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Référence :

Canada (Commissaire de la Concurrence) c. Premier Career Management Group Corp.,

2009 CAF 295, [2010] 4 R.C.F. 413

A-476-08

A-476-08

2009 CAF 295

La Commissaire de la concurrence (appelante)

c.

Premier Career Management Group Corp. et Minto Roy (intimés)

Répertorié : Canada (Commissaire de la concurrence) c. Premier Career Management Group Corp.

Cour d’appel fédérale, juges Létourneau, Sexton et Layden-Stevenson, J.C.A.—Toronto, 16 septembre; Ottawa, 15 octobre 2009.

Concurrence — Appel d’une décision par laquelle le Tribunal de la concurrence a statué que même si les indications données par les intimés à leurs clients éventuels étaient trompeuses, elles n’avaient pas été données « au public » au sens de l’art. 74.01(1)a) de la Loi sur la concurrence — Les intimés exploitaient une entreprise de services d’orientation de carrière — Ils auraient donné à d’éventuels clients des indications trompeuses quant aux perspectives de réussite sur le marché du travail que ces services leur ouvriraient — Le Tribunal a commis une erreur de droit en statuant que les indications des intimés n’avaient pas été données « au public » — Le fait que les indications aient été formulées en privé ne voulait pas dire qu’elles n’aient pas été données au public — Si les indications sont communiquées à une partie appréciable du public, elles sont données « au public » — Les indications trompeuses données par les intimés ont joué un rôle clé dans la décision d’au moins certains clients de retenir les services des intimés plutôt que ceux d’autres agences — Le comportement s’inscrit donc tout à fait dans le champ d’application de la Loi — Le Tribunal a donné une interprétation juste des indications des intimés et n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante dans son analyse de la question de savoir si les indications des intimés étaient trompeuses — Appel accueilli.

Il s’agissait d’un appel d’une décision par laquelle le Tribunal de la concurrence a statué que même si les indications données par les intimés à leurs clients éventuels étaient trompeuses, elles n’avaient pas été données « au public » au sens de l’alinéa 74.01(1)a) de la Loi sur la concurrence, au motif qu’elles avaient été communiquées au cours d’entretiens privés dans les bureaux des intimés, à une seule personne à la fois.

Les intimés exploitaient une entreprise de services d’orientation de carrière et, dans le but d’inciter d’éventuels clients à recourir à leurs services, ils auraient donné des indications trompeuses quant aux perspectives de réussite sur le marché du travail que ces services leur ouvriraient. Ces indications ont été données individuellement et en privé. L’intimé Minto Roy était l’unique administrateur et actionnaire de l’intimée Premier Career Management Group Corp. (PCMG). PCMG comprenait trois divisions, dont PCMG Canada. Cette dernière faisait sa prospection au moyen de divers moyens de commercialisation. Le Tribunal a constaté que les intimés donnaient trois sortes d’indications aux clients éventuels : des « indications sur la présélection », des « indications sur les personnes-ressources » et des « indications sur les 90 jours et le bon emploi ». En ce qui concerne les indications sur la présélection, on disait aux clients éventuels que le but du premier entretien était de vérifier s’ils remplissaient les conditions nécessaires pour bénéficier des services de PCMG et que seuls les candidats qualifiés seraient invités à un deuxième entretien. Concernant les indications sur les personnes-ressources, les clients éventuels étaient informés que les intimés disposaient d’un vaste réseau de relations parmi les dirigeants et les cadres des entreprises qui recrutaient. En ce qui a trait aux indications sur les 90 jours et le bon emploi, les intimés informaient leurs clients éventuels que, s’ils retenaient les services de PCMG, ils trouveraient très probablement un bon emploi dans les 90 jours. Le Tribunal a conclu que les indications sur les personnes-ressources et sur les 90 jours et le bon emploi étaient trompeuses sur un point important. Cependant, le Tribunal a conclu que l’expression « au public » à l’alinéa 74.01(1)a) de la Loi devait s’entendre non pas d’une communication seulement individuelle, mais d’une communication faite « sur le marché ». Le Tribunal a donc rejeté la demande en raison de sa conclusion portant que les indications trompeuses n’ont pas été données « au public ».

Il s’agissait de savoir si le Tribunal avait commis une erreur dans son interprétation des mots « au public » au sens de l’article 74.01 et en statuant que les indications sur les personnes-ressources et celles sur les 90 jours et le bon emploi étaient trompeuses.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

La conclusion du Tribunal selon laquelle les indications des intimés, bien que trompeuses, n’ont pas été données « au public » constituait une erreur de droit. Le public avait bel et bien accès aux indications des intimés; c’est seulement que les membres du public y avaient accès individuellement plutôt que collectivement. La question importante qu’il faut se poser pour établir si des indications ont été données au public est le point de savoir à qui elles ont été données. En l’occurrence, les indications ont été données à des personnes composant un sous-ensemble appréciable du public, que des annonces publicitaires avaient incitées à se rendre aux bureaux des intimés. Le fait que les indications aient été formulées en privé ne veut pas dire qu’elles n’aient pas été données au public. Il faut prendre en considération toutes les circonstances de la communication. Si, comme dans la présente affaire, les indications sont communiquées à une partie appréciable du public, elles sont bel et bien données « au public ». Le « public » dont il s’agit peut être « un sous-ensemble du public ».

Il ressort clairement de l’objet de la Loi (qui est de promouvoir les objectifs économiques (article 1.1)) que les dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses de l’article 74.01 visent à inciter les entreprises à rivaliser sur la base des prix et de la qualité. Lorsqu’une entreprise donne des renseignements trompeurs aux consommateurs éventuels, elle porte nécessairement préjudice au bon fonctionnement du marché, de sorte qu’on est fondé à invoquer ici la Loi, étant donné ses objectifs explicites. C’est le consommateur qui doit former l’axe de l’analyse dans les affaires de pratiques commerciales trompeuses. Selon la preuve, les indications trompeuses données par les intimés ont joué un rôle clé dans la décision d’au moins certains clients de retenir les services de PCMG plutôt que ceux d’autres agences. C’est exactement là le genre de distorsion du marché que les dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses visent à empêcher. Le comportement en cause dans la présente affaire s’inscrit donc tout à fait dans le champ d’application de la Loi.

Le Tribunal a donné une interprétation juste des indications en cause. Il est vrai que le Tribunal a conclu que les intimés n’avaient pas garanti d’entretiens déterminés avec des personnes-ressources précises, mais il est tout aussi vrai qu’il a conclu que les intimés avaient bel et bien garanti des entretiens en général avec des personnes-ressources de haut niveau. Il importait peu que les intimés n’aient pas fourni de détails précis sur les personnes que leurs clients éventuels rencontreraient.

En outre, le Tribunal n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante dans son analyse de la question de savoir si les indications des intimés étaient trompeuses. Il n’incombait pas au Tribunal de formuler des conclusions de fait préalables sur le réseau de personnes-ressources des intimés ni sur le taux de réussite des clients typiques de PCMG. Il était sous-entendu dans la décision du Tribunal que les intimés avaient déclaré qu’ils disposaient d’un réseau de personnes-ressources et que le client typique n’avait pas trouvé un emploi dans les 90 jours, contrairement aux indications. Par conséquent, il était loisible au Tribunal de conclure des faits exposés devant lui que les indications sur les personnes-ressources et sur les 90 jours et le bon emploi étaient trompeuses sur un point important.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Human Rights Act, S.B.C. 1984, ch. 22, art. 3.

Loi d’exécution du budget de 2009, L.C. 2009, ch. 2, art. 423.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 45(2).

Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C-23, art. 36 (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 76, art. 18).

Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34, art. 1 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19), 1.1 (édicté, idem), 74.01 (édicté par L.C. 1999, ch. 2, art. 22), 74.02 (édicté, idem), 74.03 (édicté, idem; 2009, ch. 2, art. 423), 74.1 (édicté par L.C. 1999, ch. 2, art. 22; 2009, ch. 2, art. 424).

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 3(1)f) (mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 62).

