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IMM-5696-01

2002 CFPI 1162

Issam Al Yamani (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Kelen--Toronto, 23 octobre; Ottawa, 8 novembre 2002.

Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et Renvoi -- Renvoi de résidents permanents -- Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration cherchait à faire déclarer que le demandeur était membre d'une organisation terroriste, à savoir une personne visée aux art. 27(1)a) et 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l'immigration -- Le demandeur, un Palestinien apatride, aurait été membre du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) -- Il est un résident permanent qui a fait l'objet d'une enquête de sécurité par le SCRS lorsqu'il a présenté sa demande de citoyenneté -- Il s'agissait de la troisième tentative du ministre -- La première a été repoussée par la C.F. 1re inst. parce qu'il s'agissait d'une atteinte au droit à la liberté d'association garanti par la Charte -- La seconde a été annulée parce que le sens du mot «subversion» n'avait pas bien été analysé -- Une troisième enquête a été entreprise au regard des dispositions législatives modifiées -- Contrôle judiciaire du rejet de la requête pour suspension -- La norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte -- La défense de res judicata repose essentiellement sur l'irrecevabilité pour identité des causes d'action -- Selon le demandeur, le ministre a invoqué un moyen connu mais non soulevé au moment des instances antérieures -- S'agissait-il d'une nouvelle cause d'action? -- Explication de l'inapplicabilité de l'irrecevabilité pour identité des causes d'action -- Deux des trois conditions du critère n'étaient pas remplies -- Examen de la décision de la C.F. 1re inst. dans Al Yamani (no 2) -- Même s'il s'agissait d'un cas de chose jugée, l'art. 34 de la Loi écarte le principe à l'égard des mesures prises en vertu de l'art. 27 -- Critère de l'abus de procédure -- Le ministre n'a pas fait un choix qui liait contestation lorsque, en 1997, il s'est fondé sur des moyens existant avant la modification des dispositions législatives et qui ne l'empêchent pas maintenant d'invoquer les dispositions législatives modifiées -- Effet de l'art. 110 comme disposition transitoire -- La Loi autorise le ministre à se livrer à du «blocage» -- La Cour s'est dite préoccupée par la durée et le nombre des procédures, mais cette situation était attribuable au fait que le demandeur a su utiliser les recours judiciaires dont il disposait -- La nécessité de maintenir la réputation internationale du Canada est de la plus haute importance lorsqu'il s'agit de trancher les demandes de suspension présentées dans des affaires de terrorisme -- Il n'y a pas eu d'abus de procédure et l'enquête devrait se poursuivre -- La présomption de non-rétroactivité ne s'applique pas si le but de la loi n'est pas de punir le contrevenant mais de protéger le public -- Aux yeux du législateur, une personne appartient à une catégorie de personnes non admissibles si elle a été membre d'une organisation terroriste à un moment ou un autre de sa vie -- Le fait que le demandeur ait rompu les liens avec le FPLP avant l'entrée en vigueur des dispositions législatives modifiées n'est pas pertinent -- Les résidents permanents ne jouissent pas d'un droit absolu de demeurer au Canada et le législateur fédéral a la prérogative d'adopter une politique prescrivant les conditions auxquelles ceux-ci doivent satisfaire pour y demeurer.

Fin de non-recevoir -- Demande de contrôle judiciaire d'une décision rejetant la requête du demandeur visant à faire suspendre une enquête du ministre qui tentait pour la troisième fois de le faire déclarer membre d'une organisation terroriste -- La première tentative a été repoussée par la C.F. 1re inst. en raison d'une atteinte au droit à la liberté d'association et la seconde l'a été parce que le sens du mot «subversion» n'avait pas été bien analysé -- La troisième enquête était fondée sur les dispositions législatives modifiées -- L'irrecevabilité pour identité des questions en litige est l'une des deux formes de la res judicata, l'autre étant l'irrecevabilité pour identité des causes d'action -- Celle-ci empêche une action si la cause d'action a fait l'objet d'une décision finale par un tribunal compétent -- Selon le demandeur, le ministre a avancé un moyen qui était connu mais qui n'a pas été soulevé dans les instances antérieures -- L'irrecevabilité pour identité des causes d'action ne s'appliquait pas car le demandeur n'a pas fait l'objet d'une décision finale à l'égard de sa non-admissibilité -- Deux des trois conditions de l'irrecevabilité pour identité des questions en litige n'ont pas été remplies -- L'enquête actuelle ne portait pas sur la même question que celle soulevée dans les instances antérieures -- Les décisions antérieures n'étaient pas des décisions finales sur la non-admissibilité.

Pratique -- Res judicata -- Demande de suspension de la troisième tentative d'enquête du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration visant à faire déclarer le demandeur membre d'une organisation terroriste -- La res judicata a été l'un des moyens invoqués -- Les arguments fondés sur la res judicata et l'irrecevabilité pour identité des questions en litige ont été traités ensemble car cette dernière est l'une des formes de la res judicata -- La défense de res judicata du demandeur reposait essentiellement sur l'irrecevabilité pour identité des causes d'action -- Celle-ci exige que le demandeur soulève toute l'affaire en une seule fois -- Selon le demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a invoqué un moyen qui était connu mais qui n'a pas été soulevé dans les instances antérieures -- L'irrecevabilité pour identité des causes d'action ne s'appliquait pas car le demandeur n'a jamais fait l'objet d'une décision finale à l'égard de sa non-admissibilité -- La section d'arbitrage n'a jamais eu à se prononcer puisque les enquêtes précédentes ont été interrompues par des demandes de contrôle judiciaire.

