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 [2012] 1 R.C.F. 304

A-348-09

2010 CAF 196

Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux (appelante)

c.

Municipalité régionale d’Halifax (intimée)

Répertorié : Halifax (Municipalité régionale) c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux)

Cour d’appel fédérale, juge en chef Blais, juges Evans et Sharlow, J.C.A.—Halifax, 25 mai; Ottawa, 21 juillet 2010.

Couronne –– Biens immeubles — Appel d’une décision de la Cour fédérale faisant droit à une demande de contrôle judiciaire annulant le calcul effectué par l’appelante des paiements en remplacement des impôts (PRI) en vertu de la Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôts à l’égard de la Citadelle-d’Halifax (Nouvelle-Écosse) — Les parties ne s’entendaient pas quant aux PRI payables à l’égard de la Citadelle pour les années 1997 à 2007 — L’appelante avait adopté l’estimation de la valeur de la Citadelle contenue dans le rapport d’un Comité consultatif sur le règlement des différends — L’évaluation de la Citadelle pour l’application des PRI, notamment le terrain occupé par le glacis, les casemates et les demi-casemates ainsi que le terrain sous celles-ci, était contestée — L’étendue du pouvoir discrétionnaire conféré à l’appelante pour déterminer la « valeur effective » était en cause; il s’agissait de savoir si l’évaluation de la Citadelle effectuée par l’appelante était, pour l’application des PRI, raisonnable — Le pouvoir discrétionnaire de l’appelante pour déterminer la valeur d’une propriété fédérale est limité par la définition de « valeur effective » prévue à l’art. 2(1) de la Loi, l’opinion devant avoir été formée sur la valeur qu’une autorité évaluatrice lui aurait attribuée — Néanmoins, l’appelante disposait d’un certain pouvoir discrétionnaire pour former une opinion en vertu de la Loi sur la valeur de la propriété en cause — Dans les circonstances, l’appelante n’était pas liée ni par une évaluation effectivement réalisée par l’autorité de la Nouvelle-Écosse, ni par une évaluation préparée par un évaluateur en vue de l’audience devant le comité consultatif — Il était loisible à l’appelante de rejeter l’évaluation faite par l’intimée en l’espèce si elle était convaincue que la démarche adoptée était contraire aux principes d’évaluation foncière généralement reconnus — Bien que les motifs donnés par le comité consultatif relativement aux différences dans la valeur attribuée à certains éléments de la Citadelle soient nébuleux, le fondement de la décision était suffisamment clair, lorsqu’on lit l’ensemble du rapport — Même si l’appelante n’a pas attribué une valeur considérable à la majeure partie du terrain de la Citadelle, soit le terrain occupé par le glacis, l’explication donnée fournissait une justification raisonnable — Cependant, la Cour n’était pas en mesure de décider, à la lumière du dossier, si la dépréciation de la part de l’appelante de la valeur des casemates et des demi-casemates en raison de leur sous-utilisation était raisonnable — Par conséquent, les motifs du comité consultatif n’expliquaient pas de façon satisfaisante le fondement de l’évaluation de l’appelante — Appel accueilli en partie — La juge Sharlow, J.C.A. (dissidente) : Le rapport du Comité consultatif sur le règlement des différends n’expliquait pas de façon satisfaisante pourquoi le terrain de la Citadelle occupé par le glacis était évalué à 10 $ — Sans cette explication, l’évaluation globale du terrain de la Citadelle n’était pas raisonnable.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale faisant droit à une demande de contrôle judiciaire annulant le calcul effectué par l’appelante des paiements en remplacement des impôts (PRI) en vertu de la Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôts à l’égard de la Citadelle-d’Halifax, un lieu historique national du Canada. La Cour fédérale a conclu que la décision de l’appelante était déraisonnable parce que les motifs au soutien de sa décision étaient insuffisants. L’appelante avait essentiellement adopté l’estimation de la valeur de la Citadelle contenue dans le rapport d’un Comité consultatif sur le règlement des différends comme base de son évaluation de la Citadelle en application des PRI. Depuis un certain temps, l’intimée affirmait que les PRI pour la Citadelle étaient insuffisants parce que l’évaluation qu’en avait faite l’appelante était trop basse. Pour les années 1997 à 2007, l’intimée avait réclamé plus de 15,5 millions de dollars de PRI alors que l’appelante avait versé un peu plus de 2,2 millions de dollars. Bien que les parties se soient entendues sur la valeur de certains éléments de la Citadelle, d’autres éléments demeuraient objet de litige, notamment le terrain occupé par le glacis, les casemates et les demi-casemates ainsi que le terrain sous celles-ci. Un Comité consultatif sur le règlement des différends a été constitué à la demande de l’intimée. Le différend principal entre les parties portait sur la valeur des quelque 42 acres de terrain occupées par le glacis, qui avaient été évaluées à 10 $. De même, la valeur qu’a attribuée l’appelante aux casemates et aux demi-casemates a été contestée durant les années 1997 à 2000, avant leur exclusion de l’estimation de la valeur de la Citadelle.

  La question à trancher avait trait à l’étendue du pouvoir discrétionnaire conféré à l’appelante pour déterminer la « valeur effective » en application de la Loi et il fallait déterminer si cette évaluation du terrain de la Citadelle et de certains bâtiments était, pour l’application ces PRI, autorisée par la Loi.

Arrêt (la juge Sharlow, J.C.A., dissidente) : l’appel doit être accueilli en partie.

Le juge Evans, J.C.A. (le juge en chef Blais souscrivant à ces motifs) : La définition de « valeur effective » prévue au paragraphe 2(1) de la Loi limite le pouvoir discrétionnaire de l’appelante en exigeant qu’elle se forme une opinion sur la valeur qu’« une autorité évaluatrice déterminerait […] comme base du calcul de l’impôt foncier qui serait applicable à une propriété fédérale » si celle‑ci était une propriété imposable. Malgré certaines limites, l’appelante dispose d’un certain pouvoir discrétionnaire pour se former une opinion, aux termes de la Loi, sur la valeur que l’autorité évaluatrice compétente attribuerait à la propriété fédérale en cause si celle‑ci était imposable. La définition du terme « assessable property » (propriété imposable) donnée aux sous-alinéas 2(1)aa)(i) et (v) de l’Assessment Act de la Nouvelle-Écosse est suffisamment large pour inclure le terrain et les bâtiments de la Citadelle. Dans les circonstances, l’appelante, pour se former une opinion sur la valeur de la Citadelle pour l’application des PRI, n’était pas liée ni par une évaluation effectivement réalisée par l’autorité de la Nouvelle-Écosse, ni par une évaluation préparée en vue de l’audience devant le comité consultatif par un évaluateur au service de l’autorité évaluatrice. Il était loisible à l’appelante de rejeter l’évaluation faite par l’intimée en l’espèce si elle était convaincue que la démarche adoptée par l’autorité évaluatrice était contraire aux principes d’évaluation foncière généralement reconnus.