Loi sur le Tribunal de la concurrence, L.R.C. (1985) (2suppl.), ch. 19, art. 13 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 130).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353, infirmant (1991), 81 D.L.R. (4th) 497, 1 B.C.A.C. 58, 56 B.C.L.R. (2d) 296 (C.A.C.-B.), confirmant (1988), 10 C.H.R.R. D/6112 (C. supr. C.-B.); Regina v. Kiefer (1976), 70 D.L.R. (3d) 352, [1976] 4 W.W.R. 395, 31 C.C.C. (2d) 132 (C. P. C.-B.), conf. par  [1976] 6 W.W.R. 541 (C.c. C.-B.); CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339; Assoc. canadienne des télécommunications sans fil c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2008 CAF 6, [2008] 3 R.C.F. 539; Assoc. canadienne de télévision par câble c. Canada (Commission du droit d’auteur), [1993] 2 C.F. 138 (C.A.); États-Unis d’Amérique c. Dynar, [1997] 2 R.C.S. 462.

décisions examinées :

Apotex Inc. v. Hoffmann La-Roche Ltd. (2000), 195 D.L.R. (4th) 244, 9 C.P.R. (4th) 417, 139 O.A.C. 63 (C.A. Ont.); R. v. Kenitex Canada Ltd. et al. (1980), 51 C.P.R. (2d) 103 (C.c. Ont.).

décisions citées :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; R. v. Total Ford Sales Ltd. (1987), 18 C.P.R. (3d) 404 (C. dist. Ont.); R. v. Independent Order of Foresters (1989), 26 C.P.R. (3d) 229 (C.A. Ont.); Regina v. International Vacations Ltd. (1980), 33 O.R. (2d) 327, 124 D.L.R. (3d) 319, 59 C.C.C. (2d) 557 (C.A.); Maritime Travel Inc. v. Go Travel Direct.Com Inc., 2008 NSSC 163, 265 N.S.R. (2d) 369.

DOCTRINE CITÉE

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 3éd. Montréal : Thémis, 1999.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008.

    APPEL d’une décision (2008 Trib. concurr. 18) par laquelle le Tribunal de la concurrence a statué que même si les indications données par les intimés à leurs clients éventuels étaient trompeuses, elles n’avaient pas été données « au public » au sens de l’alinéa 74.01(1)a) de la Loi sur la concurrence, au motif qu’elles avaient été communiquées au cours d’entretiens privés dans les bureaux des intimés, à une seule personne à la fois. Appel accueilli.

ONT COMPARU

John Syme pour l’appelante.

W. Michael G. Osborne, G. L. Sonny Ingram et Christian Farahat pour les intimés.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.

Affleck Greene McMurtry LLP, Toronto, pour les intimés.

    Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

    Le juge Sexton, J.C.A. :

I. Introduction

[1]     Les intimés exploitaient une entreprise de services d’orientation de carrière dans la région vancouvéroise. Dans le but d’inciter d’éventuels clients à recourir à leurs services, ils auraient donné des indications trompeuses quant aux perspectives de réussite sur le marché du travail que ces services leur ouvriraient. Ces indications ont été données individuellement et en privé à un certain nombre de clients éventuels. L’appelante soutient que les indications ainsi communiquées l’ont été en violation de l’alinéa 74.01(1)a) [édicté par L.C. 1999, ch. 2, art. 22] de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C‑34 [art. 1 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19)] (la Loi), qui interdit de donner au public des indications fausses ou trompeuses. Les intimés affirment quant à eux que les indications en question n’étaient pas trompeuses et n’ont pas été données aux clients en tant que membres du public, mais plutôt en tant qu’individus. Le Tribunal [Tribunal de la concurrence c. Premier Career Management Group et al., 2008 Trib. concurr. 18] a conclu que les indications étaient effectivement trompeuses, mais qu’elles n’avaient pas été données « au public », au motif qu’elles avaient été communiquées au cours d’entretiens privés dans les bureaux des intimés, à une seule personne à la fois. La principale question en litige dans le présent appel est celle de savoir si les indications données à des personnes déterminées, bien qu’elles l’aient été individuellement et en privé, ont néanmoins été données « au public » au sens de la Loi. Le présent appel met aussi en litige la nature de ces indications. Je pense que l’analyse devrait être axée sur l’ensemble des circonstances dans lesquelles les indications ont été données. Il est en particulier important de se rappeler que les intimés incitaient d’abord, au moyen de la publicité, des membres du public à utiliser leurs services afin de se trouver un emploi. Ils donnaient ensuite des indications trompeuses d’une même nature à chacun des membres du public qui leur demandait leur aide. Pour les motifs qui suivent, je conclus que les indications en cause dans la présente affaire étaient trompeuses et qu’elles ont effectivement été données « au public ».

II. Les faits

[2]     L’intimée Premier Career Management Group Corp. (PCMG) était une entreprise de services d’orientation de carrière sise dans la région vancouvéroise, et l’intimé Minto Roy en était l’unique administrateur et actionnaire.

[3]     PCMG comprenait trois divisions :

A. « Careers Today », service de recrutement de cadres qui exploitait un site Web où étaient affichés des postes à pourvoir;

B. « PCMG Executive », service de consultation en ressources humaines et de formation en gestion et leadership;

C. « PCMG Canada », division sur laquelle porte le présent appel, qui représentait de 60 à 70 p. 100 du revenu total de PCMG et offrait des services d’accompagnement de carrière, notamment d’analyse des compétences et de rédaction de curriculum vitae.

[4]     PCMG Canada faisait en général sa prospection au moyen du site Web de la division Careers Today, de l’émission de radio de M. Roy, ainsi que de publicité dans les journaux et magazines. Quand on trouvait un client éventuel, on lui offrait un premier entretien (le premier entretien) avec un conseiller principal en orientation de carrière. Au cours du premier entretien, le client éventuel exposait ses antécédents et sa situation actuelle sur le plan professionnel. Le conseiller lui donnait ensuite une vue d’ensemble des services de PCMG Canada.

[5]     Les clients éventuels étaient presque toujours invités à un deuxième entretien (le deuxième entretien), où l’on parlait des services de PCMG, des honoraires et des options de financement. Un employé de PCMG présentait alors au client éventuel un contrat à signer.

[6]     Le Tribunal a constaté que les intimés donnaient trois sortes d’indications aux clients éventuels : des « indications sur la présélection », des « indications sur les personnes-ressources » et des « indications sur les 90 jours et le bon emploi ».

A. Les indications sur la présélection

[7]     En ce qui concerne les indications sur la présélection, on disait aux clients éventuels, au premier entretien, que le but de celui‑ci était de vérifier s’ils remplissaient les conditions nécessaires pour bénéficier des services de PCMG et que seuls les candidats qualifiés seraient invités à un deuxième entretien.

[8]     À l’audience devant le Tribunal, l’appelante a cité comme témoin un ancien conseiller principal en orientation de carrière de PCMG, M. Steve Wills. M. Wills a déclaré qu’il était extrêmement rare qu’on refuse un deuxième entretien à un client éventuel. Il a expliqué que, selon M. Roy, l’un des principaux objectifs du premier entretien était d’établir la capacité de paiement du client éventuel et, si ce dernier n’avait pas suffisamment d’argent, de trouver d’autres sources de financement. M. Wills a aussi déclaré qu’il était demandé aux conseillers de faire comprendre au client éventuel l’importance de se faire accompagner de son conjoint au deuxième entretien. Selon ce qu’il a rapporté, si le conjoint n’avait pas entendu la présentation de PCMG, la probabilité que le client éventuel signe le contrat diminuait. Enfin, M. Wills a affirmé que les conseillers devaient suivre un argumentaire, qui était conçu pour communiquer au client éventuel un sentiment d’urgence.

B. Les indications sur les personnes-ressources

[9]     Concernant les indications sur les personnes-ressources, les clients éventuels étaient informés au cours du premier ou du deuxième entretien, ou à ces deux occasions, que les intimés disposaient d’un vaste réseau de relations parmi les dirigeants et les cadres des entreprises qui recrutaient. Des clients de PCMG ont déclaré qu’on leur avait dit, entre autres, que PCMG avait des milliers de postes à offrir, que les offres d’emploi publiées sur Internet et dans les médias imprimés ne représentaient qu’une fraction des emplois disponibles, et que PCMG, grâce à son réseau de relations, avait accès à un « marché de l’emploi caché », où l’on pouvait trouver des emplois non annoncés ailleurs.

C. Les indications sur les 90 jours et le bon emploi

[10]     En ce qui a trait aux indications sur les 90 jours et le bon emploi, les intimés informaient leurs clients éventuels au premier ou au deuxième entretien, ou à ces deux occasions, que, s’ils retenaient les services de PCMG, ils trouveraient très probablement un bon emploi dans les 90 jours, et que celui‑ci serait au moins aussi rémunérateur que leurs emplois antérieurs.

