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[2012] 2 R.C.F. 243

A-431-10

2011 CAF 223

Chanthirakumar Sellathurai (appelant)

c.

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (intimé)

Répertorié : Sellathurai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)

Cour d’appel fédérale, juges Létourneau, Dawson et Stratas, J.C.A.Toronto, 9 juin; Ottawa, 11 juillet 2011.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Appel à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale enjoignant le retour de documents transmis par inadvertance à l’avocate de l’appelant — Le dossier s’inscrit dans le cadre d’une enquête visant à déterminer si l’appelant devrait être interdit de territoire en vertu de  l’art. 19(1)(f)(iii)(B) de l’ancienne Loi sur l’immigration — Les documents transmis par inadvertance l’ont été au cours de l’examen d’une demande de dispense ministérielle présentée en vertu de l’art. 34(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) — Après avoir demandé le retour de documents divulgués par inadvertance, l’intimé a sollicité et obtenu une ordonnance de la Cour fédérale enjoignant à l’avocate de l’appelant de lui remettre les documents Les principales questions en litige étaient de savoir si la Cour fédérale avait compétence pour rendre une telle ordonnance et si elle avait commis une erreur en ne désignant pas un amicus curiae ou en omettant de considérer si les principes de l’équité procédurale exigeaient qu’une réparation soit accordée à l’appelant La Cour fédérale a décidé avec raison que l’art. 38 de la Loi sur la preuve au Canada ne s’appliquait pas et qu’elle avait compétence Toutefois, la source de cette compétence n’était pas l’art. 87 de la Loi, mais plutôt l’art. 44 de la Loi sur les Cours fédérales et la compétence plénière qu’exerce la Cour fédérale en matière de divulgation dans les affaires d’immigration — En ce qui concerne les principales questions d’équité procédurale, la Cour fédérale a commis une erreur en ne tenant pas compte des circonstances particulières de l’affaire lorsqu’elle s’est prononcée sur la demande de nomination d’un amicus curiae par l’appelant et en omettant d’examiner dans quelle mesure l’appelant pouvait utiliser les renseignements qui lui avaient été divulgués Appel accueilli en partie.

Compétence de la Cour fédérale — L’intimé a transmis par inadvertance des documents à l’avocate de l’appelant dans le cadre d’ une demande de dispense ministérielle présentée par l’appelant en vertu de l’art. 34(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) — À la demande de l’intimé, la Cour fédérale a enjoint à l’avocate de l’appelant de lui remettre les documents Question de savoir si la Cour fédérale avait compétence pour rendre une telle ordonnance — La Cour fédérale a décidé avec raison que l’art. 38 de la Loi sur la preuve au Canada ne s’appliquait pas et qu’elle avait compétence Toutefois, la source de cette compétence n’était pas l’art. 87 de la Loi, mais plutôt l’art. 44 de la Loi sur les Cours fédérales et la compétence plénière qu’exerce la Cour fédérale en matière de divulgation dans les affaires d’immigration.

Preuve —  L’intimé a transmis par inadvertance des documents à l’avocate de l’appelant dans le cadre d’une demande de dispense ministérielle présentée par l’appelant en vertu de l’art. 34(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — La Cour fédérale a enjoint à l’avocate de l’appelant de lui remettre les documents La Cour fédérale a décidé avec raison que l’art. 38 de la Loi sur la preuve au Canada ne s’appliquait pas et qu’elle avait compétence pour rendre une telle ordonnance — L’art. 38 ne peut s’appliquer comme mécanisme permettant de récupérer des renseignements déjà divulgués —  Rien dans le libellé de l’art. 38 ne parle de son application après la divulgation des renseignements.

Il s'agissait d'un appel à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale enjoignant le retour de documents transmis par inadvertance à l’avocate de l’appelant. Le dossier s’inscrit dans le cadre d’une enquête de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SI) visant à déterminer si l’appelant devrait être interdit de territoire en vertu de la division 19(1)(f)(iii)(B) de l’ancienne Loi sur l’immigration. Les documents en question transmis par inadvertance l’ont été au cours de l’examen d’une demande de dispense ministérielle présentée par l’appelant en vertu du paragraphe 34(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi). Après avoir demandé le retour des documents divulgués par inadvertance, au motif qu’ils faisaient l’objet d’un privilège fondé sur la sécurité, l’intimé a sollicité et obtenu une ordonnance de la Cour fédérale enjoignant à l’avocate de l’appelant de lui remettre les documents. 

Les principales questions en litige étaient de savoir si la Cour fédérale avait compétence pour rendre une telle ordonnance et si elle avait commis une erreur en ne désignant pas un amicus curiae ou en omettant de considérer si les principes de l’équité procédurale exigeaient qu’une réparation soit accordée à l’appelant.

Arrêt : l’appel doit être accueilli en partie.

La Cour fédérale a décidé avec raison que l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada ne s’appliquait pas et qu’elle avait compétence. Toutefois, la source de cette compétence n’était pas l’article 87 de la Loi, mais plutôt l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales et la compétence plénière qu’exerce la Cour fédérale en matière de divulgation dans les affaires d’immigration. Les dispositions limitatives des alinéas 72(2)e) et 74d) de la Loi ne s’appliquaient donc pas, et une question certifiée n’était pas nécessaire pour que le présent appel soit correctement introduit.

L’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada prévoit un mécanisme pour la protection des renseignements lorsque, dans le cadre d’une instance, ils doivent être produits et que la personne devant les produire croit qu’ils sont sensibles ou potentiellement préjudiciables. Une fois avisé de la façon appropriée, le procureur général du Canada peut demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance au sujet de la divulgation des renseignements faisant l'objet d'un avis donné au titre de l'un des paragraphes 38.01(1) à (4). Tout comme l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada ne peut s’appliquer après la divulgation de renseignements sensibles, l’article 38 ne peut s’appliquer comme mécanisme permettant de récupérer des renseignements déjà divulgués. Rien dans le libellé de l’article 38 ne parle de son application après la divulgation des renseignements; il en limite plutôt la portée à la divulgation future de renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables.

Selon le sens ordinaire du texte, l’article 87 de la Loi s’applique uniquement dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire lorsque le ministre peut demander l’autorisation de ne pas divulguer des renseignements qui devraient autrement être produits. Selon son sens courant, cet article a pour objet d’empêcher la divulgation de ces renseignements. Il ne vise pas à créer un mécanisme permettant la récupération des renseignements divulgués. 

Concernant la possibilité d’appliquer l’article 87 de la Loi, en l’espèce, aucune demande de contrôle judiciaire n’avait été déposée au sujet de la demande de dispense ministérielle pendante. Or, le libellé de la version française de l’article 87 prévoit expressément que la demande de non-divulgation des renseignements ou d’autres preuves peut être faite « dans le cadre d’un contrôle judiciaire ». Le lien entre l’article 87 et un contrôle judiciaire futur, et peut-être connexe, n’était pas suffisant pour rendre cet article applicable aux documents ou aux renseignements qui ne pourraient être autrement produits dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire pendante en l’espèce. 

Outre les articles 3, 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, le paragraphe 72(1) de la Loi confère un large pouvoir de surveillance à la Cour fédérale au sujet des questions découlant de cette loi. La divulgation de renseignements à l’auteur d’une demande de dispense qu’exige l’équité procédurale, et le contrôle de cette divulgation, sont manifestement reliés à la compétence de la Cour fédérale de surveiller l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’accorder ou de refuser une dispense au titre du paragraphe 34(2) de la Loi. Il s’ensuit que la Cour fédérale a plénitude de compétence sur le processus de divulgation. 

Les trois principales questions d’équité procédurale que soulevaient les faits de l’appel étaient : 1) la façon dont la Cour fédérale a analysé la question de la nomination d’un avocat spécial ou d’un amicus curiae; 2) l’emploi, le cas échéant, que l’appelant ou son avocate aurait pu faire des renseignements contestés; 3) l’ampleur des expurgations dont ont fait l’objet les trois documents pertinents.

S’agissant de la première question, étant donné que l’article 87 de la Loi ne s’appliquait pas, la nomination d’un avocat spécial n’était fondée sur aucune règle de droit. Il était toutefois loisible à la Cour fédérale de nommer un amicus curiae si elle était persuadée qu’une telle nomination était nécessaire pour aider la Cour à effectuer une analyse complète et équitable des questions liées à l’équité procédurale. La Cour fédérale a rejeté la demande de nomination d’un amicus curiae en appliquant les facteurs relatifs à la nomination d’un avocat spécial. Compte tenu des circonstances uniques de l’affaire, lorsque la Cour fédérale a rejeté la demande de nomination d’un amicus pour ce motif, elle a commis une erreur de droit. La Cour fédérale a ainsi omis de prendre en compte le fait que les renseignements visés par le privilège fondé sur la sécurité nationale avaient déjà été divulgués à l’appelant. Ce fait permettait de distinguer la présente affaire de la jurisprudence invoquée par la Cour fédérale. L’ordonnance de remise des documents fournis initialement par l’intimé et leur remplacement par des documents expurgés ont empêché l’avocate de l’appelant de présenter des observations à la Cour et à l’intimé fondées sur les renseignements non expurgés. Dans les circonstances, la nomination d’un amicus aurait permis à celui-ci de se fonder sur le dossier confidentiel pour présenter des observations relatives aux préoccupations de l’appelant. C’était là un facteur pertinent dont la Cour fédérale aurait dû tenir compte et que n’abordait pas la jurisprudence sur laquelle elle s’est appuyée pour refuser la nomination d’un amicus.

 S’agissant des autres questions touchant l’équité, les préoccupations soulevées par l’appelant semblaient justifiées. La Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas examiné son argument selon lequel, vu les circonstances, l’équité exigeait que son avocate puisse faire un usage ne serait-ce que limité des renseignements divulgués par inadvertance par l’intimé. Le fait de demander à l’avocate de présenter des observations uniquement fondées sur le dossier expurgé a eu pour effet de restreindre la capacité de celle-ci de soutenir que les expurgations proposées par l’intimé étaient trop larges et qu’une partie des renseignements expurgés avaient déjà été divulgués dans le cadre d’autres instances. Également, le fait de limiter l’avocate aux renseignements expurgés a encore restreint la capacité de l’appelant de présenter subséquemment d’autres observations à l’intimé sur le fondement de l’ensemble du dossier. Dans ces circonstances, la Cour fédérale était tenue d’examiner les observations de l’appelant selon lesquelles son avocate devait être autorisée à utiliser de quelque façon les renseignements confidentiels. Il était prématuré que la Cour fédérale ordonne le retour des documents avant d’avoir pris ces observations en compte. Pour ces motifs, l’affaire a été renvoyée à la Cour fédérale, aux fins d’examiner s`il y avait lieu de nommer un amicus curiae et de préciser, le cas échéant, la réparation qu’exigeait l’application de l’équité procédurale en raison de la divulgation accidentelle à l’appelant des documents contestés.

 LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7.

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 38 « instance » (édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43), « juge » (édicté, idem, art. 43, 141), « participant » (édicté, idem, art. 43), « poursuivant » (édicté, idem), « renseignements potentiellement préjudiciables » (édicté, idem), « renseignements sensibles » (édicté, idem), 38.01 (édicté, idem), 38.02 (édicté, idem, art. 43, 141), 38.03 (édicté, idem, art. 43), 38.031 (édicté, idem, art. 43, 141), 38.04 (édicté, idem), 38.05 (édicté, idem, art. 43), 38.06 à 38.13 (édictés, idem), 38.131 (édicté, idem; 2004, ch. 12, art. 19(A)), 38.14 à 38.16 (édictés par L.C. 2001, ch. 41, art. 43), 39 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 5(F)).

