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[2012] 1 R.C.F. 138

IMM-2173-09

2010 CF 723

Gurmukh Singh Parmar (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Parmar c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Lemieux—Toronto, 17 décembre 2009; Ottawa, 2 juillet 2010.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Contrôle judiciaire d’une décision par laquelle une agente des visas a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur au motif que l’état de santé de son fils à charge risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux en vertu de l’art. 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — L’agente des visas a adopté l’avis selon lequel le fils du demandeur aurait besoin d’une évaluation approfondie et d’un examen de la part d’une équipe de développement multidisciplinaire — Elle n’était pas convaincue que le demandeur pourrait compenser pour le fardeau excessif pour les services sociaux — Il s’agissait de savoir si l’agente des visas a manqué à l’équité procédurale et a tiré des conclusions de fait déraisonnables — Les motifs de l’agente des visas ne satisfaisaient pas au critère pour l’appréciation du caractère suffisant énoncé dans l’arrêt R. c. R.E.M. — Elle a simplement inscrit que la réponse relative à l’équité du demandeur ne changeait pas son point de vue exprimé précédemment — La lettre relative à l’équité et la lettre de refus définitive étaient libellées dans un langage imprécis et général — La Cour ne pouvait pas déterminer si le médecin agréé avait tenu compte du besoin d’effectuer une évaluation personnalisée pour le fils du demandeur — Les motifs de l’agente des visas expliquant le rejet du plan du demandeur étaient déraisonnables et étaient contraires au pouvoir discrétionnaire conféré par l’art. 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales — Les conclusions étaient fondées sur des hypothèses et étaient contraires à la preuve — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle une agente des visas a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur au motif que l’état de santé de son fils à charge risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Le fils du demandeur a reçu un diagnostic de retard mental grave et de paralysie cérébrale spastique. Avant de recevoir une lettre de refus définitive au sujet de sa demande, le demandeur a reçu une lettre relative à l’équité, à laquelle il a répondu. L’agente des visas a adopté l’avis du médecin agréé selon lequel le fils du demandeur aurait besoin d’une évaluation approfondie et d’un examen de la part d’une équipe de développement multidisciplinaire, y compris des physiothérapeutes et des travailleurs sociaux. En outre, l’agente des visas n’était pas convaincue que le demandeur pourrait compenser pour le fardeau excessif pour les services sociaux, statuant notamment que les services d’un seul médecin de famille ne suffiraient pas pour prendre soin du fils du demandeur et que des éléments de preuve suffisants concernant la situation financière du demandeur n’avaient pas été produits.

Il s’agissait de savoir si l’agente des visas a manqué à l’équité procédurale en ne présentant pas de motifs adéquats et en tirant des conclusions de fait déraisonnables relativement à la capacité et à la volonté du demandeur d’atténuer le fardeau excessif.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Les motifs de l’agente des visas, qui reposaient sur l’avis du médecin agréé, ne satisfaisaient pas au critère pour l’appréciation du caractère suffisant énoncé dans l’arrêt R. c. R.E.M., c.-à-d. qu’ils n’expliquaient pas pourquoi les observations du demandeur au sujet du fait qu’il n’aurait pas besoin de services sociaux n’ont pas été acceptées, ils ne rendaient pas compte devant le public et ils ne permettaient pas un examen efficace en contrôle judiciaire. Sans procéder à une analyse ni faire de commentaires, l’agente des visas a simplement inscrit que la réponse relative à l’équité du demandeur ne changeait pas son point de vue exprimé précédemment. La lettre relative à l’équité et la lettre de refus définitive étaient libellées dans un langage imprécis et général qui ne précisait pas quels services causeraient un fardeau excessif. Compte tenu de ces motifs inadéquats, la Cour ne pouvait pas déterminer si le médecin agréé avait tenu compte des enseignements de l’arrêt Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), particulièrement au sujet du besoin d’effectuer une évaluation personnalisée pour le fils du demandeur.

Les motifs de l’agente des visas expliquant le rejet du plan d’atténuation du fardeau excessif du demandeur n’étaient pas raisonnables et avaient été tirés en contravention du pouvoir discrétionnaire conféré par la loi au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales. Plus particulièrement, les conclusions de l’agente des visas portant que le fils du demandeur ne recevrait pas de soins à domicile, qu’il aurait besoin de soins médicaux spécialisés et que la famille n’aurait pas la capacité financière d’atténuer le fardeau excessif, étaient fondées sur des hypothèses et étaient contraires à la preuve.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1(4) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)a)(ii).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 38(1).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 1 « fardeau excessif » (mod. par DORS/2009-163, art. 1(A)), « services de santé », « services sociaux », 34.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3.

décision différenciée :

Sapru c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 240, [2011] 2 R.C.F. 501.

décisions examinées :

Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 R.C.S. 706, infirmant 2003 CAF 420, [2004] 1 R.C.F. 696, infirmant 2002 CFPI 844, [2003] 2 C.F. 3; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

DOCTRINE CITÉE

Canada. Chambre des communes. Comité permanent du Travail, de la Main-d’œuvre et de l’Immigration. Procès-verbaux et témoignages, fascicule no 11 (5 avril 1977).

Citoyenneté et Immigration Canada. Bulletin opérationnel 063, « Évaluation de fardeau excessif pour les services sociaux », le 24 septembre 2008, en ligne : <http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/bulletins/2008/bo063.asp>.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle une agente des visas a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur au motif que son fils à charge était interdit de territoire pour motifs sanitaires en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Cecil L. Rotenberg, c.r. pour le demandeur.

Angela Marinos pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Cecil L. Rotenberg, c.r., Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Lemieux :

I.          Introduction

[1]        La présente affaire porte sur une interdiction de territoire au Canada pour motifs sanitaires, fondée sur un fardeau excessif pour les services sociaux et non sur un fardeau excessif pour les services de santé. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, Gurmukh Singh Parmar (le demandeur) conteste la décision du 21 avril 2009 de l’agente d’immigration désignée Nimish Gautam du Haut-commissariat du Canada à New Delhi (l’agente des visas), par laquelle sa demande de résidence permanente au Canada a été rejetée pour le seul motif que son fils Inderjot, qui avait alors 19 ans, était interdit de territoire pour motifs sanitaires en application du paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), parce que l’agente des visas était d’avis que l’état de santé d’Inderjot, soit son retard mental grave et sa paralysie cérébrale spastique (que le demandeur ne conteste pas), risque vraisemblablement d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux du Canada.

[2]        Le demandeur conteste principalement la nécessité de certains services sociaux dont l’agente des visas a tenu compte pour déterminer s’il y avait fardeau excessif dans ce dossier. En termes simples, le demandeur soutient que l’état de santé de son fils est tel que les soins de longue durée financés par l’État, le recours à un travailleur social ou à un coordonnateur médical, à un orthophoniste et à un physiothérapeute ne lui sont d’aucune utilité et qu’il n’en a jamais eu besoin auparavant. Les besoins d’Inderjot ont toujours été comblés par des soins à domicile et le seront toujours. Depuis sa naissance, le fils du demandeur ne peut pas parler, il n’a jamais été à l’école, il n’a jamais marché, il est confiné au lit, il a l’âge mental d’un enfant de six mois, il a un quotient intellectuel (QI) de moins de 20 et il dépend complètement des autres (à savoir, de sa mère) pour tous ses besoins, par exemple se nourrir, s’habiller et changer de couche parce qu’il est incontinent.