Pratique -- Suspension d'instance -- Contrôle judiciaire d'une décision rejetant une requête visant à faire suspendre une enquête du ministre qui tentait pour la troisième fois de faire déclarer le demandeur membre d'une organisation terroriste -- Même si la Cour est préoccupée par la durée (dix ans) et le nombre des procédures dans la présente affaire, cela est dû au fait que le demandeur a su utiliser les recours judiciaires dont il disposait -- L'intérêt irrésistible de la société à ce qu'il y ait un débat sur le fond pourrait faire pencher la balance lorsqu'il n'est pas sûr que l'abus justifie la suspension des procédures -- Le maintien de la réputation internationale du Canada est une préoccupation de la plus haute importance dans les affaires concernant le terrorisme -- Il n'y a pas eu d'abus de procédure et l'enquête devrait se poursuivre.

Interprétation des lois -- Application de la présomption de non-rétroactivité -- Cette présomption ne s'applique pas si le but de la loi n'est pas de punir le contrevenant mais de protéger le public -- Une loi visant à protéger le public des terroristes, si elle est claire et non ambiguë, s'appliquera même si cela signifie qu'un droit acquis, tel que le statut de résident permanent, est aboli -- Le fait que le demandeur ait rompu les liens avec le FPLP avant l'entrée en vigueur des dispositions législatives modifiées nétait pas pertinent.

Le demandeur, Palestinien apatride, est arrivé au Canada en 1985 et a obtenu le statut de résident permanent. La présente demande de contrôle judiciaire concerne la troisième tentative du ministre--les deux premières ayant été annulées par la Cour--visant à le faire déclarer membre d'une organisation terroriste. Il serait ou aurait été membre du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP). En demandant la suspension de la dernière enquête établie sous le régime de la Loi sur l'immigration, le demandeur a invoqué quatre moyens: 1) la res judicata; 2) l'irrecevabilité pour identité des questions en litige; 3) l'abus de procédure; 4) l'application rétroactive des dispositions législatives modifiées, lesquelles sont entrées en vigueur après la rupture de ses liens avec le FPLP.

M. Al Yamani a demandé la citoyenneté canadienne, en 1988, et il a fait l'objet d'une enquête de sécurité par le SCRS. En 1992, il a été avisé que le solliciteur général et le ministre avaient adressé au Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité (CSARS) un rapport le concernant, en vertu du paragraphe 39(2) de la Loi sur l'immigration. Ce rapport alléguait qu'il appartenait aux catégories de personnes visées aux alinéas 19(1)e),g) et 27(1)c) de la Loi, tels qu'ils étaient rédigés avant les modifications, lesquelles sont entrées en vigueur le 1er février 1993. Le CSARS a présenté, en date du 3 août 1993, un rapport qui concluait qu'il existait des motifs raisonnables de croire que Al Yamani faisait partie du FPLP. Se fondant sur ce rapport, le gouverneur en conseil a émis une attestation de sécurité et le ministre a produit un rapport en vertu de l'article 27. Al Yamani a demandé le contrôle judiciaire de cette décision et M. le juge MacKay a accepté l'argument fondé sur la Charte selon lequel l'alinéa 19(1)g) limitait sa liberté d'association, une limite dont la justification ne pouvait se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Le CSARS a recommencé l'audition en 1997 en continuant d'invoquer les dispositions de la Loi en vigueur avant les modifications. Toutefois, M. le juge Gibson a annulé le rapport du CSARS en concluant que le Comité avait fait erreur parce qu'il n'avait pas bien analysé le sens du mot «subversion» figurant à l'alinéa 19(1)e). Le juge a estimé que le CSARS n'avait pas tenu compte du témoignage d'un expert sur ce qui constitue la subversion. Il a noté que le Comité n'avait pas fait mention de la preuve selon laquelle le FPLP n'avait plus l'influence qu'il avait et que sa conclusion qu'il existait toujours une possibilité que cette organisation commette des actes de violence au Canada était une pure supposition.

Même si le demandeur a été avisé en 2000 qu'on avait mis fin à un rapport de sécurité le concernant, le ministre a par la suite ordonné la tenue d'une enquête sous le régime des dispositions législatives modifiées. En 2001, la section d'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a tenu une enquête. La présente demande a été déposée après le rejet de la requête préliminaire du demandeur visant à obtenir la suspension de l'enquête.

Jugement: la demande doit être rejetée.

Puisque la décision de l'arbitre comportait des questions de droit ne relevant pas du domaine d'expertise fondamental du tribunal, la norme de contrôle appropriée était celle de la décision correcte.