Loi sur la protection de l’information, L.R.C. (1985), ch. O-5.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 3 (mod., idem, s. 16), 4 (mod., idem), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27), 44 (mod., idem, art. 41).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)f)(iii)(B) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), 27 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4; L.C. 1992, ch. 47, art. 78; ch. 49, art. 16; 1995, ch. 15, art. 5).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 34(2), 72(1),(2)e), 74d), 87 (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4), 87.1 (édicté, idem).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 4, 56, 369.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626.

décisions examinées :

Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1310, [2007] 4 R.C.F. 300; Khadr c. Canada (Procureur général), 2008 CF 549.  

décisions citées :

Kanyamibwa c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 66, [2011] 1 R.C.F. 423; Horne c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CAF 337; Subhaschandran c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 27, [2005] 3 R.C.F. 255; Narvey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 7421 (C.A.F.); Apotex Inc. c. Canada (Gouverneur en Conseil), 2007 CAF 374; Babcock c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 57, [2002] 3 R.C.S 3; Khadr c. Canada (Procureur général), 2008 CF 46, [2008] 3 R.C.F. 306.

APPEL à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2010 CF 1082, [2012] 2 R.C.F. 218) enjoignant le retour de documents transmis par inadvertance à l’avocate de l’appelant. Appel accueilli en partie.

ONT COMPARU

Barbara L. Jackman pour le demandeur.

Jamie R. D. Todd et Ada Mok pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Jackman & Associates, Toronto, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

  Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        La juge Dawson, J.C.A. : Au cours de l’examen d’une demande de dispense ministérielle présentée par M. Sellathurai au titre du paragraphe 34(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) a divulgué par inadvertance à l’avocate de M. Sellathurai des documents que le ministre estimait visés par un privilège fondé sur la sécurité nationale. Après avoir demandé que ces documents lui soient retournés, le ministre a sollicité et obtenu une ordonnance de la Cour fédérale enjoignant à l’avocate de M. Sellathurai de lui remettre les documents. La question centrale dans le présent appel est de savoir si la Cour fédérale avait compétence pour rendre une telle ordonnance. Le présent appel soulève d’autres questions qui doivent être tranchées, notamment celles de savoir si en l’absence d'une question certifiée, notre Cour a compétence pour statuer sur l’appel et si la Cour fédérale a commis une erreur en ne désignant pas un amicus curiae ou en omettant de considérer si les principes de l’équité procédurale exigeaient qu’une réparation soit accordée à M. Sellathurai. On trouvera une liste complète des questions en litige à trancher au paragraphe 13 ci-dessous.

Contexte factuel

[2]        Pour bien comprendre les questions soumises à la Cour, il faut connaître les faits complexes à l’origine de l’ordonnance frappée d’appel. Les faits peuvent se résumer comme suit :

1. En 1997, dans un rapport préparé au titre de l’article 27 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4; L.C. 1992, ch. 47, art. 78; ch. 49, art. 16; 1995, ch. 15, art. 5] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (ancienne Loi), il était allégué que M. Sellathurai appartenait à l’une des catégories non admissibles décrites à la division 19(1)f)(iii)(B) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11] de l’ancienne Loi. Plus précisément, le rapport alléguait que M. Sellathurai était une personne dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle appartient ou appartenait à une organisation dont il existe des motifs de croire qu’elle se livre ou se livrait à des actes de terrorisme. L’organisation mentionnée dans le rapport était les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET).

2. Par la suite, M. Sellathurai a été convoqué à une enquête devant la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Section de l’immigration). L’enquête a commencé le 19 mars 1999.

3. L’enquête tenue par la Section de l’immigration sur l’interdiction de territoire alléguée de M. Sellathurai a été scindée en deux parties. La première partie de l’enquête a été achevée le 26 septembre 2001. À l’époque, un commissaire de la Section de l’immigration a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Sellathurai était membre des TLET. La question de savoir si les TLET étaient un organisme terroriste a été renvoyée à la deuxième étape de l’enquête.

4. Le 20 août 2002, M. Sellathurai a présenté une demande au titre du paragraphe 34(2) de la Loi pour obtenir une dispense des conséquences de la conclusion selon laquelle il était interdit de territoire pour raison de sécurité parce qu’il était membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre, s’est livrée ou se livrera au terrorisme. Le paragraphe 34(2) de la Loi prévoit, entre autres choses, que l’appartenance à une organisation terroriste n’emporte pas interdiction de territoire lorsque la personne concernée convainc le ministre que sa présence au Canada ne sera nullement préjudiciable à l’intérêt national.

5. Par suite de la demande de M. Sellathurai présentée au titre du paragraphe 34(2) de la Loi, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a préparé un mémoire à l’intention du ministre. Le mémoire recommandait que la demande présentée par M. Sellathurai en vue d’obtenir une dispense ministérielle soit refusée. En février 2006, on a remis à M. Sellathurai une copie du mémoire pour lui donner la possibilité d’y répondre. Par la suite, M. Sellathurai a été invité à présenter d’autres observations en 2007 et en 2008.

6. Avant les événements se rapportant au présent appel, aucune décision n’avait été prise au sujet de la demande de dispense ministérielle présentée par M. Sellathurai.

7. Après que le commissaire de la Section de l’immigration eut décidé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Sellathurai était membre des TLET, la Section de l’immigration devait poursuivre l’enquête. Cependant, entre le 26 septembre 2001 et le 21 octobre 2008, l’enquête a été ajournée de façon à permettre au ministre de se prononcer au sujet de la demande de dispense ministérielle.

8. Le 29 décembre 2008, la Section de l’immigration a refusé une nouvelle demande d’ajournement présentée par M. Sellathurai.

9. M. Sellathurai a alors déposé devant la Cour fédérale, dans le dossier IMM‑152‑09, une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du refus de la Section de l’immigration d’accorder un autre ajournement. Il demandait également qu’il soit sursis à l’enquête. La Cour fédérale a accordé le sursis. Par la suite, la Cour fédérale a accordé l’autorisation demandée et l’audition de la demande de contrôle judiciaire a été fixée au 23 février 2010.

10. Le 26 février 2010, le juge Hughes de la Cour fédérale a ordonné que la demande de contrôle judiciaire soit ajournée sine die. Les avocats devaient tenir la Cour au courant de l’état de la demande de dispense ministérielle.

11. Le 12 août 2010, l’avocate de M. Sellathurai a présenté le rapport suivant à la Cour :

[traduction] Objet :    Sellathurai c. MCI, no de dossier : IMM‑152-09

Comme vos dossiers vous l’indiquent, je suis la procureure du demandeur. La présente demande de contrôle judiciaire est à l’heure actuelle en suspens pendant que les parties essaient de résoudre ces questions. M. Todd, l’avocat du ministre, informe régulièrement le juge Hughes de l’état du dossier.

J’ai décidé d’informer cette fois-ci moi-même la Cour de cet état. M. Sellathurai a reçu une nouvelle série de documents de l’ASFC et il lui a été demandé d’y répondre d’ici le 15 août 2010. J’ai demandé la prolongation de ce délai jusqu’à la fin du mois d’août parce que j’ai dû m’absenter pendant quelque temps et m’occuper d’autres affaires. Il ne m’aurait pas été possible de respecter ce délai. La prolongation a été accordée et nous pensions que le dossier serait soumis au ministre pour qu’il prenne une décision à ce sujet peu après le dépôt des observations.

Une nouvelle question vient d’être soulevée. L’ASFC a demandé que la série de documents qui m’a été divulguée à moi et à M. Sellathurai lui soit remise parce qu’elle contenait apparemment des documents classifiés qui avaient été divulgués par inadvertance. L’ASFC a avisé M. Sellathurai qu’il avait un mois à partir de la réception des documents expurgés pour y répondre de sorte qu’il devrait transmettre sa réponse à une date postérieure à la fin du mois d’août.

Nous sommes en train de donner suite à la demande de l’ASFC, parce qu’il ne semble pas que des documents classifiés aient été divulgués.

Le dossier progresse de sorte que je propose que moi ou M. Todd fassions rapport à la Cour d’ici la fin du mois de septembre soit pour l’informer du fait que la question est maintenant résolue ou tout au moins pour aviser la Cour de l’état du dossier.

Je vous demande de nous faire savoir si cette suggestion fait problème.

Je vous remercie de votre attention. [Non souligné dans l’original.]

12. Le 16 août 2010, l’ASFC a écrit à l’avocate de M. Sellathurai pour l’informer de ce qui suit :

[traduction] Nous répondons à votre lettre du 12 août 2010. Il ressort de l’examen de votre dossier qu’il contient trois documents faisant état de renseignements qui n’auraient pas dû être divulgués :

1-   Lettre du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) datée du 26 janvier 1995. Ce document comprend six pages, il porte l’en‑tête du SCRS, et est marqué « Secret ». Il constitue l’annexe 9 de la liasse.

2-   Lettre du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) datée du 9 novembre 1995. Ce document comprend cinq pages, il porte l’en‑tête du SCRS, et est marqué « Secret ». Il figure à l’annexe 18 de la liasse.

3-   Lettre du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) datée du 10 décembre 2007. Ce document a deux pages, est marqué « Secret » et est signé par un employé du SCRS. Il figure à l’annexe 18 de la liasse.

Nous vous demandons de bien vouloir sceller et renvoyer les documents décrits ci-dessus, ainsi que les copies que vous avez pu en faire, le plus tôt possible. Nous estimons que ces documents sont visés par un privilège fondé sur la sécurité nationale et doivent être protégés.

Nous vous remercions de votre collaboration dans ce dossier. [Non souligné dans l’original.]

13. Le 19 août 2010, l’avocate de M. Sellathurai a répondu :

[traduction] Merci pour votre lettre du 16 août 2010. J’ai retiré les rapports mentionnés dans votre lettre et je les ai scellés. J’en possède l’unique copie parce que nous n’avons pas fait de copie ni n’avons remis à quiconque ces documents. J’aimerais que vous nous envoyiez la version expurgée que vous avez l’intention d’invoquer publiquement pour que nous puissions savoir si cette affaire peut être réglée à l’amiable ou s’il serait préférable d’en saisir le tribunal. Nous ne pouvons continuer à préparer les observations de M. Sellathurai tant que cet aspect n’est pas réglé parce que nous craignons ne pas pouvoir aborder avec lui les questions pertinentes découlant des rapports mentionnés ci-dessus. Je ne sais pas si certaines parties de ces rapports doivent être scellées, ni comment nous allons réagir au fait que lui et d’autres personnes ont déjà une certaine connaissance des questions soulevées dans ces documents parce que la préparation de nos observations était déjà bien engagée. Veuillez prendre note que je serai absente la semaine prochaine. Merci. Veuillez nous tenir au courant. [Non souligné dans l’original.]

14. Le 2 septembre 2010, le juge Hughes a émis la directive suivante :

[traduction]

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.       [L’avocate de M. Sellathurai] placera les documents en question dans une enveloppe scellée et la déposera en mentionnant clairement le numéro de dossier et l’intitulé de la cause, avec une mention indiquant que l’enveloppe ne pourra être ouverte qu’aux termes d’une autre ordonnance ou directive de la Cour. Cela devra être fait au plus tard le 8 septembre 2010;

2.      Le ministère de la Justice fournira, au plus tard le 8 septembre 2010, à [l’avocate de M. Sellathurai] et déposera au tribunal des copies des documents en question expurgés de façon à supprimer ou cacher les passages litigieux;

3.       Le 8 septembre 2010 ou vers cette date, le ministère de la Justice déposera une requête qui sera entendue à une date fixée par le Bureau du juge en chef et confiée à un juge désigné, si cela est nécessaire, pour obtenir de plus amples précisions sur la façon de traiter les documents en question.

