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[2012] 4 R.C.F. 479

A-295-10

2011 CAF 110

Tao Li (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour d’appel fédérale, juges Dawson, Layden-Stevenson et Mainville, J.C.A.—Toronto, 15 mars; Ottawa, 28 mars 2011.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Appel d’un jugement de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire sollicitant, notamment, une déclaration portant que l’art. 295(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés est ultra vires de l’art. 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques — Le Règlement prévoit des frais d’examen de la demande de parrainage et de la demande de visa de résident permanent du demandeur principal — La Cour fédérale a établi un lien entre les coûts du service et les frais exigés pour les demandes de visa de résident permanent des parents et des grands-parents; le moment où les frais relatifs aux demandes de visa de résident permanent sont imposés reflète la réalité concrète de l’examen des demandes de parrainage et des demandes de visa de résident permanent — L’appelant soutenait qu’il est contraire à l’art. 19 d’exiger des frais d’utilisation à l’avance pour des demandes qui n’existent pas encore — L’art. 295(3)a) du Règlement, dans la mesure où il s’applique aux demandes de visa d’immigrant parrainé présentées par les parents ou les grands-parents, n’est pas ultra vires au motif qu’il est incompatible avec l’art. 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques — Il doit exister un lien entre les frais d’utilisation et le coût du service fourni — Il suffit de démontrer un rapport raisonnable entre le service fourni et la somme exigée — Il s’agissait de savoir s’il existe un rapport raisonnable lorsque les frais d’utilisation sont payés bien avant que le service ne soit effectivement fourni et qu’il se peut, dans certains cas, qu’il ne soit jamais fourni — L’art. 19 ne prescrit pas que les frais ne peuvent être exigés qu’après la prestation du service, et ne limite aucunement le pouvoir du gouverneur en conseil de prendre des règlements exigeant le paiement des frais d’utilisation avant que le service ne soit fourni — L’idée de percevoir les frais d’utilisation seulement après la prestation du service va à l’encontre de l’objet même de l’art. 19 — Les art. 295(1)a) et 304 du Règlement prévoient une distinction dans l’établissement des frais pour l’examen des demandes de parrainage et pour l’examen des demandes de visa de résident permanent — La demande de parrainage n’a, aucune utilité sans la demande de visa de résident permanent — Un lien ou un rapport raisonnable peut donc être établi entre les frais exigés à l’égard des demandes de visa de résident permanent et le coût relatif au traitement de ces demandes, même si ces frais sont exigés à l’avance — Ce n’est pas aux tribunaux qu’il incombe de décider des mesures réglementaires à prendre afin d’atténuer les effets de la décision du gouvernement d’accorder la priorité aux demandes des époux et des enfants — Appel rejeté.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’égard d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire qui sollicitait, entre autres, une déclaration portant que l’alinéa 295(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés est ultra vires de l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques.

Le barème des droits que prévoit le Règlement pour le traitement des demandes présentées au titre de la catégorie du regroupement familial établit des frais pour l’examen de la demande de parrainage, et d’autres frais pour la demande de visa de résident permanent du demandeur principal, en plus des frais exigés pour l’examen des demandes de visa des membres de sa famille qui l’accompagnent. Les frais de la demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie du regroupement familial sont acquittés en même temps que les frais de demande de parrainage connexe, mais ils peuvent être remboursés. La Cour fédérale a conclu qu’un rapport évident avait été établi entre le coût du service et les frais exigés pour les demandes de visa de résident permanent des parents et des grands-parents, même si ces frais étaient payés avant que le service ne soit fourni. La Cour fédérale a également conclu que le moment où les frais relatifs aux demandes de visa de résident permanent sont imposés reflétait la réalité concrète de l’examen des demandes de parrainage et des demandes de visa de résident permanent. L’appelant alléguait qu’il ne peut exister de lien lorsque les frais d’utilisation sont exigés à l’avance pour des demandes qui n’existent pas et qui ne pourront exister que quelque 34 mois suivant l’acquittement des frais proprement dit. L’appelant soutenait que cela allait à l’encontre de l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques, selon lequel les frais d’utilisation sont limités aux services effectivement fournis en contrepartie des frais payés et qui, par voie de conséquence, ne permet pas la perception de deux types de frais lorsque le service lié au second type de frais dépend d’une décision favorable à l’issue de la prestation du premier service.

