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Référence :

Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 R.C.F. 488

A-547-08

Irving Shipbuilding Inc. et Fleetway Inc. (appelantes)

c.

Le procureur général du Canada et CSMG Inc. (intimés)

Répertorié : Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juge en chef Richard, juges Evans et Ryer, J.C.A.—Ottawa, 24 et 25 février et 16 avril 2009.

Couronne — Contrats — Appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée par les sous-traitants de BAE Systems (Canada) Inc. (BAE), le soumissionnaire non choisi, visant à annuler un contrat attribué par le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada (TPSGC) à CSMG Inc. (CSMG) — Le juge des requêtes a conclu que les appelantes n’étaient pas « directement touchées » par l’attribution du contrat et qu’elles n’avaient pas la qualité requise par l’art. 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales — Il s’agissait de savoir si le sous-traitant d’un soumissionnaire non choisi dans le cadre d’un contrat d’acquisition du gouvernement peut présenter une demande de contrôle judiciaire pour que soit examinée l’équité du processus d’attribution du contrat lorsque le soumissionnaire non choisi décide de ne pas intenter de poursuites — Les pertes encourues par les appelantes ne faisaient pas en sorte que ces dernières étaient « directement touchées » par la décision de TPSGC, la qualité pour agir n’étant pas déterminée par l’importance de la perte de la demanderesse — Il s’agissait de savoir si TPSGC avait une obligation d’équité envers les appelantes — L’obligation d’équité découle du contrat, de la loi et de la common law — Les appelantes, n’ayant aucun lien contractuel avec TPSGC, ne pouvaient se fonder sur le contrat conclu entre BAE et TPSGC — L’art. 40.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques n’est pas suffisamment précis pour imposer instantanément une obligation d’équité procédurale pouvant être mise à exécution par un soumissionnaire et par un sous-traitant — L’obligation d’équité en common law n’est pas autonome — Il serait en règle générale inapproprié d’incorporer une obligation provenant du droit public conçue dans le contexte de l’exécution des fonctions gouvernementales conformément à des pouvoirs conférés uniquement par la loi dans une relation de nature principalement commerciale, régie par un contrat — Lorsque la Couronne conclut un contrat, ses droits et obligations, ainsi que les recours dont elle dispose, doivent généralement être déterminés par le droit des contrats — Les sous-traitants ne peuvent présenter une demande de contrôle judiciaire visant à demander à la Cour d’examiner l’équité du processus que dans des circonstances exceptionnelles : la fraude, la subornation, la corruption ou d’autres genres d’inconduites graves qui mettraient en péril la confiance du public quant à l’intégrité même du processus — En l’espèce, les appelantes n’avaient pas démontré une violation de l’obligation d’équité relativement à la conduite dans le cadre du processus d’acquisition — Appel rejeté.

Pratique — Parties — Qualité pour agir — Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) a attribué un contrat à l’intimée, CSMG Inc. — Les appelantes, des sous‑traitants du soumissionnaire non choisi, demandaient le contrôle judiciaire de cette décision — Le juge des requêtes a conclu que les appelantes n’étaient pas « directement touchées » par l’attribution du contrat et qu’elles n’avaient pas la qualité requise par l’art. 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales — Les pertes encourues par les appelantes ne faisaient pas en sorte que ces dernières étaient « directement touchées » par la décision de TPSGC — TPSGC n’avait pas une obligation d’équité envers les appelantes — Même si TPSGC avait eu cette obligation, il n’y avait pas eu de manquement en l’espèce — Les appelantes n’avaient donc pas la qualité nécessaire pour contester la décision de TPSGC.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant une demande de contrôle judiciaire présentée par les appelantes et visant à annuler un contrat de soutien en service de sous-marins attribué par le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada (TPSGC) à CSMG Inc. (CSMG). Les appelantes étaient des sous-traitants de BAE Systems (Canada) Inc. (BAE), le soumissionnaire non choisi. En réponse à la demande de propositions (DDP) de TPSGC, les appelantes et d’autres sous-traitants ont conclu des « ententes de constitution d’équipe » avec BAE. L’entente indiquait expressément que l’« équipe » n’était pas une coentreprise formée des appelantes et de BAE, cette dernière demeurant l’unique soumissionnaire principal pour le contrat de soutien des sous-marins. Le contrat que les appelantes avaient conclu avec BAE leur aurait donné droit à 50 % des revenus et à 50 % des travaux visés par le contrat pour le soutien des sous-marins. Le juge des requêtes a conclu que les appelantes n’étaient pas « directement touchées » par l’attribution du contrat à CSMG et qu’elles n’avaient donc pas la qualité requise par le paragraphe 18.1(1) de Loi sur les Cours fédérales pour présenter une demande de contrôle judiciaire. Il a rejeté l’argument portant que l’attribution du contrat était viciée en raison d’un conflit d’intérêts et d’une crainte raisonnable de partialité du fait de la participation de Weir, un actionnaire de CSMG, à l’élaboration de la DDP. La question fondamentale à trancher était celle de savoir si les appelantes avaient droit à l’équité procédurale dans le cadre du processus par lequel TPSGC avait attribué le contrat pour le soutien des sous-marins à CSMG.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

L’attribution du contrat pour le soutien des sous-marins par le ministre des TPSGC était susceptible de contrôle en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (la Loi) puisqu’il s’agissait d’une décision d’un « office fédéral » rendue dans l’exercice des « pouvoirs prévus par une loi fédérale ». L’argumentation visait à déterminer si les pertes encourues par les appelantes faisaient en sorte que ces dernières étaient « directement touchées » par la décision de TPSGC, leur permettant ainsi de soumettre la présente demande de contrôle judiciaire. Si TPSGC avait une obligation d’équité envers les appelantes et qu’il avait attribué le contrat à CSMG en violation de cette obligation, les appelantes seraient directement touchées par la décision contestée. La plupart des dispositions législatives relatives au contrôle judiciaire sont rédigées comme s’inscrivant dans le contexte de la common law en matière de contrôle judiciaire (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa). Pour respecter le contexte et l’objectif du libellé du paragraphe 18.1(1) de la Loi, il faut accorder de l’importance aux exigences relatives à la qualité pour agir tirées de la common law (« personne lésée » ou « particulièrement touchée »). La qualité pour agir n’est pas déterminée par l’importance de la perte de la demanderesse. Le lien entre la perte et la mesure administrative contestée et la question de savoir si cette perte fait partie des intérêts protégés par la législation habilitante est, à tout le moins, aussi important.