[11]     Selon le témoignage d’une ancienne cliente de PCMG, M. Roy l’avait informée qu’[traduction] « il ne serait pas difficile » de lui trouver, dans un délai de 90 jours, un poste payant de 20 000 à 30 000 $ de plus que son poste précédent. Un autre ancien client a déclaré que M. Roy lui avait garanti qu’il lui trouverait dans les 90 jours un emploi dont le salaire serait d’au moins 75 000 $. On lui avait ensuite présenté un contrat stipulant que PCMG ne l’avait pas incité à le signer [traduction] « par des sous-entendus ou des affirmations, ou en garantissant [. . .] b) des avantages (décrits verbalement) qui ne font pas partie de l’entente écrite ».

III. La décision visée par l’appel

[12]     Une juge de la Cour fédérale siégeant seule a présidé l’affaire pour le Tribunal de la concurrence. Elle a articulé son analyse en cinq questions :

A. Les indications ont-elles été données?

B. À quelle fin ont-elles été données?

C. Étaient-elles fausses ou trompeuses?

D. Portaient-elles sur un point important?

E. Ont-elles été données au public?

[13]     Le Tribunal a conclu que les indications sur la présélection, sur les personnes‑ressources, ainsi que sur les 90 jours et le bon emploi, étaient toutes trompeuses. Il a aussi estimé que les indications sur les personnes-ressources et sur les 90 jours et le bon emploi — mais pas celles concernant la présélection — étaient trompeuses sur un point important. En fin de compte, cependant, le Tribunal a rejeté la demande de la commissaire, au motif que les indications en cause, bien que trompeuses sur un point important, n’avaient pas été données « au public » au sens de l’article 74.01.

A. Les indications ont-elles été données?

[14]     L’appelante a cité comme témoins devant le Tribunal neuf anciens clients des intimés, qui ont tous déclaré, d’une part, avoir abandonné le programme de PCMG parce qu’ils n’étaient pas satisfaits des résultats et, d’autre part, avoir été induits en erreur par les indications que leur avaient données les intimés.

[15]     Le Tribunal a admis la preuve des témoins de l’appelante et a conclu que des indications avaient été données à un certain nombre de clients éventuels.

[16]     Le Tribunal a rejeté le moyen des intimés selon lequel aucune indication n’avait été donnée. En ce qui concerne les indications sur les personnes-ressources, ainsi que celles relatives aux 90 jours et le bon emploi, il a conclu que, s’il est vrai que les intimés n’avaient peut‑être pas donné d’indications sur des entreprises ou des entretiens d’embauche précis, ils avaient néanmoins donné des indications trompeuses concernant les emplois et les contrats en général. En outre, les intimés s’étaient présentés sous un faux jour en recourant à la flatterie lors de l’entrevue de présélection. Enfin, le Tribunal a conclu à la non-crédibilité du témoignage des intimés niant l’existence de fausses indications.

B. À quelle fin les indications ont-elles été données?

[17]     La question de l’objet des indications n’a guère été contestée. Le Tribunal [au paragraphe 178] a conclu que les indications avaient été données « afin de persuader les clients potentiels de se procurer les services de PCMG ».

C. Les indications étaient-elles fausses ou trompeuses?

[18]     Pour établir si les indications étaient trompeuses, le Tribunal [au paragraphe 208] s’est demandé « ce qu’un client potentiel moyen de PCMG ayant entendu les Indications pendant les Première et Seconde rencontres aurait raisonnablement pu comprendre ». Se fondant sur les faits exposés devant lui, le Tribunal a conclu [au paragraphe 212] que « même si les personnes moyennes faisant partie du public visé [. . .] n’étaient généralement pas crédules, elles étaient susceptibles d’accepter ou de croire ce qu’on leur laissait entendre qui semblait raisonnable, sans en faire une analyse critique parce que, à des degrés divers, elles étaient dans une situation difficile ».

[19]     Appliquant ce critère, le Tribunal a conclu que les trois catégories d’indications étaient trompeuses. Les indications sur la présélection donnaient à penser au client éventuel moyen qu’on l’avait évalué en fonction de normes rigoureuses, lesquelles, en réalité, n’existaient pas. Les indications sur les personnes-ressources induisaient le client éventuel moyen à croire que les intimés disposaient et feraient usage d’un vaste réseau de relations d’affaires pour les aider à trouver un emploi, alors que ce n’était pas le cas. Quant aux indications sur les 90 jours et le bon emploi, elles étaient trompeuses en ce qu’elles faisaient croire au client éventuel moyen que les clients typiques de PCMG trouvaient un emploi en moins de 90 jours et qu’il en obtiendrait un lui aussi dans le même délai.

D. Les indications portaient-elles sur un point important?

[20]     Pour son examen de la question de l’importance, le Tribunal a utilisé le critère formulé au paragraphe 16 de l’arrêt Apotex Inc. v. Hoffmann La-Roche Ltd. (2000), 195 D.L.R. (4th) 244 (C.A. Ont.) : [traduction] « Une indication porte sur un point important si elle est assez pertinente, appropriée ou essentielle pour influer sur la décision d’achat. » Le Tribunal a conclu sur le fondement de la preuve que les indications tant sur les personnes-ressources que sur les 90 jours et le bon emploi étaient de nature à influer sur la décision du client éventuel moyen de retenir ou non les services de PCMG. Ces deux catégories d’indications portaient donc sur un point important. En ce qui concerne les indications sur la présélection, le Tribunal a conclu qu’elles ne portaient pas sur un point important parce que rien ne prouvait qu’elles avaient motivé l’un ou l’autre des témoins de l’appelante à retenir les services des intimés.

E. Les indications ont-elles été données au public?

[21]     C’était là la question la plus contestée de l’affaire. Le Tribunal a conclu que l’intention du législateur était que l’expression « au public » soit interprétée comme un pluriel. Il a estimé que le contexte législatif des dispositions pénales antérieures tendait à démontrer que le législateur avait parfois, mais pas toujours, décidé d’employer, dans la version anglaise de la Loi, l’expression a member of the public (littéralement : « un membre du public », mais correspond à « au public » dans le texte français) au lieu de to the public (« au public » dans le texte français). Par conséquent, lorsque le législateur a retenu l’expression to the public à l’alinéa 74.01(1)a), il ne pouvait qu’avoir l’intention qu’elle soit interprétée comme un pluriel.

[22]     Le Tribunal a ensuite examiné le point de savoir si les indications avaient effectivement été données « au public ». Il a noté que les faits de la présente espèce n’étaient pas de même nature que ceux d’affaires précédentes relevant de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C‑42, où la communication « au public » avait été interprétée comme n’excluant pas nécessairement la communication « individuelle ». Il a concentré son attention sur le fait que, dans la présente espèce, les clients éventuels communiquaient des renseignements personnels aux intimés dans le cadre de leurs entretiens. Après avoir cité un document d’information du ministère de la Consommation et des Corporations daté de 1976 [au paragraphe 188] et [au paragraphe 190] l’article 1.1 [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19] de la Loi, le Tribunal a conclu que l’expression « au public » devait s’entendre non pas d’une communication seulement individuelle, mais d’une communication faite « sur le marché » [au paragraphe 193].

[23]     Enfin, le Tribunal a conclu que la disposition déterminative de l’alinéa 74.03(1)d) [édicté par L.C. 1999, ch. 2, art. 22] ne peut être utilisée pour interpréter l’alinéa 74.01(1)a). Premièrement, il a fait observer que l’alinéa 74.03(1)d) ne contient aucun terme explicite, tel que « notamment », qui indiquerait qu’il y a lieu de lui donner une interprétation plus large. Deuxièmement, il a ajouté que les opérations de vente en magasin, par démarchage et par téléphone, visées à l’alinéa 74.03(1)d), relèvent du marketing de masse, et donc d’une méthode de vente différente de celle utilisée dans la présente affaire.

[24]     Le Tribunal a en fin de compte rejeté la demande de la commissaire au motif que les indications trompeuses n’avaient pas été données « au public ».

IV. Les questions en litige dans l’appel

[25]     L’appelante soulève une seule question dans le présent appel, soit celle de savoir si le Tribunal a commis une erreur dans son interprétation des mots « au public ».

[26]     Les intimés soulèvent une autre question, soit le point de savoir si le Tribunal a commis une erreur en statuant que les indications sur les personnes-ressources et celles sur les 90 jours et le bon emploi étaient trompeuses.