La question à trancher était de savoir si l’alinéa 295(3)a) du Règlement, dans la mesure où il s’applique aux demandes de visa d’immigrant parrainé présentées par les parents ou les grands-parents, est ultra vires au motif qu’il est incompatible avec l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

L’alinéa 295(3)a) du Règlement n’est pas ultra vires de l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques. Il doit exister un lien entre les frais d’utilisation exigés par le gouvernement et le coût du service fourni, mais les tribunaux n’exigent pas que la somme demandée corresponde précisément au coût du service fourni. Il suffit de démontrer un rapport raisonnable entre le coût du service fourni et la somme exigée. Ce critère, établi par la Cour suprême du Canada dans Succession Eurig (Re), est utile pour l’interprétation de la Loi sur la gestion des finances publiques, dans la mesure où celle-ci porte sur les frais d’utilisation. La question fondamentale soulevée en l’espèce consiste à déterminer s’il est possible de conclure à l’existence d’un rapport raisonnable lorsque les frais d’utilisation sont payés bien avant que le service ne soit effectivement fourni et qu’il se peut, dans certains cas, qu’il ne soit jamais fourni. L’article 19 ne prescrit pas que les frais liés à la prestation d’un service ou à la mise à disposition d’installations ne peuvent être exigés qu’après la prestation du service ou l’utilisation des installations. La Cour ne doit présumer l’existence d’aucune limite. En l’espèce, l’article 19 ne limite aucunement le pouvoir du gouverneur en conseil de prendre des règlements exigeant le paiement des frais d’utilisation avant que le service ne soit effectivement fourni. L’idée de percevoir les frais d’utilisation seulement après la prestation du service par le gouvernement va à l’encontre de l’objet même de l’article 19, qui consiste à assurer que les bénéficiaires d’un service gouvernemental supportent au moins une partie des coûts de la prestation du service. Le paragraphe 20(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, qui permet la restitution des fonds versés à des fins qui n’ont pas été réalisées, constitue une autre indication qu’il est possible, en vertu de l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques, d’exiger le paiement de frais avant que le service ne soit fourni. L’alinéa 295(1)a) et l’article 304 du Règlement établissent clairement la distinction entre les frais d’examen de la demande de parrainage et les frais d’examen de la demande de visa de résident permanent. Les deux catégories de demande font appel à des services étroitement liés. Néanmoins, la réalité concrète de la prestation de ces deux services peut être prise en compte pour déterminer s’il a été satisfait aux exigences de l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques. En l’espèce, la réalité concrète est que la demande de parrainage n’a, en soi, aucune utilité, sans la demande de visa de résident permanent, les deux demandes étant interreliées et interdépendantes. Par conséquent, un lien ou un rapport raisonnable peut être établi entre les frais exigés à l’égard des demandes de visa de résident permanent et le coût relatif au traitement de ces demandes, même si ces frais sont exigés à l’avance, au moment du dépôt de la demande de parrainage. La demande de parrainage est inextricablement liée à la demande de visa de résident permanent. Finalement, il n’incombe pas aux tribunaux de décider des mesures réglementaires à prendre, le cas échéant, afin d’atténuer les effets de la décision du gouvernement d’accorder la priorité au traitement des demandes des époux et des enfants au titre de la catégorie du regroupement familial, par rapport à celles des parents et des grands-parents.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS           

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12.

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, art. 19 (mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 6), 20(2).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 5 (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 2), 13(1), 74d).

Règlement de 1997 sur le remboursement de recettes, DORS/98-127.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 117(1) (mod. par DORS/2010-195, art. 11), 130(1), 295(1)a) (mod. par DORS/2005-61, art. 7), (3) (mod. par DORS/2009-163, art. 15), 304.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.

décision examinée :

Sunshine Village Corp. c. Canada (Parcs), 2004 CAF 166, [2004] 3 R.C.F. 600.

décisions citées :

Association des armateurs canadiens c. Canada, 1997 CanLII 5373 (C.F. 1re inst.), conf. par 1998 CanLII 8429 (C.A.F.); Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Saputo Inc. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 69, [2012] 4 R.C.F. 519; United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), 2004 CSC 19, [2004] 1 R.C.S. 485; Mercier c. Canada (Service correctionnel), 2010 CAF 167, [2012] 1 R.C.F. 72; Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, [2009] 3 R.C.S. 407; CHC Global Operations (2008) Inc. c. Global Helicopter Pilots Assn., 2010 CAF 89; 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général), 2008 CSC 7, [2008] 1 R.C.S. 131; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Thorne's Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106; de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655.

APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2010 CF 803, [2011] 4 R.C.F. 179) rejetant une demande de contrôle judiciaire dans laquelle l’appelant sollicitait, entre autres, une déclaration portant que l’alinéa 295(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés est ultra vires de l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Lorne Waldman pour l’appelant.

