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A-697-02

2003 CAF 180

Biolyse Pharma Corporation (appelante) (défende-resse)

c.

Bristol-Myers Squibb Company et Bristol-Myers Squibb Canada Inc. (intimées) (demanderesses)

et

Le procureur général du Canada (intimé) (défendeur)

Répertorié: Biolyse Pharma Corp. c. Bristol-Myers Squibb Co. (C.A.)

Court d'appel, juges Strayer, Nadon et Evans, J.C.A.-- Toronto, 19 mars; Ottawa, 7 avril 2003.

Brevets -- Pratique -- Médicaments brevetés -- Appel de la décision d'un juge de la Section de première instance d'accueillir la demande de contrôle judiciaire et d'annuler l'avis de conformité (AC) délivré pour un médicament générique contre le cancer en raison de l'inobservation de l'art. 5 du Règlement sur les médicament brevetés (avis de conformité) -- Le juge a statué que la société générique aurait dû signifier un avis d'allégation de pair avec sa présentation de drogue nouvelle (PDN) -- Le médicament de l'appelante ne différait du médicament des intimées qu'au regard de leur origine biologique (espèces différentes d'if) -- L'appelante n'ayant pas obtenu de déclaration de bioéquivalence, son médicament ne figure pas comme équivalent du médicament des intimées sur certains formulaires provinciaux -- Appel rejeté -- Le règlement de la question en litige tient à l'interprétation de l'art. 5(1.1) du Règlement -- Examen et application des principes d'interprétation législative -- L'art. 5(1.1) ajouté en 1999 visait-il uniquement à combler la lacune signalée dans Merck & Co. c. Canada (Procureur général)? -- Examen du REIR accompagnant les modifications de 1999 -- Les intimées ont fait valoir que les sociétés génériques tentaient de contourner l'art. 5 en présentant des PADN déguisées en PDN, tirant profit des travaux, des essais cliniques de sociétés pharmaceutiques innovatrices -- Elles ont également prétendu que l'objectif du cadre législatif était d'offrir aux titulaires de brevet des recours plus efficaces contre la contrefaçon -- La Cour a rejeté l'interprétation préconisée par la société générique et refusé de reformuler la loi -- La perte financière infligée à la société générique par l'annulation de l'AC ne justifiait pas la Cour de s'immiscer dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de la Section de première instance.

Interprétation des lois -- Art. 5(1.1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) -- Dans les circonstances de l'espèce, la société générique était-elle tenue de signifier un avis d'allégation? -- L'art. 5(1.1) s'applique-t-il seulement à la situation où la «deuxième personne» a déposé une PADN et demandé l'approbation de son médicament en le comparant à celui de la «première personne» pour en établir la bioéquivalence? -- La réponse à ces questions diffère selon que l'on retient le sens ordinaire des mots ou que l'on tient compte du contexte ou de l'historique législatif -- L'on doit retenir le sens qui est le plus compatible avec le texte ou le contexte de la disposition -- Plus le «sens ordinaire» du texte est clair, plus les considérations d'ordre contextuel doivent être pressantes pour justifier une autre interprétation -- Il ressort du REIR que les modifications de 1999 visaient à clarifier la loi et qu'elles ne reflétaient pas un changement de politique -- L'on a soutenu que le sens ordinaire de l'art. 5(1.1) était compatible avec l'objectif du cadre législatif: mieux protéger les titulaires de brevet contre la contrefaçon -- La Cour a refusé de retenir l'interprétation exigeant l'ajout de mots à une disposition non ambiguë, de franchir la frontière entre l'interprétation législative et la reformulation législative -- Si l'objectif du gouverneur en conseil, en modifiant le Règlement en 1999, était celui qu'avance le procureur général, le Règlement doit à nouveau être modifié.

Compétence de la Cour fédérale -- Saisi d'une demande de contrôle judiciaire, un juge de la Section de première instance a rendu un jugement déclaratoire selon lequel l'appelante n'avait pas observé le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), et a annulé l'AC -- Aurait-il dû exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas annuler l'AC? -- Sauf erreur de principe ou mauvaise appréciation des faits, une cour d'appel doit s'abstenir de s'immiscer dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge -- Même si un AC ne peut être annulé en application du régime réglementaire, les art. 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale confèrent à la Cour le pouvoir de contrôler la mesure administrative que prend ou que s'abstient de prendre le ministre -- Habituellement, dans le cadre d'une instance en contrôle judiciaire, la Cour n'accorde pas la réparation que le demandeur aurait pu obtenir en vertu du Règlement, mais en l'espèce, le demandeur n'avait pas la possibilité d'invoquer la disposition pertinente du Règlement -- Le droit des intimées d'intenter une action en contrefaçon de brevet ne justifiait pas la Cour de refuser d'annuler l'AC -- La perte financière infligée à l'appelante par l'annulation de l'AC ne justifiait pas non plus le refus.

