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T-2178-00

2003 CFPI 782

Le grand chef Halcrow du traité no 8, le grand chef Shade du traité no 7 et le grand chef Eric Gadwa du traité no 6 (demandeurs)

c.

Le Procureur général du Canada et Le Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (défendeurs)

Répertorié : Halcrow c. Canada (Procureur général) (1reinst.)

Section de première instance, juge Dawson—Edmonton, 4, 5 décembre 2002 et 6, 7 mai 2003; Ottawa, 25 juin 2003.

Droit constitutionnel — Droits ancestraux ou issus de traités — Demande de jugement déclarant que les Règlements modifiant le Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens et le Règlement sur les référendums des Indiens portent atteinte aux droits ancestraux et issus de traités garantis par l'art. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 — Modification exigée par l'arrêt Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) prononcé par la C.S.C. — Analyse du processus de consultation, financé par le gouvernement — Les grands chefs indiens affirment qu'il aurait fallu procéder à de véritables consultations pour les raisons suivantes : 1) la C.S.C. a donné des directives en ce sens dans Corbiere; 2) il y a eu création d'une attente légitime; 3) le gouvernement a l'obligation de consulter les groupes autochtones lorsqu'il envisage de prendre des décisions qui touchent leurs droits — Demande rejetée — Examen de l'obligation de fiduciaire de la Couronne à l'égard des Autochtones — Étapes de l'analyse des demandes fondées sur l'art. 35(1) — Absence de preuve permettant de conclure à l'existence d'une obligation de consulter découlant d'un droit issu de traités — La revendication du droit ancestral ne doit pas être trop large — La revendication des demandeurs concernant le droit d'exercer un contrôle sur leur propre société, sur leurs affaires gouvernementales, sur les affaires communautaires ne précise pas suffisamment le droit ancestral revendiqué — Le droit à l'autonomie gouvernementale n'est pas un droit ancestral invoqué dans les avis de demande et de question constitutionnelle — Absence de preuves démontrant l'existence d'un droit ancestral découlant d'une pratique, d'une coutume ou d'une tradition ayant une importance culturelle antérieure aux premiers contacts — Les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau d'établir que la façon dont les règlements ont été adoptés portait atteinte à un droit ancestral — La Couronne n'assume aucune obligation fiduciaire générale, mais uniquement des obligations qui touchent des droits indiens particuliers — Les demandeurs invoquent à tort une obligation fiduciaire générale — Absence d'éléments permettant de conclure que le gouverneur en conseil a, en modifiant les règlements, exercé son pouvoir discrétionnaire de façon à mettre en jeu une responsabilité assimilable à une obligation de nature privée — Même en supposant qu'il existait une obligation fiduciaire de consulter les intéressés, celle-ci a été respectée — La violation de l'obligation de consulter les Premières Nations ne constitue pas un motif indépendant permettant de contester une loi ou une mesure gouvernementale — Corbiere n'a pas imposé d'obligation en matière de consultation; il a simplement permis de telles consultations.

Peuples autochtones — Élections — Certains grands chefs indiens sollicitaient un jugement déclarant que les Règlements modifiant le Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens et le Règlement sur les référendums des Indiens portent atteinte aux droits ancestraux et issus de traités — Règlements modifiés à cause de l'arrêt de la C.S.C. (Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)) selon lequel les mots « et réside ordinairement sur la réserve » qui figurent à l'art. 77(1) de la Loi sur les Indiens contrevenaient à l'art. 15(1) de la Charte — Les membres vivant hors-réserve pouvaient désormais participer aux élections de la bande — Corbiere a eu pour effet d'ajouter 190,000 électeurs — Demande de contrôle judiciaire rejetée.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Jugements déclaratoires — Certains grands chefs indiens sollicitaient un jugement déclarant que les Règlements modifiant le Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens et le Règlement sur les référendums des Indiens portent atteinte aux droits ancestraux et issus de traités garantis par la Constitution — Un des arguments avancés : le discours du ministre a créé une attente légitime en matière de consultation — La notion d'attente légitime fait partie des règles d'équité procédurale régissant les organismes administratifs — Ne s'applique pas au processus législatif, qu'il soit primaire ou délégué — La C.A.F. s'est interrogée sur l'applicabilité de cette notion au Cabinet dans l'exercice de ses pouvoirs réglementaires — Le ministre n'a pas le pouvoir de lier le gouverneur en conseil lorsque celui-ci exerce son pouvoir réglementaire.

Dans la présente demande de contrôle judiciaire, trois grands chefs indiens sollicitent un jugement déclarant que le Règlement modifiant le Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens et le Règlement modifiant le Règlement sur les référendums des Indiens contreviennent aux droits ancestraux et issus de traités garantis par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Ces règlements sont entrés en vigueur suite à la décision de la Cour suprême du Canada, Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), dans laquelle la Cour a déclaré que les termes « et réside ordinairement sur la réserve » qui figurent au paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens, n'étaient pas compatibles avec le paragraphe 15(1) (droits à l'égalité). Cette déclaration a eu pour effet de supprimer la restriction qui empêchait les membres d'une bande indienne qui ne résidaient pas sur une réserve de voter aux élections de la bande.

Suite à l'arrêt Corbiere de la Cour suprême, le ministre a contacté les Premières nations et les organismes autochtones et il a annoncé, au cours d'une réunion de la Confédération de l'Assemblée des Premières nations, une stratégie en deux étapes visant à répondre aux répercussions à court et à long terme de la décision. Une trousse d'information a été envoyée par courrier à toutes les collectivités des Premières nations. Il était mentionné dans cette trousse d'information que l'arrêt Corbiere pourrait avoir pour effet d'ajouter quelque 190 000 électeurs aux listes électorales. Au cours de la réunion de l'Assemblée, le ministre s'est engagé à procéder à des consultations au sujet de l'arrêt Corbiere et de les financer. En fait, quatre organismes autochtones nationaux ont reçu des fonds et des consultations régionales ont également été financées par le gouvernement. Selon une des conditions du financement, les organisations devaient s'efforcer de rejoindre le plus grand nombre de membres possible, compte tenu des contraintes financières et de temps. Un groupe de travail technique a été constitué et ce groupe a tenu une série de réunions qui ont débouché sur un projet de document intitulé « Étude sur les exigences minimales ». Il s'agissait d'un document de discussion destiné à approfondir l'analyse de la question. Il indiquait qu'il serait prudent de modifier les règlements, au moins sur un certain nombre d'aspects précis. En juin 2000, à Winnipeg, quelque 1 800 personnes représentant la plupart des Premières nations ont assisté à une journée désignée « Journée de l'arrêt Corbiere ». Au cours de la session d'une journée, les participants ont reçu une copie de l'Étude sur les exigences minimales. Des projets de règlement ont été préparés en juillet et le mois suivant, le MAINC a tenu une réunion à Calgary afin d'en faire l'étude article par article. En septembre, les règlements ont été publiés au préalable dans la Gazette du Canada et les lecteurs étaient invités à faire parvenir leurs commentaires dans les 30 jours. Les règlements ont également été envoyés, par télécopieur, aux Premières nations, notamment aux trois chefs demandeurs en l'espèce. En outre, une session de formations des agents électoraux a été tenue.

Les demandeurs affirment qu'il était obligatoire de tenir de véritables consultations avec les groupes autochtones avant l'adoption des règlements pour les raisons suivantes : 1) la Cour suprême a donné des directives en ce sens dans Corbiere; 2) le gouvernement a créé une attente légitime en matière de consultation; 3) le gouvernement a toujours l'obligation de consulter les groupes autochtones lorsque les décisions qu'il envisage risquent de toucher leurs droits. Les questions à trancher étaient de savoir s'il existait une obligation de procéder à des consultations et, le cas échéant, si celle-ci avait été violée.

Jugement : la demande est rejetée.

Il est indubitable que la Couronne est tenue de protéger les droits des Indiens en raison de la relation fiduciaire qui découle de l'histoire, des traités et des dispositions législatives. Les droits ancestraux ont été reconnus par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Dans l'arrêt R. c. Sparrow, la Cour suprême a dit que le gouvernement avait la responsabilité d'agir en qualité de fiduciaire à l'égard des peuples autochtones et qu'il y allait de l'honneur de la Couronne. Les termes utilisés au paragraphe 35(1) font référence aux rapports de fiduciaire. Dans le cadre d'une analyse des demandes fondées sur le paragraphe 35(1), le tribunal doit déterminer, en premier lieu, si le demandeur a prouvé qu'il avait agi en vertu d'un droit ancestral. Si c'est le cas, et si ce droit n'a pas été éteint, le tribunal doit alors déterminer s'il y a eu atteinte à ce droit. Enfin, le tribunal doit décider si l'atteinte était justifiée.

Les preuves ne permettant pas de conclure à l'existence d'une obligation de consulter découlant d'un droit issu de traités, la Cour a alors examiné la question des droits ancestraux. Ces droits découlent des coutumes et des traditions des peuples autochtones. Il est essentiel que, dans son analyse, le tribunal définisse avec précision la nature de l'activité dont il est allégué qu'elle constitue un droit. Le droit invoqué ne doit pas être trop large. Les demandeurs ont tenté d'établir l'existence du droit d'exercer un contrôle « sur leur propre société, sur leurs affaires gouvernementales, sur les affaires locales et communautaires ». Cependant, cette formulation ne précisait pas suffisamment le droit ancestral revendiqué. En outre, le droit à l'autonomie gouvernementale n'était pas le droit ancestral invoqué par les demandeurs dans leur avis modifié de demande et de question constitutionnelle. Les demandeurs ont fait face à une difficulté encore plus grande, savoir l'absence de preuve permettant d'affirmer qu'ils avaient le droit ancestral d'être consultés, en raison d'une pratique, d'une coutume ou d'une tradition ayant une importance culturelle dans leur société et qui existait avant les contacts avec les Européens. Le grand chef Halcrow affirme qu'il s'est fondé sur le communiqué de presse du gouvernement ainsi que sur le discours du ministre pour en arriver à penser qu'il serait consulté directement, et de façon efficace. L'affidavit du grand chef Gadwa mentionne que le processus de consultation et les délais imposés par le gouvernement ont fait en sorte qu'il n'y a pas eu de véritables consultations avec les membres du Traité no6. Les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau de présenter des preuves qui permettraient à la Cour de déterminer si les collectivités autochtones possèdent un droit ancestral auquel le processus d'adoption des règlements a porté atteinte.