15. Les trois documents remis à l’avocate de M. Sellathurai ont été déposés à la Cour et des versions expurgées de ces documents ont été transmises à l’avocate de M. Sellathurai. Le ministre a déposé un avis de requête dans le dossier IMM‑152‑09. La requête a été présentée par écrit en vertu de la règle 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)], et était étayée par deux affidavits déposés au greffe et signifiés à l’avocate de M. Sellathurai ainsi que par un affidavit confidentiel déposé auprès de la Cour sur une base ex parte et qui était décrit comme « justifiant la revendication d’un privilège fondé sur la sécurité nationale ». La mesure sollicitée dans l’avis de requête était la suivante :

[traduction] LA PRÉSENTE REQUÊTE VISE À OBTENIR une injonction dans le contexte de la divulgation par inadvertance de documents dont il est allégué qu’ils bénéficient d’un privilège fondé sur la sécurité nationale. Le défendeur demande à la Cour son aide pour résoudre une question touchant la divulgation par inadvertance par un tribunal fédéral (le ministre défendeur) de certains documents qui bénéficient, d’après le défendeur, d’un privilège fondé sur la sécurité nationale.

Le défendeur demande qu’un juge désigné de la Cour confirme la directive de monsieur le juge Hughes selon laquelle les documents en question doivent être scellés et déposés à la Cour par [l’avocate de M. Sellathurai] avant le 8 septembre 2010 après avoir examiné les versions expurgées et non expurgées des documents. Le défendeur sollicite une ordonnance confirmant la revendication d’un privilège fondé sur la sécurité nationale.

Le défendeur sollicite une ordonnance, si cela est nécessaire ou exigé, enjoignant au demandeur de sceller et remettre au défendeur les autres copies papier des documents visés par le privilège fondé sur la sécurité nationale et de détruire toute copie électronique des documents qui pourrait se trouver sous le contrôle et en la possession du demandeur et [de son avocate]. Le défendeur sollicite également une ordonnance enjoignant au demandeur et [à son avocate] de détruire toutes les notes concernant les documents visés par le privilège fondé sur la sécurité nationale pour faire en sorte qu’aucune autre violation de ce privilège ne soit commise.

Le défendeur sollicite les autres mesures que la Cour estime appropriées. [Non souligné dans l’original.]

16. La requête du ministre a été présentée initialement par écrit selon la règle 369, une audience a été tenue le 20 octobre 2010. Le 3 novembre 2010, un juge de la Cour fédérale (juge) a rendu une ordonnance et des motifs à l’appui de l’ordonnance. Les motifs sont reproduits sous la référence 2010 CF 1082, [2012] 2 R.C.F. 218. L’ordonnance prévoyait ce qui suit :

LA COUR :

1. CONFIRME l’ordonnance rendue par le juge Hughes le 2 septembre 2010;

2. CONFIRME le privilège fondé sur la sécurité nationale revendiqué par le ministre sur certains passages des documents contestés;

3. ORDONNE, dans la mesure où les mesures suivantes n’ont pas encore été prises :

• au demandeur de sceller et de retourner au ministre, par l’intermédiaire de son avocate, toute copie papier des documents contestés non expurgés;

• au demandeur de détruire toute copie électronique des documents contestés non expurgés se trouvant sous le contrôle ou en la possession du demandeur ou de son avocate;

• au demandeur et à son avocate de détruire les notes qui se trouvent en leur possession ou sous leur contrôle et qui se rapportent aux passages expurgés des documents contestés.

4. ORDONNE que les documents contestés non expurgés qui se trouvent présentement dans une enveloppe scellée déposée à la Cour et qui ont été versés au dossier de la Cour soient retournés par le greffe à l’avocat du ministre;

5. DÉCLARE qu’aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

M. Sellathurai interjette maintenant appel de cette ordonnance.

La décision de la Cour fédérale

[3]        La juge a formulé comme suit les questions qui lui ont été soumises :

1. La Cour fédérale a-t-elle compétence pour examiner la présente requête et accorder la mesure sollicitée par le ministre au titre de l’article 87 [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] de la Loi?

2. La requête présentée par le ministre en vue d’obtenir la restitution des documents contestés devrait-elle être accueillie?

a) Les documents en question font-ils l’objet d’un privilège fondé sur la sécurité nationale?

b) Le ministre a-t-il renoncé au privilège fondé sur la sécurité nationale en ce qui concerne les documents contestés?

c) Le privilège fondé sur la sécurité nationale constitue-t-il une exception au « principe de la publicité des débats judiciaires »?

3. La Cour devrait-elle désigner, au titre de l’article 87.1 [édicté, idem] de la Loi, un avocat spécial chargé de défendre les intérêts du demandeur?

[4]        Après avoir examiné les faits pertinents, la juge a analysé la première question : la Cour fédérale a-t-elle compétence pour juger la présente requête présentée au titre de l’article 87 de la Loi? À son avis, aucune partie n’a contesté la compétence de la Cour fédérale à l’égard de la requête, de sorte que la véritable question en litige est celle de savoir s’il convient de l’examiner au titre de l’article 87 de la Loi ou de l’article 38 [articles 38 à 38.16 inclusivement (édictés par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 141)] de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5 (Loi sur la preuve).

[5]        La juge a reconnu l’importance d’empêcher la divulgation de renseignements sensibles ainsi que l’intérêt pour la Couronne de récupérer les documents sensibles qui ont été accidentellement communiqués. La question était de savoir comment il convenait d’agir à l’égard de la divulgation accidentelle de ce genre de documents, eu égard aux circonstances de l’affaire.

[6]        La juge a écarté l’argument de M. Sellathurai selon lequel la Cour fédérale était tenue d’aborder cette question sous le régime de l’article 38 de la Loi sur la preuve. Lorsqu’une autre loi prévoit un régime législatif applicable aux documents secrets dans le contexte d’un type d’instance particulier, c’est ce régime qui prévaut. Or la Loi prévoit un tel régime dans la présente affaire. Si l’article 38 de la Loi sur la preuve était applicable, l’article 87 de la Loi serait alors redondant. C’est pourquoi la juge a conclu que l’article 87 de la Loi était applicable à cette affaire, et non pas l’article 38 de la Loi sur la preuve.

[7]        La juge a alors passé à l’examen de l’article 87 de la Loi. Elle a écarté l’argument de M. Sellathurai selon lequel la requête du ministre ne faisait pas partie d’une instance de contrôle judiciaire en cours, comme l’exigent les termes de cette disposition. Elle a exposé ainsi son raisonnement, au paragraphe 27 :

Par ses propres actes, [M. Sellathurai] a, en sollicitant la suspension de l’audience de la [Section de l’immigration] et l’ajournement de l’instance en contrôle judiciaire, inextricablement lié la demande de dispense ministérielle au contrôle judiciaire de la décision interlocutoire de la [Section de l’immigration]. En conséquence, il n’y a guère de doute dans mon esprit que les documents divulgués dans le contexte de la demande de dispense ministérielle se rapporteront à la demande de contrôle judiciaire lorsqu’elle sera entendue, en supposant qu’elle le soit. Il s’ensuit que, bien que les documents contestés aient été divulgués en réponse à la demande de dispense ministérielle, cette divulgation fait partie de l’essence même de la demande de contrôle judiciaire qui a été ajournée sine die.

[8]        Elle a également estimé [aux paragraphes 28 et 29] que, même si les documents contestés n’entraient pas directement dans le cadre de l’instance en contrôle judiciaire qui était ajournée, le résultat serait le même puisque les documents avaient été divulgués relativement à une question relevant de la Loi, à savoir la demande de dispense ministérielle présentée au titre du paragraphe 34(2). Par conséquent, la règle 4 des Règles des Cours fédérales « combler[ait] la lacune » et permettrait à la Cour d’adopter, par analogie, la procédure de l’article 87. « En résumé, je conclus que la Cour fédérale a compétence pour juger la présente requête, directement ou par analogie, en vertu de l’article 87 de la LIPR. »

[9]        La juge a alors examiné la question suivante : la Cour devrait-elle accueillir la requête du ministre en restitution des documents? Après avoir examiné les documents et l’affidavit confidentiel, elle a conclu que les renseignements contenus dans la divulgation initiale, mais expurgés dans les documents fournis par la suite conformément à la directive du juge Hughes, étaient visés par le privilège fondé sur la sécurité nationale. Elle a également conclu que la divulgation n’emportait pas renonciation au privilège, étant donné que cette divulgation avait été accidentelle. La divulgation commise par erreur n’a pas fait disparaître l’intérêt national qu’il y avait à empêcher la diffusion de ces renseignements.

[10]      La juge a ensuite examiné la dernière question : la Cour devrait-elle nommer un avocat spécial pour défendre les intérêts de M. Sellathurai? La juge a appliqué les facteurs utilisés précédemment dans les demandes de nomination d’un avocat spécial faites dans le cadre d’une demande fondée sur l’article 87 de la Loi, tels qu’exposés dans la décision Kanyamibwa c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 66, [2011] 1 R.C.F. 423, aux paragraphes 43 à 56. L’article 87.1 de la Loi habilite la Cour à nommer un avocat spécial, mais la juge a décidé de ne pas le faire pour plusieurs raisons :

• elle avait déjà conclu que la divulgation des documents portait atteinte à la sécurité nationale;

• le contrôle judiciaire de la décision du ministre de refuser d’accorder la dispense prévue au paragraphe 34(2) diffère de la décision judiciaire concernant le caractère raisonnable du certificat de sécurité et du contrôle judiciaire de la décision de détenir une personne visée par un certificat de sécurité;

• le ministre n’avait pas encore décidé s’il y avait lieu d’accorder une dispense à M. Sellathurai, les renseignements étaient peu nombreux et on ne savait pas si le ministre se servirait des renseignements qu’il souhaitait protéger;

• M. Sellathurai n’était pas exposé à un renvoi imminent et n’était pas détenu.

[11]      Enfin, aux paragraphes 54 à 56, la juge a considéré brièvement l'opportunité de certifier une question. L’avocate de M. Sellathurai a présenté ses observations sur cette question trois jours après le délai fixé par la juge, et a terminé en disant : [traduction] « Il n’y a donc pour le moment aucune question dont la certification est demandée ». La juge a par ailleurs estimé que les observations du ministre étaient vagues. Finalement, la juge n’a pas certifié de question, « [c]ompte tenu des circonstances particulières de la présente requête ».

[12]      Tel qu’exposé ci-dessus, la juge a ordonné que M. Sellathurai scelle et retourne les copies papier des documents non expurgés, détruise toutes copies électroniques se trouvant sous son contrôle ou en sa possession (ou sous le contrôle ou en la possession de son avocate) et détruise les notes concernant les parties expurgées des documents. Les copies des documents en la possession de la Cour devaient être remises à l’avocat du ministre.

Les questions en litige

[13]      Voici les questions qu’il y a lieu, à mon avis, de trancher dans le cadre du présent appel :

1. La Cour a-t-elle compétence pour statuer sur le présent appel?

2. Quelle est la norme de contrôle applicable aux autres questions en litige?

3. La juge a-t-elle commis une erreur en concluant que la Cour fédérale avait compétence pour examiner la requête, soit directement soit par analogie, au titre de l’article 87 de la Loi?

4. Si la Cour fédérale a commis une erreur en appliquant l’article 87 de la Loi, quelle était la procédure à suivre?

5. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que les documents divulgués par inadvertance pouvaient être remis au ministre?

6. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur de droit en appliquant la jurisprudence relative à la nomination d’un avocat spécial suivant les articles 87 et 87.1 de la Loi, ou en omettant d’examiner s’il était conforme à l’équité procédurale d’obliger M. Sellathurai à préparer sa réponse uniquement à partir de la version expurgée des documents lorsqu’il présentera ses observations à la Cour et au ministre?

