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Référence :

Shaath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),

2009 CF 731, [2010] 3 R.C.F. 117

IMM-5093-08

IMM-5093-08

2009 CF 731

Loai Shaath (demandeur)

c.

Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Shaath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Lemieux—Montréal, 17 juin; Ottawa, 20 juillet 2009.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de résidents permanents — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a rejeté l’appel du demandeur à l’encontre d’une mesure d’interdiction de séjour — Le demandeur subvenait aux besoins de sa famille de l’étranger et il a manqué à l’obligation de résidence énoncée à l’art. 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — La SAI a conclu qu’il n’existait pas de motifs d’ordre humanitaire lui permettant de prendre des mesures spéciales en application de l’art. 67(1)c) de la Loi et d’autoriser le demandeur à conserver son statut de résident permanent — La SAI s’est penchée sur l’intention du demandeur de s’établir, mais elle n’estimait pas que le degré d’établissement à la date de l’audition était suffisant — Le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de convaincre la SAI que ses enfants subiraient une contrainte excessive — Demande rejetée.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle judiciaire — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a rejeté l’appel du demandeur à l’encontre d’une mesure d’interdiction de séjour — Examen des répercussions de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa (C.S.C.) sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu de l’art. 67(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire) — L’arrêt Khosa établit clairement que la déférence s’impose lorsque la norme de raisonnabilité s’applique.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a rejeté l’appel que le demandeur a interjeté à l’encontre de la mesure d’interdiction de séjour prise en application de l’article 41 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) pour le non-respect de son obligation de résidence énoncée à l’article 28 de cette Loi.

Le demandeur, un résident permanent depuis 2001, se rendait régulièrement aux Émirats arabes unis pour trouver du travail afin de subvenir aux besoins de sa famille, dont un fils ayant un problème d’apprentissage. En conséquence, il n’a pas été au Canada pendant 730 jours au cours de la période quinquennale en cause et n’a pas satisfait à l’obligation de résidence énoncée à l’article 28 de la LIPR. Dans sa décision, la SAI a pris en considération les facteurs formulés dans Ribic pour trancher la question de savoir si elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de prendre des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire en application de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. Elle a notamment conclu que le demandeur ne pouvait invoquer uniquement l’établissement de sa famille au Canada pour démontrer que lui aussi était établi au Canada, que le manquement à son obligation de résidence était un facteur négatif pesant lourdement dans la balance, et que sa famille ne subirait pas une contrainte excessive s’il était renvoyé. La SAI a conclu qu’il n’existait pas de motifs d’ordre humanitaire permettant au demandeur de conserver son statut de résident permanent.

Les principales questions litigieuses étaient celles de savoir si, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la SAI a omis de tenir compte de l’intention du demandeur de s’établir au Canada et si la SAI s’est trompée dans le cadre de son appréciation de la preuve relative à l’intérêt supérieur des enfants.

Jugement : la demande doit être rejetée.

La Cour s’est penchée sur les répercussions de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la SAI en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. L’arrêt Khosa établit clairement que la déférence s’impose lorsque la norme de raisonnabilité s’applique. Les cours de révision ne peuvent donc pas substituer la solution qu’elles jugent elles-mêmes appropriées, mais doivent plutôt déterminer si la décision dont elles sont saisies fait partie des issues possibles acceptables.

Il appert des motifs de la SAI que cette dernière s’est penchée sur l’intention du demandeur de s’établir au Canada pendant la période visée par l’obligation de résidence; cependant, elle n’estimait pas que le degré d’établissement du demandeur à la date de l’audience était suffisant.

La SAI était attentive, réceptive et sensible aux intérêts des enfants. Après avoir examiné la preuve dont la SAI était saisie, notamment la durée de la séparation du demandeur et de sa famille et les retours fréquents du demandeur au Canada lorsqu’il ne travaillait pas à l’étranger, la Cour a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau de convaincre la SAI que ses enfants subiraient une contrainte excessive.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1(4)d) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 70(1)b) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 28 (mod. par L.C. 2003, ch. 22, art. 172(A)), 41, 63(4), 67(1)c).

JURISPRUDENCE CITÉE

décision suivie :

Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, infirmant 2007 CAF 24, [2007] 4 R.C.F. 332, infirmant 2005 CF 1218.

décisions appliquées :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

décisions examinées :

Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84; Angeles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1257; Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 R.C.F. 635.

décisions citées :

Chirwa, Lancelot (1970), 4 A.I.A. 351 (C.A.I.); Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL).

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision ([2008] D.S.A.I. no 2079 (QL)) par laquelle la Section d’appel de l’immigration a rejeté l’appel du demandeur à l’encontre de la mesure d’interdiction de séjour prise pour le non-respect de son obligation de résidence. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Jacques Beauchemin pour le demandeur.

Sylviane Roy pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Beauchemin Paquin Jobin Brisson Philpot, Montréal, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Lemieux :

Introduction et contexte

[1] Le demandeur, qui est né à Gaza en Palestine et qui était résident permanent au Canada depuis 2001, conteste, par la présente demande de contrôle judiciaire, la décision en date du 10 novembre 2008 [[2008] D.S.A.I. no 2079 (QL)] rendue par Carol Hilling, de la Section d’appel de l’immigration (le tribunal ou la SAI), rejetant l’appel interjeté contre la mesure d’interdiction de séjour prononcée contre lui le 27 novembre 2007 en application de l’article 41 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [L.C. 2001, ch. 27] (la LIPR) pour non‑respect de l’article 28 [mod. par L.C. 2003, ch. 22, art. 172(A)] de la LIPR. Cette dernière disposition prévoit que, pour satisfaire à son obligation de résidence, le résident permanent doit être effectivement présent au Canada pour au moins 730 jours pendant la période quinquennale applicable. En voici le texte :

28. (1) L’obligation de résidence est applicable à chaque période quinquennale.

