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[2012] 4 R.C.F. 67

A-506-09

2011 CAF 38

Andrew Donnie Amos (appelant)

c.

Procureur général du Canada (intimé)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Amos

Cour d’appel fédérale, le juge en chef Blais, juges Dawson et Trudel, J.C.A.—Ottawa, 8 décembre 2010 et 3 février 2011.

Fonction publique — Relations du travail — Appel d’un jugement de la Cour fédérale ayant accueilli une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un arbitre de grief de la Commission des relations de travail dans la fonction publique concluant qu’il avait compétence pour trancher des différends relatifs à l’entente de règlement intervenue entre les parties sur des questions qui peuvent être renvoyées à l’arbitrage — Les parties sont parvenues à une entente portant sur le grief déposé par l’appelant, ce qui a été confirmé par la signature d’un protocole d’entente — L’arbitre a ultérieurement ordonné la reprise de l’audience en vue de déterminer si l’employeur s’était conformé au protocole d’entente — Il a conclu que l’objet du grief était une suspension disciplinaire relevant de l’art. 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) et que la question du non-respect du protocole d’entente découlait, dans son essence, du grief — La Cour fédérale a décidé que les art. 226(2) et 236 de la LRTFP n’étendaient pas la compétence de l’arbitre aux différends découlant du protocole d’entente — Il s’agissait de savoir si un arbitre de grief a compétence : pour décider si l’entente de règlement des parties est définitive et exécutoire; pour entendre une allégation de non-conformité à l’entente de règlement; pour rendre une ordonnance de réparation — L’interprétation de l’art. 209 de la LRTFP par un arbitre est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable — Un arbitre est compétent pour déterminer la nature finale et exécutoire d’une entente de règlement — Il a également compétence pour entendre une allégation de non-conformité — Il y a une différence de sens entre l’art. 209(1) de la LRTFP et son ancienne version, soit l’art. 92(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique — La LRTFP met l’accent sur la promotion des procédures de règlement volontaire des différends — L’arbitre est compétent pour entendre des différends en vertu de l’art. 209(1) de la LRTFP — L’arbitre a bien appliqué le critère de l’« essence du différend » énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Weber c. Hydro Ontario (Weber) — L’arrêt Weber s’applique à la partie 2 de la LRTFP — Enfin, le pouvoir de réparation conféré à l’arbitre est large — Appel accueilli.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale accueillant une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) concluant qu’un arbitre de grief a compétence pour trancher des différends relatifs à des ententes de règlement intervenues entre les parties sur des questions qui peuvent être renvoyées à l’arbitrage.

L’appelant a déposé un grief contestant une suspension disciplinaire imposée par son employeur. Avec l’aide d’un arbitre, les parties sont parvenues à une entente et ont rédigé un protocole d’entente. L’appelant a demandé à la CRTFP de rouvrir l’examen du grief au fond, lequel n’avait pas été retiré, au motif que l’employeur ne respectait pas les modalités du protocole. L’arbitre a plutôt ordonné la reprise de l’audience pour déterminer si l’employeur s’était conformé ou non aux conditions du protocole. Après avoir conclu que l’objet du grief initial était une suspension disciplinaire, une question qui relevait du paragraphe 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) (une disposition traitant de l’arbitrage), et que la question du non-respect de l’entente de règlement découlait, dans son essence, du grief initial, l’arbitre de grief a estimé qu’il avait compétence pour entendre l’allégation de non-respect et qu’il était également compétent pour accorder une réparation. La Cour fédérale a statué que le paragraphe 226(2) et que l’article 236 de la LRTFP n’étendaient pas la compétence de l’arbitre de grief aux différends découlant d’un protocole d’entente. Comme le protocole d’entente réglait les différends des parties, il n’y avait aucune autre question à résoudre, et le paragraphe 226(2) ne s’appliquait pas.

Les principales questions en litige étaient de déterminer si l’arbitre de grief avait compétence sous le régime de la LRTFP pour décider si l’entente de règlement des parties est définitive et contraignante, et pour rendre l’ordonnance réparatrice appropriée.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

La Cour fédérale a décidé à tort que la décision rendue par l’arbitre de grief était susceptible de contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte. En se fondant sur l’existence d’une clause privative rigoureuse prévue à l’article 233 de la LRTFP, sur l’objectif général de la LRTFP, sur la nature de la question en litige et sur la compétence spécialisée en matière de relations de travail de l’arbitre de grief, l’interprétation donnée à l’article 209 de la LRTFP par l’arbitre de grief était susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

L’arbitre n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il avait compétence sous le régime de la LRTFP pour décider si le protocole d’entente intervenu entre les parties était définitif et contraignant. Comme les parties avaient convenu que l’entente était définitive et contraignante, l’arbitre de grief n’était pas tenu de se prononcer sur les caractéristiques du protocole d’entente. L’arbitre avait également compétence pour entendre une allégation de non-respect par l’une des parties d’une entente définitive et contraignante. Le même sens ne doit pas être donné au paragraphe 209(1) de la LRTFP et à son ancienne version, le paragraphe 92(1) de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. L’arbitre de grief doit être conscient de l’existence du préambule de la LRTFP et interpréter les dispositions de cette législation de façon à favoriser la collaboration des parties en présence, à contribuer à la résolution efficace des problèmes et à encourager le respect mutuel ainsi que l’établissement de relations harmonieuses. La LRTFP met l’accent sur les procédures favorisant le règlement volontaire de différends, notamment par la médiation, alors qu’un des éléments essentiels du processus de médiation est la possibilité d’exécuter et de faire respecter l’entente de règlement. L’arbitre a estimé qu’il avait compétence pour entendre le différend parce que le sujet du grief initial tombait dans le champ de compétence d’un arbitre de grief, tel que prévu au paragraphe 209(1) de la LRTFP. L’arbitre a appliqué à juste titre le critère de « l’essence du différend » élaboré par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Weber c. Hydro Ontario (Weber) et Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners pour conclure que le différend entre les parties, dans son essence, découlait de la mesure disciplinaire initiale. Il n’y avait aucune raison valable en l’espèce justifiant d’écarter ce critère parce qu’il sert à choisir entre deux processus prévus par la LRTFP au lieu de choisir entre une instance décisionnelle ou un organisme créé par la loi. Compte tenu du libellé explicite du paragraphe 236(1) de la LRTFP, l’orientation des décisions rendues dans la foulée de Weber qui favorise la compétence exclusive et complète en vertu de la loi sur les relations de travail de régler les différends en milieu de travail s’applique à la partie 2 de la LRTFP. En ce qui concerne sa compétence pour accorder une réparation, l’arbitre de grief a estimé avec raison que ses pouvoirs d’accorder une réparation étaient étendus et qu’ils ne se limitaient pas à une liste précise de réparations.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 8.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 13.

Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1990, ch. L.2, art. 45(1).

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2, préambule, art. 13, 15c), 58, 208, 209, 226, 228(2), 233, 236.

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 91, 92 (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 68).