Examen des questions en litige

1.         La Cour a-t-elle compétence pour statuer sur le présent appel?

[14]      L’intimé soutient que la juge a jugé avec raison que la Cour fédérale avait compétence en vertu de la Loi pour ordonner la remise des documents divulgués par inadvertance. Il s’ensuit, affirme l’intimé, qu’étant donné que la juge n’a pas certifié de question, le présent appel devrait être rejeté pour le motif que la Cour n’a pas compétence pour statuer sur l’appel. À titre subsidiaire, l’intimé affirme que, si la Cour estime que la juge avait compétence pour protéger les documents divulgués comme elle l’a fait, en l’absence de question certifiée, la Cour n’a pas compétence pour examiner [traduction] « les questions connexes soulevées par l’appelant concernant la façon dont la juge des demandes a exercé sa compétence » (paragraphe 31, mémoire de l’intimé).

[15]      Il est incontesté que, d’une façon générale, la Loi interdit les appels contre les décisions interlocutoires de la Cour fédérale (alinéa 72(2)e) de la Loi). La Loi interdit également les appels des décisions définitives de la Cour fédérale, à moins qu’au moment où il prononce le jugement, le juge de la Cour fédérale certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci (alinéa 74d) de la Loi). Cela dit, il est bien établi, selon la jurisprudence de la Cour, que ces clauses limitatives ne doivent pas recevoir une interprétation littérale. La Cour peut statuer sur un appel lorsqu’il est allégué que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur de compétence : Horne c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CAF 337, au paragraphe 4, citant l’arrêt Subhaschandran c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 27, [2005] 3 R.C.F. 255, au paragraphe 17, et l’arrêt Narvey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 7421 (C.A.F.).

[16]      À mon avis, le présent appel soulève effectivement une question de compétence. Il existe une incertitude réelle sur la question de savoir si la Cour fédérale avait compétence pour statuer sur la question de la divulgation accidentelle des documents au cours d’événements débouchant sur une décision au titre du paragraphe 34(2) de la Loi. La question centrale dans le présent appel commande de déterminer si la Loi, la Loi sur la preuve ou ni l'une ni l'autre ne donne compétence à la Cour fédérale pour examiner la divulgation accidentelle de documents par le ministre. Tant qu’il n’a pas été statué sur la compétence de la Cour fédérale à cet égard, sa compétence n’a pas été établie et le présent appel doit donc être entendu.

2.         Quelle est la norme de contrôle applicable aux autres questions en litige?

[17]      Il ne s’agit pas de l'appel d’une demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, la norme de contrôle est celle qui est énoncée dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Les questions de droit doivent être examinées selon la norme de la décision correcte. Les questions de fait ou mixtes de fait et de droit sont examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[18]      Les questions 3, 4 et 6, énoncées au paragraphe 13 ci-dessus, soulèvent des questions de droit de sorte que les décisions afférentes de la juge doivent être examinées selon la norme de la décision correcte. La question 5 exigeait que la juge tire des conclusions mixtes de fait et de droit. En fin de compte, toutefois, la juge a accordé une injonction en ordonnant que les trois documents soient remis au ministre. L’injonction est une réparation de nature discrétionnaire. L’ordonnance discrétionnaire rendue par un juge ne peut être modifiée en appel que dans le cas suivant :

[…] si elle [la Cour d’appel] conclut clairement que le juge de première instance n’a pas accordé suffisamment d’importance à des facteurs pertinents ou s’est fondé sur un mauvais principe de droit : Elders Grain Co. c. Ralph Misener (The), 2005 CAF 139, au paragraphe 13. Notre Cour peut aussi annuler la décision discrétionnaire de l’instance inférieure lorsqu’elle est convaincue que le juge a mal apprécié les faits, ou encore qu’une injustice évidente serait autrement causée : Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Aventis Pharma Inc., 2005 CAF 50, 38 C.P.R. (4th) 1, au paragraphe 9.

Voir : Apotex Inc. c. Canada (Gouverneur en conseil), 2007 CAF 374, au paragraphe 15.

3.         La juge a-t-elle commis une erreur en concluant que la Cour fédérale avait compétence pour examiner la requête, soit directement soit par analogie, au titre de l’article 87 de la Loi?

[19]      Comme cela a été expliqué ci-dessus, la juge a conclu que l’article 38 de la Loi sur la preuve ne s’appliquait pas. Elle a par contre considéré que la divulgation touchait à l’essence même de la demande de contrôle judiciaire ajournée visant le refus de la Section de l’immigration d’ajourner l’enquête. Elle a donc estimé que l’article 87 de la Loi était applicable. À titre subsidiaire, si la divulgation ne pouvait être examinée dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire ajournée, la juge a décidé que les documents avaient été divulgués dans une affaire relevant de la Loi et que la règle 4 des Règles des Cours fédérales « comblait la lacune » et autorisait la Cour à adopter, par analogie, la procédure de l’article 87.

[20]      Pour les motifs qui suivent, j’estime que la juge a décidé avec raison que l’article 38 de la Loi sur la preuve ne s’appliquait pas dans cette affaire et que la Cour fédérale avait compétence. Je ne souscris pas toutefois à l’affirmation selon laquelle la source de la compétence de la Cour était l’article 87 de la Loi. À mon avis, comme cela est expliqué ci-dessous, la compétence de la Cour repose sur l’article 44 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 41] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)], et sur la compétence plénière qu’exerce la Cour fédérale en matière de divulgation dans les affaires d’immigration.

[21]      Je vais commencer par examiner la possibilité d’appliquer l’article 38 de la Loi sur la preuve, reproduit à l’annexe aux présents motifs. D’une façon générale, cette disposition prévoit un mécanisme pour la protection des renseignements lorsque, dans le cadre d’une instance, une personne est tenue de divulguer ou prévoit de divulguer ou de faire divulguer des renseignements dont elle croit qu’il s’agit de renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables (paragraphes 38.01(1) [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43]) ou qui croit que de tels renseignements sont sur le point d’être divulgués (paragraphes 38.01(2) [édicté, idem] et (4) [édicté, idem]) ou peuvent l’être (paragraphe 38.01(3) [édicté, idem]). Dans de telles circonstances, une fois avisé de la façon appropriée, le procureur général du Canada peut demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance au sujet de la divulgation des renseignements faisant l'objet d'un avis donné au titre de l'un des paragraphes 38.01(1) à (4).

[22]      Cependant, tout comme l’article 39 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 5(F)] de la Loi sur la preuve ne peut s’appliquer après la divulgation de renseignements sensibles (Babcock c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 57, [2002] 3 R.C.S. 3, au paragraphe 26), j’estime que l’article 38 ne peut s’appliquer comme mécanisme permettant de récupérer des renseignements déjà divulgués. Rien dans le texte de l’article 38 ne parle de son application après la divulgation des renseignements. Son libellé en limite en effet la portée à la divulgation future de renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables.

[23]      Pour ce qui est de la possibilité d’appliquer l’article 87 de la Loi, cet article dispose :

87. Le ministre peut, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, demander l’interdiction de la divulgation de renseignements et autres éléments de preuve. L’article 83 s’applique à l’instance, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l’obligation de nommer un avocat spécial et de fournir un résumé.

Interdiction de divulgation — contrôle judiciaire

[24]      Selon le sens ordinaire de ce texte, l’article 87 s’applique uniquement dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire lorsque le ministre peut demander l’autorisation de ne pas divulguer des renseignements qui, si ce n’était de cette autorisation, devraient être produits (généralement parce qu’ils font partie du dossier certifié du tribunal). Ainsi, selon son sens courant, l’article 87 a pour objet d’empêcher la divulgation de ces renseignements. Il ne vise pas à créer un mécanisme permettant la récupération des renseignements une fois ceux-ci divulgués.

[25]      En outre, pour ce qui est de l’exigence selon laquelle il doit y avoir une demande de contrôle judiciaire pendante, il est incontesté qu’aucune demande de contrôle judiciaire n’a été déposée au sujet de la demande de dispense ministérielle pendante au titre du paragraphe 34(2) de la Loi. La juge a toutefois estimé qu’en obtenant le sursis de l’enquête et l’ajournement de la demande de contrôle judiciaire visant le refus de la Section de l’immigration d’ajourner l’enquête, M. Sellathurai avait « inextricablement lié » la demande du paragraphe 34(2) à la demande de contrôle judiciaire. C’est la raison pour laquelle elle a estimé que l’article 87 de la Loi trouvait application.

[26]      Encore une fois, je ne peux souscrire à ce raisonnement. Comme cela a été expliqué ci-dessus, l’article 87 s’applique à la divulgation prévue de renseignements se rapportant à une demande de contrôle judiciaire pendante. Le libellé de la version française de l’article 87 dit expressément que la demande de non-divulgation des renseignements ou d’autres preuves peut être faite « dans le cadre d’un contrôle judiciaire ».

[27]      En l’espèce, ce qui se rapportait à la demande de contrôle judiciaire pendante était les renseignements ou les preuves au sujet du bien-fondé du refus de la Section de l’immigration d’accorder un autre ajournement. Les renseignements en question qui ont été divulgués par inadvertance sont des renseignements qui se rapportent à la question de savoir si M. Sellathurai était interdit de territoire. Il n’est donc pas certain que les renseignements en cause se rapportent à la demande de contrôle judiciaire pendante. Plus précisément, rien dans la preuve n’indique que les renseignements divulgués par inadvertance dans le cadre de la demande de dispense ministérielle faisaient partie du dossier soumis à la Section de l’immigration et étaient donc susceptibles d’être produits dans le cadre du contrôle judiciaire du refus de l’ajournement.

[28]      L’article 87 vise uniquement à protéger les renseignements susceptibles d’être produits dans une demande de contrôle judiciaire pendante. Son lien avec un contrôle judiciaire futur, et peut-être connexe, n’est pas suffisant pour rendre l’article 87 applicable aux documents ou aux renseignements qui ne pourraient être autrement produits dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire pendante.

[29]      Avant d’en terminer avec l’article 87, il convient de mentionner brièvement la règle 4 des Règles des Cours fédérales, la règle dite des « lacunes ». La règle 4 dispose :

4. En cas de silence des présentes règles ou des lois fédérales, la Cour peut, sur requête, déterminer la procédure applicable par analogie avec les présentes règles ou par renvoi à la pratique de la cour supérieure de la province qui est la plus pertinente en l’espèce.

Cas non prévus

[30]      La raison d’être de la règle 4 est de veiller à ce qu’il n’existe pas de lacunes sur le plan de la procédure. Ainsi, dans les affaires comme la décision Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1310, [2007] 4 R.C.F. 300, la règle 4 a été appliquée pour combler une lacune dans les Règles en ce qui concerne le traitement des renseignements sensibles. Toutefois, dans ces affaires, il était manifeste que l’instance avait été correctement introduite devant la Cour fédérale et que celle-ci avait compétence (voir Mohammed, aux paragraphes 18 à 20). Ce qui manquait, c’était un mécanisme procédural permettant de protéger les renseignements sensibles dans le cadre de l’instance. Toutefois, lorsque, comme en l'espèce, la compétence de la Cour fédérale est mise en doute, il est impossible de se fonder sur la règle 4 pour lui attribuer une compétence matérielle.

[31]      Après avoir examiné l’article 38 de la Loi sur la preuve et l’article 87 de la Loi, j’en arrive maintenant à l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales. Cet article énonce :

44. Indépendamment de toute autre forme de réparation qu’elle peut accorder, la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale peut, dans tous les cas où il lui paraît juste ou opportun de le faire, décerner un mandamus, une injonction ou une ordonnance d’exécution intégrale, ou nommer un séquestre, soit sans condition, soit selon les modalités qu’elle juge équitables. [Non souligné dans l’original.]

