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T-1313-99

2002 CFPI 994

Inter-Church Uranium Committee Educational Co-operative (demanderesse)

c.

Commission de contrôle de l'énergie atomique et Cogema Resources Inc. (défenderesses)

Répertorié: Inter-Church Uranium Committee Educational Co-operative c. Canada (Commission de contrôle de l'énergie atomique) (1re inst.)

Section de première instance, juge Campbell-- Saskatoon, 12 septembre; Ottawa, 23 septembre 2002.

Environnement -- Projet de mine d'uranium approuvé en 1993 en vertu du Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement (le Décret sur les lignes directrices) -- Évaluation environnementale aujourd'hui déclenchée par les dispositions de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale (LCEE), qui est entrée en vigueur en 1995 à l'égard de la licence d'exploitation la plus récente accordée par la Commission de contrôle de l'énergie atomique pour la poursuite du développement du projet -- Interprétation des dispositions transitoires de l'art. 74 de la LCEE -- Le texte de l'art. 74 ne permet nullement d'affirmer que des propositions commencées en vertu du Décret sur les lignes directrices sont soustraites à l'application de la LCEE -- Le cas présent ne concerne pas le «projet de construction», mais le «projet d'exploitation» du broyeur -- Chaque étape du projet est, en fait et en droit, un nouveau «projet» au sens de l'art. 2(1) de la LCEE, un projet qui requiert, en vertu de l'art. 5(1)d), une évaluation environnementale avant qu'une licence ne soit délivrée -- Puisque l'application du Règlement sur la liste d'exclusion, art. 2, annexe I, n'a pas été déterminée, il n'y a pas lieu de conclure que l'art. 2, annexe I, a pour effet de soustraire le projet à l'application de la LCEE -- Il est dans l'intérêt public que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire d'annulation de la licence.

Le Projet de mine d'uranium du lac McClean a été approuvé en tant que projet viable sur le plan environnemental par le gouvernement fédéral en 1993, en vertu du Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement (le Décret sur les lignes directrices). Le projet est allé de l'avant à la faveur de licences délivrées par la Commission de contrôle de l'énergie atomique (la CCEA).

La CCEA a délivré pour le Projet du lac McClean plusieurs licences approuvant ses diverses étapes. Des licences de construction ont été délivrées en 1994 et 1995, et des licences d'exploitation ont commencé d'être délivrées en 1996. Dans cette demande de contrôle judiciaire, la demanderesse voulait que soit rendue une ordonnance annulant la décision de la CCEA du 17 juin 1999 de délivrer une licence pour l'exploitation d'un broyeur à la mine à ciel ouvert JEB du Projet du lac McLean (le broyeur JEB), et l'exploitation de l'installation connexe de gestion des résidus (l'IGR), au motif qu'une évaluation environnementale devait, à l'égard d'une licence tout récemment accordée par la CCEA, avoir lieu selon la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale (la LCEE), entrée en vigueur en 1995, bien après la mise en route du processus des formalités de licence. La préoccupation environnementale se rapportait à l'intégrité scientifique du plan alors appliqué pour le confinement des résidus produits par les travaux d'extraction d'uranium dans le Projet du lac McLean, ainsi que dans d'autres projets de la région. La CCEA était d'avis que la LCEE ne s'appliquait pas dans ce cas parce que le projet avait déjà été évalué et approuvé en vertu du Décret sur les lignes directrices. Le point de droit à décider était de savoir si la LCEE s'appliquait au Projet du lac McLean. Le redressement demandé était une ordonnance annulant la licence, et une ordonnance enjoignant la CCEA de se plier à son obligation de conformité à la Loi et aux règlements connexes aujourd'hui en vigueur.

Jugement: la demande doit être accueillie en partie; la licence doit être annulée, mais il n'y a pas lieu de rendre une ordonnance de mandamus.

L'interprétation de la LCEE et de ses règlements était une question de droit, et la norme de contrôle à appliquer aux questions de droit était la norme de la décision correcte. La licence d'exploitation du broyeur JEB et de l'IGR, une licence délivrée par la CCEA conformément au Règlement sur les mines d'uranium, a déclenché l'application des dispositions des règlements d'application de la LCEE qui exigent une évaluation environnementale selon ce que prévoit la LCEE. Puisqu'une évaluation environnementale n'a pas eu lieu avant que la licence ne soit délivrée, la CCEA n'avait pas compétence pour délivrer la licence.

La LCEE, qui est entrée en vigueur en janvier 1995, remplaçait le Décret sur les lignes directrices. Les dispositions transitoires applicables de la LCEE se trouvent à l'article 74. Il n'y avait rien d'ambigu dans le texte de la version anglaise du paragraphe 74(1), et il n'y avait aucune différence véritable entre la version anglaise et la version française. Il n'y avait absolument rien dans le texte de l'article 74 qui permît d'affirmer que les propositions commencées en vertu du Décret sur les lignes directrices étaient soustraites à l'application de la LCEE. L'interprétation de l'article 74 devait se limiter à son objet déclaré, qui était d'assurer une transition ordonnée entre l'application d'un régime de protection environnementale (le Décret sur les lignes directrices) et l'application d'un autre régime (la LCEE) au regard d'un projet donné.

Le Projet du lac McLean était un «projet» au sens de la LCEE, un projet soumis à évaluation environnementale. Chaque étape du projet était, en fait et en droit, un nouveau «projet», selon la définition donnée à ce mot par le paragraphe 2(1) de la LCEE, un projet qui, en vertu de l'alinéa 5(1)d), requiert une évaluation environnementale avant qu'une licence ne soit délivrée.

S'est posée la question de savoir si le projet était soustrait aux exigences d'évaluation prévues par la LCEE, en raison de l'application de l'article 2, annexe I, du Règlement sur la liste d'exclusion. D'abord, il n'a pas été déterminé, ainsi que le requiert cette disposition, que les effets environnementaux sont négligeables. C'est à la CCEA, et non à la Cour, qu'il appartient de tirer une telle conclusion. Deuxièmement, une telle conclusion, qui autoriserait un contrôle judiciaire selon une norme à déterminer, n'a pas été tirée. En conséquence, puisque l'application de l'article 2, annexe I, n'a pas été déterminée, il n'y avait pas lieu de conclure que l'article 2 avait pour effet de soustraire le projet à l'application de la LCEE.

Comme la Cour n'a trouvé aucun obstacle à l'application de la LCEE, la délivrance de la licence contestée appelait à tout le moins une évaluation environnementale selon l'alinéa 5(1)d) de la LCEE, et, puisqu'il n'y avait pas eu évaluation environnementale avant que la licence ne soit délivrée, la CCEA n'avait pas compétence pour délivrer la licence.

Il était impossible de blâmer la demanderesse pour son intervention tardive. La CCEA savait que l'application de la LCEE soulevait un point de droit, elle a décidé ce point de droit avant de délivrer la licence, ce qui a été jugé non conforme au droit, et elle ne pouvait dès lors se plaindre de devoir rendre des comptes.

On a fait valoir que l'annulation de la licence entraverait sérieusement les activités du Projet du lac McLean et imposerait des coûts économiques et humains immédiats importants. Cependant, ne pas laisser l'application de la LCEE suivre son cours eût été faire obstacle à l'examen public indispensable d'un aspect très contesté du Projet du lac McLean. Il était dans l'intérêt public que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire d'annuler la licence.

lois et règlements

Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-467.

Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37, art. 2(1) «projet» (mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 18), 4 (mod., idem, art. 19; 1994, ch. 46, art. 1), 5, 74.

Règlement sur la liste d'étude approfondie, DORS/94-638, art. 19b).