Bien que les motifs donnés par le comité consultatif en l’espèce relativement aux différences dans la valeur attribuée au terrain occupé par le glacis et dans celle attribuée au terrain occupé par les casemates et les demi‑casemates ne soient pas un modèle de clarté, le fondement de la décision du comité consultatif était suffisamment clair, lorsqu’on lit l’ensemble de son rapport. Le moyen le plus convaincant pour contester le caractère raisonnable de l’évaluation de l’appelante, fixée à 2 038 833 $ pour la totalité du terrain, est qu’elle n’a attribué aucune valeur concrète à la plus grande partie du terrain de la Citadelle, soit le terrain occupé par le glacis. Toutefois, l’explication donnée fournissait une justification raisonnable à cette apparente anomalie. Conformément à l’utilisation optimale de la Citadelle, le terrain sur lequel sont érigés les bâtiments des casemates et des demi‑casemates peut être utilisé pour servir d’édifice à bureaux et de lieu d’entreposage, alors que le terrain du glacis ne peut servir à rien d’autre que sa propre vocation comme partie intégrante de la fortification.

S’agissant de la dépréciation de la part de l’appelante de la valeur des casemates et des demi-casemates en raison de leur sous-utilisation, la Cour n’était pas en mesure de décider si la décision de l’appelante était raisonnable. Par conséquent, les motifs du comité consultatif n’expliquaient pas de façon satisfaisante le fondement de l’évaluation de l’appelante relative aux casemates et aux demi‑casemates et cette partie de la décision a été annulée.         

La juge Sharlow, J.C.A. (dissidente) : La conclusion de la majorité relativement à l’étendue du pouvoir discrétionnaire de l’appelante et la suffisance des motifs du comité consultatif quant à l’évaluation faite par l’appelante des casemates et des demi-casemates était juste. Cependant, le rapport du comité consultatif n’expliquait pas de façon satisfaisante pourquoi le terrain occupé par le glacis, qui couvre une superficie d’environ 42 acres, était évalué à 10 $. Sans cette explication, l’évaluation globale du terrain n’était pas raisonnable.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Assessment Act, R.S.N.S. 1989, ch. 23, art. 2(1) « assessable property », 5(1)a), 42(1) (mod. par S.N.S. 2004, ch. 10, art. 2), 52 (mod. par S.N.S. 1990, ch. 19, art. 16).

Décret sur les parcs historiques nationaux, C.R.C., ch. 1112, ann., art. 1.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 125.

Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôts, L.R.C. (1985), ch. M-13, art. 1 (mod. par L.C. 2000, ch. 8, art. 2), 2(1) « propriété fédérale » (mod., idem, art. 3), « valeur effective » (mod., idem), (3) (mod., idem), 2.1 (édicté, idem, art. 4), 3(1) (mod., idem, art. 5), 11.1 (édicté, idem, art. 14; 2003, ch. 22, art. 224), 15 (mod., idem, art. 15).

Règlement modifiant certains règlements pris en vertu de la Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôts et modifiant les annexes I à III de cette Loi, DORS/2001-494, art. 23.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Montréal (Ville) c. Administration portuaire de Montréal, 2010 CSC 14, [2010] 1 R.C.S. 427.

décisions examinées :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339.

décision citée :

Toronto (Ville) c. Administration portuaire de Toronto, 2010 CF 687.

  APPEL d’une décision (2009 CF 670) de la Cour fédérale faisant droit à une demande de contrôle judiciaire annulant le calcul effectué par l’appelante des paiements en remplacement des impôts en vertu de la Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôts à l’égard de la Citadelle-d’Halifax. Appel accueilli en partie, la juge Sharlow, J.C.A. étant dissidente.

ONT COMPARU

Reinhold M. Endres, c.r. et Clifford A. Soward pour l’appelante.

Daniel M. Campbell, c.r. et Joseph F. Burke pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.

Cox & Palmer, Halifax, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A. :

A.        INTRODUCTION

[1]        Les terres et propriétés appartenant à la Couronne fédérale sont exemptes d’imposition provinciale et municipale en vertu de l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]]. Afin d’indemniser les municipalités de la perte de revenus qu’entraîne pour elles cette disposition, la Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôts, L.R.C. (1985), ch. M‑13 [art. 1 (mod. par L.C. 2000, ch. 8, art. 2)] (la LPRI ou la Loi), autorise le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada (le ministre) à effectuer des paiements en remplacement des impôts [PRI] qui auraient été versés à la municipalité si la propriété fédérale en cause avait été assujettie à l’impôt.

[2]        Le montant des PRI applicables à une propriété fédérale dépend de deux facteurs : la valeur de la propriété et le taux effectif d’imposition qui lui est applicable. Une autorité taxatrice, en général une municipalité, peut présenter une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale au motif que le calcul des PRI effectué par le ministre n’est pas conforme à la Loi. Toutefois, conformément au principe de l’immunité fiscale constitutionnelle accordée aux propriétés fédérales, la Loi ne confère pas un droit de recevoir des PRI. Les paiements effectués en vertu de la Loi le sont à titre gracieux.

[3]        En l’espèce, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre, a interjeté appel d’une décision de la Cour fédérale (2009 CF 670) par laquelle le juge Phelan (le juge de première instance) a fait droit à une demande de contrôle judiciaire introduite par la municipalité régionale d’Halifax (Halifax), l’autorité taxatrice, et a annulé le calcul de PRI du ministre à l’égard de la Citadelle-d’Halifax, un lieu historique national du Canada. Le juge Phelan a conclu que la décision du ministre est déraisonnable parce que les motifs au soutien de sa décision sont insuffisants.

[4]        Sauf pour une modification mineure, le ministre a adopté l’estimation de la valeur de la Citadelle contenue dans le rapport d’un Comité consultatif sur le règlement des différends; un tel comité est constitué en vertu de l’article 11.1 [édicté par L.C. 2000, ch. 8, art. 14; 2003, ch. 22, art. 224] de la Loi lorsqu’une autorité taxatrice est en désaccord avec l’évaluation d’une propriété fédérale faite par le ministre dans le cadre de la Loi.

[5]        Se fondant sur la valeur totale attribuée à la Citadelle, Halifax a réclamé plus de 15,5 millions de dollars de PRI pour les années 1997 à 2007. Durant cette période, le ministre a versé un peu plus de 2,2 millions de dollars. Après avoir examiné le rapport du comité consultatif, le ministre a convenu que les PRI versés à la Citadelle pour ces années étaient insuffisants, mais il a évalué cette insuffisance à 324 441 $ seulement.

[6]        Je suis d’accord avec le juge de première instance pour dire que dans le cas présent, la norme de contrôle applicable au calcul des PRI par le ministre est celle de la décision déraisonnable. Je suis d’avis, avec égards, que les motifs du ministre sont suffisants pour satisfaire aux exigences relatives à la transparence et à la force probante en ce qui concerne le terrain de la Citadelle, et que le résultat du processus d’évaluation appartient aux options qui s’offraient raisonnablement au ministre au regard des faits et du droit. Toutefois, je conviens que les motifs fournis par le ministre pour justifier l’évaluation en litige des bâtiments du terrain de la Citadelle sont insuffisants, et j’annulerais cette partie de la décision du ministre. En conséquence, j’accueillerais l’appel du ministre pour ce qui est de l’évaluation du terrain.

B.        CONTEXTE FACTUEL

[7]        Les faits essentiels ne sont pas contestés. La Citadelle-d’Halifax, le lieu historique national le plus fréquemment visité du Canada, est construite sur une colline qui surplombe la ville et occupe un terrain d’une superficie totale de 48,5 acres dans le centre de la ville. Environ six acres du terrain sont occupés par les bâtiments de la fortification militaire du XIXe siècle — des remparts, des casemates (structures à l’épreuve des obus construites dans les remparts initialement utilisés pour l’entreposage), une maison de trois étages (dont les deux premiers comprennent des demi‑casemates) et d’autres plus petits bâtiments.