Les défenses de res judicata et d'irrecevabilité pour identité des questions en litige pouvaient être traitées ensemble puisque, en common law, l'irrecevabilité pour identité des questions en litige représente l'une des deux formes de la res judicata, l'autre étant l'irrecevabilité pour identité des causes d'action. Les principes sur lesquels reposent ces deux formes d'irrecevabilité sont résumés dans Apotex Inc. c. Merck & Co., une décision récente de la Cour d'appel fédérale. La défense de res judicata du demandeur reposait essentiellement sur l'irrecevabilité pour identité des causes d'action, laquelle interdit d'intenter une action dans le cas où la cause d'action a fait l'objet d'une décision finale par un tribunal compétent. Cette défense est fondée sur le principe que le demandeur doit faire valoir sa cause en une seule fois et une fois pour toutes. Selon le demandeur, le ministre cherchait à présenter un moyen de non-admissibilité qui était connu au moment des instances antérieures, mais qui n'a pas été soulevé. Si la cause d'action dans les instances antérieures est interprétée de façon restrictive comme étant la non-admissibilité du demandeur en application des alinéas 19(1)e) et g), la nouvelle cause d'action, à savoir la non-admissibilité en application de la division 19(1)f)(iii)(B), est différente et l'irrecevabilité pour identité des causes d'action ne lui ferait pas obstacle. Toutefois, même si la cause d'action des instances antérieures est interprétée largement, à savoir si le demandeur était une personne non admissible, l'irrecevabilité pour identité des causes d'action ne s'appliquerait pas plus parce que le demandeur n'a jamais fait l'objet d'une décision finale à l'égard de sa non-admissibilité. Dans ses deux décisions antérieures, la Cour n'a pas prononcé de décision finale sur la question. Elle a plutôt renvoyé l'affaire pour un nouvel examen. La section d'arbitrage, l'organisme ayant autorité en la matière, n'a pas eu à rendre de décision puisque les enquêtes précédentes ont été interrompues par des demandes de contrôle judiciaire qui ont été accueillies.

En ce qui a trait à l'irrecevabilité pour identité des questions en litige, le demandeur a soutenu que la Cour, dans Al Yamani (no 2), a décidé de manière définitive que son appartenance au FPLP dans le passé ne pouvait servir de fondement à une mesure de renvoi. La Cour suprême du Canada a approuvé la décision de la Chambre des lords dans Carl Zeiss Stiftung c. Rayner & Keeler Ltd. (no 2), laquelle a établi trois conditions de l'irrecevabilité pour identité des questions en litige: 1) la même question a déjà été tranchée; 2) la décision judiciaire était finale; 3) les parties à la décision judiciaire (ou leurs ayants droit) sont les mêmes personnes que les parties à l'instance où est soulevée la fin de non-recevoir. L'irrecevabilité pour identité des questions en litige ne s'appliquait pas en l'espèce. La troisième condition du critère était remplie, mais pas les deux premières. L'enquête actuelle ne porte pas sur la même question que celle soulevée dans les instances antérieures. La décision du juge MacKay dans Al Yamani (no 2) se limitait à la constitutionnalité de l'alinéa 19(1)g); la question soulevée en l'espèce consiste à déterminer si le demandeur est une personne visée à l'alinéa 27(1)a) et à la division 19(1)f)(iii)(B) en raison de son appartenance au FPLP avant 1992. Le juge n'a pas écarté la possibilité que l'appartenance du demandeur au FPLP dans le passé soit utilisée dans des procédures ultérieures pour demander son renvoi en application d'une autre partie de l'article 19. En outre, les conclusions du juge MacKay relativement à la liberté d'association ne s'appliquaient pas à la division 19(1)f)(iii)(B), laquelle diffère en substance de l'ancien alinéa 19(1)g). La nouvelle disposition exclut de la non-admissibilité «les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national». La Cour suprême a conclu, dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), que la nouvelle disposition ne viole pas la Charte. On n'a pas satisfait au second élément du critère de l'irrecevabilité pour identité des questions en litige parce que les décisions antérieures n'étaient pas des décisions finales sur la non-admissibilité. Même s'il s'agissait d'un cas de chose jugée, un certain nombre de décisions prononcées par notre Section ont conclu que cette doctrine a été écartée par l'article 34 de la Loi à l'égard des mesures prises en vertu de l'article 27. Il a également été décidé que l'article 34 s'applique aux procédures entamées en vertu d'un moyen de non-admissibilité différent mais fondées sur le même ensemble de faits.

Le critère applicable en cas d'abus de procédure en droit administratif a été énoncé par M. le juge LeBel, dissident en partie, dans l'arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission) de la Cour suprême du Canada, qui a expliqué que la question à se poser était la suivante: «un organisme administratif a-t-il traité des gens excessivement mal?» La Cour a répondu à cette question par la négative et elle a conclu qu'il n'y avait eu aucun abus de procédure. Le ministre n'a pas fait, en 1997, un choix qui liait contestation sur le fondement des moyens de non-admissibilité existant avant les dispositions législatives modifiées et qui l'empêche maintenant d'invoquer la division 19(1)f)(iii)(B). Conformément à la disposition transitoire de l'article 110 de la loi intégrant les modifications, le ministre était tenu de procéder sur le fondement des moyens de non-admissibilité existant avant les modifications devant le CSARS en 1997. Comme l'enquête actuelle n'est pas fondée sur le rapport produit avant les dispositions législatives modifiées, le ministre n'est pas tenu de continuer d'appliquer les dispositions en vigueur avant les modifications, comme l'article 110 le prévoit. La proposition selon laquelle le ministre ne pouvait pas se livrer à du «blocage»--en entreprenant une nouvelle enquête fondée sur des moyens qui étaient connus et qui auraient pu être invoqués dans une enquête antérieure--a été rejetée par la Section de première instance dans Halm c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration). La Loi autorise le ministre à se livrer à du «blocage».