Règlement sur la liste d'exclusion, DORS/94-639, ann. 1, art. 2.

jurisprudence

distinction faite d'avec:

Société pour vaincre la pollution c. Canada (Ministre de l'Environnement) (1996), 136 D.L.R. (4th) 747; 22 C.E.L.R. (N.S.) 64; 114 F.T.R. 213 (C.F. 1re inst.); Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721; (1985), 19 D.L.R. (4th) 1; [1985] 4 W.W.R. 385; 35 Man. R. (2d) 83; 59 N.R. 321; Bande indienne Tsawwassen c. Canada (Ministre des Finances) (1998), 27 C.E.L.R. (N.S.) 177; 145 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.); conf. par (2001), 37 C.L.L.R. (N.S.) 182; 270 N.R. 145 (C.A.F.).

DEMANDE de contrôle judiciaire pour que soit rendue une ordonnance annulant une licence accordée par la Commission de contrôle de l'énergie atomique sans qu'elle ait procédé à une évaluation environnementale selon les termes de la LCEE, laquelle est entrée en vigueur bien après la mise en route du processus des formalités de licence, et pour que soit rendue une ordonnance enjoignant la Commission de se plier à son obligation de se conformer à la Loi. Demande accueillie en partie: la licence a été annulée, mais aucune ordonnance de mandamus n'a été rendue.

ont comparu:

Stefania A. Fortugno, pour la demanderesse.

Kirk N. Lambrecht, c.r., pour la défenderesse, Commission de contrôle de l'énergie atomique.

Robert G. Richards, c.r., pour la défenderesse, Cogema Resources Inc.

avocats inscrits au dossier:

Fortugno Law Office, Saskatoon (Saskatchewan), pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada, pour la défenderesse, Commission de contrôle de l'énergie atomique.

MacPherson Leslie & Tyerman LLP, Regina (Saskatchewan), pour la défenderesse, Cogema Resources Inc.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]Le juge Campbell: Le Projet de mine d'uranium du lac McClean (le Projet du lac McClean), au nord de la Saskatchewan, suscite, depuis son lancement en 1989, l'opposition de la population et des spécialistes, tant pour des raisons éthiques que pour des raisons scientifiques. Le projet a été approuvé en tant que projet viable sur le plan environnemental par le gouvernement fédéral en 1993, après l'achèvement de consultations publiques menées en vertu du Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-467 (le Décret sur les lignes directrices), et le projet est allé de l'avant depuis lors, à la faveur de licences délivrées par la défenderesse, la Commission de contrôle de l'énergie atomique (la CCEA).

[2]Tout au long du processus d'approbation environnementale prévu par le Décret sur les lignes directrices, ainsi que du processus ultérieur de délivrance de licences, les milieux environnementaux concernés de la Saskatchewan, représentés dans la présente demande par la demanderesse Inter-Church Uranium Committee Education Co-operative (l'ICUCEC), ont travaillé à l'intérieur du cadre juridique appliqué, mais se sont parfois énergiquement opposés aux décisions prises d'exécuter le projet à la faveur des licences délivrées.

[3]Cependant, par cette demande, l'ICUCEC cherche à bien faire comprendre les préoccupations que lui cause la poursuite de l'aménagement du projet, en tentant de stopper et de briser le processus d'autorisation appliqué au cours des huit dernières années. Elle soutient pour cela qu'une évaluation environnementale doit maintenant, à l'égard d'une licence tout récemment accordée par la CCEA, avoir lieu selon la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37, (la LCEE), qui est entrée en vigueur en 1995, bien après la mise en route du processus des formalités de licence.

[4]Essentiellement, la préoccupation environnemen-tale à l'origine de la présente demande se rapporte à l'intégrité scientifique du plan en ce moment appliqué pour le confinement des résidus produits par les travaux d'extraction d'uranium dans le Projet du lac McClean, ainsi que dans d'autres projets de la région. La crainte est que, si la science est insuffisante, les dépôts de résidus représenteront un grave risque pour l'environne-ment pendant une très longue période.

[5]Le point de droit qui nous dira si l'ICUCEC peut réussir dans sa tentative est le suivant: La LCEE s'applique-t-elle au Projet du lac McClean? Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis qu'elle s'y applique.

A. Les faits

[6]Un gisement d'uranium a été découvert au lac McClean en 1979. En 1991, le propriétaire majoritaire du Projet du lac McClean à l'époque, Minatco Limited, présenta à la CCEA une proposition de mise en valeur. La deuxième défenderesse, Cogema Resources Inc. (Cogema), est l'actuelle propriétaire du projet.

[7]La proposition du lac McClean fut présentée en même temps que deux autres propositions de mise en valeur de mines d'uranium. Pour donner suite à ces trois propositions, il fallait obtenir l'approbation des gouvernements de la Saskatchewan et du Canada. Avant de donner leurs approbations, la Saskatchewan et le Canada établirent un processus unique pour l'examen public de ces trois propositions.

[8]S'autorisant du Décret sur les lignes directrices, la CCEA soumit les trois propositions au ministre fédéral de l'Environnement, lequel constitua une commission en lui demandant de procéder à l'examen public et de faire des recommandations. Au cours d'une période de 18 mois, d'octobre 1991 à mai 1993, la commission établie en vertu du Décret (la commission) s'attacha à son mandat et, en octobre 1993, elle remit son rapport concernant les trois propositions.

[9]La commission recommandait que la proposition du lac McClean soit retardée d'au moins cinq ans et que l'approbation soit à ce moment-là subordonnée au respect de 16 conditions.

[10]En décembre 1993, le gouvernement fédéral annonçait sa réponse au rapport, en rejetant la recommandation de la commission qui préconisait un report de cinq ans. Le gouvernement fédéral décida plutôt que la procédure habituelle de la CCEA en matière de licences irait de l'avant, procédure au cours de laquelle pourraient être examinés tous les aspects techniques soulevés devant la commission à propos de l'extraction et du broyage de l'uranium et à propos du dépôt de résidus.

[11]La commission demeura en existence et, en 1994, elle fut chargée de l'examen public de deux autres propositions de mise en valeur de mines d'uranium qui nécessitaient l'utilisation des installations du lac McClean, notamment pour le broyage du minerai et le dépôt des résidus. Outre d'autres facteurs, la commission examina ces aspects critiques du Projet du lac McClean et de nouveau recommanda l'acceptation de leur modèle, en reconnaissant que le processus réglementaire serait utilisé pour l'évaluation de points particuliers. En 1998, cette recommandation fut acceptée par le gouvernement fédéral, qui décida que les nouvelles propositions d'exploitation minière pouvaient passer au stade de l'approbation réglementaire et de la délivrance de licences de la CCEA.

[12]La CCEA a délivré pour le Projet du lac McClean plusieurs licences approuvant ses diverses étapes. Des licences de construction furent délivrées en 1994 et 1995, et des licences d'exploitation commencèrent d'être délivrées en 1996. L'ICUCEC est intervenue activement et avec énergie durant tout le processus de délivrance de licences.

B. La décision contestée

[13]Par cette demande de contrôle judiciaire, l'ICUCEC voudrait que soit rendue une ordonnance annulant la décision du 17 juin 1999 de la CCEA de délivrer la licence AECB-MFOL-170-0.5 (la licence) pour l'exploitation d'un broyeur à la mine à ciel ouvert JEB du Projet du lac McClean (le broyeur JEB), et l'exploitation de l'installation connexe de gestion des résidus (l'IGR).

[14]Comme on l'a dit, la préoccupation principale de l'ICUCEC se rapporte au concept scientifique appliqué à l'IGR. L'IGR s'appuie sur la technologie du «milieu naturel», selon laquelle les résidus doivent être produits et déposés de telle manière qu'ils se consolident au fil du temps pour donner une matière présentant une certaine conductivité hydraulique, laquelle a pour effet de protéger l'environnement d'une contamination.