V. Les dispositions législatives applicables

[27]     Les principales dispositions régissant la révision au civil des pratiques de commercialisation sont celles du paragraphe 74.01(1) de la Loi :

74.01 (1) Est susceptible d’examen le comportement de quiconque donne au public, de quelque manière que ce soit, aux fins de promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l’usage d’un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques :

a) ou bien des indications fausses ou trompeuses sur un point important;

b) ou bien, sous la forme d’une déclaration ou d’une garantie visant le rendement, l’efficacité ou la durée utile d’un produit, des indications qui ne se fondent pas sur une épreuve suffisante et appropriée, dont la preuve incombe à la personne qui donne les indications;

c) ou bien des indications sous une forme qui fait croire qu’il s’agit :

         (i) soit d’une garantie de produit,

         (ii) soit d’une promesse de remplacer, entretenir ou réparer tout ou partie d’un article ou de fournir de nouveau ou continuer à fournir un service jusqu’à l’obtention du résultat spécifié,

Indications trompeuses

si cette forme de prétendue garantie ou promesse est trompeuse d’une façon importante ou s’il n’y a aucun espoir raisonnable qu’elle sera respectée.

[28]     L’article 74.03 [édicté, idem] de la Loi est une disposition déterminative, portant en partie sur le sens à donner aux termes « au public » des alinéas 74.01(1)a), b) et c). Cette disposition déterminative, modifiée depuis, était libellée comme suit au moment de la décision visée par l’appel :

74.03 (1) Pour l’application des articles 74.01 et 74.02, sous réserve du paragraphe (2), sont réputées n’être données au public que par la personne de qui elles proviennent les indications qui, selon le cas:

a) apparaissent sur un article mis en vente ou exposé pour la vente, ou sur son emballage;

b) apparaissent soit sur quelque chose qui est fixé à un article mis en vente ou exposé pour la vente ou à son emballage ou qui y est inséré ou joint, soit sur quelque chose qui sert de support à l’article pour l’étalage ou la vente;

c) apparaissent à un étalage d’un magasin ou d’un autre point de vente;

d) sont données, au cours d’opérations de vente en magasin, par démarchage ou par téléphone, à un usager éventuel;

e) se trouvent dans ou sur quelque chose qui est vendu, envoyé, livré ou transmis au public ou mis à sa disposition de quelque manière que ce soit.

Indications accompagnant les produits

(2) Dans le cas où la personne visée au paragraphe (1) est à l’étranger, les indications visées aux alinéas (1)a), b), c) ou e) sont réputées, pour l’application des articles 74.01 et 74.02, être données au public par la personne qui a importé au Canada l’article, la chose ou l’instrument d’étalage visé à l’alinéa correspondant.

Indications provenant de l’étranger

 (3) Sous réserve du paragraphe (1), quiconque, aux fins de promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l’usage d’un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques, fournit à un grossiste, détaillant ou autre distributeur d’un produit de la documentation ou autre chose contenant des indications du genre mentionné à l’article 74.01 est réputé donner ces indications au public.

Présomption d’indications données au public

[29]     Le 12 mars 2009, après que le Tribunal eut rendu sa décision, la Loi d’exécution du budget de 2009, L.C. 2009, ch. 2, qui modifiait [à l’article 423] l’article 74.03 de la Loi par adjonction des paragraphes 4 et 5, a reçu la sanction royale. L’alinéa 4c) se révèle particulièrement pertinent pour la présente espèce :

74.03 (1) […]

(4) Il est entendu qu’il n’est pas nécessaire, dans toute poursuite intentée en vertu des articles 74.01 et 74.02, d’établir :

a) qu’une personne a été trompée ou induite en erreur;

b) qu’une personne faisant partie du public à qui les indications ont été données se trouvait au Canada;

c) que les indications ont été données à un endroit auquel le public avait accès.

Preuve non nécessaire

(5) Dans toute poursuite intentée en vertu des articles 74.01 et 74.02, pour déterminer si le comportement est susceptible d’examen, il est tenu compte de l’impression générale donnée par les indications ainsi que du sens littéral de celles-ci.

Prise en compte de l’impression générale

[30]     L’usage qui peut être fait de cette modification est régi en partie par le paragraphe 45(2) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21 :

45. (1) […]

(2) La modification d’un texte ne constitue pas ni n’implique une déclaration portant que les règles de droit du texte étaient différentes de celles de sa version modifiée ou que le Parlement, ou toute autre autorité qui l’a édicté, les considérait comme telles.

Absence de présomption de droit nouveau

[31]     Il faut aussi tenir compte, aux fins d’interprétation des dispositions applicables, de l’article 1.1 de la Loi :

1.1 La présente loi a pour objet de préserver et de favoriser la concurrence au Canada dans le but de stimuler l’adaptabilité et l’efficience de l’économie canadienne, d’améliorer les chances de participation canadienne aux marchés mondiaux tout en tenant simultanément compte du rôle de la concurrence étrangère au Canada, d’assurer à la petite et à la moyenne entreprise une chance honnête de participer à l’économie canadienne, de même que dans le but d’assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits.

Objet

[32]     Les dispositions réparatrices sont énoncées à l’article 74.1 [édicté par L.C. 1999, ch. 2, art. 22; 2009, ch. 2, art. 424] de la Loi :

74.1 (1) Le tribunal qui conclut, à la suite d’une demande du commissaire, qu’une personne a ou a eu un comportement susceptible d’examen visé à la présente partie peut ordonner à celle-ci :

a) de ne pas se comporter ainsi ou d’une manière essentiellement semblable;

b) de diffuser, notamment par publication, un avis, selon les modalités de forme et de temps qu’il détermine, visant à informer les personnes d’une catégorie donnée, susceptibles d’avoir été touchées par le comportement, du nom de l’entreprise que le contrevenant exploite et de la décision prise en vertu du présent article, notamment :

         (i) l’énoncé des éléments du comportement susceptible d’examen,

         (ii) la période et le secteur géographique auxquels le comportement est afférent,

         (iii) l’énoncé des modalités de diffusion utilisées pour donner les indications ou faire la publicité, notamment, le cas échéant, le nom des médias — notamment de la publication — utilisés;

Décision et ordonnance

c) de payer, selon les modalités qu’il peut préciser, une sanction administrative pécuniaire maximale :

         (i) dans le cas d’une personne physique, de 750 000 $ pour la première ordonnance et de 1 000 000 $ pour toute ordonnance subséquente,

         (ii) dans le cas d’une personne morale, de 10 000 000 $ pour la première ordonnance et de 15 000 000 $ pour toute ordonnance subséquente;

[33]     Enfin, la détermination de la norme de contrôle judiciaire applicable fait intervenir, en partie, la Loi sur le Tribunal de la concurrence, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19 [article 13 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 130)] :

13. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les décisions ou ordonnances du Tribunal, que celles-ci soient définitives, interlocutoires ou provisoires, sont susceptibles d’appel devant la Cour d’appel fédérale tout comme s’il s’agissait de jugements de la Cour fédérale.

Appel

(2) Un appel sur une question de fait n’a lieu qu’avec l’autorisation de la Cour d’appel fédérale.

Questions de fait

VI. La signification des termes « au public »

A. La norme de contrôle

[34]     Les parties conviennent que l’interprétation des termes « au public » sous le régime de l’alinéa 74.01(1)a) de la Loi est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 9).

B. L’interprétation des termes « au public »

      1) Les prétentions de l’appelante

[35]     L’appelante soutient que le Tribunal a commis trois erreurs dans son interprétation des termes « au public ». Premièrement, il a conclu à tort qu’il n’était pas possible que les indications données en privé — c’est‑à‑dire dans un contexte où les clients éventuels avaient une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée — puissent malgré tout avoir été données au public. Deuxièmement, l’appelante affirme que, contrairement à la conclusion du Tribunal, l’expression « au public » ne signifie pas que les indications doivent être données à plus d’un membre du public à la fois ou, pour reprendre l’expression du Tribunal, « sur le marché ». Enfin, selon l’appelante, le Tribunal n’aurait pas dû recourir à la disposition déterminative pour interpréter l’alinéa 74.01(1)a).