Même si la durée et le nombre des procédures dans la présente affaire préoccupaient la Cour, il n'y a pas eu de période d'inactivité prolongée de la part du ministre et il n'a pas été allégué qu'il agissait pour un mobile inacceptable en commençant une autre enquête. Si les procédures durent depuis plus de 10 ans, c'est parce que le demandeur a su utiliser avec succès les recours judiciaires dont il disposait.

Il est vrai que les divers points soulevés par le demandeur doivent être considérés dans leur ensemble et conjointement avec la gravité des allégations formulées à son endroit. Toutefois, dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, la Cour suprême a reconnu que «dans certains cas, lorsqu'il n'est pas sûr que l'abus justifie la suspension des procédures, l'intérêt irrésistible de la société à ce qu'il y ait un débat sur le fond pourrait faire pencher la balance en faveur de la poursuite des procédures». Dans cette décision--une affaire de révocation de la citoyenneté--la Cour a en outre précisé que la réputation du Canada en tant que membre solidaire de la communauté internationale était une préoccupation de la plus haute importance dont il fallait tenir compte. Le rapport du CSARS de 1997 mentionnait que le demandeur avait participé à l'attentat à la bombe contre un bureau d'Air Egypt en 1977 et que le FPLP était prêt à commettre des actes de violence au Canada si cela était nécessaire pour parvenir à ses fins. Si ces allégations peuvent être prouvées, des mesures appropriées devront être prises à l'endroit du demandeur. Il n'y a pas eu d'abus de procédure et l'enquête devrait se poursuivre.

Les motifs du jugement de Mme le juge L'Heureux-Dubé, dans l'affaire Brosseau c. Alberta Securities Commission, en 1989, appuyaient la proposition selon laquelle la présomption de non-rétroactivité des lois ne s'applique pas si le but de la loi n'est pas de punir le contrevenant mais de protéger le public. Une loi visant à protéger le public (dans la présente affaire, des terroristes), si elle est claire et non ambiguë, s'appliquera suivant ses termes même si cela signifie que les droits acquis (dans la présente affaire, le statut de résident permanent du demandeur) seront touchés de manière préjudiciable. La véritable question est de savoir si le droit acquis du demandeur de demeurer au Canada peut être aboli en raison d'événements qui se sont produits avant l'entrée en vigueur des dispositions. Le libellé des dispositions législatives pertinentes indique clairement que le Parlement voulait qu'elles couvrent les événements survenus avant leur entrée en vigueur. Les mots «soit sont ou ont été membres» à l'alinéa 19(1)f)(iii) indiquent qu'une personne appartient à une catégorie de personnes non admissibles visées si à un moment ou un autre de sa vie elle a été membre d'une organisation terroriste. Ces dispositions ont pour effet de retirer au demandeur son droit acquis d'être résident permanent. Le fait qu'Al Yamani ait rompu les liens avec le FPLP avant l'entrée en vigueur des dispositions législatives modifiées n'est pas pertinent. Les résidents permanents ne jouissent pas d'un droit absolu de demeurer au Canada et le législateur fédéral a la prérogative d'adopter une politique d'immigration prescrivant les conditions auxquelles ceux-ci doivent satisfaire pour y demeurer.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2b),d).

Loi modifiant la Loi sur l'immigration et d'autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49, art. 11, 16, 30, 110.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), 27 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 16), 34, 39(2) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 2), 40(1) (mod. par L.C. 1997, ch. 22, art. 6).

jurisprudence

décisions suivies:

Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222; (1998), 11 Admin. L.R. (3d) 130; Apotex Inc. c. Merck & Co. (2002), 214 D.L.R. (4th) 429; 19 C.P.R. (4th) 163; 291 N.R. 96 (C.A.F.); Carl Zeiss Stiftung c. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2), [1967] 1 A.C. 853 (H.L.); Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248; (1974), 47 D.L.R. (3d) 544; 74 DTC 6278; 2 N.R. 397; Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chung, [1993] 2 C.F. 42; 100 D.L.R. (4th) 377; 18 Imm. L.R. (2d) 151; 149 N.R. 386 (C.A.); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 208 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (3d) 159; 90 C.R.R. (2d) 1; 18 Imm. L.R. (3d) 159; 281 N.R. 1 (C.S.C.); Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307; (2000), 190 D.L.R. (4th) 513; [2000] 10 W.W.R. 567; 81 B.C.L.R. (3d) 1; 3 C.C.E.L. (3d) 165; 77 C.R.R. (2d) 189; 260 N.R. 1; R. c. Keyowski, [1988] 1 R.C.S. 657; [1988] 4 W.W.R. 97; (1988), 65 Sask. R. 122; 40 C.C.C. (3d) 481; 62 C.R. (3d) 349; 32 C.R.R. 269; 83 N.R. 296; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391; (1997), 151 D.L.R. (4th) 119; 1 Admin. L.R. (3d) 1; 118 C.C.C. (3d) 443; 14 C.P.C. (4th) 1; 10 C.R. (5th) 163; 40 Imm. L.R. (2d) 23; 218 N.R. 81; Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301; (1989), 57 D.L.R. (4th) 458; [1989] 3 W.W.R. 456; 96 A.R. 241; 65 Alta. L.R. (2d) 97; 35 Admin. L.R. 1; 93 N.R. 1; Rudolph c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 653; (1992), 91 D.L.R. (4th) 686; 73 C.C.C. (3d) 442; 14 C.R. (4th) 169; 142 N.R. 62 (C.A.); Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161.