[15]L'ICUCEC et d'autres intervenants se sont exprimés devant la CCEA avant que la licence ne soit délivrée, en exigeant que soit effectuée en vertu de la LCEE, et avant la délivrance d'une licence d'exploitation des installations, une nouvelle évaluation environnementale prenant la forme d'une étude approfondie. Cet argument était alimenté par de sérieuses inquiétudes relatives non seulement aux aspects pratiques de l'application, à l'IGR, du concept de «milieu naturel», mais également au procédé de broyage devant être utilisé au broyeur JED. Dans ses motifs à la base de la décision de délivrer la licence en date du 30 juin 1999, la CCEA indiquait ce qui suit:

[traduction]

*Points de vue de la Commission

Avec un suivi constant de la part du titulaire de licence, et vu la possibilité pour la CCEA de prendre des mesures touchant la licence ou d'utiliser d'autres moyens de contrôle réglementaire, la CCEA croit que des mesures adéquates sont en place pour la protection de l'environnement.

La CCEA accepte la conclusion de son personnel selon laquelle les effets possibles d'une radiation alpha causée par l'exploitation du broyeur JEB et de l'IGR sont adéquatement maîtrisés.

La CCEA est donc d'avis que les effets environnementaux de ce projet ont été minutieusement examinés. Elle accepte les renseignements fournis par son personnel et par Cogema. Selon ces renseignements, les programmes de suivi permettront de repérer les problèmes environnementaux possibles, et il existe des mesures correctrices efficaces, notamment la cessation du dépôt de résidus. La CCEA accepte la position de son personnel, énoncée dans les instruments BMD 99-53 et BMD 99-85, en particulier la position selon laquelle l'esprit de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale est respecté. [Dossier de demande de la demanderesse, p. 25.]

[16]Puis la CCEA a tiré la conclusion de droit suivante, qui est acceptée dans la présente demande en tant que décision contestée:

[traduction] [La CCEA] accepte la conclusion de son personnel selon laquelle la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale ne parle pas expressément d'un projet qui a fait l'objet du rapport d'une commission, et selon laquelle la réponse du gouvernement à l'évaluation et à la recommandation de la commission concernant cette installation minière s'accorde avec l'esprit de la loi et respecte le principe «un projet--une évaluation» et le principe de non-dédoublement dans les dossiers d'évaluation environnementale. [Dossier de demande de la demanderesse, p. 26.]

[17]On trouve des indications sur le sens de la décision de la CCEA dans la réponse suivante en date du 4 février 1999 donnée par M. Sid Gershberg, président de la CCEA, à une préoccupation touchant la régularité de la procédure que lui avait exprimée dans une lettre du 18 novembre 1998 M. Phillip Penna, représentant de l'intervenante, l'Alliance canadienne de l'uranium:

[traduction]

Merci pour votre lettre concernant la licence délivrée par la Commission de contrôle de l'énergie atomique (CCEA) pour l'installation JEB de gestion des résidus, au nord de la Saskatchewan.

La CCEA a indiqué que la réunion du 13 août 1998 avait eu lieu pour que soit prise une décision en matière de licence à l'égard d'une partie de l'installation de gestion des rejets. Afin de profiter de la courte saison propice à la construction dans le nord de la Saskatchewan, Cogema Resources Inc. (Cogema) avait demandé l'approbation rapide des premiers travaux de construction du système de drainage et de filtration de l'installation.

La CCEA était consciente de l'intervention restreinte du public dans cette décision. Pour compenser cette mesure, Cogema a reporté à l'automne de 1998 sa demande officielle d'examen initial de la construction de l'installation tout entière de gestion des résidus. Selon le personnel de la CCEA, Cogema a obtenu l'autorisation d'aller de l'avant avec cette partie des travaux, aux conditions suivantes: 1) que l'approbation soit sans préjudice d'une décision sur la demande de construction de l'installation tout entière; et 2) si la CCEA décidait de ne pas approuver l'installation, que Cogema soit tenue d'enlever, à ses propres frais, toutes les structures se trouvant à l'emplacement de l'installation de gestion des rejets.

S'agissant de votre préoccupation selon laquelle la CCEA n'a pas, durant sa réunion touchant la licence, respecté les exigences de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale (la Loi), je voudrais vous dire que la Loi ne s'appliquait pas dans ce cas parce que le projet avait déjà été évalué et approuvé. L'installation JEB de gestion des résidus a été examinée en 1997 par la commission mixte fédérale-provinciale sur la mise en valeur des mines d'uranium dans le nord de la Saskatchewan. La commission a tenu des audiences publiques afin de permettre au public de présenter ses observations et de participer au processus d'évaluation environnementale. Les gouvernements fédéral et provincial ont approuvé le projet d'extraction de l'uranium ainsi que l'installation JEB de gestion des résidus.

Je vous remercie de m'avoir communiqué vos commentaires sur cet aspect et j'espère que ma réponse vous sera utile. [Dossier de demande de la demanderesse, p. 35; soulignement ajouté.]

[18]Dans l'avis de demande qui nous concerne ici, l'ICUCEC conteste la décision pour les raisons suivantes:

[traduction] La demande de modification de la licence AECB-MFOL-170-0.5 présentée par Cogema Resources Inc., et l'examen de cette demande par la défenderesse, la CCEA, conformément de l'art. 8(1) du Règlement sur les mines d'uranium et de thorium, DORS/88-243, pris en vertu de la Loi sur le contrôle de l'énergie atomique, ont déclenché la nécessité d'une évaluation environnementale, puisque ledit art. 8(1) du Règlement sur les mines d'uranium et de thorium est énuméré dans la partie II de l'annexe I du Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées, un règlement pris en vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale; [et]

La délivrance de [la licence] déclenche la nécessité d'une étude approfondie parce que les projets visés par cette licence font partie d'une catégorie de projets désignés dans le Règlement sur la liste d'étude approfondie, pris en vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale.

En conséquence, le redressement demandé est une ordonnance annulant la licence, et une ordonnance enjoignant la CCEA de se plier à son obligation de conformité à la Loi et aux règlements connexes aujourd'hui en vigueur.

[19]Au cours de l'audience, l'avocat des défenderesses a admis que la Cour est validement saisie des points de droit soulevés dans les griefs à l'appui de la contestation. Le point principal à décider est donc de savoir si la CCEA a validement interprété le droit lorsqu'elle a délivré la licence.

C. Résultat obtenu si la LCEE s'applique à la délivrance de la licence

[20]L'avocat de l'ICUCEC énonce clairement l'argument, et je ne puis mieux faire que le reproduire ci-après:

[traduction]

2.     Interprétation et application de la LCEE et de ses règlements d'application

a. Norme de contrôle

85. La demanderesse affirme que la norme de contrôle à appliquer aux questions soulevées par la demanderesse concernant l'interprétation et l'application, par la CCEA, des dispositions de la LCEE et de ses règlements d'application, est la norme de la décision correcte. La demanderesse invoque l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Friends of the West Country Association c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) au soutien de cet argument. Dans cet arrêt, le juge Rothstein s'est exprimé ainsi, pour la Cour:

En ce qui concerne l'interprétation des dispositions de la LCEE, précisons que cette Loi ne comporte aucune clause privative. La LCEE est une loi d'application générale. Elle est administrée par tout un ensemble d'organismes fédéraux dotés de l'autorité d'approuver ou d'autoriser des projets susceptibles d'avoir sur l'environnement des conséquences néfastes. Pour ce qui est de l'interprétation des exigences prévues par la LCEE, la Garde côtière ne possède aucune expertise particulière. L'interprétation de la LCEE est une question de droit. Je conviens avec le juge Gibson qu'en ce domaine, la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

b.     Le Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées, pris en vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale

86. Selon la demanderesse, la demande de la défenderesse Cogema pour que soit modifiée la licence AECB-MFOL-170-0.5 afin qu'elle soit autorisée à exploiter le broyeur et l'IGR de JEB à la mine d'uranium du lac McLean, dans le nord de la Saskatchewan, ainsi que l'examen de cette demande par la défenderesse, la CCEA, en conformité avec le paragraphe 8(1) et l'article 14 du Règlement sur les mines d'uranium et de thorium, pris en vertu de la Loi sur le contrôle de l'énergie atomique, ont déclenché la nécessité d'une évaluation environnementale aux termes des dispositions de la LCEE et de ses règlements.