Le contexte dans lequel doit être déterminée l’existence d’une obligation d’équité envers les appelantes en l’espèce est celui de l’attribution d’un contrat. D’après les faits de l’espèce, l’obligation d’équité peut découler du contrat, de la loi et de la common law. La présentation d’une soumission en réponse à une DDP crée un contrat (contrat A) régissant la conduite de la partie qui a lancé l’appel d’offres. En l’espèce, BAE a choisi de ne pas présenter de demande de contrôle judiciaire afin d’établir que le contrat a été attribué à CSMG en violation de l’obligation d’équité qui est implicite dans le contrat A. À titre de sous-traitants de BAE n’ayant aucun lien contractuel avec TPSGC, les appelantes ne peuvent se fonder sur le contrat A conclu entre BAE et TPSGC comme source d’une obligation légale envers elles. Ayant choisi de ne pas conclure un contrat de coentreprise avec BAE en vue de soumissionner pour le contrat pour le soutien des sous-marins, les appelantes ne pouvaient maintenant bénéficier du contrat A.

La loi peut imposer une obligation d’équité à TPSGC dans sa façon de mener le processus d’acquisition. Cependant, l’article 40.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques que les appelantes ont invoqué, qui précise que le gouvernement fédéral s’engage à prendre les mesures indiquées pour favoriser l’équité, l’ouverture et la transparence du processus d’appel d’offres, n’est pas suffisamment précis pour imposer instantanément une obligation d’équité procédurale pouvant être mise à exécution par un soumissionnaire et, à plus forte raison, par un sous-traitant.

L’obligation d’équité en common law n’est pas autonome, mais elle est imposée selon la situation particulière dans laquelle la décision administrative contestée a été prise. Il serait en règle générale inapproprié d’incorporer une obligation provenant du droit public conçue dans le contexte de l’exécution des fonctions gouvernementales conformément à des pouvoirs conférés uniquement par la loi dans une relation de nature principalement commerciale, régie par un contrat (comme c’est le cas en l’espèce). Premièrement, les obligations procédurales qu’imposeraient les tribunaux au profit des sous-traitants mineraient le droit d’un soumissionnaire à un contrat d’acquisition de déterminer, le cas échéant, les mesures qui devraient être entreprises dans l’éventualité d’une violation apparente du contrat A. Deuxièmement, les titulaires des droits ou intérêts substantifs doivent personnellement se prévaloir des droits en matière de procédure. Troisièmement, le raisonnement de l’argument des appelantes portant qu’elles avaient droit à l’équité procédurale supposait un déferlement alarmant de poursuites de la part de titulaires de droits procéduraux éventuels. Quatrièmement, étant donné que les soumissionnaires répondant à une DDP ont des droits contractuels visant à assurer que leurs soumissions sont évaluées adéquatement et équitablement, il n’est pas nécessaire que les tribunaux élargissent la portée des droits procéduraux aux sous-traitants pour protéger l’intérêt du processus dans l’intérêt public. Cinquièmement, l’intérêt public lié à l’efficacité du processus d’acquisition pourrait tout aussi bien être compromis par un élargissement de la portée du droit à l’équité procédurale. Le fait d’étendre la portée de ce droit aux sous-traitants ne pouvait que compliquer le processus d’acquisition et introduire de nouvelles incertitudes dans des relations essentiellement commerciales. Ajouter aux garanties contractuelles l’obligation d’équité prévue par la common law aurait comme conséquence de déjouer les attentes des parties. Sixièmement, une fois le contrat attribué, le public a intérêt à éviter les retards indus (notamment ceux découlant de l’annulation d’un contrat et de la reprise du processus d’appel d’offres) liés à son exécution, et à s’assurer que le gouvernement est en mesure d’acquérir rapidement les biens et services dont il a besoin pour s’acquitter de ses obligations. Lorsque la Couronne conclut un contrat, ses droits et obligations, ainsi que les recours dont elle dispose, doivent généralement être déterminés par le droit des contrats.

Enfin, tout contrôle judiciaire visant à demander à la Cour d’examiner l’équité du processus ne sera accordé à des sous-traitants que dans des circonstances exceptionnelles. Les faits en l’espèce étaient loin de répondre au type de circonstances exceptionnelles pour lesquelles la Cour pourrait intervenir sur l’initiative d’un sous-traitant, notamment la fraude, la subornation, la corruption ou d’autres genres d’inconduites graves qui, si elles étaient prouvées, mettraient en péril la confiance du public quant à l’intégrité même du processus. En l’espèce, même si les appelantes avaient qualité pour agir, elles n’avaient pas démontré une violation de l’obligation d’équité, y compris une crainte raisonnable de partialité, de la part de TPSGC relativement à sa conduite dans le cadre du processus d’acquisition.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18(1)a) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 28.

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 28(1)b),c).

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, art. 40.1 (édicté par L.C. 2006, ch. 9, art. 310).

Loi sur la production de défense, L.R.C. (1985), ch. D-1, art. 16a) (mod. par L.C. 2004, ch. 25, art. 125(F)).

Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, L.C. 1996, ch. 16, art. 6 (mod. par L.C. 2001, ch. 4, art. 157; 2005, ch. 30, art. 121).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 2 « office fédéral » (mod., idem, art. 15), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Design Services Ltd. c. Canada, 2008 CSC 22, [2008] 1 R.C.S. 737; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339.

décisions examinées :

Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux), [1995] 2 C.F. 694 (C.A.); Sunshine Village Corp. c. Directeur du Parc National de Banff, [1996] A.C.F. no 1118 (C.A.) (QL).

décisions citées :

Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; Ontario c. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 111; Martel Building Ltd. c. Canada, 2000 CSC 60, [2000] 2 R.C.S. 860; Ratepayers of the School District of the New Ross Consolidated School et al. and Chester and District Municipal School Board, Re (1979), 102 D.L.R. (3d) 586 (C.S. (1re inst.) N.-É.).

DOCTRINE CITÉE

Brown, Donald J. M. et John M. Evans. Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles. Toronto : Canvasback Publishing, 1998.

Cromwell, Thomas A. Locus Standi: A Commentary on the Law of Standing in Canada. Toronto : Carswell, 1986.

Emanuelli, Paul. Government Procurement, 2e éd. Markham, Ont. : LexisNexis, 2008.

Mullan David J. et Andrew J. Roman. « Minister of Justice of Canada v. Borowski: The Extent of the Citizen’s Right to Litigate the Lawfulness of Government Action » (1984), 4 Windsor Y.B. Access Just. 303.

Woolf, Lord et al. De Smith’s Judicial Review, 6e éd. Londres : Sweet & Maxwell, 2007.

    APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2008 CF 1102) rejetant une demande de contrôle judiciaire présentée par les sous-traitants du soumissionnaire non choisi visant à annuler un contrat attribué par le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux. Appel rejeté.

ONT COMPARU

J. Bruce Carr-Harris, David Sherriff-Scott et Vincent DeRose pour les appelantes.

Michael F. Ciavaglia pour l’intimé le procureur général du Canada.

Lawrence E. Thacker pour l’intimée CSMG Inc.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Borden Ladner Gervais S.R.L., S.E.N.C.R.L., Ottawa, pour les appelantes.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé le procureur général du Canada.