Mandamus, injonction, exécution intégrale ou nomination d’un séquestre

[32]      Dans l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, la Cour suprême a examiné la portée de cette disposition. Les juges formant la majorité ont fait remarquer [au paragraphe 33] qu’en vertu des articles 3 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art.16], 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] et 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de ce qui est actuellement la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale est devenue « un tribunal de révision et d’appel siégeant au sommet de l’ensemble des décideurs administratifs qui exercent des pouvoirs conférés par différentes lois fédérales ». Au paragraphe 36, le juge Bastarache a écrit au nom de la Cour à la majorité :

Comme l’indique clairement le texte de la Loi sur la Cour fédérale et le confirme le rôle additionnel qui est confié à cette cour par d’autres lois fédérales, dans le présent cas la Loi sur les droits de la personne, le Parlement a voulu conférer à la Cour fédérale une compétence administrative générale sur les tribunaux administratifs fédéraux. Pour ce qui concerne son rôle de surveillance des décideurs administratifs, les pouvoirs confiés par une loi à la Cour fédérale à cet égard ne doivent pas être interprétés de façon restrictive. Cela signifie que, lorsqu’il s’agit d’une question relevant clairement de son rôle de surveillance d’un organisme administratif, ce qui inclut la prise de mesures provisoires visant à régir des différends dont l’issue finale est laissée au décideur administratif concerné, la Cour fédérale peut être considérée comme ayant plénitude de compétence. [Non souligné dans l’original.]

[33]      La Cour à la majorité a conclu que, lorsque l’on combine ce qui était alors la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] et la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, on constate que l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales vise à attribuer à la Cour fédérale le pouvoir d’accorder une injonction interlocutoire interdisant à une partie à une instance devant le Tribunal des droits de la personne de diffuser des messages susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes, sur la base d’un motif de distinction illicite.

[34]      En l’espèce, outre les articles 3, 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, le paragraphe 72(1) de la Loi confère un large pouvoir de surveillance à la Cour fédérale au sujet des questions découlant de la Loi. Selon les termes du paragraphe 72(1) :

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

Demande d’autorisation

[35]      La divulgation de renseignements à l’auteur d’une demande de dispense ministérielle qu’exigent les principes de l’équité procédurale, et le contrôle de cette divulgation, sont manifestement reliés à la compétence de la Cour fédérale de surveiller l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel d’accorder ou de refuser une dispense au titre du paragraphe 34(2) de la Loi. Il s’ensuit, comme dans l’arrêt Liberty Net, que la Cour fédérale a plénitude de compétence sur le processus de divulgation.

[36]      Dans l’arrêt Liberty Net, les juges majoritaires ont poursuivi en faisant remarquer qu’il doit exister « un ensemble de règles de droit fédérales constituant le fondement de l’attribution législative de compétence » et que « le différend à l’égard duquel on plaide l’existence d’une compétence doit être principalement et essentiellement fondé sur des règles de droit fédérales » (paragraphe 43).

[37]      En l’espèce, cette exigence est remplie par l’existence d’un ensemble de règles de droit relatives au privilège fondé sur la sécurité nationale et à l’immunité fondée sur l’intérêt public, comme le montrent l’article 38 de la Loi sur la preuve, les dispositions de la Loi concernant la protection des renseignements dans le cas où la divulgation serait préjudiciable à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui et la Loi sur la protection de l’information, L.R.C. (1985), ch. O-5.

[38]      Pour conclure, j’estime que la Cour fédérale avait plénitude de compétence pour entendre et trancher la requête en injonction du ministre. La source de cette compétence était l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales et la compétence plénière de la Cour fédérale en matière de divulgation dans les affaires d’immigration. Étant donné que le pouvoir qu’a la Cour fédérale d’ordonner la remise des documents découle de l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales, les dispositions limitatives des alinéas 72(2)e) et 74d) de la Loi ne s’appliquent pas. Il n’était donc pas nécessaire qu’une question soit certifiée pour que le présent appel soit correctement introduit et pour que la Cour puisse examiner les questions soulevées par l’appelant dans la présente affaire.

4.         Si la Cour fédérale a commis une erreur en appliquant l’article 87 de la Loi, quelle était la procédure à suivre?

[39]      Étant donné que la compétence de la Cour fédérale n’était pas fondée directement ou indirectement sur l’article 87 de la Loi, elle possédait cette compétence qu’une demande de contrôle judiciaire connexe ait été pendante ou non devant la Cour fédérale. Que des instances connexes aient déjà été introduites ou non, j’estime que la procédure appropriée à suivre était celle qui a été suivie par le demandeur dans l’arrêt Liberty Net. Ce que l’on appelle maintenant un avis de demande aurait dû être déposé pour demander une injonction et la demande aurait dû être étayée par des preuves par affidavit appropriées.

[40]      En l’espèce, le ministre a procédé par avis de requête déposé dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire pendante concernant la décision de la Section de l’immigration. À mon avis, cette façon de faire n’était pas fatale à la présente demande. L’avis de requête divulguait tous les motifs invoqués par le ministre et renvoyait à l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales. La requête était appuyée par des preuves par affidavit appropriées. L’inobservation des Règles des Cours fédérales n’entache pas de nullité l’instance ou une mesure prise dans l’instance (règle 56).

5.         La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les documents divulgués par inadvertance pouvaient être remis au ministre?

[41]      Le ministre sollicitait, dans sa requête une injonction, principalement la remise des trois documents communiqués à M. Sellathurai qui contenaient apparemment des renseignements visés par un privilège fondé sur la sécurité nationale. Le ministre sollicitait également une mesure connexe, à savoir la destruction de toutes copies des trois documents ainsi que des notes concernant le contenu des renseignements privilégiés. L’avocate de M. Sellathurai a fait savoir qu’elle n’avait pas fait de copies de ces documents et rien n’indique que des notes aient été prises au sujet du contenu des documents. Par conséquent, dans le cadre du présent appel, la contestation porte uniquement sur l’ordonnance de remise des documents au ministre. M. Sellathurai soutient qu’il n’existe pas de disposition législative autorisant la Cour à ordonner le rappel de documents déjà divulgués.

[42]      Pour les motifs ci-dessus, j’estime que la Cour fédérale avait compétence pour accorder une injonction ordonnant la remise des trois documents. Il s’agit maintenant de savoir si la juge a commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a ainsi ordonné la remise des trois documents.

[43]      Après examen des dossiers de requête, j’estime que M. Sellathurai n’a pas sérieusement contesté devant la Cour fédérale la prétention du ministre selon laquelle une partie des renseignements contenus dans les trois documents étaient des renseignements visés par un privilège fondé sur la sécurité nationale. Il n’a pas non plus sérieusement contesté le fait que les renseignements avaient été divulgués par inadvertance.

[44]      Devant la Cour, l’avocate de M. Sellathurai a reconnu très franchement qu’au moins une partie des trois documents contenait des renseignements visés par un privilège fondé sur la sécurité nationale. J’ai lu les documents et je souscris à cette caractérisation. En outre, en me fondant sur le contenu des documents, j’accepte sans aucune réserve les preuves indiquant que le ministre a divulgué ces documents par inadvertance.

[45]      La juge a conclu, d’après les preuves présentées, que la divulgation accidentelle des trois documents n’emportait pas renonciation au privilège fondé sur la sécurité nationale protégeant certaines parties de ces documents. Cette conclusion n’a pas été contestée en appel.

[46]      Tous ces facteurs militent en faveur de l’octroi d’une injonction. Cependant, l’ordonnance de remise des documents avait pour conséquence de laisser à l’avocate de M. Sellathurai la possession des versions expurgées des documents en cause. L’avocate ne pouvait ainsi présenter des observations à la Cour et au ministre qu’en se fondant sur les documents expurgés. J’examine plus loin la question de savoir si la juge a commis une erreur en obligeant M. Sellathurai à préparer sa réponse uniquement à partir des rapports expurgés par le Service canadien du renseignement de sécurité, en ordonnant le retour des documents et en approuvant les versions expurgées remises à leur place. J’examine également la question de savoir si la juge a commis une erreur en se fondant sur la jurisprudence relative aux articles 87 et 87.1 de la Loi pour refuser de nommer un avocat spécial ou un amicus curiae.

6.         La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur de droit en appliquant la jurisprudence relative à la nomination de l’avocat spécial au titre des articles 87 et 87.1 de la Loi, ou en omettant de considérer s’il était conforme à l’équité procédurale d’obliger M. Sellathurai à préparer des observations destinées à la Cour et au ministre uniquement à partir de la version expurgée des documents?

[47]      M. Sellathurai a soutenu ce qui suit devant la Cour fédérale :

1. La revendication par le ministre d’un privilège fondé sur la sécurité nationale est trop large. Il affirme qu’une partie des renseignements que le ministre souhaite expurger avaient déjà été divulgués dans le cadre d’une instance d’immigration.

2. Il était inéquitable d’expurger les documents dans la mesure où ceux-ci donnaient une impression déformée de la preuve qui pesait contre lui. Son avocate ne pouvait préparer les observations destinées au ministre qu’en se fondant sur les documents expurgés.

3. Même si l’existence d’un privilège fondé sur la sécurité nationale était établie, la loi n’exige pas systématiquement la restitution des documents divulgués par inadvertance. La décision de la Cour fédérale Khadr c. Canada (Procureur général), 2008 CF 549, a été invoquée. Dans cette affaire, dans le contexte d’une demande présentée en vertu de l’article 38 de la Loi sur la preuve, la Cour a écrit ce qui suit au paragraphe 118 :

  Je ne vois cependant aucune raison pratique d’exiger maintenant des avocats du demandeur qu’ils détruisent ou retournent les copies des documents non expurgés qui ont été divulgués par inadvertance. Ces documents sont en leur possession depuis plus d’un an sans qu’aucun préjudice n’ait, de toute évidence, été causé aux intérêts nationaux protégés. Je pense qu’il est suffisant que les renseignements ne soient pas de nouveau divulgués. Certains renseignements figurant sur la liste des documents divulgués par inadvertance pourraient, selon l’avocat du demandeur, aider son client. Ces détails figurent dans le résumé qui doit être remis aux avocats et qui pourrait être utilisé dans le cadre de la procédure d’extradition. [Non souligné dans l’original.]

4. Vu la portée excessive de la revendication de privilège fondé sur la sécurité nationale, il était essentiel qu’un avocat spécial ou un amicus curiae soit nommé pour réfuter les preuves et de répondre aux observations présentées in camera et ex parte.

[48]      Comme elle l’a indiqué dans ses motifs [au paragraphe 51], la juge a estimé qu’elle pouvait, sans l’aide d’un avocat spécial ou d’un amicus, examiner les trois documents et statuer sur la revendication d’un privilège fondé sur la sécurité nationale et le caractère approprié de l’expurgation des documents. En fait, son pouvoir de le faire et sa conclusion selon laquelle « la divulgation des documents contestés non expurgés porterait atteinte à la sécurité nationale » est l’un des motifs qui l’ont amenée à conclure que l’équité procédurale n’exigeait pas la nomination d’un avocat spécial (ou d’un amicus) pour défendre les intérêts de M. Sellathurai.

[49]      Après avoir conclu que les renseignements contenus dans les trois documents étaient visés par un privilège fondé sur la sécurité nationale, la juge a ordonné le retour des documents. Elle n’a pas, dans ses motifs, examiné l’argument de M. Sellathurai selon lequel même dans l’hypothèse de l’existence d’un privilège fondé sur la sécurité nationale, la Cour avait le pouvoir discrétionnaire d’autoriser l’utilisation partielle des renseignements déjà divulgués à son avocate. La juge n’a donc pas recherché si l’équité procédurale exigeait que l’avocate de M. Sellathurai puisse faire un usage limité des renseignements antérieurement divulgués, par exemple en présentant des observations confidentielles et non publiques à la Cour ou au ministre. La juge a rejeté la demande de nomination d’un amicus curiae ou d’un avocat spécial présenté par M. Sellathurai en appliquant les facteurs pertinents pour l’analyse relative aux articles 87 et 87.1 de la Loi.