La Cour a été saisie d'un appel de la décision du juge Blanchard d'accueillir la demande de contrôle judiciaire des intimées, de rendre un jugement déclaratoire selon lequel l'appelante n'avait pas observé l'article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et d'annuler l'avis de conformité (AC) relatif au médicament Paclitaxel. Le juge a statué que l'appelante aurait dû signifier un avis d'allégation (AA) lorsqu'elle a déposé sa présentation de drogue nouvelle (PDN) relativement au Paclitaxel pour perfusion. La question à trancher en appel était de savoir si le paragraphe 5(1.1) du Règlement, ajouté en 1999, contraignait l'appelante à signifier un AA? Dans l'affirmative, en délivrant l'AC, le ministre avait contrevenu à l'alinéa 7(1)b) et la Cour pouvait annuler l'AC dans le cadre de l'instance en contrôle judiciaire. Le procureur général a été constitué partie intimée, mais il appuyait la thèse de l'appelante.

Les intimées sont titulaires de brevets canadiens et d'AC pour le Taxol. Le médicament de l'appelante, le Paclitaxel, diffère sur un point: l'appelante utilise les brindilles et les aiguilles d'une espèce d'if, et les intimées, l'écorce d'une autre espèce d'if. Étant donné ces origines biologiques différentes, Santé Canada a exigé de l'appelante qu'elle demande l'approbation de son médicament en déposant une PDN conformément au Règlement sur les aliments et drogues, plutôt qu'une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN). Suivant la procédure afférente à la PADN, l'appelante aurait pu établir l'innocuité et l'efficacité de son produit en établissant simplement sa bioéquivalence au regard des caractéristiques pharmaceutiques. L'appelante n'a pas obtenu de déclaration de bioéquivalence, de sorte que son médicament ne figure pas comme équivalent du Taxol sur certains formulaires provinciaux. Il appert que le degré de pureté du Paclitaxel contenu dans les deux produits est presque identique et que les résultats des essais cliniques sont les mêmes. Les médicaments sont identiques, sauf en ce qui concerne l'origine biologique. Les deux sont approuvés pour le traitement des mêmes formes de cancer; leur formulation est la même.

Arrêt: l'appel doit être rejeté.

La question était de savoir si le paragraphe 5(1.1) s'appliquait seulement à la situation où la deuxième personne a déposé une PADN et demandé l'approbation de son médicament en le comparant à celui de la première personne pour en établir la bioéquivalence sur le fondement des caractéristiques pharmaceutiques. La portée de la disposition n'est pas ainsi limitée si l'on se fie au sens ordinaire des mots employés sans tenir compte du contexte et de l'historique législatifs. Suivant les principes d'interprétation législative actuels, l'on doit retenir le sens qui est le plus compatible avec le texte et le contexte de la disposition. Plus le «sens ordinaire» du texte est clair, plus les considérations d'ordre contextuel doivent être pressantes pour justifier une autre interprétation.

Les faits de l'espèce satisfaisaient à chacun des éléments du paragraphe 5(1.1) si l'on tient compte du sens ordinaire des mots, de sorte que le ministre ne pouvait délivrer un AC avant que l'appelante n'ait fait une allégation conformément à l'alinéa 5(1.1)b).

L'appelante et le procureur général ont prétendu, cependant, que la disposition devait être interprétée de manière contextuelle, c'est-à-dire en donnant effet à l'objectif législatif qui ressortait du Résumé de l'étude d'impact de la réglementation (REIR). L'on a laissé entendre que le paragraphe 5(1.1) avait été ajouté en 1999 pour combler la lacune signalée dans Merck & Co. c. Canada (Procureur général), où il avait été soutenu que la version du paragraphe 5(1) alors en vigueur ne s'appliquait pas lorsqu'une troisième personne comparait la bioéquivalence de son médicament générique à celle du médicament générique d'une deuxième personne, même si la deuxième personne avait demandé un AC en comparant la bioéquivalence de son médicament à celle du médicament de la première personne. S'il avait été fait droit à cet argument, la troisième personne n'aurait pas eu à déposer un AA et aurait pu obtenir un AC en convainquant le ministre que son médicament était bioéquivalent à celui de la deuxième personne. La Section de première instance a rejeté cette interprétation et a conclu qu'une comparaison indirecte avec le médicament de la première personne était suffisante pour donner effet à l'obligation de déposer un AA. Le REIR accompagnant les modifications de 1999 indiquait que les modifications ne reflétaient pas une modification de la politique, mais visaient seulement à «clarifier la loi». Il précisait également que le mot «comparables» devait être interprété comme dans le contexte du processus d'approbation des médicaments. L'on a par ailleurs fait valoir que si l'interprétation des intimées était juste, le paragraphe 5(1) était redondant. Les avocats des intimées ont laissé entendre que la difficulté relevée dans Merck n'était pas propre aux faits de cette affaire. La situation relevait d'un problème plus vaste, savoir que les sociétés génériques tentaient de contourner l'article 5 en présentant des PADN déguisées en PDN en ce qu'elles s'en remettaient largement à des données produites en liaison avec un médicament approuvé, mais sans faire de comparaison pour en établir la bioéquivalence. Il a été avancé, en fait, que c'était précisément ce que l'appelante avait tenté de faire en l'espèce: tirer profit des travaux des intimées en matière d'essais cliniques afin d'établir l'innocuité et l'efficacité du médicament. L'appelante a ainsi économisé beaucoup de temps et d'argent et a été en mesure de déposer une PDN abrégée. Les intimées ont en outre prétendu que le sens ordinaire du paragraphe 5(1.1) était compatible avec un objectif du cadre législatif: offrir aux titulaires de brevet des recours plus efficaces pour empêcher la contrefaçon. Les intimées ont signalé que l'interprétation privilégiée par l'appelante exigeait non seulement l'ajout de mots, mais également que l'expression «a déposé une demande» s'en-tende de «a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle».