décisions appliquées:

Canada (Procureur général) c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1991), 4 Admin. L.R. (2d) 251; 36 C.C.E.L. 83; 91 CLLC 17,016; 43 F.T.R. 47 (C.F. 1re inst.); Rabbat c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 46 (1re inst.); Cortez c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 74 F.T.R. 9; 23 Imm. L.R. (2d) 270 (C.F. 1re inst.); Halm c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] 1 C.F. 547; (1995), 104 F.T.R. 81; 32 Imm. L.R. (2d) 220 (1re inst.); Yousif c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 167 F.T.R. 85 (C.F. 1re inst.); Estrada c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1987), 8 F.T.R. 317; 1 Imm. L.R. (2d) 24 (C.F. 1re inst.); McAllister c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] 2 C.F. 190; 108 F.T.R. 1 (1re inst.).

décisions examinées:

Al Yamani c. Canada (Solliciteur général), [1996] 1 C.F. 174; (1995), 129 D.L.R. (4th) 226; 32 C.R.R. (2d) 295; 103 F.T.R. 105; 31 Imm. L.R. (2d) 191 (1re inst.); Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 433; (2000), 72 C.R.R. (2d) 259; 186 F.T.R. 161; 5 Imm. L.R. (3d) 235 (1re inst.).

décisions citées:

Al Yamani c. Canada (Solliciteur général) (1994), 80 F.T.R. 307; 27 Imm. L.R. (2d) 116 (C.F. 1re inst.); Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460; (2001), 201 D.L.R. (4th) 193; 34 Admin. L.R. (3d) 163; 10 C.C.E.L. (3d) 1; 7 C.P.C. (5th) 199; 272 N.R. 1; 149 O.A.C. 1; Grandview (Ville de) c. Doering, [1976] 2 R.C.S. 621; (1975), 61 D.L.R. (3d) 455; [1976] 1 W.W.R. 388; 7 N.R. 299; Ruparel c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 615; (1990), 36 F.T.R. 140; 11 Imm. L.R. (2d) 190 (1re inst.).

doctrine

Black's Law Dictionary, 7th ed. St. Paul, Minn.: West Group, 1999. «res judicata».

Driedger, E. A. The Composition of Legislation. Legislative Forms and Precedents, 2nd ed. Ottawa: Min. de la Justice, 1976.

Lange, Donald J. The Doctrine of Res Judicata in Canada, Toronto: Butterworths, 2000.

DEMANDE de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la section d'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la requête du demandeur pour faire suspendre une enquête en vue de déterminer s'il a été membre d'une organisation terroriste (à savoir une personne visée à l'alinéa 27(1)a) et à la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l'immigration). Demande rejetée.

ont comparu:

Barbara L. Jackman et Ronald P. Poulton pour le demandeur.

Donald A. MacIntosh et Jamie R. D. Todd pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Barbara L. Jackman, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

[1]Le juge Kelen: La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la section d'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté, en date du 28 novembre 2001, la requête du demandeur pour faire suspendre une enquête établie sous le régime de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), en vue de déterminer s'il est ou a été membre d'une organisation terroriste, à savoir une personne visée à l'alinéa 27(1)a) et à la division 19(1)f)(iii)(B), du fait de son appartenance au Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) avant 1992.

[2]Il s'agit de la troisième tentative d'enquête du défendeur concernant l'admissibilité du demandeur comme résident permanent, en raison de sa participation aux activités du FPLP. Les deux premières tentatives ont été repoussées par notre Cour en 1996 et en 2000. Cette fois-ci, le demandeur sollicite l'arrêt de l'enquête pour les motifs suivants:

(i) le ministre ne peut entreprendre une nouvelle enquête, compte tenu du principe de l'autorité de la chose jugée, à savoir qu'il a été établi, au regard des mêmes faits, dans les deux décisions judiciaires antérieures que le demandeur n'était pas une personne non admissible;

(ii) subsidiairement, la nouvelle enquête devrait être interdite pour cause d'irrecevabilité parce que la question soulevée dans les allégations actuelles est la même que celle qui a fait l'objet des instances antérieures;

(iii) la nouvelle enquête est un abus de procédure, un principe de common law pouvant être invoqué afin qu'il soit sursis à cette procédure administrative;

(iv) par cette nouvelle enquête, le ministre cherche à faire appliquer les dispositions modifiées de la Loi, lesquelles ne peuvent être appliquées de manière rétroactive à M. Al Yamani parce qu'elles sont entrées en vigueur après son établissement à titre de résident permanent et la rupture de ses liens avec le FPLP.

EXPOSÉ DES FAITS

De 1985 à 2001

[3]Le demandeur est un Palestinien apatride qui a immigré au Canada le 27 avril 1985 et obtenu le statut de résident permanent. Il fait l'objet d'un rapport alléguant, en vertu de l'alinéa 27(1)a) de la Loi, qu'il appartient à une catégorie de personnes visées à la division 19(1)f)(iii)(B) du fait de son appartenance au FPLP, une organisation se livrant à des actes de terrorisme, avant 1992.