[50]      Voici les trois principales questions d’équité procédurale que soulèvent les faits du présent appel :

1. la façon dont la juge a analysé la question de la nomination d’un avocat spécial ou d’un amicus curiae;

2. l’emploi, le cas échéant, que M. Sellathurai ou son avocate aurait pu faire des renseignements qui leur avaient été divulgués par inadvertance;

3. l’ampleur des expurgations dont ont fait l’objet les trois documents pertinents.

[51]      S’agissant d’abord de la première question de l’avocat spécial ou de l’amicus curiae, étant donné que l’article 87 de la Loi ne s’appliquait pas en l’occurrence, la nomination d’un avocat spécial n’était fondée sur aucune règle de droit. Ce rôle est la création du législateur et seules les circonstances prévues par la Loi peuvent donner lieu à la nomination d’un avocat spécial. Il était toutefois loisible à la juge de nommer un amicus curiae si elle était persuadée qu’une telle nomination était nécessaire pour aider la Cour à effectuer une analyse complète et équitable des questions liées à l’équité procédurale (Khadr c. Canada (Procureur général), 2008 CF 46, [2008] 3 R.C.F. 306, au paragraphe 19, citant l’arrêt Liberty Net, à la page 641).

[52]      Comme cela a été noté ci-dessus, la juge a rejeté la demande de nomination d’un amicus curiae en appliquant les facteurs relatifs à la nomination d’un avocat spécial. Plus précisément, la juge a considéré qu’elle avait déjà conclu que la divulgation des documents serait préjudiciable à la sécurité nationale; la demande de dispense ministérielle différait par sa nature même des instances relatives aux certificats de sécurité et à l’examen de la détention; M. Sellathurai n’était ni détenu ni n’était exposé à un renvoi imminent; le ministre n’avait pas encore rendu sa décision de sorte qu’il n’était pas certain qu’il se fonderait sur les renseignements expurgés.

[53]      Compte tenu des circonstances uniques soumises à la Cour, j’estime que lorsque la juge a rejeté la demande de nomination d’un amicus pour ce motif, elle a commis une erreur de droit. Comme cela est expliqué plus loin, la juge a ainsi omis de prendre en compte le fait qu’en l’occurrence les renseignements visés par le privilège fondé sur la sécurité nationale avaient déjà été divulgués à M. Sellathurai. Ce fait permettait de distinguer la présente affaire de la jurisprudence invoquée par la juge.

[54]      L’ordonnance de remise des documents fournis initialement par le ministre et leur remplacement par des documents expurgés ont empêché l’avocate de M. Sellathurai de présenter des observations à la Cour et au ministre fondées sur les renseignements non expurgés, à la fois pour des raisons pratiques — l’absence de documents non expurgés — et en raison de l’interdiction de divulguer les renseignements protégés par le privilège fondé sur la sécurité nationale. En outre, ayant déjà pris connaissance des renseignements privilégiés, l’avocate de M. Sellathurai a ainsi vu limiter sa capacité de répondre aux documents expurgés. Elle ne pouvait plus faire des hypothèses au sujet du contenu des expurgations et formuler ensuite des observations concernant le contenu imputé des expurgations.

[55]      Dans les circonstances, la nomination d’un amicus, lequel aurait peut-être été autorisé à parler à l’avocate de M. Sellathurai avant de consulter les renseignements privilégiés, aurait permis à celui-ci de se fonder sur le dossier confidentiel pour présenter des observations relatives aux préoccupations de M. Sellathurai. C’était là un facteur pertinent dont la juge aurait dû tenir compte et que n’aborde pas la jurisprudence sur laquelle elle s’est appuyée pour refuser la nomination d’un amicus.

[56]      S’agissant des autres questions touchant l’équité, étant donné que la juge ne s’est pas penchée sur l’utilisation, le cas échéant, que M. Sellathurai et son avocate auraient pu faire des renseignements privilégiés dans le cadre du présent appel, il n’appartient pas à notre Cour de trancher cette question au fond. En fait, si notre Cour estime que les préoccupations de M. Sellathurai en matière d’équité sont le moindrement justifiées, elle doit renvoyer cette question à la Cour fédérale pour examen.

[57]      Pour les motifs qui suivent, j’estime que les préoccupations soulevées par M. Sellathurai semblaient justifiées. Par conséquent, j’estime que la juge a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas examiné l’argument de M. Sellathurai selon lequel, vu les circonstances, l’équité exigeait que son avocate puisse faire un usage ne serait-ce que limité des renseignements divulgués par inadvertance par le ministre. Le fait de demander à l’avocate de présenter des observations uniquement fondées sur le dossier expurgé a eu pour effet de restreindre la capacité de celle-ci de soutenir que les expurgations proposées par le ministre étaient trop larges et qu’une partie des renseignements expurgés avaient déjà été divulgués dans le cadre d’autres instances. Comment M. Sellathurai aurait-il pu établir que la revendication du privilège fondé sur la sécurité nationale était excessive après que le juge Hughes eut ordonné leur remise à la Cour? Outre la difficulté que pose la récupération de ces trois documents entre les mains de son avocate, pour montrer que les renseignements maintenant expurgés avaient déjà été divulgués, lui et son avocate auraient été obligés d’en révéler la nature. Également, le fait de limiter l’avocate aux renseignements expurgés a encore restreint la capacité de M. Sellathurai de présenter subséquemment d’autres observations au ministre sur le fondement de l’ensemble du dossier.

[58]      Dans ces circonstances, la juge était tenue d’examiner les observations de M. Sellathurai selon lesquelles son avocate devait être autorisée à utiliser de quelque façon les renseignements confidentiels. Il était prématuré que la juge ordonne le retour des documents avant d’avoir pris ces observations en compte.

[59]      Pour ces motifs, j’ai conclu que la juge a commis une erreur en ne tenant pas compte des circonstances particulières de l’affaire lorsqu’elle s’est prononcée sur la demande de nomination d’un amicus curiae par M. Sellathurai et en omettant d’examiner dans quelle mesure, le cas échéant, M. Sellathurai pouvait utiliser les renseignements qui lui avaient été divulgués.

[60]      Je tiens toutefois à souligner qu’aucun aspect des présents motifs ne doit être interprété comme si l’équité exigeait la nomination d’un amicus curiae, que les expurgations soient réduites ou que l’avocate de M. Sellathurai soit autorisée à faire un emploi limité des renseignements visés par le privilège fondé sur la sécurité nationale. J’estime simplement que la juge était légalement tenue de prendre en considération les questions d’équité soulevées par M. Sellathurai.

Conclusion

[61]      J’arrive à la même conclusion que la juge au sujet du pouvoir de la Cour fédérale de rendre l’ordonnance en question, mais pour des motifs différents.

[62]      Toutefois, je conclus qu’il convient de prendre en considération la demande de nomination d’un amicus curiae et d’octroi d’une réparation appropriée compte tenu du fait que les renseignements ont été divulgués.

[63]      Pour ces motifs, je ferais droit à l’appel dans la mesure limitée qui consiste à renvoyer l’affaire à la juge Snider, ou à un autre juge désigné de la Cour fédérale (selon ce que décidera le juge en chef de la Cour fédérale), aux fins d’examiner si, dans les circonstances, il y aurait lieu de nommer un amicus curiae pour aider la Cour et de préciser, le cas échéant, la réparation qu’exige l’application des principes d’équité procédurale en raison de la divulgation accidentelle à M. Sellathurai de trois documents contenant des renseignements privilégiés.

[64]      À tous autres égards, je rejetterais l’appel.

Postscript

[65]      Dans une lettre datée du 13 mai 2011, l’avocat du ministre demande [traduction] « la remise de ce document secret suivant le prononcé d’un jugement dans le dossier d’appel susmentionné, conformément à la procédure habituelle du greffe dans ce genre d’affaire ».

[66]      L’avocat demande que l’affidavit confidentiel déposé ex parte à la Cour fédérale à l’appui de la revendication d’un privilège fondé sur la sécurité nationale lui soit retourné.

[67]      L’affidavit en question est très semblable à celui qui est déposé à l’appui d’une demande présentée au titre de l’article 87 de la Loi. Il n’existe pas à ma connaissance de pratique voulant que ce genre d’affidavit soit retourné au ministre; une telle pratique ne serait pas conforme aux articles 3 et 4 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 16] de la Loi sur les Cours fédérales qui établissent notre Cour et la Cour fédérale comme des cours supérieures d’archives. L’affidavit ne sera pas retourné. Il fait partie du dossier confidentiel de la Cour fédérale.

Le juge Létourneau, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Stratas, J.C.A. : Je suis d’accord.

ANNEXE

L’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada dispose [« instance » (édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43), « juge » (édicté, idem, art. 43, 141), « participant » (édicté, idem, art. 43), « poursuivant » (édicté, idem), « renseignements potentiellement préjudiciables » (édicté, idem), « renseignements sensibles » (édicté, idem), 38.01 (édicté, idem), 38.02 (édicté, idem, art. 43, 141), 38.03 (édicté, idem, art. 43), 38.031 (édicté, idem, art. 43, 141), 38.04 (édicté, idem), 38.05 (édicté, idem, art. 43), 38.06 à 38.13 (édictés, idem), 38.131 (édicté, idem; 2004, ch. 12, art. 19(A)), 38.14 à 38.16 (édictés par L.C. 2001, ch. 41, art. 43)] :

38. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 38.01 à 38.15.

Définitions

« instance » Procédure devant un tribunal, un organisme ou une personne ayant le pouvoir de contraindre la production de renseignements.

« instance » “proceeding

« juge » Le juge en chef de la Cour fédérale ou le juge de ce tribunal désigné par le juge en chef pour statuer sur les questions dont est saisi le tribunal en application de l'article 38.04.

« juge » “juge

« participant » Personne qui, dans le cadre d’une instance, est tenue de divulguer ou prévoit de divulguer ou de faire divulguer des renseignements.

« participant » “participant

« poursuivant » Représentant du procureur général du Canada ou du procureur général d’une province, particulier qui agit à titre de poursuivant dans le cadre d’une instance ou le directeur des poursuites militaires, au sens de la Loi sur la défense nationale.

« poursuivant » “prosecutor

« renseignements potentiellement préjudiciables » Les renseignements qui, s’ils sont divulgués, sont susceptibles de porter préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales.

« renseignements potentiellement préjudiciables » “potentially injurious information

« renseignements sensibles » Les renseignements, en provenance du Canada ou de l’étranger, qui concernent les affaires internationales ou la défense ou la sécurité nationales, qui se trouvent en la possession du gouvernement du Canada et qui sont du type des renseignements à l’égard desquels celui-ci prend des mesures de protection.

« renseignements sensibles » “sensitive information

38.01 (1) Tout participant qui, dans le cadre d’une instance, est tenu de divulguer ou prévoit de divulguer ou de faire divulguer des renseignements dont il croit qu’il s’agit de renseignements sensibles ou de renseignements potentiellement préjudiciables est tenu d’aviser par écrit, dès que possible, le procureur général du Canada de la possibilité de divulgation et de préciser dans l’avis la nature, la date et le lieu de l’instance.

Avis au procureur général du Canada

(2) Tout participant qui croit que des renseignements sensibles ou des renseignements potentiellement préjudiciables sont sur le point d’être divulgués par lui ou par une autre personne au cours d’une instance est tenu de soulever la question devant la personne qui préside l’instance et d’aviser par écrit le procureur général du Canada de la question dès que possible, que ces renseignements aient fait ou non l’objet de l’avis prévu au paragraphe (1). Le cas échéant, la personne qui préside l’instance veille à ce que les renseignements ne soient pas divulgués, sauf en conformité avec la présente loi.