(2) Les dispositions suivantes régissent l’obligation de résidence :

a) le résident permanent se conforme à l’obligation dès lors que, pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale, selon le cas :

(i) il est effectivement présent au Canada,

[…]

b) il suffit au résident permanent de prouver, lors du contrôle, qu’il se conformera à l’obligation pour la période quinquennale suivant l’acquisition de son statut, s’il est résident permanent depuis moins de cinq ans, et, dans le cas contraire, qu’il s’y est conformé pour la période quinquennale précédant le contrôle;

c) le constat par l’agent que des circonstances d’ordre humanitaire relatives au résident permanent — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — justifient le maintien du statut rend inopposable l’inobservation de l’obligation précédant le contrôle. [Je souligne.]

[2] Un droit d’appel à la Section d’appel de l’immigration est prévu au paragraphe 63(4) de la LIPR à l’égard des décisions rendues relativement à l’obligation de résidence, et l’alinéa 67(1)c) de cette même Loi énonce ce qui suit :

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

[...]

c) […] il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

[3] Il convient de signaler d’entrée de jeu que le tribunal est parvenu à sa conclusion en dépit du fait que l’avocate représentant le ministre avait consenti à ce que l’appel soit accueilli pour des motifs d’ordre humanitaire, principalement en raison de l’établissement au Canada de la famille, dont tous les membres, sauf M. Shaath, étaient citoyens canadiens. L’avocate du ministre avait également reconnu l’important investissement réalisé par l’intéressé au Canada et avait convenu qu’ [traduction] « il avait fait des efforts plausibles pour obtenir une accréditation professionnelle au Canada et pouvoir ainsi se trouver un emploi dans son domaine dans un avenir rapproché ». Sa recommandation à l’effet d’accueillir l’appel de M. Shaath découlait principalement de son opinion qu’ [traduction] « il était illogique de demander le rejet de l’appel puisque M. Shaath pouvait dès demain présenter une demande parrainée par son épouse en tant que membre de la catégorie du regroupement familial, et il lui serait vraiment facile d’obtenir un visa de résident permanent et de recommencer tout le processus ». Selon elle, [traduction] « lui retirer son statut de résident permanent constituerait une punition disproportionnée dans les circonstances ».

[4] M. Shaath ne conteste pas la légalité de la mesure d’interdiction de séjour; son avocat fait plutôt valoir que des motifs d’ordre humanitaire justifient que le tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire de prendre des mesures spéciales, compte tenu de l’intérêt supérieur des enfants touchés par la mesure d’interdiction de séjour visant leur père et des autres circonstances.

Les faits

[5] La famille Shaath se compose du père, Loai, demandeur en l’espèce, de sa femme, Lena, de sa fille, Dalya, âgée de 14 ans et de ses fils, Ramadan et Wael, âgés respectivement de 13 et 8 ans. Comme il en a été fait mention, Mme Shaath et les enfants sont à présent citoyens canadiens. Le couple a un quatrième enfant, Tarek, un garçon âgé de 6 ans et demi, qui est né au Canada au mois de février 2002.

[6] Le demandeur et sa femme, nés en Palestine, sont apatrides. Ils n’ont pas de passeport, mais ils possèdent des documents de voyage délivrés par l’Autorité palestinienne.

[7] Avant d’arriver au Canada, le couple a résidé longtemps à Dubai dans les Émirats arabes unis (ÉAU). M. Shaath y est arrivé en 1985, et il y a travaillé dans la vérification comptable, les assurances et les services financiers. Sa femme, Lena, était enseignante.

[8] En 1998, ils ont demandé le statut de résident permanent au Canada. Leur demande a été accueillie et ils sont venus au Canada au mois de juillet 2001. Leur séjour n’a alors duré que deux ou trois semaines car il visait à déterminer où ils allaient s’établir. Ils souhaitaient également terminer leurs contrats de travail aux ÉAU.

[9] Après la naissance de Tarek au Canada en février 2002, ils sont retournés aux ÉAU en mai 2002. Au mois de juillet 2003, le contrat de M. Shaath à Dubai a pris fin; toute la famille a alors déménagé à Montréal.

[10] M. Shaath a témoigné qu’il a tenté de se trouver du travail dans le domaine qu’il connaissait, c’est‑à‑dire les assurances, mais qu’il n’y est pas parvenu parce qu’il ne possédait ni la certification ni le permis requis. Il s’est donc inscrit à deux cours à l’Université Concordia, après lesquels il a été décidé que, puisqu’il ne se trouvait pas d’emploi au Canada, il retournerait travailler aux ÉAU afin de subvenir aux besoins de sa famille. Il est retourné aux ÉAU au mois de mars 2004, pour revenir au Canada à la fin de 2004. C’est à ce moment qu’avec sa belle‑sœur il a acheté un immeuble commercial à Lachine.

[11] De 2004 à aujourd’hui, M. Shaath a effectué des allers-retours entre le Canada et les ÉAU, où il travaillait pour faire vivre sa famille. Il n’a jamais encore travaillé au Canada. Sa femme, qui s’occupe à temps plein des enfants, n’a pas travaillé au Canada elle non plus.

[12] Il est inutile de recenser tous les départs du demandeur du Canada et tous ses retours, et peut‑être est‑ce impossible. Après examen de la transcription, je souscris à la conclusion formulée par le tribunal au paragraphe 6 qu’il est « très difficile de déterminer exactement le temps que l’appelant a passé hors du Canada, car il n’a pas donné énormément de dates, prétendant les avoir oubliées. L’appelant a aussi signalé que les périodes indiquées dans son questionnaire Détermination du statut de résident permanent ne sont pas fiables, car au moment où celui‑ci l’a rempli, il était trop fatigué par le long voyage entre les ÉAU et le Canada ». Quoi qu’il en soit, les deux avocats ont convenu, à l’audience devant le tribunal, que M. Shaath avait passé environ 500 jours au Canada pendant la période pertinente allant du 27 novembre 2002 au 27 novembre 2007.