De 1988 à 1992

[4]M. Al Yamani a demandé la citoyenneté canadienne le 3 mai 1988. À la suite de cette demande, il a fait l'objet d'une enquête de sécurité par le Service canadien du renseignement de sécurité. Le 29 mai 1992, il a été avisé que le solliciteur général et le ministre avaient adressé au Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité (CSARS) un rapport le concernant, en vertu du paragraphe 39(2) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 2] de la Loi sur l'immigration. Ce rapport alléguait que M. Al Yamani appartenait aux catégories de personnes visées aux alinéas 19(1)e), 19(1)g) et 27(1)c) de la Loi, tels qu'ils étaient rédigés avant la Loi modifiant la Loi sur l'immigration et d'autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49 (les modifications), qui est entrée en vigueur le 1er février 1993.

De 1993 à 1994

[5]Le CSARS a présenté, en date du 3 août 1993, un rapport dans lequel il concluait que M. Al Yamani appartenait à la catégorie de personnes visées à l'alinéa 19(1)g) parce qu'il existait des motifs raisonnables de croire qu'il faisait partie du FPLP. À la suite de ce rapport, le gouverneur en conseil a ordonné la délivrance d'une attestation de sécurité et le ministre a produit un rapport en vertu de l'article 27 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 16] de la Loi et une directive prévoyant la tenue d'une enquête. La Cour a suspendu l'enquête dans l'attente de l'issue de la demande de contrôle judiciaire du rapport du CSARS et de la directive du gouverneur en conseil. Voir Al Yamani c. Canada (Solliciteur général) (1994), 80 F.T.R. 307 (C.F. 1re inst.).

De 1995 à 1996--Premier contrôle judiciaire par la Cour fédérale

[6]M. le juge MacKay a entendu la demande de contrôle judiciaire et annulé le rapport du CSARS. Voir Al Yamani c. Canada (Solliciteur général) (no 2), [1996] 1 C.F. 174 (1re inst.) Le demandeur a fait valoir que la partie de l'alinéa 19(1)g) qui le rendait inadmissible du seul fait de son appartenance à une organisation susceptible de commettre des actes de violence portait atteinte à sa liberté d'association prévue à l'alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]. Ses prétentions ont été résumées comme il suit à la page 223 par le juge MacKay:

Le requérant fait valoir que le libellé de l'alinéa 19(1)g) a une portée trop vaste. Il n'établit pas de distinction entre les organisations exclusivement consacrées aux activités violentes de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada et d'autres organisations aux objectifs divers qui peuvent comprendre des membres peu engagés et ne participant qu'aux activités pacifiques. Il vise des personnes, pour la seule raison de leur association à une organisation, alors qu'elles ne sont pas elles-mêmes susceptibles de commettre des actes de violence ou de se livrer à des activités illégales au Canada.

Le juge MacKay a accepté les arguments du demandeur et conclu en ces termes aux pages 229 et 230:

Selon moi, l'alinéa 19(1)g), dans la mesure où il a trait aux personnes dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles appartiennent à une organisation susceptible de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada, limite la liberté d'association, et cette restriction n'est pas une limite dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Il enfreint donc l'alinéa 2d) de la Charte et il n'a pas d'effet en vertu de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 [. . .].

La Cour a accueilli la demande, annulé le rapport du CSARS et déclaré la décision du gouverneur en conseil non valide. Le juge MacKay a renvoyé l'affaire au CSARS pour qu'il décide de la ligne de conduite appropriée à adopter. Dans sa décision, ni les conclusions de fait ni les applications du droit contenues dans le rapport du CSARS n'ont été contestées et les autres catégories de personnes non admissibles visées à l'alinéa 19(1)g) n'ont pas été abordées.

De 1997 à 1998

[7]Le CSARS a décidé de recommencer l'audition en 1997 et continué d'appliquer les dispositions de la Loi en vigueur avant les modifications. Dans son rapport, le CSARS a fait un certain nombre de conclusions, notamment:

(i) À la page 19, le CSARS a écrit: [traduction] «Mis à part sa participation aux actes de subversion commis par le FPLP, je ne puis ignorer la preuve selon laquelle M. Yamani a participé en 1977 à l'attentat à la bombe contre le bureau d'Air Egypt dans les Émirats arabes unis [] Dans cette perspective, l'attentat à la bombe contre Air Egypt peut être considéré comme un acte subversif dirigé contre l'État d'Israël, que le Canada reconnaît comme une démocratie.»

(ii) À la page 20, il a affirmé: «Il n'existe aucune raison de croire que le FPLP est moins déterminé à atteindre ses buts et qu'il serait moins disposé à commettre des actes de terrorisme au Canada, s'il l'estimait nécessaire pour parvenir à ses fins. Je conclus donc qu'il existe toujours une possibilité que le FPLP commette des actes de violence au Canada.»

(iii) À la page 21, il a ajouté: «Je constate que le quartier général du FPLP au Moyen-Orient a confié à M. Yamani la responsabilité d'agir comme agent de liaison et de faciliter les déplacements pour toutes les activités du FPLP en Amérique du Nord parce qu'il se trouvait précisément au Canada.»