[3]        Les expressions « fardeau excessif » [mod. par DORS/2009-163, art. 1(A)], « services sociaux » et « services de santé » sont définies et établies au paragraphe 1(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR), qui est reproduit à l’annexe des présents motifs, dans la partie sur les dispositions légales et réglementaires applicables.

[4]        Comme nous le verrons, les arguments présentés en l’espèce sont axés sur l’application correcte des enseignements de la Cour suprême du Canada dans les arrêts Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 R.C.S. 706 (Hilewitz), dans lequel la Cour suprême a interprété le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de l’ancienne Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2], une disposition qui est essentiellement la même que le paragraphe 38(1) de la LIPR (Hilewitz, aux paragraphes 3, 59 et 60) et a conclu que, dans l’examen de l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires, les médecins agréés, dans une situation où il y aurait fardeau excessif pour les services sociaux (et non les services de santé), doivent tenir compte de critères médicaux et non médicaux comme « la disponibilité, la rareté ou le coût des services financés par l’État, ainsi que la volonté et la capacité du demandeur ou de sa famille de payer pour les services concernés » (Hilewitz, au paragraphe 55). De plus, la Cour suprême a aussi conclu qu’on ne pouvait pas écarter les ressources de la famille lors de l’examen visant à savoir si un enfant déficient constituerait un fardeau excessif pour les services sociaux du Canada. L’éducation spécialisée privée par un demandeur de résidence permanente, ainsi que les soins à domicile fournis par la famille sont deux facteurs pertinents quant à cet examen.

[5]        L’avocat du demandeur conteste la décision de l’agente des visas sur deux principaux points. Premièrement, il soutient que l’agente des visas a commis une erreur en acceptant l’avis de la Dre LeBlanc (le médecin agréé), selon lequel l’état de santé d’Inderjot créerait un fardeau excessif pour les services sociaux, parce que cet avis ne précisait pas les besoins particuliers individuels d’Inderjot en matière de services sociaux. Le deuxième point de la contestation porte sur la conclusion de l’agente des visas selon laquelle le demandeur, son épouse et les membres de leur famille ou leur parenté au Canada n’ont pas la capacité financière de compenser pour les services sociaux dont Inderjot aurait besoin en raison de son état de santé, lesquels services seraient autrement financés par l’État. Il soutient que l’agente des visas a outrepassé son pouvoir légal en tirant cette conclusion ou, subsidiairement, que cette conclusion était déraisonnable et contraire à la preuve.

[6]        Il s’agit de la deuxième demande de contrôle judiciaire du demandeur sur cette question quant à l’interdiction de territoire de la famille au Canada en raison de l’état de santé d’Inderjot. Il a contesté devant la Cour, en mai 2005, une conclusion d’interdiction de territoire rendue par un autre agent des visas. Cette première décision avait été rendue par cet agent des visas avant que la Cour suprême du Canada rende sa décision le 21 octobre 2005 dans l’affaire Hilewitz. La première demande de contrôle judiciaire du demandeur a été réglée entre les parties et la décision de l’agent des visas d’avril 2005 a été annulée et la demande de résidence permanente du demandeur a été renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen, en accordant au demandeur le droit de présenter une nouvelle réponse à une nouvelle lettre relative à l’équité que le médecin agréé enverrait, afin de tenir compte des enseignements de l’arrêt Hilewitz.

II.         La décision de l’agente des visas

[7]        La décision de l’agente des visas est constituée de deux parties. Comme nous le verrons, la première partie correspond à la lettre de refus du 21 avril 2009 que l’agente des visas a envoyée au demandeur. Cette lettre adoptait l’avis médical de la Dre LeBlanc. Elle se lit comme suit :

[traduction] Le médecin agréé a déterminé que l’état de santé ou le diagnostic du membre de votre famille Inderjot Singh Parmar était le suivant :

Retard mental – Grave

Le demandeur de 18 ans, né le 9 janvier 1990, a reçu un diagnostic de retard mental grave et de paralysie cérébrale spastique. Conformément aux examens psychologiques cliniques normalisés, il est estimé que son QI est de moins de 20 et qu’il a un âge mental de 6 mois. Il est confiné au lit et il est complètement dépendant de son entourage pour toutes les activités de la vie quotidienne, y compris se nourrir, s’habiller, soigner son hygiène et se déplacer. Le psychologue clinicien indique que son état mental persistera toute sa vie et qu’il aura besoin de soutien et de supervision continus.

Dans le contexte canadien, le demandeur et sa famille auraient besoin d’une évaluation approfondie et d’un examen de la part d’une équipe de développement multidisciplinaire afin d’établir, puis d’appliquer, un programme d’intervention approprié pour composer avec les problèmes de santé de l’enfant et de traiter ses déficiences en matière d’aptitudes adaptatives. Cette équipe serait probablement composée de médecins qui ont de l’expérience dans le traitement de personnes qui ont des retards mentaux et des handicaps physiques, d’orthophonistes pour l’aider à parler et, au besoin, d’ergothérapeutes, de physiothérapeutes, d’éducateurs spécialisés, de psychologues et de travailleurs sociaux. Au Canada, il serait reconnu comme une personne ayant besoin d’éducation spécialisée et de soutien.

La philosophie sociale canadienne comprend un engagement envers l’égalité, la pleine participation et l’intégration communautaire maximale de toutes les personnes atteintes de retards mentaux et de handicaps physiques afin de maximiser leur développement personnel. Le demandeur et sa famille seraient admissibles à divers services sociaux et avantages qui aideraient à améliorer l’autonomie relative de leur enfant. Il aura besoin de physiothérapie et de soins infirmiers à domicile. De plus, la famille qui le soutient aurait droit au programme d’assistance aux parents ou aux fournisseurs de soins et à un service de relève. L’enfant aurait besoin de soins en établissement si la famille devait retirer son soutien. L’examen multidisciplinaire susmentionné, ainsi que les services de gestion et de soutien dont il aurait besoin, sont dispendieux et coûtent plus que le montant moyen dépensé pour les soins de santé individuels au Canada.

Après avoir examiné les résultats de l’évaluation médicale et tous les rapports que j’ai reçus au sujet de l’état de santé du demandeur, je conclus que son état de santé risque vraisemblablement d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux. Plus précisément, en raison de son état de santé, le demandeur aura probablement besoin de services dont les coûts dépasseraient vraisemblablement le coût moyen par habitant au Canada sur cinq ans. Par conséquent, le demandeur est interdit de territoire en application du paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Dans une lettre datée du 28 novembre 2008, vous avez été avisé que vous pourriez présenter des renseignements additionnels au sujet de cet état de santé ou diagnostic. Les renseignements et documents additionnels que vous avez présentés ont été envoyés à notre médecin agréé. Après examen, le médecin agréé a conclu qu’il n’y avait aucun changement à l’évaluation médicale et a confirmé la conclusion d’interdiction de territoire. [Non souligné dans l’original.]

[8]        L’agente des visas a aussi déclaré :

[traductionJe suis convaincue que l’avis du médecin agréé au sujet de l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires du membre de votre famille Inderjot Singh Parmar est raisonnable. Par conséquent, Inderjot Singh Parmar, membre de la famille qui vous accompagne, est interdit de territoire en application du paragraphe 38(1) parce que son état de santé risque vraisemblablement d’entraîner un fardeau excessif pour les services de santé ou les services sociaux. [Non souligné dans l’original.]