Marie-Louise Wcislo et David Cranton pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Waldman & Associates, Toronto, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Mainville, J.C.A. : L’alinéa 295(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), prévoit que les frais exigés pour l’examen d’une demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie du regroupement familial doivent être payés en même temps que les frais d’examen de la demande de parrainage connexe. Puisque la demande au titre de la catégorie parrainée du regroupement familial pour un parent ou un grand‑parent dépend de l’acceptation de la demande de parrainage connexe, dont le traitement peut prendre quelques années, l’appelant soutient que l’obligation de payer à l’avance les frais afférents à la demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie du regroupement familial est incompatible avec la notion de frais d’utilisation dont il est question à l’article 19 [mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 6] de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F‑11.

[2]        Dans les motifs répertoriés sous 2010 CF 803, [2011] 4 R.C.F. 179, le juge Mosley de la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire dans laquelle l’appelant sollicitait, entre autres choses, une déclaration portant que l’alinéa 295(3)a) du Règlement est ultra vires parce qu’il outrepasse le cadre du pouvoir réglementaire prévu à l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques. Par ailleurs, le juge Mosley a certifié la question suivante, conformément à l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), d’où l’appel de sa décision devant notre Cour :

L’alinéa 295(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, dans la mesure où il s’applique aux demandes de visa d’immigrant parrainé présentées par les parents ou les grands‑parents, est‑il ultra vires au motif qu’il est incompatible avec l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques?

[3]        Pour les motifs exposés ci‑dessous, je suis d’avis de répondre par la négative à cette question et, par conséquent, de rejeter l’appel.

Contexte

[4]        Sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, tout citoyen canadien ou résident permanent du Canada qui voulait parrainer un membre de la catégorie du regroupement familial devait déposer une demande de parrainage et payer en une seule fois des frais d’examen s’élevant à 500 $ pour le demandeur principal et chaque adulte à charge, et à 100 $ pour chaque personne à charge n’ayant pas atteint l’âge de 19 ans. Ces frais, qui couvraient le traitement de la demande de parrainage et de la demande de visa de résident permanent connexe, ne pouvaient être remboursés. Si l’auteur de la demande de parrainage ne satisfaisait pas aux conditions prescrites, la demande de visa de résident permanent connexe était néanmoins transmise au bureau des visas concerné pour traitement et évaluation, même si elle était invariablement rejetée faute de répondant admissible.

[5]        Le 28 juin 2002, la Loi sur l’immigration a été abrogée et remplacée par la LIPR. Le nouveau Règlement pris en application de la LIPR établit un barème des droits exigés pour le traitement des demandes présentées au titre de la catégorie du regroupement familial. Auparavant, une seule tarification s’appliquait à un seul processus en deux volets. Le nouveau barème de droits prévoit des frais pour chacun de ces deux services étroitement liés : 75 $ pour l’examen de la demande de parrainage, et 475 $ pour l’examen de la demande de visa de résident permanent du demandeur principal, en plus des frais exigés pour l’examen des demandes de visa des membres de sa famille qui l’accompagnent. Les frais de la demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie du regroupement familial sont acquittés en même temps que les frais de la demande de parrainage connexe, mais ils peuvent dorénavant être remboursés.

[6]        Le délai de traitement des demandes de parrainage au titre de la catégorie du regroupement familial concernant les parents et les grands‑parents a considérablement augmenté depuis l’entrée en vigueur de la LIPR en 2002. Cela est en partie attribuable à la décision du gouvernement de classer par ordre de priorité les demandes au titre de la catégorie du regroupement familial dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler une « initiative de restructuration de la catégorie du regroupement familial » en vertu de laquelle les demandes des époux, des conjoints de fait, des partenaires conjugaux et des enfants sont traitées en priorité afin de réduire de façon importante le délai de traitement global des demandes de parrainage et de visa de résident permanent. Cet objectif est atteint grâce à l’obligation relative aux demandes conjointes de parrainage et de visa de résident permanent (dont la préparation et la présentation sont coordonnées par le répondant) et à l’engagement du gouvernement à traiter 80 p. 100 des demandes de parrainage et de résidence permanente dans un délai de six mois suivant leur présentation.