[8]        Le talus gazonné qui descend des remparts jusqu’aux routes à ses pieds couvre environ 42 acres, soit près de 90 p. 100 de tout le terrain de la Citadelle. Le terme historique pour désigner cette partie de la fortification est « glacis ». À l’origine, le glacis était destiné à procurer un champ de tir dégagé devant permettre aux troupes dans la Citadelle de repousser les attaquants. Aujourd’hui, il offre également un endroit agréable aux visiteurs de la Citadelle et à quiconque souhaite s’asseoir et admirer la vue, pique-niquer, faire voler un cerf‑volant et profiter de cette oasis paisible de verdure au cœur de la vie urbaine d’Halifax.

[9]        Depuis un certain temps, Halifax se plaint de ce que les PRI pour la Citadelle sont insuffisants parce que l’évaluation qu’en fait le ministre est trop basse. Ainsi, pour l’année d’imposition 2005, la Division des services d’évaluation de Services Nouvelle‑Écosse et Relations avec les municipalités, l’autorité d’évaluation foncière de la province, a estimé à plus de 38 millions de dollars la valeur de l’ensemble du site de la Citadelle. Se fondant sur cette évaluation, Halifax a affirmé qu’elle aurait dû recevoir, pour l’année 2005, plus de 1,3 million de dollars de PRI. Or, le ministre a évalué le site à 5,3 millions de dollars seulement et a versé des PRI de près de 191 000 $. À la suite de négociations, les parties se sont entendues sur la valeur de certains éléments de la Citadelle.

[10]      D’autres éléments, cependant, demeurent objet de litige : c’est le cas du terrain occupé par le glacis, des casemates et des demi‑casemates ainsi que du terrain sur lequel celles‑ci sont construites. Sur demande d’Halifax, le ministre a constitué un Comité consultatif sur le règlement des différends afin de le conseiller sur la valeur de ces éléments de la Citadelle.

[11]      Le différend le plus important entre les parties porte sur la valeur des quelque 42 acres de terrain occupées par le glacis, auquel le ministre a attribué une valeur nominale de 10 $. Néanmoins, le ministre a évalué à 1,55 million de dollars une superficie du terrain beaucoup plus petite (60 542 pieds carrés) occupée par les casemates et les demi‑casemates. En revanche, Halifax, s’appuyant sur un rapport de Kathy Barss, évaluatrice foncière au service de l’autorité évaluatrice, prétend que la valeur totale du terrain occupé par la Citadelle est de 19 millions de dollars, un chiffre qui s’apparente à celui de l’évaluation qui en avait été faite antérieurement par l’autorité évaluatrice provinciale.

[12]      L’évaluation du terrain s’appliquait à l’année d’imposition 2005. La [traduction] « date de base » aux fins de l’évaluation était le 1er janvier 2003, ainsi que l’a prescrit le directeur de l’évaluation en vertu de l’Assessment Act de la Nouvelle‑Écosse, R.S.N.S. 1989, ch. 23. L’année d’évaluation des casemates et des demi‑casemates était 1997; ces éléments (ainsi que le terrain sur lequel ils sont érigés) ont été exclus du calcul des PRI par le ministre en 2001 par suite d’une modification ([Règlement modifiant certains règlements pris en vertu de la Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôts et modifiant les annexes I à III de cette Loi] DORS/2001‑494, art. 23) apportée à l’annexe II de la LPRI.

[13]      Les parties s’entendent pour dire que l’utilisation optimale de la Citadelle est celle de lieu historique national, qui est son utilisation actuelle et demeurera vraisemblablement son utilisation future. La Citadelle est entretenue et exploitée par Parcs Canada, qui subit une perte annuelle de revenus variant de moins de 1,5 million à près de 2 millions de dollars. Actuellement, pour les besoins du zonage, Halifax considère la Citadelle comme un parc régional.

[14]      Il est pour le moins improbable que le Parlement révoque la désignation de lieu historique national octroyée à la Citadelle en vertu du Décret sur les parcs historiques nationaux, C.R.C., ch. 1112, ann., art. 1, et en autorise la vente à l’enchérisseur le plus offrant à des fins de développement qui pourraient être permises par les règlements de zonage d’Halifax. Le ministre explique que, contrairement à l’évaluation sur laquelle Halifax s’appuie, son évaluation tient compte de la réalité de l’usage restreint du terrain résultant tant du statut de lieu historique national de la Citadelle que du zonage municipal existant en matière d’utilisation du terrain.

[15]      Halifax conteste également la valeur qu’attribue le ministre aux casemates et demi‑casemates. Bien que celles‑ci ne puissent plus prétendre au statut d’améliorations admissibles et soient donc exclues de toute estimation de la valeur de la Citadelle, les parties ne s’entendent pas sur leur valeur durant les années 1997 à 2000, alors qu’elles constituaient des améliorations admissibles du terrain dans le cadre des PRI.

[16]      De l’avis du ministre, la valeur attribuée aux casemates et aux demi‑casemates devrait être réduite d’un montant qui tient compte non seulement de leur dépréciation physique, mais aussi de la désuétude fonctionnelle découlant de leur sous‑utilisation : en effet, nombre d’entre elles sont vides ou ne servent qu’à de l’entreposage occasionnel. De ce fait, le ministre a estimé leur valeur à un peu plus de 2,5 millions de dollars, alors qu’Halifax les a évaluées à un peu plus de 7,3 millions de dollars.

C.        LE RAPPORT DU COMITÉ CONSULTATIF

[17]      La demande de contrôle judiciaire qui fait l’objet de l’appel a été instruite en partant du principe que le rapport du comité consultatif, qui ne liait pas le ministre, constitue les motifs du ministre dès que celui‑ci a retenu le rapport, en n’y apportant qu’une modification mineure, comme base de son évaluation de la Citadelle en application de la LPRI.

[18]      Le comité consultatif a appuyé ses recommandations au ministre sur les observations des parties, les témoignages entendus et les documents que les témoins ont présentés. Le témoin principal pour le compte d’Halifax a été Mme Barss. Dans un volumineux rapport d’évaluation préparé en vue de sa comparution devant le comité, elle explique que les terrains tirent leur valeur des terrains voisins et qu’elle a en conséquence procédé à l’évaluation de la Citadelle en étudiant le prix de vente de terrains comparables situés à Halifax.

[19]      À partir d’une analyse d’autres sites au Canada et de propriétés locales désignées comme lieux patrimoniaux, elle a estimé que la valeur du terrain de la Citadelle ne devrait pas être diminuée en raison de son statut de lieu historique national. Elle a également déclaré que son analyse ne tient pas compte du fait que des différences dans le zonage pourraient se traduire par des différences dans la valeur des terrains. Elle a évalué le terrain de la Citadelle, une fois effectués les ajustements quant à la superficie, à 19 millions de dollars. Son évaluation du terrain et des bâtiments de la Citadelle, qui s’élève à un peu plus de 39 millions de dollars, dépasse d’environ un million de dollars l’évaluation qu’en a faite l’autorité évaluatrice pour l’année d’imposition 2005. Toutefois, l’évaluation de Mme Barss inclut 11 millions de dollars pour des éléments de la Citadelle qui ne sont pas admissibles aux PRI.