87. Selon la demanderesse, le point de départ de l'analyse est l'alinéa 5(1)d) de la LCEE, rédigé ainsi:

5. (1) L'évaluation environnementale d'un projet est effectuée avant l'exercice d'une des attributions suivantes: [. . .]

d)     une autorité fédérale, aux termes d'une disposition prévue par règlement pris en vertu de l'alinéa 59f), délivre un permis ou une licence, donne toute autorisation ou prend toute mesure en vue de permettre la mise en oeuvre du projet en tout ou en partie.

[. . .]

90. Le fondement législatif du Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées est le paragraphe 59f) de la LCEE, rédigé ainsi:

59. Le gouverneur en conseil peut, par règlement:

f)     déterminer les dispositions législatives ou réglementaires fédérales prévoyant les attributions des autorités fédérales relativement à un projet dont l'exercice rend nécessaire une évaluation environnementale en vertu de l'alinéa 5(1)d).

91. Le paragraphe 8(1) du Règlement sur les mines d'uranium est indiqué à l'article 33b) de la partie II de l'annexe I du Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignés. Le paragraphe 8(1) du Règlement sur les mines d'uranium est ainsi rédigé:

Sous réserve du paragraphe (2), la Commission peut, sur réception d'une demande écrite contenant les renseignements prévus à l'article 13 ou 14, selon le cas, délivrer un permis pour choisir le site de toute mine ou usine de concentration, les construire ou les exploiter.

L'article 2 du Règlement sur les mines d'uranium définit «mine» comme «une mine d'uranium ou de thorium, y compris le système connexe de gestion des déchets, de même que les terrains, bâtiments et équipements reliés à ce qui précède». De même, l'expression «usine de concentration» est définie comme une «usine de concentration d'uranium ou de thorium, y compris le système connexe de gestion des déchets, de même que les terrains, bâtiments et équipements reliés à ce qui précède». Ainsi, l'installation de gestion des rejets de JEB entre dans les définitions à la fois de «usine de concentration» (ou broyeur) et de «mine», selon le paragraphe 8(1) susmentionné.

92. La demanderesse affirme que l'objet du Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées est d'indiquer les projets qui pourraient avoir d'importants impacts environnementaux et de les soumettre automatiquement à une évaluation environnementale.

93. Le pouvoir de la CCEA d'autoriser l'IGR et le broyeur de JEB en vertu de la licence AECB-MFOL-170-0.5 est donné par les articles 8 et 14 du Règlement sur les mines d'uranium et de thorium. En conséquence, la CCEA a clairement déclenché l'application du Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées, de telle sorte qu'une évaluation environnementale selon l'alinéa 5(1)d) de la LCEE est requise.

94. Dans le jugement récent Inverhuron & District Ratepayers's Association c. Canada (Ministre de l'Environnement) et autres, le juge Pelletier s'est aussi exprimé ainsi:

L'alinéa 59f) de la Loi autorise le ministre à désigner les exigences de licence et d'approbation par les autorités fédérales qui vont entraîner l'application de l'alinéa 5(1)d). Il n'est pas contesté que les approbations en vertu de la Loi sur le contrôle de l'énergie atomique sont visées par l'alinéa 50f). Par conséquent, une autorité fédérale, la CCEA, délivrera un permis en vue de la mise en oeuvre d'un projet, ce qui entraîne l'application de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale.

c.     Le Règlement sur la liste d'étude approfondie, pris en vertu de la LCEE

95. Dans le jugement Inverhuron, le juge Pelletier a analysé la structure de la LCEE. Il a expliqué que, une fois que l'application de la LCEE est déclenchée en conformité avec les alinéas 5(1)d) et 59f), la question suivante concerne le genre de processus qui doit être entrepris et l'instance qui est chargée de l'entreprendre. Le juge Pelletier a poursuivi:

Le paragraphe introductif de l'article 5 «L'évaluation environnementale d'un projet est effectuée. . .» ne définit pas le type d'évaluation exigé, puisque le terme «évaluation environnementale» est défini comme une évaluation effectuée conformément à la Loi. L'article 14 dispose que l'évaluation peut prendre la forme d'un examen préalable ou d'une étude approfondie. L'article 18 prévoit que, dans le cas où le projet n'est pas visé dans la liste d'étude approfondie ou dans la liste d'exclusion, un examen préalable soit effectué. La liste d'étude approfondie est une liste établie par un règlement pris en vertu de l'alinéa 59d) de la Loi, disposition qui permet au gouverneur en conseil de désigner les projets ou types de projets qui exigent une étude approfondie. La partie VI du Règlement sur la liste d'étude approfondie traite des établissements nucléaires [. . .]. L'article 21 prévoit que, dans le cas où un projet est visé dans la liste d'étude approfondie, il faut que soit effectuée une étude approfondie et que soit établi et transmis au ministre et à l'Agence canadienne d'évaluation environnementale un rapport d'étude approfondie.

96. La demanderesse affirme que l'objet du Règlement sur la liste d'étude approfondie est de désigner les «projets et catégories de projets qui sont susceptibles d'avoir d'importants effets environnementaux négatifs» et qui par conséquent requièrent avant leur autorisation une évaluation plus approfondie.

97. L'alinéa 19b), dans la partie VI du Règlement sur la liste d'étude approfondie, prévoit que les catégories suivantes de projets requièrent l'étude approfondie prévue par la LCEE:

19. Projet de construction, de désaffectation ou de fermeture, ou projet d'agrandissement qui entraînerait une augmentation de la capacité de production de plus de 35 p. 100: [. . .]

b) d'une installation d'extraction d'uranium sur un site à l'intérieur des limites d'une installation d'extraction d'uranium agréée existante, si le projet met en cause des procédés de gestion des résidus d'extraction d'uranium ou des procédés de broyage qui ne sont pas autorisés par la licence existante.

98. L'article 2 du Règlement sur les mines d'uranium et de thorium définit une «installation minière» comme «a) un site d'extraction, b) un site d'excavation, c) une mine, d) une usine de concentration (broyeur), ou e) toute combinaison de ce qui précède». Le broyeur et l'IGR de JEB entrent dans cette définition de «installation minière». Ils constituent par conséquent une installation minière construite sur le site d'une installation d'extraction d'uranium agréée existante, à savoir la mine à ciel ouvert de JEB.

99. La demanderesse affirme que l'exploitation du broyeur et de l'IGR de JEB entrent dans la catégorie des projets désignés à l'alinéa 19b) du Règlement sur la liste d'étude approfondie. Manifestement, l'IGR de JEB est un projet qui est «susceptible d'avoir d'importants effets environnementaux négatifs» et il requiert donc avant d'être autorisé une évaluation plus en profondeur que celle qui est prévue pour un examen préalable environnemental. Par ailleurs, la demanderesse affirme que la phase d'exploitation du broyeur et de l'IGR de JEB est bien plus susceptible d'avoir d'importants effets environnementaux négatifs que la phase de leur construction. Les impacts environnementaux négatifs des déchets du broyeur de JEB déversés dans l'IGR de JEB sont mesurés en milliers d'années, une période plus longue que la durée de l'histoire humaine connue.

100. Voici le texte de l'article 13 de la LCEE:

Dans le cas où le projet appartient à une catégorie visée dans la liste d'étude approfondie, ou si un examen par une commission ou un médiateur doit être effectué, malgré toute autre loi fédérale, l'exercice d'une attribution qui est prévue par cette loi ou ses règlements pour mettre en oeuvre le projet en tout ou en partie est subordonné à l'achèvement de l'évaluation environnementale de celui-ci et à la prise d'une décision à son égard aux termes de l'alinéa 37(1)a).