JURISPRUDENCE

décisions appliquées :

Alliance de la Fonction publique du Canada c. Assoc. des pilotes fédéraux du Canada, 2009 CAF 223, [2010] 3 R.C.F. 219; Weber c. Hydro Ontario, [1995] 2 R.C.S. 929; Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, 2000 CSC 14, [2000] 1 R.C.S. 360.

décision différenciée :

Maiangowi c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2008 CRTFP 6.

décisions examinées :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; ATCO Gas & Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140; Newfoundland Association of Public Employees c. Procureur général (Terre-Neuve), [1978] 1 R.C.S. 524.

décisions citées :

Macdonald c. Canada, 1998 CanLII 8736 (C.F. 1re inst.); Bhatia c. Conseil du Trésor (Travaux publics Canada), [1989] C.R.T.F.P. no 141 (QL); Fox c. Conseil du Trésor (Commission de l’Immigration et du statut de réfugié), 2001 CRTFP 130; Bedok c. Conseil du Trésor (Ministère du Développement des ressources humaines), 2004 CRTFP 163; Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56, [2011] 2 R.C.F. 221; Nash c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 98; Van de Mosselaer c. Conseil du Trésor (Ministère des Transports), 2006 CRTFP 59; MacDonald et Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale), [1985] C.R.T.F.P.C. no 266 (QL); Conseil du Trésor et Deom, [1985] C.R.T.F.P.C. no 150 (QL); Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Elliott v. De Havilland Aircraft Co. of Canada Ltd. (1989), 32 O.A.C. 250 (C. Div.); Butt v. United Steelworkers of America (1993), 106 Nfld. & P.E.I.R. 181 (T.-N. 1re inst.); Bourne v. Otis Elevator Co. (1984), 45 O.R. (2d) 321 (H.C.); Heustis c. Commission d’énergie électrique du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 768; Lindor c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada — Service correctionnel), 2003 CRTFP 10.

DOCTRINE CITÉE

Driedger, Elmer A. The Construction of Statutes, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1983.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008.

APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2009 CF 1181) accueillant une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un arbitre de la Commission des relations de travail de la fonction publique (2008 CRTFP 74) concluant qu’un arbitre de grief a compétence pour trancher des différends relatifs à des ententes de règlement intervenues entre les parties sur des questions qui peuvent être renvoyées à l’arbitrage. Appel accueilli.

ONT COMPARU

Andrew J. Raven pour l’appelant.

John Jaworski et Jennifer A. Lewis pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l. pour l’appelant.

Sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

  La juge Trudel, J.C.A. :

Introduction

[1]        La présente affaire concerne l’étendue de la compétence que la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la LRTFP, la Loi ou la nouvelle loi) confère à l’arbitre de grief. L’arbitre de grief demeure-t-il compétent pour trancher les différends relatifs à l’entente de règlement conclue par les parties sur des questions qui peuvent être renvoyées à l’arbitrage ou, comme l’arbitre de grief a formulé la question dans le cas qui nous occupe, quelles sont les voies de recours qui sont ouvertes à celui dont le grief renvoyé à l’arbitrage a été réglé et qui allègue par la suite que l’autre partie n’a pas respecté l’entente de règlement (motifs de l’arbitre de grief [Amos c. Administrateur général (Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 74], au paragraphe 46)?

[2]        Appliquant la norme de la décision correcte, le juge Boivin (le juge de première instance) de la Cour fédérale, a répondu par la négative à la première question, ajoutant qu’il était toujours possible, en vertu de l’article 208 de la Loi, de déposer un nouveau grief au sujet de l’entente de règlement (2009 CF 1181). Il s’agit de l’appel du jugement rendu par le juge Boivin le 20 novembre 2009. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis d’accueillir l’appel et de rétablir la décision de l’arbitre de grief.

[3]        Les faits sont simples. Le juge de première instance les a bien résumés (aux paragraphes 2 à 7) :

L’auteur du grief et [appelant], Andrew Donnie Amos, travaille pour le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le ministère) comme gestionnaire principal de projet aux sous-groupe et niveau ENG 5. Le sous-ministre du ministère (l’administrateur général) a imposé [à l’appelant], par lettre datée du 29 mars 2005, une suspension disciplinaire de 20 jours sans rémunération. Le 2 mai 2005, [l’appelant] a déposé un grief contestant la suspension de 20 jours, et le grief fut renvoyé à l’arbitrage le 10 août 2005.

L’arbitre de grief Dan Butler a été nommé pour instruire l’affaire. Une audience a d’abord été convoquée à Halifax, en Nouvelle-Écosse, pour une période de trois jours débutant le 28 novembre 2006, puis l’audience a repris à Halifax le 1er mai 2007. Avec l’aide de l’arbitre, les parties sont parvenues le 2 mai 2007 à une entente, confirmée dans un protocole d’entente, qui traitait de plusieurs questions. Le protocole contenait un plan d’après lequel les parties devaient se rencontrer pour débattre et régler certaines questions se rapportant aux relations professionnelles entre [l’appelant] et le ministère.

Après la signature du protocole, [l’appelant] n’a pas retiré son grief.

Le 14 décembre 2007, [l’appelant] a demandé à la Commission de rouvrir l’examen du grief au fond, puisque l’administrateur général ne respectait pas les modalités du protocole, c’est-à-dire que le ministère n’avait pas honoré la promesse d’une rencontre avec [l’appelant] pour régler leurs points litigieux et établir de bonnes relations de travail.

Le 7 janvier 2008, l’administrateur général s’est opposé à la demande [de l’appelant], en invoquant deux moyens : d’abord, la conclusion d’un arrangement amiable, définitif et contraignant, avait eu pour effet de retirer toute compétence à l’arbitre; deuxièmement, il existait un principe bien établi selon lequel les arbitres agissant en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35, article 1 (l’ancienne loi), la loi antérieure à la LRTFP, n’étaient pas compétents pour faire appliquer un protocole d’entente.

L’arbitre n’a pas accepté de rouvrir l’examen du grief au fond, comme le lui demandait [l’appelant]. Il a plutôt ordonné la reprise de l’audience pour déterminer si l’administrateur général s’était ou non conformé aux conditions du protocole et, au besoin, pour prononcer la sanction qui s’imposait.

[4]        Comme les questions en litige n’avaient jamais été examinées sous le régime de la nouvelle loi, l’arbitre de grief Dan Butler (l’arbitre de grief ou l’arbitre) a prié les parties et les intervenants (qui n’ont pas pris part au présent appel) de déposer leurs conclusions sur les trois questions suivantes :

1. La nouvelle loi donne-t-elle compétence à un arbitre de grief pour décider si l’entente de règlement des parties est définitive et contraignante?

2. Dans l’affirmative, l’arbitre de grief a-t-il compétence pour entendre une allégation suivant laquelle une partie ne s’est pas conformée à l’entente de règlement définitive et contraignante?

3. Dans l’éventualité où l’arbitre de grief a compétence pour entendre une allégation suivant laquelle une partie ne s’est pas conformée à l’entente de règlement définitive et contraignante, l’arbitre de grief a-t-il la compétence pour prononcer l’ordonnance qu’il juge indiquée dans les circonstances?

[5]        Sur la première question, l’arbitre de grief a estimé qu’on ne lui avait pas demandé de vérifier si l’entente de règlement était définitive et contraignante ou si elle était par ailleurs viciée. La question de fond tournait autour de l’allégation de l’appelant suivant laquelle l’administrateur général n’avait pas respecté les modalités d’un protocole d’entente définitif et contraignant (motifs de l’arbitre de grief, aux paragraphes 93 et 125). Cette conclusion de l’arbitre de grief n’est pas contestée, pas plus que sa réponse à la première question (voir, plus loin, les paragraphes 35 et suivants).

[6]        L’arbitre de grief a répondu par l’affirmative aux questions 2 et 3. Il a conclu que l’objet du grief initial était une suspension disciplinaire, une question qui relevait du paragraphe 209(1) de la Loi. De plus, la question du non-respect de l’entente de règlement découlait, dans son essence, du grief initial. L’arbitre a fait observer que l’appelant n’avait pas retiré ce grief (motifs de l’arbitre de grief, aux paragraphes 126 et 53). Par conséquent, contrairement au juge de première instance, l’arbitre a conclu qu’il avait compétence pour examiner l’allégation de l’appelant selon laquelle l’administrateur général n’avait pas respecté l’entente de règlement, ajoutant qu’il était également compétent pour accorder une réparation. Il n’était donc pas nécessaire que l’appelant dépose un nouveau grief en vertu de l’article 208. Je reviendrai sur la décision de l’arbitre plus loin dans mon analyse.