Il a été dit que la réparation fondée sur l'existence d'une obligation fiduciaire n'était pas limitée aux situations comparables à celles qui ont été reconnues dans les arrêts Sparrow et Guerin et al. c. La Reine et al., mais que l'obligation fiduciaire visait à « faciliter le contrôle de l'exerce par la Couronne de l'autorité et des pouvoirs discrétionnaires considérables qu'elles a graduellement assumés à l'égard de divers aspects de la vie des peuples autochtones ». Malgré cela, la Cour suprême a pris soin de déclarer dans Bande indienne Wewaykum c. Canada que l'obligation de fiduciaire de la Couronne ne pouvait exister seule mais uniquement en rapport avec des droits précis des Indiens. Dans ses motifs dans cette affaire, le juge Binnie a dit que, depuis l'arrêt Guerin, les tribunaux canadiens sont inondés de demandes présentée par des bandes indiennes et fondées sur l'obligation de fiduciaire. Il a ajouté que, pour que naisse un tel rapport fiduciaire, il faut qu'il existe un droit ancestral identifiable et que la Couronne exerce, à l'égard de ce droit, des pouvoirs discrétionnaires selon un processus entraînant une responsabilité assimilable à une obligation de droit privé. Sur cette question, les arguments des demandeurs sont fondés sur une obligation fiduciaire générale, ce qui n'est pas possible. Il ne faut pas sortir de son contexte l'observation qu'a faite le juge en chef Lamer dans Delgamuukw c. Colombie-Britannique, selon laquelle il y a toujours une obligation de consultation. Lorsqu'il y a une obligation de fiduciaire, l'omission de procéder à des consultations peut constituer une violation de cette obligation. La question était de savoir si, lorsqu'elle a procédé à la modification des Règlements, la Couronne a exercé des pouvoirs discrétionnaires d'une manière qui entraîne une responsabilité de la nature d'une obligation de droit privé. Compte tenu de la nature de droit public de l'obligation qui est exercée (la proclamation des règlements) et de l'absence de preuve précisant le degré de contrôle discrétionnaire assumé antérieurement, il n'existait aucune preuve permettant de conclure qu'en modifiant les règlements pour tenir compte de Corbiere, le gouverneur en conseil avait exercé un pouvoir discrétionnaire d'une façon qui mettait en jeu une responsabilité de la nature d'une obligation de droit privé. L'existence d'une obligation de fiduciaire de consulter les intéressés n'a pas été établie. Cependant, en supposant qu'une telle obligation existe, la façon dont le gouvernement a agi dans ce domaine était conforme à cette obligation.

Les demandeurs avaient invoqué un motif indépendant pour contester les mesures prises par le gouvernement. Cependant, il a été décidé que l'obligation de consulter les Premières nations n'est pas un motif indépendant permettant de contester une disposition législative ou mesure gouvernementale : décision de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire TransCanada Pipelines Ltd. v. Beardmore (Township).

La Cour n'a pas non plus retenu les arguments des demandeurs fondés sur la notion d'attente légitime. Cette notion fait partie des règles d'équité procédurale régissant les organismes administratifs qui ne touchent pas le processus législatif, qu'il soit primaire ou délégué. La Cour d'appel fédérale a exprimé de sérieuses réserves au sujet de l'applicabilité de la notion d'attente légitime au Cabinet lorsqu'il exerce son pouvoir réglementaire. Les demandeurs soutiennent que la conduite du ministre a suscité chez eux une attente légitime mais la Cour d'appel fédérale a dit que le ministre ne peut pas lier le gouverneur en conseil dans l'exercice de son pouvoir réglementaire.

La Cour a rejeté l'argument selon lequel l'arrêt Corbiere imposait au ministre l'obligation positive de consulter les membres des Premières nations. En ordonnant la suspension de la déclaration d'invalidité, la Cour suprême voulait simplement donner au gouvernement la possibilité de procéder à des consultations. La Cour n'avait pas l'intention de créer une obligation juridique en matière de consultation.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no44], art. 15(1).

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35(1).

Loi sur la cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 57 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 76(1), 77(1) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 14).

Règlement modifiant le Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens, DORS/2000-391.

Règlement modifiant le Règlement sur les référendums des Indiens, DORS/2000-392.

Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens, C.R.C., ch. 952.

Règlement sur les référendums des Indiens, C.R.C., ch. 957.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, tarif B.

jurisprudence

décision suivie :

Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [2000] 4 C.F. 264; (2000), 24 Admin. L.R. (3d) 179; 6 C.P.R. (4th) 165; 255 N.R. 319 (C.A.).

décisions appliquées :

R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; (1990), 70 D.L.R. (4th) 385; [1990] 4 W.W.R. 410; 46 B.C.L.R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 263; [1990] 3 C.N.L.R. 160; 111 N.R. 241; R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507; (1996), 137 D.L.R. (4th) 289; [1996] 9 W.W.R. 1; 80 B.C.A.C. 81; 23 B.C.L.R. (3d) 1; 109 C.C.C. (3d) 1; [1996] 4 C.N.L.R. 177; 50 C.R. (4th) 1; 200 N.R. 1; 130 W.A.C. 81; R. c. Pamajewon, [1996] 2 R.C.S. 821; (1996), 138 D.L.R. (4th) 204; 109 C.C.C. (3d) 275; [1996] 4 C.N.L.R. 164; 50 C.R. (4th) 216; 199 N.R. 321; Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010; (1997), 153 D.L.R. (4th) 193; 99 B.C.A.C. 161; [1998] 1 C.N.L.R. 14; 220 N.R. 161; Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245; (2002), 220 D.L.R. (4th) 1; [2003] 1 C.N.L.R. 341; 297 N.R. 1; Bande indienne de Squamish c. Canada(2000), 207 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.); TransCanada Pipelines Ltd. v. Beardmore (Township) (2000), 186 D.L.R. (4th) 403; [2000] 3 C.N.L.R. 153; 137 O.A.C. 201 (C.A. Ont.), autorisation d'appel devant la C.S.C. refusée, [2000] 2 R.C.S. xiv; Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; (1991), 83 D.L.R. (4th) 297; [1991] 6 W.W.R. 1; 58 B.C.L.R. (2d) 1; 127 N.R. 161; Bates v Lord Hailsham of St Marylebone, [1972] 3 All ER 1019 (Ch. D.).

distinction faite d'avec :

Haida Nation v. British Columbia (Minister of Forests) (2002), 216 D.L.R. (4th) 1; [2002] 10 W.W.R. 587; 172 B.C.A.C. 75; 5 B.C.L.R. (4th) 33; [2002] 4 C.N.L.R. 117 (C.A.C.-B.); Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010; (1997), 153 D.L.R. (4th) 193; 99 B.C.A.C. 161; [1998] 1 C.N.L.R. 14; 220 N.R. 161 (sur la question des droits ancestraux existants).

décisions examinées :

Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203; (1999), 173 D.L.R. (4th) 1; [1999] 3 C.N.L.R. 19; 239 N.R. 1; Conseil de la bande dénée de Ross River c. Canada, [2002] 2 R.C.S. 816; (2002), 213 D.L.R. (4th) 193; [2002] 9 W.W.R. 391; 168 B.C.A.C. 1; 3 B.C.L.R. (4th) 201; [2002] 3 C.N.L.R. 229; 289 N.R. 233.

décisions citées :

Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; (1984), 13 D.L.R. (4th) 321; [1984] 6 W.W.R. 481; 59 B.C.L.R. 301; [1985] 1 C.N.L.R. 120; 20 E.T.R. 6; 55 N.R. 161; 36 R.P.R. 1; R c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771; (1996), 181 A.R. 321; 133 D.L.R. (4th) 324; [1996] 4 W.W.R. 457; 37 Alta. L.R. (3d) 153; 105 C.C.C. (3d) 289; [1996] 2 C.N.L.R. 77; 195 N.R. 1; 116 W.A.C. 321.

DEMANDE de contrôle judiciaire et de jugement déclarant que le Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens et le Règlement sur les référendums des Indiens contrevenaient aux droits ancestraux et issus de traités garantis par la Constitution parce qu'ils avaient été rédigés sans qu'il y ait eu de véritables consultations avec les Premières nations. Demande rejetée.

ont comparu :

Robert W. Hladun, c.r. et David N. Kamal pour les demandeurs.

Michele E. Annich et Rose Marie Zanin pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier :

Hadun & Company, Edmonton pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]        Le juge Dawson : Le 20 mai 1999, la Cour suprême du Canada a déclaré que les termes « et réside ordinairement sur la réserve » qui figurent au paragraphe 77(1) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 14] de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5 (Loi) n'étaient pas compatibles avec le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés1. Cette déclaration a eu pour effet de supprimer la restriction qui empêchait les membres d'une bande indienne qui ne résidaient pas sur une réserve de voter aux élections de la bande tenues conformément au paragraphe 77(1) de la Loi. La Cour suprême a suspendu la prise d'effet de la déclaration d'invalidité pour une période de 18 mois, de façon à permettre la mise sur pied d'un processus électoral qui concilierait les droits des membres de la bande résidant sur la réserve et ceux des membres qui vivent à l'extérieur de la réserve. La décision de la Cour suprême est rapportée sous l'intitulé Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203.

[2]        Par la suite, le 20 octobre 2000, des règlements modifiant le Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens, C.R.C., ch. 952 et le Règlement sur les référendums des Indiens, C.R.C., ch. 957 ont été adoptés pour mettre en œuvre l'arrêt Corbiere. Ces modifications figuraient dans le Règlement modifiant le Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens, DORS/2000-391 et dans le Règlement modifiant le Règlement sur les référendums des Indiens, DORS/2000-392 (ensemble, les Règlements).

