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IMM-1316-97

2002 CFPI 727

Angela Chesters (demanderesse)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada représentée par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défenderesse)

et

Conseil des canadiens avec déficiences (intervenant)

Répertorié: Chesters c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Heneghan--Toronto, 7, 8, 9, 10, 11, 14, 15, 16, 17, 18, 21, 22, 23, 24, 25 janvier et 27 juin 2002.

Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Personnes non admissibles -- La demanderesse, atteinte de sclérose en plaques, a été jugée non admissible pour des raisons médicales en vertu de l'art. 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration -- L'art. 19(1)a)(ii) n'est pas contraire aux art. 7 et 15 de la Charte.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Vie, liberté et sécurité -- La demanderesse a été jugée non admissible pour des raisons médicales en vertu de l'art. 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration parce qu'elle souffre de sclérose en plaques et est vraisemblablement susceptible d'entraîner un fardeau excessif pour les services de santé -- Le droit de la demanderesse à la sécurité de sa personne n'a pas été violé par suite de l'application de la disposition relative à la non-admissibilité pour des raisons médicales -- La demanderesse n'a pas été victime d'un acte de l'État -- En tant qu'immigrante éventuelle, elle était sujette à la satisfaction des exigences de la Loi sur l'immigration et du Règlement -- Elle n'avait pas le droit d'entrer au Canada en sa qualité de conjointe d'un citoyen canadien -- Le processus par lequel la demanderesse a été évaluée satisfait aux critères identifiés dans l'arrêt Nova Scotia Pharmaceutical; il existe des outils afin de guider la conduite de l'évaluation médicale et un débat judiciaire; la procédure d'évaluation n'est pas arbitraire; les principes de justice fondamentale ne sont pas enfreints.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Droits à l'égalité -- La demanderesse a été jugée non admissible pour des raisons médicales en vertu de l'art. 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration parce qu'elle souffre de sclérose en plaques et est vraisemblablement susceptible d'entraîner un fardeau excessif pour les services de santé -- L'art. 19(1)a)(ii) ne viole pas l'art. 15 de la Charte -- En l'absence de preuve, les dispositions de la Loi relatives au fardeau excessif n'ont pas d'effets discriminatoires sur les personnes appartenant à la catégorie à laquelle appartient la demanderesse -- Cette affaire ne concerne pas la déficience, mais l'évaluation médicale relativement à des immigrants éventuels au Canada dans le contexte du droit de l'immigration canadien, il n'y a donc aucune discrimination fondée sur un motif énuméré ou analogue.

La demanderesse, une citoyenne allemande, a marié un citoyen canadien qui vivait alors en Angleterre. En 1991, elle a appris qu'elle était atteinte de sclérose en plaques. Lors du transfert du conjoint au Canada en 1994, ils ont décidé de s'y établir en permanence. Elle a présenté une demande de résidence permanente en tant que membre de la catégorie des parents. À cette époque, elle se déplaçait à l'aide d'un fauteuil roulant. Les médecins agréés à qui le dossier avait été confié ont conclu qu'ils s'attendaient à ce que son état évolue et entraîne des hospitalisations et des soins spécialisés répétés, plaçant ainsi un fardeau excessif sur les services de santé et les services sociaux, et qu'elle était, en conséquence, non-admissible en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration. L'agent des visas a souscrit à cette évaluation médicale et il a informé le conjoint de la demanderesse que celle-ci était non-admissible au Canada pour des raisons médicales. Un permis ministériel a néanmoins été délivré à la demanderesse, lui permettant d'être admise au Canada.

La demanderesse conteste, par une action en jugement déclaratoire, la constitutionnalité du sous-alinéa 19(1)a)(ii) au motif qu'il contrevient aux articles 7 et 15 de la Charte. La disposition enfreindrait l'article 7, savoir le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, parce qu'elle place la demanderesse dans une situation d'incertitude quant à son état civil au Canada (source de tension mentale et psychologique) et parce qu'elle dépend de la charité du gouverneur en conseil pour qu'un statut lui soit accordé au Canada. La demanderesse a également allégué que l'absence d'accès aux avantages provinciaux en matière de santé constitue une violation de ses droits en vertu de l'article 7 de la Charte. Elle prétend également que le processus par lequel son état de santé a été évalué était le résultat d'un processus constitutionnellement imprécis. Le droit ne prescrit pas de moyen précis pour évaluer ce qui constitue un «fardeau excessif». La demanderesse soutient que le processus par lequel son évaluation médicale s'est déroulée était vicié sur le plan procédural parce qu'il était basé sur un processus arbitraire qui s'appuyait de manière irrégulière sur un raisonnement stéréotypé concernant les personnes handicapées.

La demanderesse soutient que la disposition relative à l'admissibilité pour des raisons médicales enfreint l'article 15 de la Charte parce qu'elle identifie une catégorie de gens qui doivent être choisis et faire l'objet d'un examen plus approfondi sur la base d'une maladie ou d'une invalidité. Si, selon l'argument, la disposition n'est pas discriminatoire comme telle, elle viole quand même le droit à l'égalité parce qu'elle crée une discrimination par suite d'un effet préjudiciable. L'intervenant soutient en outre que la disposition est également viciée par l'omission d'aborder la contribution potentielle pouvant être faite pour le Canada par des personnes souffrant de déficiences.

Jugement: l'action doit être rejetée.

Dans l'arrêt Law c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, la Cour suprême du Canada propose une analyse en trois étapes relativement à une allégation fondée sur l'article 15. La première étape consiste à déterminer si le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration établit entre la demanderesse et une autre personne ou un autre groupe avec lequel elle pourrait être comparée de manière appropriée, une distinction fondée sur une ou plusieurs caractéristiques personnelles, créant ainsi une inégalité. Même si la demanderesse propose que les conjoints physiquement aptes constituent le groupe de comparaison, c'est la catégorie des parents qui constitue le groupe de comparaison approprié--la qualité en vertu de laquelle la demanderesse visait à être admise au Canada.

L'application du sous-alinéa 19(1)a)(ii) n'a pas donné lieu à une différence de traitement relativement au groupe de comparaison. L'application de cette disposition a des conséquences différentes selon les personnes, puisque celles qui sont jugées admissibles pour des raisons médicales auront la permission d'entrer au Canada, en autant qu'elles satisfont aux autres exigences de la Loi sur l'immigration et du Règlement. Celles qui sont jugées non admissibles pour des raisons médicales ne seront pas autorisées à entrer au Canada, sans égard au fait qu'elles satisfassent aux autres exigences. En l'absence de preuve à cet effet, les dispositions de la Loi relatives au fardeau excessif n'ont pas d'effets discriminatoires sur des personnes appartenant à la catégorie à laquelle appartient la demanderesse. De plus, l'argumentation relative aux effets préjudiciables est sujette au contexte juridique prévalant en l'espèce--l'admissibilité des personnes qui, en vertu du droit de l'immigration, cherchent à entrer au Canada. L'entrée constitue un droit exclusif aux citoyens canadiens et aux résidents permanents. Il s'agit d'un privilège pour les autres et son octroi est du ressort du gouvernement du Canada qui a le droit d'établir des normes d'entrée, y compris une évaluation relative au fardeau excessif éventuel pour les services de santé.

Le sous-alinéa 19(1)a)(ii) n'est dirigé vers aucun des motifs énoncés dans le paragraphe 15(1) de la Charte. Il est dirigé vers le fardeau excessif. L'argument de discrimination fondée sur un motif analogue doit être rejeté. La disposition en cause met l'accent sur le fardeau excessif, non sur une maladie ou une invalidité. Contrairement à la position adoptée par la demanderesse, cette affaire ne concerne pas la déficience, mais l'évaluation médicale relativement à des immigrants éventuels au Canada dans le contexte du droit de l'immigration canadien. De par sa nature, la législation régissant l'immigration doit être sélective. Le processus d'évaluation des examens médicaux en vue de déterminer s'il y a un fardeau excessif pour les services de santé canadiens constitue un aspect du processus d'examen dont les immigrants éventuels font l'objet. Ces éléments ne sont pas visés par les motifs énumérés au paragraphe 15(1) ou par un motif analogue.

Dans l'arrêt Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, la Cour suprême a conclu que la garantie constitutionnelle de sécurité de la personne ne protège pas contre «les tensions et angoisses ordinaires qu'une personne ayant une sensibilité raisonnable éprouverait par suite d'un acte gouvernemental». Le droit de la demanderesse à la sécurité de sa personne n'a pas été violé par suite de l'application de la disposition relative à la non-admissibilité pour des raisons médicales. Elle n'a pas été victime d'un acte de l'État. En tant qu'immigrante éventuelle, elle était sujette à la satisfaction des exigences de la Loi sur l'immigration et du Règlement. Elle n'avait pas le droit d'entrer au Canada en sa qualité de conjointe d'un citoyen canadien.

Relativement à l'application du sous-alinéa 19(1)a)(ii), il n'y a pas eu violation de l'article 7 de la Charte en raison de l'imprécision. Le processus avec lequel la demanderesse a été évaluée satisfait aux critères identifiés dans l'arrêt Nova Scotia Pharmaceutical. Il existe des outils afin de guider la conduite de l'évaluation médicale et un débat judiciaire. La procédure d'évaluation n'est pas arbitraire. Les principes de justice fondamentale ne sont pas enfreints.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7, 8, 15, 24.

Déclaration universelle des droits de l'homme, Res AG 217 A (III), Doc. Off. AGNU, 10 décembre 1948.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 3 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 2), 8, 11(1), 19(1)a)(ii), 38 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 27).

Régime de pension du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8.

Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 22 (mod. par DORS/78-316, art. 2).

jurisprudence

décisions appliquées:

Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497; (1999), 170 D.L.R. (4th) 1; 43 C.C.E.L. (2d) 49; 236 N.R. 1; Granovsky c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2000] 1 R.C.S. 703; (2000), 186 D.L.R. (4th) 1; 50 C.C.E.L. (2d) 177; 253 N.R. 329; Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3; (1999), 176 D.L.R. (4th) 1; [1999] 10 W.W.R. 1; 127 B.C.A.C. 161; 66 B.C.L.R. (3d) 253; 46 C.C.E.L. (2d) 206; 244 N.R. 145; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203; (1999), 173 D.L.R. (4th) 1; [1999] 3 C.N.L.R. 19; 239 N.R. 1; R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495; (1988), 67 O.R. (2d) 63; 55 D.L.R. (4th) 673; 45 C.C.C. (3d) 296; 66 C.R. (3d) 297; 89 N.R. 1; 30 O.A.C. 241; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606; (1992), 114 N.S.R. (2d) 91; 93 D.L.R. (4th) 36; 313 A.P.R. 91; 74 C.C.C. (3d) 289; 43 C.P.R. (3d) 1; 15 C.R. (4th) 1; 10 C.R.R. (2d) 34; 139 N.R. 241; Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46; (1999), 216 N.B.R. (2d) 25; 177 D.L.R. (4th) 124; 26 C.R. (5th) 203; 244 N.R. 276; 50 R.F.L. (4th) 63.

décision examinée:

Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161.

décisions citées:

Irshad (Litigation guardian of) c. Ontario (Minister of Health) (2001), 55 O.R. (3d) 43; 197 D.L.R. (4th) 103; 141 O.A.C. 239 (C.A.); Prata c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376; (1975), 52 D.L.R. (3d) 383; 3 N.R. 484; Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 100 F.T.R. 139; 29 Imm. L.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.); Poon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 198 F.T.R. 56; 10 Imm. L.R. (3d) 75 (C.F. 1re inst.); Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868; (1999), 181 D.L.R. (4th) 385; [2000] 1 W.W.R. 565; 131 B.C.A.C. 280; 70 B.C.L.R. (3d) 215; 47 M.V.R. (3d) 167; 249 N.R. 45; Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679; (1992), 93 D.L.R. (4th) 1; 92 CLLC 14,036; 10 C.R.R. (2d) 1; 139 N.R. 1.

ACTION en jugement déclarant que la disposition relative à la non-admissibilité pour raisons médicales de la Loi sur l'immigration (sous-alinéa 19(1)a)(ii)) est discriminatoire et inconstitutionnelle parce qu'elle viole les droits à la sécurité de la personne et à l'égalité prévus aux articles 7 et 15 de la Charte. Action rejetée.

ont comparu:

Ronald P. Poulton et Ena Chadha pour la demanderesse.

Debra M. McAllister, Diane B. N. Dagenais et Ann Margaret Oberst pour la défenderesse.

J. David Baker pour l'intervenant.

avocats inscrits au dossier:

Mamann & Associates, Toronto, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Bakerlaw, Toronto, pour l'intervenant.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Heneghan:

INTRODUCTION

[1]Mme Angela Chesters (la demanderesse) vise à obtenir une déclaration à l'effet que la disposition concernant la non-admissibilité pour des raisons d'ordre médical de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, dans sa forme modifiée (la Loi), au sous-alinéa 19(1)a)(ii), est discriminatoire et inconstitutionnelle, parce qu'elle porte atteinte aux garanties de sécurité de la personne et d'égalité prévues dans la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte), aux articles 7 et 15.

FAITS

[2]La demanderesse est une citoyenne allemande. Elle a été élevée et éduquée en Allemagne et elle a obtenu un certificat d'enseignement de premier cycle en 1980. Cela l'autorisait à enseigner les langues étrangères et, en 1981, elle a obtenu un poste à durée déterminée pour enseigner les langues étrangères en Irlande du Nord.

[3]Elle a, par la suite, poursuivi des études de deuxième cycle en histoire à l'Université du Nouveau-Mexique à Los Alamos. Elle a obtenu une maîtrise de cette université en 1989. Elle a commencé des recherches en vue de poursuivre des études de doctorat en histoire, mais elle a éprouvé des difficultés à se trouver un directeur de thèse. En 1987, la demanderesse est retournée en Allemagne et a pris un emploi à Francfort. À cette époque, elle a rencontré M. Robin Chesters et une relation romantique s'est développée entre eux. En janvier 1991, la demanderesse a déménagé en Angleterre, là où M. Chesters travaillait alors.

[4]Alors qu'elle vivait en Angleterre, la demanderesse a décidé de se lancer dans un autre programme d'études et elle s'est inscrite à l'Université de Kingston dans le Surrey, en Angleterre, afin d'obtenir un diplôme en technologie de l'information. À cette époque, la demanderesse éprouvait des difficultés à marcher, cela faisaient suite à des problèmes qu'elle avait ressentis en 1985. Elle a subi des examens médicaux en août 1991 au Maida Vale Hospital, à Londres. Ces examens comprenaient des examens physiques et un test d'imagerie par résonance magnétique (IRM). Le 23 septembre 1991, la demanderesse a été avisée par son médecin qu'elle souffrait de la sclérose en plaques.

[5]Ce diagnostic a créé un choc important pour la demanderesse. Elle a décrit sa réaction comme en étant une de torpeur. Cependant, cela ne l'a pas dissuadée de continuer les études qu'elle projetait et elle a commencé son programme à l'Université de Kingston en septembre 1991, comme prévu. Le diagnostic de sclérose en plaques n'a pas empêché la demanderesse de poursuivre ces études additionnelles et cela n'a pas dérangé ses plans de mariage et, le 20 décembre 1991, la demanderesse se mariait avec M. Robin Chesters.

[6]Avant leur mariage, ils avaient élaboré des plans pour des enfants dans le futur. Bien que M. Chesters n'était pas aussi intéressé que sa femme à cette idée, la demanderesse a affirmé, dans son témoignage que, à la suite de discussions entre eux, il a acquiescé au fait qu'ils auraient au moins un enfant. Ils ont convenu de cette entente après le diagnostic de sclérose en plaques et avant leur mariage.

[7]Après son diagnostic, on n'a prescrit aucune forme de traitement particulier à la demanderesse, à part des médicaments relatifs à une incontinence urinaire permanente. Elle a commencé une série de consultations médicales à des intervalles semestriels et cela s'est poursuivi jusqu'en 1994, lorsqu'elle a quitté l'Angleterre. À l'exception d'un examen médical comprenant un IRM dont la demanderesse a eu besoin pour son emploi ultérieur en Allemagne, son traitement médical depuis 1991 était constitué de consultations et d'examens, ainsi que d'un traitement continu, y compris des médicaments sur ordonnance, pour l'incontinence.

[8]La demanderesse a achevé son programme d'études et a obtenu une maîtrise en sciences et en technologie de l'information en octobre 1992. Le programme de cours avait nécessité une composante «travail» qu'elle a achevée au Hammersmith Hospital. La demanderesse a utilisé un fauteuil roulant entre avril et juin 1992, mais elle a, par ailleurs, été en mesure de marcher et de prendre les autobus et les taxis pour son transport.

[9]Après l'obtention du diplôme à l'Université de Kingston, y compris le travail connexe au Hammersmith Hospital, la demanderesse a obtenu un travail contractuel à la British Broadcasting Corporation (BBC). À cette époque, la demanderesse et son mari vivaient à Hampton Wick, à environ 11 milles (17,7 kilomètres) à l'ouest de Londres et elle se rendait quotidiennement à Londres. Elle travaillait à temps plein et sa semaine moyenne de travail, y compris le temps du déplacement, était de 70 heures par semaine. La demanderesse a affirmé, dans son témoignage, qu'elle travaillait également à la maison pendant les fins de semaine. Son contrat avec la BBC s'est terminé en avril 1993.

[10]À la fin de 1992, début 1993, la demanderesse avait commencé à utiliser un fauteuil roulant manuel qu'elle poussait avec ses bras. À la fin de 1993, la demanderesse utilisait un fauteuil roulant en tout temps. En 1994, elle a eu un fauteuil électrique et au début de 1995, elle l'utilisait à temps plein.

[11]En mai 1993, la demanderesse a voyagé jusqu'à Toronto, en Ontario, avec son mari. M. Chesters se rendait à une conférence. C'était la première fois que la demanderesse visitait le Canada et elle accompagnait son mari en vue de se relocaliser au Canada, de s'établir avec une famille. M. Chesters, originaire de l'Afrique du Sud, avait immigré au Canada en 1971 et était, par la suite, devenu un citoyen canadien. Il considérait le Canada comme son foyer d'adoption.

[12]En 1994, M. Chesters travaillait en Angleterre pour la General Electric. Il a demandé d'être transféré au Canada et, en mai 1994, il s'est présenté une occasion pour qu'il retourne au Canada pour travailler sur un projet spécial. La demanderesse et son mari ont discuté de l'occasion et ils ont décidé de se réinstaller au Canada. Il est alors devenu nécessaire pour la demanderesse de demander le statut d'immigrant au Canada et, le 16 juin 1994, elle a présenté sa demande de résidence permanente, en tant que membre de la catégorie des parents, au Haut-commissariat du Canada à Londres.

[13]La demande de résidence permanente de la demanderesse, accompagnée de l'engagement signé par son mari et d'une lettre d'accompagnement, a été livrée au Haut-commissariat du Canada à Londres le 16 juin 1994, par son mari, M. Robin Chesters. À ce moment-là, M. Chesters a rencontré M. Ernest Alston, un agent des visas au Haut-commissariat. Selon la pratique habituelle, la demande a fait l'objet d'une décision préliminaire concernant son admissibilité.

[14]Selon les notes de cas informatisées conservées par l'agent des visas, ainsi que le témoignage de M. Chesters, M. Alston a émis des commentaires concernant l'état de sclérose en plaques de la demanderesse et l'a avisé que cela pouvait constituer un obstacle à son admission au Canada. Cependant, encore une fois selon la pratique habituelle, comme l'a expliqué Mme Joan Atkinson, actuellement sous-ministre adjointe du développement des politiques et des programmes au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, la demanderesse a été avisée qu'elle devrait subir un examen médical à ses propres risques et frais.

[15]Tous les immigrants éventuels au Canada doivent subir un examen médical, selon le témoignage de Mme Atkinson. La demande pour subir un examen médical ne constitue pas un engagement qu'un demandeur potentiel de résidence permanente serait accepté.

[16]On a fourni à la demanderesse les noms de trois médecins désignés (MD). Les MD sont des médecins locaux qui sont recrutés par le gouvernement du Canada afin d'effectuer des examens médicaux pour les demandeurs de visa outre-mer.