La Cour n'était pas convaincue que le paragraphe 5(1.1) pouvait être interprété comme le préconisait l'appelante. Donner effet à cette interprétation exigeait l'ajout de mots à une disposition qui, même considérée dans le contexte législatif, n'était ni ambiguë ni incohérente. En outre, cela aurait exigé une interprétation très forcée du terme «comparables» et l'attribution au mot «demande» d'un sens plus étroit que celui reconnu avant les modifications de 1999. La Cour n'était pas non plus convaincue que l'objectif des modifications de 1999 était aussi restreint que le prétendaient le procureur général et l'appelante. La Cour n'était pas disposée à franchir la frontière entre l'interprétation judiciaire et la reformulation législative. Si, de fait, l'objectif du gouverneur en conseil, en modifiant le Règlement en 1999, était celui avancé par le procureur général, il fallait modifier à nouveau le Règlement de façon que ce soit clair.

L'appelante prétend que, de toute manière, le juge de la Section de première instance aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas annuler l'AC. Or, sauf erreur de principe ou mauvaise appréciation des faits, une cour d'appel doit s'abstenir de s'immiscer dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge. Les motifs invoqués par l'appelante étaient insuffisants pour justifier le refus d'annuler l'AC. Même si un AC ne peut être annulé en application du régime réglementaire, les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale confèrent à la Cour le pouvoir de contrôler la mesure administrative que prend ou que s'abstient de prendre le ministre en application du Règlement. Néanmoins, la Cour n'accorde habituellement pas de réparation dans le cadre d'une instance en contrôle judiciaire lorsque le demandeur aurait pu demander une ordonnance d'interdiction en vertu du Règlement. Toutefois, lorsque, comme en l'espèce, le demandeur n'avait pas la possibilité d'invoquer l'article 6, l'exercice du pouvoir de la Cour n'est pas entravé par l'existence du régime réglementaire. Le droit des intimées d'intenter une action en contrefaçon de brevet ne justifiait pas non plus le refus d'annuler l'AC. Le Règlement vise à protéger davantage des titulaires de brevet que ne le fait le droit privé en général. La perte financière infligée à l'appelante par l'annulation de l'AC ne justifiait pas l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour.

lois et règlements

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5).

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, art. C.08.002(2) (mod. par DORS/93-202, art. 24; 95-411, art. 4), C.08.002.1(1) (édicté par DORS/95-411, art. 5), (2) (édicté, idem).

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 5 (mod. par DORS/98-166, art. 4; 99-379, art. 2), 6 (mod. par DORS/99-379, art. 3), 7 (mod. par DORS/98-166, art. 3).

jurisprudence

décisions appliquées:

Merck & Co. c. Canada (Procureur général) (1999), 176 F.T.R 21 (C.F. 1re inst.); Merck & Co. c. Nu-Pharm Inc. (2000), 5 C.P.R. (4th) 138; 254 N.R. 68 (C.A.F.); Pfizer Canada Inc. c. Nu-Pharm Inc.; Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2001), 11 C.P.R. (4th) 245; 266 N.R. 371 (C.A.F.); Syntex (U.S.A.) L.L.C. c. Canada (Ministre de la Santé) (2002), 20 C.P.R. (4th) 29; 292 N.R. 147 (C.A.F.).

doctrine

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.

APPEL de la décision du juge de la Section de première instance (Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général) (2002), 22 C.P.R. (4th) 345; 224 F.T.R. 236 (C.F. 1re inst.)) accueillant la demande de contrôle judiciaire et annulant l'avis de conformité que le ministre de la Santé avait délivré relativement à un médicament. Appel rejeté.

ont comparu:

Douglas N. Deeth et Gordon S. Jepson pour l'appelante (défenderesse).

Anthony George Creber et Patrick S. Smith pour les intimées (demanderesses).

Frederick B. Woyiwada pour l'intimé (défendeur).

avocats inscrits au dossier:

Deeth Williams Walls, s.r.l., Toronto, pour l'appelante (défenderesse).

Gowling Lafleur Henderson, s.r.l., Ottawa, pour les intimées (demanderesses).

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé (défendeur).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A.:

A. INTRODUCTION

[1]La Cour est saisie d'un appel de la décision du juge Blanchard d'accueillir la demande de contrôle judiciaire présentée par Bristol-Myers Squibb Company et Bristol-Myers Squibb Canada Inc. (BMS), de rendre un jugement déclaratoire selon lequel Biolyse n'a pas observé l'article 5 [mod. par DORS/98-166, art. 4; 99-379, art. 2] du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement) et d'annuler l'avis de conformité (AC) que le ministre de la Santé a délivré à Biolyse Pharma Corporation (Biolyse) pour son produit appelé «Paclitaxel pour perfusion, 6 mg/ml». Le juge Blanchard a statué que Biolyse aurait dû signifier un avis d'allégation (AA) lorsqu'elle a déposé sa présentation de drogue nouvelle (PDN) relativement au Paclitaxel pour perfusion. Comme elle ne l'a pas fait, le ministre a eu tort de lui délivrer un AC.