[13] En 2006, M. Shaath a adhéré à l’Institut d’assurance du Canada parce qu’ainsi qu’il l’a affirmé [traduction] « il faut que j’aie une accréditation professionnelle pour trouver un emploi convenable au Canada » (transcription, dossier certifié du tribunal (DCT), à la page 337).

[14] Le 21 octobre 2008, lorsqu’il a été entendu par le tribunal, M. Shaath a déclaré qu’il avait passé les examens du premier niveau au mois de décembre 2007, qu’il étudiait pour terminer le deuxième et dernier niveau, dont les examens avaient lieu au mois de décembre 2008 et qu’il espérait obtenir son titre au mois de juillet 2009. Il suivait ses cours en ligne puisqu’il possédait déjà de l’expérience dans le domaine des assurances.

[15] En 2007, il a acheté un triplex à Brossard, mais la famille n’y a pas emménagé car son fils aîné, qui éprouve des difficultés d’apprentissage, est suivi dans des établissements de santé et d’éducation de Ville Saint-Laurent, où la famille s’est installée lorsqu’elle s’est établie à Montréal en 2003.

[16] L’immeuble commercial qu’il possède pour moitié à Lachine et le triplex dont il est propriétaire à Brossard sont loués, mais il doit payer le loyer de la maison où sa famille habite à Ville Saint-Laurent. Son travail aux ÉAU fournit le reste du revenu nécessaire pour subvenir aux besoins de sa famille.

[17] À l’audience tenue le 21 octobre 2008, il a témoigné qu’il prévoyait retourner aux ÉAU et qu’il était en train de négocier un contrat de consultant. Il était encore là‑bas à la date de l’audience devant notre Cour.

La décision du tribunal

[18] Après avoir résumé les faits susmentionnés, le tribunal a commencé son analyse par l’examen des facteurs utiles pour déterminer si l’exercice de son pouvoir discrétionnaire se justifie compte tenu de l’ensemble des circonstances, faisant remarquer que la liste de ces facteurs n’est pas exhaustive et que le poids à accorder à chacun peut différer selon les circonstances.

[19] Le tribunal [au paragraphe 12], citant à l’appui Chirwa, Lancelot (1970), 4 A.I.A. 351 (C.A.I.), a posé « que les motifs d’ordre humanitaire sont définis comme étant les faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs [justifient la prise de mesures spéciales] aux fins des dispositions de la Loi ».

[20] Il a ensuite fait état des facteurs Ribic [Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL)], reconnus dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84 (Chieu), comme les facteurs à appliquer dans l’appréciation de la preuve soumise à l’appui des demandes de sursis d’exécution de renvoi de résidents permanents fondées sur des motifs d’ordre humanitaire et relevant du pouvoir discrétionnaire du tribunal, dont il a fait la liste suivante [au paragraphe 12] :

a. le degré d’établissement de l’appelant au Canada, y compris sur les plans de l’emploi et la formation professionnelle;

b. les raisons de son départ du Canada;

c. les raisons de son séjour prolongé à l’étranger;

d. la question de savoir s’il a tenté de revenir à la première occasion;

e. le soutien familial dont bénéficie l’appelant au Canada;

f.  les conséquences du renvoi de l’appelant sur celui-ci et sa famille;

g. les difficultés que l’appelant éprouverait si l’entrée au Canada lui était refusée.

[21] Le tribunal a analysé ces facteurs de la façon suivante.

Établissement

[22] Il a considéré comme un facteur positif que M. Shaath possède des biens au Canada et paie des impôts, dont les taxes municipales et scolaires, mais a relevé qu’il s’agissait là du seul élément indicateur de son établissement au Canada, alors que la preuve de l’établissement du reste de la famille était plus abondante. Selon le tribunal, M. Shaath ne pouvait invoquer uniquement l’établissement de sa famille pour démontrer que lui aussi était établi au Canada.

[23] Le tribunal a signalé [au paragraphe 14] que l’intéressé n’avait jamais travaillé au Canada et qu’il retournait aux ÉAU « chaque fois qu’il a besoin d’arrondir le revenu que lui procurent ses propriétés au Canada ». De l’avis du tribunal, il existait des éléments de preuve indiquant que M. Shaath « compte s’établir au Canada un jour ou l’autre, comme en font foi les cours qu’il suit pour devenir courtier d’assurance accrédité », mais il a précisé qu’il devait fonder sa décision sur la preuve existant au moment de l’audience, et il a jugé que les cours suivis à l’Institut d’assurance du Canada ne constituaient pas un facteur de poids relativement à la période pertinente (novembre 2002 à novembre 2007).

Manquement à l’obligation de résidence

[24] Le tribunal a estimé que ce manquement était un facteur négatif pesant lourdement dans la balance, écrivant [au paragraphe 15] :

La preuve démontre que l’appelant a quitté le Canada de son propre chef. En outre, l’appelant a admis à l’audience avoir été au courant de l’obligation de résidence. En réponse aux questions du tribunal, il a affirmé ne s’en être jamais inquiété, pensant qu’il n’avait pas à la respecter à la lettre. Le tribunal trouve cet aveu particulièrement révélateur, car il indique que l’appelant n’a jamais fait d’effort pour respecter les conditions auxquelles est assujetti le statut de résident permanent. [Je souligne.]