En conséquence, la demanderesse affirme que la délivrance de la licence AECB-MFOL-170-0.5, en l'absence d'une étude approfondie visant le broyeur et l'IGR de JEB et l'installation d'extraction d'uranium, a contrevenu à l'article 13 de la LCEE.

101. La demanderesse affirme aussi que la CCEA a commis une erreur de droit lorsqu'elle a délivré la licence AECB-MFOL-170-0.5 sans d'abord soumettre le projet à un examen préalable environnemental ou à une étude approfondie ainsi que l'exige le paragraphe 11(2) de la LCEE. La CCEA a ignoré l'interdiction apparaissant au paragraphe 11(2) de la Loi, ainsi rédigé: «L'autorité responsable d'un projet ne peut exercer ses attributions à l'égard de celui-ci que si elle prend une décision aux termes des alinéas 20(1)a) ou 37(1)a). [Exposé des faits et du droit de la demanderesse, par. 85 à 101.]

[21]Je ne puis trouver aucune erreur dans l'argumentation juridique susmentionnée de l'ICUCEC.

[22]Cependant, s'il est vrai que la LCEE s'applique à la licence, j'hésite néanmoins à conclure qu'une étude approfondie est requise en application de l'alinéa 19b) du Règlement sur la liste d'étude approfondie [DORS/94-638]. D'après ce que je crois comprendre, l'alinéa 19b) requiert une conclusion factuelle précise selon laquelle la délivrance d'une licence doit entraîner une augmentation de 35 p. 100 de la capacité de production avant qu'une étude approfondie ne soit nécessaire. L'aspect factuel n'a pas été abordé par les défenderesses dans leur argumentation, mais je demeure dans l'incertitude sur l'existence de ce fait; je ne crois pas que rien en dépende parce que, comme je l'expliquerai dans les motifs qui suivent, la CCEA est tenue d'appliquer les dispositions de la LCEE à la délivrance de la licence, ce qui nécessitera alors une décision à propos de l'application du Règlement sur la liste d'étude approfondie. L'argument de l'ICUCEC concernant l'application de l'alinéa 19b) pourra donc être avancé à ce moment-là.

[23]Cependant, sous réserve des conclusions apparaissant dans les sections D, E et F des motifs ci-après, je suis d'avis que la délivrance de la licence qui nous concerne ici appelle à tout le moins une évaluation environnementale selon l'alinéa 5(1)d) de la LCEE et que, puisqu'il n'y a pas eu évaluation environnementale avant que la licence ne soit délivrée, la CCEA n'avait pas compétence pour délivrer la licence.

D. L'interprétation correcte de l'article 74 de la LCEE

1. Les arguments

[24]La LCEE, qui est entrée en vigueur le 19 janvier 1995, remplaçait le Décret sur les lignes directrices. L'article 74 de la LCEE énonce comme il suit les dispositions transitoires applicables:

74. (1) Le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement approuvé par le décret C.P. 1984-2132 du 21 juin 1984 et enregistré sous le numéro DORS/84-467 continue de s'appliquer aux examens publics qui y sont visés et pour lesquels les membres de la commission d'évaluation environnementale ont été nommés sous son régime avant l'entrée en vigueur du présent article.

(2) Le décret visé au paragraphe (1) continue de s'appliquer aux examens préalables ou aux évaluations initiales commencés sous son régime avant l'entrée en vigueur du présent article, jusqu'au moment où, le cas échéant, une proposition est soumise au ministre pour examen public aux termes de l'article 20 du décret, auquel cas la présente loi commence de s'appliquer et le ministre peut prendre une décision aux termes de l'article 29.

(3) Dans le cas où un promoteur propose la réalisation de tout ou partie d'un projet à l'égard duquel l'examen préalable ou l'évaluation initiale a été effectuée sous le régime du décret visé au paragraphe (1), l'autorité responsable peut utiliser le rapport de l'examen ou de l'évaluation, ou en permettre l'utilisation, dans la mesure appropriée pour l'observation des articles 18 ou 21 dans chacun des cas suivants:

a) le projet n'a pas été réalisé après l'achèvement de l'évaluation;

b) le promoteur d'un projet lié à un ouvrage en propose une réalisation différente de celle qui était proposée au moment de l'évaluation;

c) les modalités de réalisation du projet sont nouvelles;

d) la présentation d'une demande de renouvellement d'un permis, d'une licence, d'une autorisation ou d'une autre mesure en vertu d'une disposition désignée par règlement.

(4) Dans les cas où la construction ou l'exploitation d'un ouvrage ou la réalisation d'une activité concrète a été entamée avant le 22 juin 1984, la présente loi ne s'applique à la délivrance ou au renouvellement d'une licence, d'un permis, d'une autorisation ou à la prise d'une autre mesure en vertu d'une disposition désignée par règlement à l'égard du projet que si telle mesure entraîne la modification, la désaffectation ou la fermeture d'un ouvrage en tout ou en partie.

[25]La CCEA et Cogema font valoir que la décision de la CCEA était juridiquement valide en ce qui a trait à la délivrance de la licence parce que le Projet du lac McClean n'est pas soumis aux dispositions de la LCEE en raison des dispositions transitoires de l'article 74 de la LCEE; elles affirment en effet que le paragraphe 74(1) constitue un moyen de défense complet à l'égard de la contestation de l'ICUCEC. Les défenderesses soutiennent que le paragraphe 74(1) s'applique en effet d'une manière qui rend inutile une évaluation environnementale continue aux termes de la LCEE et de ses règlements, avant que la CCEA ne rende des décisions en matière de licences à propos du Projet du lac McClean.

[26]En réalité, dans son argumentation écrite initiale au soutien de la présente demande, l'ICUCEC ne faisait aucune mention de l'effet de l'article 74. Dans leur réponse, les défenderesses ont toutes deux soulevé l'interprétation de l'article 74 comme il est indiqué ci-dessus. En conséquence, l'ICUCEC a été invitée à répondre aux arguments des défenderesses. Les arguments écrits et oraux se rapportant à l'article 74 sont les suivants.

a. Réponse de l'ICUCEC

[27]En réponse aux arguments des défenderesses qui soulèvent l'article 74, l'ICUCEC fait valoir que les défenderesses ont mal interprété la signification de cet article et ont élargi sa portée au-delà de ce que voulait le législateur. L'ICUCEC affirme que l'objet du paragraphe 74(1) est de permettre à une commission nommée en vertu du Décret sur les lignes directrices de poursuivre son examen public sans que cet examen soit interrompu par l'entrée en vigueur de la LCEE. Au soutien de cette proposition, l'ICUCEC invoque la version française du paragraphe 74(1), qui parle d'«examens publics», et non de la durée totale d'un projet.

[28]L'ICUCEC affirme que la version anglaise est ambiguë et que cette ambiguïté est dissipée par référence à la version française.

[29]L'ICUCEC soutient aussi que les dispositions transitoires sont de nature temporaire et qu'elles ont une application restreinte, sans quoi on se trouverait devant le résultat absurde où le régime du Décret sur les lignes directrices, qui a été abrogé par la LCEE, s'appliquerait tout au long de la durée d'exploitation du Projet du lac McClean. Selon l'ICUCEC, le législateur fédéral ne voulait sûrement pas que le Décret sur les lignes directrices s'applique pendant encore 20 ou 40 ans.

b. Réplique des défenderesses

[30]Selon la CCEA, l'objet des dispositions transitoires était d'éviter des évaluations environnementales répétitives, et cette intention spécifique est exprimée dans les articles 4 [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 19; 1994, ch. 46, art. 1] et 5 de la LCEE.

[31]La CCEA signale aussi le jugement rendu par la Cour dans l'affaire Société pour vaincre la pollution c. Canada (Ministre de l'Environnement) (1996), 136 D.L.R. (4th) 747 (C.F. 1re inst.). À la page 753 de ce jugement, le juge Reed mentionne que «les lignes directrices continuent de s'appliquer aux cas dans lesquels la commission d'examen public a été constituée avant l'entrée en vigueur de la [LCEE]».