[2]Biolyse interjette appel de la décision du juge ayant entendu la demande Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général) (2002), 22 C.P.R. (4th) 345 (C.F. 1re inst.). La principale question à trancher en l'espèce est de savoir si le paragraphe 5(1.1) du Règlement, ajouté en 1999 par DORS/99-379, s'applique à la PDN relative au Paclitaxel pour perfusion et contraint Biolyse à signifier un AA. Dans l'affirmative, en délivrant l'AC, le ministre a contrevenu à l'alinéa 7(1)b) [mod. par DORS/98-166, art. 3] du Règlement, puisque Biolyse n'a pas signifié d'AA, et la Cour peut annuler l'AC dans le cadre d'une instance en contrôle judiciaire engagée sur le fondement de l'article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7. Le procureur général est constitué partie intimée, mais il appuie la thèse de Biolyse quant à l'interprétation du paragraphe 5(1.1).

[3]L'avocat de Biolyse fait valoir à titre subsidiaire que s'il est débouté sur le fond, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de réparation et ne pas annuler l'AC. L'avocat du procureur général s'abstient de prendre position sur ce point.

B. LES FAITS

[4]BMS est titulaire, relativement à son médicament Taxol, de deux brevets (2086874 et 2132936) qui n'expirent respectivement qu'en 2013 et 2014. Ces brevets figurent dans la liste présentée en liaison avec le Taxol. Des AC ont également été délivrés à BMS pour le Taxol, lequel a subséquemment été commercialisé au Canada.

[5]Le Paclitaxel pour perfusion de Biolyse diffère du Taxol de BMS sur un point. Bien que le paclitaxel soit l'ingrédient actif des deux médicaments, celui contenu dans le médicament de Biolyse provient des brindilles et des aiguilles d'une espèce d'if, et celui que renferme le médicament de BMS provient de l'écorce d'une autre espèce d'if.

[6]L'origine biologique du paclitaxel contenu dans le médicament de Biolyse étant différente, la Direction des produits thérapeutiques de Santé Canada a exigé de Biolyse qu'elle demande l'approbation du Paclitaxel pour perfusion en déposant une présentation de drogue nouvelle (PDN) conformément au paragraphe C.08.002(2) [mod. par DORS/93-202, art. 24; 95-411, art. 4] du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, plutôt qu'une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) suivant le paragraphe C.08.002.1(2) [édicté par DORS/95-411, art. 5].

[7]Si Biolyse avait déposé une PADN, elle aurait pu établir l'innocuité et l'efficacité du Paclitaxel pour perfusion en le comparant au Taxol afin de démontrer qu'ils étaient bioéquivalents au regard de leurs caractéristiques pharmaceutiques. Comme Biolyse ne pouvait demander l'approbation de son médicament au moyen d'une PADN, elle n'a pas obtenu de déclaration de bioéquivalence lorsque l'AC a été délivré relativement au Paclitaxel pour perfusion, de sorte que ce dernier ne figurera pas comme équivalent du Taxol sur certains formulaires provinciaux.

[8]La PDN du Paclitaxel pour perfusion renferme de nombreux renvois au Taxol, de même que des comparaisons avec celui-ci, mais pas aux fins d'établir la bioéquivalence sur le fondement des caractéristiques pharmaceutiques. Par exemple, la qualité du Paclitaxel pour perfusion est comparée à celle du Taxol, et le degré de pureté du paclitaxel contenu dans les deux produits est presque identique. En outre, les résultats d'un nombre relativement infime d'essais cliniques du Paclitaxel pour perfusion sont comparés à ceux des essais cliniques plus étendus menés relativement au Taxol, qui font partie du domaine public. Les résultats sont les mêmes. Grâce à l'utilisation des données sur le Taxol, Biolyse a pu déposer, relativement au Paclitaxel pour perfusion, une PDN beaucoup plus courte que la PDN type: 17 volumes au lieu des 300 ou plus qui constituent habituellement la PDN.

[9]Le Paclitaxel pour perfusion et le Taxol sont identiques sous tous les rapports importants, sauf l'origine biologique de leur ingrédient actif, le paclitaxel. Ainsi, par exemple, le paclitaxel employé dans les deux médicaments est identique; les deux médicaments sont approuvés pour le traitement des mêmes formes de cancer; ils sont administrés selon des concentrations et une posologie comparables et par la même voie; leur formulation est la même.

C. CADRE LÉGISLATIF

[10]Les dispositions suivantes de l'article 5 du Règlement sont pertinentes aux fins du règlement de la question en litige.

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133

5. (1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue:

a)soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne sera pas délivré avant l'expiration du brevet;

b)soit une allégation portant que, selon le cas:

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)c) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n'est pas valide,

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

(1.1) Sous réserve du paragraphe (1.2), lorsque le paragraphe (1) ne s'applique pas, la personne qui dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue contenant un médicament que l'on trouve dans une autre drogue qui a été commercialisée au Canada par suite de la délivrance d'un avis de conformité à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre visant cette autre drogue contenant ce médicament, lorsque celle-ci présente la même voie d'administration et une forme posologique et une concentration comparables:

a)soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne soit pas délivré avant l'expiration du brevet;

b)soit une allégation portant que, selon le cas:

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)c) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n'est pas valide,

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

(1.2) Si une personne visée au paragraphe (1.1) a signifié, conformément aux alinéas (3)b) ou c), un avis d'allégation à une première personne à l'égard d'un brevet inscrit au registre, elle n'est tenue de signifier un avis d'allégation à l'égard de la même demande, de la même allégation et du même brevet à aucune autre première personne.