[20]      Mme Barss a expliqué qu’elle avait évalué le terrain de la Citadelle selon les critères qu’utiliserait l’autorité évaluatrice de la Nouvelle‑Écosse en vertu du paragraphe 42(1) [mod. par S.N.S. 2004, ch. 10, art. 2] de l’Assessment Act. Cette disposition prévoit que toutes les propriétés doivent être évaluées à leur valeur marchande, soit le montant que, de l’avis d’un évaluateur, un acheteur consentant paierait pour la propriété à un vendeur consentant.

[21]      Toutefois, pour formuler son avis, l’évaluateur doit tenir compte de l’évaluation d’autres propriétés dans la municipalité afin de s’assurer que les impôts s’appliquent de manière uniforme au sein des trois catégories de propriété aux fins d’imposition, à savoir les propriétés résidentielles, les propriétés de ressources et les propriétés commerciales : paragraphe 2(1). Il a été convenu à l’audience que [traduction] selon le « principe de l’uniformité », le ratio entre la valeur attribuée et la valeur marchande réelle devrait être le même pour toutes les propriétés dans les différentes catégories.

[22]      La Citadelle entre dans la catégorie des propriétés commerciales sous le régime de l’Assessment Act, car elle n’est ni une propriété résidentielle, ni une propriété de ressources. Pour déterminer la valeur de la Citadelle, Mme Barss a examiné le prix auquel d’autres terrains d’Halifax dans la catégorie commerciale avaient été vendus, même si : l’utilisation du terrain n’était pas assujettie au genre de restrictions imposées à l’utilisation de la Citadelle du fait qu’elle est un lieu historique national; le terrain présentait des utilisations optimales différentes; le terrain était classé différemment en ce qui a trait au zonage.

[23]      John Sparling, métreur vérificateur et inspecteur en bâtiment agréé au service de l’autorité évaluatrice, a témoigné sur la valeur des casemates et des demi‑casemates. Son évaluation ne prend en compte aucune désuétude fonctionnelle, car, explique-t-il, la sous‑utilisation des casemates et des demi‑casemates tient à ce que celles‑ci font partie d’un musée vivant et que leur utilisation initiale doit être maintenue.

[24]      Charles Hardy, évaluateur de propriétés et premier vice‑président de Altus Group Limited, a préparé un rapport d’évaluation de la Citadelle à l’intention du ministre. Contrairement à Mme Barss, il a considéré les restrictions à l’utilisation de la Citadelle comme une caractéristique inhérente à son statut de lieu historique national et a estimé que son zonage constitue un élément essentiel dans la détermination de la valeur du terrain de la Citadelle.

[25]      M. Hardy a déclaré avoir été guidé dans son évaluation par la plus récente ébauche de « Best Practices », un document sur l’évaluation de lieux historiques dont il est l’auteur. Travaux publics et Services gouvernementaux Canada a aussi pris part à l’élaboration du document.

[26]      Ce document est manifestement controversé. Il était encore à l’étape de l’ébauche et n’avait été adopté ni par l’Institut canadien des évaluateurs ni par les municipalités canadiennes. De fait, la Fédération canadienne des municipalités s’est retirée du projet en 2006, et Mme Barss a affirmé que l’approche décrite dans « Best Practices » n’était acceptée ni par Halifax ni par l’autorité évaluatrice. Néanmoins, selon moi, le fait que M. Hardy a utilisé le document « Best Practices » est sans conséquence, car celui‑ci a attesté que le document n’a pas influé sur son application d’une méthodologie d’évaluation plus classique, et sa déclaration à cet égard n’a pas été contestée.

[27]      Le comité consultatif a conclu que pour déterminer la valeur marchande d’un terrain, il faut tenir compte des facteurs qui auraient une incidence sur le prix qu’un acheteur prudent serait disposé à payer pour en faire l’acquisition, y compris les restrictions imposées par la loi et par le zonage. Aussi a-t-il rejeté toutes les ventes retenues par Mme Barss à titre d’éléments de comparaison, sauf une, parce que l’utilisation optimale des terrains était différente de l’utilisation restreinte qui peut être faite du terrain de la Citadelle en raison de sa désignation de lieu historique national et de son zonage.

[28]      Cependant, le comité a accepté comme élément de comparaison une parcelle de terrain sur laquelle se trouve un bâtiment (la vente no 8) et a estimé que cet exemple pouvait servir à attribuer une valeur au terrain de la Citadelle, parce que la parcelle de terrain en cause relevait de la même catégorie que la Citadelle en ce qui a trait au zonage. Néanmoins, le comité a refusé d’évaluer l’ensemble du terrain de la Citadelle en fonction du prix payé pour le terrain dans la vente no 8, en raison de la présence du glacis, qui représente la plus grande partie du terrain de la Citadelle. Le comité a fait remarquer que le glacis était un élément essentiel d’une fortification de l’époque que fait revivre la Citadelle. Après avoir procédé aux ajustements de superficie effectués par Mme Barss, le comité s’est servi de la vente no 8 pour arrêter la valeur des 60 542 pieds carrés du terrain occupé par les casemates et les demi‑casemates, qu’il a fixée à 1,55 million de dollars.

[29]      Dans son rapport, le comité consultatif a recommandé que l’ensemble du terrain de la citadelle soit évalué à 1,55 million de dollars. Toutefois, dans une rectification subséquente, le comité a notamment ajouté 10 $ à la valeur du terrain. Bien qu’il ne l’ait pas précisé, le comité a dû ajouter ce montant pour rendre compte de la valeur nominale que M. Hardy a attribuée au terrain occupé par le glacis.

[30]      Quant à la valeur attribuée aux casemates pour les années durant lesquelles elles constituaient des améliorations admissibles, le comité a accepté la méthodologie d’évaluation des coûts de M. Sparling, mais il a préféré la preuve de M. Hardy pour ce qui est du calcul de leur dépréciation. En conséquence, le comité a estimé la valeur des casemates à 2 556 200 $.

[31]      Le comité consultatif a donc évalué les éléments en litige (le terrain, les casemates et les demi‑casemates) à 4 106 210 $. L’évaluation finale, par le ministre, du terrain et de toutes les améliorations admissibles de la Citadelle, y compris les éléments non contestés, est de 9 330 583 $. L’évaluation des éléments équivalents par Mme Barss s’élève à environ 28 millions de dollars, une fois soustrait 11 millions de dollars d’améliorations non admissibles de son évaluation de l’ensemble de la Citadelle, qu’elle a fixée à plus de 39 millions de dollars.

D.        DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[32]      Le juge de première instance a appliqué la norme de contrôle de la raisonnabilité pour examiner l’évaluation du ministre et a conclu que les motifs au soutien de la décision ministérielle étaient insuffisants à plusieurs égards. Premièrement, le comité consultatif n’a pas expliqué pourquoi une approche fondée sur la valeur marchande établirait une distinction entre le terrain de la Citadelle occupé par des améliorations admissibles et le terrain occupé par le glacis, qui ne constitue pas une amélioration admissible. Deuxièmement, le comité, qui a rejeté la vente no 8 à titre d’élément de comparaison pour l’évaluation du terrain occupé par le glacis, s’est pourtant, sans explication, servi de cette vente pour évaluer le terrain occupé par les améliorations admissibles. Troisièmement, le comité a évalué le terrain occupé par le glacis à 10 $, mais n’a pas expliqué de façon satisfaisante pourquoi le terrain occupé par les améliorations admissibles avait une valeur beaucoup plus élevée. Ces questions sont étroitement liées.