Les dispositions législatives applicables

[7]        L’article 208 de la Loi énumère les cas dans lesquels il est possible de présenter un grief individuel, tandis que l’article 209 précise les questions qui peuvent être renvoyées à l’arbitrage. Voici les extraits pertinents de ces articles :

208. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

(i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi,

(ii) soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

[…]

Droit du fonctionnaire

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

Renvoi d’un grief à l’arbitrage

[8]        L’article 92 [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 68] de l’ancienne loi [Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, abrogée par L.C. 2003, ch. 22, art. 285] traitait du renvoi à l’arbitrage. En voici les dispositions pertinentes :

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

Renvoi d’un grief à l’arbitrage

[9]        Deux autres dispositions nous intéressent. Le paragraphe 226(2) de la Loi prévoit que l’arbitre de grief peut, à toute étape de l’instance, aider les parties à régler tout désaccord entre elles, sans qu’il soit porté atteinte à sa compétence à titre d’arbitre chargé de trancher « les questions qui n’auront pas été réglées ». Ce pouvoir n’était pas prévu dans l’ancienne loi. L’article 236 soustrait à la compétence de la Cour les différends liés à l’emploi :

226. […]

(2) En tout état de cause, l’arbitre de grief peut, avec le consentement des parties, les aider à régler tout désaccord entre elles, sans qu’il soit porté atteinte à sa compétence à titre d’arbitre chargé de trancher les questions qui n’auront pas été réglées.

[…]

Médiation

236. (1) Le droit de recours du fonctionnaire par voie de grief relativement à tout différend lié à ses conditions d’emploi remplace ses droits d’action en justice relativement aux faits — actions ou omissions — à l’origine du différend.

Différend lié à l’emploi

(2) Le paragraphe (1) s’applique que le fonctionnaire se prévale ou non de son droit de présenter un grief et qu’il soit possible ou non de soumettre le grief à l’arbitrage.

Application

Le jugement de première instance

[10]      Le juge de première instance s’est dit d’avis qu’il n’y avait « pas de différence appréciable entre l’article 92 de l’ancienne loi et l’article 209 de la LRTFP » (motifs du jugement, au paragraphe 39). Il n’était donc pas nécessaire d’écarter la jurisprudence interprétant l’article 92 de l’ancienne loi, qui avait établi que « l’existence d’une entente définitive et exécutoire avait pour effet de retirer toute compétence à l’arbitre » (motifs du jugement, au paragraphe 28) (voir également Macdonald c. Canada, 1998 CanLII 8736 (C.F. 1re inst.); Bhatia c. Conseil du Trésor (Travaux publics Canada), [1989] C.R.T.F.P.C. n° 141 (QL) (Bhatia) ; Fox c. Conseil du Trésor (Commission de l’Immigration et du statut de réfugié), 2001 CRTFP 130; et Bedok c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), 2004 CRTFP 163 (Bedok)).

[11]      Plus précisément, le juge de première instance écrit (au paragraphe 40) :

Comme les parties l’ont fait remarquer à l’audience, d’autres régimes de relations de travail maintiennent la compétence de l’arbitre à l’égard du grief après la conclusion d’une entente. Cependant, cela n’a jamais été le cas jusqu’à maintenant au sein de la fonction publique, car les procédures visant à faire reconnaître les droits et obligations en matière d’emploi diffèrent quelque peu de celles du secteur privé (Vaughan c. Canada, 2005 CSC 11, [2005] 1 R.C.S. 146). Il n’apparaît pas évident que, par l’adoption de la LRTFP, le législateur ait voulu changer la situation.

[12]      Tout en acceptant que le paragraphe 226(2) et l’article 236 de la Loi étaient de droit nouveau, le juge de première instance n’a pas admis l’idée avancée par l’appelant suivant laquelle ces dispositions avaient pour effet d’étendre la compétence de l’arbitre aux différends découlant d’un protocole d’entente (motifs du jugement, aux paragraphes 54 et 49). Le juge de première instance s’est dit d’avis que la signature d’un protocole attestait l’intention commune des parties d’abandonner la procédure introduite en vertu de l’article 209 de la Loi « et donc de mettre fin à l’arbitrage en choisissant de régler leur différend au moyen du protocole » (motifs du jugement, au paragraphe 49). Comme le protocole d’entente avait mis fin au différend entre les parties, il n’y avait plus de questions à résoudre devant l’arbitre. Le paragraphe 226(2) n’entrait pas en jeu. Le juge de première instance s’est dit d’avis que la compétence de l’arbitre ne dépendait pas de savoir si le plaignant avait ou non retiré son grief (motifs du jugement, au paragraphe 49).

[13]      Quoi qu’il en soit, comme je l’ai déjà signalé, le juge de première instance a fait observer que l’appelant n’était pas sans recours puisqu’il pouvait, en vertu de l’article 208 de la Loi, déposer un nouveau grief se rapportant au protocole et que, s’il n’était pas satisfait de l’issue du grief au dernier palier de la procédure interne de règlement des griefs prévue par l’employeur, il pouvait saisir la Cour d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision (motifs du jugement, au paragraphe 55). L’appelant s’oppose tout particulièrement à cette conclusion en faisant observer qu’un grief portant sur une entente de règlement n’est pas admissible à l’arbitrage aux termes de l’article 209 de la Loi.

Les questions en litige dans le présent appel

[14]      Voici, selon l’appelant, les questions en litige :

1) Quelle est la norme de contrôle applicable?

2) L’arbitre de grief a-t-il commis une erreur en concluant qu’il demeurait compétent pour sanctionner le non-respect d’une entente de règlement conclue relativement à un grief arbitrable?

[15]      Je m’empresse d’ajouter que, lors de l’instruction du présent appel, l’appelant a bien précisé que sa seconde question n’avait pas une portée aussi large que ce que son libellé pouvait laisser croire. L’appelant affirme plus particulièrement que c’est à raison que l’arbitre de grief a conclu qu’il était compétent pour sanctionner le non-respect de l’entente de règlement étant donné que l’appelant n’avait jamais retiré son grief. Bien que le juge de première instance se soit dit d’avis que le retrait du grief n’avait eu aucune incidence sur la compétence de l’arbitre de grief, l’appelant invite la Cour à limiter son analyse aux faits particuliers de l’espèce. J’accepte son invitation et ce, pour les raisons suivantes.

[16]      En premier lieu, le contexte factuel d’une affaire donnée joue un rôle déterminant lorsqu’il s’agit de définir la compétence de l’autorité chargée de rendre la décision. En second lieu, dans son analyse, l’arbitre de grief a tenu compte des faits, ce qui lui a permis de distinguer entre les faits de la présente espèce et ceux de l’affaire Maiangowi c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2008 CRTFP 6 (Maiangowi), étant donné que, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Maiangowi, l’arbitre de grief n’avait pas à se « déclarer inhabile pour entendre le grief parce qu[’il] “[…] n’en est tout simplement plus saisi […]” » (motifs de l’arbitre de grief, au paragraphe 53).

[17]      En troisième lieu, le fait que le grief n’a pas été retiré ne saurait être considéré comme un fait exceptionnel ou comme une rare omission qui ne se reproduira plus jamais. Devant l’arbitre de grief, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC) soutenait que la plupart des ententes de règlement auxquelles elle était partie prévoient que les griefs à l’égard desquels la Commission exerce sa compétence principale ne sont pas considérés comme ayant été retirés tant que l’entente de règlement n’a pas été entièrement mise à exécution (annexe des motifs de l’arbitre de grief, à la page 41, paragraphe 37).