[3]        Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs sollicitent, entre autres, un jugement déclarant que les Règlements contreviennent aux droits ancestraux et issus de traités garantis par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] parce qu'ils ont été rédigés et adoptés sans qu'on ait préalablement procédé à une consultation véritable des membres des Premières nations, en particulier sans que les demandeurs aient été véritablement consultés. Les demandeurs demandent une ordonnance de certiorari annulant les Règlements.

LE CONTEXTE FACTUEL

[4]        Tous les demandeurs sont des grands chefs d'une confédération regroupant des Premières nations de l'Alberta. Le Traité no 8 vise 23 Premières nations, dont quatre tiennent leurs élections aux termes de la Loi. Le Traité no 7 s'applique à sept Premières nations, dont une tient ses élections aux termes de la Loi. Le Traité no 6 vise 16 Premières nations, dont cinq tiennent leurs élections aux termes de la Loi.

[5]        Le 16 juin 1999, suite à la décision de la Cour suprême, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de l'époque a envoyé à toutes les Premières nations, aux organismes autochtones nationaux, aux centres d'amitié, aux groupes de femmes autochtones, aux médias autochtones et à ses homologues des gouvernements provinciaux une lettre les informant de l'arrêt Corbiere. Par la suite, le 9 décembre 1999, le ministre des Affaires indiennes a annoncé, au cours d'une réunion de la Confédération de l'Assemblée des Premières nations, une stratégie en deux étapes visant à répondre aux répercussions à court et à long terme de l'arrêt Corbiere. Une trousse d'information a été distribuée au cours de cette réunion, et cette trousse a également été envoyée par courrier à toutes les collectivités des Premières nations. Il était mentionné dans la trousse d'information que l'arrêt Corbiere pourrait avoir pour effet d'ajouter quelque 190 000 électeurs aux listes électorales. C'est pourquoi la trousse d'information faisait expressément mention de la nécessité de procéder à des consultations approfondies avec les organismes autochtones nationaux et régionaux, avec leurs membres et avec les autres parties intéressées.

[6]        La première étape du processus était décrite de la façon suivante :

Le 20 novembre 2000, les membres de bande vivant hors réserve disposeront des mêmes droits de vote que les membres vivant à l'intérieur des réserves aux élections tenues en vertu du paragraphe 77(1). Par conséquent, la première étape provisoire consistera à apporter des modifications au Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens et au Règlement sur les référendums des Indiens afin de faciliter le vote des membres vivant hors réserve lors des élections. (Au moment où ces règlements ont initialement été mis en vigueur, le droit de vote des membres des bandes vivant hors réserve n'avait pas été considéré.) Les consultations au sujet des modifications qui seront apportées à ces règlements s'amorceront dès maintenant auprès de l'Assemblée des premières nations, de l'Association des femmes autochtones du Canada, du Congrès des peuples autochtones et de l'Association nationale des centres d'amitié. Des fonds seront versés de façon équitable pour permettre à chaque organisation de consulter leurs membres respectifs [sic]. Du financement sera également offert aux organisations autochtones régionales pour mener des consultations à tous les niveaux.

Il est possible de constater qu'à cette étape, on invitait les organismes autochtones à procéder à des consultations.

[7]        La seconde étape était décrite de la façon suivante :

La deuxième étape du processus consistera à aller de l'avant avec des consultations plus approfondies portant sur une réforme électorale intégrée et durable. Ces consultations seront menées auprès de nos partenaires des Premières nations et d'autres organisations autochtones. Dans le cas de la deuxième étape, on considérera largement le point de vue de la Cour qui traite de la distinction pouvant être établie entre les droits de vote des membres de bande vivant dans les réserves et ceux des membres vivant hors réserve, à condition que les régimes électoraux soient conformes à la Charte. Le régime électoral élaboré à la suite des consultations menées lors de la deuxième étape peut donc apporter d'autres modifications aux droits de vote.

Au cours de la réunion du 9 décembre 1999, le ministre s'est engagé à procéder à des consultations au sujet de l'arrêt Corbiere et à les financer.

[8]        En plus de fournir des fonds (un montant de 200 000 $ pour chaque organisation) aux quatre organismes autochtones nationaux mentionnés ci-dessus pour qu'ils conduisent des consultations, un certain nombre de bureaux régionaux du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC), notamment le bureau régional de l'Alberta, devaient procéder à des consultations au niveau local. Le bureau régional albertain du MAINC a reçu 160 000 $ pour financer ces consultations régionales. Les rapports des consultations régionales devaient être présentés avant le 31 mai 2000 (M. Eyahpaise, qui était le « conseiller spécial sur Corbiere » du MAINC, a toutefois déclaré dans un affidavit déposé dans la présente instance que les rapports de consultations avaient été acceptés même après la date prévue).

[9]        Le caractère suffisant du processus de consultation est en litige en l'espèce mais voici une brève description de quelques-unes des étapes du processus qui a débouché sur l'adoption des règlements.

[10]      En janvier 2000, un document intitulé « Parameters Document » (Document énonçant les paramètres) a été distribué aux quatre organismes autochtones nationaux mentionnés ci-dessus. Ce document énumérait un certain nombre de conditions qui faisaient partie du contrat conclu entre le MAINC et chacune des organisations nationales qui avaient reçu des fonds pour conduire des consultations au sujet de l'arrêt Corbiere. Selon une de ces conditions, les organisations qui procédaient à ces consultations devaient s'efforcer de rejoindre le plus grand nombre de membres possible, compte tenu des contraintes financières et de temps.

[11]      Un groupe de travail technique (GTT) qui comprenait des représentants de l'Assemblée des premières nations (APN), de l'Association des femmes autochtones du Canada (AFAC), de l'Association nationale des centres d'amitié (ANCA) et du MAINC a été formé. Ce groupe a été constitué pour compléter les consultations nationales et régionales. Le GTT a tenu sa première réunion le 19 avril 2000.

[12]      Le GTT a tenu une série de réunions qui ont débouché sur un projet de document intitulé « Étude sur les exigences minimales ». Il était mentionné dans ce document qu'il s'agissait d'un document de discussion destiné à approfondir l'analyse de la question. Il contenait un résumé de l'arrêt Corbiere et une analyse de l'effet immédiat de la décision sur les règlements en vigueur et il indiquait qu'il serait prudent de modifier les règlements, au moins sur un certain nombre d'aspects précis.

[13]      Le 9 juin 2000, une des quatre journées de l'assemblée des organismes autochtones nationaux qui se tenait à Winnipeg, au Manitoba, a été spécialement désigné « Journée de l'arrêt Corbiere ». Près de 1 800 personnes représentant la plupart des Premières nations y ont assisté. On a remis aux participants une copie de l'Étude sur les exigences minimales et des facilitateurs ont tenu des réunions en petits groupes pour obtenir les commentaires des participants. Au cours du contre-interrogatoire, tous les demandeurs ont confirmé avoir reçu l'Étude sur les exigences minimales. Le grand chef Halcrow et le grand chef Gadwa ont confirmé avoir reçu le document au mois de juin ou juillet 2000.

[14]      Les projets de règlement ont été préparés à la fin du mois de juillet 2000.

[15]      Les 28 et 29 août 2000, le MAINC a tenu une réunion à Calgary dans le but de présenter un projet de Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens, d'en faire l'étude article par article, et de présenter un aperçu général du Règlement sur les référendums des Indiens. Les participants comprenaient des représentants du MAINC, de l'APN, de l'ANCA et du Congrès des Peuples Autochtones (CPA).

[16]      Les règlements ont été publiés au préalable dans la Gazette du Canada, Partie I, (Règlements proposés) du 2 septembre 2000. Les Règlements proposés étaient suivi d'un avis qui invitait les lecteurs à faire parvenir leurs commentaires au sujet des règlements dans les 30 jours.

[17]      Le 12 septembre 2000 ou vers cette date, une copie des Règlements projetés, accompagnée d'une invitation à transmettre des commentaires, a été envoyée par télécopieur aux Premières nations du Canada, notamment aux chefs respectifs des Traités nos 6, 7 et 8.

[18]      Par la suite, le MAINC a commencé à recevoir des commentaires au sujet des Règlements projetés. M. Eyahpaise a déclaré sous serment que ces commentaires avaient été examinés et que certains d'entre eux avaient été incorporés à la version définitive des Règlements.

[19]      Les 18 et 19 septembre 2000, l'examen article par article du projet de Règlement sur les référendums des Indiens a été effectué à Ottawa avec la participation de la First Nations Land Manager's Association, d'un certain nombre de Premières nations et de représentants des organismes autochtones nationaux. M. Eyahpaise a déclaré sous serment que certains des commentaires présentés ce jour-là avaient été incorporés à la version définitive des Règlements.

[20]      Une session de formation des agents électoraux a été tenue à Winnipeg, au Manitoba, pendant la semaine du 18 septembre 2000. M. Eyahpaise a déclaré sous serment que cette session avait pour but de fournir aux Premières nations et au MAINC la possibilité de discuter du projet de Règlement sur les élections et de fournir une formation sur la façon de conduire les prochaines élections en tenant compte du projet de Règlement. Au cours de cette session, le Ministère a reçu des commentaires concernant le projet de Règlement, et certains de ces commentaires, comme l'a déclaré M. Eyahpaise sous serment, ont été inclus dans la version définitive du Règlement.

[21]      Les Règlements sont entrés en vigueur le 20 octobre 2000. Les demandeurs affirment que « les Règlements sont entrés en vigueur tels que publiés dans la Gazette du Canada du 2 septembre 2000 », mais une étude article par article des Règlements projetés et des Règlements adoptés indique qu'un certain nombre de changements ont été apportés.

HISTOIRE PROCÉDURALE DE LA PRÉSENTE DEMANDE

[22]      Cette affaire a fait l'objet d'une première instruction répartie sur deux jours au mois de décembre 2002. Le matin du second jour, l'avocat des demandeurs s'est vu demander s'il avait signifié un avis de question constitutionnelle. L'avocat a confirmé qu'il n'avait pas signifié un tel avis. La Cour a alors demandé à l'avocat des demandeurs s'il estimait que cette omission faisait problème, compte tenu des dispositions de l'article 57 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19] de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] selon lesquelles les textes d'application des lois fédérales dont la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, est en cause ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins qu'un avis de question constitutionnelle n'ait été signifié.