      2) Les prétentions des intimés

[36]     Les intimés font valoir quatre points concernant l’interprétation de l’expression « au public ».

a) Les indications données en privé ne sont pas données « au public »

[37]     Les intimés soutiennent que l’emploi des termes to the public (« au public ») plutôt que de l’expression to a member of the public (littéralement : « à un membre du public », mais correspond à « au public » dans le texte français) montre que le législateur avait en vue les indications diffusées. Ils citent des définitions de dictionnaires anglais et français selon lesquelles le mot « public » est un collectif. Les intimés invoquent également la jurisprudence, qui confirme selon eux que, pour être données « au public », les indications doivent être données à un groupe appréciable de personnes et non pas individuellement.

b) La disposition déterminative est un outil légitime d’interprétation

[38]     S’ils conviennent avec l’appelante que la disposition déterminative du paragraphe 74.03(1) ne s’applique pas directement à l’alinéa 74.01(1)a), les intimés soutiennent néanmoins qu’elle constitue un précieux outil d’interprétation. Premièrement, comme le paragraphe 74.03(1) commence par les termes « Pour l’application des articles 74.01 et 74.02 », son objet est d’étoffer ces deux articles [article 74.02 (édicté par L.C. 1999, ch. 2, art. 22)]. Par ailleurs, les alinéas 74.03(1)d) et e) ont pour objet explicite d’assimiler à des indications données « au public » celles qui sont communiquées dans certains contextes qui ne seraient pas autrement considérés comme publics. Deuxièmement, les intimés affirment que le fait d’écarter la disposition déterminative de l’interprétation comme le voudrait l’appelante irait à l’encontre de la règle voulant qu’il n’y ait pas de redondance : s’il était vrai que les indications communiquées en privé peuvent être considérées comme données « au public », il n’aurait pas été nécessaire pour le législateur de spécifier dans la disposition déterminative les modes de communication visés aux alinéas 74.03(1)d) et e). Qui plus est, selon les intimés, leur interprétation est conforme à la maxime d’interprétation législative expressio unius est exclusio alterius. Enfin, ils invoquent la modification récente de la disposition déterminative. Ils font valoir qu’elle avait pour fin d’infirmer la décision rendue par le Tribunal dans la présente affaire, ce qui mène à la conclusion que la disposition, avant sa modification, ne s’appliquait pas.

c) Le contexte législatif confirme l’interprétation du Tribunal

[39]     Les intimés souscrivent aux conclusions du Tribunal concernant les modifications de 1974, qui comprenaient l’adjonction de la disposition déterminative. Le Tribunal a fait remarquer que le libellé de la modification adoptée différait de celui de l’avant-projet de loi pour ce qui concerne les alinéas 36(2)d) et e) [Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C-23, modifiés par S.C. 1974-75-76, ch. 76, art. 18]. La modification adoptée utilisait les mots « à un utilisateur éventuel », un singulier donc, au lieu de l’expression plurielle « des personnes qui sont des utilisateurs éventuels » qu’on trouvait dans l’avant-projet. De même, l’avant-projet adopté contenait l’expression plurielle members of the public (« des éléments du public ») plutôt que l’expression a member of the public (« au public » dans le texte français) retenue dans la modification. Cependant, le texte de l’alinéa 36(1)a) [mod., idem], analogue aux dispositions civiles actuellement en vigueur de l’alinéa 74.01(1)a), n’a pas connu ces changements d’un pluriel à un singulier. Il faut donc en déduire que l’intention du législateur était que les termes « au public », pour l’application de l’alinéa 74.01(1)a), désignent un ensemble de personnes.

d) L’objet de la Loi

[40]     Enfin, les intimés conviennent avec le Tribunal que l’objet de la Loi est la protection des consommateurs et des concurrents sur le marché. Il s’ensuit que, pour déclencher l’application de l’alinéa 74.01(1)a), les indications trompeuses doivent être données sur le marché, c’est‑à‑dire non seulement aux consommateurs, mais aussi aux autres entreprises. En fait, les intimés font observer que la Loi met l’accent sur les concurrents : la seule mention des consommateurs qu’on y trouve est celle de l’article 1.1, relativement aux « prix compétitifs » et au « choix dans les produits ».

3) Analyse de la décision du Tribunal et des prétentions des parties

a) Les indications en cause, bien que communiquées en privé, ont été données « au public »

[41]     Dans la présente affaire, les intimés ont adressé leurs annonces publicitaires au grand public, invitant par conséquent celui‑ci à recourir à ses services. Certains membres du public ont accepté cette invitation et pris rendez-vous avec les intimés.

[42]     Lors des plaidoiries, les intimés ont reconnu que si les indications en cause avaient été données devant un groupe de clients éventuels, elles auraient été données « au public ». Je ne puis admettre que ces indications n’aient pas été données au public du simple fait qu’elles aient été communiquées à des membres du public en un lieu privé.

[43]     Le Tribunal a insisté sur le fait que des questions personnelles étaient discutées au premier et au deuxième entretiens. Cependant, ce sont les clients qui soulevaient alors ces questions personnelles. Le contenu communiqué par les clients éventuels ne formait pas le sujet des indications fausses ou trompeuses : celles‑ci étaient données par les intimés. Le Tribunal a aussi conclu que les propos échangés par les clients éventuels et les intimés lors du premier et du deuxième entretiens s’inscrivaient dans le contexte d’une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée. Là encore, cette attente se rapportait aux renseignements communiqués par les clients, et non aux indications données par les intimés. La question en litige en l’espèce porte sur les indications données aux clients par les intimés. S’il est vrai que les propos des clients sont de nature personnelle, ils sont cependant dénués de pertinence lorsqu’il s’agit d’établir si les indications données par les intimés étaient trompeuses. Le contenu de ces indications n’avait absolument rien de privé et était en substance le même pour tous les membres du public qui demandaient les services des intimés.

[44]     Les intimés soutiennent que les indications en cause n’ont pas été données « au public » parce qu’elles ont été communiquées individuellement aux clients éventuels et que le public n’y avait donc pas accès. Je ne suis pas de cet avis. Le public avait bel et bien accès aux indications; c’est seulement que les membres du public y avaient accès individuellement plutôt que collectivement. La question importante qu’il faut se poser pour établir si des indications ont été données au public est le point de savoir à qui elles ont été données. En l’occurrence, elles ont été données à divers membres du public désireux de retenir les services des intimés.

[45]     Cette interprétation est abondamment étayée par la jurisprudence de notre Cour aussi bien que de la Cour suprême. Dans l’arrêt Université de la Columbie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353, par exemple, la Cour suprême a examiné la signification du terme [traduction] « public » (public) dans le contexte de l’article 3 de la Human Rights Act de la Colombie-Britannique, S.B.C. 1984, ch. 22. Dans cette affaire, une étudiante de l’Université de la Colombie-Britannique soutenait que cet établissement avait porté atteinte au droit que lui garantissait ledit article 3 de ne pas faire l’objet de discrimination [traduction] « à l’égard d’un logement, de services ou d’installations habituellement offerts au public », en refusant de remplir un formulaire d’évaluation pour elle. Dans sa décision ultérieurement confirmée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique [(1991), 81 D.L.R. (4th) 497], la Cour suprême de cette province [(1988), 10 C.H.R.R. D/6112] a statué que le fait de remplir un formulaire d’évaluation ne constituait pas un service [traduction] « habituellement offert au public ». Cependant, la Cour suprême du Canada en a décidé autrement. Le juge en chef Lamer, écrivant au nom de la majorité, a expressément rejeté (à la page 382) l’approche quantitative de la définition du terme « public » :

Il me semble que l’attention prêtée dans les arrêts antérieurs aux caractéristiques quantitatives du groupe auquel sont offerts les services ou les installations ne porte pas suffisamment sur d’autres facteurs pertinents. Si l’accent mis est purement quantitatif, il est en fait difficile de voir comment on peut dire que quelque chose de moins que l’ensemble des citoyens constitue le «public» d’une municipalité, d’une province ou d’un pays donnés.

[46]     En fait, le juge en chef formule la conclusion suivante à la page 383 : « Je rejetterais donc toute définition du mot “public” qui refuse de reconnaître qu’un logement, des services ou des installations ne seront toujours offerts qu’à un sous-ensemble du public. » Il préconise plutôt le « recours à une méthode fondée sur des principes qui tienne compte de la relation que les services ou les installations particuliers créent entre le fournisseur de services ou d’installations et l’usager des services ou des installations » (page 384). Comme le fait observer l’appelante, dans l’arrêt Berg, la Cour suprême du Canada ne traite nulle part de la question de savoir si les services étaient de nature personnelle ou s’ils étaient fournis individuellement et en privé.

[47]     D’autres décisions viennent aussi étayer la thèse que la communication au public peut se faire en un lieu privé. Dans l’affaire Regina c. Kiefer (1976), 70 D.L.R. (3d) 352 (C. P. C.‑B.), conf. par [1976] 6 W.W.R. 541 (C.c. C.-B.), l’inculpé était accusé d’avoir vendu des valeurs mobilières sans établir de prospectus d’émission. Il invoquait une dérogation selon laquelle il n’était pas nécessaire d’établir un prospectus pour les ventes qui n’étaient pas faites au public. Or, malgré le fait que l’inculpé avait uniquement vendu des valeurs mobilières individuellement, sur une période de deux ans, et qu’il n’avait fourni des services de courtage qu’à cinq clients, la Cour a estimé qu’il avait vendu les valeurs en question au public et l’a déclaré coupable.