[18]      L’AFPC soutenait aussi que la Commission confirmait elle-même cet usage par sa pratique, en ce sens que les griefs qui ont été réglés « demeurent actifs au sein des opérations du greffe de la Commission tant que la mise en application du règlement n’a pas été confirmée et que le grief n’a pas été retiré » [en italique dans l’original]. Ce n’est qu’alors que le dossier de la Commission est fermé (annexe des motifs de l’arbitre de grief, à la page 41, paragraphe 38).

[19]      Ces allégations s’accordent avec les faits de la présente affaire. L’arbitre de grief explique, aux paragraphes 7 et 8 de ses motifs, qu’après avoir appris, le 2 mai 2007, que les parties avaient conclu et signé un règlement complet, il avait « rappelé à l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé que, lorsqu’un règlement est conclu par voie de médiation, la pratique développée sous la nouvelle Loi veut que le fonctionnaire s’estimant lésé avise officiellement le greffe de la [Commission] qu’il a retiré son grief » (motifs de l’arbitre de grief, au paragraphe 7).

[20]      Quelques mois plus tard, le 6 septembre 2007, le greffe a demandé à l’appelant de faire le point sur l’affaire, étant donné qu’aucun retrait écrit du grief ne figurait au dossier de la Commission (motifs de l’arbitre de grief, au paragraphe 8).

[21]      On peut sans risque de se tromper en déduire que le greffe ne ferme pas automatiquement les dossiers de griefs lorsque les parties en arrivent à un règlement par suite d’une médiation. Il faut une démarche concrète de l’auteur du grief pour arriver à ce résultat.

[22]      Il pourrait à l’avenir se présenter des situations qui justifieraient une analyse différente. Pour le moment, je m’en tiens à la situation de l’appelant, qui n’a jamais retiré son grief. Ainsi, dès lors que les conclusions de l’arbitre de grief pourraient être interprétées comme faisant intervenir les deux scénarios possibles — à savoir 1) soit que le grief a été retiré, 2) soit qu’il n’a pas été retiré —, mon analyse de ses motifs et ma décision de confirmer en définitive sa décision ne vaut que pour l’appelant.

L’analyse

a)         La norme de contrôle

[23]      Lorsque notre Cour statue sur l’appel d’une décision rendue à la suite d’une demande de contrôle judiciaire, sa tâche consiste à déterminer si le juge qui était saisi de la demande de contrôle judiciaire a défini la bonne norme de contrôle et, en second lieu, s’il l’a appliquée correctement (Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56, [2011] 2 R.C.F. 221, au paragraphe 84).

[24]      Le juge de première instance a conclu que la question de la compétence de l’arbitre de grief pour examiner la question constituait une véritable question de compétence « qui requiert l’interprétation de dispositions précises de la LRTFP » (motifs du jugement, aux paragraphes 25 et 26). Il a par conséquent appliqué la décision correcte comme norme de contrôle de la décision de l’arbitre de grief. Je me dissocie de la façon dont le juge de première instance a qualifié la question pour les motifs exposés par notre Cour dans l’arrêt Alliance de la Fonction publique du Canada c. Assoc. des pilotes fédéraux du Canada, 2009 CAF 223, [2010] 3 R.C.F. 219 (Pilotes).

[25]      L’affaire Pilotes concernait le pouvoir que l’article 58 de la Loi confère à la Commission, et plus précisément son pouvoir d’inclure un employé dans une unité de négociation constituée d’un groupe professionnel dont il est expressément exclu (motifs du jugement, au paragraphe 30). S’exprimant au nom d’une formation unanime sur ce point précis (le juge Pelletier étant dissident quant à la suite à donner à la demande de contrôle judiciaire), le juge Evans écrit (au paragraphe 39) :

Je vois bien pourquoi il convient d’appliquer la norme de la décision correcte à l’interprétation de dispositions législatives qui distinguent les compétences respectives afférentes à différents régimes administratifs (Dunsmuir, au paragraphe 61), mais je ne puis trouver dans les approches contemporaines du droit administratif relatives au rôle des tribunaux spécialisés et des cours de justice généralistes un raisonnement justifiant de considérer comme une « question de compétence » à laquelle s’applique, conséquemment, la norme de la décision correcte, l’interprétation d’autres dispositions de lois habilitantes ne soulevant pas de « question de droit […] qui revêt “une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise” du décideur administratif » (Dunsmuir, au paragraphe 55).

[26]      L’affaire Pilotes a été rendu quelques mois avant l’audience présidée par le juge de première instance dans la présente affaire. Il semble toutefois qu’aucune des parties n’ait porté cette décision à l’attention du juge. Je suis convaincue que, si elles l’avaient fait, le juge en aurait tenu compte, et qu’il aurait particulièrement considéré les paragraphes 50, 51 et 52 :

En conclusion, pour établir que la Commission a outrepassé sa compétence en interprétant erronément une disposition de sa loi habilitante ne soulevant pas de question de droit d’une importance capitale pour le système juridique ou ne délimitant pas ses pouvoirs par rapport à ceux d’un autre tribunal, un demandeur doit démontrer que l’interprétation était déraisonnable.

La seule réserve que j’apporterais est que le tribunal administratif doit être légalement investi du pouvoir d’interpréter et appliquer la disposition contestée de sa loi habilitante. Toutefois, les tribunaux administratifs exerçant une fonction juridictionnelle, comme la Commission, jouissent habituellement du pouvoir explicite ou implicite de statuer sur toute question de droit qui doit être tranchée pour rendre décision dans l’affaire dont ils sont saisis, y compris sur l’interprétation de leur loi habilitante : Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504, aux paragraphes 40 et 41.

À ce stade de l’évolution du droit administratif canadien, il est trop tard, à mon avis, pour invoquer le fantôme des questions de compétences passées afin d’amener la Cour à appliquer la norme de la décision correcte à l’interprétation par un tribunal administratif d’une disposition de sa loi habilitante, sans procéder à une analyse de la norme applicable. L’application de cette norme serait illogique à mon sens lorsque le tribunal administratif dispose du pouvoir d’interpréter la disposition et de l’appliquer aux faits et que l’analyse relative à la norme de contrôle indique que le législateur voulait que le contrôle judiciaire d’une telle interprétation se fasse suivant la norme de la décision raisonnable.

[27]      Ceci étant dit, nul ne conteste que la loi accorde à l’arbitre de grief le pouvoir d’interpréter sa loi constitutive pour répondre aux questions en litige. Les réponses qu’il a données à ces questions ont amené les parties devant la Cour fédérale. Quelle est donc la norme de contrôle applicable à l’interprétation que l’arbitre de grief a donnée de l’article 209?

[28]      Comme les parties n’ont cité aucun précédent sur la question, il est nécessaire de procéder à une analyse de la norme de contrôle. Il s’agit d’une analyse contextuelle, dont l’issue dépend de l’application d’un certain nombre de facteurs, dont les suivants (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 64) :

(1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, (2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante, (3) la nature de la question en cause et (4) l’expertise du tribunal administratif. Dans bien des cas, il n’est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs, car certains d’entre eux peuvent, dans une affaire donnée, déterminer l’application de la norme de la décision raisonnable.

[29]      Premièrement, l’article 233 de la Loi prévoit une clause privative rigoureuse en ce qui concerne les décisions des arbitres de grief :

233. (1) La décision de l’arbitre de grief est définitive et ne peut être ni contestée ni révisée par voie judiciaire.

Caractère définitif des décisions

(2) Il n’est admis aucun recours ni aucune décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action de l’arbitre de grief exercée dans le cadre de la présente partie.