[17]La demanderesse a décidé d'aller voir le Dr Roodyn, ce qu'elle a fait le 20 juin  1994. Il a effectué un examen médical de base et il a pris des dispositions pour que la demanderesse subisse une radiographie pulmonaire et des examens hématologiques. Il a obtenu les antécédents médicaux personnels de la demanderesse par suite d'un processus de questions et réponses; il ne possédait pas de copie de sa demande de visa et, selon la demanderesse, il ne l'a pas interrogée concernant son emploi, sa formation, ses antécédents professionnels ou ses projets d'avenir.

[18]Le Dr Roodyn a rempli les parties du rapport médical qu'il devait remplir, y compris l'examen médical, l'examen physique ainsi que ses notes abordant des sujets particuliers, y compris une conclusion ainsi qu'un diagnostic. Sa conclusion précisait ce qui suit:

[traduction] La sclérose en plaques semble être stable en ce moment, mais de nouvelles attaques de démyélinisation constituent une possibilité, toujours présente. Elle se déplace à l'aide d'un fauteuil roulant et, avec les années, elle aura besoin de plus en plus de soins infirmiers. Je ne l'admettrais pas, pour des raisons médicales, comme apte pour l'immigration.

[19]La demanderesse s'est rendue à son examen médical devant le MD le 20 juin. Dans une lettre datée du 22 juin 1994, son mari a avisé le Haut-commissariat qu'ils avaient l'intention de quitter l'Angleterre pour le Canada dans les semaines à venir. M. Chesters, à ce moment-là, demandait des renseignements au sujet du statut de la demande de la demanderesse. M. Alston a répondu par téléphone le 24 juin 1994 et l'a avisé que le traitement de la demande n'était pas terminé et que la demanderesse pouvait se rendre au Canada avec un visa de visiteur. C'est ce qu'elle a fait.

[20]Ce rapport médical a été acheminé au Haut-commissariat à Londres où il a été examiné par un agent des visas. Il a été décidé que de plus amples renseignements étaient nécessaires concernant l'état de la demanderesse et, le 13 juillet  1994, une lettre a été expédiée à la demanderesse, signée par le Dr Elliott, demandant que de plus amples renseignements soient fournis. La lettre demandait en particulier le rapport le plus récent d'un neurologue. Le processus de demander de plus amples renseignements au sujet de l'état de santé de la demanderesse était connu comme [traduction] «l'approfondissement» de l'examen médical initial.

[21]La demanderesse a présenté, en temps opportun, de plus amples renseignements, consistant en des lettres et des rapports à partir de l'époque du diagnostic initial de sclérose en plaques, en août 1991, jusqu'à une lettre datée du 29 juillet  1994 de son médecin de famille, le DGiovanna Mallucci. Aucun renseignement nouveau n'était disponible à ce moment-là et le Dr Mallucci a terminé sa lettre en disant qu'il n'y avait [traduction] «rien qu'elle ne puisse apporter de plus».

[22]Les résultats de l'examen médical et des renseignements additionnels ont été présentés au bureau médical du Haut-commissariat. Les deux médecins agréés qui ont été impliqués dans l'évaluation du cas de la demanderesse étaient le Dr A. Williams et le Dr John Lazarus.

[23]Le Dr Williams, bien qu'étant un médecin formé au Canada, ne faisait pas partie du personnel permanent du Haut-commissariat du Canada. Il était engagé à contrat et son travail consistait à examiner les examens médicaux effectués par les MD, dans le but de contrôler les rapports préparés pour les demandeurs de résidence permanente au Canada.

[24]Selon le Dr Lazarus, le rapport médical du Dr Roodyn ainsi que les renseignements additionnels fournis en réponse à la lettre du 13 juillet 1994 ont été d'abord examinés par le Dr Williams lorsque ces renseignements ont été expédiés à la section médicale du Haut-commissariat. Le Dr Williams a préparé une feuille de travail avec un profil médical préliminaire, en utilisant les lignes directrices fournies dans le Guide du médecin. Il a évalué la demanderesse comme «M1 D4 T4 S1 E4 M7». Il a expédié la feuille de travail au Dr Lazarus, lui demandant son opinion.

[25]Le Dr Lazarus a examiné les renseignements concernant la demanderesse. Il a porté une attention particulière au résumé à la sortie daté du 26 août 1991 pour le National Hospital for Nervous Diseases à Londres. Ce rapport indiquait le diagnostic de sclérose en plaques.

[26]Il a affirmé, dans son témoignage, qu'il avait également consulté le Guide du médecin concernant la gestion et le traitement de la sclérose en plaques dans le contexte canadien. Il a également fait appel à son expérience de la maladie, résultant de ses années de pratique au Canada comme omnipraticien et spécialiste agréé dans le domaine de la médecine familiale, en plus de son expérience de médecin agréé dans la fonction publique fédérale.

[27]Le Dr Lazarus a conclu que l'état de sclérose en plaques de la demanderesse la plaçait dans la catégorie des personnes non admissibles pour des raisons médicales, conformément au sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, parce qu'elle était vraisemblablement susceptible de nécessiter de futurs services de santé et services médicaux au Canada qui tomberaient dans la catégorie des fardeaux excessifs.

[28]Cependant, le Dr Lazarus a également émis l'opinion qu'avec l'utilisation de certains médicaments, par exemple, l'interféron, il était possible que l'état de la demanderesse dans le futur s'améliore suffisamment pour qu'elle ne soit plus non admissible pour des raisons médicales. Par conséquent, il a changé le facteur d'admissibilité pour des raisons médicales, ou son profil, de «M7» à «M5». Cette reclassification reconnaît la possibilité que le statut médical de la demanderesse puisse changer.

[29]Le Dr Lazarus a rempli la partie narrative du formulaire d'avis médical et il l'a signée, en tant que premier signataire. Le Dr Williams l'a examinée et y a souscrit en fournissant la deuxième signature. La narration dit, en partie, ce qui suit:

[traduction] Cette demanderesse a la sclérose en plaques et . . . se déplace à l'aide d'un fauteuil roulant. On s'attend à ce que son état évolue occasionnant des hospitalisations et des soins spécialisés répétés, plaçant un fardeau excessif sur les services de santé et les services sociaux. Non admissible en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi.

[30]Le Dr Lazarus a affirmé, dans son témoignage, que l'avis médical était basé sur des facteurs médicaux. Il s'agit d'une décision discrétionnaire faisant appel à l'expérience du médecin agréé. La question du «fardeau excessif» n'est pas définie, mais la jurisprudence de la Cour fédérale, le Règlement sur l'immigration de 1978 [DORS/78-172] [le Règlement] et le Guide du médecin donnent des indications. Le «fardeau excessif» est considéré comme plus élevé que la moyenne lorsqu'il est évalué par rapport à la moyenne du coût par habitant de la fourniture des soins médicaux au Canada.

[31]Cette interprétation du fardeau excessif et de la façon dont elle est appliquée aux personnes demandant le droit d'établissement a également été exprimée par le Dr Axler, un ancien médecin agréé qui a témoigné en faveur de la demanderesse, et par le Dr Giovannazo, un médecin principal, qui a témoigné en faveur de la défenderesse.

[32]Ces trois médecins ont également témoigné que l'évaluation médicale avait été effectuée sur une base individuelle, en tenant compte de la demanderesse individuelle. Le médecin agréé ne prend aucune décision concernant la délivrance d'un visa, mais il ne fournit qu'une évaluation médicale.

[33]Les médecins agréés en sont venus à la conclusion, le 24 septembre 1994, que la demanderesse était non admissible au Canada pour des raisons médicales. Cette décision a été communiquée à l'agent des visas le 6 octobre 1994. Aucun avis officiel écrit de cette décision n'a jamais été envoyé à la demanderesse, mais le 14 novembre 1994, le mari de la demanderesse a reçu un appel téléphonique de M. Alston à Londres. M. Alston a dit à M. Chesters qu'il avait été décidé que la demanderesse était non admissible au Canada pour des raisons médicales en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi.

[34]Au cours de la même conversation du 14 novembre 1994, M. Alston avait avisé M. Chesters qu'il se renseignerait sur la possibilité d'obtenir un permis ministériel qui permettrait à la demanderesse d'entrer au Canada avec son mari. Un permis ministériel constitue une mesure discrétionnaire qui est disponible afin de permettre à une personne, qui n'est pas autrement admissible, d'entrer au Canada.

[35]La demanderesse a appris la décision de sa non-admissibilité pour des raisons médicales par l'intermédiaire de son mari qui lui a fait part de la conversation qu'il avait eue avec M. Alston. Elle a été très affectée et elle ne pouvait pas croire qu'elle, en tant qu'épouse d'un citoyen canadien, se voyait refuser l'admission au Canada en raison de son état de santé. Elle voyait la décision comme étant discriminatoire. Elle a immédiatement cherché à remédier à cette situation.

[36]Dès leur arrivée au Canada, la demanderesse et son mari se sont établis à Mississauga. Ils ont loué un appartement. M. Chesters travaillait à la General Electric. La demanderesse s'est rendue dans les bibliothèques publiques afin de faire de la recherche sur les rouages du système d'immigration canadien. Elle a communiqué avec la Société canadienne de la sclérose en plaques. Elle a travaillé comme bénévole au Erindale College.

[37]Lorsqu'elle a appris, en novembre 1994, la décision relativement à son évaluation médicale, elle a commencé à écrire une série de lettres à M. Alston au Haut-commissariat à Londres et au moins une lettre à M. Sergio Marchi, alors ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration. Elle a demandé des renseignements au sujet de la disponibilité d'un permis de travail et de la signification du permis ministériel. Elle n'a pas rejeté l'idée d'être admise au Canada en vertu d'un permis ministériel et, le 24 janvier 1995, dans le cadre de ce processus, elle s'est rendue avec son mari à une entrevue aux bureaux d'Immigration Canada à Mississauga.

[38]Cette entrevue a été conduite par Mme Donna Reid-Moncrieffe, une agente des visas. La situation personnelle de la demanderesse, y compris sa formation et son expérience de travail antérieure, ont été examinées par Mme Reid-Moncrieffe qui a émis une recommandation positive concernant la délivrance d'un permis ministériel.