Aucune raison acceptable de ne pas se trouver au Canada et absence de retour à la première occasion

[25] Voici ce qu’a écrit le tribunal à cet égard [au paragraphe 16] :

En soi, la décision qu’a prise l’appelant de retourner aux ÉAU pour gagner assez d’argent afin de donner à ses enfants et à sa femme au Canada la vie dont ceux‑ci ont l’habitude d’avoir, tout en se dotant de l’accréditation nécessaire pour trouver du travail dans son domaine au Canada, ne constitue pas un facteur défavorable. Toutefois, en l’instance, l’appelant aurait certainement pu en faire autant tout en respectant l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la Loi. Il n’avait aucune raison acceptable de ne pas se trouver au Canada pendant 730 jours entre le mois de novembre 2002 et le mois de novembre 2007. Au mois de novembre 2002, l’appelant était résident permanent depuis vingt mois et il n’avait pas passé plus de quelques semaines au Canada parce que, de son propre chef, il avait décidé de reporter son départ des ÉAU à la fin de son contrat. Lui et sa famille sont arrivés au mois de juillet 2003, et l’appelant a choisi de retourner aux ÉAU au bout de quelques mois. Le simple fait qu’il ait été si difficile d’obtenir des réponses plus précises quant aux dates de ses voyages révèle le peu d’importance que l’appelant accorde à son obligation de résidence. De l’avis du tribunal, l’appelant n’a pas tenté de revenir au Canada à la première occasion. L’appelant est revenu quand il a eu le sentiment d’avoir fait assez d’argent et il a continué de retourner aux ÉAU chaque fois qu’il avait besoin d’argent. [Je souligne.]

Investissement au Canada

[26] Le tribunal a ensuite examiné le facteur des investissements de M. Shaath au Canada, qu’il a jugé positif mais insuffisant, et a fait remarquer que l’intéressé [au paragraphe 17] « semble toutefois croire que, parce qu’il a investi de l’argent ici, son manquement à l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la Loi mérite une moins grande attention ». Il a exprimé son désaccord en écrivant que l’intéressé : « n’était pas tenu d’investir au Canada. Il l’a fait par choix », ajoutant :

L’appelant n’a pas témoigné n’avoir pu trouver de travail au Canada, mais plutôt n’avoir pu y trouver de travail convenable. Comme il a déjà été mentionné, la décision de l’appelant de retourner aux ÉAU, où il pouvait trouver du travail dans son domaine, ne l’empêchait nullement de veiller à passer au Canada un nombre de jours suffisant pour respecter l’obligation de résidence imposée par l’article 28 de la Loi. L’appelant n’a même pas fait d’effort en ce sens. [Je souligne.]

Difficultés

[27] Le tribunal a examiné les difficultés que le renvoi de M. Shaath occasionnerait à la famille, aux paragraphes 18, 19 et 20 de ses motifs :

Le tribunal trouve révélateur que la femme de l’appelant n’ait pas parlé des bouleversements que vivraient les enfants si leur père devait quitter le Canada. Celle‑ci a déclaré ignorer ce qu’elle et ses enfants éprouveraient en apprenant que leur père ne peut rester ici. Elle a précisé que sa famille serait très déçue par le Canada. Cette famille doit toutefois prendre conscience du fait que, dans leur nouveau pays, nul ne peut ignorer la loi en toute impunité.

L’un de ses enfants ayant des problèmes d’apprentissage, l’appelant a présenté des éléments de preuve touchant le diagnostic, le traitement et les résultats scolaires de l’enfant. Il semble que celui-ci ait reçu des soins et que ses besoins particuliers aient été comblés pendant les absences de son père et jusqu’à présent; la femme de l’appelant n’a nullement indiqué qu’il en irait autrement si l’appelant était renvoyé du Canada.

Le tribunal croit que, si l’appelant est forcé de demeurer longtemps absent du Canada cette fois-ci, sa famille en souffrira, d’autant qu’il est exclu que sa femme et ses enfants repartent avec lui, car les enfants sont bien établis ici. Ces derniers sont toutefois habitués à son absence. De plus, en perdant son statut de résident permanent, l’appelant ne serait pas séparé en permanence de sa famille, car il pourrait demander à nouveau la résidence permanente au Canada. [Je souligne; note en bas de page omise.]

Recommandation de l’avocate du ministre d’accueillir l’appel

[28] Comme je l’ai indiqué précédemment, le tribunal a repoussé la recommandation de l’avocate du ministre selon laquelle « comme l’appelant pourra vraisemblablement obtenir de nouveau le statut de résident permanent, il n’y a pas lieu de le renvoyer », lui répondant ainsi [au paragraphe 21] :

Pour que ce dernier exerce son pouvoir discrétionnaire, l’existence de motifs d’ordre humanitaire doit être établie. Si l’obligation de résidence énoncée à l’article 28 doit avoir un sens, le tribunal ne saurait exercer son pouvoir discrétionnaire simplement parce que le résultat serait le même de toute manière. Le tribunal ne considère pas non plus que, en forçant l’appelant à présenter une nouvelle demande de résidence permanente, le châtiment imposé serait disproportionné, pour reprendre les termes utilisés par la conseil du ministre. Il s’agit de la conséquence directe du manquement à l’obligation prévue à l’article 28. À défaut de motifs d’ordre humanitaire, le tribunal doit rejeter l’appel. [Je souligne.]

 [29] Le tribunal a fait état de circonstances supplémentaires :

• la capacité de la famille de rendre visite à l’intéressé aux ÉAU [au paragraphe 22] « comme elle l’a fait presque chaque été depuis son arrivée au Canada »;

• hormis les loyers, que la famille continuera de percevoir, M. Shaath n’a pas de source de revenus au Canada, de sorte que sa famille ne sera pas dépourvue, parce que la principale source de revenus du demandeur lui vient principalement de son travail aux ÉAU [au paragraphe 22] « et qu’il possède là-bas le statut de résident permanent » [non souligné dans l’original]. Ainsi, M. Shaath « pourra continuer d’assurer la subsistance de sa famille ».