Interdiction de recours extraordinaires

[30]      Deuxièmement, la Loi a comme objectif plus général de prévoir un régime dans le cadre duquel des experts statuent sur les conflits de travail et de faciliter le règlement rapide de ces conflits, à peu de frais et avec moins de formalités (Dunsmuir, au paragraphe 68) :

La nature du régime est également compatible avec l’application de cette norme. La Cour a maintes fois reconnu l’expertise relative de l’arbitre dans l’interprétation d’une convention collective et préconisé le respect de sa décision à cet égard : SCFP, p. 235‑236; Canada Safeway Ltd. c. SDGMR, section locale 454, [1998] 1 R.C.S. 1079, par. 58; Voice Construction, par. 22. En l’espèce, l’arbitre a en fait interprété sa loi habilitante. Il a certes été nommé pour régler le différend, mais les parties l’ont choisi de concert. En outre, sur le plan institutionnel, on peut présumer que les arbitres nommés en vertu de la LRTSP possèdent une expertise relative dans l’interprétation de la loi dont ils tiennent leur mandat ainsi que des dispositions législatives connexes qu’ils sont souvent appelés à appliquer dans l’exercice de leurs fonctions. Voir l’arrêt Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College. Ce facteur milite aussi en faveur de la norme de la raisonnabilité.

[31]      Le préambule de la Loi confirme cette conception du régime. La Loi prévoit une méthode qui permet de gagner du temps et de limiter les coûts et de résoudre les conflits de travail de façon juste, crédible et efficace sans porter le débat devant les tribunaux.

[32]      Troisièmement, l’intimé ne disconvient pas que la question en litige ne revêt pas une importance capitale pour le système juridique et qu’elle n’est pas étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre de grief (Dunsmuir, au paragraphe 55). Quatrièmement, l’arbitre de grief est un décideur indépendant qui possède une compétence spécialisée en matière de relations de travail dans la fonction publique fédérale. Compte tenu des objectifs généraux de la Loi et du mandat spécifique que l’article 13 de la Loi confie à la Commission, en l’occurrence celui d’offrir aux parties des services de médiation « relatifs aux griefs » (voir l’alinéa 15c) de la Loi), les questions en litige relèvent de la compétence de l’arbitre de grief.

[33]      J’estime pour cette raison qu’il y a lieu de faire preuve de déférence envers la décision de l’arbitre de grief. C’est par conséquent la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’applique à la décision de l’arbitre.

[34]      Ayant tiré cette conclusion, je passe maintenant au nœud du litige, en l’occurrence le pouvoir de l’arbitre de grief de connaître de la demande formulée par l’appelant en vue de faire examiner par l’arbitre de grief sa plainte au sujet de la violation de contrat qu’il reproche à l’employeur et le pouvoir de l’arbitre d’ordonner la réparation qui convient. Mon analyse s’inspire donc en gros de la démarche suivie par l’arbitre de grief. J’examinerai maintenant la première question formulée par l’arbitre de grief et m’arrêterai ensuite aux caractéristiques de la nouvelle loi ainsi qu’aux deuxième et troisième questions (voir le paragraphe 4, précité).

b)         Première question : Ententes de règlement définitives et contraignantes

[35]      Lorsque les parties ont conclu une entente de règlement à l’égard d’un grief individuel renvoyé à l’arbitrage à l’encontre d’une mesure disciplinaire entraînant une suspension, la nouvelle loi donne-t-elle compétence à l’arbitre de grief pour décider si l’entente de règlement des parties est définitive et contraignante? L’arbitre de grief a répondu par l’affirmative à cette question et je suis du même avis (motifs de l’arbitre de grief, au paragraphe 88).

[36]      Il est acquis aux débats que, sous le régime de la nouvelle loi, les arbitres de grief conservent le pouvoir de déterminer s’il existe une entente de règlement définitive et contraignante entre les parties (Bedok) ou si cette entente devrait être annulée parce qu’elle est inique ou qu’elle a été signée sous la contrainte ou par suite d’un abus d’influence (Nash c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 98; Van de Mosselaer c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2006 CRTFP 59; MacDonald et le Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), [1985] R.T.F.P.C. no 266 (QL)). Comme les parties sont d’accord en l’espèce pour dire que leur protocole d’entente constitue une entente définitive et contraignante, l’arbitre de grief n’avait pas à statuer sur les qualités de leur entente de règlement. Dans ces conditions, il n’y a aucun doute que la réponse de l’arbitre de grief à la première question est raisonnable.

[37]      Toutefois, sous le régime de l’ancienne loi, il a également été jugé que le rôle des arbitres se limitait aux matières explicitement énumérées au paragraphe 92(1) de la Loi et que les arbitres n’avaient pas compétence au sujet de la mise à exécution des ententes de règlement (Bhatia; Le Conseil du Trésor et Déom, [1985] R.T.F.P.C. no 150 (QL)). La partie qui affirme que l’entente de règlement n’a pas été respectée ne pourrait donc obtenir réparation qu’en déposant un nouveau grief (en vertu de l’article 91 [de l’ancienne loi]) et en demandant ensuite le contrôle judiciaire de cette décision devant les tribunaux civils, comme le juge de première instance l’a proposé en l’espèce.

[38]      La question de savoir à qui la partie qui soutient que l’entente de règlement n’a pas été respectée peut s’adresser pour obtenir réparation sous le régime de la nouvelle loi est le nœud du litige qui oppose les parties et elle fait l’objet de la deuxième question.

c)         Deuxième question : Sanctions en cas de non-respect d’une entente de règlement

[39]      Pour répondre à la demande qui lui était faite de statuer sur le fond du grief de l’appelant, l’arbitre de grief devait décider si la nouvelle loi pouvait admettre une réponse différente en ce qui concerne le non-respect et, dans l’affirmative, s’il pouvait accorder une réparation. Avant d’examiner précisément ces questions, l’arbitre a tenté de comparer le cadre législatif de la nouvelle loi avec celui de l’ancienne loi, signalant que la nouvelle loi possédait notamment les trois caractéristiques distinctives suivantes : l’ajout d’un préambule, le pouvoir que l’article 226 confère à l’arbitre de grief d’aider les parties qui prennent part à la médiation et, enfin, l’inclusion du paragraphe 236(1).

[40]      L’analyse que l’arbitre a faite de ces éléments lui a permis de poser les assises générales sur lesquelles il devait faire reposer ses conclusions finales sur les deux dernières questions. Voici ce qu’il écrit au paragraphe 86 de ses motifs :

- Je dois faire en sorte que les dispositions de la nouvelle Loi « […] s’interprète[nt] de la manière la plus équitable et la plus large […] » qui soit conforme avec [les objets de la Loi] […] ».

- L’une des pierres d’assise de la nouvelle Loi est l’accent qu’elle met sur le règlement volontaire de différends par la médiation […]

- Compte tenu du paragraphe 236(1) de la nouvelle Loi […] la partie 2 de la nouvelle Loi doit être considérée comme un régime exclusif et complet de règlement des différends qui procède « […] par voie de grief […] ».

[41]      Ainsi que je l’explique plus loin, j’estime que ces affirmations préliminaires de l’arbitre de grief sont inattaquables.

