragraphe 9(2) de la Loi, qui prévoit que le comité directeur exerce les pouvoirs et fonctions que lui délègue la Commission.

[49]      La Cour rejette également l’argument du défendeur à l’effet qu’il s’agit d’un cas où la sous-délégation à un agent administratif est permise par la jurisprudence. D’une part, il faut donner effet à la volonté du Parlement. D’autre part, les conditions jurisprudentielles suggèrent une absence de discrétion, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[50]      S’il est vrai que les articles 30 et 31 du Règlement administratif #2 énumèrent certaines conditions à respecter, n’empêche, le décideur administratif a entière discrétion pour assujettir toute approbation donnée aux conditions qu’il estime utiles. Ce dernier pouvoir fait écho au pouvoir discrétionnaire en cette matière conféré par l’article 12.2 de la Loi à la Commission ou au gouverneur en conseil.

[51]      Encore une fois, le lien qui existe, d’une part, entre les conditions énumérées aux articles 30 et 31 du Règlement administratif #2, et d’autre part, les critères mentionnés au paragraphe 12(2) de la Loi, n’est pas évident et nous apparait des plus ténus. Compte tenu de l’imprécision de certaines conditions d’application, le décideur administratif est titulaire d’une certaine discrétion, ce qui l’amènera à faire des choix ou à prendre des décisions.

[52]      Par exemple, l’article 12 de la Loi ne fait aucune distinction entre des travaux d’importance mineure ou des travaux d’importance majeure. Or, l’évaluation de l’importance relative des travaux d’aménagement que l’on retrouve à l’article 30 du Règlement administratif #2 nous apparaît quelque peut subjective et laisse place à une certaine discrétion de la part du décideur administratif. On peut en dire tout autant du pouvoir d’évaluation que l’on retrouve à l’article 31 du Règlement administratif #2, lorsqu’il s’agit d’évaluer s’« il est peu probable que les travaux projetés aient un effet néfaste sur l’environnement », ou encore si « les travaux projetés n’auront pas un impact important sur le tissu urbain ou infrastructure municipale du pourtour de l’emplacement ».

[53]      Enfin, l’article 29 du Règlement administratif #2 confère au décideur administratif une compétence continue, laquelle peut continuer d’être exercée même après que des approbations en vertu de l’article 12 de la Loi ont été données. Ainsi, aux termes de l’article 29 du Règlement administratif #2, on délègue au décideur administratif « le pouvoir de reconsidérer, de révoquer ou de modifier une approbation, de prolonger la durée d’une approbation et d’imposer des conditions à une approbation ».

[54]      Pareille délégation de pouvoir n’est ni autorisée par la Loi, ni permise par la jurisprudence.

[55]      En conclusion, il incombait à la Division de la gestion de l’immobilier, voire à la Direction de l’aménagement de la capitale, de référer le projet de démolition de la résidence à la Commission, ou au comité directeur, le cas échéant.

[56]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La Cour déclare que l’article 2 de la Résolution I-5 et les articles 29, 30 et 31 du Règlement administratif #2 sont ultra vires des pouvoirs de la Commission. La Cour annule la décision de la Direction de l’aménagement de la capitale approuvant la démolition de la résidence. Vu le résultat, les dépens iront aux demandeurs.

JUGEMENT

LA COUR DÉCLARE, STATUE ET ORDONNE :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2. L’article 2 de la Résolution I-5 et les articles 29, 30 et 31 du Règlement administratif #2 sont ultra vires des pouvoirs de la Commission;

3. La décision rendue le 16 mars 2009 par la Direction de l’aménagement de la capitale approuvant la démolition de la résidence louée aux demandeurs est annulée; et

4. Les demandeurs ont droit aux dépens.

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