[ . . .]

7. (1) Le ministre ne peut délivrer un avis de conformité à la seconde personne avant la plus tardive des dates suivantes:

[ . . .]

b) la date à laquelle la seconde personne se conforme à l'article 5;

D. QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

Première question Le paragraphe 5(1.1) s'applique-t-il à la PDN de Biolyse?

[11]La principale question en litige est de savoir si le paragraphe 5(1.1) s'applique aux faits de l'espèce. Plus particulièrement, la disposition ne s'applique-t-elle qu'à la situation où la deuxième personne a déposé une PADN et demandé l'approbation de son médicament en le comparant à celui de la première personne pour en établir la bioéquivalence sur le fondement des caractéristiques pharmaceutiques? Si l'on interprète le paragraphe 5(1.1) suivant le sens ordinaire des mots qui y sont employés, sans tenir compte du contexte ou de l'historique législatif, il appert que sa portée n'est pas ainsi limitée et qu'il s'applique à la PDN de Biolyse relative au Paclitaxel pour perfusion.

[12]Au Canada, le point de départ pour l'interprétation d'une disposition législative est l'extrait suivant de l'ouvrage de Driedger intitulé Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto: Butterworths, 1983), que l'on cite couramment (à la page 87):

[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

[13]Cette conception globale de l'interprétation d'une loi ou, comme en l'espèce, d'un règlement, exige d'une cour de justice qu'elle retienne le sens qui est le plus compatible avec le texte et le contexte de la disposition en cause. L'on ne peut faire abstraction ni de l'un ni de l'autre. Cependant, plus le «sens ordinaire» du texte est clair, plus les considérations d'ordre contextuel doivent être pressantes pour justifier une autre interprétation, spécialement lorsqu'il s'agit d'ajouter des mots à ceux utilisés par le législateur.

Le libellé du paragraphe 5(1.1)

[14]Voici à nouveau le texte de ce paragraphe.

5. [. . .]

(1.1) Sous réserve du paragraphe (1.2), lorsque le paragraphe (1) ne s'applique pas, la personne qui dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue contenant un médicament que l'on trouve dans une autre drogue qui a été commercialisée au Canada par suite de la délivrance d'un avis de conformité à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre visant cette autre drogue contenant ce médicament, lorsque celle-ci présente la même voie d'administration et une forme posologique et une concentration comparables: [Soulignement ajouté.]

[15]Les faits de la présente affaire satisfont à chacun des éléments du paragraphe, si l'on tient compte du sens ordinaire des mots, mais non de l'objectif du législateur et du cadre législatif. Premièrement, le juge Blanchard a conclu que le paragraphe 5(1) ne s'applique pas, et sa conclusion n'a pas été contestée. Deuxièmement, Biolyse «a déposé une demande d'avis de conformité», et «demande» s'entend d'une PDN, d'une PADN ou d'un supplément à l'une d'elles: Merck & Co. c. Canada (Procureur général) (1999), 176 F.T.R. 21 (C.F. 1re inst.) au paragraphe 59 (Merck). Dans la présente affaire, Biolyse a déposé une PDN relativement au Paclitaxel pour perfusion. Troisièmement, Biolyse «a déposé [une PDN] pour une drogue contenant un médicament que l'on trouve dans une autre drogue». Le médicament paclitaxel est présent dans le Paclitaxel pour perfusion et dans le Taxol. Quatrièmement, cette autre drogue, le Taxol, «a été commercialisée au Canada par suite de la délivrance d'un avis de conformité à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise». Cinquièmement, le Paclitaxel pour perfusion de Biolyse «présente la même voie d'administration [que le Taxol] et une forme posologique et une concentration comparables».

[16]Par conséquent, vu les circonstances de l'espèce, si l'on interprète le paragraphe 5(1.1) suivant son sens ordinaire et grammatical, Biolyse devait, dans sa demande, faire une allégation conformément à l'alinéa 5(1.1)b) et, tant qu'elle ne s'était pas acquittée de cette obligation, l'alinéa 7(1)b) interdisait au ministre de délivrer un AC à l'égard du Paclitaxel pour perfusion.

Le contexte du paragraphe 5(1.1)

[17]L'appelante et le procureur général prétendent que la disposition doit être interprétée de manière contextuelle, c'est-à-dire en donnant effet à l'objectif législatif qui ressort notamment du Résumé d'étude d'impact de la réglementation (REIR).

[18]Il est évident, selon eux, vu l'intention qu'avait le législateur en adoptant les modifications de 1999, que le paragraphe 5(1.1) doit être interprété de manière plus restrictive que suivant le sens ordinaire des mots qui y sont employés. Il ne devrait s'appliquer que lorsque le paragraphe 5(1) ne s'applique pas, mais qu'une deuxième personne a demandé l'approbation de la commercialisation d'un médicament en déposant une PADN et a comparé son médicament à celui de la première personne ou y a fait référence aux fins d'établir sa bioéquivalence sur le fondement des caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, des caractéristiques en matière de biodisponibilité. Comme, en l'espèce, la voie d'administration des médicaments est la perfusion, la question de la biodisponibilité ne se pose pas.