[33]      Quatrièmement, le comité consultatif n’a pas justifié pourquoi il a réduit la valeur des casemates et des demi‑casemates pour cause de désuétude fonctionnelle alors que ces éléments, qui font partie intégrante d’un lieu historique national et d’un musée vivant, doivent être maintenus dans l’état de l’époque de leur construction. En outre, le taux de dévaluation de 50 p. 100 retenu par le comité n’est étayé par aucun élément de preuve.

[34]      En conséquence, le juge de première instance a annulé la décision du ministre et renvoyé l’affaire pour nouvelle décision, en précisant que si le ministre décidait de recourir à un comité consultatif, celui‑ci devrait être différemment constitué.

E.        CADRE LÉGISLATIF

[35]      L’immunité fiscale dont bénéficient les propriétés fédérales est établie à l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 :

125. Nulle terre ou propriété appartenant au Canada ou à aucune province en particulier ne sera sujette à la taxation.

Terres publiques, etc., exemptées des taxes

[36]    La décision ministérielle contestée en l’espèce a été rendue sous le régime de la Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôts, dont l’objet est énoncé à l’article 2.1 [édicté par L.C. 2001, ch. 8, art. 4] :

2.1 La présente loi a pour objet l’administration juste et équitable des paiements versés en remplacement d’impôts.

Objet

[37]      Lorsque survient un différend entre le ministre et une municipalité, le ministre peut constituer un comité consultatif pour le conseiller sur le règlement du différend. Le paragraphe 11.1(2) spécifie le rôle que joue dans ce processus un comité consultatif nommé par le gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 11.1(1) en cas de différend :

11.1 […]

(2) Le comité a pour mandat de donner des avis au ministre relativement à une propriété fédérale en cas de désaccord avec une autorité taxatrice sur la valeur effective, la dimension effective ou le taux effectif ou sur l’augmentation ou non d’un paiement au titre du paragraphe 3(1.1).

Mandat

[38]      Le terme « valeur effective » [mod., idem, art. 3] est défini au paragraphe 2(1) :

2. (1) […]

« valeur effective » Valeur que, selon le ministre, une autorité évaluatrice déterminerait, compte non tenu des droits miniers et des éléments décoratifs ou non fonctionnels, comme base du calcul de l’impôt foncier qui serait applicable à une propriété fédérale si celle-ci était une propriété imposable. [Non souligné dans l’original.]

Définitions

[39]      La définition de « propriété fédérale » [mod., idem] inclut les lieux historiques nationaux du Canada :

2. […]

(3) Sont exclus de la définition de « propriété fédérale » au paragraphe (1) :

[…]

c) les immeubles et les biens réels aménagés en parc et utilisés comme tels dans une zone classée comme « urbaine » par Statistique Canada lors de son dernier recensement de la population canadienne, sauf […] les lieux historiques nationaux […]

Exclusions : propriété fédérale

[40]      Le paragraphe 3(1) [mod., idem, art. 5] autorise le ministre à verser des paiements en remplacement d’impôts fonciers aux autorités taxatrices de l’endroit où est située la propriété fédérale. Toutefois, étant donné l’immunité constitutionnelle accordée aux propriétés fédérales à l’égard des impôts provinciaux et municipaux, l’article 15 [mod., idem, art. 15] prévoit que la Loi ne confère aucun droit à un paiement en remplacement d’impôts :

3. (1) Le ministre peut, pour toute propriété fédérale située sur le territoire où une autorité taxatrice est habilitée à lever et à percevoir l’un ou l’autre des impôts mentionnés aux alinéas a) et b), et sur réception d’une demande à cet effet établie en la forme qu’il a fixée ou approuvée, verser sur le Trésor un paiement à l’autorité taxatrice :

a) en remplacement de l’impôt foncier pour une année d’imposition donnée;

[…]

Paiements

15. La présente loi ne confère aucun droit à un paiement.

Absence de droit

[41]      Étant donné que « valeur effective », selon la définition donnée au paragraphe 2(1), s’entend de la valeur qu’une autorité évaluatrice déterminerait à l’égard d’une propriété fédérale si celle‑ci était une propriété imposable, les dispositions de l’Assessment Act de la Nouvelle‑Écosse sont pertinentes pour déterminer la valeur de la Citadelle. En l’espèce, il est suffisant d’en reproduire le paragraphe 42(1) :

[traduction]

42 (1) Toute propriété est évaluée à sa valeur marchande, cette valeur correspondant au montant qui serait payé, de l’avis de l’évaluateur, si elle avait été vendue à une date prescrite par le Directeur sur le marché libre par un vendeur consentant à un acheteur consentant. Toutefois, pour formuler son avis, l’évaluateur tient compte de l’évaluation d’autres propriétés de la municipalité afin de s’assurer que, sous réserve de l’article 45A, les impôts s’appliquent d’une manière uniforme, d’une part, à toutes les propriétés résidentielles et de ressources et, d’autre part, à toutes les propriétés commerciales de la municipalité.

Évaluation

F.         QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

i) Normes de contrôle

[42]      Dans le présent appel, la Cour doit décider si la valeur attribuée par le ministre, pour l’application des PRI, au terrain de la Citadelle et à certains bâtiments qui s’y trouvent est autorisée par la Loi. Dans l’arrêt Montréal (Ville) c. Administration portuaire de Montréal, 2010 CSC 14, [2010] 1 R.C.S. 427 (Administration portuaire de Montréal), rendu après que le juge de première instance en l’espèce eut rendu sa décision, la Cour suprême du Canada a statué (au paragraphe 22) que la détermination de la valeur effective d’une propriété fédérale dans le cadre de la LPRI suppose l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, parce que le terme « valeur effective » est défini comme suit au paragraphe 2(1) de la Loi :

Valeur que, selon le ministre, une autorité évaluatrice déterminerait […] comme base du calcul de l’impôt foncier qui serait applicable à une propriété fédérale si celle‑ci était une propriété imposable. [Non souligné dans l’original.]

[43]      La question dans cette affaire était de savoir si deux sociétés d’État fédérales auxquelles la LPRI s’applique avaient, pour le calcul du montant des PRI, retenu le taux effectif d’imposition approprié à l’égard de propriétés dont elles étaient propriétaires à Montréal. La Cour (au paragraphe 36) a appliqué la norme de la raisonnabilité à la décision des sociétés d’État, parce que le taux effectif d’imposition relève de leur opinion et suppose donc l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.

[44]      La définition de « valeur effective » au paragraphe 2(1) de la Loi fait aussi intervenir l’opinion du ministre, de sorte que la détermination de la valeur effective de la Citadelle est une décision discrétionnaire soumise à la norme de contrôle de la raisonnabilité. Le juge Phelan est arrivé à la même conclusion dans une décision toute récente : Toronto (Ville) c. Administration portuaire de Toronto, 2010 CF 687, aux paragraphes 42 à 45 (Administration portuaire de Toronto).

[45]      Les parties ont également présenté des observations sur la norme de contrôle que doit appliquer la Cour relativement à l’étendue du pouvoir discrétionnaire conféré par la loi au ministre pour déterminer la « valeur effective » de propriétés fédérales. Halifax soutient que la norme de la décision correcte s’applique, alors que le ministre est d’avis que son pouvoir discrétionnaire porte aussi sur cette question d’interprétation législative et qu’en conséquence, la norme de la décision déraisonnable s’applique à sa décision quant à l’étendue de ce pouvoir.