[7]        Cette initiative a permis de réduire le délai moyen de traitement des demandes de parrainage à l’égard des époux, des conjoints de fait, des partenaires conjugaux et des enfants, qui était de 54 jours en mars 2010. Toutefois, elle a également contribué à faire augmenter le délai moyen de traitement des demandes relatives aux parents et aux grands‑parents, qui ne sont pas prioritaires dans la catégorie du regroupement familial. La demande de parrainage à l’égard d’un parent ou d’un grand‑parent continue d’être traitée séparément de la demande de visa de résident permanent connexe, laquelle ne peut être soumise qu’une fois la demande de parrainage acceptée. Aucune de ces demandes n’est considérée comme prioritaire. En mars 2010, le délai moyen de traitement des demandes de parrainage à l’égard des parents et des grands‑parents était de 34 mois.

Les motifs du juge de première instance

[8]        Le juge de première instance a reconnu que la disposition autorisant l’adoption du barème des droits contestés sous le régime du Règlement était l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques, qui prévoit que, lorsqu’un montant à payer est fixé, il doit être payé pour la prestation d’un service offert par le gouvernement, ou en son nom, par les bénéficiaires de ce service, individuellement ou par catégorie, et il ne peut excéder les coûts supportés par le gouvernement pour la prestation du service. Le juge de première instance a également reconnu que les frais liés à la demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie du regroupement familial doivent être payés au moment où est déposée la demande de parrainage connexe et que, dans le cas des parents et grands‑parents parrainés, cela signifie très longtemps (environ 34 mois) avant le traitement de la demande de visa elle‑même. Il a également convenu que le traitement de la demande de visa dépendait de l’acceptation préalable de la demande de parrainage. Il a cependant conclu que seulement environ 2,5 p. 100 des demandes de parrainage étaient rejetées et qu’en cas de refus, les frais de la demande de visa étaient remboursables.

[9]        Se penchant sur l’interprétation de la Loi sur la gestion des finances publiques, le juge de première instance a conclu aux paragraphes 45 et 47 de ses motifs que, considéré dans son ensemble, conformément à la méthode moderne en matière d’interprétation des lois, le paragraphe 19(2) de cette loi « n’[empêche] pas le gouvernement d’imposer des frais en vue de récupérer les coûts supportés pour fournir les services en question, et ce, bien avant que ces services ne soient effectivement rendus », et « n’exige pas non plus que le service pour lequel des frais sont exigés soit exécuté dans un délai raisonnable ». Qui plus est, il « n’impose aucune limite de temps à la prestation des services pour lesquels les frais sont perçus ».

[10]      S’appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565 (Eurig), le juge de première instance a conclu que, pour que les frais d’utilisation soient considérés valides, il doit exister un rapport raisonnable ou un rapport évident entre la somme exigée et le coût du service fourni. Il a de plus conclu que, selon la preuve, un rapport évident avait été établi entre le coût du service et les frais exigés pour les demandes de visa de résident permanent des parents et des grands‑parents, même si ces frais étaient payés bien avant que le service ne soit fourni.

[11]      Le juge de première instance s’est également fondé sur la décision du juge Rouleau dans Association des armateurs canadiens c. Canada, 1997 CanLII 5373 (C.F. 1re inst.), confirmée par 1998 CanLII 8429 (C.A.F.), pour conclure que le contexte dans lequel le service est concrètement fourni doit être pris en considération lorsqu’il s’agit de déterminer si un règlement impose légalement des frais d’utilisation en vertu du pouvoir réglementaire prévu par la Loi sur la gestion des finances publiques. Dans la présente affaire, il a conclu, au paragraphe 58 des motifs de sa décision que le moment où les frais relatifs aux demandes de visa de résident permanent sont imposés reflétait la réalité concrète de l’examen des demandes de parrainage et des demandes de visa de résident permanent, et il était d’accord pour dire « qu’il s’agit effectivement d’un seul et même service ». Il a accepté la preuve suivant laquelle l’imposition de frais pour les deux demandes « s’explique par le fait qu’il est nécessaire de rendre efficace un processus déjà long grâce au traitement de deux types de frais en même temps, et ce, dès le début pour ne pas retarder la prestation des services qui doivent être rendus ultérieurement ».

La norme de contrôle applicable

[12]      Le présent appel porte sur la validité de l’alinéa 295(3)a) du Règlement. La Cour ne procède donc pas au contrôle judiciaire d’une mesure administrative, auquel s’appliquent les principes établis dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, mais à la révision en appel de la décision d’un juge de première instance de rejeter une contestation de droit administratif, introduite par voie de demande de contrôle judiciaire, visant la validité d’un règlement. Dans ces circonstances, les principes de révision en appel établis dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 s’appliquent : Saputo Inc. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 69, [2012] 4 R.C.F. 519, au paragraphe 9.