[42]      La première affirmation évoque un principe d’interprétation bien établi (Elmer Driedger, The Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983), à la page 87, cité dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21) :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[43]      L’intimé affirme que, comme le libellé des dispositions relatives à l’arbitrage (paragraphe 92(1) de l’ancienne loi et paragraphe 209(1) de la nouvelle loi) n’a pas changé, il convient de donner le même sens à ces dispositions. Je ne souscris pas à cette démarche restrictive. Ainsi que le souligne Sullivan : [traduction] « avant de pouvoir se prononcer sur la clarté des mots à interpréter, les interprètes doivent tenir compte du contexte global dans le cadre duquel ces mots s’inscrivent » (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5éd. (Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008), à la page 16). Le juge Bastarache écrit par ailleurs ce qui suit dans l’arrêt ATCO Gas and Pipeline Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, au paragraphe 48 :

Notre Cour a affirmé maintes fois que le sens grammatical et ordinaire d’une disposition n’est pas déterminant et ne met pas fin à l’analyse. Il faut tenir compte du contexte global de la disposition, même si, à première vue, le sens de son libellé peut paraître évident […] [Non souligné dans l’original.]

[44]      Toute loi s’interprète de la façon la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet. Le préambule constitue l’exposé des « motifs » de la Loi (voir l’article 13 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21). Conscient de l’existence de ce préambule, l’arbitre de grief a estimé [au paragraphe 63] qu’il était de son devoir de faire en sorte que la nouvelle loi « “[…] s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large […]” qui soit conforme avec la promotion de “[…] la collaboration [entre les parties] […]” tout en contribuant “[…] à résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes […]” et en encourageant le “[…] respect mutuel et […] l’établissement de relations harmonieuses […]” ». Je suis d’accord pour dire que c’était précisément le rôle qui incombait à l’arbitre de grief.

[45]      Dans sa deuxième affirmation, l’arbitre de grief reconnaît l’accent que la nouvelle loi met sur le règlement volontaire de différends, notamment par la médiation. Je conviens avec lui qu’un des éléments essentiels du processus de médiation est la possibilité d’exécuter et de faire respecter l’entente de règlement (motifs de l’arbitre de grief, au paragraphe 67) :

Si une partie ne peut raisonnablement s’attendre à ce qu’une entente de règlement soit exécutoire, les divers mécanismes établis par la nouvelle Loi pour faciliter les règlements volontaires pourraient avoir peu de chances de contribuer à la réalisation des objets de la nouvelle Loi tels qu’ils sont établis par le législateur.

[46]      Par sa troisième affirmation, l’arbitre de grief a adopté le point de vue que l’article 236 — pour lequel il n’existait pas d’équivalent dans l’ancienne loi — confirme que la partie 2 de la Loi doit être considérée comme un régime exclusif et complet de règlement des différends. Les parties s’entendent pour dire que l’article 236 soustrait à la compétence des tribunaux les questions qui peuvent être examinées par voie de grief sous le régime de la partie 2 de la Loi (articles 206 à 238). Elles divergent toutefois d’opinion en ce qui concerne la question de savoir si le présent différend relatif à l’entente de règlement relevant de la partie 2 tombe sous le coup de l’article 208 ou de l’article 209 de la Loi.

[47]      L’arbitre de grief a expliqué que l’on pouvait envisager les deux scénarios suivants (motifs de l’arbitre de grief, au paragraphe 99) :

Option 1 : Le différend fait clairement l’objet d’un nouveau grief déposé en vertu de l’article 208 de la nouvelle Loi. Puisque l’objet d’un tel grief ne fait pas partie de la liste des sujets qui peuvent être renvoyés à l’arbitrage en vertu du paragraphe 209(1), la décision au dernier palier de la procédure applicable aux griefs est finale et exécutoire.

Option 2 : Le différend sur l’entente de règlement découle du grief initial. Un arbitre a compétence pour examiner le différend si le sujet du grief initial tombe dans le champ de compétence d’un arbitre de grief, tel que prévu par le paragraphe 209(1) de la nouvelle Loi.

[48]      L’arbitre de grief a opté pour le second scénario et a appliqué aux faits de l’affaire le critère de « l’essence du différend » élaboré par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929 (Weber).

[49]      La question à trancher dans l’affaire Weber était la suivante : dans quels cas les parties qui ont convenu de résoudre leurs différends par voie d’arbitrage sous le régime d’une convention collective peuvent-elles intenter une action en responsabilité délictuelle? La question était soulevée dans le contexte du paragraphe 45(1) de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario (dans sa rédaction alors en vigueur, L.R.O. 1990, ch. L.2 [abrogée par L.O. 1995, ch. 1, art. 1]), qui prévoyait que chaque convention collective devait contenir « une disposition sur le règlement, par voie de décision arbitrale définitive […] de tous les différends entre les parties que soulèvent l’interprétation, l’application, l’administration ou une prétendue inexécution de la convention collective ».

[50]      Il suffit, pour nos besoins, de rappeler que M. Weber, qui était un employé d’Hydro Ontario (Hydro), avait déposé des griefs contre son employeur. Alors que l’arbitrage était en cours, il avait également introduit devant le tribunal une action contre Hydro fondée sur la responsabilité délictuelle dans laquelle il affirmait que les droits que lui garantissaient les articles 7 et 8 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] avaient été violés. Hydro avait obtenu une ordonnance radiant l’action au motif notamment que le différend découlait de la convention collective, ce qui privait par conséquent la Cour de sa compétence.

[51]      Préoccupée par la ligne de démarcation à tracer entre la compétence des arbitres du travail et celle des tribunaux judiciaires, la juge McLachlin (maintenant juge en chef) a accepté que « les litiges qui résultent expressément ou implicitement de la convention collective échappent aux tribunaux » (Weber, au paragraphe 54, citant les jugements Elliott c. De Havilland Aircraft Co. of Canada Ltd. (1989), 32 O.A.C. 250 (C. div.), à la page 258 (le juge Osler); Butt v. United Steelworkers of America (1993), 106 Nfld. & P.E.I.R. 181 (T.‑N. 1re inst.); et Bourne v. Otis Elevator Co. (1984), 45 O.R. (2d) 321 (H.C.), à la page 326).

[52]      Au paragraphe 67, elle conclut : « les clauses d'arbitrage obligatoire comme le par. 45(1) de la Loi sur les relations de travail de l'Ontario confèrent en général une compétence exclusive aux tribunaux du travail pour entendre tous les litiges qui résultent de la convention collective. Dans chaque cas, il s'agit de déterminer si le litige, considéré dans son essence, résulte de la convention collective » (non souligné dans l’original).

[53]      Il a été jugé que le critère de l’essence du litige, qui a été appliqué dans l’arrêt Weber à la question du choix entre un tribunal et une instance décisionnelle créée par la loi, s’appliquait aussi au choix entre deux organismes créés par la loi (Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, 2000 CSC 14, [2000] 1 R.C.S. 360 (Regina)).

[54]      Dans l’arrêt Regina, le juge Bastarache explique (au paragraphe 39) :

La question clé dans chaque cas est de savoir si l’essence du litige, dans son contexte factuel, est expressément ou implicitement visée par un régime législatif. Pour statuer sur cette question, il convient de donner à la loi une interprétation libérale de façon à ce que l’attribution de compétence à une instance que n’avait pas envisagée le législateur ne porte pas atteinte au régime. [Non souligné dans l’original.]

[55]      Dans ses motifs, bien que dans un contexte différent, l’arbitre de grief s’est posé cette question clé et a conclu que le différend entre les parties, dans son essence, découlait de la mesure disciplinaire initiale. Voici ce qu’il écrit (motifs de l’arbitre de grief, au paragraphe 109) :

En fait, aucun nouveau différend indépendant n’a pris naissance — ou si l’on pouvait affirmer qu’il y avait un nouveau différend, celui-ci était lié si expressément ou implicitement à la mesure disciplinaire qu’il ne pourrait pas être séparé de ce contexte.