[23]      Après une brève suspension d'audience destinée à permettre aux parties d'examiner cette question, et en particulier, celle de savoir si l'instance soulevait une question constitutionnelle, l'avocat a demandé et obtenu l'ajournement de l'audience pour signifier un avis de question constitutionnelle.

[24]      Cet avis a été régulièrement signifié par la suite, l'avis de demande a été modifié pour y insérer une demande de jugement déclaratoire (qui venait s'ajouter à la demande de certiorari) et la reprise de l'instruction a été fixée pour le mois de mai 2003.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[25]      Dès le départ, les demandeurs ont affirmé qu'il était obligatoire de tenir de vastes consultations avec les membres des Premières nations avant l'adoption des Règlements pour au moins trois raisons :

(i) la Cour suprême a donné des directives en ce sens dans l'arrêt Corbiere;

(ii) une attente légitime en matière de consultation a été créée;

(iii) il existe toujours l'obligation de consulter les groupes autochtones lorsque des décisions risquent de toucher les droits des Premières nations.

[26]      L'avis de question constitutionnelle qui a été signifié formulait de la façon suivante la question constitutionnelle soulevée :

Que l'omission du gouvernement du Canada de consulter véritablement sur cette question les membres des Premières nations, et plus précisément, les membres des représentants des Traités nos 6, 7 et 8 constitue une violation de l'obligation fiduciaire qu'a le gouvernement fédéral envers les membres des Premières nations et viole dès lors les droits ancestraux et issus de traités garantis par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[27]      Par conséquent, voici quelles sont, d'après moi, les questions à trancher dans le cadre de la présente demande :

1.    L'obligation de consulter les intéressés découle-t-elle :

(i) d'une obligation constitutionnelle reconnue ou confirmée par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982?

(ii) d'une obligation fiduciaire?

(iii) de la notion d'attente légitime?

(iv) des directives fournies par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Corbiere?

2.    S'il existait une obligation de procéder à des consultations, celle-ci a-t-elle été violée?

ANALYSE

(i) L'existence d'une obligation de procéder à de consultations

[28]      Il est indubitable que la Couronne est tenue de protéger les droits des Indiens. Cela découle de la relation fiduciaire spéciale qui découle de l'histoire, des traités et des dispositions législatives : voir Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335. Les droits ancestraux sont reconnus et confirmés par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 qui énonce :

35. (1) Les droits existants--ancestraux ou issus de traités--des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

[29]      Dans l'arrêt R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, à la page 1108, la Cour suprême du Canada a énoncé le principe directeur général applicable au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Selon ce principe directeur général, le gouvernement a la responsabilité d'agir en qualité de fiduciaire à l'égard des peuples autochtones. Ainsi, la relation entre le gouvernement et les peuples autochtones a été qualifiée de quasi fiduciaire, plutôt que de contradictoire, et la reconnaissance et la confirmation des droits ancestraux doivent être définies en fonction de ces rapports historiques.

[30]      Dans l'arrêt Sparrow, la Cour a fait remarquer que les termes utilisés au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 font référence à ces rapports de fiduciaire. La Cour s'explique ainsi à la page 1109 :

Le paragraphe [35(1)] ne contient aucune disposition explicite autorisant notre Cour ou n'importe quel autre tribunal à apprécier la légitimité d'une mesure législative gouvernementale qui restreint des droits ancestraux. Nous estimons pourtant que l'expression « reconnaissance et confirmation » comporte les rapports de fiduciaire déjà mentionnés et implique ainsi une certaine restriction à l'exercice du pouvoir souverain. Les droits qui sont reconnus et confirmés ne sont pas absolus. Les pouvoirs législatifs fédéraux subsistent, y compris évidemment le droit de légiférer relativement aux Indiens en vertu du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Toutefois, ces pouvoirs doivent maintenant être rapprochés du par. 35(1). En d'autres termes, le pouvoir fédéral doit être concilié avec l'obligation fédérale et la meilleure façon d'y parvenir est d'exiger la justification de tout règlement gouvernemental qui porte atteinte à des droits ancestraux. Une telle vérification est conforme au principe d'interprétation libérale énoncé dans l'arrêt Nowegijick, précité, et avec l'idée que la Couronne doit être tenue au respect d'une norme élevée--celle d'agir honorablement--dans ses rapports avec les peuples autochtones du Canada, comme le laisse entendre l'arrêt Guerin c. La Reine, précité.

[31]      Dans Sparrow, la Cour a formulé les grandes lignes du cadre d'analyse des demandes fondées sur le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Dans R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, au paragraphe 2, la Cour a cité, en l'approuvant, ce critère de la façon suivante. Premièrement, le tribunal doit déterminer si le demandeur a prouvé qu'il avait agi en vertu d'un droit ancestral. Si c'est le cas, le tribunal doit décider s'il y a eu extinction de ce droit. S'il n'a pas été éteint, le tribunal doit alors déterminer s'il y a eu atteinte à ce droit. Enfin, s'il est convaincu qu'une atteinte a été portée à ce droit, le tribunal doit décider si l'atteinte est justifiée.

[32]      Le point de départ de l'analyse est l'existence d'un droit ancestral. Je vais donc commencer par examiner si, en l'espèce, les demandeurs ont démontré l'existence d'un droit ancestral, de façon à fonder l'analyse prévue pour le paragraphe 35(1). Je vais d'abord examiner si l'existence de droits ancestraux ou issus de traités a été démontrée et ensuite, si celle d'un droit plus large fondé sur le caractère fiduciaire de la relation a été établie.

(A) Les droits issus de traités

[33]      Les droits issus de traités sont les droits qui figurent dans les ententes officielles conclues entre la Couronne et un peuple autochtone : voir R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, au paragraphe 76.

[34]      En l'espèce, les Traités nos 6, 7 et 8 n'ont pas été soumis au tribunal, et les demandeurs n'ont invoqué aucune disposition précise de ces traités pour soutenir qu'il y avait eu atteinte à un droit issu de traité. Pour reprendre les termes utilisés au cours de sa plaidoirie par l'avocat des demandeurs : « nous n'avons pas cité de traité pour affirmer l'existence d'un droit qui y serait contenu ».

[35]      Par conséquent, les preuves ne permettent pas de conclure à l'existence d'une obligation de consulter les intéressés découlant d'un droit issu de traité.

(B) Les droits ancestraux

[36]      Les droits ancestraux découlent des coutumes et des traditions des peuples autochtones. Pour qu'il y ait droit ancestral, « une activité doit être un élément d'une coutume, pratique ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone qui revendique le droit en question ». Voir : R. c. Van der Peet, précité, au paragraphe 46.

[37]      Dans Van der Peet, la Cour suprême du Canada a décrit la nature de l'analyse à laquelle le tribunal doit procéder lorsqu'il examine une demande fondée sur un droit ancestral. Il est essentiel de définir avec précision la nature de l'activité dont il est allégué qu'elle constitue un droit. Pour reprendre les termes du juge Lamer, juge en chef à l'époque, parlant au nom de la majorité (au paragraphe 52)« [l]a nature de la revendication du demandeur doit être définie en fonction de la coutume, pratique ou tradition particulière invoquée au soutien de celle-ci ».

[38]      Dans R. c. Pamajewon, [1996] 2 R.C.S. 821, la Cour suprême du Canada examinait la revendication d'un droit ancestral portant sur un droit général de gérer l'utilisation des terres de leurs réserves. Tous les juges ont conclu que le droit invoqué était beaucoup trop large. Le juge en chef Lamer, parlant au nom de la majorité, a examiné l'étendue du droit revendiqué au paragraphe 27, dans les termes suivants :

Les appelants eux-mêmes demandent à notre Cour de caractériser leur revendication de [traduction] « droit général de gérer l'utilisation des terres de leurs réserves ». Caractériser ainsi la revendication des appelants aurait pour effet d'assujettir l'examen de la Cour à un degré excessif de généralité. Les droits ancestraux, y compris toute revendication du droit à l'autonomie gouvernementale, doivent être examinés à la lumière des circonstances propres à chaque affaire et, plus particulièrement, à la lumière de l'histoire et de la culture particulières du groupe autochtone qui revendique le droit. Les facteurs énoncés dans Van der Peet, et appliqués plus haut en l'espèce, permettent à la Cour d'examiner la revendication des appelants suivant le degré de spécificité approprié, ce que ne permettrait pas la caractérisation proposée par les appelants.

[39]      Dans Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, au paragraphe 170, le juge en chef Lamer, parlant encore au nom de la majorité, note que le fait d'invoquer un droit à l'autonomie gouvernementale en des termes très larges revenait à invoquer ce droit « d'une manière incompatible avec le par. 35(1) ».

[40]      Pour qualifier correctement le droit invoqué, le tribunal doit tenir compte de facteurs comme la nature de l'action qui est, d'après le demandeur, visée par un droit ancestral, ou devrait l'être, la nature de l'action gouvernementale contestée, ainsi que la pratique, la coutume et la tradition invoquées pour établir ce droit. Les pratiques, coutumes et traditions qui constituent des droits ancestraux sont celles qui prolongent les pratiques, coutumes et traditions qui existaient avant les premiers contacts avec les Européens. Lorsqu'une pratique, une coutume ou une tradition est apparue uniquement en réponse à une influence européenne, cette pratique, coutume ou tradition ne permet pas de conclure à l'existence d'un droit ancestral. Voir : Van der Peet, aux paragraphes 53 à 73.

[41]      Le fardeau de prouver l'existence du droit ancestral incombe à la personne qui conteste l'action du gouvernement.

[42]      Si l'on applique ces principes à la présente espèce, les demandeurs ont tenté d'établir, dans leurs plaidoiries orales, l'existence d'un droit ancestral à la gouvernance en faisant allusion au droit d'exercer un contrôle « sur leur propre société, sur leurs affaires gouvernementales, sur les affaires locales et communautaires »2.