[39]Cette recommandation a été acheminée au bureau régional en Ontario. Le dossier a été examiné et la recommandation a été confirmée. L'approbation a été acheminée à M. Alston à Londres. Dans une lettre datée du 12 avril 1995, M. Alston a informé la demanderesse et son mari qu'un permis ministériel serait délivré. Il leur a également indiqué la procédure à suivre, c'est-à-dire de se rendre à un endroit situé à l'extérieur du Canada pour la validation du permis après le paiement des droits nécessaires. Il a également avisé la demanderesse qu'elle aurait droit à un permis de travail, encore une fois après paiement des droits requis.

[40]La demanderesse a obtenu un permis ministériel en avril 1995, accompagné d'un permis de travail pour une année. Le permis ministériel était valide pour trois années et il a été renouvelé une fois. La demanderesse a également renouvelé son permis de travail pour une année, bien qu'elle ne soit pas demeurée au Canada.

[41]Le 19 mars 1995, la demanderesse a écrit une lettre demandant explicitement des renseignements au sujet de la signification et de l'importance tant du permis ministériel que de son permis de travail. Elle a posé les questions suivantes:

[traduction]

1. Emploi:

a. pour quelle raison mon permis de travail ne sera-t-il valide que pour une année?

b. qu'arrivera-t-il après ladite année? Est-il possible que le permis soit refusé? Si oui, pendant combien de temps? À plusieurs reprises?

c. est-ce qu'à l'avenir, le permis ne sera renouvelé que pour une année à la fois?

d. devrons-nous payer 125 $ chaque fois pour le renouvellement?

2. De quelles conditions dépendra exactement l'attribution du statut de résident permanent dans un nombre x d'années? Où puis-je obtenir cela par écrit? [Souligné dans l'original.]

[42]La demanderesse a reçu, en temps opportun, une réponse de l'agent d'un bureau de zone d'Immigration Canada, affaires juridiques et contentieux. Cette réponse indiquait en partie ce qui suit:

[traduction] Comme M. Alston vous l'a déjà expliqué, en vertu du para. 38(1), le gouverneur en conseil peut autoriser l'établissement de toute personne qui a résidé continuellement au Canada pendant au moins cinq années, en vertu d'un permis écrit délivré par le ministre. Je suis certain que vous comprendrez que je ne peux prendre aucun engagement concernant les mesures à être prises dans cinq ans. Je désire vous assurer, cependant, qu'à moins que quelque chose de très important et d'imprévu ne survienne, votre situation se réglera favorablement en temps opportun. Vous avez raison d'affirmer que la Charte canadienne des droits et libertés, faisant partie de la Constitution du Canada, est partie intégrante de la loi suprême du Canada. L'article 1 de la Charte précise que «La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique». Le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration considère non admissible au Canada les personnes souffrant de détériorations de la santé qui sont telles que, de l'avis d'un médecin agréé, leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services de santé ou les services sociaux. Ce ministère est convaincu que le sous-alinéa 19(1)a)(ii) ne contrevient pas à la Charte canadienne des droits et libertés.

[43]Pendant ce temps, la demanderesse a cherché un emploi au Canada. Elle a envoyé au moins quatre, et possiblement cinq demandes d'emploi dans le domaine de la technologie de l'information. Elle a témoigné que, compte tenu de la nature de la technologie informatique, chaque jour qu'elle était sans emploi représentait une perte au niveau de la valeur de sa formation dans ce domaine. Elle n'a pas réussi à dénicher du travail.

[44]En décembre 1995, la demanderesse s'est rendue en Allemagne pour une entrevue d'emploi. Le secteur d'emploi proposé était en tant qu'enseignante de langues étrangères à des étudiants qui projetaient d'étudier à l'étranger. Elle a passé environ cinq jours en Allemagne, dont deux jours passés à l'aéroport de Dusseldorf, parce qu'elle n'a pas été en mesure d'obtenir de logement dans une auberge de cette ville.

[45]Elle est revenue au Canada afin de passer Noël avec son mari et, ayant obtenu l'emploi en Allemagne, elle est retournée dans ce pays en janvier 1996. Elle a enseigné à Hagen pendant une année et elle est ensuite retournée faire les études nécessaires afin de compléter son certificat d'enseignement en Allemagne. Elle a achevé ce programme d'études en 1998. Elle a ensuite obtenu un poste dans un collège communautaire situé à environ 80 kilomètres au nord de Cologne, dans le Rhin-Nord-Westphalie.

[46]La demanderesse est demeurée en Allemagne, sans son mari, de janvier 1996 jusqu'à février 1999, lorsque M. Chesters a obtenu un emploi à Cologne. Dans la période précédente, c'est-à-dire entre janvier 1996 et février 1999, la demanderesse a passé environ 12 semaines de chaque année avec son mari. Elle s'est rendue au Canada à Noël et à Pâques, pendant environ trois semaines à la fois, et son mari a passé quelques temps avec elle en Allemagne à l'automne.

[47]Bien que la demanderesse et son mari soient demeurés initialement ensemble, en raison du long trajet que devait faire M. Chesters pour se rendre à son travail à Cologne, la demanderesse et son mari ont convenu qu'il demeurerait à Cologne pendant la semaine de travail, vivant dans un appartement loué, et qu'il passerait les fins de semaine avec elle dans le Rhin-Nord-Westphalie. C'est de cette façon que la demanderesse et son mari travaillent et vivent aujourd'hui.

[48]La demanderesse a été refusée comme demanderesse de résidence permanente au Canada en novembre 1994, mais elle n'a jamais été officiellement avisée de ce refus. L'avis qu'elle a reçu de cette décision a été donné lors d'une conversation téléphonique de M. Alston avec son mari. Simultanément, le sujet de la demande pour un permis ministériel a été soulevé et des mesures ont été entreprises afin d'en arriver à cette fin. Bien que la demanderesse ait envoyé une lettre à Immigration Canada le 16 novembre 1994, demandant un formulaire d'appel relatif à la décision négative, il n'y a pas de preuve que sa lettre ait été reçue. Cependant, il y a une preuve qu'elle n'a pas reçu de formulaire d'appel et qu'elle n'a pris aucune mesure pour en appeler de la décision.

[49]Il y a peu d'éléments de preuve qu'elle ait demandé un avis juridique concernant ses droits ou recours en rapport avec la décision négative de non-admissibilité pour des raisons médicales. Elle n'a pas déposé de demande de contrôle judiciaire. Au lieu de cela, la demanderesse a choisi de contester la constitutionnalité de la disposition relative à la non-admissibilité pour des raisons médicales par voie d'action. Elle a intenté cette action par la délivrance d'une déclaration le 2 avril 1997. Une déclaration amendée a été déposée le 29 juillet 1997.

OBSERVATIONS DE LA DEMANDERESSE

[50]La demanderesse prétend qu'elle a été l'objet de discrimination, parce qu'elle était la femme handicapée d'un citoyen canadien. Elle soutient avoir été traitée différemment de ce que le seraient les conjoints physiquement aptes de citoyens canadiens en demandant la résidence permanente au Canada. Elle soutient que, comme épouse d'un citoyen canadien, elle avait le droit d'entrer au Canada sans égard à son état de santé qui a été incorrectement catégorisé par les représentants d'Immigration Canada comme une déficience.

[51]Elle prétend que, en raison de ce comportement discriminatoire, elle a été blessée, qu'elle a souffert d'une tension mentale et psychologique, que son rejet pour des motifs médicaux l'a amenée à se sentir comme une citoyenne de deuxième classe et indigne de faire partie de la société canadienne, que sa formation et sa capacité à contribuer à la société canadienne ont été ignorées, que ses sentiments d'exclusion et de stigmatisation ont eu un effet négatif sur sa relation avec son mari et qu'ils ont eu un impact négatif sur leur désir d'établir une famille et que l'ultime octroi du permis ministériel constituait un acte de charité mal placée. La délivrance d'un permis ministériel ne remédie pas à ces facteurs préjudiciables, parce que le permis ministériel constitue une mesure discrétionnaire qui ne conduira pas nécessairement à son admission au Canada.

[52]Essentiellement, la demanderesse conteste la constitutionnalité du sous-alinéa 19(1)a)(ii) au motif qu'il contrevient aux articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il enfreint l'article 7, c'est-à-dire le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, en la plaçant dans une situation d'incertitude quant à son état civil au Canada et de dépendance vis-à-vis la charité du gouverneur en conseil en lui octroyant le statut d'être au Canada, que ce soit sur une base temporaire ou sur une base plus permanente par le dépôt d'une demande pour l'octroi de la citoyenneté en vertu de l'article 38 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 27] de la Loi. La demanderesse soutient que cette violation de ses droits conférés par la Charte ne peut être justifiée par l'article premier.

[53]La demanderesse soutient que la tension mentale et psychologique qu'elle a endurée à la suite du rejet de sa demande de résidence permanente en 1994, ainsi que l'incertitude continue liée à son statut de détentrice d'un permis ministériel à la suite de la délivrance dudit permis en 1995, représentent le type de détresse psychologique décrit par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46.

[54]L'article 7 de la Charte garantit la sécurité de la personne. L'application de l'article 7 soulève deux questions, à savoir, est-ce que la vie, la liberté et la sécurité sont engagés et, deuxièmement, est-ce que la législation contestée enfreint les principes de justice fondamentale?

[55]Lorsque le permis ministériel a été octroyé au départ, le système d'assurance-maladie fonctionnant en Ontario, c'est-à-dire le régime d'assurance-maladie de l'Ontario, prévoyait que la couverture médicale serait disponible aux détenteurs de permis ministériels. Cela a été modifié après la délivrance de son permis ministériel en 1995 et, en tant que détentrice d'un permis ministériel, elle n'a plus le droit d'être couverte par le régime d'assurance-maladie provincial. Elle invoque l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario dans Irshad (Litigation guardian of) v. Ontario (Minister of Health) (2001), 55 O.R. (3d) 43, pour justifier l'argument que l'absence d'accès aux avantages provinciaux en matière de santé constitue une violation de ses droits en vertu de l'article 7 de la Charte.