[30] De l’avis du tribunal, les facteurs défavorables l’emportaient en l’espèce sur les facteurs favorables, et M. Shaath n’avait pas établi suivant la prépondérance des probabilités l’existence de motifs d’ordre humanitaire lui permettant de conserver son statut de résident permanent en dépit du non‑respect de l’obligation de résidence énoncée à l’article 28 de la LIPR.

Analyse

a) La norme de contrôle

[31] Les deux parties sont d’avis que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité. Je partage leur opinion. Cette position concorde avec la réforme de l’analyse relative à la norme de contrôle que la Cour suprême du Canada a effectuée dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), en éliminant la norme de la décision manifestement déraisonnable pour n’en retenir que deux : la norme de la décision correcte, dont l’application ne fait pas intervenir de déférence à l’égard de la décision soumise à la cour de révision, et la norme de la décision raisonnable, qui appelle la déférence.

[32] Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême a aussi indiqué qu’il n’était pas obligatoire de procéder à une analyse exhaustive lorsque la jurisprudence a déjà établi de manière satisfaisante la norme de contrôle à appliquer. C’est le cas en l’espèce. La Cour suprême a statué, dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker), que la norme de contrôle applicable aux décisions des agents d’immigration en matière d’exceptions pour motifs d’ordre humanitaire était la norme de la décision raisonnable.

[33] L’énoncé suivant, figurant au paragraphe 51 des motifs des juges Bastarache et LeBel dans l’arrêt Dunsmuir, fournit un appui supplémentaire à l’applicabilité de la norme de la décision raisonnable : « en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique [...] la norme de la raisonnabilité s’applique généralement ».

[34] Dans l’arrêt Dunsmuir, les juges Bastarache et LeBel ont expliqué ainsi ce qu’est une décision raisonnable (au paragraphe 47) :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. [Je souligne.]

b) Les incidences de l’arrêt Khosa

[35] Le 6 mars 2009, l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 (Khosa), de la Cour suprême du Canada a été rendu, et il revêt une grande importance pour l’affaire dont je suis saisi parce qu’il porte sur l’exercice par la SAI du pouvoir discrétionnaire prévu par la disposition même qui nous concerne en l’espèce, l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.

[36] Cette affaire concernait le pourvoi formé par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration contre l’arrêt de la Cour d’appel fédérale [2007 CAF 24, [2007] 4 R.C.F. 332] infirmant, par application de la norme de la raisonnabilité, la décision du juge en chef de la Cour fédérale [2005 CF 1218] de ne pas annuler la décision de la SAI. Celle‑ci, siégeant en formation de trois membres, avait rejeté la demande d’annulation ou de sursis d’exécution pour motifs d’ordre humanitaire visant la mesure de renvoi dont M. Khosa avait fait l’objet après avoir plaidé coupable à l’accusation de négligence criminelle ayant causé la mort lors d’une course automobile sur la voie publique à Vancouver.

[37] M. Khosa était un citoyen indien qui avait immigré au Canada en 1996 avec ses parents, à l’âge de 14 ans. Il avait le statut de résident permanent lorsqu’il a été déclaré coupable.

[38] L’arrêt Khosa [au paragraphe 16] a également interprété l’alinéa 18.1(4)d) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], qui habilite la Cour fédérale saisie d’une demande de contrôle judiciaire à annuler la décision d’un office fédéral lorsqu’elle est convaincue que cet office « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ».

[39] Le juge Binnie, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a conclu que cette disposition ne faisait qu’énumérer des motifs de contrôle et n’établissait pas de norme légale de contrôle. Il a cependant indiqué qu’elle donne une « indication législative » relativement au degré de déférence applicable aux décisions de la SAI. Il a expliqué ce qui suit au paragraphe 46 :

De façon plus générale, il ressort clairement de l’al. 18.1(4)d) que le législateur voulait qu’une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence. Ce qui est tout à fait compatible avec l’arrêt Dunsmuir. Cette disposition législative précise la norme de contrôle de la raisonnabilité applicable aux questions de fait dans les affaires régies par la Loi sur les Cours fédérales. [Je souligne.]

[40] Le juge Binnie a également abordé la signification de la norme de la raisonnabilité, écrivant (au paragraphe 59) :

La raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte. L’arrêt Dunsmuir avait notamment pour objectif de libérer les cours saisies d’une demande de contrôle judiciaire de ce que l’on est venu à considérer comme une complexité et un formalisme excessifs. Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable. [Je souligne.]

[41] Le juge Binnie a décrit l’objet de la SAI en ces termes (au paragraphe 56) :

Pour ce qui est de la raison d’être de la SAI suivant sa loi habilitante, la SAI tranche des appels très variés sous le régime de la LIPR, y compris les appels des résidents permanents ou des personnes protégées contre les mesures de renvoi prises contre eux, ceux des personnes ayant déposé une demande de parrainage au titre du regroupement familial, ceux des résidents permanents contre une décision rendue hors du Canada sur leur obligation de résidence et ceux du ministre contre une décision rendue par la Section de l’immigration dans le cadre de son enquête (art. 63). Une décision de la SAI n’est susceptible de contrôle que sur autorisation de la Cour fédérale (art. 72).