[19]Les avocats de l'appelante et du procureur général font valoir que le paragraphe 5(1.1) a été ajouté en 1999 pour combler la lacune apparente de l'ancienne disposition signalée dans Merck. On a soutenu dans cette affaire que la version du paragraphe 5(1) alors en vigueur ne s'appliquait pas lorsqu'une troisième personne comparait la bioéquivalence de son médicament générique à celle du médicament générique d'une deuxième personne, même si la deuxième personne avait demandé un AC en comparant la bioéquivalence de son médicament à celle du médicament de la première personne. S'il avait été fait droit à cet argument, la troisième personne n'aurait pas eu à déposer un AA et aurait pu obtenir un AC en convainquant le ministre que son médicament était bioéquivalent à celui de la deuxième personne, même si cette dernière avait dû déposer un AA et s'exposait donc à ce qu'une ordonnance d'interdiction soit demandée pour empêcher la délivrance d'un AC.

[20]En fait, la Section de première instance a rejeté cette interprétation du paragraphe 5(1) dans une décision rendue après la modification du Règlement. Elle a conclu qu'une comparaison indirecte avec le médicament de la première personne était suffisante pour donner effet à l'obligation de déposer un AA. L'appel relatif à cette décision a été rejeté: Merck & Co. c. Nu-Pharm Inc. (2000), 5 C.P.R. (4th) 138 (C.A.F.).

[21]Le REIR accompagnant les modifications de 1999 dit que les modifications «visent [. . .] à réitérer l'application du règlement» et qu'«il ne s'agit pas de changements touchant la politique». En outre, il est précisé que les modifications «sont conçues pour clarifier la loi et réitérer l'application du règlement».

[22]Un document de Santé Canada publié en mai 2000 et intitulé Ligne directrice à l'intention de l'industrie: Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) a également été invoqué à l'appui de la thèse selon laquelle le paragraphe 5(1.1) n'est censé s'appliquer que lorsqu'une deuxième personne a déposé une PADN et a comparé son médicament, directement ou non, à celui de la première personne afin d'en établir la bioéquivalence. Le document dit: «Dans une présentation de drogue où il y a une démonstration de bioéquivalence et conséquemment [un renvoi à] une autre drogue antérieurement approuvée, le [Programme des produits thérapeutiques de Santé Canada] appliquera le test qui est décrit au paragraphe 5(1.1).»

[23]L'avocat a fait valoir que la portée restreinte des modifications de 1999 ressort du libellé du paragraphe 5(1.1). Il a signalé que cette disposition exige que la drogue de la première personne ait été «commercialisée au Canada par suite de la délivrance d'un avis de conformité» et que la drogue de la deuxième personne «présente la même voie d'administration et une forme posologique et une concentration comparables». Il a soutenu que ces conditions n'ont de sens que si la deuxième personne a déposé une PADN aux fins d'établir la bioéquivalence avec la drogue de la première personne.

[24]Selon l'avocat, le mot «comparables» employé au paragraphe 5(1.1) renvoie aux comparaisons faites pour établir la bioéquivalence dans une PADN déposée en application des paragraphes C.08.002.1(1) [édicté par DORS/95-411, art. 5] et (2) [édicté, idem] du Règlement sur les aliments et drogues. C'est pourquoi le REIR accompagnant les modifications de 1999 dit ce qui suit: «Dans ce contexte, le mot «comparable[s]» doit être interprété comme dans le contexte du processus d'approbation des médicaments». Par conséquent, l'avocat a prétendu que le terme «comparables» employé au paragraphe 5(1.1) renvoie à une comparaison visant à établir la bioéquivalence en vue de l'obtention d'un AC par suite du dépôt d'une PADN conformément au Règlement sur les aliments et drogues. Il a ajouté que si l'interprétation des sociétés intimées est juste, le paragraphe 5(1) est redondant.

[25]L'on pourrait débattre longuement de l'hypothèse que le paragraphe 5(1.1) a été adopté en réponse à Merck. Le juge Blanchard a d'ailleurs conclu en ce sens (au paragraphe 48). Toutefois, l'avocat des intimées a laissé entendre que la difficulté relevée dans Merck n'était pas propre aux faits de l'espèce. En fait, la situation relevait d'un problème plus vaste, savoir que les fabricants de médicaments génériques tentaient de contourner l'article 5 en présentant des documents qui revêtaient la forme d'un PDN, mais qui constituaient en fait des PADN déguisées en ce qu'ils s'en remettaient largement à des données produites en liaison avec un médicament approuvé, mais sans faire de comparaison pour en établir la bioéquivalence.

[26]Comme l'a laissé entendre l'avocat de BMS, c'est précisément ce que Biolyse a tenté de faire en l'espèce, sa présentation étant en fait hybride. Ainsi, par exemple, Biolyse a pu tirer profit des travaux de BMS, qui sont à vrai dire dans le domaine public, en comparant les résultats des essais cliniques qu'elle avait effectués pour le Paclitaxel pour perfusion avec ceux réalisés par BMS pour le Taxol, afin d'établir l'innocuité et l'efficacité du médicament. Biolyse a ainsi économisé beaucoup de temps et d'argent dans la constitution de la preuve requise pour établir l'innocuité et l'efficacité de son produit, et elle a donc été en mesure de déposer une PDN abrégée.