Au cours d’une instance

(3) Le fonctionnaire — à l’exclusion d’un participant — qui croit que peuvent être divulgués dans le cadre d’une instance des renseignements sensibles ou des renseignements potentiellement préjudiciables peut aviser par écrit le procureur général du Canada de la possibilité de divulgation; le cas échéant, l’avis précise la nature, la date et le lieu de l’instance.

Avis par un fonctionnaire

(4) Le fonctionnaire — à l’exclusion d’un participant — qui croit que des renseignements sensibles ou des renseignements potentiellement préjudiciables sont sur le point d’être divulgués au cours d’une instance peut soulever la question devant la personne qui préside l’instance; le cas échéant, il est tenu d’aviser par écrit le procureur général du Canada de la question dès que possible, que ces renseignements aient fait ou non l’objet de l’avis prévu au paragraphe (3) et la personne qui préside l’instance veille à ce que les renseignements ne soient pas divulgués, sauf en conformité avec la présente loi.

Au cours d’une instance

(5) Dans le cas d’une instance engagée sous le régime de la partie III de la Loi sur la défense nationale, les avis prévus à l’un des paragraphes (1) à (4) sont donnés à la fois au procureur général du Canada et au ministre de la Défense nationale.

Instances militaires

(6) Le présent article ne s’applique pas :

a) à la communication de renseignements par une personne à son avocat dans le cadre d’une instance, si ceux-ci concernent l’instance;

b) aux renseignements communiqués dans le cadre de l’exercice des attributions du procureur général du Canada, du ministre de la Défense nationale, du juge ou d’un tribunal d’appel ou d’examen au titre de l’article 38, du présent article, des articles 38.02 à 38.13 ou des articles 38.15 ou 38.16;

c) aux renseignements dont la divulgation est autorisée par l’institution fédérale qui les a produits ou pour laquelle ils ont été produits ou, dans le cas où ils n’ont pas été produits par ou pour une institution fédérale, par la première institution fédérale à les avoir reçus;

d) aux renseignements divulgués auprès de toute entité mentionnée à l’annexe et, le cas échéant, à une application figurant en regard d’une telle entité.

Exception

(7) Les paragraphes (1) et (2) ne s’appliquent pas au participant si une institution gouvernementale visée à l’alinéa (6)c) l’informe qu’il n’est pas nécessaire, afin d’éviter la divulgation des renseignements visés à cet alinéa, de donner un avis au procureur général du Canada au titre du paragraphe (1) ou de soulever la question devant la personne présidant une instance au titre du paragraphe (2).

Exception

(8) Le gouverneur en conseil peut, par décret, ajouter, modifier ou supprimer la mention, à l’annexe, d’une entité ou d’une application figurant en regard d’une telle entité.

Annexe

38.02 (1) Sous réserve du paragraphe 38.01(6), nul ne peut divulguer, dans le cadre d’une instance :

a) les renseignements qui font l’objet d’un avis donné au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4);

b) le fait qu’un avis est donné au procureur général du Canada au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4), ou à ce dernier et au ministre de la Défense nationale au titre du paragraphe 38.01(5);

c) le fait qu’une demande a été présentée à la Cour fédérale au titre de l’article 38.04, qu’il a été interjeté appel d’une ordonnance rendue au titre de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) relativement à une telle demande ou qu’une telle ordonnance a été renvoyée pour examen;

d) le fait qu’un accord a été conclu au titre de l’article 38.031 ou du paragraphe 38.04(6).

Interdiction de divulgation

(1.1) Dans le cas où une entité mentionnée à l’annexe rend, dans le cadre d’une application qui y est mentionnée en regard de celle-ci, une décision ou une ordonnance qui entraînerait la divulgation de renseignements sensibles ou de renseignements potentiellement préjudiciables, elle ne peut les divulguer ou les faire divulguer avant que le procureur général du Canada ait été avisé de ce fait et qu’il se soit écoulé un délai de dix jours postérieur à l’avis.

Entités

(2) La divulgation des renseignements ou des faits visés au paragraphe (1) n’est pas interdite :

a) si le procureur général du Canada l’autorise par écrit au titre de l’article 38.03 ou par un accord conclu en application de l’article 38.031 ou du paragraphe 38.04(6);

b) si le juge l’autorise au titre de l’un des paragraphes 38.06(1) ou (2) et que le délai prévu ou accordé pour en appeler a expiré ou, en cas d’appel ou de renvoi pour examen, sa décision est confirmée et les recours en appel sont épuisés.

Exceptions

38.03 (1) Le procureur général du Canada peut, à tout moment, autoriser la divulgation de tout ou partie des renseignements ou des faits dont la divulgation est interdite par le paragraphe 38.02(1) et assortir son autorisation des conditions qu’il estime indiquées.

Autorisation de divulgation par le procureur général du Canada

(2) Dans le cas d’une instance engagée sous le régime de la partie III de la Loi sur la défense nationale, le procureur général du Canada ne peut autoriser la divulgation qu’avec l’assentiment du ministre de la Défense nationale.

Instances militaires

(3) Dans les dix jours suivant la réception du premier avis donné au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4) relativement à des renseignements donnés, le procureur général du Canada notifie par écrit sa décision relative à la divulgation de ces renseignements à toutes les personnes qui ont donné un tel avis.

Notification

38.031 (1) Le procureur général du Canada et la personne ayant donné l’avis prévu aux paragraphes 38.01(1) ou (2) qui n’a pas l’obligation de divulguer des renseignements dans le cadre d’une instance, mais veut divulguer ou faire divulguer les renseignements qui ont fait l’objet de l’avis ou les faits visés aux alinéas 38.02(1)b) à d), peuvent, avant que cette personne présente une demande à la Cour fédérale au titre de l’alinéa 38.04(2)c), conclure un accord prévoyant la divulgation d’une partie des renseignements ou des faits ou leur divulgation assortie de conditions.

Accord de divulgation

(2) Si un accord est conclu, la personne ne peut présenter de demande à la Cour fédérale au titre de l’alinéa 38.04(2)c) relativement aux renseignements ayant fait l’objet de l’avis qu’elle a donné au procureur général du Canada au titre des paragraphes 38.01(1) ou (2).

Exclusion de la demande à la Cour fédérale

38.04 (1) Le procureur général du Canada peut, à tout moment et en toutes circonstances, demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance portant sur la divulgation de renseignements à l’égard desquels il a reçu un avis au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4).

Demande à la Cour fédérale : procureur général du Canada

(2) Si, en ce qui concerne des renseignements à l’égard desquels il a reçu un avis au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4), le procureur général du Canada n’a pas notifié sa décision à l’auteur de l’avis en conformité avec le paragraphe 38.03(3) ou, sauf par un accord conclu au titre de l’article 38.031, il a autorisé la divulgation d’une partie des renseignements ou a assorti de conditions son autorisation de divulgation :

a) il est tenu de demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance concernant la divulgation des renseignements si la personne qui l’a avisé au titre des paragraphes 38.01(1) ou (2) est un témoin;

b) la personne — à l’exclusion d’un témoin — qui a l’obligation de divulguer des renseignements dans le cadre d’une instance est tenue de demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance concernant la divulgation des renseignements;

c) la personne qui n’a pas l’obligation de divulguer des renseignements dans le cadre d’une instance, mais qui veut en divulguer ou en faire divulguer, peut demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance concernant la divulgation des renseignements.

Demande à la Cour fédérale : dispositions générales

(3) La personne qui présente une demande à la Cour fédérale au titre des alinéas (2)b) ou c) en notifie le procureur général du Canada.

Notification du procureur général

(4) Toute demande présentée en application du présent article est confidentielle. Sous réserve de l’article 38.12, l’administrateur en chef du Service administratif des tribunaux peut prendre les mesures qu’il estime indiquées en vue d’assurer la confidentialité de la demande et des renseignements sur lesquels elle porte.

Dossier du tribunal

(5) Dès que la Cour fédérale est saisie d’une demande présentée au titre du présent article, le juge :

a) entend les observations du procureur général du Canada — et du ministre de la Défense nationale dans le cas d’une instance engagée sous le régime de la partie III de la Loi sur la défense nationale — sur l’identité des parties ou des témoins dont les intérêts sont touchés par l’interdiction de divulgation ou les conditions dont l’autorisation de divulgation est assortie et sur les personnes qui devraient être avisées de la tenue d’une audience;

b) décide s’il est nécessaire de tenir une audience;

c) s’il estime qu’une audience est nécessaire :

(i) spécifie les personnes qui devraient en être avisées,

(ii) ordonne au procureur général du Canada de les aviser,

(iii) détermine le contenu et les modalités de l’avis;

d) s’il l’estime indiqué en l’espèce, peut donner à quiconque la possibilité de présenter des observations.

Procédure

(6) Après la saisine de la Cour fédérale d’une demande présentée au titre de l’alinéa (2)c) ou l’institution d’un appel ou le renvoi pour examen d’une ordonnance du juge rendue en vertu de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) relativement à cette demande, et avant qu’il soit disposé de l’appel ou de l’examen :

a) le procureur général du Canada peut conclure avec l’auteur de la demande un accord prévoyant la divulgation d’une partie des renseignements ou des faits visés aux alinéas 38.02(1)b) à d) ou leur divulgation assortie de conditions;

b) si un accord est conclu, le tribunal n’est plus saisi de la demande et il est mis fin à l’audience, à l’appel ou à l’examen.

Accord de divulgation

(7) Sous réserve du paragraphe (6), si le procureur général du Canada autorise la divulgation de tout ou partie des renseignements ou supprime les conditions dont la divulgation est assortie après la saisine de la Cour fédérale aux termes du présent article et, en cas d’appel ou d’examen d’une ordonnance du juge rendue en vertu de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3), avant qu’il en soit disposé, le tribunal n’est plus saisi de la demande et il est mis fin à l’audience, à l’appel ou à l’examen à l’égard de tels des renseignements dont la divulgation est autorisée ou n’est plus assortie de conditions.

Fin de l’examen judiciaire

38.05 Si la personne qui préside ou est désignée pour présider l’instance à laquelle est liée l’affaire ou, à défaut de désignation, la personne qui est habilitée à effectuer la désignation reçoit l’avis visé à l’alinéa 38.04(5)c), elle peut, dans les dix jours, fournir au juge un rapport sur toute question relative à l’instance qu’elle estime utile à celui-ci.

Rapport sur l’instance

38.06 (1) Le juge peut rendre une ordonnance autorisant la divulgation des renseignements, sauf s’il conclut qu’elle porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales.

Ordonnance de divulgation

(2) Si le juge conclut que la divulgation des renseignements porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, mais que les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non-divulgation, il peut par ordonnance, compte tenu des raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation ainsi que de la forme et des conditions de divulgation les plus susceptibles de limiter le préjudice porté aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, autoriser, sous réserve des conditions qu’il estime indiquées, la divulgation de tout ou partie des renseignements, d’un résumé de ceux-ci ou d’un aveu écrit des faits qui y sont liés.

Divulgation modifiée

(3) Dans le cas où le juge n’autorise pas la divulgation au titre des paragraphes (1) ou (2), il rend une ordonnance confirmant l’interdiction de divulgation.

Confirmation de l’interdiction

(3.1) Le juge peut recevoir et admettre en preuve tout élément qu’il estime digne de foi et approprié — même si le droit canadien ne prévoit pas par ailleurs son admissibilité — et peut fonder sa décision sur cet élément.