[48]     Dans l’affaire CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339, l’une des parties appelantes, une maison d’édition, soutenait que l’une des parties intimées, un service de photocopie sur demande, avait porté atteinte à son droit d’auteur sur des décisions judiciaires publiées. L’appelante prétendait entre autres que l’intimée avait porté atteinte à son droit d’auteur en transmettant par télécopieur une copie d’une décision à l’un de ses membres. La juge en chef McLachlin a conclu, au paragraphe 78, que « [t]ransmettre une seule copie à une seule personne par télécopieur n’équivaut pas à communiquer l’œuvre au public. Cela dit, la transmission répétée d’une copie d’une même œuvre à de nombreux destinataires pourrait constituer une communication au public et violer le droit d’auteur. »

[49]     Notre Cour a proposé une définition semblable dans l’arrêt Assoc. canadienne des télécommunications sans fil c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2008 CAF 6, [2008] 3 R.C.F. 539. Dans cette affaire, la Commission du droit d’auteur du Canada avait autorisé l’intimée, la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (la SOCAN), à percevoir des redevances sur la transmission sans fil de sonneries aux utilisateurs de téléphones cellulaires par leurs fournisseurs de services. La Commission du droit d’auteur avait fondé sa décision sur l’alinéa 3(1)f) [mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 62] de la Loi sur le droit d’auteur, qui confère au titulaire du droit d’auteur le droit exclusif « de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique », ainsi que « d’autoriser ces actes ». L’intimée, qui représentait les principales entreprises de télécommunications, soutenait que la transmission d’une sonnerie par un fournisseur à un unique client ne constituait pas une communication « au public » et que la SOCAN ne pouvait donc percevoir de redevances sur les transmissions de sonneries. Écrivant au nom de la Cour, la juge Sharlow a conclu, au paragraphe 35, que les transmissions en cause étaient faites « au public » :

[. . .] il ne suffit pas de se demander si l’on a affaire à une communication entre un expéditeur unique et un destinataire unique ou à une communication unique demandée par le destinataire. La réponse à l’une et l’autre de ces questions ne serait pas nécessairement déterminante parce qu’une série de transmissions de la même œuvre musicale à un grand nombre de destinataires différents peut constituer une communication au public si les destinataires constituent le public ou une partie importante du public.

[50]     La juge Sharlow explique sa conclusion en comparant l’acte de télécharger des sonneries à celui de regarder la télévision. S’il est vrai qu’on regarde la télévision en privé, chacun devant son poste, la transmission d’une émission de télévision est néanmoins une exécution en public, puisque cette émission « est mise à la disposition d’un groupe de personnes suffisamment large et diversifié » (paragraphe 42). La juge Sharlow évoque également l’absurdité qu’il y aurait à considérer comme une communication au public la transmission simultanée d’une sonnerie à plusieurs abonnés, mais pas un ensemble de transmissions successives de la même sonnerie : « Il serait illogique d’en arriver à un résultat différent pour la simple raison que les transmissions sont effectuées une par une et qu’elles ont donc lieu à des moments différents » (paragraphe 43). Le même raisonnement s’applique en l’espèce.

[51]     Dans l’arrêt Assoc. canadienne de télévision par câble c. Canada (Commission du droit d’auteur), [1993] 2 C.F. 138 (C.A.), notre Cour a statué que la transmission d’œuvres musicales sur des réseaux de télévision par câble constitue une communication au public au sens de l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur, même si chaque abonné peut fort bien se trouver seul dans l’intimité de son foyer lorsqu’il reçoit cette transmission. Le juge Létourneau, après avoir examiné des précédents anglais, australiens et indiens, définit, à la page 153, l’expression « en public » comme signifiant « de manière ouverte, sans dissimulation et au su de tous ». Il conclut, à la page 154, que « la transmission par l’appelante de services autres que de radiodiffusion à ses nombreux abonnés, pour ce qui est des œuvres musicales, constitue une exécution en public au sens du paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur ».

[52]     Par conséquent, je conclus que le fait que les indications aient été formulées en privé ne veut pas dire qu’elles n’aient pas été données au public. Il faut prendre en considération toutes les circonstances de la communication. Si, comme dans la présente affaire, les indications sont communiquées à une partie appréciable du public, elles sont bel et bien données « au public ». Comme il est expliqué dans l’arrêt Berg [à la page 383], le « public » dont il s’agit peut être « un sous-ensemble du public ».

b) La disposition déterminative

[53]     Les intimés font valoir que la disposition déterminative vise des situations déterminées qui n’entreraient pas normalement dans le champ d’application de l’alinéa 74.01(1)a), mais que le législateur a néanmoins décidé de considérer comme publiques. Or, comme le législateur a décidé de spécifier des activités telles que la vente par démarchage et la vente en magasin, mais pas les indications données dans un bureau, il faut déduire de la maxime expressio unius est exclusio alterius que le législateur n’avait pas en vue les indications de la nature de celles qui ont été données dans la présente espèce.

[54]     Ce moyen n’aide pas les intimés. L’objet de la disposition déterminative de l’article 74.03 est de faire entrer dans la signification de l’expression « au public » des indications déterminées données à une seule personne, par exemple celles qu’un vendeur donne à un client dans un magasin. Cependant, dans la présente espèce, les indications n’ont pas été données à une seule personne : au contraire, des indications d’une même nature ont été données à un sous-ensemble appréciable du public. Par conséquent, la disposition déterminative est dénuée de pertinence en l’espèce.

[55]     En outre, la disposition déterminative est axée sur le point de savoir qui est responsable des indications données au public dans des situations telles que celles visées au paragraphe 74.03(2). Ce paragraphe assigne la responsabilité dans les cas où la personne qui a donné les indications se trouve à l’étranger. Plus précisément, le paragraphe 74.03(2) dispose que, dans les cas où les indications fausses ou trompeuses se rapportent à un produit étranger importé au Canada, c’est l’importateur qui est réputé les avoir données.

[56]     Les deux parties ont également présenté des observations concernant la modification récente de la Loi par adjonction des paragraphes 74.03(4) et (5) à la disposition déterminative. L’appelante soutient que, puisqu’elle contient l’expression « Il est entendu que », la modification devrait être considérée comme déclaratoire de l’état antérieur du droit. Les intimés, quant à eux, affirment que la modification avait en fait pour objet d’infirmer la décision du Tribunal, de sorte qu’il faudrait en déduire que le législateur n’avait pas à l’origine l’intention que l’alinéa 74.01(1)a) s’applique à la présente affaire.

[57]     Je suis arrivé à la conclusion que les modifications ne font pencher la balance ni d’un côté ni de l’autre. Pour commencer, la Loi d’interprétation dispose que la modification d’un texte ne doit pas être considérée comme une déclaration sur l’état antérieur du droit. Pierre‑André Côté fait observer que cette disposition n’a pas pour effet d’interdire l’usage de l’évolution législative subséquente comme outil d’interprétation, mais a plutôt pour seul effet « de faire disparaître toute présomption à cet égard » (Pierre‑André Côté, Interprétation des lois, 3e éd. Montréal : Thémis, 1999, page 672). Néanmoins, il y a de bonnes raisons d’être prudent lorsqu’on invoque l’évolution législative subséquente. En effet, comme le fait observer Ruth Sullivan, [traduction] « il est souvent difficile de distinguer les modifications qui ont pour but de clarifier ou de confirmer le droit existant de celles qui visent à le changer » (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd., Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008, à la page 592).

[58]     La Cour suprême est elle aussi intervenue dans ce débat. Les juges Iacobucci et Cory ont exprimé, au paragraphe 45 de l’arrêt États-Unis d’Amérique c. Dynar, [1997] 2 R.C.S. 462, leur ferme désapprobation du recours à l’évolution législative subséquente pour interpréter d’anciennes dispositions :

Ce que les auteurs appellent l’« évolution législative subséquente » ne peut jeter aucune lumière sur l’intention du législateur, qu’il soit fédéral ou provincial. Tout au plus, les modifications législatives révèlent l’interprétation que le législateur actuel donne à l’œuvre d’un prédécesseur. Et, en matière d’interprétation de la loi, c’est le jugement des tribunaux, et non celui des législateurs, qui importe. Il appartient aux juges de déterminer quelle était l’intention du législateur qui a adopté la loi.