[27]En outre, l'avocat de BMS a prétendu que le sens ordinaire du paragraphe 5(1.1) est compatible avec l'objectif global de cette partie du cadre législatif, qui n'a pas trait à la santé et à l'efficacité, mais qui est d'offrir aux titulaires de brevet des recours plus efficaces pour empêcher la contrefaçon.

[28]En ce qui concerne l'intention du législateur suivant le REIR joint aux modifications de 1999, l'avocat de BMS soutient qu'il n'est dit nulle part que le nouveau paragraphe 5(1.1) ne s'applique qu'en présence de la référence ou de la comparaison alléguées par l'appelante. En outre, le REIR reconnaît que des instances peuvent être engagées pour circonscrire la portée des modifications et que des «demandes d'avis de conformité déposées auprès du ministre de la Santé et pouvant être visées par le paragraphe 5(1.1) pourraient aussi engendrer des litiges».

[29]À cet égard, l'avocat a signalé que, lors de la consultation préalable de l'association représentant les sociétés pharmaceutiques «innovatrices», les représentants d'Industrie Canada ont dit craindre que le paragraphe 5(1.1) ne s'applique à une PDN «indépendante», ce qui a amené l'association à croire que le paragraphe 5(1.1) était censé s'appliquer à une PDN «véritable» visée par la nouvelle disposition.

[30]En réponse à l'argument de Biolyse selon lequel les modifications de 1999 n'avaient pas pour objet d'accroître le nombre de situations où il était nécessaire de déposer un AA, l'avocat de BMS a laissé entendre que le libellé du paragraphe 5(1) en vigueur avant les modifications de 1999 aurait fort bien pu s'appliquer aux faits de la présente espèce. Contrairement à la version 1999, la version antérieure du paragraphe 5(1) ne prévoyait pas expressément que la comparaison avec la drogue de la première personne devait avoir pour but d'établir la bioéquivalence. Il n'est donc pas clair que l'interprétation du paragraphe 5(1.1) préconisée par BMS accroît le nombre de situations où un AA est exigé.

[31]En dernière analyse, l'avocat de BMS s'en est remis au sens ordinaire du paragraphe 5(1.1). Il a signalé que l'interprétation que privilégie l'appelante exige non seulement l'ajout de mots, mais également que l'expression «a déposé une demande» s'entende de «a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle», même si, dans Merck, la Cour a dit (au paragraphe 59) que, dans le contexte du Règlement, une «demande d'avis de conformité» s'entendait d'une présentation de drogue nouvelle, d'une présentation abrégée de drogue nouvelle et d'un supplément à l'une de ces présentations. En ce qui a trait à l'argument fondé sur l'emploi du mot «comparables», l'avocat a laissé entendre que «dont les effets sont semblables» était une signification plus évidente que celle proposée par l'appelante, et que la limitation de la portée du paragraphe 5(1.1) visait à mettre l'accent sur les cas les plus probables de contrefaçon de brevet. Enfin, il fait valoir que l'interprétation du paragraphe 5(1.1) préconisée par l'appelante aurait pour effet de rendre le paragraphe 5(1) redondant.

Conclusion

[32]Après analyse du libellé du paragraphe 5(1.1) suivant le sens grammatical et ordinaire des mots, de même qu'en tenant compte du contexte global (notamment l'objet et l'ossature du Règlement), je ne suis pas convaincu que le paragraphe 5(1.1) peut être interprété comme le préconisent Biolyse et le procureur général. Donner effet à cette interprétation exige l'ajout de mots à une disposition qui, même considérée dans le contexte législatif, n'est ni ambiguë ni incohérente. L'ajout de mots ne s'impose certainement pas sur le plan grammatical pour que la disposition soit intelligible. L'interprétation préconisée par Biolyse et le procureur général exige également une interprétation très forcée du terme «comparables» et l'attribution au mot «demande» d'un sens plus étroit que celui reconnu avant les modifications de 1999.

[33]De plus, l'interprétation du paragraphe 5(1.1) suivant le «sens ordinaire» est compatible avec l'objectif général du Règlement, qui est de faire en sorte que le régime d'approbation des nouveaux médicaments en fonction de leur innocuité et de leur efficacité protège davantage les brevets. Les documents dont nous sommes saisis ne me convainquent pas non plus que l'objectif des modifications de 1999 était nécessairement aussi restreint que le prétendent Biolyse et le procureur général. À mon avis, le principe sur lequel ils appuient leur interprétation n'est pas assez clair et pressant pour permettre la reformulation d'un texte de loi dont les dispositions sont claires.

[34]Pour les motifs invoqués par BMS, les mots employés au paragraphe 5(1.1) et sur lesquels se fonde Biolyse pour prétendre que le législateur a voulu limiter l'application de la disposition à la PADN ne justifient pas non plus une interprétation incompatible avec le sens ordinaire, même s'il est tenu compte du contexte. J'ajouterais qu'aucune des interprétations avancées ne règle la question du lien organique entre les paragraphes 5(1) et (1.1).