[9]        La deuxième partie de la décision de l’agente des visas traite de la volonté ou de l’intention du demandeur de compenser pour le fardeau excessif et de sa capacité financière de le faire. La décision de l’agente des visas à ce sujet se trouve dans ses notes du Système de traitement informatisé des dossiers (le STIDI), qui sont partie intégrante de la décision contestée.

[10]      L’agente des visas a d’abord établi les raisons pour lesquelles elle n’était pas convaincue du plan ou de l’intention du demandeur de compenser pour le fardeau excessif. Elle a précisé que le plan n’était pas crédible pour les motifs suivants :

a. au sujet de l’allégation du demandeur selon laquelle son épouse resterait à la maison pour s’occuper d’Inderjot, l’agente des visas a conclu qu’il était [traduction] « peu probable » que son épouse reste à la maison à leur arrivée au Canada parce que, par le passé, elle avait dirigé une compagnie de formation en informatique;

b. elle a rejeté la suggestion du demandeur selon laquelle les services d’un médecin de famille au Canada seraient les seuls services nécessaires pour prendre soin d’Inderjot, parce qu’elle était d’avis que l’évaluation médicale indiquait clairement le besoin d’Inderjot d’avoir des médecins spécialisés;

c. elle n’a accordé aucun poids à l’argument du demandeur selon lequel sa famille en Alberta lui donnerait une maison dans cette province où son frère lui a offert un emploi à titre d’acheteur et où son épouse et, au besoin, sa famille en Alberta, prendraient soin d’Inderjot. En particulier, le demandeur soutient que sa sœur, Kulwant Kaur, qui s’occupe présentement de ses petits-enfants, aiderait à prendre soin d’Inderjot. L’agente des visas a déclaré que rien ne donnait à penser que Mme Kaur était qualifiée ou avait de l’expérience pour prendre soin de [traduction] « personnes atteintes d’un retard mental et de handicaps physiques »;

d. le demandeur a aussi soutenu que, comme il n’existait aucun traitement pour la paralysie cérébrale au Canada, il ne ferait aucune demande auprès des services sociaux et il a mentionné des lettres de médecins et des services médicaux au Canada datées de 1991 et de 1993. L’agente a rejeté cette preuve parce qu’elle ne précisait pas quels services et supervision Inderjot aurait besoin.

[11]      Pour les motifs qui suivent, l’agente des visas a aussi conclu que la preuve présentée n’établissait pas la capacité financière du demandeur de compenser pour le fardeau excessif.

[12]      Le demandeur a présenté des rapports d’évaluation pour deux maisons et un terrain, mais l’agente des visas a noté qu’il ne s’agissait pas de certificats de propriété. De plus, il semble que les propriétés déclarées soient des propriétés conjointes; le demandeur ne serait donc pas en mesure de les vendre facilement.

[13]      La voiture n’était pas un actif, parce que la preuve montrait qu’elle n’était pas au nom du demandeur; il n’était donc pas possible d’en attribuer la possession au demandeur.

[14]      La preuve était insuffisante quant à l’historique de la relation financière du demandeur avec la Bank of India, la First Calgary Savings and Union Ltd. et Canada Trust. En particulier, l’agente des visas a conclu qu’il n’y avait aucune explication pour les récents dépôts d’argent. Elle a conclu que les soldes ont pu être augmentés dans le but de favoriser la demande de résidence permanente.

III.        Le processus qui a précédé la décision contestée

[15]      Le 28 novembre 2008, l’agente des visas a envoyé une lettre relative à l’équité au demandeur dans laquelle elle décrivait l’état de santé d’Inderjot et ses répercussions possibles sur les services sociaux. Le contenu de la lettre relative à l’équité est essentiellement le même que celui de la lettre de refus subséquente de l’agente des visas. Cependant, dans la lettre relative à l’équité, l’agente des visas a dit au demandeur qu’après la consultation avec la Direction générale de la gestion de la santé de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), elle avait déterminé que les services sociaux suivants seraient requis :

[traduction]

Soins de longue durée financés par l’État en Alberta et subventionnés par la Régie régionale de la santé en fonction d’une évaluation des revenus ou des actifs. Les renseignements disponibles pour 2007 indiquent qu’une personne aurait droit à une subvention de 10 584 $ à 25 416 $ annuellement.

Les autres besoins, dont le coût est variable, pour cet enfant sont :

- Travailleur social ou coordonnateur médical

- Orthophoniste

- Physiothérapie [Non souligné dans l’original.]

[16]      La lettre relative à l’équité comprenait deux paragraphes de nature plus générale qui ont été reproduits dans la lettre de refus citée au paragraphe 7 des présents motifs. Le premier paragraphe commence par les mots « Dans le contexte canadien » et le deuxième paragraphe commence avec les mots « La philosophie sociale canadienne ».

[17]      L’agente des visas a expliqué au demandeur qu’il avait l’occasion de présenter des renseignements additionnels qui répondaient à au moins un des points suivants :

[traduction]

•  L’état de santé établi;

•  Les services sociaux requis au Canada pour la période susmentionnée;

•  Votre plan personnel pour garantir qu’aucun fardeau excessif ne sera imposé aux services sociaux canadiens pour toute la période susmentionnée;

•  Votre Déclaration de capacité et d’intention signée. [Non souligné dans l’original.]

et elle a ajouté :

[traduction] Afin de démontrer que vous ou un membre de votre famille ne causerez pas de fardeau excessif pour les services sociaux si vous obtenez le droit d’immigrer au Canada, vous devez convaincre l’agent évaluateur que vous avez un plan raisonnable et fonctionnel, ainsi que les moyens financiers et l’intention de mettre ce plan en pratique, afin de compenser pour le fardeau excessif que vous imposerez autrement aux services sociaux après votre immigration au Canada.

[18]      À ce stade‑ci, je propose de présenter des observations générales au sujet de la structure des lettres et, en particulier, du langage utilisé par l’agente des visas. Les services identifiés par l’agente des visas dans la lettre relative à l’équité, reproduits au paragraphe 15 des présents motifs, semblent être bien précis pour Inderjot. Cependant, toute valeur attachée à l’identification de ces services a été entièrement perdue parce que tant la lettre relative à l’équité que la lettre de refus définitive sont libellées dans un langage imprécis et général lequel était supposé indiquer quels sont les services dont Inderjot aurait besoin et qui causeraient un fardeau excessif. Cependant, cet objectif n’est pas atteint. Tout ce langage généralisé a été extrait de la déclaration médicale, comprise à l’annexe aux présentes, du Dr J. B. Lazarus (le médecin agréé qui a fourni l’avis médical 2005 qui a fait l’objet de la procédure de contrôle judiciaire abandonnée).

[19]      Par conséquent, je conclus, comme M. Parmar l’a fait, que la structure de la décision porte à confusion. Le langage général utilisé par le Dr Lazarus n’est pas conforme à l’arrêt Hilewitz parce qu’il ne visait pas précisément la personne et il devrait être évité à l’avenir.

[20]      Le demandeur a répondu le 23 janvier 2009. Il a inclus une déclaration sous serment de capacité et d’intention dans le format suggéré par l’agente des visas (dossier certifié du tribunal (DCT), page 53). Il a déclaré qu’il prendrait la responsabilité d’organiser la fourniture de tout service social requis et il a présenté une déclaration expliquant pourquoi il n’avait pas l’intention d’utiliser les services sociaux susmentionnés. Il a aussi présenté des documents financiers. Il a déclaré que si, à un moment donné, des services sociaux étaient requis, il avait l’intention de payer pour obtenir des services privés et il a déclaré qu’il ne rendrait pas les gouvernements fédéral, provincial ou territorial responsables des coûts associés à la fourniture des services sociaux. Dans sa réponse, il n’a pas contesté le diagnostic médical de l’état de santé d’Inderjot. Il s’est fondé sur les renseignements médicaux fournis dans le contexte de la première déclaration médicale de 2005 qui, comme je l’ai noté, a entraîné le premier contrôle judiciaire, qui a été réglé.