[46]      Dans l’arrêt Administration portuaire de Montréal, la Cour suprême semble avoir appliqué la norme de la décision correcte à l’étendue du pouvoir discrétionnaire des sociétés d’État. Par exemple, la Cour a déclaré (au paragraphe 33) :

La loi et les règlements délimitent l’étendue du pouvoir discrétionnaire ainsi que les principes qui gouverneront son exercice et permettront d’apprécier le caractère raisonnable de celui‑ci.

Aucune indication, dans les motifs de la Cour, ne donne à penser que la Cour a fait preuve de déférence envers l’interprétation des sociétés de la Couronne quant à l’étendue du pouvoir discrétionnaire que leur confère la loi.

[47]      Malgré l’absence d’analyse, l’opinion de la Cour est suffisamment claire pour être concluante en l’espèce. Partant, l’interprétation du ministre quant à l’étendue de son pouvoir discrétionnaire dans l’évaluation de propriétés fédérales dans le cadre de la Loi doit être correcte pour être confirmée dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[48]      Halifax a aussi avancé que le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre pour l’évaluation des propriétés fédérales est limité, en ce qu’il ne peut rejeter l’évaluation d’une autorité évaluatrice que si elle est déraisonnable. Je ne suis pas d’accord. Le ministre ne procède pas à l’examen de l’évaluation qu’a faite l’autorité évaluatrice de la valeur d’une propriété fédérale. Le rôle du ministre, aux termes de la LPRI, est de se former une opinion relativement à la valeur que l’autorité évaluatrice attribuerait à la propriété fédérale si celle‑ci était imposable. Pour se former une opinion à cet égard, le ministre est libre de procéder à une détermination indépendante de la valeur effective de la propriété fédérale à la lumière du régime législatif et des éléments d’information dont il dispose.

ii) Étendue du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre pour déterminer la « valeur effective »

[49]      La définition de « valeur effective » prévue au paragraphe 2(1) de la LPRI limite le pouvoir discrétionnaire du ministre en exigeant qu’il se forme une opinion sur la valeur qu’« une autorité évaluatrice déterminerait […] comme base du calcul de l’impôt foncier qui serait applicable à une propriété fédérale » si celle‑ci était une propriété imposable.

[50]      La mention d’« une autorité évaluatrice » devrait être interprétée comme la reconnaissance par le Parlement du fait que l’« environnement fiscal et juridique […] varie, suivant la province et la municipalité où sont situées les propriétés fédérales » : arrêt Administration portuaire de Montréal, au paragraphe 34. Partant, l’autorité évaluatrice compétente, dans tout cas donné, est l’autorité qui déterminerait la valeur d’une propriété fédérale particulière si cette propriété était imposable. Dans le cas présent, cette autorité est la Division des services d’évaluation de Services Nouvelle‑Écosse et Relations avec les municipalités.

[51]      Cette conclusion s’infère par analogie de l’arrêt Administration portuaire de Montréal, où le juge LeBel, s’exprimant au nom de la Cour, a exposé (au paragraphe 40) que pour arrêter le « taux effectif » d’imposition, les sociétés de la Couronne ne peuvent pas :

[…] baser leurs calculs sur un système fiscal fictif, qu’elles créeraient arbitrairement. Au contraire, ces calculs doivent être effectués au regard du régime fiscal qui existe réellement à l’endroit où sont situés les biens en cause. [Non souligné dans l’original.]

Soulignant le principe fondamental de la LPRI, le juge LeBel déclare (au paragraphe 42) :

Le Parlement entendait que les sociétés de la Couronne et les gestionnaires des biens fédéraux versent des paiements de remplacement eu égard au système fiscal en place dans chaque municipalité, autant que possible comme s’ils étaient des propriétaires ou des occupants imposables.

[52]      De plus, la Cour a conclu que l’étendue du pouvoir discrétionnaire qui peut être exercé au regard du calcul des PRI est limitée par l’objet de la Loi. Par conséquent, les sociétés de la Couronne et les gestionnaires des biens fédéraux doivent veiller à ce que (au paragraphe 43) :

[…] ceux‑ci [les paiements de remplacement] soient calculés dans le respect de l’objectif d’équité et de justice envers les municipalités canadiennes.

[53]      Malgré ces limites, néanmoins, le ministre doit exercer un certain pouvoir discrétionnaire pour se former une opinion, aux termes de la LPRI, sur la valeur que l’autorité évaluatrice compétente attribuerait à la propriété fédérale en cause si celle‑ci était imposable : arrêt Administration portuaire de Montréal, au paragraphe 22. L’exemple suivant (donné au paragraphe 35) est particulièrement pertinent pour le présent appel :

Les propriétés fédérales sont comme on le sait fort diverses et parfois même très particulières, sinon uniques ou presque en leur genre au Canada. L’évaluation peut de ce fait soulever des difficultés techniques importantes quant à l’application des principes d’évaluation immobilière et provoquer de temps à autre des désaccords inévitables mais par ailleurs légitimes avec les municipalités.

Le juge LeBel a aussi indiqué que le pouvoir discrétionnaire conféré par la loi est nécessaire pour permettre aux gestionnaires des biens de :

[…] réagir pour protéger les intérêts fédéraux, au cas où des municipalités utiliseraient de mauvaise foi leurs pouvoirs de taxation pour cibler de façon particulière les biens de l’État canadien.

Je m’empresse d’ajouter qu’aucune allégation de mauvaise foi de la part d’Halifax ou de l’autorité évaluatrice n’est formulée en l’espèce.

[54]      Pour reprendre les observations précitées du juge LeBel, la Citadelle est une propriété unique pour laquelle il n’existe aucun marché. En déterminer la valeur sur la base du montant qu’un acheteur consentant fictif paierait à un vendeur consentant pour un lieu historique national est un exercice hypothétique qui « soulève des difficultés techniques importantes », lesquelles ont provoqué des « désaccords […] légitimes » entre le ministre et Halifax.

[55]      Bien que l’Assessment Act de la Nouvelle‑Écosse prévoie que tous les biens de Sa Majesté sont exempts d’impôt en vertu de la Loi (alinéa 5(1)a)), la définition du terme « assessable property » [propriété imposable] donnée aux sous-alinéas 2(1)aa)(i) et (v) est suffisamment large pour inclure le terrain et les bâtiments de la Citadelle. Conformément à l’article 52 [mod. par S.N.S. 1990, ch. 19, art. 16] de l’Assessment Act, le directeur de l’évaluation a inscrit la valeur attribuée à la Citadelle dans le rôle d’évaluation annuel comme étant 38 046 900 $. Toutefois, étant donné que ce montant comprend la valeur de certaines améliorations qui ne sont pas admissibles dans le calcul des PRI, Halifax convient qu’il ne correspond pas au montant approprié en l’espèce. L’évaluation de la Citadelle préparée par Mme Barss en vue de l’audience devant le comité consultatif en établit la valeur à 39 606 000 $. Il convient toutefois de réduire ce montant à 28 millions de dollars, parce que l’évaluation de Mme Barss incluait également 11 millions de dollars d’éléments non admissibles.

[56]      Dans les circonstances, le ministre, pour se former une opinion sur la valeur qu’« une autorité évaluatrice déterminerait comme base du calcul de l’impôt foncier qui serait applicable à une propriété fédérale » si celle‑ci était une propriété imposable, n’est lié ni par une évaluation effectivement réalisée par l’autorité, ni par une évaluation préparée en vue de l’audience devant le comité consultatif par un évaluateur au service de l’autorité évaluatrice. J’estime qu’il est loisible au ministre de rejeter l’évaluation faite par Halifax en l’espèce s’il est convaincu que la démarche adoptée par l’autorité évaluatrice est contraire aux principes d’évaluation foncière généralement reconnus.