[42] Au sujet des raisons pour lesquelles l’alinéa 67(1)c) a été édicté, le juge Binnie a indiqué (au paragraphe 57) :

Reconnaissant que le renvoi peut entraîner des difficultés, le législateur a prévu à l’al. 67(1)c) un pouvoir de prendre des mesures exceptionnelles. Selon la nature de la question que pose l’al. 67(1)c), la SAI « fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé […] il y a […] des motifs d’ordre humanitaire justifiant […] la prise de mesures spéciales ». Il revient à la SAI de déterminer non seulement en quoi consistent les « motifs d’ordre humanitaires », mais aussi s’ils « justifient » la prise de mesures dans un cas donné. L’alinéa 67(1)c) exige que la SAI procède elle‑même à une évaluation liée aux faits et guidée par des considérations de politique [soulignement ajouté]. Comme la Cour l’a fait remarquer dans Prata c. Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376, p. 380, une mesure de renvoi

établit que, s’il ne peut bénéficier d’aucun privilège particulier, [l’individu visé par une mesure de renvoi légitime] n’a aucun droit à demeurer au Canada. Par conséquent, [l’individu faisant appel d’une mesure de renvoi légitime] ne cherche pas à faire reconnaître un droit, mais il tente plutôt d’obtenir un privilège discrétionnaire. [Souligné dans l’original.]

[43] Il a présenté ainsi la question dont la SAI était saisie (au paragraphe 58) :

L’intimé n’a soulevé aucune question de pratique ou de procédure. Il a reconnu que la mesure de renvoi avait été validement prise contre lui en application du par. 36(1) de la LIPR. Sa contestation visait directement le refus de la SAI de lui accorder un « privilège discrétionnaire ». La décision de la SAI de ne pas prendre de mesure reposait sur une évaluation des faits au dossier. La SAI a eu l’avantage de tenir les audiences et d’évaluer la preuve, y compris le témoignage de l’intimé lui‑même. Les membres de la SAI possèdent une expertise considérable pour trancher les appels sous le régime de la LIPR. Considérés ensemble, ces facteurs font clairement ressortir que la norme de contrôle de la raisonnabilité s’applique. Aucun motif ne permettrait d’aboutir à un résultat différent. Le par. 18.1(4) ne comporte aucun élément qui s’opposerait à l’adoption de la norme de contrôle de la « raisonnabilité » à l’égard des décisions rendues en vertu de l’al. 67(1)c). Par conséquent, je conclus que la norme de contrôle applicable est celle de la « raisonnabilité ». [Non souligné dans l’original.]

[44] Dans l’arrêt Khosa, le juge Binnie a accueilli le pourvoi et rétabli la décision de la SAI. Après avoir expliqué la norme de la raisonnabilité, il a exprimé [au paragraphe 60] l’avis que « [c]ompte tenu de la déférence considérable due à la SAI et de la portée étendue du pouvoir discrétionnaire conféré par la LIPR, je crois que rien ne permettait à la Cour d’appel fédérale d’annuler le refus de la SAI de prendre des mesures spéciales en l’espèce. »

[45] Il a répondu par ce commentaire à l’opinion du juge Fish que le pourvoi devrait être accueilli (aux paragraphes 61 et 62) :

Mon collègue le juge Fish reconnaît que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité, mais il accueillerait l’appel. Il affirme :

Le refus de M. Khosa de reconnaître qu’il participait à une course de rue peut certes indiquer qu’il « ne saisit pas bien toute la portée de sa conduite », mais il ne peut raisonnablement servir à contredire — et encore moins à surpasser, selon la prépondérance des probabilités, — tous les éléments de preuve en sa faveur concernant ses remords, sa réadaptation et son risque de récidive. [par. 149]

Je ne crois pas qu’il rentre dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve.

Le juge Fish et moi n’avons pas la même vision des issues que pouvait raisonnablement choisir la SAI dans les circonstances. Mon opinion est fondée sur ce que j’ai déjà dit au sujet du rôle et de la fonction de la SAI et sur le fait que M. Khosa ne conteste pas la validité de la mesure de renvoi prise contre lui. Il demande la prise de mesures exceptionnelles et discrétionnaires dont il ne peut bénéficier qu’en convainquant la SAI même de l’existence de « motifs d’ordre humanitaire justifiant […] la prise de mesures spéciales ». Or, il n’a pas réussi à convaincre la majorité des membres de la SAI. Il ne s’agit pas de savoir si nous souscrivons ou non à une décision de la SAI. C’est à la SAI et non aux juges que le législateur a confié la tâche de rendre une décision. [Je souligne.]

[46] Dans la suite de ses motifs, le juge Binnie a souligné comment il était important que la SAI motive bien ses décisions, a examiné la décision de la SAI et a conclu que les motifs des membres majoritaires et ceux de la membre dissidente « indiquent clairement les considérations à l’appui de leurs deux points de vue […] Pour ce qui est des faits, la SAI était principalement divisée quant à l’interprétation de l’expression de remords par M. Khosa ». On peut notamment lire ce qui suit à la fin du paragraphe 64 :

Il semble évident qu’un litige factuel de ce genre doit être tranché par la SAI dans l’application de la politique d’immigration et qu’il ne doit pas être réévalué par les tribunaux judiciaires. [Je souligne.]

[47] Selon lui [au paragraphe 65], la SAI avait examiné chacun des facteurs de la décision Ribic et avait « fait remarquer à juste titre que cette énumération n’était pas exhaustive et que l’importance qu’il faut accorder à chaque facteur varie d’une affaire à l’autre ». À son avis, les membres majoritaires « ont examiné la preuve et décidé que, dans les circonstances de l’espèce, la plupart des facteurs ne militaient fortement ni pour ni contre la prise de mesures ».

[48] Signalant que « [l]’importance qu’il convenait d’accorder à la preuve de remords présentée par l’intimé et à ses possibilités de réadaptation dépendait de l’appréciation de son témoignage au regard de toutes les circonstances de l’espèce », il a conclu [au paragraphe 66] :

La SAI ne devait pas apprécier ses possibilités de réadaptation pour les besoins de la détermination de la peine, mais déterminer plutôt si ses possibilités de réadaptation étaient telles que, seules ou combinées à d’autres facteurs, elles justifiaient la prise de mesures spéciales relativement à une mesure de renvoi valide. La SAI devait tirer ses propres conclusions fondées sur sa propre appréciation de la preuve. C’est ce qu’elle a fait. [Je souligne.]