[13]      La détermination de la validité d’un règlement en fonction des principes de droit administratif est assujettie à la norme de la décision correcte : United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), 2004 CSC 19, [2004] 1 R.C.S. 485, au paragraphe 5; Sunshine Village Corp. c. Canada (Parcs), 2004 CAF 166, [2004] 3 R.C.F. 600, au paragraphe 10; Mercier c. Canada (Service correctionnel), 2010 CAF 167, [2012] 1 R.C.F. 72, aux paragraphes 78 et 79.

[14]      Dans un appel relatif à une contestation constitutionnelle, lorsqu’il est possible de traiter l’analyse constitutionnelle séparément des conclusions de fait qui la sous‑tendent, il convient de faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de fait initiales : Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, [2009] 3 R.C.S. 407, au paragraphe 26; CHC Global Operations (2008) Inc. c. Global Helicopter Pilots Assn., 2010 CAF 89, au paragraphe 22. Je ne vois pas pourquoi la même démarche ne devrait pas être employée lorsque la contestation est fondée sur des principes de droit administratif, et non sur des principes de droit constitutionnel.

La position de l’appelant

[15]      S’appuyant sur l’arrêt Eurig, l’appelant affirme que l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques exige un lien entre les frais d’utilisation perçus et le service fourni. Selon lui, ce lien ne peut exister lorsque les frais d’utilisation sont exigés à l’avance pour des demandes qui n’existent pas et qui ne pourront exister que quelque 34 mois suivant l’acquittement des frais proprement dit. Au bout du compte, le gouvernement tire un avantage financier du fait que les frais d’examen de la demande de visa de résident permanent sont payés des années avant qu’il n’ait à supporter les coûts relatifs à la prestation des services s’y rapportant.

[16]      L’appelant soutient que ce résultat va à l’encontre de l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques, selon lequel les frais d’utilisation sont limités aux services effectivement fournis en contrepartie des frais payés et qui, par voie de conséquence, ne permet pas la perception de deux types de frais lorsque le service lié au second type de frais dépend d’une décision favorable à l’issue de la prestation du premier service.

[17]      L’appelant allègue donc que le juge de première instance a fait erreur en concluant que le traitement de la demande de parrainage et de la demande de visa de résident permanent, au titre de la catégorie du regroupement familial, constitue effectivement un seul et même service, et qu’il existe un rapport évident entre les coûts afférents à l’examen de la demande de visa de résident permanent et les frais payés pour ce service.

La position de l’intimé

[18]      L’intimé appuie entièrement la décision du juge de première instance. Il affirme que le paragraphe 19(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques reflète le principe voulant que le gouvernement ne doive pas tirer avantage des frais de service qu’il exige, mais que cette disposition n’empêche pas le gouvernement de percevoir des frais de service avant de fournir le service. Comme le juge de première instance l’a conclu, il faut tenir compte du contexte dans lequel les services sont concrètement fournis pour déterminer comment et à quel moment percevoir les frais afférents aux services. L’alinéa 295(3)a) du Règlement reflète la réalité concrète selon laquelle les demandes de parrainage et de visa de résident permanent constituent véritablement deux volets d’un même service et il témoigne également de la nécessité de rendre efficace un processus d’immigration déjà long.

[19]      En l’espèce, bien que le Règlement prévoie des barèmes de droits différents pour les demandes de parrainage et les demandes parrainées de visa de résident permanent, l’intimé soutient qu’ils ne visent qu’une seule catégorie de bénéficiaires, à savoir les personnes qui désirent soumettre une demande au titre de la catégorie du regroupement familial.

Cadre législatif

[20]      Les paragraphes 19(1) et (2) de la Loi sur la gestion des finances publiques prévoient l’adoption d’un règlement fixant le prix à payer pour la prestation de services :

19. (1) Sur recommandation du Conseil du Trésor, le gouverneur en conseil peut :

a) fixer par règlement, pour la prestation de services ou la mise à disposition d’installations par Sa Majesté du chef du Canada ou en son nom, le prix à payer, individuellement ou par catégorie, par les bénéficiaires des services ou les usagers des installations;

b) autoriser le ministre compétent à fixer ce prix par arrêté et assortir son autorisation des conditions qu’il juge indiquées.

Prix de prestation de services ou d’usage d’installations

(2) Le prix fixé en vertu du paragraphe (1) ou rajusté conformément à l’article 19.2 ne peut excéder les coûts supportés par Sa Majesté du chef du Canada pour la prestation des services aux bénéficiaires ou usagers, ou à une catégorie de ceux‑ci, ou la mise à leur disposition des installations.

Plafonnement

[21]      Le paragraphe 20(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques prévoit le remboursement des fonds versés à un fonctionnaire public à des fins non réalisées, moins tout montant imputable à un service rendu.