[57]      Halifax plaide que le comité consultatif a omis de se limiter à déterminer la valeur que l’autorité évaluatrice de la Nouvelle‑Écosse attribuerait à la Citadelle-d’Halifax pour les besoins de l’impôt foncier si celle‑ci était une propriété imposable. Le comité consultatif s’est plutôt demandé, soutient l’avocat d’Halifax, quelle valeur devrait être attribuée au terrain de la Citadelle dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par la loi. Je ne partage pas cet avis.

[58]      Il est vrai que le début du rapport n’augure rien de prometteur lorsque le comité formule les questions en litige (cahier d’appel, à la page 67) en évoquant la valeur qui devrait être attribuée à la propriété fédérale en cause, sans mentionner la valeur qui serait imputable à cette propriété par l’autorité évaluatrice de la Nouvelle‑Écosse. Néanmoins, d’autres parties du rapport montrent clairement que le comité consultatif a correctement compris la portée du mandat que lui confie la loi.

[59]      Premièrement, le comité a déclaré (cahier d’appel, à la page 68) que l’Assessment Act de la Nouvelle‑Écosse est pertinente puisque la Citadelle est située en Nouvelle‑Écosse, et il a reproduit le texte du paragraphe 42(1) de cette loi (cahier d’appel, à la page 73). Deuxièmement, il a relevé l’existence du principe de l’uniformité énoncé au paragraphe 42(1) de l’Assessment Act (cahier d’appel, à la page 77), sur lequel Mme Barrs s’est appuyée, mais a indiqué que les restrictions imposées par la loi à l’usage du terrain de la citadelle l’emportent sur ce principe. Troisièmement, le comité s’est fondé (cahier d’appel, aux pages 77 et 78) sur la jurisprudence de la Nouvelle‑Écosse et d’ailleurs au Canada pour étayer la proposition portant qu’aux fins de l’évaluation, la valeur de la propriété sur un marché libre constitue le critère pour déterminer la valeur, et que cette détermination doit être fondée sur les conditions existant à la date de l’évaluation, non à un moment quelconque dans le futur.

[60]      Quoi qu’il en soit, l’avocat de la municipalité régionale d’Halifax a fait observer à l’audience que le droit de la Nouvelle‑Écosse en matière de détermination de la valeur des propriétés aux fins d’imposition n’est pas très différent du droit en vigueur dans d’autres provinces.

iii) Le ministre a-t-il exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable?

a) Le terrain de la Citadelle

[61]      En l’espèce, le comité consultatif a conclu, en se fondant sur la jurisprudence qu’il a citée et sur la preuve soumise par M. Hardy, que la démarche adoptée par l’autorité évaluatrice comportait un vice fatal parce qu’elle faisait abstraction des restrictions à l’utilisation de la Citadelle qui découlent tant de son statut de lieu historique national (son utilisation optimale) que de son zonage. Le comité a aussi rejeté toutes les ventes de terrains à Halifax sur lesquelles Mme Barss s’est appuyée comme éléments de comparaison, parce que ces propriétés commerciales relevaient d’une catégorie différente sur le plan du zonage, avaient des utilisations optimales différentes et n’étaient pas assujetties aux mêmes restrictions que celles imposées à l’utilisation de la Citadelle.

[62]      Je ne vois rien de déraisonnable dans ces conclusions, que le comité consultatif a adéquatement expliquées : voir également l’arrêt Administration portuaire de Toronto, aux paragraphes 47 à 49. Il importe peu que le ministre ait pu accepter, dans le cadre des PRI, l’évaluation que l’autorité évaluatrice a faite d’autres lieux historiques nationaux. Le ministre est libre de réexaminer ces évaluations ou de les laisser inchangées si, par exemple, les montants en jeu sont beaucoup plus modestes que ceux en l’espèce.

[63]      Le juge de première instance s’est davantage préoccupé de la qualité des motifs du ministre quant aux distinctions établies dans l’évaluation du terrain occupé par le glacis et dans celle de la partie de terrain beaucoup plus petite occupée par les casemates et les demi‑casemates. Rappelons que le comité consultatif s’est fondé sur le prix de vente de l’une des propriétés comparables de Mme Barss (la vente no 8) pour évaluer le terrain occupé par les casemates et demi‑casemates, mais a rejeté ce même prix de vente pour l’évaluation du terrain occupé par le glacis, auquel il n’a attribué qu’une valeur nominale.

[64]      Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 48, la Cour a approuvé l’assertion selon laquelle, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la norme de la raisonnabilité exige que la cour de révision prête une attention respectueuse aux motifs donnés par un tribunal spécialisé et aux motifs « qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » [non souligné dans l’original]. Toutefois, dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 63, la Cour a prévenu que les tribunaux ne devraient pas interpréter les mots soulignés dans la phrase qui précède comme atténuant l’importance de motiver adéquatement une décision administrative.

[65]      Les motifs donnés par le comité consultatif en l’espèce relativement aux différences dans la valeur qu’ils ont attribuée au terrain occupé par le glacis et dans celle attribuée au terrain occupé par les casemates et les demi‑casemates ne sont pas un modèle de clarté. En effet, les conclusions du comité ne mentionnent nullement le terrain occupé par le glacis. À mon avis, cependant, le fondement de la décision du comité est suffisamment clair, lorsqu’on lit l’ensemble de son rapport conjugué à l’explication fournie par M. Hardy pour justifier l’évaluation différente du terrain occupé par les casemates et les demi‑casemates et de celui occupé par le glacis, explication que, en déduis‑je, le comité a acceptée.

[66]      M. Hardy a établi son évaluation du terrain occupé par les casemates et les demi‑casemates sur la base de l’usage qui en était fait. Essentiellement, les bâtiments érigés sur ce terrain abritaient des bureaux et étaient aussi utilisés pour l’entreposage : M. Hardy a conclu que ces locaux servaient avant tout de bureaux. Étant donné que, conformément au statut de la Citadelle à titre de lieu historique national, un acheteur hypothétique pourrait faire le même usage des casemates et des demi‑casemates, le terrain sur lequel celles‑ci sont construites a une valeur pour un éventuel acheteur. Toutefois, l’impossibilité pour tout acheteur de modifier les bâtiments existants parce qu’ils font partie d’un lieu historique national aurait une incidence négative sur la valeur du terrain.

[67]      Le comité consultatif a fondé son évaluation du terrain occupé par les casemates et les demi‑casemates sur le prix payé dans le cadre de la vente no 8, qui portait aussi sur un terrain avec bâtiment, lequel, sur le plan du zonage, appartenait à la catégorie des parcs et des propriétés à usages institutionnels. Bien que le comité décrive cette partie du terrain de la Citadelle comme étant occupée par des « améliorations admissibles », l’élément d’appréciation le plus important est qu’un acheteur pourrait utiliser le terrain pour y aménager des bureaux et y faire de l’entreposage, une vocation compatible avec le fait qu’il fait partie d’un lieu historique national. De fait, les casemates et les demi‑casemates ont cessé d’être des améliorations admissibles aux PRI avant le 1er janvier 2003, date de base pour l’évaluation du terrain de la Citadelle pour l’année d’imposition 2005.