[56]Elle prétend également que le processus par lequel son état de santé a été évalué et par lequel on a conclu qu'il représentait un fardeau excessif pour les services de santé au Canada, représente le résultat d'un processus constitutionnellement imprécis. Le droit est imprécis; il ne prescrit pas de moyen précis pour évaluer ce qui constitue un «fardeau excessif». L'imprécision de la législation donne lieu à une préoccupation légitime quant à sa constitutionnalité. À cet égard, la demanderesse invoque la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606.

[57]La demanderesse soutient que l'évaluation médicale est effectuée sans égard à la situation particulière d'une personne, y compris les antécédents professionnels, la formation, les plans de carrière et les conditions de vie d'une personne en tant qu'épouse d'un citoyen canadien. Elle soumet également que le processus par lequel son évaluation médicale a été conduite était vicié au niveau de la procédure, parce qu'il était basé sur un processus arbitraire qui s'appuyait de manière irrégulière sur un raisonnement stéréotypé concernant les personnes handicapées.

[58]De plus, elle soutient que l'évaluation médicale a été viciée au niveau de la procédure, parce que le Dr Williams, qui a fourni le deuxième avis, n'avait pas le pouvoir de fournir la deuxième signature concernant une personne non admissible pour des raisons médicales. Son pouvoir de signer, dans de tels cas, était limité à la première signature. Elle a invité la Cour à tirer une inférence négative de l'omission de la défenderesse de faire témoigner le Dr Williams au procès.

[59]Elle soutient que l'article 3 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 2] de la Loi expose les buts de la Loi. L'article 15 de la Charte s'applique à tous, citoyen ou non. La Charte constitue l'expression de la loi suprême du Canada et doit guider l'interprétation et l'application des lois canadiennes.

[60]La Loi sur l'immigration prétend encourager la réunification des familles. Cela est compatible avec la Déclaration universelle des droits de l'homme [Rés. AG 217 A (III), Doc. off. AG UN, 10 décembre 1948] qui reconnaît la valeur de la réunification des familles. Une interprétation et une application de la Loi qui sont en contradiction avec la Charte et la Déclaration universelle des droits de l'homme sont inconstitutionnelles.

[61]Ensuite, la demanderesse soutient que la disposition relative à l'admissibilité pour des raisons médicales enfreint l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, parce qu'elle identifie une catégorie de gens qui doivent être choisis et faire l'objet d'un examen plus approfondi sur la base d'une maladie ou d'une invalidité. Elle affirme que le langage est, comme tel, discriminatoire à sa face même et qu'il a comme effet d'identifier une catégorie particulière de gens en vue d'un traitement spécial d'exclusion.

[62]Subsidiairement, la demanderesse soutient que, si la disposition n'est pas discriminatoire comme telle, elle viole toujours la garantie d'égalité, parce qu'elle crée une discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Elle occasionne des conséquences, de manière irrégulière, sur un groupe distinct de gens qui sont déjà vulnérables face à la discrimination.

[63]Elle soutient que le fait de s'appuyer sur des caractéristiques personnelles, telles qu'une déficience, pour décider de l'aptitude pour l'admission au Canada, constitue une pratique discriminatoire et que cela enfreint la Constitution. À cet égard, la demanderesse invoque la décision de la Cour suprême du Canada dans Granovsky c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2000] 1 R.C.S. 703 qui identifie des éléments de discrimination. Elle soutient que le Guide du médecin, qui a pour but de guider la manière avec laquelle l'admissibilité pour des raisons médicales est évaluée, est vicié. Il est conçu pour mettre l'accent sur des degrés de déficience et pour perpétuer une vision stéréotypée de la déficience en évaluant l'aptitude pour l'admission au Canada.

[64]La demanderesse prétend que le sous-alinéa 19(1)a)(ii) est inconstitutionnel, parce qu'il enfreint les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et qu'il ne peut être justifié en vertu de l'article premier.

OBSERVATIONS DE L'INTERVENANT

[65]Le Conseil des Canadiens avec déficiences (l'intervenant) adopte l'argumentation avancée par la demanderesse. Il soumet en outre que le sous-alinéa 19(1)a)(ii) est vicié en plus par l'omission d'aborder la contribution potentielle pouvant être faite pour le Canada par des personnes souffrant de déficiences. En bref, l'intervenant soutient que l'omission du Parlement de tenir compte de ce facteur est contraire aux critères d'admission de la Loi sur l'immigration, indiqués à l'article 3.

[66]L'intervenant soutient que la disposition relative à la non-admissibilité pour des raisons médicales fait défaut de tenir compte du fait de soupeser les intérêts en jeu relativement à la contribution potentielle, comme cela semble être le cas pour des personnes qui peuvent être non admissibles en vertu des autres dispositions de l'article 19. À titre d'exemple, l'intervenant soutient que les personnes ayant des condamnations criminelles ont l'occasion de démontrer qu'elles sont réhabilitées. Cela implique de soupeser les intérêts de la personne et ceux de l'État, cette occasion n'étant pas fournie aux personnes exclues en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii).

OBSERVATIONS DE LA DÉFENDERESSE

[67]La défenderesse soutient que toutes les analyses relatives à la Charte doivent être faites en tenant compte du contexte global. En l'espèce, le contexte juridique est le droit de l'immigration. À cet égard, la défenderesse invoque la décision dans Prata c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376, où la Cour suprême du Canada a statué que l'immigration constitue un privilège et non un droit.

[68]La contestation relative à la Charte dont il est question, en l'espèce, est basée sur les articles 7 et 15 et le fardeau de prouver une violation de ces articles repose sur la demanderesse. Si la demanderesse réussit à prouver une telle violation, le fardeau se déplace sur la défenderesse qui doit démontrer que la législation contestée est justifiée en vertu de l'article premier de la Charte.

[69]Selon la défenderesse, la disposition contestée de la Loi sur l'immigration n'enfreint ni l'article 7 ni l'article 15, mais, de toute façon, elle peut être justifiée en vertu de l'article premier. Dans l'arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, la Cour suprême du Canada a examiné la question de savoir si la déportation d'un résident permanent, qui avait été condamné relativement à certaines infractions, constituait une violation de l'article 7. Le juge Sopinka, au nom de la Cour, a conclu qu'il n'y avait aucune violation de l'article 7. Le principe fondamental veut qu'un étranger n'ait pas un droit absolu de demeurer au Canada.

[70]Le Canada a le droit et l'obligation d'établir des normes d'entrée au pays afin de protéger sa population. La défenderesse affirme que le sous-alinéa 19(1)a)(ii) constitue une telle disposition parce qu'elle vise à protéger les services de santé et les services sociaux canadiens contre le fardeau excessif et, par conséquent, à maintenir ces services pour l'avenir.

[71]La défenderesse aborde ensuite la situation particulière de la demanderesse. Elle a formulé une demande de résidence permanente en tant qu'épouse d'un citoyen canadien et visait à obtenir la délivrance d'un visa d'immigrant afin de lui permettre d'entrer au Canada en tant que résidente permanente. Elle était parrainée par son mari et a formulé sa demande en tant que membre de la catégorie des parents. En tant que membre de la catégorie des parents, sa profession ou son emploi n'est pas pertinent quant à la question de savoir si un visa d'immigrant devait être délivré.

[72]Un demandeur formulant une demande comme membre de la catégorie des parents doit satisfaire les exigences d'admission du paragraphe 11(1) de la Loi et du Règlement sur l'immigration de 1978.

[73]La défenderesse convient que la Cour suprême du Canada a établi une analyse en deux étapes en rapport avec une violation de l'article 7. Premièrement, il doit y avoir privation de la vie, de la liberté ou de la sécurité de la personne et, une fois que cela est établi, la question consiste ensuite à savoir si cette privation s'est produite en conformité avec les principes de la justice fondamentale. Les principes de la justice fondamentale tombent dans deux catégories, c'est-à-dire les principes de fond et les principes de procédure.

[74]Dans la mesure où la demanderesse prétend qu'elle a subi une perte de sécurité de sa personne, parce qu'on lui a refusé l'accès à la couverture en matière de santé en Ontario en vertu du RAMO, la défenderesse affirme que cette question n'est pas du ressort de ce tribunal dans la présente action. Il n'existe aucun fondement factuel à cette question et, de toute façon, dans l'arrêt Irshad, précité, la Cour d'appel de l'Ontario a statué que le système provincial, qui limitait l'accès aux avantages provinciaux en matière de santé, était valide et qu'il ne violait pas l'article 15 de la Charte.

[75]La question de sécurité de la personne, en vertu de l'article 7, a été examinée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt G. (J.), précité. La défenderesse soutient que cette décision signifie que le principe de la sécurité de la personne, en vertu de l'article 7 de la Charte, s'étend à une situation de tension psychologique imposé par l'État suite à la conduite de l'État qui prive une personne de sa propre sécurité. Deuxièmement, l'article 7 ne protège pas une personne contre l'angoisse ordinaire qui serait ressentie par une personne ayant une sensibilité raisonnable, suite à un acte gouvernemental, et les degrés de tension doivent être évalués objectivement.

[76]La défenderesse soutient qu'en l'espèce, l'État n'a pris aucune mesure à l'égard de la demanderesse. La demanderesse a formulé une demande de résidence permanente et on a conclu qu'elle était non admissible pour des raisons médicales. Il n'est pas question du fait que les forces de l'État avaient été amenées à faire face à la demanderesse, elle seule a mis l'appareil en marche. De plus, l'État a facilité son entrée avec un permis ministériel afin qu'elle puisse vivre avec son mari au Canada et il a délivré un permis de travail afin qu'elle puisse se chercher un emploi dans ce pays.

[77]La défenderesse soutient que quelle que soit la tension subie par la demanderesse suivant sa demande de résidence permanente et dans la période couverte par la présente action, il n'était pas à un degré si élevé pour représenter un préjudice psychologique.

[78]La défenderesse aborde également la décision de la Cour suprême du Canada dans Nova Scotia Pharmaceutical, précitée, et elle soumet qu'une allégation relativement à l'invalidité constitutionnelle en raison de l'imprécision doit être évaluée par rapport à trois critères, qui sont les suivants:

1) les dispositions en question doivent offrir un avertissement raisonnable au citoyen;

2) l'essentiel de la norme relative à l'imprécision, consiste à savoir s'il y a des outils pour un débat judiciaire;

3) la disponibilité d'un large pouvoir discrétionnaire n'est pas problématique en autant qu'il y a des outils pour que le tribunal puisse s'engager dans ce débat judiciaire.