[56]      L’intimé affirme que l’arbitre de grief ne pouvait appliquer le critère de l’essence du différend pour élargir sa compétence de manière injustifiée. L’intimé lui reproche d’avoir [traduction] « tiré des inférences ou laissé entendre que ces questions relevaient de sa compétence en vertu de l’article 209 de la Loi » (mémoire des faits et du droit de l’intimé, au paragraphe 49). Si le législateur avait voulu élargir la compétence des arbitres de griefs de manière à les rendre compétents à l’égard de l’exécution des ententes de règlement définitifs et contraignants, il l’aurait dit explicitement.

[57]      Je ne suis pas d’accord avec l’intimé. Les arrêts Weber et Regina ont marqué un changement d’orientation en reconnaissant des pouvoirs plus étendus aux commissions de relations du travail et aux arbitres. L’intimé n’a invoqué aucune raison valable justifiant d’écarter le critère des « liens inextricables » énoncé dans les arrêts Weber et Regina parce qu’il sert en l’espèce à choisir entre deux processus prévus par la Loi au lieu de choisir entre une instance décisionnelle ou un organisme créé par la loi. Je me range plutôt à l’avis de l’arbitre de grief lorsqu’il affirme que « l’orientation de la Cour suprême du Canada dans les décisions rendues dans la foulée de Weber, qui favorise la compétence exclusive et complète en vertu de la loi sur les relations de travail (par opposition aux tribunaux judiciaires) de régler les différends en milieu de travail, s’applique à la partie 2 de la nouvelle Loi, compte tenu du libellé explicite du paragraphe 236(1) » (non souligné dans l’original) (décision de l’arbitre de grief, au paragraphe 78).

[58]      Par souci de commodité, je reproduis une fois de plus les dispositions pertinentes de l’article 236 de la Loi :

236. (1) Le droit de recours du fonctionnaire par voie de grief relativement à tout différend lié à ses conditions d’emploi remplace ses droits d’action en justice relativement aux faits — actions ou omissions — à l’origine du différend.

Différend lié à l’emploi

(2) Le paragraphe (1) s’applique que le fonctionnaire se prévale ou non de son droit de présenter un grief et qu’il soit possible ou non de soumettre le grief à l’arbitrage.

Application

[59]      Je conviens également avec l’arbitre que le paragraphe 236(1) ne constitue un énoncé ni moins substantiel ni moins fort de la primauté de l’arbitre de grief sur les plaintes qui sont instruites par voie de grief que le paragraphe 45(1) de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario qui était en jeu dans l’affaire Weber.

[60]      L’arbitre de grief a par ailleurs estimé que le poids du paragraphe 236(1) était renforcé par le paragraphe 236(2), qui prévoit que l’interdiction s’applique même si le fonctionnaire ne s’est pas prévalu de son droit de présenter un grief et qu’il soit possible ou non de soumettre le grief à l’arbitrage.

[61]      À l’instar de l’arbitre de grief, je suis d’avis que (décision de l’arbitre de grief, au paragraphe 70) :

[…] les paragraphes 236(1) et (2) de la nouvelle Loi constituent des indications prépondérantes de l’intention du législateur d’écarter, au moyen de la procédure de règlement des différends prévue par la partie 2 de la nouvelle Loi, la compétence des tribunaux judiciaires à l’égard des poursuites « […] par voie de grief […] ». Il m’est difficile de trouver dans ces dispositions des appuis à toute affirmation selon laquelle un différend sur l’exécution d’une entente de règlement peut ou devrait, en définitive, être tranché par les tribunaux judiciaires, autrement qu’en ce qui concerne les possibilités limitées de contrôle judiciaire.

[62]      Ce pouvoir n’est pas expressément prévu par la Loi elle-même, mais le sujet n’est pas clos pour autant. Ainsi que l’arbitre de grief l’a fait remarquer, d’autres régimes de relations du travail ont été interprétés comme autorisant implicitement les décideurs à faire respecter les ententes de règlement (motifs de l’arbitre de grief, au paragraphe 113).

[63]      Cette conclusion s’accorde avec l’arrêt Newfoundland Association of Public Employees c. Procureur général (Terre-Neuve), [1978] 1 R.C.S. 524, cité dans l’arrêt Heustis c. Commission d’énergie électrique du Nouveau- Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 768, dans lequel la Cour suprême a jugé qu’on devait donner aux conseils d’arbitrage la latitude nécessaire pour leur permettre d’exercer leurs pouvoirs « de façon à réaliser leurs objectifs » (à la page 530). Compte tenu de la portée et de l’objet de la nouvelle loi, je ne puis interpréter l’article 209 à la lumière des contraintes qui étaient antérieurement imposées par l’article 92 de la LRTFP.

[64]      Ainsi que les arrêts Weber et Regina nous l’enseignent, on ne peut discerner l’essence d’un différend qu’en examinant les faits de l’affaire. Logiquement, ces mêmes faits aideront aussi à déterminer la compétence de l’arbitre de grief.

[65]      En l’espèce, il est évident que le différend qui oppose les parties au sujet de leur entente de règlement est inextricablement lié à la mesure disciplinaire prise par l’employeur et au grief formulé par l’appelant à son sujet. Au cours de l’arbitrage, avec l’aide de l’arbitre de grief Butler, les parties ont accepté de recourir à la médiation pour résoudre leur désaccord. Les parties considéraient leur entente comme un règlement complet, définitif et contraignant de leur différend. Il est acquis aux débats que c’est dans le but d’apporter de la certitude dans les relations de travail que les ententes de règlement sont finales et exécutoires pour toutes les parties (Lindor c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada — Service correctionnel), 2003 CRTFP 10). J’ajouterais que, peu importe qu’elle soit tacite ou expresse, une entente définitive et contraignante implique que les parties s’obligent à lui donner effet en la mettant à exécution. Sans mise à exécution, il ne peut y avoir de « certitude dans les relations de travail », ce qui constitue le but précis des ententes de règlement définitives et contraignantes (idem, au paragraphe 16; voir les motifs de l’arbitre de grief, au paragraphe 50). Sans mise à exécution, comment la question en litige pourrait-elle être réglée alors que l’arbitre de grief est dépouillé de son pouvoir de poursuivre l’arbitrage en ce qui concerne les questions qui n’ont pas été résolues au sens du paragraphe 226(2)?

[66]      Il m’est impossible d’accepter l’argument de l’intimé suivant lequel le dépôt d’un nouveau grief en vertu de l’article 208 de la Loi constitue une réparation efficace pour l’appelant. La thèse de l’intimé est incompatible avec le choix qu’a fait le législateur en soulignant l’importance de la médiation comme moyen de résoudre les conflits de travail. Toute procédure qui favorise le règlement volontaire de différends, en particulier au moyen de la médiation, fait partie intégrante des moyens permettant d’atteindre les objectifs énoncés dans le préambule de la Loi en ce qui concerne les relations de travail et l’intérêt public. Il est essentiel que les ententes de règlement soient exécutoires si l’on veut respecter les objectifs de la Loi. À défaut de moyens clairs, efficaces et économiques de mettre en œuvre les ententes de règlement, la médiation risque de perdre son sens et de tomber en désuétude. L’intention du législateur doit être interprétée comme tenant compte du fait que les parties s’attendent légitimement à ce que l’entente de règlement soit exécutée ou du moins qu’elle soit exécutable dans un délai raisonnable.