[21]      Dans le reste de sa déclaration, le demandeur a présenté des commentaires sur tous les services mentionnés (qu’ils aient été ciblés comme services sociaux par l’agente des visas ou non) dans la lettre relative à l’équité qui lui a été envoyée le 28 novembre 2009 (voir le DCT, pages M‑10 à M‑14). En résumé, il a déclaré :

A. Inderjot n’a eu qu’un seul médecin depuis sa naissance, le Dr Singh, un spécialiste pour enfants. Le demandeur a trouvé un médecin de famille à Calgary qui prendra tous les membres de la famille Parmar comme patients. Il a déclaré qu’Inderjot n’avait pas eu besoin de plus d’un médecin en Inde et qu’il n’aurait pas besoin de services spécialisés médicaux ou de médecins spécialisés au Canada. Il est en santé et il ne prend aucun médicament (DCT, page 76).

B. Aucun orthophoniste ou thérapeute n’est nécessaire. Inderjot comprend le pendjabi et communique par gestes. Il est incapable de parler et il ne comprend pas l’anglais. La famille n’a jamais eu besoin d’un orthophoniste ou de thérapeutes auparavant et il est trop tard maintenant, puisqu’il a 19 ans.

C. Aucun ergothérapeute n’est nécessaire. Son fils est alité et il ne peut pas bouger seul; l’ergothérapie ne l’aiderait pas; il n’a jamais eu de traitement de ce genre par le passé et il n’est pas prévu qu’il en ait dans l’avenir.

D. En ce qui a trait à la physiothérapie, le demandeur précise qu’ils ont tenté l’expérience entre 1991 et 1997, mais que la thérapie a été arrêtée parce qu’elle n’aidait pas son fils et que les séances le rendaient très inconfortable. Il a déclaré que lui, son épouse et son autre fils avaient appris à lui donner des massages doux tous les jours, lesquels aident Inderjot. Il n’a pas eu de physiothérapeute depuis 1997 et il n’est pas prévu qu’il en ait besoin d’un dans l’avenir.

E. Quant à l’éducateur spécialisé, le demandeur précise qu’Inderjot n’a jamais été à l’école, qu’il a 19 ans et qu’il ne serait pas tenu d’aller à l’école en Alberta. Il ne comprend pas l’anglais et il est inéducable. Il n’aura pas besoin de ce service.

F. La seule fois qu’Inderjot a vu un psychologue était pour son examen médical d’immigration. Il n’a pas besoin de psychologue et il n’est pas prévu qu’il en ait un au Canada.

G. Inderjot n’a jamais eu de travailleur social ou de coordinateur médical et il n’en a pas besoin. Le médecin de famille qui est prêt à s’occuper de la famille à Calgary s’occupera de ses besoins.

H. Les services infirmiers à domicile ne sont pas nécessaires. Inderjot a toujours habité à la maison et sa famille s’est toujours occupée de lui; la culture du demandeur le lui exige. De plus, à Calgary, la grande famille étendue du demandeur est prête à l’aider, si nécessaire.

I. La famille n’a jamais eu besoin de relève pour s’occuper d’Inderjot et elle n’a jamais eu accès à un service de relève. Elle n’a pas l’intention d’y avoir recours dans l’avenir. La famille étendue est là pour aider si le demandeur et son épouse en ont besoin. Il note que son épouse et Inderjot sont venus au Canada en 2004 pendant 6 mois. Tout s’est bien passé. Son épouse s’est occupée d’Inderjot elle-même. Inderjot n’a pas eu besoin de services médicaux ou sociaux pendant ce voyage. Il a apprécié voir sa famille, qui le lui a bien rendu.

J. Le demandeur a déclaré que la famille soutiendra toujours Inderjot parce qu’il [traduction] « est étranger à notre culture de placer en établissement un membre de la famille ». Il précise que si quelque chose devait leur arriver, à lui et à son épouse, son fils aîné s’occuperait de son frère. De plus, sa famille élargie à Calgary (une sœur et deux frères) est là pour l’aider.

K. En somme, le demandeur conclut que la famille n’a présentement pas besoin de services sociaux en Inde et qu’elle n’a pas l’intention d’y avoir recours ici. Il croit que tout ce qu’Inderjot a besoin sont les soins et l’attention de sa famille, qui lui seront toujours offerts. Il ajoute que bien que son fils soit alité et qu’il soit atteint de paralysie cérébrale, il est autrement un jeune homme en bonne santé. Il n’a pas de crises ou d’autres complications.

[22]      Le demandeur a conclu sa déclaration en faisant référence à sa situation financière. Il aura un poste au sein de l’entreprise de son frère dès qu’il immigrera au Canada avec sa famille. Il a des économies en certificats de placements garantis (CPG) de 109 000 $CAN, en dépôt au Canada, et plus de 28 800 $CAN dans des banques en Inde, en plus d’actifs fixes dans ce pays d’environ 352 000 $CAN. Il a une maison à Calgary qui appartient à son frère Inderji, qui s’est acheté une autre maison. Le demandeur a parlé de sa famille étendue et a déclaré que son épouse resterait à la maison et s’occuperait d’Inderjot comme elle le faisait déjà en Inde.

[23]      Le demandeur conclut, en déposant sous serment, que son fils ne créerait pas de fardeau excessif pour les services sociaux au Canada et que, s’il en a besoin, le demandeur paiera pour des services privés parce que [traduction] « j’ai l’argent pour le faire ».

[24]      Je mentionne ici une lettre qui manque au DCT. L’avocat du demandeur a souligné que, bien que M. Parmar eût fait des observations au sujet de l’inadmissibilité d’Inderjot à recevoir des soins de longue durée en Alberta en raison du mode de financement précis, l’agente des visas n’a pas répondu à cette question. Il est intéressant de noter que ces observations étaient présentées dans une lettre qui ne se trouvait pas dans le DCT.

[25]      Le 27 février 2009 (DCT, page M‑2), le médecin agréée Monique‑Louise LeBlanc a écrit une courte note de trois paragraphes sous le titre [traduction] « Équité procédurale », dans laquelle elle indiquait qu’elle avait examiné les documents de réponse du demandeur (sa lettre de présentation, sa déclaration de capacité et d’intention sous le format prescrit (voir le Bulletin opérationnel 063 de CIC, du 24 septembre 2008 [Évaluation de fardeau excessif pour les services sociaux]) et les détails au sujet de ces fonds et de ces actifs). Elle a déclaré dans le troisième paragraphe de sa note qu’elle avait examiné le dossier médical ainsi que les documents susmentionnés (les trois documents) et que [traduction] « à mon avis, aucun renseignement présenté permettrait de conclure que l’évaluation médicale originale était erronée. Par conséquent, la preuve est insuffisante pour appuyer un changement de l’évaluation médicale ou une réévaluation d’Inderjot présentement. En conséquence, il demeure M‑5 ».