Lenczner Slaght Royce Smith Griffin LLP, Toronto, pour l’intimée CSMG Inc.

    Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

    Le juge Evans, J.C.A. :

A.      INTRODUCTION

[1]     Les marchés publics se situent à la frontière entre le droit public et le droit privé. La question soulevée dans le présent appel est de savoir si le sous-traitant d’un soumissionnaire non choisi dans le cadre d’un contrat d’acquisition du gouvernement peut présenter une demande de contrôle judiciaire pour que soit examinée l’équité du processus d’attribution du contrat lorsque le soumissionnaire non choisi décide de ne pas intenter de poursuites.

[2]     Il s’agit d’un appel d’une décision de la Cour fédérale dans laquelle le juge Harrington (le juge des requêtes) a rejeté une demande de contrôle judiciaire présentée par Irving Shipbuilding Inc. et Fleetway Inc. (les appelantes) visant à annuler un contrat attribué par le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada (TPSGC) à CSMG Inc. (CSMG), une société constituée par Devonport Management Limited et Weir Canada Inc. (Weir) en vue de soumissionner pour ce contrat.

[3]     Les appelantes étaient des sous-traitants de BAE Systems (Canada) Inc. (BAE), le soumissionnaire non choisi pour un contrat de soutien en service de sous-marins de la classe Victoria du Canada (le contrat pour le soutien des sous-marins). Si le contrat pour le soutien des sous-marins avait été attribué à BAE, qui n’est pas partie au présent litige, le contrat que les appelantes ont conclu avec BAE leur aurait donné droit à 50 % des revenus et à 50 % des travaux visés par le contrat pour le soutien des sous-marins. La valeur totale du contrat pour le soutien des sous-marins serait d’environ 1,5 milliards de dollars sur 15 ans.

[4]     Le juge des requêtes a conclu que, contrairement à BAE, le soumissionnaire initial, les appelantes n’étaient pas « directement touché[es] » par l’attribution du contrat à CSMG et qu’elles n’avaient pas la qualité requise par le paragraphe 18.1(1) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)] pour présenter une demande de contrôle judiciaire. Néanmoins, le juge des requêtes a ensuite examiné la demande sur le fond. Il a rejeté l’argument des appelantes portant que l’attribution du contrat à CSMG était entachée de manquement à l’équité procédurale, soit un conflit d’intérêts et une crainte raisonnable de partialité. La décision est publiée sous l’intitulé Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1102.

[5]     Les appelantes affirment que le juge des requêtes a commis une erreur de droit en interprétant trop restrictivement l’expression « quiconque est directement touché » au paragraphe 18.1(1) de la Loi. À leur avis, l’extinction de leurs droits d’exécuter les travaux et de recevoir une rémunération prévus au contrat étant une conséquence inévitable et prévisible de l’attribution du contrat à CSMG par le ministre, elles avaient qualité pour demander à la Cour d’examiner l’équité du processus d’acquisition. Les appelantes affirment qu’il y a eu manquement à l’équité essentiellement parce que le ministre n’a pas veillé à ce qu’aucun soumissionnaire ne se voit accorder un avantage injustifié par rapport aux autres. Plus particulièrement, elles soutiennent qu’un employé de Weir, une des sociétés faisant partie de CSMG, connaissait les éléments importants, ou les préférences, des fonctionnaires du ministère de la Défense nationale (MDN) qui ont évalué les soumissions étant donné qu’il a travaillé avec ceux-ci en une autre qualité pour l’établissement des documents d’invitation à soumissionner.

[6]     À mon avis, les appelantes n’ont pas démontré que TPSGC avait une obligation d’équité à leur égard. Comme elles n’ont pas présenté de soumission dans le cadre de la demande de propositions de TPSGC, elles ne peuvent soutenir que l’obligation d’équité était une obligation contractuelle. Elles ne peuvent non plus dire qu’il existe une disposition législative qui confère aux sous-traitants le droit à l’équité procédurale. Si la common law accorde un droit général à l’équité procédurale à ceux dont les droits, intérêts et privilèges sont lésés par une mesure administrative, ce droit, qui relève du droit public, n’est guère pertinent, le cas échéant, dans le cadre d’une relation essentiellement commerciale relevant en grande partie du droit des contrats. Par conséquent, je rejetterais l’appel.

B.      CONTEXTE FACTUEL

[7]     Le 30 mars 2004, TPSGC a sollicité des lettres d’intérêt pour le contrat pour le soutien des sous-marins et a reçu des demandes de renseignements de la part, entre autres, de Peacock Inc. (qui est ensuite devenu Weir), d’Irving, de Fleetway et de BAE. Irving et Fleetway sont des sociétés liées.

[8]     Weir a administré, par l’entremise de son secteur de services en génie maritime, le Centre d’essais techniques (Mer) (CETM), un organisme détenu par le gouvernement, mais exploité par une entreprise privée. Le CETM offre des services indépendants et impartiaux en matière d’essais et d’évaluations à la Marine canadienne. En 1999, lorsque le contrat pour administrer le CETM a été attribué à Weir, cette dernière s’est engagée à s’assurer qu’elle ne disposerait pas d’un avantage concurrentiel injuste réel ou apparent en faisant affaire avec le MDN dans d’autres circonstances parce qu’elle est en charge de l’administration du CETM.

[9]     En mars 2005, TPSGC a demandé à l’industrie de donner ses rétroactions sur le projet d’énoncé des travaux élaboré par le CETM, qui devait être incorporé dans la demande de propositions pour les services de soutien des sous-marins. Dans les mois suivants, l’énoncé des travaux a fait l’objet de discussions lors d’assemblées publiques et de séances privées avec les sociétés concernées, ce qui a entraîné des modifications à l’énoncé des travaux.

[10]     Le 22 septembre 2005, TPSGC a lancé sa première offre de soumissions au moyen d’une demande de propositions pour le contrat pour le soutien des sous‑marins. Trois parties, incluant CSMG et BAE, ont déposé des soumissions. Comme il a déjà été souligné, CSMG a été constituée en vue de soumissionner pour le contrat pour le soutien des sous-marins et Weir était l’un de ses deux actionnaires.

[11]     Plutôt que de créer une nouvelle société ou de s’associer par coentreprise, BAE a agit en tant qu’unique soumissionnaire principale et a élaboré sa soumission avec l’aide de sous‑traitants, se présentant collectivement comme [traduction] « l’équipe Victoria ». Les appelantes et d’autres sous-traitants ont conclu des ententes avec BAE, qu’ils ont appelées les [traduction] « ententes de constitution d’équipe ». L’entente de constitution d’équipe conclue par les appelantes prévoyait, entre autres, la création d’un comité de direction, au sein duquel les appelantes obtiendraient 50 % des voix à l’égard des décisions de gestion liées à l’élaboration de la soumission et, si la soumission était acceptée, à l’exécution du contrat pour le soutien des sous-marins. Cette entente de constitution d’équipe indiquait expressément que l’équipe Victoria n’était pas une coentreprise formée des appelantes et de BAE, cette dernière demeurant l’unique soumissionnaire principale pour le contrat pour le soutien des sous-marins.