[79]Appliquant ces principes à la présente affaire, la défenderesse soutient qu'il y avait un avertissement raisonnable relativement à la question de non-admissibilité pour des raisons médicales, puisque la loi le prévoit. Selon le témoignage fourni par trois médecins qui avaient travaillé avec la disposition de non-admissibilité pour des raisons médicales, il y avait suffisamment d'outils pour interpréter la disposition relative au fardeau excessif. Selon le témoignage de trois médecins qui avaient travaillé avec le processus d'évaluation médicale et les critères relativement au fardeau excessif, la jurisprudence avait indiqué que le fardeau excessif signifiait plus qu'un fardeau normal. De plus, les médecins agréés étaient guidés par l'article 22 [mod. par DORS/78-316, art. 2] du Règlement, tel que le tribunal l'avait interprété dans les décisions Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 100 F.T.R. 139 (C.F. 1re inst.) et Poon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 198 F.T.R. 56 (C.F. 1re inst.).

[80]La défenderesse soutient que, dans la présente affaire, qui constitue un procès et non une demande de contrôle judiciaire, il est clair qu'il y a des outils disponibles pour régir l'exercice du pouvoir discrétionnaire en effectuant une évaluation médicale. Par conséquent, la disposition n'est pas constitutionnellement imprécise.

[81]Quant à la question de l'équité procédurale, la défenderesse rejette l'argumentation de la demanderesse selon laquelle le droit était arbitraire, parce que l'employabilité était considérée en rapport avec son état de santé, mais sans égard à son employabilité réelle, étant donné ses antécédents et sa formation. Le deuxième aspect de l'argumentation de la demanderesse, au sujet de la violation de l'équité procédurale dans la conduite de son évaluation médicale, est basé sur le fait que la deuxième co-signature sur le formulaire d'avis médical était celle du Dr Williams, qui n'avait pas le pouvoir de signer la deuxième signature.

[82]La défenderesse reconnaît que les principes de justice fondamentale se retrouvent dans les éléments de base du système judiciaire canadien, tel que cela a été discuté dans l'arrêt Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868. Le contenu de l'équité procédurale peut exiger différentes choses dans différents contextes.

[83]Encore une fois, cette question doit être étudiée dans le contexte du droit de l'immigration et c'était la situation dans l'arrêt Chiarelli, précité, dans lequel la Cour suprême du Canada a conclu que l'immigration constituait un privilège et non un droit.

[84]La défenderesse affirme que l'employabilité de la demanderesse a été examinée d'une manière positive par les médecins agréés, mais que cela n'était pas le facteur le plus important dans leur évaluation. Dans le contexte juridique, l'employabilité n'est pas pertinente pour les personnes formulant une demande en tant que membre de la catégorie des parents. Encore une fois, la défenderesse invoque l'article 8 de la Loi et soutient que la demanderesse, en tant qu'immigrante éventuelle, avait le fardeau d'établir qu'elle satisfaisait aux exigences d'admission de la Loi.

[85]Quant à l'argument de la demanderesse selon lequel le Dr Williams avait signé le formulaire d'avis médical comme deuxième signature, sans en avoir le pouvoir, la défenderesse soutient que la preuve démontre que le Dr Williams avait reçu une dispense pour signer les rapports M4 et M5. C'était un médecin formé au Canada ayant de l'expérience dans l'environnement médical canadien. Il a porté la situation de la demanderesse à l'attention du Dr Lazarus en raison des graves implications pour la demanderesse résultant de l'évaluation initiale comme M7. L'ordre des événements a déterminé l'ordre des signatures des médecins agréés et il n'y a rien de sinistre dans cela.

[86]La Loi sur l'immigration exige une opinion concordante entre deux médecins agréés. Rien dans la Loi n'exige que les opinions soient données dans un ordre particulier. La défenderesse soutient qu'il n'y a aucune violation des principes de justice fondamentale, compte tenu du droit et de son contexte.

[87]Quant à l'article 15, la défenderesse invoque la récente décision de la Cour suprême du Canada dans Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497 qui identifie les étapes à suivre dans l'appréciation de la question de savoir s'il y a eu une violation de l'article 15.

[88]En résumé, la défenderesse soutient que le critère, dans cette affaire, exige que le tribunal regarde d'abord la distinction qui est faite entre la demanderesse et les autres personnes, c'est-à-dire le groupe de comparaison. La demanderesse affirme que la distinction se situe entre les personnes physiquement aptes qui formulent une demande de résidence permanente et celles qui sont handicapées. La défenderesse affirme que ce groupe de comparaison identifié n'est pas approprié et que la distinction devrait se faire correctement entre les personnes qui sont admissibles pour des raisons médicales et celles qui ne le sont pas, parce qu'elles créeraient un fardeau excessif pour les services de santé ou les services sociaux canadiens.

[89]L'étape suivante, selon l'arrêt Law, précité, consiste à se demander si la distinction est basée sur un motif énuméré ou analogue. La demanderesse soutient que la distinction est basée sur le motif énuméré de la déficience, mais la défenderesse soumet que la distinction est basée sur la question qui consiste à savoir si une personne risquait d'entraîner un fardeau excessif pour les services de santé ou les services sociaux. Dans ces circonstances, la défenderesse soutient qu'il ne s'agit ni d'un motif énuméré ni d'un motif analogue relativement à l'article 15.

[90]La troisième étape découlant du critère de l'arrêt Law, précité, consiste à savoir s'il y a discrimination. Dans l'arrêt Law, le tribunal a souligné que l'approche devrait être flexible, mais que la clé consiste en l'application du raisonnement stéréotypé.

[91]La défenderesse affirme qu'il n'y a pas d'application du raisonnement stéréotypé en l'espèce. La demanderesse a été évaluée sur une base personnalisée, en tenant compte de ses besoins et de ses capacités. Selon la preuve, les médecins agréés ont regardé les facteurs identifiés dans l'article 22 du Règlement, ils ont tenu compte du Guide et des facteurs qui y étaient identifiés, y compris la disponibilité des services médicaux, les coûts, l'accès ainsi que le déplacement des Canadiens. Les médecins agréés ont également tenu compte des textes et des articles médicaux, en même temps que de leurs connaissances et de leurs expériences personnalisées et ils en sont venus à une décision qui était basée sur la preuve médicale spécifique à la demanderesse.

[92]La défenderesse a abordé l'argument de la demanderesse selon lequel une inférence négative devrait être tirée de l'omission de la défense de faire témoigner le Dr Williams au procès.

[93]La courte réponse faite par la défenderesse à cet argument se retrouve dans l'exposé conjoint des faits qui a été déposé par les parties. La défenderesse affirme que, selon cet exposé conjoint des faits, il n'était pas nécessaire d'assigner le Dr Williams. La demanderesse était d'accord avec l'énoncé des faits qui avait été amendé au cours du procès simplement par rapport à la disponibilité du médicament interféron au Canada, mais cela n'avait rien à voir avec le Dr Williams. La défenderesse soutient que cette observation de la part de la demanderesse n'est pas pertinente.

[94]Enfin, la défenderesse a abordé la question des réparations. En l'espèce, la demanderesse vise à obtenir réparation en vertu de l'article 24 de la Charte. La défenderesse soumet que la demanderesse a fait défaut de démontrer qu'elle aurait droit à une telle réparation, même si elle réussissait à démontrer une violation des droits qui lui sont conférés par la Charte.

[95]La principale réparation recherchée par la demanderesse consiste en une déclaration d'invalidité du sous-alinéa 19(1)a)(ii) en vertu de l'article 52 de la Constitution [Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. De plus, la demanderesse a réclamé des dommages-intérêts. La défenderesse soutient que la demanderesse a fait défaut de démontrer qu'elle avait droit aux dommages-intérêts à titre de mesure réparatrice.

[96]La défenderesse soutient qu'un octroi de dommages-intérêts dans la présente affaire ne serait pas approprié, à la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679. Elle n'a pas présenté d'éléments de preuve pour démontrer qu'elle avait subi des pertes financières du fait d'avoir été trouvée non admissible pour des raisons médicales en 1994. Elle n'a pas démontré que son angoisse et sa tension personnelles méritaient l'octroi de dommages-intérêts généraux. Il n'existe aucun fondement à la prétention selon laquelle son désir de commencer une famille a été entravé en raison d'une décision négative en 1994.

[97]En bref, la défenderesse soutient qu'aucune somme ne devrait être accordée en vertu de l'article 24.

ANALYSE

[98]Cette action implique une contestation de la validité constitutionnelle du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, précitée. Ce sous-alinéa prévoit ce qui suit:

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible:

a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut:

[. . .]

(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé;

[99]La demanderesse prétend que ce sous-alinéa enfreint les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ces articles prévoient ce qui suit:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[. . .]

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

(2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

[100]Il est bien établi en droit que ce ne sont pas toutes les différences de traitement qui donnent lieu à la discrimination. Dans l'arrêt Law, précité, au paragraphe 51, la Cour suprême propose une démarche fondée sur l'objet et sur le contexte du paragraphe 15(1). La Cour identifie les objets du paragraphe 15(1) dans le passage suivant:

On pourrait affirmer que le par. 15(1) a pour objet d'empêcher toute atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l'imposition de désavantages, de stéréotypes et de préjugés politiques ou sociaux, et de favoriser l'existence d'une société où tous sont reconnus par la loi comme des être humains égaux ou comme des membres égaux de la société canadienne, tous aussi capables, et méritant le même intérêt, le même respect, et la même considération. Une disposition législative qui produit une différence de traitement entre des personnes ou des groupes est contraire à cet objectif fondamental si ceux qui font l'objet de la différence de traitement sont visés par un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues et si la différence de traitement traduit une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou que, par ailleurs, elle perpétue ou favorise l'opinion que l'individu concerné est moins capable, ou moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne. Subsidiairement, une différence de traitement ne constituera vraisemblablement pas de la discrimination au sens du par. 15(1) si elle ne viole pas la dignité humaine ou la liberté d'une personne ou d'un groupe de cette façon, surtout si la différence de traitement contribue à l'amélioration de la situation des défavorisés au sein de la société canadienne.