[68]      M. Hardy a évalué le terrain occupé par le glacis comme une propriété inexploitée, contrairement au terrain occupé par les bâtiments. Il a procédé à son évaluation en examinant sa valeur de développement, qu’il a jugée nulle. Tout développement serait incompatible avec les restrictions décrétées à l’usage du terrain du glacis du fait que ce terrain fait partie d’une fortification désignée lieu historique national. Pour que les visiteurs puissent voir comment le glacis servait à protéger la Citadelle d’une attaque, le glacis doit être conservé dans son état actuel. Cela étant, la vente no 8 ne pouvait servir de point de comparaison; en effet, un bâtiment était déjà construit sur le terrain visé dans cette vente, et ce terrain, malgré son zonage, avait été acheté pour être développé.

[69]      Le témoignage de M. Hardy portant que le terrain occupé par le glacis n’a aucune valeur aux fins de développement n’a pas été contredit. Mme Barss a fondé son analyse sur la prémisse que les restrictions imposées par la loi et par le zonage sur l’utilisation de la Citadelle étaient sans pertinence pour son évaluation, prémisse que le comité consultatif a rejetée.

[70]      En conséquence, j’ai conclu, à la lecture de l’ensemble des motifs du comité et des documents dont il disposait, que les éléments sur lesquels le comité consultatif s’est fondé pour évaluer la cCitadelle sont suffisamment clairs pour permettre aux parties de savoir pourquoi le ministre a statué comme il l’a fait et pour permettre à la cour d’exercer ses fonctions de contrôle judiciaire.

[71]      Je dois maintenant décider si le résultat (l’évaluation par le ministre de la totalité du terrain de la Citadelle à 2 038 833 $ plutôt qu’à 19 millions de dollars comme conclut Halifax) appartient aux issues possibles acceptables parmi lesquelles le ministre pouvait raisonnablement choisir compte tenu des faits dont il était saisi et des dispositions de la LPRI.

[72]      L’évaluation de terrains est une discipline technique dans laquelle la Cour n’a que peu ou pas d’expertise. En revanche, le paragraphe 11.1(1) de la LPRI prévoit que le gouverneur en conseil constitue un Comité consultatif sur le règlement des différends composé de membres « possédant une formation ou une expérience pertinentes ». Les conditions d’admissibilité non prévues à la loi précisent que les personnes nommées doivent posséder des connaissances couvrant notamment l’évaluation des propriétés, le régime canadien d’imposition sur la propriété foncière et les modèles provinciaux d’évaluation et d’imposition : cahier d’appel, à la page 61. Le contexte législatif dans lequel s’inscrit la norme de contrôle en l’espèce inclut également le fait que la Loi ne confère aucun droit aux municipalités ni n’abroge les droits existants de celles‑ci. Par conséquent, un tribunal de révision doit faire preuve d’une grande prudence avant de conclure qu’en adoptant les recommandations du comité consultatif quant à l’évaluation de la Citadelle le ministre a rendu une décision déraisonnable.

[73]      Le moyen le plus convaincant pour contester le caractère raisonnable de l’évaluation du ministre, fixée à 2 038 833 $ pour la totalité du terrain, est qu’il n’a attribué aucune valeur concrète à la plus grande partie du terrain de la Citadelle, soit le terrain occupé par le glacis. Toutefois, j’estime que l’explication donnée par M. Hardy et acceptée par le comité consultatif fournit une justification raisonnable à cette apparente anomalie. En d’autres termes, conformément à l’utilisation optimale de la Citadelle, le terrain sur lequel sont érigés les bâtiments des casemates et des demi‑casemates peut être utilisé pour servir d’édifice à bureaux et de lieu d’entreposage, alors que le terrain du glacis ne peut servir à rien d’autre que sa propre vocation comme partie intégrante de la fortification. Il demeure aussi, naturellement, un endroit agréable auquel le public a accès à des fins récréatives. J’examinerai maintenant l’évaluation des casemates.

b) Les casemates et demi-casemates

[74]      La question qui se pose est de savoir s’il était déraisonnable de la part du ministre de déprécier la valeur des casemates et des demi‑casemates parce qu’elles n’étaient pas toutes pleinement utilisées. Bien que la sous‑utilisation d’un bâtiment puisse constituer un motif justifiant d’en déprécier la valeur, Halifax soutient qu’il est déraisonnable en l’occurrence de ce faire parce que les casemates et demi‑casemates font partie d’un musée vivant et que leur utilisation doit donc être compatible avec les fins auxquelles elles ont été utilisées durant la période historique que représente la Citadelle. En outre, souligne Halifax, aucune assise, dans la preuve, ne justifie le choix du comité consultatif de fixer à 50 p. 100 le pourcentage de la réduction.

[75]      Les motifs du comité consultatif n’expliquent pas pourquoi ce dernier a rejeté l’opinion de M. Sparling selon laquelle la sous‑utilisation est sans pertinence compte tenu de la fonction de représentation que tiennent les casemates dans la Citadelle. Le comité ne traite pas non plus du raisonnement de M. Hardy sur ce point; en effet, l’extrait de son rapport versé au dossier ne semble pas expliquer pourquoi il est en désaccord avec M. Sparling sur la question de la désuétude fonctionnelle.

[76]      Je ne suis pas en mesure, à la lumière de la preuve au dossier, de décider si la décision ministérielle relative à l’évaluation des casemates et des demi‑casemates satisfait à la norme de contrôle de la raisonnabilité.

[77]      En conséquence, j’estime, en accord avec le juge de première instance, que les motifs du comité consultatif n’expliquent pas de façon satisfaisante le fondement de l’évaluation du ministre relative aux casemates et aux demi‑casemates. C’est pourquoi, comme le juge de première instance, j’annulerais cette partie de la décision dont appel, je la renverrais au ministre pour que celui‑ci rende une nouvelle décision, et j’ordonnerais que le Comité consultatif sur le règlement des différends nommé par le ministre pour présenter des recommandations sur cette question, le cas échéant, soit différemment constitué.

G.        CONCLUSIONS

[78]      Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel du ministre en ce qui touche l’évaluation du terrain de la Citadelle. Dans cette mesure, j’annulerais la décision du juge de première instance et rejetterais la demande de contrôle judiciaire d’Halifax. Je rejetterais l’appel du ministre pour ce qui est de l’évaluation des casemates. J’annulerais également l’ordonnance relative aux dépens rendue en première instance et ordonnerais que chaque partie assume ses propres dépens tant en première instance que devant notre Cour.

  Le juge en chef Blais : Je suis d’accord.

* * *

  Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[79]      La juge Sharlow, J.C.A. (dissidente) : J’ai lu le projet de motifs de mon collègue le juge Evans. Je suis d’accord avec son interprétation des dispositions pertinentes de la LPRI. Je souscris aussi à ses conclusions quant à l’étendue du pouvoir discrétionnaire du ministre, quant à la norme de contrôle applicable et quant à l’insuffisance des motifs du comité consultatif en ce qui touche l’évaluation des casemates et des demi‑casemates par le ministre.

[80]      À mon avis, cependant, le rapport du comité n’explique pas de façon satisfaisante pourquoi le terrain occupé par le glacis, qui couvre une superficie d’environ 42 acres dans le centre‑ville d’Halifax, est évalué à 10 $. Sans une explication suffisante à cet égard, je ne saurais conclure que l’évaluation globale du terrain est raisonnable.

[81]      Je rejetterais l’appel avec dépens, principalement pour les motifs exposés par le juge de première instance.

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