[12]     Avant de présenter la soumission de l’équipe Victoria, BAE a fait savoir à TPSGC qu’elle avait des préoccupations concernant le rôle de Weir dans l’élaboration de l’énoncé des travaux et lui a demandé de s’assurer de l’absence de conflit d’intérêts. En réponse, TPSGC a assuré BAE qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires et l’a informée que toute soumission présentée en ferait foi. L’équipe Victoria a déposé une soumission.

[13]     Le 1er juin 2006, TPSGC a informé BAE que le processus d’adjudication avait été annulé puisqu’aucun soumissionnaire ne répondait à l’ensemble des exigences obligatoires. Le 21 juillet 2006, une deuxième demande de propositions a été lancée et CSMG et BAE ont toutes deux déposé à nouveau des soumissions. Le 10 janvier 2007, TPSGC a informé BAE que même si elle répondait à toutes les exigences obligatoires, c’est la soumission de CSMG qui avait été retenue pour le contrat pour le soutien des sous-marins parce qu’elle avait reçu une note finale plus élevée en ce qui a trait aux aspects techniques de la soumission.

[14]     Les appelantes ont présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale pour contester la validité de l’attribution du contrat à CSMG. Puisque le contrat touche la sécurité nationale, le Tribunal canadien du commerce extérieur n’a pas compétence à l’égard des plaintes découlant de l’attribution de ce contrat.

C.      DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[15]     Le juge des requêtes a statué que les appelantes n’avait pas qualité pour demander un contrôle judiciaire parce qu’à titre de sous-traitants du soumissionnaire non choisi, elles n’étaient pas « directement touchées » par l’attribution du contrat à CSMG au sens du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales. En s’appuyant par analogie sur des actions en responsabilité délictuelle relativement à une perte purement financière, le juge des requêtes a statué (au paragraphe 22) que « directement » veut dire « sans intermédiaires » et que, à titre de soumissionnaire principale du contrat pour le soutien des sous-marins, BAE était un intermédiaire. Il s’est également appuyé (au paragraphe 28) sur l’arrêt Design Services Ltd. c. Canada, 2008 CSC 22, [2008] 1 R.C.S. 737 (Design Services), dans lequel des sous-traitants d’un soumissionnaire non choisi n’avaient pas démontré que TPSGC avait l’obligation de diligence en matière délictuelle de ne pas attribuer le contrat à un soumissionnaire dont la soumission n’était pas conforme.

[16]     Enfin, le juge des requêtes a conclu (aux paragraphes 52 à 54) que, même si les appelantes avaient la qualité requise, il aurait rejeté leur demande sur le fond, parce qu’elles ont uniquement établi une « possibilité de préjudice », et non une « probabilité de préjudice », relativement à tout défaut de TPSGC d’empêcher CSMG de bénéficier d’un avantage injuste en raison de la participation de Weir à l’élaboration de la demande de propositions. Selon le juge des requêtes, les faits de l’espèce ne donnaient pas lieu à une crainte raisonnable de partialité de la part de TPSGC dans son évaluation des soumissions.

[17]     Par conséquent, le juge des requêtes a rejeté la demande de contrôle judiciaire des appelantes.

D.      QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

i) La compétence

[18]     Les parties n’ont pas contesté le fait que l’attribution du contrat pour le soutien des sous‑marins puisse être susceptible de contrôle judiciaire puisqu’il s’agit de l’exercice d’une compétence prévue par une loi fédérale devant un office fédéral. Je suis d’accord avec les parties pour les raisons suivantes.

[19]     Voici les dispositions pertinentes de la Loi sur les Cours fédérales [art. 2 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 15)] :

    2. (1) [. . .]

« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, [. . .]

[. . .]

    18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

[20]     Le ministre des TPSGC a de vastes responsabilités prévues par la loi relativement à l’acquisition de biens et services pour le gouvernement du Canada. Les dispositions législatives suivantes sont particulièrement pertinentes en l’espèce :

Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, L.C. 1996, ch. 16 [art. 6 (mod. par L.C. 2001, ch. 4, art. 157; 2005, ch. 30, art. 121)]

    6. Les pouvoirs et fonctions du ministre s’étendent d’une façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d’autres ministères ou organismes fédéraux et liés à :

a) l’acquisition et la fourniture d’articles, d’approvisionnements, d’outillage, d’équipements et autre matériel pour les ministères;

b) l’acquisition et la fourniture de services pour les ministères;

[. . .]

e) la construction, l’entretien et la réparation des ouvrages publics et des immeubles fédéraux et des biens réels fédéraux;

Loi sur la protection de défense, L.R.C. (1985), ch. D-1 [art. 16a) (mod. par L.C. 2004, ch. 25, art. 125(F)]

    16. Le ministre peut, au nom de Sa Majesté et sous réserve des autres dispositions de la présente loi :

a) acheter ou acquérir par tout autre moyen, utiliser, entreposer ou transporter du matériel de défense, ou en disposer, notamment par vente ou échange;

À mon avis, ces dispositions comprennent le pouvoir de s’engager par contrat à fournir des services d’entretien et de réparation de sous-marins au MDN.

[21]     Le fait que le pouvoir du ministre, un fonctionnaire, d’attribuer le contrat est prévu par la loi et que cet important contrat d’entretien et de réparation de sous-marins de la Marine canadienne constitue une question d’intérêt public, démontre que l’attribution du contrat peut être susceptible de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27], une procédure de droit public visant à contester l’exercice d’un pouvoir public. Toutefois, le fait que le vaste pouvoir du ministre conféré par la loi est une délégation de la capacité contractuelle de la Couronne, en sa qualité de personne morale individuelle, et que son exercice par le ministre représente un pouvoir discrétionnaire considérable et est régi essentiellement par le droit privé en matière de contrats, pourrait limiter les circonstances dans lesquelles la Cour ferait droit à une demande de contrôle judiciaire portant sur la légalité de l’attribution d’un contrat.

[22]     La Cour a tiré une conclusion semblable dans la décision Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux), [1995] 2 C.F. 694 (C.A.) (Gestion Complexe), aux paragraphes 7 à 17. La Cour a conclu que l’exercice par un ministre du pouvoir conféré par la loi de lancer un appel d’offres et de conclure des contrats pour la location de locaux par la Couronne pourrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu de l’ancien paragraphe 18(1)a) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] puisqu’il s’agit d’une décision d’un « office fédéral ».