[32]Selon la CCEA, le texte de la version française doit être concilié avec celui de la version anglaise, avec l'objet de l'article 74 et avec le texte législatif tout entier, en accord avec l'approche adoptée par la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, aux pages 777 et 778, pour l'interprétation des lois fédérales bilingues.

[33]Dans ses arguments, Cogema s'appuie également sur l'objet des dispositions transitoires et sur l'ensemble de la LCEE. D'après elle, la version anglaise du paragraphe 74(1) n'est pas ambiguë et, lorsqu'il est lu dans son contexte, sa signification apparaît d'emblée.

[34]Cogema soutient aussi que, si l'on accepte l'argument de l'ICUCEC, il en résultera les «graves anomalies» suivantes, qui ne peuvent avoir été voulues:

[traduction] Par exemple, si une commission instituée en vertu du Décret sur les lignes directrices (le Décret) avait présenté son rapport le lendemain de l'entrée en vigueur de la LCEE, une pleine évaluation environnementale aurait dû être menée selon la LCEE avant que l'une quelconque des attributions mentionnées dans l'art. 5 de la LCEE n'ait pu être exercée. Il en résulterait un gaspillage considérable d'efforts et de ressources. Le paragraphe 74(1) a été édicté pour éviter ce genre de double emploi, en prévoyant effectivement qu'une évaluation environnementale selon la LCEE n'est pas requise pour une proposition à l'égard de laquelle une commission d'évaluation environnementale avait effectué une évaluation aux termes du Décret.

Si on lit la LCEE comme le voudrait l'ICUCEC, il n'y aurait eu aucune raison pratique pour une commission instituée en vertu du Décret d'effectuer une évaluation environnementale après l'entrée en vigueur de la LCEE. Le rapport aurait été immédiatement dépassé par la nécessité d'une évaluation fondée sur la LCEE. Cela n'est guère logique. Il est plus raisonnable de croire que le législateur fédéral voulait que les évaluations environnementales entreprises en vertu du Décret et en cours au moment de l'entrée en vigueur de la LCEE soient achevées, et pas seulement pour le plaisir de les achever, mais pour que leurs résultats réels puissent être appliqués d'une manière permanente aux projets qui ont été examinés. [Réplique de la défenderesse Cogema, par. 6 et 7.]

[35]Selon les deux défenderesses, les modifications qui sont survenues dans le Projet du lac McClean ne l'ont pas transformé en un projet nouveau nécessitant une nouvelle évaluation environnementale. Le dossier révèle d'ailleurs que l'objet de la licence dont il s'agit ici, c'est-à-dire l'exploitation du broyeur et de l'IGR de JEB, a été examiné par la commission instituée en vertu du Décret sur les lignes directrices.

[36]S'agissant de la relation entre le régime environnemental et le régime réglementaire, les défenderesses font valoir que les évaluations environnementales se déroulent aussitôt que possible aux stades de la planification d'un projet, et à mesure que les projets passent à l'étape de la construction, leur conception évolue afin qu'ils répondent aux conclusions d'une commission d'évaluation et/ou aux préoccupations environnementales d'un organe de régulation tel que la CCEA. Plus exactement, les deux régimes se conjuguent pour assurer la protection de l'environnement.

[37]Les défenderesses soutiennent donc que, puisque l'évaluation par une commission instituée en vertu du Décret sur les lignes directrices, puis la décision administrative de la CCEA, se sont conjuguées à l'égard du Projet du lac McClean, un examen selon la LCEE n'est pas justifié.

2. Conclusion

[38]À mon avis, il n'y a rien d'ambigu dans le texte de la version anglaise du paragraphe 74(1), et il n'y a aucune différence véritable entre la version anglaise et la version française. Je crois qu'il n'y a absolument rien dans le texte de l'article 74 qui permette d'affirmer que des propositions commencées en vertu du Décret sur les lignes directrices sont soustraites à l'application de la LCEE.

[39]À mon avis, l'interprétation de l'article 74 doit se limiter à son objet déclaré, c'est-à-dire assurer une transition ordonnée entre l'application d'un régime de protection environnementale (le Décret sur les lignes directrices) et l'application d'un autre régime (la LCEE) au regard d'un projet donné. Un objectif premier évident de l'article 74 est de faire en sorte que le travail d'évaluation environnementale commencé selon le régime antérieur ne soit pas perdu dans l'application du régime qui lui succède.

[40]S'agissant de l'importance accordée par la CCEA au jugement Société pour vaincre la pollution, il m'est impossible d'affirmer que les propos susmentionnés du juge Reed vont assez loin pour offrir des indications utiles concernant l'interprétation de l'article 74 en ce qui concerne la présente affaire.

[41]Contrairement à ce que soutient Cogema, je ne suis pas non plus aidé par le fait que, dans le jugement Société pour vaincre la pollution, le juge Reed a refusé d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'exiger qu'une évaluation selon la LCEE soit effectuée au motif que selon elle, il n'y avait pas de réelle différence entre une évaluation effectuée selon le Décret sur les lignes directrices et une évaluation effectuée selon la LCEE. Comme je l'indique ci-dessous dans la section I des présents motifs, l'obligation juridique de la CCEA est le facteur qui milite en faveur de la position avancée par l'ICUCEC.

[42]J'interprète ainsi l'article 74:

Selon le paragraphe 74(1), lorsqu'une proposition a été soumise au ministre et qu'une commission a été nommée en vertu du Décret sur les lignes directrices avant l'entrée en vigueur de la LCEE, la commission doit aller de l'avant et effectuer son travail selon le Décret, même si la LCEE est en vigueur. Il importe de noter à cet égard que les dispositions transitoires n'indiquent nulle part ce qui arrive après que la commission a rempli son mandat. À mon avis, puisque la LCEE est en vigueur à ce moment-là, c'est la LCEE qui est applicable.

Selon le paragraphe 74(2), lorsque, pour une proposition, seul un examen préalable ou une évaluation initiale selon le Décret sur les lignes directrices a été commencé avant l'entrée en vigueur de la LCEE, les dispositions du Décret continuent de s'appliquer, et la LCEE n'entre pas en ligne de compte à moins que la proposition ne soit renvoyée au ministre pour examen public selon le Décret; et, à partir de là, les dispositions de la LCEE sont applicables.

Selon le paragraphe 74(3), lorsque, pour une proposition, seul un examen préalable ou une évaluation initiale selon le Décret a été commencé avant l'entrée en vigueur de la LCEE, les dispositions du Décret demeurent applicables, et la LCEE n'entre pas en ligne de compte à moins que la proposition ne constitue un «projet» selon la LCEE et qu'au moins l'une des trois conditions suivantes ne soit remplie: il y a eu retard dans la mise en route de la proposition ou du projet; il y a modification importante de la proposition ou du projet; ou une autorisation accordée doit être renouvelée. Lorsque la LCEE doit entrer en ligne de compte par l'effet du paragraphe 74(3), l'examen préalable ou l'évaluation effectuée en vertu du Décret peut quand même être utilisé si les circonstances le justifient.

Selon le paragraphe 74(4), pour certains travaux en cours avant le 22 juin 1984, si une autorisation est nécessaire ou si une autorisation déjà accordée doit être renouvelée, la LCEE n'entre pas en ligne de compte à moins que certaines conditions ne soient remplies.

[43]L'ICUCEC ne prétend pas ici que le paragraphe 74(3) est applicable. Le paragraphe 74(4) n'est pas applicable ici.

[44]À mon avis, on peut répondre facilement à l'argument théorique des «graves anomalies» avancé par Cogema ainsi qu'on l'a vu précédemment par une approche raisonnable et pratique en ce qui a trait à la prise de mesures et au jugement de mesures durant la phase transitoire. Ainsi, en ce qui concerne l'obligation d'une autorité responsable de veiller à ce qu'une évaluation environnementale approfondie soit effectuée à l'égard d'une licence devant être délivrée juste après la remise du rapport de la commission, l'autorité responsable peut, pour remplir cette obligation, effectuer l'évaluation requise en se servant des preuves et avis alors existants et en les complétant au besoin pour tenir compte d'aspects anciens ou nouveaux se rapportant à un projet en cours d'examen.