[35]L'appelante semble exhorter la Cour à franchir la frontière floue, mais néanmoins réelle, entre l'interprétation judiciaire et la reformulation législative. Si l'objectif du gouverneur en conseil, en modifiant le Règlement en 1999, était celui qu'avancent Biolyse et le procureur général, la mesure qui s'impose est de modifier à nouveau le Règlement de façon qu'il l'énonce correctement.

Deuxième question Le juge qui a entendu la demande a-t-il eu tort d'annuler l'AC?

[36]L'avocat de Biolyse a fait valoir que même si le juge Blanchard n'a pas commis d'erreur en arrivant à la conclusion que Biolyse était tenue de déposer un AA et que l'omission d'en signifier une copie à BMS a eu pour effet d'invalider l'AC, la Cour aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas annuler l'AC.

[37]Il a invoqué plusieurs éléments à l'appui de sa thèse: la seule réparation que prévoit le Règlement est le prononcé d'une ordonnance interdisant la délivrance d'un AC; BMS disposait d'autres recours, comme une action en contrefaçon de brevet et une demande de jugement déclaratoire selon lequel Biolyse a contrevenu à l'article 5 en omettant de déposer un AA; le fait que Biolyse a consulté de bonne foi Santé Canada quant au type de présentation de drogue nouvelle qu'elle devait déposer; les graves conséquences financières de l'annulation de l'AC pour Biolyse.

[38]Il appartient essentiellement au juge qui entend la demande d'exercer le pouvoir discrétionnaire d'accorder ou non la réparation demandée dans le cadre d'une instance en contrôle judiciaire. Sauf erreur de principe, mauvaise appréciation des faits ou décision par ailleurs déraisonnable, une cour d'appel doit s'abstenir de s'immiscer dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge ayant entendu la demande. Toutefois, comme le juge Blanchard ne s'est pas expressément prononcé sur la question de la réparation, il convient de formuler quelques remarques à ce sujet.

[39]Lorsqu'une mesure administrative est prise en contravention de la loi, il incombe normalement au tribunal siégeant en révision de l'annuler sur demande. À mon avis, les éléments invoqués par Biolyse sont insuffisants, tant sur le plan individuel que collectif et ne sauraient justifier le refus d'annuler l'AC délivré par le ministre à Biolyse.

[40]Premièrement, même si un AC ne peut être annulé en application du régime réglementaire particulier créé par le Règlement (Pfizer Canada Inc. c. Nu-Pharm Inc.; Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2001), 11 C.P.R. (4th) 245 (C.A.F.)), le pouvoir général de contrôle conféré à la Cour fédérale aux articles 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale s'applique à la mesure administrative que prend ou que s'abstient de prendre le ministre en application du Règlement.

[41]Partant, bien que le Règlement régisse l'instance en interdiction engagée sur le fondement de l'article 6 [mod. par DORS/99-379, art. 3] du Règlement, une demande de contrôle judiciaire peut être présentée en application de l'article 18.1 afin d'obtenir l'annulation d'un AC délivré contrairement aux dispositions du Règlement: Syntex (U.S.A.) L.L.C. c. Canada (Ministre de la Santé) (2002), 20 C.P.R. (4th) 29 (C.A.F.). Cependant, il ressort également de Syntex que la Cour n'accordera habituellement pas de réparation dans le cadre d'une instance en contrôle judiciaire engagée sur le fondement de l'article 18.1 lorsque le demandeur aurait pu demander une ordonnance d'interdiction en vertu du Règlement. Toutefois, lorsque, comme en l'espèce, le demandeur n'avait pas la possibilité d'invoquer l'article 6, l'exercice du pouvoir de la Cour d'accorder, dans le cadre d'une instance en contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1, la réparation demandée par BMS, n'est pas entravé par l'existence du régime particulier créé par le Règlement.

[42]Deuxièmement, le droit de BMS d'intenter contre Biolyse une action en contrefaçon de brevet ne justifie pas la Cour de refuser d'annuler l'AC. La raison d'être du Règlement est de protéger davantage les titulaires de brevet que ne le fait le droit privé en général. L'on peut donc difficilement soutenir que la Cour doit refuser d'annuler l'AC délivré par le ministre en contravention du Règlement parce que le droit de BMS d'intenter une action en contrefaçon de brevet, une fois commercialisé le médicament de Biolyse, constitue un autre recours approprié. Le jugement déclaratoire portant que Biolyse a omis de se conformer à l'article 5 ne constitue pas non plus un recours approprié puisqu'il n'empêche pas la contrefaçon éventuelle des brevets de BMS pour le Taxol résultant de la commercialisation, par Biolyse, du Paclitaxel pour perfusion.

[43]Troisièmement, aucun acte des représentants de Santé Canada ou de BMS ne rend inopportun l'octroi de la réparation demandée par BMS. La perte financière infligée à Biolyse par l'annulation de l'AC ne justifie pas non plus l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Il est évidemment loisible à Biolyse de déposer et de signifier un AA et de contester toute demande présentée par BMS sur le fondement de l'article 6 en vue d'obtenir une ordonnance d'interdiction.

[44]Par conséquent, je ne peux conclure que le juge Blanchard a commis une erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de réparation.

E. CONCLUSION

[45]Pour ces motifs, je rejetterais l'appel, avec un seul mémoire de frais payable à BMS par Biolyse et le procureur général.

Le juge Strayer, J.C.A.: Je souscris.

Le juge Nadon, J.C.A.: Je souscris.

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