IV.       Les enseignements de l’arrêt Hilewitz

[26]      L’affaire Hilewitz et l’affaire connexe De Jong, précitées, portaient sur des demandes de résidence permanente au Canada dans les catégories des investisseurs et des travailleurs autonomes, pour lesquels les deux demandeurs avaient satisfait aux exigences financières de ces catégories, mais s’étaient vu refuser le statut de résident permanent en raison de l’état de santé d’un enfant à charge (retard mental léger) pour lequel des médecins agréés de CIC [au paragraphe 18] avaient conclu, en vertu de l’article 19 de l’ancienne Loi sur l’immigration, que l’admission de l’enfant au Canada « entraînerait ou risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé » [non souligné dans l’original], une disposition légale, comme je l’ai notée, qui est essentiellement semblable au paragraphe 38(1) de la LIPR actuelle.

[27]      Dans les deux affaires, les demandeurs ont soutenu que l’enfant à charge était atteint de déficience intellectuelle à la naissance pour laquelle les médecins agréés de CIC avaient conclu qu’une éducation spécialisée, qu’une formation professionnelle et que des services de relève pour les fournisseurs de soins seraient nécessaires. Les deux demandeurs ont précisé dans leur réponse à la lettre relative à l’équité qu’ils enverraient leur enfant à une école privée qui offrait une éducation spécialisée et qu’ils paieraient pour les frais afférents. Ils ont soutenu que, par conséquent, il n’y aurait aucun fardeau pour les services sociaux, encore moins un fardeau excessif.

[28]      Dans l’arrêt Hilewitz, la Cour suprême du Canada a accueilli un appel de la décision de la Cour d’appel fédérale [2003 CAF 420, [2004] 1 R.C.F. 696], qui renversait une décision de mon collègue le juge Frederick B. Gibson [2002 CFPI 844, [2003] 2 C.F. 3], qui avait annulé une décision d’un agent des visas au motif que, bien que les ressources et la volonté des parents de payer aient pu ne pas être pertinentes quant à l’examen visant à savoir si l’admission d’un enfant handicapé au Canada risque de causer un fardeau excessif pour les soins de santé, on ne pouvait pas dire la même chose au sujet des services sociaux, qui sont financés et fournis de façon différente. Par conséquent, le juge Gibson a conclu que les facteurs de capacité et de volonté de payer auraient dû être évalués par l’agent des visas, qui ne l’avait pas fait. La Cour d’appel fédérale était d’avis que les facteurs non médicaux tels que l’existence du soutien de la famille ainsi que la capacité et la volonté de la famille de payer n’étaient pas des facteurs pertinents dans la décision à savoir s’il y aurait un fardeau excessif pour les services sociaux du Canada.

[29]      En particulier, au paragraphe 25 de l’arrêt Hilewitz, la juge Rosalie Abella, pour les juges majoritaires, a déclaré que la Cour d’appel fédérale était arrivée à cette conclusion parce que le refus du ministre d’accorder la résidence permanente pour motifs sanitaires découlait d’une « politique soucieuse d’éviter les risques : on tient compte d’une possible détérioration de la situation financière d’une famille, qui se traduirait par un fardeau pour les services sociaux canadiens » (non souligné dans l’original), un point de vue qu’elle a rejeté pour les motifs qui peuvent être résumés comme suit.

[30]      Premièrement, d’un point de vue de l’interprétation des lois, la juge Abella a tenu compte des antécédents légaux des prédécesseurs du paragraphe 38(1) de la LIPR, ainsi que de l’intention du Parlement telle qu’exprimée dans l’ensemble des lois et des règlements, plus particulièrement énoncée dans les Procès-verbaux et témoignages [fascicule no 11] de 1977 du Comité permanent de la Chambre des communes [Comité permanent du Travail, de la Main-d’œuvre et de l’Immigration], qui a examiné le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de l’ancienne Loi sur l’immigration, pour établir la pertinence de la question de savoir si le fait qu’un parent garde à la maison un enfant handicapé aura pour résultat que cet enfant n’entraînera pas de fardeau pour les services sociaux (voir le paragraphe 52 de l’arrêt Hilewitz). La juge Abella a ensuite écrit ce qui suit, aux paragraphes 54 à 57 de ses motifs :

Le sous-alinéa 19(1)a)(ii) exige qu’on détermine si l’état de santé du demandeur entraînerait ou risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens. Le terme « fardeau excessif » appelle intrinsèquement à l’évaluation et à la comparaison. Si l’on ne tient pas compte de la capacité et de la volonté du demandeur d’assumer le coût des services sociaux, il est impossible de déterminer d’une manière réaliste en quoi consiste le « fardeau » que devront supporter les services sociaux de l’Ontario. Le texte de la disposition indique que les médecins agréés doivent déterminer le fardeau probable pour les services sociaux, et non la simple admissibilité à ces services. 

Pour ce faire, les médecins agréés doivent nécessairement tenir compte de critères médicaux et non médicaux — comme la disponibilité, la rareté ou le coût des services financés par l’État, ainsi que la volonté et la capacité du demandeur ou de sa famille de payer pour les services concernés.

Cela exige, me semble-t-il, des appréciations individualisées. Il est impossible, par exemple, de déterminer la « nature », la « gravité » ou la « durée probable » d’une maladie sans le faire à l’égard d’une personne donnée. Si le médecin agréé s’interroge sur les services susceptibles d’être requis en se fondant uniquement sur la classification de la maladie ou de l’invalidité, et non sur la façon précise dont elle se manifeste, l’appréciation devient générique plutôt qu’individuelle. L’évaluation des coûts est alors faite en fonction de la déficience plutôt qu’en fonction de l’individu. Toutes les personnes atteintes d’une déficience donnée sont alors automatiquement exclues, même celles dont l’admission n’entraînerait pas, ou ne risquerait pas d’entraîner, un fardeau excessif pour les fonds publics.

La question n’est pas de savoir si le Canada peut élaborer une politique d’immigration propre à réduire le risque que des candidats à l’immigration lui occasionnent un fardeau excessif. Il est clair qu’il peut le faire. Mais, dans les présentes affaires, la Loi est interprétée d’une manière qui fait obstacle à l’admission de toutes les personnes ayant une déficience intellectuelle, sans égard au soutien ou à l’aide de la famille et à la question de savoir si leur admission crée une probabilité raisonnable de fardeau excessif pour les services sociaux canadiens. Une telle interprétation, qui ne tient pas compte de la situation financière concrète de la famille, substitue à l’objet de la mesure législative une méthode d’évaluation à la chaîne. Il est peut être plus efficient d’interpréter la mesure législative de cette manière, mais un argument fondé sur l’efficience ne saurait valablement justifier le non-respect des exigences de cette mesure. La Loi requiert des appréciations individuelles. Cela signifie que l’interprétation doit être centrée sur la personne, et non sur la commodité administrative. [Non souligné dans l’original.]

[31]      Deuxièmement, le critère pour déterminer si l’état de santé de l’enfant risquerait d’entraîner un fardeau excessif correspond à « une probabilité raisonnable, non à une faible possibilité. Il doit être probable, eu égard à la situation de la famille, que les éventualités envisagées se réaliseront » (Hilewitz, aux paragraphes 58 et 68).