[23]     Le juge Décary, s’exprimant au nom de la Cour, n’a pas traité précisément de la question en litige en l’espèce, mais il a également mis l’accent sur les difficultés qu’un demandeur devrait surmonter pour établir un motif de contrôle qui justifierait l’intervention de la Cour dans le processus d’acquisition par l’entremise de sa compétence en matière de contrôle judiciaire. Ainsi, il a déclaré ce qui suit au paragraphe 20 :

    Le contrôle judiciaire visant par définition la légalité des actes de l’Administration fédérale, et le processus de demande de soumissions n’étant assujetti à aucune exigence de forme ou de fond législative ou réglementaire, il ne sera pas facile, là où les documents de soumission n’imposent pas de restrictions sévères à l’exercice par le ministre de sa liberté de choix, de démontrer à quelle illégalité s’adonne le ministre lorsque, dans le cours normal des choses, il compare les offres reçues, détermine si une soumission est conforme ou non aux documents ou retient une soumission plutôt qu’une autre.

[24]     Cette interprétation de la compétence de la Cour est conforme à celle qui est généralement adoptée par les autres tribunaux au Canada : voir Paul Emanuelli, Government Procurement, 2e éd. (Markham, Ont. : LexisNexis, 2008), aux pages 697 à 706, où l’auteur tire la conclusion suivante (à la page 698) :

    [traduction] En règle générale, plus le lien entre un processus d’acquisition et l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi est étroit, plus la probabilité que cette activité soit susceptible de contrôle judiciaire est grande. En revanche, lorsqu’une acquisition ne relève pas du champ d’application d’un pouvoir conféré par la loi et relève de l’exercice d’un pouvoir exécutif résiduel du gouvernement, il est moins probable que l’acquisition soit susceptible de contrôle judiciaire.

La jurisprudence anglaise en matière de contrats publics et de contrôle judiciaire est examinée dans l’ouvrage de lord Woolf, Jeffrey Jowell et Andrew Le Sueur, De Smith’s Judicial Review, 6e éd. (Londres : Sweet & Maxwell, 2007), aux pages 138 à 145. On précise que les tribunaux exigent généralement un [traduction] « élément public additionnel » avant de conclure que l’exercice du pouvoir contractuel d’une autorité publique est susceptible de contrôle judiciaire, même si le pouvoir est prévu par la loi.

[25]     Par conséquent, d’après la jurisprudence et les principes, je conviens que l’attribution du contrat pour le soutien des sous-marins par le ministre des TPSGC est susceptible de contrôle en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales puisqu’il s’agit de la décision d’un « office fédéral » rendue dans l’exercice des « pouvoirs prévus par une loi fédérale » (à l’article 2).

ii) La norme de contrôle

[26]     La question fondamentale que je dois trancher pour statuer sur le présent appel est de savoir si les appelantes avaient droit à l’équité procédurale dans le cadre du processus par lequel TPSGC a attribué le contrat pour le soutien des sous-marins à CSMG. Il s’agit d’une question de droit devant être examinée selon la norme de la décision correcte : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 129.

Question no 1: Les appelantes sont-elles « directement touchées » par l’attribution du contrat pour le soutien des sous-marins à CSMG?

[27]     Les parties ont soumis de longues observations sur la question de savoir si les appelantes avaient qualité pour contester l’attribution du contrat pour le soutien des sous‑marins à CSMG en raison de la perte de leurs droits contractuels à titre de sous‑traitants et d’importants revenus pouvant être tirés des travaux qui seraient exécutés dans le cadre du contrat. Plus particulièrement, l’argumentation visait à déterminer si les pertes encourues par les appelantes faisaient en sorte que ces dernières étaient « directement touchées » par la décision de TPSGC d’attribuer le contrat pour le soutien des sous‑marins à CSMG, leur permettant ainsi de présenter la présente demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

[28]     Selon moi, la question de la qualité pour agir des appelantes devrait être tranchée, non dans l’abstrait, mais dans le contexte du motif de contrôle sur lequel elles s’appuient, soit, le manquement à l’obligation d’équité procédurale. Ainsi, si les appelantes ont droit à l’équité procédurale, elles doivent également avoir le droit de soumettre la question à la Cour afin de tenter d’établir que le processus en vertu duquel le contrat pour le soutien des sous-marins a été attribué à CSMG viole leurs droits procéduraux. Si TPSGC avait une obligation d’équité envers les appelantes et qu’il avait attribué le contrat à CSMG en violation de cette obligation, les appelantes seraient « directement touchées » par la décision contestée. Si elles n’ont pas droit à l’équité procédurale, le débat devrait, en règle générale, être clos. À mon avis, il n’est pas nécessaire d’analyser distinctement la question, mais j’examinerai brièvement deux questions découlant des observations des parties.

[29]     Premièrement, je ne souscris pas à la prétention des intimés portant qu’en prévoyant, à l’article 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, que « quiconque est directement touché par l’objet de la demande » puisse présenter une demande de contrôle judiciaire, le législateur avait l’intention de limiter davantage l’accès aux Cours fédérales à des parties contestant une mesure administrative fédérale que l’accès aux tribunaux supérieurs des provinces aux parties contestant des mesures administratives prises par des autorités provinciales.

[30]     En effet, avant les modification de 1992 à l’ancienne Loi sur la Cour fédérale, l’expression « directement touché » s’appliquait seulement aux contrôles judiciaires présentés devant la Cour d’appel de la Cour fédérale du Canada en vertu de l’ancien article 28 à l’égard d’une décision ou d’une ordonnance d’un tribunal qui était visé par l’application de cet article. Vu l’absence de définition de la qualité pour présenter une demande de contrôle judiciaire devant la Section de première instance, on a dû l’interpréter en vertu des principes de la common law. À la suite des modifications de 1992, la compétence pour instruire des contrôles judiciaires prévus par la loi s’est étendue au domaine du droit administratif des deux Cours fédérales. Il me paraît invraisemblable qu’en adoptant l’expression « directement touché » au paragraphe 18.1(1), le législateur avait l’intention de limiter l’accès à la Cour fédérale par rapport à celui dont bénéficiaient auparavant les parties en Section de première instance de la Cour fédérale.

[31]     Les aspects relevant du droit administratif de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e suppl.), ch. 10], au moment où elle a été édictée en 1970, visaient principalement à transférer à la Cour fédérale du Canada le pouvoir de contrôle presque exclusif qu’exerçaient les cours supérieures des provinces sur les mesures administratives fédérales : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 (Khosa), au paragraphe 34. En effet, loin de restreindre le contrôle judiciaire, les anciens alinéas 28(1)b) et c) de la Loi l’élargissaient quelque peu, en retirant l’exigence tirée de la common law selon laquelle les erreurs de droit par un tribunal doivent être apparentes à la lecture du dossier et en ajoutant l’erreur de fait comme motif de contrôle distinct, même lorsqu’on ne pouvait dire qu’elle n’était fondée sur aucune preuve. Les modifications de 1992 qui ont élargi le contrôle judiciaire de manière à ce qu’il constitue le moyen procédural servant à contester les mesures administratives fédérales devant les deux Cours fédérales ont été conçues pour moderniser et faciliter le contrôle judiciaire et non pour restreindre l’accès à la Cour fédérale.