[43]      Je ne suis pas convaincue que cette formulation précise suffisamment le droit ancestral revendiqué. Les droits ancestraux ne peuvent être déterminés de façon générale. En outre, le droit à l'autonomie gouvernementale n'est pas le droit ancestral que les demandeurs ont invoqué dans leur avis modifié de demande, dans leur avis de question constitutionnelle ni dans leurs plaidoiries écrites. En fait, les demandeurs soutiennent tout simplement dans ces documents qu'ils ont été privés du droit d'être véritablement consultés avant la modification des Règlements.

[44]      J'estime cependant que les demandeurs font face à une difficulté encore plus grave. C'est l'absence de preuve permettant d'affirmer que ces grands chefs ou les organismes qu'ils représentent ont le droit ancestral d'être consulté, en raison d'une pratique, d'une coutume ou d'une tradition ayant une importance culturelle dans leur société, et que cette pratique, coutume ou tradition n'est que le prolongement des pratiques, coutumes et traditions qui existaient avant les contacts avec les Européens.

[45]      Les preuves soumises au tribunal par les demandeurs sont contenues dans les affidavits qui ont été préparés par chacun des demandeurs. Chacun d'entre eux a déclaré sous serment qu'il pensait que le ministre et le MAINC allaient consulter les Premières nations directement avant de modifier les Règlements.

[46]      Le grand chef Halcrow affirme qu'il s'est fondé sur les déclarations contenues dans le communiqué de presse du gouvernement fédéral daté du 9 décembre 1999, intitulé « Le règlement sur les élections des Premières nations sera modifié après la tenue de consultations » et le discours prononcé par l'honorable Robert Nault, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien le même jour, pour en arriver à penser qu'ils seraient consultés directement, et de façon efficace, au sujet des modifications aux Règlements. Ces deux sources de renseignements annonçaient des consultations avec les Premières nations en deux étapes, la première portant sur la modification des Règlements pris aux termes de la Loi sur les Indiens, et éventuellement, sur celle de la Loi sur les Indiens elle-même. Le reste du témoignage du grand chef Halcrow porte sur la nature du processus de consultation, ou sur son absence.

[47]      Le grand chef Halcrow insiste particulièrement sur le fait qu'il n'a pas été consulté au sujet des parties des Règlements qui traitent du vote postal, des nominations par téléphone et des modalités d'établissement de la liste des électeurs et qu'il ne les a pas approuvées. D'après lui, chacun de ces sujets est une source potentielle de fraude électorale.

[48]      Le grand chef Halcrow joint à son affidavit de nombreux documents qui démontrent que le gouvernement fédéral s'est engagé à consulter les Premières nations au sujet de la modification des Règlements. Il contient également des documents, accompagnés des réponses aux engagements fournis lors de son contre-interrogatoire sur son affidavit, qui montrent que les membres du Traité no 8 n'étaient pas satisfaits du processus de consultation mis en œuvre par le gouvernement fédéral, en particulier de la façon dont les fonds avaient été répartis.

[49]      Le grand chef Halcrow ne fournit aucune preuve touchant la question des droits issus de traités ou des droits ancestraux en matière de consultation. Le Traité no 8 n'a pas été déposé en preuve, ni aucun document ou témoignage concernant la coutume, la tradition ou la pratique qui permettrait d'invoquer le droit ancestral d'être consulté lorsque le gouvernement fédéral et le gouverneur en conseil modifient les règlements adoptés aux termes de la Loi sur les Indiens.

[50]      Le contenu de l'affidavit du grand chef Chris Shade est semblable à celui du grand chef Halcrow. Le chef Shade affirme sous serment qu'après avoir reçu le communiqué de presse sur l'arrêt Corbiere publié le 9 décembre 1999, il a assisté à une réunion au cours de laquelle l'honorable Robert Nault a promis de consulter les Premières nations. Le ministre Nault a personnellement affirmé au grand chef Shade que les chefs, en tant que dirigeants, seraient consultés au sujet des projets de modification des Règlements. Le grand chef Shade mentionne dans son affidavit que ni lui ni sa bande n'ont été véritablement consultés au cours du processus de modification et qu'ils n'ont aucunement participé à l'élaboration des projets de modifications.

[51]      Le grand chef Shade exprime les mêmes préoccupations au sujet du vote postal, des nominations par téléphone et de l'établissement de la liste électorale.

[52]      Le Traité no 7 n'a pas été déposé en preuve dans l'affidavit du grand chef Shade. Il n'existe aucune preuve démontrant l'existence d'une pratique, tradition ou coutume qui permettrait de soutenir que les membres du Traité no7 ont un droit inhérent, ancestral ou issu de traité d'être consultés par le gouvernement fédéral et le gouverneur en conseil lorsque ces derniers adoptent des modifications aux règlements pris aux termes de la Loi sur les Indiens.

[53]      L'affidavit du grand chef Gadwa est très semblable à ceux des grands chefs Halcrow et Shade. Il déclare sous serment que le processus de consultation et les délais imposés par le gouvernement fédéral ont fait en sorte qu'il n'y a pas eu de véritables consultations entre le gouvernement fédéral et les membres du Traité no 6 au sujet de la modification des Règlements.

[54]      Comme la Cour suprême du Canada l'a noté dans Van der Peet, précité, au paragraphe 69 :

Le tribunal saisi d'une revendication fondée sur l'existence d'un droit ancestral doit s'attacher spécifiquement à l'examen des coutumes, pratiques et traditions du groupe autochtone qui revendique ce droit. Dans Kruger, précité, notre Cour a rejeté l'idée que les revendications de droits ancestraux pouvaient être tranchées de manière générale. Cette position est bien fondée. L'existence d'un droit ancestral dépend entièrement des coutumes, pratiques et traditions de la collectivité autochtone qui revendique le droit. Comme il a été dit plus tôt, même si les droits ancestraux sont des droits constitutionnels, cela n'enlève rien au fait capital que les intérêts que les droits ancestraux sont censés protéger se rapportent à l'histoire spécifique du groupe qui revendique le droit. Les droits ancestraux n'ont pas un caractère général et universel. Leur portée et leur contenu doivent être déterminés au cas par cas. Le fait qu'un groupe autochtone possède le droit ancestral de faire une chose donnée ne permet pas, à lui seul, d'établir qu'une autre collectivité autochtone a le même droit. L'existence du droit en question dépendra de la situation spécifique de chaque collectivité autochtone.

[55]      En l'espèce, les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau de présenter des preuves qui permettraient à la Cour de déterminer si les collectivités autochtones en question possèdent un droit ancestral auquel le processus d'adoption des règlements a porté atteinte.

(C) Le devoir de fiduciaire

[56]      Dans Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245, aux paragraphes 78 et 79, la Cour suprême du Canada a examiné le devoir fiduciaire sui generis qui incombe à la Couronne fédérale. La Cour a noté que dans Sparrow, la portée de la notion d'obligation de fiduciaire sui generis énoncée dans Guerin avait été élargie à la protection des droits existants--ancestraux et issus de traités--des peuples autochtones au sens du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. La Cour a ensuite noté que dans l'arrêt Conseil de la bande dénée de Ross River c. Canada, [2002] 2 R.C.S. 816, la Cour avait reconnu que la réparation fondée sur l'existence d'une obligation fiduciaire n'était pas limitée aux situations comparables à celles qui ont été reconnues dans les arrêts Sparrow et Guerin, mais que « [l]orsqu'elle existe, l'obligation de fiduciaire vise à faciliter le contrôle de l'exercice par la Couronne de l'autorité et des pouvoirs discrétionnaires considérables qu'elle a graduellement assumés à l'égard de divers aspects de la vie des peuples autochtones ».

[57]      Malgré l'étendue de l'obligation de fiduciaire assumée par la Couronne, la Cour suprême a pris soin de déclarer dans Wewaykum que l'obligation de fiduciaire de la Couronne ne pouvait exister seule mais uniquement en rapport avec des droits précis des Indiens. Cette obligation n'impose donc pas, pour reprendre les termes de la Cour [au paragraphe 81], « à la Couronne une responsabilité totale à l'égard de tous les aspects des rapports entre la Couronne et les bandes indiennes ».

[58]      Pour déterminer s'il existe une obligation de fiduciaire dans un cas particulier, le tribunal doit examiner l'obligation invoquée et considérer ensuite si la Couronne a exercé un contrôle discrétionnaire à l'égard de cette obligation, d'une façon qui donne naissance à une obligation de fiduciaire. C'est ce qu'a exprimé de la façon suivante le juge Binnie, parlant au nom de la Cour, aux paragraphes 82, 83 et 85 de Wewaykum :

Depuis l'arrêt Guerin, les tribunaux canadiens sont inondés de demandes de tous ordres présentées par des bandes indiennes et fondées sur l'« obligation de fiduciaire », par exemple :

(i) action en matière de règles électorales (Bande indienne de Batchewana (membres non-résidents) c. Bande indienne de Batchewana, [1997] 1 C.F. 689 (C.A.), par. 60, examinée plus tard par notre Cour sur d'autres fondements);

(ii) action concernant la fourniture de services sociaux (Southeast Child& Family Services c. Canada (Attorney General) (1997), 9 W.W.R. 236 (B.R. Man.));

(iii) action en modification de dispositions négociées (B.C. Native Women's Society c. Canada, [2000] 1 C.F. 304 (1reinst.));

(iv) demandes d'indemnisation de frais de déménagement (Paul c. Kingsclear Indian Band (1997), 137 F.T.R. 275); Mentuck c. Canada, [1986] 3 C.F. 249 (1re inst.); Deer c. Conseil Mohawk de Kahnawake, [1991] 2 C.F. 18 (1re inst.));

(v) action visant à interdire l'accès par le public aux renseignements concernant les affaires des bandes (Première nation Chippewas de Nawash c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1996] A.C.F. no 991 (QL) (1re inst.), conf. par [1997] A.C.F.no 1822 (QL),(C.A.); Bande indienne de Montana c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1989] 1 C.F. 143 (1re inst.); Bande indienne de Témiscamingue c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1997] A.C.F. no 676 (QL) (1re inst.));

(vi) action relative au financement de procédures judiciaires (Ominayak c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1987] 3 C.F. 174 (1re inst.));

(vii) demande visant à contraindre l'inscription de certaines personnes sous le régime de la Loi sur les Indiens (rejetée dans Tuplin c. Canada (Indian and Northern Affairs) (2001), 207 Nfld. & P.E.I.R 292 (C.S. Î.-P.-É. 1reinst.));

(viii) demande d'invalidation de consentement écrit signé par une mère autochtone relativement à l'adoption de son enfant (rejetée dans G. (A.P.) c. A. (K.H.) (1994), 120 D.L.R. (4th) 511 (B.R. Alb.)).