[32]      Plus précisément, la juge Abella a conclu qu’une personne ne peut être interdite de territoire qu’après un examen qui exclut les événements incertains et hypothétiques tels que la faillite, le déménagement, la fermeture d’école et la mort d’un parent. Elle a écrit, aux paragraphes 58 et 68 :

Le critère législatif est clair : pour qu’une personne se voit refuser l’admission, on doit avoir conclu que son état de santé « entraînerait » ou « risquerait d’entraîner » un fardeau excessif pour le public. Ce critère correspond à une probabilité raisonnable, non à une faible possibilité. Il doit être probable, eu égard à la situation de la famille, que les éventualités envisagées se réaliseront. Voir Hiramen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] A.C.F. no 74 (QL) (C.A.), et Badwal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 1022 (QL) (C.A.), deux arrêts dans lesquels le juge MacGuigan a exposé les motifs.

[…]

Ces façons de voir me paraissent affaiblir et contredire la disposition de la Loi, disposition qui prescrit qu’une personne peut être jugée non admissible seulement si son admission « entraînerait » ou « risquerait d’entraîner » un fardeau excessif. Cela signifie que la décision ne saurait reposer sur de simples conjectures. Les craintes exposées dans le rejet des demandes des Hilewitz et des de Jong quant à diverses possibilités (faillite, déménagement, fermeture d’école ou décès des parents) sont des éventualités qui pourraient être soulevées à l’égard de tout demandeur. En invoquant de telles éventualités pour nier la capacité et la volonté réelles d’une famille de supporter une partie du fardeau occasionné par la déficience d’un enfant, on se trouve à rattacher l’admissibilité d’un demandeur à des conjectures et non à la réalité. [Non souligné dans l’original.]

[33]      Troisièmement, elle a noté que les services sociaux sont régis par des lois provinciales et qu’il existe une distinction entre les services de santé et les services sociaux (voir les paragraphes 21 et 67).

[34]      La juge Abella a conclu, au paragraphe 70 :

Les médecins agréés et les agents des visas avaient l’obligation de tenir compte de tous les éléments pertinents, tant de nature médicale que non médicale, par exemple la disponibilité des services et les besoins prévus à cet égard. Or dans les deux cas, les agents des visas ont commis une erreur en confirmant le refus des médecins agréés de prendre en considération l’incidence possible de la volonté des familles d’apporter leur soutien. En outre, leurs décisions n’étaient pas fondées sur la totalité de l’information disponible, vu leur refus de lire les réponses des familles aux lettres requises par l’équité que leur avaient fait parvenir les médecins agréés.

IV.       La norme de contrôle

[35]      Deux arrêts récents de la Cour suprême du Canada ont eu des répercussions sur l’analyse de la norme de contrôle qui avait été établie dans la jurisprudence antérieure. Il est bien connu que ces deux arrêts sont : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 et, au sujet des tribunaux fédéraux, Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 (Khosa).

[36]      L’arrêt Dunsmuir prescrit :

i. À la suite de l’élimination de la norme de la décision manifestement déraisonnable, il n’existe maintenant que deux normes de contrôle : la décision correcte et la raisonnabilité;

ii. Si la jurisprudence antérieure a réglé de façon satisfaisante la norme de contrôle dans un type particulier de décision, il n’est pas nécessaire d’effectuer une nouvelle analyse de la norme de contrôle;

iii. En présence d’une question touchant aux faits, aux pouvoirs discrétionnaires ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée, ce qui appelle l’application de la norme de la raisonnabilité tout comme pour les questions où le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés (voir paragraphe 53);

iv. La norme de raisonnabilité est ainsi définie, au paragraphe 47 :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

v. La norme de la décision correcte s’applique lorsque la cour de révision n’a pas à accorder de déférence au décideur, qui doit avoir tiré une conclusion correcte. Généralement, les cours de révision n’ont pas à faire preuve de retenue lorsque les questions de droit sont déterminantes (des questions de constitutionnalité, d’interprétation des lois ou des questions de compétence) et qu’il y a une question d’équité procédurale.

[37]      L’arrêt Khosa est important pour les offices fédéraux parce que l’alinéa 18.1(4)d) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], prévoit que la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale, dans l’exercice de leurs fonctions de contrôle judiciaire, peuvent annuler une décision d’un office fédéral s’il « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose » [non souligné dans l’original].

[38]      L’arrêt Khosa précise que, bien que cet alinéa n’était pas une norme de contrôle prévue par la loi, il prévoyait tout de même « une indication législative du “degré de déférence” applicable aux conclusions de fait [de l’office fédéral] » (Khosa, au paragraphe 3). Plus loin dans ses motifs, le juge Ian Binnie, pour la majorité des juges, a déclaré au paragraphe 46 :

De façon plus générale, il ressort clairement de l’al. 18.1(4)d) que le législateur voulait qu’une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence. Ce qui est tout à fait compatible avec l’arrêt Dunsmuir. Cette disposition législative précise la norme de contrôle de la raisonnabilité applicable aux questions de fait dans les affaires régies par la Loi sur les Cours fédérales.

[39]      La jurisprudence montre que l’alinéa 18.1(4)d) s’applique lorsque les conclusions de fait d’un office fédéral 1) sont déterminantes, mais ne sont pas raisonnablement soutenues par la preuve, 2) sont déraisonnables vu l’évaluation de l’ensemble de la preuve, 3) sont hypothétiques ou conjecturales, et 4) ne tiennent pas compte de toute la preuve dont il était saisi ou ont été tirées en écartant des preuves importantes.

V.        Analyse

A. La question préliminaire

[40]      Au début de l’audience, j’ai entendu la requête en radiation de l’affidavit du Dr Brian Dobie présentée par le demandeur et déposée sous serment le 24 novembre 2009.

[41]      Le Dr Dobie est un médecin qui détient un permis de pratiquer en Ontario. Il a été médecin agréé pour Santé Canada et pour CIC, mais il n’était pas le médecin agréé qui a fourni l’avis médical en l’espèce, même s’il a eu un certain rôle à jouer dans la première affaire qui, comme je l’ai mentionné, a été réglée. La Dre LeBlanc ne pouvait pas présenter un affidavit parce qu’elle était en congé de maladie au moment où le présent contrôle judiciaire a débuté. Après avoir lu l’affidavit du Dr Dobie et écouté les observations des parties, j’ai précisé que j’accorderais peu de poids à l’affidavit parce qu’il n’avait qu’une pertinence et une utilité négligeables au sujet du DCT et parce que les renseignements sur les coûts dans son affidavit n’étaient pas fondés sur les coûts en Alberta, où la famille Parmar habiterait, mais plutôt sur les coûts en Ontario et parce qu’il a aussi tenu compte des coûts médicaux.

B. Discussion et conclusions

[42]      L’avocat du demandeur a soulevé un grand nombre de questions pour tenter de faire annuler la décision de l’agente des visas. Certaines de ces questions ont été mentionnées aux paragraphes 2 et 5 des présents motifs. Il a soulevé aussi des motifs subsidiaires tels que les suivants : 1) en ce qui a trait à des questions qui devaient être tranchées par le médecin agréé, l’agente des visas a substitué son opinion à celle du médecin agréé; et 2) elle a inclus dans les services sociaux des services qui constituent plutôt des services de santé. Il ne sera pas nécessaire que je traite de chacune des observations de l’avocat du demandeur, sauf pour deux moyens qui sont déterminants : 1) l’agente des visas a manqué à l’équité procédurale en ne présentant pas des motifs adéquats; et 2) elle a tiré des conclusions de fait déraisonnables en ce qui a trait à la capacité et à la volonté du demandeur d’atténuer le fardeau excessif. À mon avis, ces conclusions sont contraires à la preuve ou ne sont pas fondées sur la preuve.