[32]     En accordant l’importance défendue par les intimés aux mots « directement touché » choisis par le législateur plutôt que de s’appuyer sur l’une ou l’autre des exigences relatives à la qualité pour agir tirées de la common law (« personne lésée » ou « particulièrement touchée », par exemple) on ne tiendrait pas compte du contexte et de l’objectif du libellé du paragraphe 18.1(1) de la Loi. Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Khosa (au paragraphe 19) :

[. . .] la plupart des dispositions législatives relatives au contrôle judiciaire, sinon toutes, sont rédigées comme s’inscrivant dans le contexte de la common law en matière de contrôle judiciaire.  Même les lois les plus exhaustives [. . .] ne peuvent être interprétées sensément que dans le contexte de la common law [. . .]

[33]     De plus, puisque tous ces termes ne sont sensiblement pas définis, le choix du législateur doit être considéré comme ayant relativement peu d’importance. Voir également Thomas A. Cromwell, Locus Standi: A Commentary on the Law of Standing in Canada (Toronto : Carswell, 1986), aux pages 163 et 164 (Locus Standi), plus particulièrement sa très juste description (à la page 163) du [traduction] « vide sémantique » avec lequel les tribunaux doivent composer pour appliquer les divers critères liés à la qualité pour agir, qu’ils soient prévus par la loi ou tirés de la common law. Même s’il traite des différences entre les libellés anglais et français du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, l’extrait suivant de l’arrêt Khosa (au paragraphe 39) semble s’appliquer tout aussi bien à l’interprétation des mots « directement touché » du paragraphe 18.1(1) :

Une vision étroite des différences entre les deux textes risque de mener à une interprétation incompatible avec la règle moderne [d’interprétation des lois] parce que, isolément, les considérations linguistiques ne doivent pas élever un argument sur le texte au‑dessus du contexte pertinent et de l’objet du régime législatif [. . .]

[34]     L’interprétation de l’exigence de la qualité pour agir du paragraphe 18.1(1) a été examinée par la Cour dans l’arrêt Sunshine Village Corp. c. Directeur du Parc National de Banff, [1996] A.C.F. no 1118 (C.A.) (QL), aux paragraphes 66 à 68. La juge Desjardins, s’exprimant au nom de la Cour, a conclu que cette exigence ne visait pas à empêcher la Cour d’accorder la qualité pour agir dans l’intérêt du public aux personnes qui n’étaient pas directement touchées. En l’espèce, les appelantes ne se fondent pas sur la qualité pour agir dans l’intérêt du public.

[35]     Deuxièmement, je ne souscris pas nécessairement à l’argument des appelantes selon lequel la qualité pour agir est déterminée par l’importance de la perte de la demanderesse. Évaluer l’importance d’une perte pour donner qualité serait arbitraire et créerait une trop grande incertitude, malgré le fait qu’une perte minime pourrait être considérée comme une absence de perte. Le lien entre la perte et la mesure administrative contestée et la question de savoir si cette perte fait partie des intérêts protégés par la législation habilitante est, à tout le moins, aussi important que l’ampleur de toute perte encourue par un demandeur dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

Question no 2: Les appelantes ont-elles droit à l’équité procédurale?

[36]     Les appelantes allèguent que le juge des requêtes a été [traduction] « distrait » par le [traduction] « cadre contractuel » du présent litige. Elles affirment que le juge aurait dû appliquer le critère lié à l’application de l’obligation d’équité utilisé dans le cadre de mesures administratives prises conformément à l’exercice d’un pouvoir prévu par la loi, à savoir si ces mesures touchent les droits, les privilèges ou les biens d’une personne : voir, par exemple, Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la page 653.

[37]     Je ne suis pas d’accord. À mon avis, le contexte dans lequel doit être déterminée l’existence d’une obligation d’équité envers les appelantes en l’espèce est celui de l’attribution d’un contrat. D’après les faits de l’espèce, l’obligation d’équité peut découler du contrat, de la loi ou de la common law.

i) Le contrat

[38]     La présentation d’une soumission en réponse à une demande de propositions crée un contrat (contrat A) régissant la conduite de la partie qui lance l’appel d’offres : Ontario c. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 111. Les modalités du contrat A peuvent prévoir la promesse, expresse ou implicite, que le contrat visé par l’appel d’offres (contrat B) sera attribué dans le respect de l’équité procédurale et que les soumissionnaires seront traités sur un pied d’égalité : Martel Building Ltd. c. Canada, 2000 CSC 60, [2000] 2 R.C.S. 860, au paragraphe 88.

[39]     En l’espèce, BAE aurait pu s’appuyer sur le contrat A conclu avec TPSGC pour alléguer que le contrat B a été attribué à CSMG en violation de l’obligation d’équité procédurale, laquelle est implicite dans le contrat A. La question de savoir si BAE aurait eu gain de cause, que ce soit au moyen d’une demande de contrôle judiciaire ou dans une action en dommages-intérêts pour violation de contrat, est une tout autre question.

[40]     Toutefois, BAE a choisi de ne pas présenter de demande de contrôle judiciaire, ou une action pour violation de contrat, afin d’établir que le contrat a été attribué à CSMG en violation de l’obligation d’équité et que celui-ci devait être annulé en raison d’un manquement à l’équité procédurale ou que TPSGC devrait verser des dommages‑intérêts pour violation du contrat A. À titre de sous-traitants de BAE n’ayant aucun lien contractuel avec TPSGC, les appelantes ne peuvent se fonder sur le contrat A conclu entre BAE et TPSGC comme source d’une obligation légale envers elles.

[41]     La situation aurait été différente si les appelantes avaient conclu un contrat de coentreprise avec BAE en vue de soumissionner pour le contrat pour le soutien des sous‑marins ou, si elles avaient formé ensemble une société aux fins de soumissionner pour le contrat. Dans l’un ou l’autre de ces cas, les appelantes auraient pu bénéficier du contrat A conclu avec TPSGC. Toutefois, ayant choisi d’être des sous-traitants de BAE, et ainsi de ne pas engager leur responsabilité contractuelle à l’égard de TPSGC, les appelantes ne peuvent maintenant bénéficier du contrat A conclu entre TPSGC et BAE parce qu’elles ne sont pas partie à ce contrat.

ii) La loi

[42]     Au cours des plaidoiries, l’avocat des appelantes a fait valoir que la loi leur accorde le droit à l’équité procédurale. Il s’est appuyé sur la disposition suivante :

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 [art. 40.1 (édicté par L.C. 2006, ch. 9, art. 310)]

    40.1 Le gouvernement fédéral s’engage à prendre les mesures indiquées pour favoriser l’équité, l’ouverture et la transparence du processus d’appel d’offres en vue de la passation avec Sa Majesté de marchés de fournitures, de marchés de services ou de marchés de travaux.