Je ne ferai aucun commentaire sur le bien-fondé, eu égard aux faits qui leur sont propres, des décisions rendues dans les affaires susmentionnées, dont aucune ne fait actuellement l'objet d'un pourvoi devant nous, mais il convient selon moi que la Cour confirme le principe, mentionné plus tôt, selon lequel les obligations liant des parties ayant des rapports fiduciaires n'ont pas toutes un caractère fiduciaire (Lac Minerals, précité, p. 597), et que ce principe s'applique aux rapports entre la Couronne et les peuples autochtones. Par conséquent, il est nécessaire de s'attacher à l'obligation ou droit particulier qui est l'objet du différend et de se demander si la Couronne exerçait ou non à cet égard un pouvoir discrétionnaire suffisant pour faire naître une obligation de fiduciaire.

[…]

Je ne prétends pas que l'existence d'une obligation de droit public exclut nécessairement la création de rapports fiduciaires. Toutefois, pour que naissent de tels rapports, il faut qu'il existe un droit indien identifiable et que la Couronne exerce, à l'égard de ce droit, des pouvoirs discrétionnaires d'une manière entraînant une responsabilité « de la nature d'une obligation de droit privé », comme nous le verrons plus loin.

[59]      Je reviens à l'application de ces principes aux preuves qui m'ont été présentées; les demandeurs affirment ce qui suit dans leurs plaidoiries écrites :

22. La source de l'obligation de consulter est la relation quasi fiduciaire qui existe entre la Couronne et les peuples autochtones. Cette relation est habituellement qualifiée de devoir de fiduciaire qui incombe à la Couronne fédérale et à la Couronne provinciale envers les peuples autochtones et qui constitue le principe directeur général gouvernant l'application de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il serait contraire à ce principe d'interpréter le par. 35(1) comme s'il exigeait qu'avant de pouvoir reconnaître et confirmer un droit ancestral ou issu de traité, il fallait l'invoquer dans le cadre d'une instance judiciaire.

R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075 [onglet 17]

Haida Nation v. British Columbia (Minister of Forests), [2002] 2 C.N.L.R. 121

23. L'obligation de fiduciaire de la Couronne, fédérale ou provinciale, est une obligation qui exige qu'elle se comporte avec la plus entière bonne foi à l'égard des Indiens et qu'elle place les intérêts des Indiens sous la protection de la Couronne.

Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335

Halfway River First Nation v. British Columbia (Minister of Forests) (1999), 178 D.L.R. (4th) 666 (C.A. C.-B.)

Haida Nation v. British Columbia (Minister of Forests) [2002] B.C.J. No. 1882

[60]      Au cours des plaidoiries, en réponse à la question « Quel est l'élément qui donne naissance à l'obligation fiduciaire de procéder à des consultations? », l'avocat des demandeurs a répondu : « L'obligation fiduciaire de procéder à des consultations découle simplement du droit constitutionnel à se gouverner et à posséder des terres. Cela touche les Premières nations ».

[61]      La remarque du juge en chef Lamer dans Delgamuukw au paragraphe 168 selon laquelle « Il y a toujours obligation de consultation » a été citée.

[62]J'estime néanmoins que ces arguments semblent être fondés sur une obligation de fiduciaire générale, ce qui n'est pas possible. Il ne faut pas sortir de son contexte l'observation qu'a faite le juge en chef Lamer dans Delgamuukw. Dans cette affaire, il s'agissait d'un titre aborigène existant et une des questions portait sur le critère permettant de justifier une atteinte à ce titre. Après avoir noté que le titre aborigène comprend le droit de choisir les utilisations qui peuvent être faites d'une parcelle de territoire, le juge en chef Lamer a déclaré [au paragraphe 168] :

Cet aspect du titre aborigène indique qu'il est possible de respecter les rapports de fiduciaire entre la Couronne et les peuples autochtones en faisant participer les peuples autochtones à la prise des décisions concernant leurs terres. Il y a toujours obligation de consultation. La question de savoir si un groupe autochtone a été consulté est pertinente pour décider si l'atteinte au titre aborigène est justifiée, au même titre que le fait pour la Couronne de ne pas consulter un groupe autochtone au sujet des conditions auxquelles des terres d'une réserve sont cédées à bail peut constituer un manquement à l'obligation de fiduciaire de celle-ci en common law : Guerin. La nature et l'étendue de l'obligation de consultation dépendront des circonstances. [Nos soulignés.]

[63]      Il y a lieu de faire remarquer que la consultation est obligatoire lorsqu'une atteinte a été portée à un droit ancestral existant et qu'il s'agit de déterminer si cette atteinte était justifiée. Parallèlement, lorsqu'il y a une obligation de fiduciaire, l'omission de procéder à des consultations peut constituer une violation de cette obligation.

[64]      Dans Guerin, la Cour a reconnu que l'existence d'une obligation de droit public n'excluait pas l'existence d'une obligation de droit privé pour ce qui est de l'exécution de l'obligation de droit public. Le juge Dickson, tel était alors son titre, s'est expliqué à ce sujet de la façon suivante à la page 385 :

Il nous faut remarquer que, de façon générale, il n'existe d'obligations de fiduciaire que dans le cas d'obligations prenant naissance dans un contexte de droit privé. Les obligations de droit public dont l'acquittement nécessite l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire ne créent normalement aucun rapport fiduciaire. Comme il se dégage d'ailleurs des décisions portant sur les « fiducies politiques », on ne prête pas généralement à Sa Majesté la qualité de fiduciaire lorsque celle-ci exerce ses fonctions législatives ou administratives. Cependant, ce n'est pas parce que c'est à Sa Majesté qu'incombe l'obligation d'agir pour le compte des Indiens que cette obligation échappe à la portée du principe fiduciaire. Comme nous l'avons souligné plus haut, le droit des Indiens sur leurs terres a une existence juridique indépendante. Il ne doit son existence ni au pouvoir législatif ni au pouvoir exécutif. L'obligation qu'a Sa Majesté envers les Indiens en ce qui concerne ce droit n'est donc pas une obligation de droit public. Bien qu'il ne s'agisse pas non plus d'une obligation de droit privé au sens strict, elle tient néanmoins de la nature d'une obligation de droit privé. En conséquence, on peut à bon droit, dans le contexte de ce rapport sui generis, considérer Sa Majesté comme un fiduciaire.

[65]      Cela explique que la Cour ait déclaré dans Wewaykum que la Couronne devait exercer, à l'égard d'un tel droit, ses pouvoirs discrétionnaires d'une manière entraînant une responsabilité de la nature d'une obligation de droit privé.

[66]      J'en viens maintenant à la condition énoncée dans l'arrêt Wewaykum, selon laquelle il doit exister une obligation ou un droit particulier et la Couronne doit exercer des pouvoirs discrétionnaires à l'égard de ce droit; en réponse à une question portant sur la nature du droit ou de l'obligation particulière en jeu, l'avocat des demandeurs a répondu :

[traduction] Je pense que dans les affidavits des trois grands chefs, ils parlent de téléphone, de courrier, et de listes des membres de sorte que les sujets de consultation étaient très divers, certains ayant d'ailleurs été mentionnés par Mme le juge L'Heureux-Dubé. L'omission de procéder à des consultations et l'obligation de fiduciaire font qu'il n'y a pas eu une véritable entente pour ce qui est des Traités nos 6, 7 et 8 sur la nature exacte des modifications visant à changer les règlements sur les élections et les référendums en vigueur à cette époque.

[67]      Il me semble que le droit invoqué par les demandeurs est un droit concernant le contenu des Règlements, étant donné que le contenu de ces Règlements visait à autoriser les membres de la bande vivant à l'extérieur de la réserve à voter aux élections et aux référendums. Une fois ce droit qualifié, il faut ensuite analyser si la Couronne a exercé des pouvoirs discrétionnaires d'une manière qui entraîne une responsabilité de la nature d'une obligation de droit privé, lorsqu'elle a procédé à la modification de ces Règlements.

[68]      Aucune preuve historique n'a été présentée à la Cour au sujet des circonstances ayant entouré l'entrée en vigueur des règlements originaux, ni au sujet des circonstances ayant entouré les autres modifications apportées aux règlements. Aucune preuve portant sur les aspects historiques n'a été présentée.

[69]      Les demandeurs reconnaissent que l'adoption de ces règlements correspond à une obligation de droit public. À ce titre, la Couronne est, en droit, soumise à la surveillance des tribunaux au moyen des recours de droit public. Par exemple, il est possible de contester les règlements en soutenant qu'ils excèdent les pouvoirs de l'autorité qui les a adoptés ou qu'ils sont incompatibles avec une disposition de la Constitution.