[43]      Incidemment, l’avocat du demandeur a aussi représenté M. Sapru, le demandeur dans une récente décision de mon collègue le juge Mosley, Sapru c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 240, [2011] 2 R.C.F. 501 (Sapru) (audience tenue le 18 février 2010 et décision rendue le 2 mars 2010). Un examen de la décision du juge Mosley, dans laquelle il rejetait la demande de contrôle judiciaire dans une affaire d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires pour un enfant à charge qui avait des retards de développement, révèle que M. Cecil Rotenberg a présenté les mêmes arguments dans la décision Sapru que ceux qu’il m’a présentés.

C. Le manque de motifs adéquats

[44]      Dans des arrêts récents, dont l’arrêt déclencheur a été l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker), la Cour suprême du Canada a souligné le besoin de rendre des motifs suffisants. Voir l’arrêt Baker, aux paragraphes 35 à 44. Dans l’affaire Baker, un agent d’immigration a rejeté la demande de Mme Baker de rester au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. La Cour suprême a conclu que des motifs écrits étaient nécessaires dans cette affaire, en raison de l’importance de la décision pour la personne. La juge Claire L’Heureux-Dubé, s’exprimant pour la Cour, a écrit au paragraphe 43 qu’il « serait injuste à l’égard d’une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise ».

[45]      Récemment, dans l’arrêt R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3 (R.E.M.) la juge en chef a conclu que les motifs du juge du procès en droit pénal remplissent trois fonctions principales : 1) expliquer la décision aux parties; 2) rendre compte devant le public; et 3) permettre un examen efficace en appel; on veille ainsi à ce que les motifs du juge du procès, considérés dans le contexte de l’ensemble du dossier, démontrent que le juge du procès avait conscience des questions fondamentales en litige dont il était saisi et qu’il les a résolues.

[46]      Le critère pour l’appréciation du caractère suffisant des motifs, mentionné au paragraphe 15 de l’arrêt R.E.M., est de déterminer si les motifs répondent aux trois fonctions établies.

[47]      L’affaire R.E.M. est une affaire de droit pénal. Je ne vois aucune raison pour laquelle elle ne devrait pas s’appliquer dans un contexte de droit administratif, puisque la Cour suprême du Canada a préconisé l’approche fonctionnelle à laquelle elle a souscrit pour la première fois dans l’arrêt Baker.

[48]      Je n’hésite aucunement à conclure que les motifs du médecin agréé sont loin d’être adéquats. La lettre relative à l’équité était fondée sur son avis médical. Cette lettre invitait le demandeur à répondre à un certain nombre de questions, y compris au sujet des services sociaux requis, et à présenter un plan personnel portant sur sa capacité et sa volonté de s’assurer qu’aucun fardeau excessif ne serait imposé aux services sociaux canadiens.

[49]      Le demandeur a présenté une réponse détaillée sur tous les points, sauf sur le diagnostic médical d’Inderjot. Le médecin agréé a accusé réception des documents envoyés par M. Parmar et les a examinés. Sans procéder à une analyse ni faire de commentaires, l’agent des visas a simplement inscrit que la réponse à la lettre relative à l’équité du demandeur ne changeait pas son point de vue exprimé précédemment. Les motifs étaient gravement déficients parce qu’ils ne remplissaient pas leur fonction d’expliquer pourquoi les observations de M. Parmar au sujet du fait qu’il n’a pas besoin de services sociaux n’ont pas été acceptées, de rendre compte devant le public et de permettre un examen efficace en contrôle judiciaire. Compte tenu de ces motifs inadéquats, la Cour ne sait simplement pas si le médecin agréé a tenu compte des enseignements de l’arrêt Hilewitz, en particulier au sujet du besoin d’effectuer une évaluation personnalisée pour Inderjot.

[50]      Dans la décision Sapru, le juge Mosley, au paragraphe 38, sur des faits semblables, a conclu que les motifs du médecin agréé au sujet de la preuve non médicale étaient insuffisants. Cependant, il a conclu que l’agent des visas avait présenté des motifs détaillés justifiant sa conclusion selon laquelle les demandeurs n’avaient pas la capacité ni l’intention d’atténuer le fardeau excessif. La question qu’il a posée visait à déterminer si les motifs de l’agent des visas avaient sauvé les motifs du médecin agréé. Il a conclu que c’était le cas. Compte tenu des faits en l’espèce, je ne peux pas en arriver à la même conclusion, parce que les motifs de l’agent des visas au sujet des éléments non médicaux sont viciés. Il s’agit de la deuxième question en litige.

D. La 2e question en litige

[51]      Les motifs de l’agent des visas expliquant le rejet pour manque de crédibilité du plan présenté par M. Parmar ne résistent pas à un examen approfondi; les conclusions ne sont pas raisonnables et elles ont été tirées en contravention du pouvoir conféré par la loi au paragraphe 18.1(4) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, tout comme dans l’arrêt Khosa, pour les motifs suivants.

[52]      Premièrement, il n’y a aucun fondement dans la preuve pour l’argument selon lequel la mère d’Inderjot ne restera pas à la maison au Canada pour prendre soin de son fils, comme elle l’a fait au cours des dernières années. La conclusion de l’agente des visas est fondée sur de pures conjectures. Il suffit de comparer cette conclusion à celle du juge Mosley dans la décision Sapru, au paragraphe 58, où il indique qu’une conclusion semblable était raisonnable parce que la personne concernée était employée de façon continue, ou était travailleur autonome de façon continue, depuis 1992.

[53]      Deuxièmement, la conclusion selon laquelle Inderjot aurait besoin de soins médicaux spécialisés est contraire à la preuve et ne peut être soutenue par une quelconque preuve directement applicable à la situation d’Inderjot.

[54]      L’agente des visas n’a accordé aucun poids aux engagements pris sous serment des membres de la famille. Elle n’explique pas pourquoi elle a pris cette décision, sauf dans le cas de la sœur du demandeur, qui, à son avis, n’était pas qualifié, et ce, malgré la preuve qui lui a été présentée au sujet du fait qu’Inderjot n’a pas besoin de tels soins; ses besoins sont ceux d’un bébé de six mois.

[55]      Troisièmement, on peut dire la même chose de l’évaluation de l’agente des visas portant sur la capacité financière de la famille. 1) Elle a conclu que deux maisons en Inde sont des propriétés conjointes qui seraient difficiles à vendre. Elle a omis ou a négligé de mentionner que, dans la majorité des cas, le propriétaire conjoint est l’épouse du demandeur. 2) Sa critique au sujet de l’organisation bancaire est fondée sur des hypothèses. Si elle avait des préoccupations au sujet de l’augmentation récente des soldes bancaires, elle aurait dû poser la question au demandeur plutôt que de supposer que les soldes avaient été augmentés pour aider à la demande d’immigration.

[56]      À première vue, ces soldes bancaires et les investissements en CPG ont été confirmés par des relevés de banque, dont l’agent des visas n’a pas douté la véracité. La situation en l’espèce est tout à fait différente de la situation dans la décision Sapru; voir le paragraphe 6 (aucune déclaration de capacité et d’intention n’avait été présentée; il manquait des renseignements dans le plan, au paragraphe 9; aucun plan n’avait été présenté, au paragraphe 51, et les renseignements présentés manquaient de crédibilité, aux paragraphes 56 à 59).