[101]La compréhension du sens de la dignité humaine détermine tous les éléments de l'analyse relative à la discrimination, selon l'arrêt Law, précité, au paragraphe 53, la Cour statue:

La dignité humaine signifie qu'une personne ou un groupe ressent du respect et de l'estime de soi. Elle relève de l'intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle. La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelle qui n'ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne. Elle est rehaussée par des lois qui sont sensibles aux besoins, aux capacités et aux mérites de différentes personnes et qui tiennent compte du contexte sous-jacent à leurs différences. La dignité humaine est bafouée lorsque des personnes ou des groupes sont marginalisés, mis de côté et dévalorisés, et elle est rehaussée lorsque les lois reconnaissent le rôle à part entière joué par tous dans la société canadienne.

[102]Dans l'arrêt Law, précité, au paragraphe 39, la Cour suprême du Canada synthétise la jurisprudence antérieure et propose une analyse en trois étapes relativement à une allégation fondée sur l'article 15:

Premièrement, la loi contestée a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles? Si tel est le cas, il y a différence de traitement aux fins du par. 15(1). Deuxièmement, le demandeur a-t-il subi un traitement différent en raison d'un ou de plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues? Et, troisièmement, la différence de traitement était-elle réellement discriminatoire, faisant ainsi intervenir l'objet du par. 15(1) de la Charte pour remédier à des fléaux comme les préjugés, les stéréotypes et le désavantage historique? Les deuxième et troisième questions servent à déterminer si la différence de traitement constitue de la discrimination réelle au sens du par. 15(1).

La méthode comparative

[103]La première étape d'une analyse relative au paragraphe 15(1) consiste donc à déterminer si le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration établit, entre la demanderesse et une autre personne ou un autre groupe avec qui elle peut être comparée de manière appropriée, une distinction fondée sur une ou plusieurs caractéristiques personnelles, créant ainsi une inégalité. Ce qui est crucial pour la présente analyse, c'est l'identification du groupe de comparaison approprié.

[104]Dans l'arrêt Law, précité, au paragraphe 58, la Cour a reconnu qu'un demandeur identifiera généralement le groupe de comparaison pour les besoins de l'analyse relative à la discrimination, statuant:

Le point de départ naturel lorsqu'il s'agit d'établir l'élément de comparaison pertinent consiste à tenir compte du point de vue du demandeur. C'est généralement le demandeur qui choisit la personne, le groupe ou les groupes avec lesquels il désire être comparé aux fins de l'analyse relative à la discrimination, déterminant ainsi les paramètres de la différence de traitement qu'il allègue et qu'il souhaite contester. Cependant, il se peut que la qualification de la comparaison par le demandeur ne soit pas suffisante. La différence de traitement peut ne pas s'effectuer entre les groupes cernés par le demandeur, mais plutôt entre d'autres groupes. Le tribunal ne peut manifestement pas, de son propre chef, évaluer un motif de discrimination que n'ont pas invoqué les parties et à l'égard duquel aucune preuve n'a été produite: voir Symes, précité, à la p. 762. Cependant, dans le cadre du ou des motifs invoqués, je n'excluerais pas le pouvoir du tribunal d'approfondir la comparaison soumise par le demandeur lorsque le tribunal estime justifié de le faire.

[105]Comme je l'ai mentionné précédemment, la Cour devrait avoir tendance à évaluer les motifs de discrimination présentés par le demandeur. Cependant, elle peut approfondir la comparaison lorsqu'elle estime justifié de le faire. Dans l'arrêt Granovsky, précité, le tribunal a modifié l'élément de comparaison établi par le demandeur en raison du fait qu'il n'avait pas examiné de manière appropriée l'objet et l'effet des dispositions en question et il a statué au paragraphe 47:

Une telle identification requiert un lien adéquat entre le groupe de comparaison choisi et l'avantage qui constitue l'objet de la plainte. Comme il a été souligné dans l'arrêt Law, précité, au par. 57:

Il faut examiner à la fois l'objet et l'effet des dispositions pour faire ressortir le groupe ou les groupes de comparaison appropriés.

[106]Dans l'arrêt Granovsky, précité, la déficience a été examinée dans le contexte du Régime de pensions du Canada [L.R.C. (1985), ch. C-8] en rapport avec les périodes cotisables. Le demandeur était une personne souffrant d'une déficience temporaire qui désirait être comparée à des personnes physiquement aptes dans l'analyse relative à la discrimination. La Cour a conclu que la comparaison appropriée dans cette situation était celle portant sur la manière dont une personne ayant une déficience permanente était traitée en vertu des dispositions.

[107]La demanderesse soutient qu'elle a été illégalement victime de discrimination et qu'elle a été traitée d'une manière différente par rapport à celle des conjoints physiquement aptes de citoyens canadiens. Elle propose que les conjoints physiquement aptes constituent le groupe [traduction] «de comparaison». La défenderesse affirme que le sous-alinéa contesté de la Loi sur l'immigration met l'accent sur le fardeau excessif et que le groupe de comparaison approprié consiste en cette catégorie de personnes qui, comme la demanderesse, vise à obtenir l'admission au Canada en tant que parents.

[108]À mon avis, le groupe de comparaison approprié en l'espèce est celui de la catégorie des parents. Voilà la qualité en vertu de laquelle la demanderesse visait à obtenir l'admission au Canada. Comme il a été mentionné dans l'arrêt Granovsky, précité, l'élément de comparaison doit se rapporter à l'avantage qui fait l'objet de la contestation. En l'espèce, l'avantage, c'est l'entrée au Canada.

[109]Est-ce que l'application du sous-alinéa 19(1)a)(ii) à la demanderesse crée une différence de traitement relativement au groupe de comparaison, en violation du paragraphe 15(1)?

[110]La demanderesse soutient que c'est le cas, par suite d'une déficience, un motif illicite, et elle affirme que la disposition incite, comme telle, à une telle interprétation.

[111]La défenderesse prétend que les mots «maladie» ou «invalidité» utilisés dans le sous-alinéa 19(1)a)(ii) ne sont simplement que des indicateurs des types de circonstances pouvant donner lieu à un fardeau excessif, mais que ces termes ne sont pas au centre du sous-alinéa. L'objet du sous-alinéa consiste à se demander si l'admission d'une personne en particulier au Canada en tant que résidente permanente risquerait d'imposer un fardeau excessif aux services de santé ou aux services sociaux et cet objet est évident, même si les mots «maladie» ou «invalidité» sont enlevés.

[112]Des lignes directrices sont fournies pour la conduite d'une évaluation médicale, par le truchement d'un guide délivré au médecin agréé. Bien qu'un examen médical initial soit effectué par un médecin désigné dans la région où l'immigrant éventuel dépose une demande de résidence permanente, l'évaluation de l'état de santé est effectuée par les médecins agréés nommés en vertu de la Loi sur l'immigration. Les médecins agréés sont soit des membres du personnel, soit des médecins contractuels. En l'espèce, l'évaluation médicale a été signée par le Dr Lazarus, un médecin du personnel du Haut-commissariat du Canada à Londres, et le Dr Williams, un médecin formé au Canada qui était un médecin contractuel du Haut-commissariat du Canada à Londres.

[113]Selon le témoignage du Dr Lazarus, la situation personnelle et individuelle de la demanderesse a été évaluée. Sa maladie a été évaluée par rapport à la perspective de soins futurs au Canada, y compris une hospitalisation éventuelle ainsi que la disponibilité et les besoins de produits pharmaceutiques afin d'aider à la gestion de l'état de santé de la demanderesse.

[114]L'application du sous-alinéa a des conséquences différentes pour les personnes, puisque celles qui sont déclarées admissibles pour des raisons médicales auront la permission d'entrer au Canada, en autant qu'elles satisfont aux autres exigences de la Loi sur l'immigration et du Règlement. Celles qui sont déclarées non admissibles pour des raisons médicales ne seront pas autorisées à entrer au Canada, sans égard au fait qu'elles satisfassent aux autres dispositions de la Loi et du Règlement.

[115]Des conséquences différentes résultant de l'application d'une exigence générale, c'est-à-dire un examen médical pour toutes les personnes visant à obtenir l'admission au Canada en tant que membre de la catégorie des parents, incitent à se demander si la demanderesse a subi des effets négatifs du fait de l'application, dans son cas, du critère du fardeau excessif, en raison d'une déficience, c'est-à-dire la sclérose en plaques.

[116]La demanderesse soutient que le sous-alinéa crée une discrimination par suite d'un effet préjudiciable sur elle, parce qu'il met l'accent sur la déficience. Elle soumet que l'objet discriminatoire n'est pas nécessaire pour établir une violation du paragraphe 15(1) si l'effet des dispositions constitue un déni du droit à l'égalité de traitement en application de la Loi sur l'immigration.

[117]Bien que la discrimination indirecte puisse être examinée dans toute analyse relative au paragraphe 15(1), le succès d'un tel argument dépend de la preuve que les dispositions ont effectivement des effets discriminatoires sur une personne ou un groupe, en raison des motifs énumérés ou analogues. Dans l'arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, la demanderesse a réussi à démontrer que les normes minimales de condition physique appliquées uniformément pour les pompiers forestiers en Colombie-Britannique ont un effet préjudiciable sur les femmes. Il y avait des éléments de preuve pour démontrer que, en raison des différences physiologiques, la plupart des femmes ont une capacité aérobique moins élevée que la plupart des hommes.

[118]Bien qu'il y ait, en l'espèce, le témoignage de Mme Catherine Frazee, qui était qualifiée comme témoin expert, dans l'analyse des déficiences critiques et dans la théorie du contexte social, ce témoignage n'était pas explicitement dirigé vers la question du fardeau excessif dans le cadre de la Loi sur l'immigration.

[119]Je ne suis pas en mesure de conclure, en l'absence de preuve à cet effet, que les dispositions de la Loi relatives au fardeau excessif ont des effets discriminatoires sur des personnes appartenant à la catégorie à laquelle appartient la demanderesse. De plus, l'argumentation relative aux effets préjudiciables est sujette au contexte juridique prévalant en l'espèce.