[70]      Compte tenu de la nature de droit public de l'obligation qui est exercé ici par le gouverneur en conseil et de l'absence de preuve précisant le degré de contrôle discrétionnaire assumé antérieurement, je constate qu'il n'existe aucune preuve me permettant de conclure que, lorsque le gouverneur en conseil a modifié les Règlements pour tenir compte de l'arrêt Corbiere de la Cour suprême, il a exercé un pouvoir discrétionnaire d'une façon qui met en jeu une responsabilité « de la nature d'une obligation de droit public ». Comme Mme le juge Simpson de notre Cour l'a fait remarquer dans l'arrêt Bande indienne de Squamish c. Canada (2000), 207 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 521 :

Chaque fois qu'une loi confère à la Couronne le pouvoir discrétionnaire d'agir, il n'en résulte pas toujours une obligation fiduciaire de droit privé ou même une obligation fiduciaire sui generis. Il doit en être ainsi parce que, dans les affaires de droit public, il n'existe généralement aucune attente raisonnable que la Couronne agisse au seul profit de la personne touchée par la législation. Pour ce motif, je conclus que dans les affaires de droit public, le pouvoir discrétionnaire et la vulnérabilité peuvent exister sans imposer au fiduciaire une norme de conduite. Il doit y avoir des circonstances particulières, à part celles qui sont créées par la législation, pour que l'imposition d'une obligation fiduciaire à la Couronne soit justifiée.

[71]      Par conséquent, je conclus que les demandeurs n'ont pas établi l'existence d'une obligation fiduciaire en matière de consultation, comme ils le soutiennent. La Cour aurait pu en arriver à une conclusion différente si le dossier avait contenu des preuves différentes.

[72]      Si ma conclusion est erronée et qu'il existait bien une obligation de fiduciaire de consulter les demandeurs, je vais examiner rapidement la question de savoir s'il a été démontré qu'il y avait eu violation de cette obligation.

[73]      Je pars du principe que les obligations fiduciaires ne sont pas toutes semblables. Le contenu de l'obligation varie selon la nature et l'importance du droit à protéger. L'importance particulière de cet aspect a été signalé lorsque le fiduciaire est le gouvernement et lorsque celui-ci assume des obligations de fiduciaire envers un certain nombre d'entités dont les intérêts ne coïncident pas toujours et qui peuvent même parfois être opposés.

[74]      Pour déterminer le contenu de l'obligation de fiduciaire, dans le cas où une telle obligation existerait en l'espèce, je note que le gouverneur en conseil a exercé les pouvoirs réglementaires qui lui sont expressément attribués par le paragraphe 76(1) de la Loi. Il s'agissait de concilier les droits en matière d'élections des membres des bandes vivant dans les réserves avec ceux des membres vivant hors des réserves, conformément à l'arrêt Corbiere de la Cour suprême du Canada.

[75]      Par analogie avec Wewaykum, je conclus qu'en l'espèce, l'imposition d'une obligation de fiduciaire entraîne des obligations de loyauté, de bonne foi, de divulgation intégrale des éléments en jeu, de diligence raisonnable, d'impartialité entre les intérêts des créanciers de l'obligation et enfin le devoir d'agir dans l'intérêt des bénéficiaires.

[76]      Pour ce qui est de savoir si cette obligation a été respectée, les preuves indiquent ce qui suit :

(i) Le gouvernement a, dans une lettre datée du 16 juillet 1999, informé toutes les Premières nations et tous les groupes autochtones de l'arrêt Corbiere, et il a déclaré qu'il était essentiel que les Premières nations et le gouvernement du Canada collaborent en vue d'examiner toutes les implications de jugement et de trouver la meilleure façon de mettre en œuvre la décision; le gouvernement du Canada s'engageait également à travailler en partenariat et en consultation avec les Premières nations.

(ii) Le gouvernement a pris des mesures, dans le délai dont il disposait, pour prendre connaissance des points de vue des parties concernées. Il a attribué des fonds à quatre organismes autochtones nationaux pour qu'ils procèdent à des consultations et fassent rapport; les bureaux régionaux du MAINC ont été chargés d'effectuer des consultations au niveau local. Il a constitué le GTT qui était chargé de compléter les consultations nationales et régionales.

(iii) L'Étude sur les exigences minimales a été préparée par le GTT et distribuée, à titre de document de discussion, dans le but de susciter d'autres commentaires. Le document énumérait un certain nombre de points précis sur lesquels les règlements en vigueur devaient être modifiés. Le document mentionnait en conclusion qu'il avait été rédigé dans l'intention de fournir aux intéressés la possibilité de centrer la discussion sur le projet de modification des Règlements. Tous les demandeurs ont reçu une copie de ce document.

(iv) Des projets de règlements ont été préparés en se fondant sur les rapports de consultation reçus par le gouvernement et sur l'étude sur les conditions minimales.

(v) Le représentant des trois organismes autochtones nationaux ont participé à l'étude article par article du projet de Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens les 28 et 29 août 2000.

(vi) Les projets de règlements ont été publiés au préalable pour commentaires et ont été transmis par télécopie aux Premières nations du Canada. Tous les demandeurs ont reçu une copie.

(vii) Les représentants de la First Nations Land Manager's Association, de certaines Premières nations et d'organisations nationales ont participé à l'examen article par article du Règlement sur les référendums des Indiens, les 18 et 19 septembre 2000.

(viii) La Couronne a apporté des changements aux projets de règlements à la suite de l'examen article par article effectué les 28 et 29 août, après la réception des commentaires concernant les Règlements ayant fait l'objet d'une publication préalable, après l'examen article par article du Règlement sur les référendums des Indiens, et après la session de formation des agents électoraux qui s'est tenue au cours de la semaine du 18 septembre 2000.

[77]      La Couronne a ainsi fait connaître aux intéressés le fait qu'elle avait l'intention de modifier les règlements en vigueur, a recueilli et diffusé les éléments pertinents, a financé et effectué des consultations, et a modifié les règlements projetés en se fondant sur les renseignements obtenus grâce aux consultations. La Couronne a pris ces mesures au cours de la période de 18 mois fixée par la Cour suprême du Canada et cela représentait la première étape d'un processus en comprenant deux.

[78]      Dans l'hypothèse où la Couronne assumait une obligation de fiduciaire en matière de consultation, je conclus que la façon dont la Couronne a agi dans ce domaine était conforme aux obligations qu'elle assumait.

(D) Conclusion au sujet de l'obligation de consultation

[79]      Pour les motifs énumérés ci-dessus, j'en suis arrivée à la conclusion que les demandeurs n'ont pas démontré que la Couronne avait l'obligation juridique de les consulter. J'estime que dans leur demande telle que formulée, les demandeurs invoquent un motif indépendant pour contester les mesures prises par le gouvernement. J'estime que ce motif indépendant n'est pas reconnu par la jurisprudence et qu'il a été rejeté par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire TransCanada Pipelines Ltd. v. Beardmore (Township) (2000), 186 D.L.R. (4th) 403; 19 octobre 2000, autorisation d'appeler refusée, [2000] 2 R.C.S. xiv. Les commentaires qu'a formulés la Cour aux paragraphes 112 et 120 sont particulièrement appropriés :

[traduction] J'estime que le juge O'Driscoll a mal appliqué la notion d'obligation de consulter les Premières nations qu'avait la Couronne lorsqu'il a annulé le projet de restructuration pour le motif qu'il y avait eu excès de pouvoir. Comme je vais l'expliquer, il a fait de l'obligation qu'avait la Couronne de consulter les Premières nations, une obligation qui ne constituait qu'un des éléments permettant à la Couronne de justifier son action lorsqu'une disposition législative ou une mesure gouvernementale est contestée pour le motif qu'elle porte atteinte à des droits ancestraux ou issus de traités reconnus et confirmés par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, un motif indépendant permettant de contester une telle disposition législative ou mesure gouvernementale.

[…]

Comme Lawrence et Macklem le font remarquer à la p. 262, « dans la plupart des affaires où l'on invoque les droits ancestraux ou issus de traités, la Première nation en question tente parallèlement de démontrer l'existence de ses droits et d'empêcher que la Couronne ou une tierce partie leur porte atteinte ». Comme l'illustrent les arrêts de la Cour suprême, ce qui déclenche l'examen de l'obligation de consultation assumée par la Couronne, c'est la démonstration par la Première nation qu'il y a eu violation d'un droit existant, ancestral ou issu de traité, reconnu et confirmé par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. C'est à cette étape de l'instance que la Couronne est tenue de montrer qu'elle a respecté son obligation de consulter la Première nation si elle souhaite justifier la constitutionnalité de la mesure qu'elle a prise. [Nos soulignés.]

[80]      Les demandeurs s'appuient sur l'arrêt qu'a prononcé la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Haida Nation v. British Columbia (Minister of Forests) (2002), 216 D.L.R. (4th) 1, pour soutenir qu'[traduction] « il n'est pas nécessaire de prouver qu'il y a eu atteinte dans le contexte de ces affaires de consultation ». Dans l'arrêt Haida, la question en litige était de savoir si la Couronne avait l'obligation de consulter un peuple autochtone, qui revendiquait expressément un droit ancestral, au sujet des risques d'atteinte, avant que le tribunal compétent ait reconnu l'existence d'un tel droit ancestral. À mon avis, cette décision n'a pas eu pour effet de créer une nouvelle obligation de consultation lorsqu'un titre aborigène ou des droits ancestraux ou autres reconnus par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 ne sont pas en litige.

(ii) La notion d'attente légitime

[81]      Les demandeurs affirment que, dans le communiqué de presse et dans le discours qu'il a prononcé le 9 décembre 1999, le ministre s'est engagé à respecter l'équité procédurale et à procéder à des consultations approfondies auprès des intéressés. Ils affirment que le ministre a reconnu qu'il comprenait ses responsabilités et qu'il suivrait les directives fournies par la Cour suprême et consulterait les membres des Premières nations. Les demandeurs affirment que, par conséquent, le ministre a suscité chez eux l'attente légitime d'être consultés selon un processus équitable et ouvert à toutes les personnes directement touchées par le projet de modification des règlements.

[82]      J'estime que cet argument ne peut être retenu pour les raisons suivantes.