[59]     Il est à noter que la modification en question dans Dynar portait sur la mens rea nécessaire pour qu’il y ait infraction de recyclage des produits de la criminalité et ne constituait pas un éclaircissement, contrairement à celle qui nous occupe dans la présente espèce. Néanmoins, comme l’implique l’arrêt Dynar, la simple insertion de l’expression « il est entendu que » ne peut changer le fait que toute modification législative — si déclaratoire qu’en soit la nature — représente l’application par le législateur actuel de sa propre interprétation des lois adoptées par le législateur antérieur. Par conséquent, les modifications apportées à la disposition déterminative ne sont pas utiles pour interpréter l’alinéa 74.01(1)a) aux fins de la présente affaire.

c) L’objet de la Loi

[60]     L’objet de la Loi est énoncé à son article 1.1. Comme l’indique clairement cet article, la Loi n’a pas pour but de favoriser la concurrence pour la concurrence, mais plutôt de promouvoir les objectifs économiques qui en découlent, tels que l’efficience, la participation aux marchés mondiaux, la qualité des produits et la compétitivité des prix.

[61]     Il ressort clairement de l’article déclarant l’objet de la Loi que les dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses de l’article 74.01 visent à inciter les entreprises à rivaliser sur la base des prix et de la qualité, « dans le but d’assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits ». Il est important de remarquer que les dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses — contrairement à bien d’autres dispositions de la Loi — ne spécifient pas le préjudice à la concurrence comme élément de l’infraction. Ce préjudice n’est donc pas spécifié comme élément de l’infraction dans la présente espèce, mais il va sans dire que la Loi vise toujours à empêcher qu’il soit fait du tort à la concurrence, de sorte qu’on peut présumer que, chaque fois qu’est reconnue la présence des éléments de l’alinéa 74.01(1)a), il y a par définition préjudice à la concurrence.

[62]     S’il est permis à une entreprise de donner des indications trompeuses au public, il peut y avoir de plus fortes probabilités que les consommateurs éventuels préfèrent les produits inférieurs de cette entreprise aux produits supérieurs d’un concurrent honnête. Dans un contexte où les consommateurs se voient ainsi communiquer de faux renseignements, les entreprises se trouvent incitées à mentir sur leurs produits ou leurs services, au lieu de produire ou de fournir des biens ou des services de meilleure qualité et moins chers. Par conséquent, ainsi que le soutient l’appelante, lorsqu’une entreprise donne des renseignements trompeurs aux consommateurs éventuels, elle porte nécessairement préjudice au bon fonctionnement du marché, de sorte qu’on est fondé à invoquer ici la Loi, étant donné ses objectifs explicites.

[63]     Comme le fait valoir l’appelante, c’est le consommateur qui doit former l’axe de l’analyse dans les affaires de pratiques commerciales trompeuses. S’ils ont raison d’affirmer que la Loi n’est pas un texte de protection des consommateurs, les intimés ont tort de soutenir qu’interpréter de la manière susdite les dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses revient à interpréter la Loi comme un texte visant la protection du consommateur. Au contraire, ainsi que l’indique l’analyse qui précède, la focalisation sur le consommateur n’est pas un signe de l’objectif de la Loi, mais une considération préalable à son objectif fondamental, à savoir le maintien du bon fonctionnement du marché afin de préserver un choix de produits et la qualité de ceux‑ci.

[64]     Dans la présente espèce, les témoignages d’anciens clients de PCMG indiquent clairement que les clients des intimés savaient que ceux‑ci menaient leurs activités sur un marché concurrentiel et qu’ils ont en fait choisi leurs services par suite des indications trompeuses en question. Ainsi,

a) Christopher Graham a déclaré que M. Roy lui avait dit [traduction] « que PCMG aidait les gens à entrer dans des carrières très lucratives et que c’était la raison pour laquelle ses services étaient rémunérés. Selon M. Roy, a ajouté M. Graham, les organismes de recherche d’emploi offrant des services gratuits ne trouvaient que des emplois mal rémunérés, et il a minimisé l’importance des services que fournissaient ces organismes » (dossier de preuve, déclaration de Christopher Graham, non datée, pièce A‑13, au paragraphe 19).

b) Tanya Threatful a déclaré que [traduction]  « Minto Roy [lui avait] dit que PCMG ne ressemblait à aucune autre entreprise du secteur de la gestion de carrière à cause des relations personnelles qu’elle avait dans les milieux d’affaires » (dossier de preuve, déclaration de Tanya Threatful, datée du 10 septembre 2007, pièce A‑57, au paragraphe 9).

c) Johan de Vaal a déclaré : [traduction] « L’annonce de PCMG m’a donné l’impression qu’elle était une entreprise de recrutement de cadres, un « chasseur de têtes » comme on dit. J’ai supposé que, comme les entreprises de ce genre, PCMG disposait déjà d’une liste de sociétés à la recherche de candidats pour leurs postes vacants » (dossier de preuve, affidavit de Johan de Vaal, daté du 10 septembre 2007, pièce A‑1, au paragraphe 6).

d) Rafaelle Roca, aussi un ancien client, fait état d’impressions analogues en se remémorant un entretien avec un employé de PCMG dénommé Ravi Puri (dossier de preuve, affidavit de Rafaelle Roca, daté du 25 octobre 2007, pièce R-53, au paragraphe 22) :

[traduction] Ravi Puri a illustré le scénario suivant sur le tableau blanc de son bureau. Il était vrai que PCMG demandait plus [que d’autres entreprises], mais ses relations avec des décideurs, ainsi que les techniques de négociation qu’elle m’enseignerait, me permettraient d’obtenir un salaire plus élevé. En fin de compte, donc, les services de PCMG me coûteraient moins cher, proportionnellement, que les services d’autres agences.

[65]     Comme le démontrent ces déclarations, les indications trompeuses données par les intimés ont joué un rôle clé dans la décision d’au moins certains clients éventuels de retenir les services de PCMG plutôt que ceux d’autres agences. C’est exactement là le genre de distorsion du marché que les dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses visent à empêcher. Le comportement en cause dans la présente affaire s’inscrit donc tout à fait dans le champ d’application de la Loi.

C. Conclusions de la Cour sur la signification des mots « au public »

[66]     Je conclus que les indications données par les intimés dans la présente espèce ont été données « au public » au sens de l’alinéa 74.01(1)a) de la Loi. Eu égard aux circonstances, peu importe que les indications aient été données en privé, qu’elles aient été données individuellement, ou que les clients éventuels aient communiqué des renseignements personnels aux intimés. Comme je l’ai indiqué précédemment, la question qu’il faut se poser pour établir si des indications ont été données au public est le point de savoir à qui elles ont été données et dans quelles circonstances. En l’espèce, la réponse est la suivante : les indications ont été données à des personnes composant un sous-ensemble appréciable du public, que des annonces publicitaires avaient incitées à se rendre aux bureaux des intimés.

VII. Les indications étaient-elles trompeuses?

A. La norme de contrôle

[67]     On détermine normalement la norme de contrôle de la décision d’un tribunal administratif d’après l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190. Cependant, c’est une juge de la Cour fédérale, siégeant seule en tant que juge du Tribunal de la concurrence, qui a prononcé la décision visée par l’appel. En outre, selon le paragraphe 13(1) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, les décisions du Tribunal dont il est fait appel devant notre Cour doivent être considérées comme des jugements de la Cour fédérale. Comme le soutiennent les intimés dans leur mémoire, étant donné la nature judiciaire de l’instance et le fait que l’affaire ait été instruite par une juge de la Cour fédérale, il paraît plus logique d’appliquer la norme de contrôle des décisions des tribunaux judiciaires inférieurs que celles utilisées pour contrôler les décisions des tribunaux administratifs. En conséquence, la norme de contrôle applicable en l’espèce sera déterminée selon l’arrêt Housen de la Cour suprême.

[68]     Les intimés font valoir que l’analyse du point de savoir si les indications étaient trompeuses devrait s’articuler en deux questions : 1) que signifiaient les indications? (c’est‑à‑dire l’interprétation de celles‑ci); 2) les indications étaient-elles trompeuses? Je suis d’accord avec eux.

A) La norme de contrôle applicable à l’interprétation des indications

[69]     Les intimés soutiennent que l’interprétation d’indications est une question de droit et invoquent plusieurs précédents à l’appui de ce principe : R. v. Total Ford Sales Ltd. (1987), 18 C.P.R. (3d) 404 (C. dist. Ont.); R. v. Independent Order of Foresters (1989), 26 C.P.R. (3d) 229 (C.A. Ont.); et Regina v. International Vacations Ltd., [1980] 33 O.R. (2d) 327 (C.A.). L’appelante demande à la Cour d’écarter cette série de décisions, faisant observer que les décisions Total Ford et Foresters s’appuyaient sur l’arrêt International Vacations, et que la Cour d’appel de l’Ontario a explicitement noté dans ce dernier arrêt que les indications en question consistaient en annonces publicitaires de journaux. Le fait est exact, mais l’appelante ne dit pas selon quel principe la règle applicable à de telles annonces ne pourrait aussi valoir pour les indications données oralement. Par conséquent, j’accepte la prétention des intimés selon laquelle l’interprétation d’indications est une question de droit. Selon l’arrêt Housen (paragraphe 8), les questions de droit relèvent de la norme de la décision correcte.