Preuve

(4) La personne qui veut faire admettre en preuve ce qui a fait l’objet d’une autorisation de divulgation prévue au paragraphe (2), mais qui ne pourra peut-être pas le faire à cause des règles d’admissibilité applicables à l’instance, peut demander à un juge de rendre une ordonnance autorisant la production en preuve des renseignements, du résumé ou de l’aveu dans la forme ou aux conditions que celui-ci détermine, dans la mesure où telle forme ou telles conditions sont conformes à l’ordonnance rendue au titre du paragraphe (2).

Admissibilité en preuve

(5) Pour l’application du paragraphe (4), le juge prend en compte tous les facteurs qui seraient pertinents pour statuer sur l’admissibilité en preuve au cours de l’instance.

Facteurs pertinents

38.07 Le juge peut ordonner au procureur général du Canada d’aviser de l’ordonnance rendue en application de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) toute personne qui, de l’avis du juge, devrait être avisée.

Avis de la décision

38.08 Si le juge conclut qu’une partie à l’instance dont les intérêts sont lésés par une ordonnance rendue en application de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) n’a pas eu la possibilité de présenter ses observations au titre de l’alinéa 38.04(5)d), il renvoie l’ordonnance à la Cour d’appel fédérale pour examen.

Examen automatique

38.09 (1) Il peut être interjeté appel d’une ordonnance rendue en application de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) devant la Cour d’appel fédérale.

Appel à la Cour d’appel fédérale

(2) Le délai dans lequel l’appel peut être interjeté est de dix jours suivant la date de l’ordonnance frappée d’appel, mais la Cour d’appel fédérale peut le proroger si elle l’estime indiqué en l’espèce.

Délai

38.1 Malgré toute autre loi fédérale :

a) le délai de demande d’autorisation d’en appeler à la Cour suprême du Canada est de dix jours suivant le jugement frappé d’appel, mais ce tribunal peut proroger le délai s’il l’estime indiqué en l’espèce;

b) dans les cas où l’autorisation est accordée, l’appel est interjeté conformément au paragraphe 60(1) de la Loi sur la Cour suprême, mais le délai qui s’applique est celui qu’a fixé la Cour suprême du Canada.

Délai de demande d’autorisation d’en appeler à la Cour suprême du Canada

38.11 (1) Les audiences prévues au paragraphe 38.04(5) et l’audition de l’appel ou de l’examen d’une ordonnance rendue en application de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) sont tenues à huis clos et, à la demande soit du procureur général du Canada, soit du ministre de la Défense nationale dans le cas des instances engagées sous le régime de la partie III de la Loi sur la défense nationale, elles ont lieu dans la région de la capitale nationale définie à l’annexe de la Loi sur la capitale nationale.

Règles spéciales

(2) Le juge saisi d’une affaire au titre du paragraphe 38.04(5) ou le tribunal saisi de l’appel ou de l’examen d’une ordonnance rendue en application de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) donne au procureur général du Canada — et au ministre de la Défense nationale dans le cas d’une instance engagée sous le régime de la partie III de la Loi sur la défense nationale — la possibilité de présenter ses observations en l’absence d’autres parties. Il peut en faire de même pour les personnes qu’il entend en application de l’alinéa 38.04(5)d).

Présentation d’arguments en l’absence d’autres parties

38.12 (1) Le juge saisi d’une affaire au titre du paragraphe 38.04(5) ou le tribunal saisi de l’appel ou de l’examen d’une ordonnance rendue en application de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) peut rendre toute ordonnance qu’il estime indiquée en l’espèce en vue de protéger la confidentialité des renseignements sur lesquels porte l’audience, l’appel ou l’examen.

Ordonnance de confidentialité

(2) Le dossier ayant trait à l’audience, à l’appel ou à l’examen est confidentiel. Le juge ou le tribunal saisi peut ordonner qu’il soit placé sous scellé et gardé dans un lieu interdit au public.

Dossier

38.13 (1) Le procureur général du Canada peut délivrer personnellement un certificat interdisant la divulgation de renseignements dans le cadre d’une instance dans le but de protéger soit des renseignements obtenus à titre confidentiel d’une entité étrangère — au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la protection de l’information — ou qui concernent une telle entité, soit la défense ou la sécurité nationales. La délivrance ne peut être effectuée qu’après la prise, au titre de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, d’une ordonnance ou d’une décision qui entraînerait la divulgation des renseignements devant faire l’objet du certificat.

Certificat du procureur général du Canada

(2) Dans le cas d’une instance engagée sous le régime de la partie III de la Loi sur la défense nationale, le procureur général du Canada ne peut délivrer de certificat qu’avec l’assentiment du ministre de la Défense nationale donné personnellement par celui-ci.

Instances militaires

(3) Le procureur général du Canada fait signifier une copie du certificat :

a) à la personne qui préside ou est désignée pour présider l’instance à laquelle sont liés les renseignements ou, à défaut de désignation, à la personne qui est habilitée à effectuer la désignation;

b) à toute partie à l’instance;

c) à toute personne qui donne l’avis prévu à l’article 38.01 dans le cadre de l’instance;

d) à toute personne qui, dans le cadre de l’instance, a l’obligation de divulguer ou pourrait divulguer ou faire divulguer les renseignements à l’égard desquels le procureur général du Canada a été avisé en application de l’article 38.01;

e) à toute partie aux procédures engagées en application du paragraphe 38.04(5) ou à l’appel d’une ordonnance rendue en application de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) en ce qui concerne les renseignements;

f) au juge qui tient une audience en application du paragraphe 38.04(5) et à tout tribunal saisi de l’appel ou de l’examen d’une ordonnance rendue en application de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) en ce qui concerne les renseignements;

g) à toute autre personne à laquelle, de l’avis du procureur général du Canada, une copie du certificat devrait être signifiée.

Signification

(4) Le procureur général du Canada fait déposer une copie du certificat :

a) auprès de la personne responsable des dossiers relatifs à l’instance;

b) au greffe de la Cour fédérale et à celui de tout tribunal saisi de l’appel ou de l’examen d’une ordonnance rendue en application de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3).

Dépôt du certificat

(5) Une fois délivré, le certificat a pour effet, malgré toute autre disposition de la présente loi, d’interdire, selon ses termes, la divulgation des renseignements.

Effet du certificat

(6) La Loi sur les textes réglementaires ne s’applique pas aux certificats délivrés au titre du paragraphe (1).

Exclusion

(7) Dès que le certificat est délivré, le procureur général du Canada le fait publier dans la Gazette du Canada.

Publication

(8) Le certificat ou toute question qui en découle n’est susceptible de révision, de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que sous le régime de l’article 38.131.

Restriction

(9) Le certificat expire à la fin d’une période de quinze ans à compter de la date de sa délivrance et peut être délivré de nouveau.

Durée de validité

38.131 (1) Toute partie à l’instance visée à l’article 38.13 peut demander à la Cour d’appel fédérale de rendre une ordonnance modifiant ou annulant un certificat délivré au titre de cet article pour les motifs mentionnés aux paragraphes (8) ou (9), selon le cas.

Demande de révision du certificat

(2) Le demandeur en avise le procureur général du Canada.

Notification du procureur général du Canada

(3) Dans le cas d’une instance engagée sous le régime de la partie III de la Loi sur la défense nationale, l’avis prévu au paragraphe (2) est donné à la fois au procureur général du Canada et au ministre de la Défense nationale.

Instance militaire

(4) Par dérogation à l’article 16 de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale est constituée d’un seul juge de ce tribunal pour l’étude de la demande.

Juge seul

(5) Pour l’étude de la demande, le juge peut recevoir et admettre en preuve tout élément qu’il estime digne de foi et approprié — même si le droit canadien ne prévoit pas par ailleurs son admissibilité — et peut se fonder sur cet élément pour rendre sa décision au titre de l’un des paragraphes (8) à (10).

Renseignements pertinents

(6) Les articles 38.11 et 38.12 s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, à la demande présentée au titre du paragraphe (1).

Règles spéciales et ordonnance de confidentialité

(7) Le juge étudie la demande le plus tôt possible, mais au plus tard dans les dix jours suivant la présentation de la demande au titre du paragraphe (1).

Traitement expéditif

(8) Si le juge estime qu’une partie des renseignements visés par le certificat ne porte pas sur des renseignements obtenus à titre confidentiel d’une entité étrangère — au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la protection de l’information — ou qui concernent une telle entité ni sur la défense ou la sécurité nationales, il modifie celui-ci en conséquence par ordonnance.

Modification du certificat

(9) Si le juge estime qu’aucun renseignement visé par le certificat ne porte sur des renseignements obtenus à titre confidentiel d’une entité étrangère — au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la protection de l’information — ou qui concernent une telle entité, ni sur la défense ou la sécurité nationales, il révoque celui-ci par ordonnance.

Révocation du certificat

(10) Si le juge estime que tous les renseignements visés par le certificat portent sur des renseignements obtenus à titre confidentiel d’une entité étrangère — au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la protection de l’information — ou qui concernent une telle entité, ou sur la défense ou la sécurité nationales, il confirme celui-ci par ordonnance.

Confirmation du certificat

(11) La décision du juge rendue au titre de l’un des paragraphes (8) à (10) est définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d’appel ni de révision judiciaire.

Caractère définitif de la décision

(12) Dès que possible après la décision du juge, le procureur général du Canada fait publier dans la Gazette du Canada, avec mention du certificat publié antérieurement :

a) le certificat modifié au titre du paragraphe (8);

b) un avis de la révocation d’un certificat au titre du paragraphe (9).

Publication

38.14 (1) La personne qui préside une instance criminelle peut rendre l’ordonnance qu’elle estime indiquée en l’espèce en vue de protéger le droit de l’accusé à un procès équitable, pourvu que telle ordonnance soit conforme à une ordonnance rendue en application de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) relativement à cette instance, a une décision en appel ou découlant de l’examen ou au certificat délivré au titre de l’article 38.13.

Protection du droit à un procès équitable

(2) L’ordonnance rendue au titre du paragraphe (1) peut notamment :

a) annuler un chef d’accusation d’un acte d’accusation ou d’une dénonciation, ou autoriser l’instruction d’un chef d’accusation ou d’une dénonciation pour une infraction moins grave ou une infraction incluse;

b) ordonner l’arrêt des procédures;

c) être rendue à l’encontre de toute partie sur toute question liée aux renseignements dont la divulgation est interdite.

Ordonnances éventuelles

38.15 (1) Dans le cas où des renseignements sensibles ou des renseignements potentiellement préjudiciables peuvent être divulgués dans le cadre d’une poursuite qui n’est pas engagée par le procureur général du Canada ou pour son compte, il peut délivrer un fiat et le faire signifier au poursuivant.

Fiat du procureur général du Canada

(2) Le fiat établit la compétence exclusive du procureur général du Canada à l’égard de la poursuite qui y est mentionnée et des procédures qui y sont liées.

Effet du fiat

(3) L’original ou un double du fiat est déposé devant le tribunal saisi de la poursuite — ou d’une autre procédure liée à celle-ci — engagée par le procureur général du Canada ou pour son compte.

Dépôt auprès du juge ou du tribunal

(4) Le fiat ou le double de celui-ci :

a) est une preuve concluante que le procureur général du Canada ou son délégué a compétence pour mener la poursuite qui y est mentionnée ou les procédures qui y sont liées;

b) est admissible en preuve sans qu’il soit nécessaire de prouver la signature ou la qualité officielle du procureur général du Canada.

Preuve

(5) Le présent article ne s’applique pas aux instances engagées sous le régime de la partie III de la Loi sur la défense nationale.

Instances militaires

38.16 Le gouverneur en conseil peut, par règlement, prendre les mesures qu’il estime nécessaires à l’application des articles 38 à 38.15, notamment régir les avis, certificats et fiat.

Règlements

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