[45]Par conséquent, puisque je rejette l'argument des défenderesses se rapportant à la manière dont il convient d'interpréter l'article 74, et puisque j'accepte essentiellement celle de l'ICUCEC, j'estime que, vu l'interprétation de l'article 74, il n'y a aucune raison de ne pas exiger l'application de la LCEE à la délivrance de la licence dont il s'agit ici.

E. La bonne interprétation du mot «projet», au paragraphe 2(1) de la LCEE

[46]Cogema soutient que la LCEE n'est pas applicable au Projet du lac McClean parce qu'il ne s'agit pas d'un «projet» au sens de la LCEE et parce qu'il n'est donc pas soumis à un examen environnemental selon la LCEE. Au soutien de cet argument, Cogema invoque le jugement du juge Richard (tel était alors son titre) dans l'affaire Bande indienne Tsawwassen c. Canada (Ministre des Finances) (1998), 27 C.E.L.R. (N.S.) 177 (C.F. 1re inst.); confirmée en appel (2001), 37 C.E.L.R. (N.S.) 182 (C.A.F.).

[47]Dans l'affaire Tsawwassen, la bande indienne demandait le contrôle judiciaire d'une décision se rapportant à un terminal de conteneurs dont la construction était alors bien avancée, afin de forcer l'accomplissement d'une évaluation environnementale selon la LCEE. Il s'agissait de savoir si le terminal de conteneurs était un «projet» soumis aux dispositions de la LCEE. Souscrivant à la conclusion du juge Richard selon laquelle il ne s'agissait pas d'un «projet», la Section d'appel, au paragraphe 9 de ses motifs, a souligné l'importance du mot «proposition» dans la définition de «projet», au paragraphe 2(1) [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 18] de la LCEE:

2. (1) [. . .]

«projet» Réalisation--y compris l'exploitation, la modification, la désaffectation ou la fermeture--d'un ouvrage, ou proposition d'exercice d'une activité concrète, [. . .]

[48]En conséquence, la Section d'appel a reconnu que, puisque les évaluations environnementales devaient être effectuées uniquement à l'égard d'une proposition qui est encore au stade de la planification, le terminal de conteneurs n'était pas un «projet» au sens de la LCEE parce que la construction était déjà bien avancée.

[49]À mon avis, le jugement Tsawwassen ne peut être assimilé d'emblée à la présente espèce. Nous avons ici affaire non pas à une «proposition», mais à l'exploitation projetée du broyeur et de l'IGR de JEB. Comme l'indiquent les arguments des deux défenderesses, le Projet du lac McClean a progressé par étapes depuis que la construction a débuté en 1994. Durant la période qui nous intéresse ici, l'approbation conférée par la licence AECB-MFOL-170-0.4, le 26 mars 1999 se rapportait à la construction de l'IGR et des systèmes connexes de traitement des eaux et des résidus. L'approbation de l'exploitation du broyeur et de l'IGR de JEB n'a été donnée que le 21 juin 1999, avec la délivrance de la licence dont il s'agit ici.

[50]L'aspect le plus important donc qui distingue la présente affaire de l'affaire Tsawwassen est que la présente affaire concerne un projet minier par étapes, dont le passage d'une étape à une autre est soumis à autorisation. Plus précisément, chaque étape du projet est, en fait et en droit, un nouveau «projet», selon la définition donnée à ce mot par le paragraphe 2(1) de la LCEE, un projet qui, selon l'alinéa 5(1)d), requiert une évaluation environnementale avant qu'une licence ne soit délivrée.

[51]Je rejette par conséquent l'argument de Cogema selon lequel il n'y a «pas de projet».

F. L'application des dispositions d'exclusion

[52]L'article 2 de la partie 1 de l'annexe 1 du Règlement sur la liste d'exclusion, DORS/94-639, prévoit une dispense d'application des exigences d'évaluation de la LCEE aux conditions suivantes:

2. Projet d'exploitation d'un ouvrage existant qui est identique à une exploitation qui a fait l'objet d'une évaluation environnementale aux termes de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale ou du Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, lorsque:

a) d'une part, à la suite de l'évaluation, les effets environnementaux ont été jugés sans importance, compte tenu de l'application des mesures d'atténuation, le cas échéant;

b) d'autre part, les mesures d'atténuation et le programme de suivi, le cas échéant, ont en grande partie été appliqués.

[53]Dans sa réplique se rapportant à l'interprétation de l'article 74 (paragraphe 14), l'ICUCEC expose l'argument subsidiaire selon lequel le broyeur et l'IGR de JEB du Projet du lac McClean ne sont pas la même «proposition» que celle qui a été examinée en 1992-1993 par la commission nommée en vertu du Décret sur les lignes directrices, et cela en raison de changements importants, et donc qu'ils n'entrent pas dans le champ du paragraphe 74(1). Au soutien de cet argument, l'ICUCEC avance une abondante preuve technique. Cet argument a conduit les deux défenderesses à faire valoir elles aussi d'importants détails techniques à son encontre.

[54]Cependant, au cours de l'audience, l'ICUCEC a indiqué que, avant de rendre une décision, je ne devrais tenir compte de l'argument exposé au paragraphe 14 que pour dire qu'il ne peut y avoir, par application de l'article 2 du Règlement sur la liste d'exclusion, de dispense d'application des exigences d'évaluation prévues par la LCEE. Cogema fait valoir l'argument opposé.

[55]En contre-réplique, Cogema avance l'argument selon lequel les exigences de l'article 2 sont effectivement remplies, en invoquant les faits suivants: la demande portant sur la licence contestée concerne l'exploitation d'un ouvrage existant qui est identique à l'exploitation examinée par la commission instituée en vertu du Décret sur les lignes directrices, «les effets environnementaux de l'exploitation de l'installation avaient été jugés négligeables», et des mesures d'atténuation ainsi que des programmes de suivi avaient été largement mis en application (paragraphes 43 et 44).

[56]Cogema cite le passage suivant à titre de conclusion se rapportant aux effets environnementaux:

[traduction] Le personnel de la CCEA arrive à la conclusion que, si l'installation respecte les procédures et limites d'exploitation indiquées dans la licence, il ne devrait pas y avoir d'effets environnementaux importants à long terme [. . .] Il a également conclu que l'installation partiellement comblée par le placement des seuls rejets du lac McClean n'aurait pas de tels effets, de telle sorte que l'IGR de JEB pourrait être exploitée sur le court terme sans causer d'importants effets environnementaux à long terme. [Document 99-53 de la CCEA, documents certifiés, p. 1084.]

[57]J'ai deux inquiétudes à propos de l'argument de Cogema. D'abord, selon l'article 2 du Règlement sur la liste d'exclusion, les effets environnementaux doivent être jugés sans importance: c'est-à-dire que, au vu de la preuve, cette conclusion a été tirée. L'extrait qui vient d'être cité ne dit pas cela; il prédit que, dans l'avenir, cette conclusion sera tirée.

[58]Je souscris à la contre-réplique de Cogema, appuyée par la CCEA, selon laquelle je devrais m'abstenir d'entreprendre «un examen de la qualité du travail scientifique effectué par la CCEA et la commission» (paragraphe 24), et selon laquelle il appartient à la CCEA de prendre la décision prévue par l'article 2 (paragraphe 40). Ma deuxième inquiétude est que je ne puis dire qu'une décision a été prise au regard de l'article 2 du Règlement sur la liste d'exclusion et que cette décision autoriserait un contrôle judiciaire selon une norme à déterminer.