B) La norme de contrôle applicable à l’analyse du point de savoir si les indications étaient trompeuses

[70]     Le Tribunal a conclu que les indications orales en cause avaient été données à des clients éventuels. Il a ensuite appliqué le droit à ce fait ainsi établi, afin de décider les points de savoir si ces indications orales étaient trompeuses et portaient sur un point important. Cette opération met en jeu une question mixte de fait et de droit.

[71]     Dans l’arrêt Housen, la majorité de la Cour a conclu que, lorsqu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, c’est‑à‑dire lorsque le principe juridique applicable n’est pas facilement isolable, la décision du juge de première instance ne doit être infirmée que s’il existe une erreur manifeste et dominante (paragraphe 36). Pour répondre à la question de savoir si les indications étaient trompeuses, il faut appliquer directement l’alinéa 74.01(1)a) de la Loi aux faits de la présente espèce. Comme aucun principe juridique n’est ici isolable, la conclusion du Tribunal selon laquelle les indications étaient trompeuses ne peut être infirmée que si l’appelante démontre la présence d’une erreur manifeste et dominante dans la décision du Tribunal.

B. L’interprétation des indications

[72]     Les intimés soutiennent que la norme d’interprétation à appliquer aux indications de la nature qui nous occupe est le point de vue du [traduction] « citoyen ordinaire », possédant « un niveau moyen d’entendement, d’intelligence et de bon sens » : R. v. Kenitex Canada Ltd. et al. (1980), 51 C.P.R. (2d) 103 (C.c. Ont.), à la page 107. Je souscris à cette proposition.

[73]     Les intimés affirment ensuite que le Tribunal a commis deux erreurs de droit dans l’interprétation des indications. Premièrement, ils font valoir que le Tribunal a explicitement conclu que les intimés n’avaient pas fait de promesses précises; or, des indications vagues ne peuvent motiver une poursuite : Maritime Travel Inc. v. Go Travel Direct.Com Inc., 2008 NSSC 163, 265 N.S.R. (2d) 369, au paragraphe 37. Je rejette cette prétention. Il est vrai que le Tribunal a conclu que les intimés n’avaient pas garanti d’entretiens déterminés avec des personnes-ressources précises, mais il est tout aussi vrai qu’il a conclu que les intimés avaient bel et bien garanti des entretiens en général avec des personnes-ressources de haut niveau. Il importe peu que les intimés n’aient pas fourni de détails précis sur les personnes que leurs clients éventuels rencontreraient.

[74]     Deuxièmement, les intimés font valoir que la [traduction] « personne ordinaire » de la décision Kenitex aurait compris que le contenu de cette catégorie d’indications dépendait en partie de descriptions vagues [traduction] « d’événements futurs aléatoires », indépendants de leur volonté, et qu’il était sous-entendu dans ces indications que chaque personne-ressource ne serait pas mobilisée pour chaque client, et que le nombre des postes disponibles varierait d’une personne à l’autre et dans le temps. Cet argument ne me convainc guère. Il n’est pas évident que la personne ordinaire n’ajouterait pas foi aux indications malgré le caractère futur et aléatoire des événements envisagés. En fait, les indications qu’on donne à des clients éventuels concernent dans bien des cas des événements futurs aléatoires. La compagnie aérienne qui déclare dans sa publicité que tel avion arrivera à 11 heures alors qu’il atterrit régulièrement à 17 heures a presque certainement induit ses clients en erreur, même si d’autres facteurs (par exemple les conditions météorologiques ou l’encombrement aéroportuaire) retardent à l’occasion l’heure d’arrivée. De même, l’entreprise de téléphonie cellulaire qui dit à ses clients éventuels qu’elle offre une qualité de réception sans égale, alors que la réception est presque toujours mauvaise, les a probablement aussi induits en erreur, même si d’autres facteurs, tels que les interférences dues aux fils électriques ou aux immeubles élevés, peuvent également faire obstacle à la réception.

[75]     En conséquence, je conclus que le Tribunal a donné une interprétation juste des indications en cause.

C. Les indications étaient-elles trompeuses?

[76]     Les intimés soutiennent que le Tribunal a commis une erreur en concluant que les indications sur les personnes-ressources étaient trompeuses et invoquent deux moyens à l’appui de cette prétention. Premièrement, ils font valoir que le Tribunal n’a pas formulé de conclusion de fait sur l’étendue de leur réseau de personnes-ressources. Deuxièmement, ils affirment que la personne raisonnable aurait compris qu’il était sous-entendu que ce n’étaient pas toutes les indications de cette nature données par PCMG qui s’appliqueraient au cas de chaque client, que l’existence des postes et la possibilité d’entretiens d’embauche dépendaient de facteurs indépendants de la volonté des intimés et que, en tout temps, il pourrait arriver qu’il n’y ait aucun poste disponible pour tel client.

[77]     De même, les intimés soutiennent que le Tribunal a commis une erreur en concluant que les indications sur les 90 jours et le bon emploi étaient trompeuses parce qu’il n’a pas formulé de conclusion de fait selon laquelle le client typique de PCMG n’avait pas trouvé un bon emploi dans un délai de 90 jours, et que la personne raisonnable aurait compris que, comme les résultats dépendaient de tiers, tous les clients n’obtiendraient pas nécessairement des résultats typiques.

[78]     L’appelante soutient que les conclusions du Tribunal étaient raisonnables et que les intimés, par leurs observations, demandent en fait à notre Cour de réexaminer la preuve produite devant lui.

[79]     Comme on l’a vu précédemment, ces conclusions du Tribunal ne peuvent être infirmées que s’il a commis une erreur manifeste et dominante dans son analyse. Or, je ne pense pas qu’il ait commis d’erreur de cette nature. Il n’incombait pas au Tribunal de formuler des conclusions de fait préalables sur le réseau de personnes-ressources des intimés ni sur le taux de réussite des clients typiques de PCMG, et les intimés ne citent aucun texte de jurisprudence ou de doctrine qui permettrait de le penser. En fait, il est sous-entendu dans la décision du Tribunal que les intimés avaient déclaré qu’ils disposaient d’un réseau de personnes-ressources et que le client typique n’avait pas trouvé un emploi dans les 90 jours, contrairement aux indications. Par conséquent, celles‑ci étaient trompeuses. Le Tribunal n’était nullement tenu de formuler une prémisse si manifestement implicite dans sa conclusion.

[80]     La prétention des intimés voulant que les indications comprenaient des limites évidentes et implicites ne permet pas non plus de conclure à une erreur manifeste et dominante. En fait, ce moyen n’est guère qu’une façon de resservir l’argument des [traduction] « événements futurs aléatoires », que j’ai déjà rejeté à propos de l’interprétation des indications. En conséquence, j’estime qu’il était loisible au Tribunal de conclure des faits exposés devant lui que les indications sur les personnes-ressources et sur les 90 jours et le bon emploi étaient trompeuses sur un point important.

VIII. Dispositif

[81]     La conclusion du Tribunal selon laquelle les indications en cause n’ont pas été données « au public » constitue une erreur de droit. Quant à sa conclusion selon laquelle les indications en cause étaient trompeuses sur un point important, elle n’est entachée d’aucune erreur manifeste ou dominante. En conséquence, j’accueillerais le présent appel avec dépens et annulerais la décision du Tribunal. Rendant le jugement qui aurait dû être rendu, j’accueillerais avec dépens la demande présentée par l’appelante sous le régime de l’article 74.1 de la Loi sur la concurrence.

[82]     L’appelante demande plusieurs mesures de réparation bien définies. Cependant, le Tribunal est mieux placé que notre Cour pour déterminer les mesures de réparation qui conviennent. Je fais donc droit à la demande subsidiaire de l’appelante visant à faire renvoyer l’affaire au Tribunal pour qu’il prononce une ordonnance conformément à l’article 74.1 de la Loi sur la concurrence et aux conclusions de notre Cour.

    Le juge Létourneau, J.C.A. : Je suis d’accord.

    La juge Layden-Stevenson, J.C.A. : Je suis d’accord.

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