(iv) À la page 21, il a conclu comme suit: «À partir de tous les éléments de preuve qui m'ont été soumis, je conclus que M. Yamani ne reconnaît les faits que s'il estime qu'ils ne peuvent pas être utilisés contre lui ou que s'il constate que le Service les connaît déjà, dans une certaine mesure. Compte tenu de son engagement bien établi envers la "cause du FPLP" et de sa position de tête dirigeante, je conclus qu'on peut penser, pour des motifs raisonnables, que M. Yamani participera aux activités illicites du FPLP si on le lui demande.»

Le CSARS a décidé que le demandeur était une personne dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elle se livrera à des actes de subversion, au sens de l'alinéa 19(1)e), et une personne dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elle commettra des actes de violence au Canada ou prendra part aux activités illégales d'une organisation susceptible de commettre des actes de violence au Canada, au sens de l'alinéa 19(1)g). La décision du CSARS ne traitait pas de la partie de l'alinéa 19(1)g) que le juge MacKay a déclaré inconstitutionnelle.

De 1999 à 2001--Deuxième contrôle judiciaire par la Cour fédérale

[8]Le demandeur a prié la Cour de procéder au contrôle judiciaire du rapport. Le 14 mars 2000, M. le juge Gibson a annulé le rapport du CSARS. Voir Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (no 3), [2000] 3 C.F. 433 (1re inst.). Il a conclu que le CSARS avait fait erreur parce qu'il n'avait pas analysé le sens du mot «subversion» figurant à l'alinéa 19(1)e). Il a écrit au paragraphe 85:

[. . .] je suis convaincu que, selon la norme de la décision correcte, le comité de surveillance a commis une erreur de droit en s'appuyant, sans analyse plus approfondie, sur la définition ou la description de la «subversion» énoncée dans la décision Shandi, Re ((1992), 51 F.T.R. 252 (C.F. 1re inst.)). Le comité de surveillance semble avoir ignoré, pour l'essentiel, le témoignage convaincant que lui a offert le professeur Whitaker, dont des extraits assez longs ont déjà été cités dans les présents motifs, quant au caractère vague du concept de la subversion, et son opinion réfléchie selon laquelle ce concept englobe deux éléments essentiels, soit un élément de clandestinité ou de tromperie, dont la présence semble avoir été établie en l'espèce, et un élément de destruction de l'intérieur. Si l'on reconnaît que ces éléments sont essentiels à toute définition de la subversion, il est évident que le demandeur ne peut avoir participé à des actes de subversion contre Israël, directement ou du fait de son appui et de son appartenance au FPLP.

Le juge Gibson a également conclu que le CSARS n'avait pas convenablement analysé les éléments de preuve dont il disposait avant de tirer la conclusion selon laquelle le demandeur appartenait à une catégorie de personnes visées à l'alinéa 19(1)g). Il a écrit au paragraphe 87:

Le comité de surveillance n'a pas fait mention de la preuve qui lui a été présentée, selon laquelle le FPLP n'a plus l'influence qu'il avait. Il ne rejette pas la preuve émanant du demandeur selon laquelle le Canada est sans intérêt pour le FPLP. Le comité de surveillance ne cite aucun élément de preuve qui lui a été exposé et en raison duquel sa conclusion qu' «il existe toujours une possibilité que le FPLP commette des actes de violence au Canada» ne constituerait pas une pure supposition.

L'affaire a été renvoyée au CSARS pour qu'une formation différemment constituée procède à un nouvel examen.

[9]Le demandeur a été avisé le 17 octobre 2000 que le solliciteur général et le ministre mettaient fin à un rapport de sécurité le concernant. Néanmoins, le dossier du demandeur a été transmis à Immigration Canada et le ministre a produit un rapport et une directive prévoyant la tenue d'une enquête, alléguant que le demandeur était une personne visée à l'alinéa 27(1)a) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16] et à la division 19(1)f)(iii)(B) [mod., idem, art. 11] entrés en vigueur après les modifications. Une enquête a été tenue, les 11 et 12 octobre 2001, devant la section d'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Le demandeur a déposé une requête préliminaire en vue d'obtenir une ordonnance suspendant l'enquête ou rejetant les allégations à son endroit. Sa requête a été rejetée et fait maintenant l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

A)     Dispositions pertinentes de la Loi avant les modifications

[10]Avant les modifications, les alinéas 19(1)e) et g) de la Loi étaient rédigés comme suit:

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible:

[. . .]

e) celles qui, s'étant livrées à des actes d'espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques au sens où cette expression s'entend au Canada, ne peuvent convaincre le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national ou celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elles se livreront à ces actes;

[. . .]

g) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elles commettront des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada, ou qu'elles appartiennent à une organisation susceptible de commettre de tels actes ou qu'elles sont susceptibles de prendre part aux activités illégales d'une telle organisation;

[11]L'alinéa 27(1)c) de la Loi a été abrogé par les modifications. Avant les modifications, il était rédigé comme suit:

27. (1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas:

[. . .]

c) travaille ou incite au renversement d'un gouvernement par la force;

[. . .]

[12]Avant les modifications, le paragraphe 40(1) de la Loi était rédigé comme suit:

40. (1) S'il est d'avis, après étude du rapport du comité de surveillance, que l'intéressé se trouve vraiment dans l'une des situations visées aux alinéas 39(2)a) ou b), le gouverneur en conseil peut ordonner au ministre de délivrer une attestation à cet effet.