[43]     La loi peut bien évidemment imposer une obligation d’équité à TPSGC dans sa façon de mener le processus d’acquisition, et en préciser le contenu. Cependant, je ne suis pas convaincu que la disposition ci-dessus est utile aux appelantes. La phrase « [l]e gouvernement fédéral s’engage à prendre les mesures indiquées pour favoriser l’équité [. . .] du processus d’appel d’offres » n’est pas suffisamment précise pour imposer instantanément une obligation d’équité procédurale pouvant être mis à exécution par un soumissionnaire et, à plus forte raison, par un sous-traitant. Cette phrase signifie plutôt que le gouvernement s’engage à prendre des mesures éventuelles non précisées pour s’assurer de l’équité du processus d’acquisition.

iii) La common law

[44]     Les appelantes soutiennent que, à titre de personnes lésées par l’attribution du contrat pour le soutien des sous-marins à CSMG, elles ont qualité pour contester l’équité du processus d’attribution du contrat. Elles affirment que leur droit à l’équité procédurale découle des aspects liés aux mesures administratives de la common law, soit l’attribution du contrat à CSMG, parce que cette attribution a mis fin à leur droits contractuels en vertu du contrat conclu avec BAE et a entraîné une perte financière importante. Je ne souscris pas à cette prétention.

[45]     L’obligation d’équité en common law n’est pas autonome, mais elle est imposée selon la situation particulière dans laquelle la décision administrative contestée a été prise. À mon avis, on ne peut supposer que l’exécution d’une mesure administrative prise dans le cadre d’une fonction gouvernementale prévue par la loi entraîne une obligation s’appliquant à une décision visant à acquérir des biens et services lorsque les relations juridiques des parties sont en grande partie régies par le droit des contrats.

[46]     Le contexte du présent litige est essentiellement de nature commerciale, même si le gouvernement est l’acheteur. TPSGC a établi un contrat conformément à un pouvoir conféré par la loi et les biens et services acquis sont liés à la défense nationale. Selon moi, il serait en règle générale inapproprié d’incorporer une obligation provenant du droit public conçue dans le contexte de l’exécution des fonctions gouvernementales conformément à des pouvoirs conférés uniquement par la loi dans une relation de nature principalement commerciale, régie par un contrat.

[47]     Premièrement, les obligations procédurales qu’imposeraient les tribunaux au profit des sous-traitants mineraient le droit d’un soumissionnaire à un contrat d’acquisition de déterminer, le cas échéant, les mesures qui devraient être entreprises dans l’éventualité d’une violation apparente du contrat A. La loi ne devrait habituellement pas l’emporter sur la décision d’un soumissionnaire non choisi de ne rien faire parce que, par exemple, il craint que l’introduction d’une poursuite ne compromette ses chances d’obtenir un contrat dans l’avenir ou il ne désire pas être engagé dans un litige coûteux et long. Voir également l’ouvrage Locus Standi, à la page 171, dans lequel le juge Cromwell souligne que le droit s’en remet en général à la décision du [traduction] « demandeur le plus évident » de ne pas intenter des poursuites et, partant, n’accorde pas la qualité pour agir à une personne qui est moins touchée par la mesure administrative contestée.

[48]     Deuxièmement, il est vrai que les droits en matière de procédure servent également l’intérêt public dans le bon gouvernement, mais ce sont les titulaires des droits ou intérêts substantifs qui doivent personnellement s’en prévaloir. Par exemple, dans la plupart des cas, la personne qui a renoncé au droit à l’équité procédurale ne peut par la suite contester une décision administrative au motif que cette dernière a été prise en violation de l’équité : pour connaître les autorités pertinentes, voir Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles (Toronto : Canvasback Publishing, 1998), au paragraphe 11:5500.

[49]     La décision Ratepayers of the School District of the New Ross Consolidated School et al. and Chester and District Municipal School Board, Re (1979), 102 D.L.R. (3d) 586 (C.S. (1re inst.) N.-É.) est inhabituelle car elle attribue la qualité pour agir à un groupe de contribuables contestant le congédiement d’un directeur d’école au motif qu’il n’avait pas bénéficié d’une audience équitable, même si le directeur lui-même n’avait pas porté l’affaire en justice : voir David J. Mullan et Andrew J. Roman, « Minister of Justice of Canada v. Borowski: The Extent of the Citizen’s Right to Litigate the Lawfulness of Government Action » (1984), 4 Windsor Y.B. Access Just. 303, aux pages 339 à 341 et 349.

[50]     Troisièmement, le raisonnement de l’argument des appelantes portant qu’elles ont droit à l’équité procédurale suppose un déferlement alarmant de poursuites de la part de titulaires de droits procéduraux éventuels. Prenons par exemple, le cas d’employés de soumissionnaires non choisis ou de leurs sous-traitants qui perdent leur emploi en raison de l’attribution du contrat à un autre soumissionnaire. Les répercussions néfastes sur ces employés pourraient être aussi graves à leurs yeux que l’est la perte du contrat de sous‑traitance pour les appelantes. Il serait indûment formaliste d’affirmer que la position des appelantes est différente parce que leur contrat prévoyait que leur droit au partage des revenus prenait fin si le contrat pour le soutien des sous-marins n’était pas attribué à BAE.

[51]     Quatrièmement, les appelantes affirment que leur accorder le droit à l’équité procédurale servirait l’intérêt public, c’est-à-dire atteindre l’optimisation des ressources, en protégeant l’équité du processus d’acquisition; un processus inéquitable pourrait décourager les soumissionnaires à répondre aux demandes de propositions futures. Toutefois, étant donné que les soumissionnaires répondant à une demande de propositions ont des droits contractuels visant à assurer que leurs soumissions sont évaluées adéquatement et équitablement, il n’est pas nécessaire que les tribunaux élargissent la portée des droits procéduraux aux sous-traitants pour protéger l’intégrité du processus dans l’intérêt public. De surcroît, si un droit distinct à l’équité procédurale existait, il n’aurait pas été nécessaire que les tribunaux l’ait implicitement considéré comme faisant partie des conditions du contrat A.

[52]     Cinquièmement, l’intérêt public lié à l’efficacité du processus d’acquisition pourrait tout aussi bien être compromis par un élargissement de la portée du droit à l’équité procédurale comme le défendent les appelantes. Étendre la portée du droit à l’équité procédurale aux sous-traitants et, éventuellement, aux autres personnes lésées en raison de l’attribution d’un contrat, ne peut que compliquer le processus d’acquisition et introduire de nouvelles incertitudes dans des relations essentiellement commerciales.