[67]      Retenir la solution proposée par l’intimé retarderait de plusieurs années le règlement du grief de l’appelant, ce qui, je le répète, ne saurait aller dans le sens de l’intérêt supérieur des relations de travail dans le milieu de travail de l’appelant ou de tout autre plaignant. On se souviendra que M. Amos s’est vu infliger des mesures disciplinaires en mars 2005 et qu’il a renvoyé son grief à l’arbitrage en août 2005. Or, 21 mois plus tard, en mai 2007, les parties sont parvenues à une entente. En date de décembre 2007, le protocole d’entente n’avait pas encore été exécuté. Ces faits s’étendent déjà sur une période de presque trois ans. Si l’on devait opter pour la solution préconisée par l’intimé, l’appelant aurait à présenter un nouveau grief et, au besoin, aurait à adresser ses autres motifs de plainte à la Cour fédérale par le biais d’une demande de contrôle judiciaire avec les délais et les frais que cela comporte.

[68]      De plus, la solution de l’intimé imposerait à l’appelant la tâche difficile de corriger la présumée violation du protocole d’entente en déposant un nouveau grief pour traiter séparément de la question du non-respect, laquelle serait en fin de compte tranchée par la partie qui a effectivement manqué à ses obligations contractuelles, le tout alors que le grief (initial) ne serait pas encore tranché. Qui plus est, compte tenu du fait que l’allégation de non-respect de l’entente de règlement vise l’employeur, la procédure serait dictée par l’inconduite de ce dernier. Cette solution est manifestement injuste, d’autant plus qu’un des objectifs importants des lois relatives aux relations de travail est d’équilibrer les forces en présence dans le cas des employeurs et des employés. Les plaignants comme l’appelant ne seraient pas vraiment incités à régler leurs différends avant ou pendant l’arbitrage parce que, ce faisant, ils renonceraient à recourir à l’arbitrage indépendant d’un tiers en échange de ce qui pourrait devenir une promesse inexécutable, ou à tout le moins dépourvue d’effet sur le plan de l’efficacité ou sur le plan économique.

[69]      Certes, ce n’est pas ce que le législateur avait en tête lorsqu’il a légiféré pour s’assurer que les conflits de travail soient résolus « de façon juste, crédible et efficace ».

[70]      L’intimé est également préoccupé par le fait que, lorsqu’il s’est penché sur la question du non-respect de l’entente de règlement, l’arbitre de grief Butler n’avait peut-être pas compétence sur certaines des questions visées par l’entente de règlement. L’intimé fait valoir que, comme l’entente de règlement est susceptible de contenir des clauses qui concernent des questions qui ne sont pas arbitrables en vertu de l’article 209, l’arbitre de grief ne serait pas compétent pour tirer des conclusions au sujet de l’allégation de l’appelant. Cet argument n’est pas convaincant. L’intimé accepte que si l’allégation de l’appelant portait sur une entente de règlement truffée de problèmes d’ordre contractuel, comme la fraude, de fausses déclarations, la contrainte, une influence indue ou l’iniquité, l’arbitre de grief serait compétent pour déterminer si l’entente de règlement des parties est viciée. Dans de telles circonstances, l’intimé ne conteste pas la jurisprudence qui affirme que, pour ce faire, l’arbitre de grief peut analyser le texte de l’entente de règlement pour déterminer si son contenu reconnaît explicitement le caractère définitif et contraignant de l’entente intervenue entre les parties ou analyser d’autres éléments de preuve desquels l’intention des parties de rendre une telle entente définitive et exécutoire peut être raisonnablement tirée (motifs de l’arbitre de grief, au paragraphe 89; mémoire des faits et du droit de l’intimé, au paragraphe 29). Si l’essence du protocole d’entente, qu’elle se limite ou non à la question précise faisant l’objet de l’arbitrage, ne fait pas obstacle à la compétence de l’arbitre de grief en pareilles circonstances, je ne vois pas comment elle le ferait dans celles de la présente affaire.

[71]      En l’espèce, l’arbitre de grief a carrément rejeté la demande visant à faire rouvrir l’audience d’arbitrage de grief pour examiner au fond le grief initial. J’interprète sa décision comme une reconnaissance de la validité de l’entente de règlement signée par les parties. Il a exprimé sa volonté de limiter son intervention à l’allégation de non-respect, bien conscient du fait que le grief (initial) n’avait pas été retiré et que la question de son exécution n’était toujours pas résolue entre les parties. Il a estimé que « l’inobservation doit d’abord être prouvée par le fonctionnaire s’estimant lésé à moins que l’administrateur général reconnaisse explicitement ce fait. La preuve requise pour établir l’inobservation se limitera à cette question » (motifs de l’arbitre de grief, au paragraphe 95).

[72]      En bref, l’arbitre de grief a conclu qu’il avait compétence pour examiner une allégation selon laquelle une partie ne respecte pas un règlement définitif et contraignant si le différend sur l’entente de règlement est lié à un grief initial dont l’objet est visé par le paragraphe 209(1) de la nouvelle loi (motifs, au paragraphe 117). Compte tenu du fait que l’appelant n’avait pas retiré son grief, je suis d’accord avec l’arbitre de grief.

[73]      Vu sa conclusion sur la deuxième question, l’arbitre de grief s’est finalement penché sur la dernière question portant sur sa compétence pour accorder une réparation en tenant pour acquis que l’appelant s’était acquitté de son fardeau de preuve.

d)         Troisième question: la réparation

[74]      Là encore, l’arbitre de grief a répondu par l’affirmative à la question en s’appuyant sur le paragraphe 228(2) de la Loi :

228. […]

(2) Après étude du grief, il tranche celui-ci par l’ordonnance qu’il juge indiquée. Il transmet copie de l’ordonnance et, le cas échéant, des motifs de sa décision :

a) à chaque partie et à son représentant ainsi que, s’il y a lieu, à l’agent négociateur de l’unité de négociation à laquelle appartient le fonctionnaire qui a présenté le grief;

b) au directeur général de la Commission.

Décision au sujet du grief

[75]      Il a conclu que ses pouvoirs d’accorder une réparation étaient étendus et qu’ils ne se limitaient pas à une liste précise de réparations. Cette affirmation est exacte.

[76]      L’arbitre de grief Butler a en fin de compte ordonné la reprise de l’audience d’arbitrage de grief aux fins de déterminer si l’administrateur général avait manqué aux modalités de l’entente de règlement et, le cas échéant, pour déterminer la réparation indiquée.

Dispositif

[77]      À mon avis, l’intimé n’a pas réussi à démontrer que les motifs et la décision de l’arbitre de grief étaient déraisonnables. Vu le contexte particulier du présent dossier, la démarche suivie par l’arbitre de grief respecte raisonnablement l’intention du législateur tout en prenant acte des principes d’interprétation des lois applicables. J’accepte l’argument de l’appelant suivant lequel le jugement de première instance ne tient pas compte des motifs stratégiques pratiques invoqués par l’arbitre de grief à l’appui de sa décision. Les considérations évoquées par l’arbitre de grief vont dans le sens de l’atteinte des objectifs fondamentaux de la Loi. Le différend soulevé par l’appelant au sujet de l’entente de règlement est intrinsèquement lié à son grief principal, qui n’est toujours pas réglé et qui a été d’abord renvoyé à l’arbitrage, et il relève à bon droit de la compétence de l’arbitre de grief.

[78]      Je n’oublie pas que, pour déterminer si une décision satisfait à la norme de la décision raisonnable, je dois non seulement me concentrer sur les motifs de l’auteur de la décision mais aussi sur l’issue. Ainsi que la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47 :

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

Comme j’estime que la décision de l’arbitre de grief satisfait à toutes les normes en question, je conclus qu’elle était raisonnable.

[79]      Pour ces motifs, je propose que l’appel soit accueilli. En conséquence, le jugement rendu le 20 novembre 2009 par la Cour fédérale serait annulé, et rendant le jugement qui aurait dû être rendu, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire, le tout avec dépens devant toutes les juridictions.

Le juge en chef Blais : Je suis d’accord.

La juge Dawson, J.C.A. : Je suis d’accord.

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