20. […]

(2) Les fonds versés à un fonctionnaire public à des fins non réalisées peuvent, conformément aux règlements du Conseil du Trésor, être restitués à celui qui les a versés moins le montant régulièrement imputable, selon le Conseil, à un service rendu.

Restitution

[22]      L’alinéa 295(1)a) [mod. par DORS/2005-61, art. 7], le paragraphe 295(3) [mod. par DORS/2009-163, art. 15] et l’article 304 du Règlement ont été pris en vertu de l’article 5 [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 2] de la LIPR, ainsi que de l’alinéa 19(1)a) et du paragraphe 20(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, et prévoient les frais suivants pour l’examen des demandes de parrainage et des demandes de visa de résident permanent au titre de la catégorie du regroupement familial.

295. (1) Les frais ci‑après doivent être acquittés pour l’examen de la demande de visa de résident permanent :

a) si la demande est faite au titre de la catégorie du regroupement familial :

(i) dans le cas du demandeur principal autre que celui visé au sous‑alinéa (ii), 475 $,

(ii) dans le cas du demandeur principal qui est un étranger visé à l’un des alinéas 117(1)b) ou f) à h), est âgé de moins de vingt‑deux ans et n’est pas un époux ou conjoint de fait, 75 $,

(iii) dans le cas d’un membre de la famille du demandeur principal qui est âgé de vingt‑deux ans ou plus ou qui, s’il est âgé de moins de vingt‑deux ans, est un époux ou conjoint de fait, 550 $,

(iv) dans le cas d’un membre de la famille du demandeur principal qui est âgé de moins de vingt‑deux ans et qui n’est pas un époux ou conjoint de fait, 150 $;

[…]

Frais

(3) Les frais prévus au paragraphe (1) à l’égard de la personne qui présente une demande au titre de la catégorie du regroupement familial ou à l’égard des membres de sa famille sont :

a) exigibles au moment où le répondant dépose sa demande de parrainage, à l’instar des frais prévus au paragraphe 304(1);

b) restitués conformément aux règlements visés au paragraphe 20(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, si la demande de parrainage est retirée par le répondant avant que ne débute l’examen de la demande de visa de résident permanent.

[…]

Paiement par le répondant

304. (1) Des frais de 75 $ sont à payer pour l’examen de la demande de parrainage présentée sous le régime de la partie 7.

Frais de 75 $

(2) Les frais prévus au paragraphe (1) doivent être acquittés au moment du dépôt de la demande.

Paiement des frais

Analyse

[23]      Il doit exister un lien entre les frais d’utilisation exigés par le gouvernement et le coût du service fourni : Eurig, au paragraphe 21; 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général), 2008 CSC 7, [2008] 1 R.C.S. 131, au paragraphe 19. Toutefois, « les tribunaux n’exigent pas que la somme demandée corresponde précisément au coût du service fourni. Dans la mesure où il existe un rapport raisonnable entre le coût du service fourni et la somme exigée, cela suffit » (Eurig, au paragraphe 22). Même s’il a été élaboré dans un contexte visant à établir la distinction entre une taxe et des frais d’utilisation à des fins constitutionnelles, ce critère demeure néanmoins utile pour l’interprétation de la Loi sur la gestion des finances publiques dans la mesure où celle‑ci porte sur les frais d’utilisation. La question fondamentale soulevée par le présent appel consiste à déterminer s’il est possible de conclure à l’existence d’un rapport raisonnable lorsque les frais d’utilisation sont payés bien avant que le service ne soit effectivement fourni et qu’il se peut, dans certains cas, qu’il ne soit jamais fourni.

[24]      La première question est celle de savoir si la Loi sur la gestion des finances publiques interdit le paiement des frais d’utilisation avant la prestation du service y afférent. Si elle ne l’interdit pas, il faut alors déterminer si par ailleurs elle interdit l’imposition de frais d’utilisation pour un service qui dépend d’une décision favorable à l’issue de la prestation d’un service connexe.

[25]      Les dispositions de la Loi sur la gestion des finances publiques doivent être lues dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur : Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 26. Cette méthode est renforcée par l’article 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, qui prévoit que tout texte « est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ».