[120]Ce contexte est celui du droit de l'immigration, en particulier celui des circonstances dans lesquelles on conclura que des personnes sont admissibles au Canada. Une telle entrée constitue un droit exclusif aux citoyens canadiens et aux résidents permanents. Il s'agit d'un privilège pour les autres et son octroi est du ressort du gouvernement du Canada qui a le droit d'établir des normes d'entrée, y compris une évaluation relative au fardeau excessif éventuel pour les services de santé.

Une démarche fondée sur l'objet afin d'établir la discrimination

[121]Les deuxièmes et troisièmes étapes d'une analyse relative au paragraphe 15(1) reconnaissent que ce ne sont pas toutes les différences de traitement qui équivalent à de la discrimination. La différence de traitement équivaut à de la discrimination si ceux qui en font l'objet sont visés par un ou plusieurs des motifs énumérés, si la différence de traitement traduit une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou si la différence de traitement perpétue ou favorise l'opinion que l'individu concerné est moins capable, ou moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne.

[122]Le sous-alinéa 19(1)a)(ii) n'est dirigé vers aucun des motifs énoncés dans le paragraphe 15(1) de la Charte. Il est dirigé vers le fardeau excessif. Cela soulève la question de savoir si le sous-alinéa est discriminatoire pour un motif analogue.

[123]La discrimination pour un motif analogue a été examinée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203. Pour déterminer si un motif analogue existe, il est nécessaire d'examiner si ce motif est similaire aux motifs énumérés et aux motifs reconnus comme analogues dans le passé. Il faut également prendre en considération la question de savoir si la différence de traitement repose sur des motifs qui impliquent la dignité humaine.

[124]La question abordée par le sous-alinéa 19(1)a)(ii) n'est pas la déficience, contrairement à ce que soutient la demanderesse, mais la question du fardeau excessif. En se basant sur la preuve, il semble que l'évaluation soit effectuée en tenant compte des caractéristiques personnelles d'un immigrant éventuel, y compris un état de santé qui risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services de santé et les services sociaux existants.

[125]À mon avis, l'argument de discrimination fondée sur un motif analogue doit être rejeté. Le sous-alinéa en question met l'accent sur le fardeau excessif, non sur une maladie ou une invalidité. Contrairement à la position adoptée par la demanderesse, cette affaire ne concerne pas la déficience, mais l'évaluation médicale relativement à des immigrants éventuels au Canada dans le contexte du droit de l'immigration canadien. De par sa nature, la législation régissant l'immigration doit être sélective.

[126]La réglementation de l'immigration représente une question de juridiction fédérale et le gouvernement fédéral a clairement le droit de contrôler l'entrée des gens au Canada. La Loi sur l'immigration prévoit explicitement que seuls les citoyens canadiens et les résidents permanents ont un droit d'entrer au Canada. Toutes les autres personnes visant à entrer doivent se conformer à la Loi et au Règlement.

[127]Dans l'arrêt R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495, la Cour suprême du Canada, en traitant de la question d'une fouille abusive et illégale et de sa contestation en vertu de l'article 8 de la Charte, a commenté le droit d'un état souverain de contrôler et d'examiner les personnes traversant ses frontières. À la page 528, la Cour a statué comme suit:

En effet, les gens ne s'attendent pas à traverser les frontières internationales sans faire l'objet d'une vérification. Il est communément reconnu que les États souverains ont le droit de contrôler à la fois les personnes et les effets qui entrent dans leur territoire. On s'attend à ce que l'État joue ce rôle pour le bien-être général de la nation. Or, s'il était incapable d'établir que tous ceux qui cherchent à traverser ses frontières ainsi que leurs effets peuvent légalement pénétrer dans son territoire, l'État ne pourrait pas remplir cette fonction éminemment importante.

[128]Bien que la situation factuelle dans l'arrêt Simmons, précité, diffère de celle faisant l'objet du présent litige, la décision est pertinente dans la mesure où elle reconnaît le droit d'un État d'examiner les arrivants éventuels visant à obtenir l'admission dans ses frontières. Le processus d'évaluation des examens médicaux en vue de déterminer s'il y a un fardeau excessif pour les services de santé canadiens existants constitue un aspect du processus d'examen dont les immigrants éventuels font l'objet. À mon avis, cela n'est pas dans le cadre des motifs énumérés du paragraphe 15(1) et n'y est pas analogue.

Les facteurs contextuels

[129]La troisième étape de l'analyse examine la question de savoir si la différence de traitement constitue de la discrimination réelle. À la lumière de ma conclusion selon laquelle l'exclusion du sous-alinéa 19(1)a)(ii) n'équivaut pas à de la discrimination fondée sur un motif énuméré ou analogue, il n'est pas nécessaire d'aborder le troisième aspect du critère de Law.

ARTICLE 7

Sécurité de la personne

[130]La question de la sécurité de la personne a récemment été examinée par la Cour suprême dans l'arrêt G. (J.), précité. Au paragraphe 59, la Cour conclut que la garantie constitutionnelle de sécurité de la personne ne protège pas contre «les tensions et les angoisses ordinaires qu'une personne ayant une sensibilité raisonnable éprouverait par suite d'un acte gouvernemental». Le concept d'«acte gouvernemental» est pertinent pour l'analyse de l'article 7. L'angoisse peut être causée par une certaine interférence ou un certain acte de la part de l'État.

[131]Je suis convaincue que le droit de la demanderesse à la sécurité de sa personne n'a pas été violé par suite de l'application du sous-alinéa relatif à la non-admissibilité pour des raisons médicales. Elle n'a pas été victime d'un acte de l'État. En tant qu'immigrante éventuelle, elle était sujette à la satisfaction des exigences de la Loi sur l'immigration et du Règlement. Contrairement à son argumentation, elle n'avait pas le droit d'entrer au Canada en sa qualité de conjointe d'un citoyen canadien. Ce n'est pas ce que prévoit le droit et sa contestation du sous-alinéa relatif à la non-admissibilité pour des raisons médicales doit être évaluée en rapport avec le droit en vigueur, sous réserve des dispositions de la Charte.

Imprécision

[132]Les deux parties se rapportent à l'arrêt Nova Scotia Pharmaceutical, précité, comme faisant autorité pour déterminer s'il y a eu ou non violation de l'article 7, en rapport avec l'application du sous-alinéa 19(1)a)(ii). En me basant sur les témoignages du Dr Axler, du Dr Giovannazo et du Dr Lazarus, je conclus que l'argumentation de la défenderesse est plus convaincante que celle avancée par la demanderesse. Je suis convaincue que le processus avec lequel la demanderesse a été évaluée satisfait aux critères identifiés dans l'arrêt Nova Scotia Pharmaceutical, précité, qu'il existe des outils afin de guider la conduite de l'évaluation médicale et un débat judiciaire, que la procédure d'évaluation n'est pas arbitraire et que les principes de justice fondamentale ne sont pas enfreints.

[133]La demanderesse a subi un examen médical conformément à la Loi et au Règlement. Sa situation particulière a été évaluée par deux médecins formés au Canada, c'est-à-dire le Dr Lazarus et le Dr Williams. Selon le témoignage du Dr Giovannazo, les médecins formés au Canada sont choisis pour agir en tant que médecins agréés, parce qu'ils connaissent bien le système de santé au Canada, y compris le traitement disponible et imminent.

[134]L'argumentation de la demanderesse relative à une approche stéréotypée pour l'évaluation d'un état de santé est fondée sur sa contestation en vertu de l'article 7 de la Charte, de même que de l'article 15. Relativement à l'article 7, elle prétend que son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité a été compromis à la suite du fait qu'on a conclu qu'elle était non-admissible pour des raisons médicales au Canada. Elle soutient que la disposition relative à la non-admissibilité pour des raisons médicales est inconstitutionnelle, parce qu'elle enfreint les principes de justice fondamentale du fait de son imprécision et que la mise en application du sous-alinéa dépend de l'application de normes arbitraires. Elle souligne en particulier l'absence d'une véritable évaluation fonctionnelle, y compris une évaluation de sa formation, de ses compétences, de ses antécédents professionnels et de son potentiel pour effectuer un travail productif au Canada.

[135]Le témoignage du Dr Lazarus a clairement démontré que la capacité de la demanderesse d'effectuer un travail productif n'était pas contestée et il reconnaissait sa capacité de façon positive. Cependant, son évaluation selon laquelle ses besoins futurs probables de soins médicaux au Canada seraient excessifs a occulté ce témoignage. La question du fardeau excessif a été discutée par le Dr Axler et le Dr Heywood et le consensus général veut que le fardeau excessif soit quelque chose de plus élevé que la moyenne.

[136]Bien que la preuve démontre que les coûts associés au traitement au Canada des personnes ayant la sclérose en plaques n'ont pas été calculés, d'après le témoignage du Dr Lazarus, le traitement des personnes atteintes de cette maladie est très coûteux au Canada. Il a conclu, en se basant sur les antécédents de la demanderesse, y compris la possibilité d'insuffisance rénale, qu'elle nécessiterait probablement une hospitalisation et un traitement futur coûteux.

Équité procédurale

[137]À titre d'argument final relativement à l'article 7, la demanderesse soumet que son évaluation médicale a été viciée sur le plan procédural, parce que le Dr Williams, le médecin contractuel, avait signé en tant que deuxième signataire. Elle soutient qu'il n'avait pas le pouvoir de le faire.

[138]À mon avis, cet argument concernant l'équité procédurale est hors de propos dans la présente instance. Il est plus approprié à un contrôle judiciaire de la décision négative de non-admissibilité pour des raisons médicales, un recours qui n'a pas été présenté. De toute manière, il ne satisfait pas aux critères pour l'établissement d'une violation de l'article 7.

[139]Pour les motifs exposés précédemment, je conclus que le sous-alinéa 19(1)a)(ii) n'enfreint pas le paragraphe 15(1) de la Charte ni l'article 7.

[140]L'action est rejetée. Si les parties ne peuvent s'entendre concernant les dépens, elles sont invitées à faire des observations à ce sujet.

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