[57]      En terminant, je note aussi que le juge Mosley, dans la décision Sapru, au paragraphe 49, a souscrit à l’observation de l’avocat du demandeur selon laquelle « il ne semble pas probable » que tous les services sociaux mentionnés dans cette affaire par le médecin agréé seraient nécessaires. Il a cependant conclu que certains services sociaux importants seraient nécessaires, ce qui l’a porté à conclure que la surestimation du médecin agréé n’était pas importante. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

[58]      Pour ces motifs, je conclus que la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, la décision de l’agente des visas soit annulée et la demande de résidence permanente du demandeur soit renvoyée pour nouvel examen par un autre agent des visas, dont la décision au sujet de l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires d’Inderjot devra tenir compte des présents motifs et être fondée sur l’avis d’un médecin agréé différent.

Le nouvel examen aura lieu sans délai, conformément aux directives suivantes :

1) Conformément aux instructions qui seront données par le nouveau médecin agréé (le MA), Inderjot subira un examen médical complet et approfondi visant à établir son état de santé actuel et à déterminer si son état de santé est resté le même ou s’est détérioré depuis le dernier examen médical.

2) Le MA produira une nouvelle déclaration médicale dans laquelle il ciblera les services (de santé ou sociaux) dont Inderjot aurait probablement besoin et si la fourniture de ces services risque de causer un fardeau excessif pour les services de santé ou les services sociaux dans la province de résidence prévue au Canada, en tenant compte du fait que la majorité du financement pour les services provient des gouvernements.

3) Une nouvelle lettre relative à l’équité sera préparée par le nouvel agent des visas et sera envoyée à M. Parmar, qui pourra répondre aux éléments qui y sont établis. Un plan visant à atténuer tout fardeau excessif sera produit; il devra répondre aux questions soulevées dans la récente jurisprudence au sujet de la force exécutoire des engagements envers les gouvernements et des ententes alternatives, telles que les polices d’assurances visant à compenser pour les limites de ces engagements. Toute déclaration de capacité et d’intention devra comprendre des renseignements financiers mis à jour au sujet de la valeur nette de la famille.

4) Le MA examinera sans délai la réponse de M. Parmar à la lettre relative à l’équité, conformément à la jurisprudence récente et conformément aux exigences de l’équité procédurale et évaluera si la réponse de M. Parmar à la lettre relative à l’équité a des répercussions sur les renseignements inscrits dans cette lettre qui lui a été envoyée, et dans quelle mesure.

5) L’agent des visas s’acquittera de ses fonctions tel que la loi le prescrit.

Aucune question à certifier n’est proposée.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

38. (1) Emporte, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour motifs sanitaires l’état de santé de l’étranger constituant vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

Motifs sanitaires

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

1. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la Loi et au présent règlement.

[…]

« fardeau excessif » Se dit :

a) de toute charge pour les services sociaux ou les services de santé dont le coût prévisible dépasse la moyenne, par habitant au Canada, des dépenses pour les services de santé et pour les services sociaux sur une période de cinq années consécutives suivant la plus récente visite médicale exigée par le présent règlement ou, s’il y a lieu de croire que des dépenses importantes devront probablement être faites après cette période, sur une période d’au plus dix années consécutives;

b) de toute charge pour les services sociaux ou les services de santé qui viendrait allonger les listes d’attente actuelles et qui augmenterait le taux de mortalité et de morbidité au Canada vu l’impossibilité d’offrir en temps voulu ces services aux citoyens canadiens ou aux résidents permanents.

[…]

« services de santé » Les services de santé dont la majeure partie sont financés par l’État, notamment les services des généralistes, des spécialistes, des infirmiers, des chiropraticiens et des physiothérapeutes, les services de laboratoire, la fourniture de médicaments et la prestation de soins hospitaliers.

« services sociaux » Les services sociaux — tels que les services à domicile, les services d’hébergement et services en résidence spécialisés, les services d’éducation spécialisés, les services de réadaptation sociale et professionnelle, les services de soutien personnel, ainsi que la fourniture des appareils liés à ces services :

a) qui, d’une part, sont destinés à aider la personne sur les plans physique, émotif, social, psychologique ou professionnel;

b) dont, d’autre part, la majeure partie sont financés par l’État directement ou par l’intermédiaire d’organismes qu’il finance, notamment au moyen d’un soutien financier direct ou indirect fourni aux particuliers.

[…]

Définitions

34. Pour décider si l’état de santé de l’étranger risque d’entraîner un fardeau excessif, l’agent tient compte de ce qui suit :

a) tout rapport établi par un spécialiste de la santé ou par un laboratoire médical concernant l’étranger;

b) toute maladie détectée lors de la visite médicale.

Fardeau excessif

Avis médical de 2005, Dr J. B. Lazarus (dossier certifié du Tribunal, M129) :

[traduction]

Le demandeur de 15 ans, né le 9 janvier 1990, souffre d’un retard mental grave et de paralysie cérébrale. Son QI estimé est de 22, ce qui le place dans la catégorie du retard mental grave. Son état est aggravé par la paralysie cérébrale. Il est atteint de quadriparésie spastique et il est incapable de s’asseoir, de se tenir debout ou de parler. Il est alité et il présente des signes évidents de spasticité avec des déformations en flexion aux bras et aux jambes. Il ne répond pas aux commandes verbales. Il dépend complètement des autres pour toutes les activités de la vie quotidienne, y compris se nourrir, s’habiller, prendre soin de son hygiène et se déplacer. Il est incontinent pour l’urine et les selles. Son état persistera toute sa vie et le psychologue-conseil déclare qu’il aura besoin de soutien et de supervision continus.

Dans le contexte canadien, le demandeur et sa famille auraient besoin d’une évaluation approfondie et d’un examen de la part d’une équipe de développement multidisciplinaire afin d’établir, puis d’appliquer, un programme d’intervention approprié pour composer avec les problèmes de santé de l’enfant et de traiter ses déficiences en matière d’aptitudes adaptatives. Cette équipe serait probablement composée de médecins qui ont de l’expérience dans le traitement de personnes qui ont des retards mentaux et des handicaps physiques, d’orthophonistes pour l’aider à parler et, au besoin, d’ergothérapeutes, de physiothérapeutes, d’éducateurs spécialisés, de psychologues et de travailleurs sociaux. Au Canada, il serait reconnu comme une personne ayant besoin d’éducation spécialisée et de soutien.

La philosophie sociale canadienne comprend un engagement envers l’égalité, la pleine participation et l’intégration communautaire maximale de toutes les personnes atteintes de retards mentaux et de handicaps physiques afin de maximiser leur développement personnel. Le demandeur et sa famille seraient admissibles à divers services sociaux et avantages qui aideraient à améliorer l’autonomie relative de leur enfant. Il aura besoin de physiothérapie et de soins infirmiers à domicile. De plus, la famille qui le soutient aurait droit au programme d’assistance aux parents ou aux fournisseurs de soins et à un service de relève. L’enfant aurait besoin de soins en établissement si la famille devait retirer son soutien. L’examen multidisciplinaire susmentionné, ainsi que les services de gestion et de soutien dont il aurait besoin, sont dispendieux et coûtent plus que le montant moyen dépensé pour les soins de santé individuels au Canada.

Compte tenu de mon examen des résultats de cette évaluation médicale et de tous les rapports que j’ai reçus au sujet de l’état de santé du demandeur, je conclus que son état de santé risque raisonnablement de causer un fardeau excessif pour les services sociaux, dont le coût dépasserait certainement le coût moyen par habitant au Canada sur cinq ans. Par conséquent, le demandeur est interdit de territoire en application du paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

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