[26]      L’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques ne prescrit pas que les frais liés à la prestation d’un service ou à la mise à disposition d’installations ne peuvent être exigés qu’après la prestation du service ou l’utilisation des installations. Dans l’interprétation de cette disposition, la « Cour doit prendre le texte tel qu’il existe. En l’absence de mots restrictifs dans le texte, la Cour n’y présumera l’existence d’aucune limite » : Sunshine Village Corp. c. Canada (Parcs), au paragraphe 18. L’article 19 ne limite aucunement le pouvoir du gouverneur en conseil de prendre des règlements exigeant le paiement des frais d’utilisation avant que le service ne soit effectivement fourni. L’article 19 exige simplement que les frais ne dépassent pas les coûts supportés pour la prestation du service ou la mise à disposition des installations, objectif qui peut être atteint par une prévision adéquate de ce qu’il en coûtera pour assurer la prestation du service ou la mise à disposition des installations au moment où les frais sont fixés ou perçus.

[27]      À mon avis, l’idée de percevoir les frais d’utilisation seulement après la prestation du service par le gouvernement va à l’encontre de l’objet même de l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques, qui consiste à assurer que, dans certaines situations déterminées, les bénéficiaires d’un service gouvernemental supportent au moins une partie des coûts de la prestation du service. La réalisation de cet objectif suppose implicitement que le paiement des frais peut être exigé avant la prestation du service dans des circonstances que le gouverneur en conseil juge appropriées. Cela permet d’éviter les cas où le bénéficiaire refuse de payer les frais exigés après que le service a été fourni, laissant au gouvernement la tâche longue et coûteuse de percevoir les frais par divers moyens de perception.

[28]      De plus, le paragraphe 20(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques et le Règlement de 1997 sur le remboursement de recettes, DORS/98‑127, permettent la restitution des fonds versés à un fonctionnaire public à des fins qui n’ont pas été réalisées, déduction faite du montant régulièrement imputable à un service rendu. Il s’agit d’une autre indication qu’il est possible, en vertu de l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques, d’exiger le paiement de frais avant que le service ne soit fourni.

[29]      L’appelant allègue que, même si les frais peuvent être perçus avant la prestation du service, dans la présente affaire, aucun service ne peut en fait être fourni tant que la demande de parrainage n’a pas été examinée, un processus dont on évaluait la durée à environ 34 mois en mars 2010. Étant donné que la demande de visa de résident permanent dépend de l’acceptation de la demande de parrainage, l’appelant se demande comment il est possible d’établir un lien ou un rapport raisonnable entre les frais perçus pour la demande de visa et le service auquel ces frais sont rattachés, alors que ce service ne constitue qu’une possibilité plutôt qu’une réalité.

[30]      Le juge de première instance a examiné cette question en tenant compte de la réalité concrète de la prestation du service. Il a conclu que, même si deux services étaient effectivement payés, à savoir un service effectivement fourni (examen de la demande de parrainage) et un service susceptible de l’être (examen de la demande de visa de résident permanent), cette façon de faire reflétait simplement la réalité concrète du traitement des demandes d’immigration au titre de la catégorie du regroupement familial et qu’il s’agissait en fait d’un seul et même service.

[31]      Je suis d’accord avec l’appelant pour dire qu’en l’espèce deux services sont fournis et que des frais distincts sont perçus pour chacun d’eux. L’alinéa 295(1)a) et l’article 304 du Règlement établissent clairement la distinction entre les frais d’examen de la demande de parrainage et les frais d’examen de la demande de visa de résident permanent. Par conséquent, je ne décrirais pas l’examen de la demande de parrainage et l’examen de la demande de visa comme un seul et même service, mais plutôt comme deux services étroitement liés dans le processus de sélection du regroupement familial.

[32]      Néanmoins, la réalité concrète de la prestation de ces deux services peut être prise en compte pour déterminer s’il a été satisfait aux exigences de l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques : Association des armateurs canadiens c. Canada, précité. En l’espèce, la réalité concrète est que la demande de parrainage n’a en soi aucune utilité sans la demande de visa de résident permanent, les deux demandes étant interreliées et interdépendantes. La demande de parrainage est présentée exclusivement en fonction de la demande de visa de résident permanent. Le paragraphe 13(1) de la LIPR énonce qu’un citoyen canadien ou un résident permanent peut « parrainer l’étranger de la catégorie “regroupement familial” ». Seules les personnes parrainées peuvent faire partie de la catégorie du regroupement familial (au paragraphe 117(1) [mod. par DORS/2010-195, art. 11] du Règlement). De la même manière, il est question au paragraphe 130(1) du Règlement du « répondant pour le parrainage d’un étranger qui présente une demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie du regroupement familial » et l’on y précise que ce répondant doit déposer « une demande de parrainage pour le compte d’une personne appartenant à la catégorie du regroupement familial ». Il va sans dire qu’une demande de parrainage ne peut être faite en l’absence d’une personne désignée comme appartenant à la catégorie du regroupement familial qui a l’intention de présenter une demande de visa de résident permanent au titre de cette catégorie.