[59]En conséquence, puisque l'application de l'article 2 n'a pas été déterminée, je suis d'avis qu'il n'y a pas lieu de conclure que l'article 2 a pour effet de soustraire le projet à l'application de la LCEE.

G. Le principe de précaution

[60]Dans son exposé des faits et du droit, l'ICUCEC demande l'application du principe de précaution, un principe du droit international de l'environnement, à la délivrance de la licence. Au cours de l'audience, j'ai fait droit à l'opposition des défenderesses pour qui, puisque le principe n'a pas été invoqué comme grief de contrôle judiciaire dans l'avis de demande, il ne peut être plaidé.

H. Arguments à l'encontre de l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'annuler la licence

[61]Comme je n'ai trouvé aucun obstacle à l'application de la LCEE, conclusion à laquelle j'étais provisoirement arrivé à la fin de la section C ci-dessus des présents motifs, j'arrive donc à la conclusion décisive selon laquelle la délivrance de la licence appelle à tout le moins une évaluation environnementale selon l'alinéa 5(1)d) de la LCEE et, puisqu'il n'y a pas eu évaluation environnementale avant que la licence ne soit délivrée, la CCEA n'avait pas compétence pour délivrer la licence.

[62]Néanmoins, deux arguments ont été avancés par Cogema, qui prétend que je ne devrais pas exercer mon pouvoir discrétionnaire d'annuler la licence ainsi que le demande l'ICUCEC.

1. Délai

[63]Cogema fait valoir que je ne devrais pas accorder un redressement dans cette affaire, en raison du principe suivant:

[traduction] Lorsqu'un demandeur a laissé s'écouler un délai excessif dans la présentation de sa demande au tribunal, il s'expose à une fin de non-recevoir. Cela est particulièrement vrai lorsque le délai risque de causer un inconvénient ou un préjudice à l'intérêt public ou à des tiers qui ont agi de bonne foi en se fondant sur la décision apparemment valide du délégué (Jones et de Villars, Principles of Administrative Law (3e éd.), p. 583).

[64]Selon Cogema, l'ICUCEC était sensibilisée depuis un temps considérable aux arguments qu'elle avance, avant même qu'elle n'introduise sa demande de contrôle judiciaire. En conséquence, Cogema soutient qu'il est dommageable et injuste de la part de l'ICUCEC de différer sa contestation juridique de l'autorisation du Projet du lac McClean jusqu'à ce que Cogema ait entièrement construit les installations en question.

[65]En réponse à cet argument, j'accepte les raisons invoquées par l'ICUCEC qui affirme qu'elle s'est opposée rapidement à la délivrance de la licence, selon le meilleur moyen dont elle avait connaissance. Il ne fait aucun doute, au vu du dossier, que la CCEA fut informée bien avant la délivrance de la licence que sa compétence en la matière n'était pas tout à fait claire sur le plan juridique. La lettre de la CCEA du 4 février 1999 citée plus haut en est d'ailleurs la preuve. Au surplus, s'agissant des audiences concernant la licence, qui ont eu lieu à Ottawa le 22 avril et le 17 juin 1999, la communication écrite suivante fut faite le 16 avril par M. Phillip Penna:

[traduction] Autrement dit, nous sommes devant un projet nettement différent de celui qui a été examiné durant le processus d'évaluation environnementale. Le principe «un projet--une évaluation» n'est plus applicable. Avant qu'une licence d'exploitation ne soit approuvée, nous exigeons que soit entreprise une étude approfondie prévue par la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, afin d'examiner la nouvelle conception de l'emplacement de la mine JEB. [Documents certifiés, vol. VI, p. 1150.]

[66]J'accepte aussi l'explication de l'ICUCEC selon laquelle, après la délivrance de la licence d'exploitation AECB-MFOL-170-0.4, qui autorisait la construction de l'IGR et des systèmes connexes de traitement des eaux et des rejets, on pouvait raisonnablement croire que la licence en question ne serait sans doute pas délivrée dans le processus décisionnel par étapes qui avait été adopté. Il est donc compréhensible que des mesures n'aient pas été prises jusqu'à la délivrance de la licence.

[67]Après que la licence fut délivrée en dépit des arguments exprimés, et après que la présente demande fut déposée en juillet 1999, Cogema alla de l'avant comme elle était autorisée à le faire. Durant l'audience, j'ai confirmé que l'ICUCEC n'avait pas demandé une injonction visant à faire cesser les travaux autorisés par la licence jusqu'à ce que la présente demande soit finalement jugée. Les défenderesses n'ont pas sérieusement soutenu que l'ICUCEC ait eu tort de ne pas le faire.

[68]Il m'est impossible de blâmer l'ICUCEC. La CCEA savait que l'application de la LCEE soulevait un point de droit, elle a décidé ce point de droit avant de délivrer la licence, ce qui, ainsi que je l'ai dit, n'est pas conforme au droit, et, à mon avis, elle ne peut pas aujourd'hui se plaindre de devoir rendre des comptes.

2. Préjudice économique et intérêt public

[69]D'après les arguments oraux et écrits de Cogema, je crois comprendre que l'annulation de la licence entravera sérieusement les activités du Projet du lac McClean et imposera des coûts économiques et humains immédiats importants.

[70]Depuis que la licence a été délivrée, le broyeur et l'IGR de JEB sont en effet en activité et d'importants travaux ont été accomplis. Il est admis que lors de sa réunion du 4 novembre 1999, la CCEA a approuvé la délivrance de la licence AECB-MFOL-170-0.6 pour l'exploitation d'une installation minière, licence qui modifiait la licence ici contestée. La licence 170-0.6 autorise Cogema à exploiter les mines SUE et à traiter le minerai au broyeur JEB. Durant les plaidoiries, l'avocat de la CCEA a reconnu que, si la licence qui nous concerne ici n'est pas valide, alors la licence 170-0.6 ne l'est pas non plus.

[71]L'annulation de la licence entraînera donc d'importantes conséquences pour l'immédiat. Cependant, j'accepte l'argument de l'ICUCEC qui affirme que ne pas laisser l'application de la LCEE suivre son cours pour ce qui est de la délivrance de la licence serait faire obstacle à l'examen public indispensable d'un aspect très contesté du Projet du lac McClean. Après examen approfondi, j'accepte l'argument de l'ICUCEC pour qui il est dans l'intérêt public que j'exerce mon pouvoir discrétionnaire.

I. Décision

[72]Le point de droit à décider dans la présente affaire est le suivant: La LCEE est-elle applicable au Projet du lac McClean? Je dois répondre par l'affirmative. Je reconnais que la CCEA a consacré beaucoup d'efforts à la surveillance du projet et qu'elle a l'assurance que, dans l'application de ses processus réglementaires, toute l'attention voulue a été donnée aux questions de santé et de sécurité, ainsi qu'à la protection de l'environnement. Cependant, je crois que les dispositions de la LCEE sont impératives et qu'elles doivent donc être observées.

[73]Étant donné tout le travail accompli sur le projet par la CCEA, l'avocat de Cogema a posé la question suivante durant sa plaidoirie: Quelle différence une évaluation environnementale fera-t-elle? Ma réponse est la suivante: Attendons de voir si le caractère public du processus d'évaluation environnementale réussira à accomplir ce que l'ICUCEC affirme vouloir, c'est-à-dire un progrès dans la vérité concernant le broyeur et l'IGR de JEB.

ORDONNANCE

Pour les motifs susmentionnés, puisque la décision de la CCEA de délivrer la licence d'exploitation AECB-MFOL-170-0.5 le 17 juin 1999 résulte d'une erreur de droit, la CCEA n'avait pas compétence pour délivrer la licence. Par conséquent, j'annule la licence.

Puisque la CCEA n'a pas négligé ni refusé d'agir à l'intérieur de sa compétence, je ne vois aucune raison de rendre à son encontre une ordonnance de mandamus.

Puisque la demanderesse obtient gain de cause, je lui adjuge les dépens et condamne les défenderesses solidairement aux dépens.

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