[83]      Tout d'abord, dans le Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, la Cour suprême du Canada a déclaré que la notion d'attente légitime faisait partie des règles d'équité procédurale régissant les organismes administratifs et a noté que les règles en matière d'équité procédurale ne s'appliquaient pas à un organisme exerçant des fonctions purement législatives. La Cour suprême était saisie d'une contestation touchant un projet de loi présenté à la Chambre des communes mais elle a fondé sa conclusion sur les observations du juge Megarry formulées dans Bates v Lord Hailsham of St Marylebone, [1972] 3 All ER 1019 (Ch. D.). Dans cette affaire, le juge Megarry a écrit à la page 1024 :

[traduction] Tenons donc pour acquis que dans le domaine de ce qu'on appelle les règles quasi judiciaires de la justice naturelle et dans le domaine administratif ou exécutif il existe une obligation générale d'agir de façon équitable. Néanmoins, ces considérations ne semblent pas, d'après moi, toucher le processus législatif, qu'il soit primaire ou délégué. [Nos soulignés.]

[84]      Il semble possible d'en déduire que l'affirmation de la Cour suprême du Canada selon laquelle les règles de l'équité procédurale ne s'appliquent pas au processus législatif vise également le domaine des règlements.

[85]      Plus récemment, la majorité des juges de la Cour d'appel fédérale ont exprimé de sérieuses réserves au sujet de l'applicabilité de la notion d'attente légitime au Cabinet lorsqu'il exerce son pouvoir réglementaire. Voir Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [2002] 4 C.F. 264 (C.A.), au paragraphe 21.

[86]      Le deuxième motif pour lequel il convient de rejeter les arguments des demandeurs au sujet de l'attente légitime est que l'attente légitime qui est invoquée ici découle apparemment de la conduite du ministre mais que la mesure contestée est l'adoption de règlements par le gouverneur en conseil. Dans Apotex, la majorité de la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 18 :

Un ministre ne peut prendre un engagement ayant certaines conséquences juridiques qu'à l'égard d'une décision qu'il lui appartient de prendre et qu'il appartient à lui seul de prendre. En l'absence d'un pouvoir tel que celui qui est prévu au paragraphe 101(2) de la Loi, ou peut-être en l'absence d'un pouvoir expressément délégué au ministre par le gouverneur en conseil, le ministre ne peut pas lier le gouverneur en conseil dans l'exercice de son pouvoir de réglementation. Il peut être utile de rappeler que le gouverneur en conseil, telle que cette expression est définie à l'article 35 de la Loi d'interprétation est « [l]e gouverneur général du Canada agissant sur l'avis […] du Conseil privé de la Reine pour le Canada », ce qui se rapporte de toute évidence aux articles 11, 12 et 13 de la Loi constitutionnelle de 1867. [Notes de bas de page omises et soulignés ajoutés.]

[87]      Je suis liée par cette décision et l'avocat des demandeurs n'a pas démontré qu'elle ne s'appliquait pas ici. Le ministre n'a pas le pouvoir de lier le gouverneur en conseil lorsque celui-ci exerce son pouvoir réglementaire. L'argument fondé sur la notion d'attente légitime ne peut donc être retenu.

(iii) Les commentaires de la Cour suprême dans l'arrêt Corbiere

[88]      Les demandeurs soutiennent que l'arrêt Corbiere impose au ministre l'obligation positive de consulter les membres des Premières nations pour trouver une solution raisonnable et pratique aux modifications qu'il y a lieu d'apporter aux Règlements concernés pour qu'ils respectent la Charte.

[89]      Je ne suis pas convaincue que la décision de la Cour suprême a eu pour effet de créer une obligation en matière de consultation pour les raisons suivantes.

[90]      Tout d'abord, les demandeurs n'ont pas affirmé que la Cour avait officiellement ou expressément ordonné que l'on procède à ce type de consultation. Ils invoquent plutôt certains extraits des motifs du jugement de la Cour, en particulier des passages des motifs de Mme le juge L'Heureux-Dubé, parlant en son seul nom.

[91]      Deuxièmement, j'estime que la lecture des motifs du jugement permet de constater que la Cour voulait simplement donner au gouvernement la possibilité de procéder à des consultations. La Cour a expressément reconnu que la possibilité de procéder à des consultations, aménagée par la suspension de la déclaration d'invalidité, pourrait ne pas être exercée. C'est ce que reflète les motifs de la majorité au paragraphe 23 :

En cas d'incompatibilité entre la Charte et une disposition législative, l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 a pour effet de rendre cette disposition inopérante. Nous sommes donc d'avis de déclarer les mots « et réside ordinairement sur la réserve » employés au par. 77(1) de la Loi sur les Indiens incompatibles avec le par. 15(1), et de suspendre pour 18 mois la prise d'effet de cette déclaration. Nous ne sommes pas d'avis d'accorder une exemption constitutionnelle à la bande de Batchewana pendant la durée de la suspension de la prise d'effet, contrairement à ce qui est normalement le cas suivant la règle établie dans Schachter. La raison de cette décision est que, eu égard aux circonstances particulières du présent cas, il semble préférable d'élaborer un système électoral qui mettra en équilibre les droits des membres vivant hors des réserves et ceux des membres qui y résident. Nous avons tenu compte de la possibilité que l'inaction du législateur puisse créer de nouveaux problèmes. En cas de litiges de cette nature, ils seront tranchés à la lumière des faits qui leur sont propres. [Nos soulignés.]

ainsi que dans les motifs de Mme le juge L'Heureux-Dubé au paragraphe 119 :

Je reconnais que la suspension de la prise d'effet de la déclaration pour une période aussi longue constitue, suivant les termes utilisés par le Juge en chef dans l'arrêt Schachter, précité, à la p. 716, « une question sérieuse du point de vue de l'application de la Charte, car on se trouve alors à permettre que se perpétue pendant un certain temps une situation qui a été jugée contraire aux principes consacrés dans la Charte ». Toutefois, il s'agit de la réparation qui incarne le mieux le principe du respect des droits garantis par la Charte et celui du respect de la démocratie qui doivent guider le choix de la réparation. Si le Parlement décidait de modifier le régime, il disposera d'un délai convenable pour consulter les personnes touchées par la loi et pour concilier les intérêts en cause d'une manière qui respecte les droits ancestraux ainsi que les droits à la dignité et à l'égalité de l'ensemble des membres des bandes. Si le Parlement décidait de ne pas modifier le régime, les membres vivant hors réserve des bandes indiennes obtiendront alors le droit de voter dans le cadre du régime actuel. [Nos soulignés.]

[92]      Il n'est donc pas raisonnable de conclure que la Cour suprême du Canada a créé dans ses motifs une obligation juridique en matière de consultation.

CONCLUSION ET DÉPENS

[93]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[94]      Les défendeurs demandent les dépens et l'avocat des demandeurs ne s'est pas vraiment opposé à ce que les dépens suivent l'issue de la cause. Par conséquent, les demandeurs verseront une série de dépens aux défendeurs. À défaut d'entente, ces dépens seront taxés conformément à la disposition de l'ordonnance qui suit.

ORDONNANCE

[95]      LA COUR ORDONNE :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Les demandeurs sont condamnés à verser aux défendeurs une série de dépens. À défaut d'entente, ces dépens seront taxés selon le montant moyen de la colonne III du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106].

1 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no44].

2 Au cours des plaidoiries, l'avocat des demandeurs a décrit de la façon suivante le droit ancestral ayant été apparemment violé :

[traduction]

LE TRIBUNAL : Tout d'abord, quelle est la nature exacte du droit ancestral qui a été, d'après vous, violé?

M. HLADUN : La gouvernance. Et la gouvernance dans le contexte où elle a été reconnue avant 1982, et cela pourrait aussi faire partie de la rubrique sui generis, c'est-à-dire de cet ensemble de droits.

LE TRIBUNAL : Eh bien, sui generis veut dire unique.

M. HLADUN : Unique dans la mesure où la Loi sur les Indiens reconnaît le chef et son conseil sous une forme de gouvernance qui a un chef et un conseil unique pour un peuple autochtone. Et cela a été examiné et étudié dans Corbiere, ainsi que dans le contexte de la gouvernance, c'est-à-dire un gouvernement local et communautaire. Et je pense que cela se situe dans un contexte culturel et social--culturel, social, des choses qui sont particulières et peut-être sui generis aux Premières nations et aux Autochtones. La gouvernance.

LE TRIBUNAL : Plus précisément, la nature du droit ancestral qui a été, d'après vous, violé est quel aspect de la gouvernance?

M. HLADUN : L'aspect qui concerne la façon dont les membres des Premières nations qui vivent à l'extérieur des réserves vont pouvoir concilier leur droit, leur nouveau droit de voter sur les réserves avec les membres des Premières nations qui y résident. Et les passages de Corbiere, en particulier de Mme le juge L'Heureux-Dubé, qui reconnaissent ce genre de contexte. Et par « contexte », je veux dire le genre de questions que soulève maintenant le fait que les affaires communautaires des Autochtones sont influencées par les droits d'un tout nouveau groupe de personnes qui va maintenant se joindre à l'électorat et aura le droit de participer au vote, droit qu'ils n'avaient pas auparavant. La Cour a fait référence à des expressions comme « questions locales » et « questions communautaires ». De sorte que ces aspects seront bien évidemment touchés et concernés, parce qu'il est évident, qu'ils n'avaient pas le droit de vote auparavant, celui que reconnaissait l'article 77. Avec les modifications, ils ont maintenant ce droit.

[…]

LE TRIBUNAL : Encore une fois, quelle est la nature exacte du droit ancestral que possèdent les Traités nos 6, 7 et 8 et qui aurait été violé?

MR. HLADUN : Le droit de contrôler leur propre société, leurs affaires gouvernementales, leurs affaires locales et communautaires qui sont maintenant touchées par les personnes qui vivent à l'extérieur de la réserve. Mais la réserve et la terre ont été reconnues dans les arrêts Delgamuukw et Corbiere comme un paramètre, et cela fait toujours l'objet de discussions. Je veux dire, il y a des droits bien sûr, des droits de nature personnelle, il y a également des droits qui sont reliés à la terre. Et dans cette discussion, les modifications au référendum, bien sûr, ont évidemment un impact, parce que maintenant le référendum sur la cession de terres ou sur les questions qui touchent cela aux termes de l'article 39 vont être désormais influencées par les membres des Premières nations qui vivent hors des réserves et qui ont le droit de vote.

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