[49] Il a exposé sa conclusion générale à la fin du paragraphe 67 :

Toutefois, comme il a été souligné dans Dunsmuir, « certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables » (par. 47). Vu la déférence dont il faut à juste titre faire preuve envers les décisions rendues par la SAI en vertu de l’al. 67(1)c) de la LIPR, je ne puis souscrire à l’opinion de mon collègue, le juge Fish, selon laquelle la décision de la majorité de refuser en l’espèce la prise de mesures spéciales discrétionnaires contre une mesure de renvoi valide ne faisait pas partie de la gamme des issues raisonnables. [Je souligne.]

[50] L’arrêt Chieu de la Cour suprême du Canada, rendu en 2002, concernait lui aussi l’exercice par la SAI du pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 70(1)b) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2], maintenant abrogée. La jurisprudence antérieure avait statué que cette disposition conférait une compétence discrétionnaire ou d’equity habilitant la SAI à annuler une mesure de renvoi ou à surseoir à son exécution. Dans l’arrêt Chieu, la Cour suprême a appliqué la norme de la décision correcte parce que la question de savoir si la SAI avait commis une erreur en ne prenant pas en compte le facteur des difficultés qu’éprouverait M. Chieu s’il était renvoyé au Cambodge était une question de droit. La SAI avait estimé, pour divers motifs, qu’elle ne pouvait considérer ce facteur, et la Cour suprême a jugé qu’il s’agissait d’une erreur de droit.

c) La position du demandeur

[51] Dans son argumentation écrite, l’avocat du demandeur a soutenu que le tribunal a commis trois erreurs justifiant l’intervention de la Cour :

1) Invoquant la décision Angeles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1257, il soutient que le tribunal a exercé son pouvoir discrétionnaire sans tenir compte d’un facteur déterminant, à savoir l’intention qu’avait M. Shaath, pendant la période quinquennale en cause, de s’établir au Canada.

2) En se fondant sur l’arrêt Baker, il conteste l’appréciation de la preuve relative à l’intérêt supérieur des enfants faite par le tribunal, arguant que, suivant l’arrêt Baker [au paragraphe 73], celui‑ci devait accorder à l’intérêt des enfants une attention et un poids importants et rendre une décision « d’une manière réceptive, attentive ou sensible à l’intérêt des enfants » et qu’il ne l’a pas fait.

3) Il soutient qu’en considérant que le demandeur était résident permanent des ÉAU, le tribunal a formulé une conclusion de fait erronée.

[52] Dans sa plaidoirie, l’avocat du demandeur a insisté sur les points suivants qui, selon lui, dénotent le caractère déraisonnable de la décision :

• Il prétend que le paragraphe 18 de la décision du tribunal (reproduit au paragraphe 27 des présents motifs) illustre la désinvolture avec laquelle le tribunal a examiné l’intérêt des enfants, citant la critique concernant ces derniers : « [c]ette famille doit toutefois prendre conscience du fait que, dans leur nouveau pays, nul ne peut ignorer la loi en toute impunité ».

• Il trouve à redire à l’affirmation du tribunal selon laquelle le demandeur est parti du Canada de son propre chef, la qualifiant de conclusion déraisonnable non étayée par l’ensemble de la preuve.

• Il fait valoir que la déclaration du tribunal selon laquelle le demandeur ne se préoccupait pas des exigences en matière de résidence a été prise hors contexte, signalant à mon attention le témoignage de ce dernier, reproduit aux pages 382 à 384 du dossier certifié du tribunal (DCT). Le témoin y dit, plus particulièrement, qu’il n’a toujours dépendu que de ses propres efforts pour survivre et qu’il n’a jamais demandé d’aide à quelque gouvernement que ce soit. Il aurait pu rester au Canada même s’il ne trouvait pas de travail, mais il ne voulait pas demander d’aide sociale.

• Il conteste l’affirmation du tribunal selon laquelle le demandeur n’a pas dit qu’il ne pouvait trouver de travail au Canada mais qu’il ne pouvait trouver de travail convenable, signalant les pages 337 et 341 du DCT.

• Il conteste l’affirmation selon laquelle Mme Shaath n’a pas témoigné que les enfants souffriraient si leur père devait partir, a dit qu’elle ne savait pas comment ils se sentiraient et qu’ils seraient seulement déçus, en me renvoyant aux pages 393 et 394 du DCT.

• Il répète que le tribunal a erronément conclu que le demandeur avait le statut de résident permanent aux ÉAU, se reportant au témoignage de M. Shaath consigné à la page 369 du DCT.

• Il soutient que la déclaration du tribunal, au paragraphe 20 de sa décision (reproduit au paragraphe 27 des présents motifs), que les enfants sont habitués à l’absence de leur père relève de l’hypothèse pure et simple.

• Il réitère son argument voulant qu’on n’a pas examiné la question de l’intention du demandeur de s’établir au Canada pendant la période quinquennale en cause et que cela constitue une erreur de droit.

• Il soutient que le tribunal n’a pas tenu compte de circonstances pertinentes, à savoir l’impossibilité pour le demandeur d’entrer à Gaza et son statut d’apatride, qui démontraient que sa situation était précaire.

d) Conclusions

[53] Pour les raisons exposées ci‑dessous, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire. L’arrêt Khosa établit clairement [au paragraphe 59] que, lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, la déférence s’impose et que les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriées mais doivent plutôt déterminer si la décision dont elles sont saisies fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[54] Le juge Binnie a indiqué dans l’arrêt Khosa [au paragraphe 57] que l’alinéa 67(1)c), applicable en l’espèce, confère le pouvoir de prendre des « mesures exceptionnelles [...] [et qu’il] exige que la SAI procède elle‑même à une évaluation liée aux faits et guidée par des considérations de politique ».