[53]     Ajouter aux garanties contractuelles l’obligation d’équité prévue par la common law aurait comme conséquence de déjouer les attentes des parties. L’obligation d’équité fondée sur la common law pourrait aussi comprendre le droit pour les sous-traitants, et d’autres tiers, de participer au processus d’acquisition en faisant des déclarations avant que le contrat ne soit attribué. Comme il a déjà été mentionné, les appelantes auraient pu prendre les moyens nécessaires pour bénéficier de la protection du contrat A si elles en avaient fait le choix, y compris de l’obligation d’équité s’y rapportant.

[54]     Sixièmement, une fois un contrat attribué, le public a intérêt à éviter les retards indus liés à son exécution, et à s’assurer que le gouvernement est en mesure d’acquérir rapidement les biens et services dont il a besoin pour s’acquitter de ses obligations. La réparation habituelle pour la violation de contrat est l’octroi de dommages-intérêts, ce qui ne retarde pas l’exécution du contrat par le soumissionnaire retenu. En revanche, la réparation de droit public plus attentatoire recherchée par les appelantes est l’annulation du contrat attribué à CSMG afin que le processus d’acquisition puisse redémarrer. Le recours récent du gouvernement au financement pour des projets d’infrastructures prêts pour la mise en chantier dans le cadre d’une stratégie visant à favoriser la reprise économique illustre de façon très claire que les retards dans le démarrage des travaux financés par les fonds publics peuvent nuire à l’intérêt public.

[55]     Les arrêts Design Services et Dunsmuir, prononcés récemment par la Cour suprême du Canada, étayent la conclusion qu’il n’y avait pas d’obligation d’équité envers les appelantes dans le cadre du processus d’acquisition.

[56]     Les faits dans l’arrêt Design Services sont similaires à ceux de la présente espèce. Les appelantes étaient des sous-traitants d’un soumissionnaire non choisi pour un marché public. Comme en l’espèce, les appelantes dans l’arrêt Design Services auraient pu former une coentreprise avec le soumissionnaire non choisi, mais elles ne l’ont pas fait. Les sous-traitants et le soumissionnaire non choisi ont poursuivi le gouvernement en dommages-intérêts au motif que ce dernier avait adjugé le contrat à un soumissionnaire qui avait présenté une soumission non conforme. Toutefois, en règlement de sa réclamation, le soumissionnaire non choisi s’est désisté de son action.

[57]     La Cour devait trancher la question de savoir si le sous-traitant pouvait intenter une action fondée sur la négligence contre le gouvernement en raison de l’attribution du contrat à un soumissionnaire ayant présenté une soumission non conforme. Le juge Rothstein a affirmé ce qui suit en prononçant le jugement par lequel la Cour a rejeté l’appel (au paragraphe 56) :

Les appelantes tentent essentiellement, après coup, de se servir du droit de la responsabilité délictuelle à défaut de pouvoir se prévaloir du « contrat A ».  Après tout, les obligations dont les appelantes demandent l’application par le biais de la responsabilité délictuelle n’existent qu’à cause du « contrat A », auquel les appelantes ne sont pas parties.  À mon avis, la remarque du professeur Lewis N. Klar (Tort Law (3e éd. 2003), p. 201) — selon laquelle la régulation des relations commerciales relève normalement du droit des contrats — est particulière pertinente dans ce genre d’affaire.  Conclure qu’une action en responsabilité délictuelle est le recours approprié lorsque des parties commerciales ont volontairement organisé leurs affaires par contrat reviendrait à permettre un empiétement injustifié du droit de la responsabilité délictuelle sur le droit des contrats.

[58]     Les appelantes allèguent que l’arrêt Design Services se distingue de l’espèce parce que dans cette décision, la Cour était préoccupée par le fait que l’imposition d’une obligation de diligence augmenterait l’exposition du ministère public à une responsabilité financière possible allant bien au-delà des arrangements contractuels (aux paragraphes 59 à 66). En l’espèce, disent-elles, aucune action en dommage-intérêts n’a été intentée et la réparation demandée, à savoir l’annulation de l’attribution du contrat, ne peut être octroyée qu’une seule fois. Toutefois, à mon avis, il s’agit d’une interprétation trop restrictive de l’arrêt Design Services.

[59]     Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour a examiné (aux paragraphes 102 à 117) la pertinence de l’imposition d’une obligation d’équité avant le renvoi d’un employé de la Couronne et titulaire de charge publique. La Cour a statué que, en règle générale, une obligation d’équité procédurale, et les réparations autres que des dommages-intérêts pour violation de contrat, n’ont pas leur place dans une relation juridique entre le ministère public, d’une part, et les titulaires de charge publique et les employés, d’autre part, lorsque leur relation est essentiellement issue d’un contrat.

[60]     Certes, les faits en l’espèce sont différents de ceux dans l’arrêt Dunsmuir puisque les appelantes ne peuvent opposer aucun droit contractuel à TPSGC. Néanmoins, le raisonnement général formulé dans les arrêts Design Services et Dunsmuir tient à ce que lorsque la Couronne conclut un contrat, ses droits et obligations, ainsi que les recours dont elle dispose, doivent généralement être déterminés par le droit des contrats.

[61]     Enfin, si, dans une affaire, l’inconduite des autorités gouvernementales était accablante au point de mettre en jeu l’intérêt public de maintenir l’intégrité du processus d’acquisition, il ne faudrait pas que soit exclue la possibilité d’une intervention judiciaire sur l’initiative d’un sous-traitant. Toutefois, compte tenu des solides raisons pour lesquelles les litiges liés au processus d’acquisition devraient demeurer régis par le droit des contrats, tout contrôle judiciaire visant à demander à la Cour d’examiner l’équité du processus ne sera accordé à des sous-traitants que dans des circonstances exceptionnelles.

[62]     Selon moi, les faits en l’espèce sont loin de répondre au type de circonstances exceptionnelles pour lesquelles la Cour pourrait intervenir sur l’initiative d’un sous‑traitant. Les appelantes n’allèguent pas, par exemple, la fraude, la subornation, la corruption ou d’autres genres d’inconduites graves qui, si elles étaient prouvées, mettraient en péril la confiance du public quant à l’intégrité même du processus. En fait, dans ses motifs soigneusement rédigés, le juge des requêtes a expliqué la raison pour laquelle il n’était pas convaincu que, même si les appelantes avait qualité pour agir, elles avait démontré une violation de l’obligation d’équité, y compris une crainte raisonnable de partialité, de la part de TPSGC relativement à sa conduite dans le cadre du processus d’acquisition.

E.      CONCLUSIONS

[63]     Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

    Le juge en chef Richard : Je suis d’accord.

    Le juge Ryer, J.C.A. : Je suis d’accord.

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