[33]      De plus, dans les rares cas où la demande de parrainage n’est pas acceptée, le répondant a la possibilité de retirer sa demande de parrainage et d’obtenir ainsi le remboursement des frais perçus pour l’examen de la demande de visa de résident permanent conformément au paragraphe 20(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques. L’alinéa 295(3)b) du Règlement prévoit que, en pareil cas, les frais « sont […] restitués » [non souligné dans l’original].

[34]      Par conséquent, un lien ou un rapport raisonnable peut être établi entre les frais exigés à l’égard des demandes de visa de résident permanent et le coût relatif au traitement de ces demandes même si ces frais sont exigés à l’avance, au moment du dépôt de la demande de parrainage. La demande de parrainage est inextricablement liée à la demande de visa de résident permanent. Il est donc possible de justifier l’obligation de payer simultanément les frais relatifs aux deux demandes au regard du critère du lien ou du rapport raisonnable, en particulier si l’on tient compte du fait que les frais d’examen de la demande de visa peuvent être remboursés dans le cas où la demande de parrainage est refusée.

[35]      Par ailleurs, l’appelant allègue que le gouvernement tire avantage des montants payés pendant les 34 mois où il les conserve avant d’avoir à engager les coûts pour la prestation du service et que cela est contraire à l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques. Il est vrai que, sur le plan théorique, le gouvernement pourrait toucher des intérêts sur les montants perçus ou éviter d’en payer en réduisant ses emprunts proportionnellement aux montants perçus, mais si tel était vraiment le cas, cela n’irait pas à l’encontre de l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques. Puisque le gouverneur en conseil peut exiger que les frais d’utilisation soient perçus avant la prestation du service auquel ils sont liés, il découle nécessairement de l’esprit de la Loi sur la gestion des finances publiques que ces sommes seront déposées et gérées conformément aux dispositions législatives et réglementaires applicables en matière de fonds publics. C’est l’essence même de la gestion de ces fonds et cela ne contrevient nullement à l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques. L’appelant n’a invoqué aucune autre disposition législative susceptible d’étayer son argument sur ce point. Quoi qu’il en soit, aucune preuve n’a été présentée pour établir que le gouvernement tire effectivement un avantage du paiement à l’avance de ces frais de service, ni pour quantifier l’avantage allégué.

[36]      L’argument de l’appelant semble être fondé sur le raisonnement qu’il est déraisonnable pour le gouvernement de percevoir des frais d’examen de demande de visa de résident permanent quelque 34 mois avant de fournir le service alors qu’il lui serait facile de modifier le Règlement afin de régler cette question. L’appelant soutient au paragraphe 42 de son mémoire [traduction] « que le ministre devrait être tenu d’aviser le demandeur lorsqu’il est prêt à fournir le service consistant à examiner sa demande de résidence permanente et de lui offrir alors de payer les frais relatifs à ce service s’il souhaite aller de l’avant avec cette demande ».

[37]      Or, ce raisonnement pose un problème : il suppose que la Cour peut s’ingérer dans le processus de décision politique. Il arrive souvent que les demandes de services gouvernementaux soient concurrentes et c’est au gouvernement qu’il appartient d’y répondre. Il est parfois nécessaire de faire des choix difficiles, comme d’accorder priorité au traitement administratif des demandes des époux et des enfants au titre de la catégorie du regroupement familial. Ces choix peuvent avoir des effets sur d’autres demandes visant les mêmes services gouvernementaux ou des services gouvernementaux semblables. Or, il incombe au gouvernement, et non aux tribunaux, de décider des mesures réglementaires à prendre, le cas échéant, afin d’atténuer ces effets. En l’absence d’une limite législative ou constitutionnelle quant aux choix réglementaires faits par le gouvernement, les tribunaux n’interviendront pas pour imposer leurs propres choix réglementaires : Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106, à la page 111; de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655, au paragraphe 26.

Conclusion

[38]      Je suis d’avis de répondre comme suit à la question certifiée par le juge de première instance :

Question : L’alinéa 295(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, dans la mesure où il s’applique aux demandes de visa d’immigrant parrainé présentées par les parents ou les grands‑parents, est‑il ultra vires au motif qu’il est incompatible avec l’article 19 de la Loi sur la gestion des finances publiques?

Réponse : Non.

[39]      Par conséquent, je suis d’avis de rejeter l’appel.

La juge Dawson, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Layden-Stevenson, J.C.A. : Je suis d’accord.

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