[55] Dans l’arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 R.C.F. 635 (Owusu), où la Cour d’appel fédérale examinait la question de l’intérêt supérieur des enfants, le juge Evans a indiqué clairement qu’il incombait au demandeur de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour motifs humanitaires.

[56] Dans l’arrêt Khosa [au paragraphe 62], le juge Binnie a conclu que la décision de la SAI entrait dans l’éventail d’issues que pouvait raisonnablement choisir la SAI, conclusion qui reposait, selon lui, sur le rôle et la fonction de la SAI et sur le fait que M. Khosa ne contestait pas la validité de la mesure de renvoi prise contre lui, mais demandait seulement « la prise de mesures exceptionnelles et discrétionnaires dont il ne peut bénéficier qu’en convainquant la SAI même de l’existence de “motifs d’ordre humanitaire justifiant […] la prise de mesures spéciales” ».

[57] Le juge Binnie a également affirmé dans sa conclusion qu’il est sans importance que le juge soit d’accord ou non avec la décision de la SAI car c’est à la SAI et non aux juges que le législateur a confié la tâche de rendre une décision.

[58] J’aborde en dernier lieu les principaux arguments soumis par l’avocat du demandeur.

[59] Premièrement, l’avocate du ministre fait valoir avec justesse, selon moi, que le tribunal n’a pas omis d’examiner l’intention du demandeur pendant la période visée par l’obligation de résidence, à savoir la période de cinq ans précédant la date de l’interdiction de séjour, en l’espèce la période du 27 novembre 2002 au 27 novembre 2007. Comme le juge Noël l’a indiqué au paragraphe 13 de la décision rendue dans Angeles, l’intention du demandeur s’apprécie au moyen du degré d’établissement atteint pendant la période visée.

[60] Les motifs du tribunal montrent que celui‑ci s’est penché sur ce point. En fait foi le paragraphe 14 de ses motifs où il mentionne expressément que « [l]a preuve montre que l’appelant compte s’établir au Canada un jour ou l’autre » [non souligné dans l’original]. Il appert, à l’examen de la totalité des motifs, que le tribunal n’estimait pas que le degré d’établissement démontré par M. Shaath à la date de l’audition était suffisant (plus particulièrement, voir les paragraphes 8, 13 et 14).

[61] Je conviens également avec l’avocate du ministre que le tribunal n’a pas contrevenu à la norme établie dans l’arrêt Baker et posant qu’un décideur doit se montrer attentif, réceptif et sensible aux intérêts des enfants.

[62] J’ai examiné attentivement le témoignage de M. et Mme Shaath sur ce point, ainsi que le formulaire relatif aux considérations d’ordre humanitaire rempli par M. Shaath et versé au DCT, à la page 15. Cet examen me convainc que le tribunal disposait d’éléments de preuve étayant sa conclusion que le demandeur (et sa femme) ne s’était pas acquitté du fardeau de démontrer que les enfants subiraient une contrainte excessive. Cela dit, je ne fais pas miens les propos du tribunal [au paragraphe 18] selon lesquels la famille devait prendre conscience que « nul ne peut ignorer la loi en toute impunité ». Toutefois, bien que déplacés, ces propos sont dépourvus de pertinence.

[63] La réalité, démontrée par la preuve, est que M. Shaath a été éloigné de ses enfants pendant une période substantielle; son fils, qui éprouve des problèmes d’apprentissage, est bien suivi sous la supervision de Mme Shaath. Le tribunal a également tenu compte de facteurs additionnels, notamment que la séparation ne serait pas permanente puisque M. Shaath pourrait présenter une nouvelle demande de résidence permanente au Canada, que les enfants étaient bien adaptés et qu’ils étaient heureux au Canada et que la famille pourrait se réunir comme avant lorsque Mme Shaath et les enfants iraient l’été aux ÉAU. J’ajouterais qu’il appert de la preuve que M. Shaath est souvent revenu au Canada lorsqu’il ne travaillait pas aux ÉAU. Comme son avocat l’a fait remarquer, il sera effectivement plus compliqué pour lui de revenir au Canada puisqu’il devra obtenir une approbation ministérielle, mais je ne vois aucune raison pour laquelle un visa de résident temporaire pour une courte période ne lui serait pas délivré pendant que sa demande de résidence permanente parrainée par sa femme est examinée avec célérité.

[64] Troisièmement, concernant le fait que le demandeur n’a que le statut de résident temporaire aux ÉAU, je ne suis pas convaincu, après examen de la preuve, que le tribunal s’est trompé sur la question. Il est vrai qu’il a mentionné, au paragraphe 22 de ses motifs, que le demandeur a le statut de résident permanent dans ce pays. Toutefois, l’examen du témoignage de M. Shaath, aux pages 361, 369 et 370, révèle que le tribunal comprenait bien que le visa était renouvelable aux trois ans et que M. Shaath n’éprouverait aucune difficulté à le renouveler étant donné qu’il le faisait depuis vingt ans et qu’il était parrainé par le gouvernement du pays. La preuve n’étaye pas l’argument de la précarité et de l’omission importante de prendre en considération le statut d’apatride.

[65] Même s’ils étaient retenus, les autres arguments invoqués dans la plaidoirie, notamment la question de savoir si le tribunal a considéré à tort que le demandeur partait du Canada « de son propre chef », n’étaient pas déterminants pour l’exercice de mise en balance que le tribunal devait effectuer, consistant à soupeser les facteurs pour en arriver à une décision raisonnable.

[66] Pour ces motifs, il y a lieu de rejeter la demande.

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JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été soumise pour certification.

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