B)     Disposition transitoire pertinente

[13]L'article 110 de la Loi modifiant la Loi sur l'immigration et d'autres lois en conséquence, précitée, est une disposition transitoire pertinente qui prévoit ce qui suit:

110. Les enquêtes ou audiences prévues par des dispositions de la Loi sur l'immigration modifiées ou abrogées par la présente loi sont tenues, et les décisions auxquelles elles donnent lieu sont rendues, comme si ces dispositions n'avaient pas été modifiées ou abrogées si, à la date d'entrée en vigueur de la modification ou de l'abrogation, elles avaient été commencées.

C)     Dispositions pertinentes de la Loi après les modifications

[14]Après les modifications [L.C. 1992, ch. 49, art. 11], la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi était rédigée comme suit:

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible:

[. . .]

f) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles:

[. . .]

(iii) soit sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée:

[. . .]

(B) soit à des actes de terrorisme,

le présent alinéa ne visant toutefois pas les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national;

[15]L'alinéa 27(1)a) [mod., idem, art. 16] de la Loi était rédigé comme suit:

27. (1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas:

a) appartient à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c.2), d), e), f), g), k) ou l);

[16]L'article 34 de la Loi est un article pertinent quant à la défense de res judicata soulevée par le demandeur. Cette disposition n'a pas été modifiée en 1993.

34. Les décisions rendues en application de la présente loi n'ont pas pour effet d'interdire la tenue d'une autre enquête par suite d'un autre rapport fait en vertu de l'alinéa 20(1)a) ou des paragraphes 27(1) ou (2) ou par suite d'une arrestation et d'une garde effectuées à cette fin en vertu de l'article 103.

[17]Après les modifications, le paragraphe 40(1) [mod. par L.C. 1997, ch. 22, art. 6] était rédigé comme suit:

40. (1) S'il est d'avis, après étude du rapport fait en vertu du paragraphe 39(9) par le comité de surveillance ou la personne nommée au titre du paragraphe 39.1(1), que l'intéressé appartient à l'une des catégories visées à l'alinéa 19(1)c.2), au sous-alinéa 19(1)d)(ii), aux alinéas 19(1)e), f), g), k) ou l) ou 27(1)a.1), au sous-alinéa 27(1)a.3)(ii) ou aux alinéas 27(1)g) ou h), le gouverneur en conseil peut ordonner au ministre de délivrer une attestation à cet effet.

NORME DE CONTRÔLE

[18]Les questions de droit qui «s'écartent du domaine d'expertise fondamental du tribunal» constituent un facteur militant en faveur de la norme de la décision correcte: voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 38. Bien que la Cour fasse généralement montre de réserve à l'égard de la décision d'un arbitre, la décision en l'espèce comportait des questions de droit ne relevant pas du domaine d'expertise d'un arbitre. Par conséquent, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte.

ANALYSE

1.     Res judicata

a)     Irrecevabilité pour identité des causes d'action

[19]Devant l'arbitre, le demandeur a soulevé les défenses de res judicata et d'irrecevabilité pour identité des questions en litige. La notion de res judicata est définie comme suit dans le Black's Law Dictionary, 7e éd. (St. Paul, Minn.: West Group, 1999):

[traduction] res judicata [. . .] [Latin de «chose jugée»] 1. Une question qui a été réglée de manière définitive dans une décision judiciaire. 2. Une défense affirmative empêchant les même parties d'engager une seconde poursuite fondée sur la même réclamation ou sur toute autre réclamation qui découle de la même opération ou série d'opérations et qui aurait pu être soulevée dans la première poursuite --mais qui ne l'a pas été.

[20]Même si, en substance, le demandeur a soulevé deux moyens de défense différents, en common law, l'irrecevabilité pour identité des questions en litige ne représente que l'une des deux formes de la chose jugée, l'autre étant l'irrecevabilité pour identité des causes d'action: voir l'arrêt Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460. Bien que les notions de chose jugée, d'irrecevabilité pour identité des questions en litige et d'irrecevabilité pour identité des causes d'action soient souvent très étroitement liées, elles ont des sens distincts. Les principes sur lesquels reposent les deux formes d'irrecevabilité sont décrits dans la définition en deux volets donnée précédemment et ont été récemment expliqués par la Cour d'appel fédérale dans Apotex Inc. c. Merck & Co. (2002), 214 D.L.R. (4th) 429, aux paragraphes 24 et 25:

Les principes concernant l'autorité de la chose jugée ont été établis par deux arrêts de principe de la Cour suprême du Canada: Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248 [. . .] et Grandview (Ville) v. Doering, [1976] 2 R.C.S. 621 [. . .]. Dans l'arrêt Angle, précité, le juge Dickson a noté, à la page 254, que la chose jugée s'applique fondamentalement à deux formes d'irrecevabilité, soit l'irrecevabilité pour identité des causes d'action et l'irrecevabilité pour identité des questions en litige, qui reposent toutes les deux sur des principes similaires. Premièrement, tout litige doit avoir une fin et deuxièmement, une personne ne doit pas être poursuivie deux fois pour la même cause d'action.

Ces deux formes d'irrecevabilité, identiques au plan des principes, sont différentes dans leur application. L'irrecevabi-lité pour identité des causes d'action interdit à une personne d'intenter une action contre une autre personne dans le cas où la cause d'action a fait l'objet d'une décision finale d'un tribunal compétent. L'irrecevabilité pour identité des questions en litige est plus large et s'applique à des causes d'action distinctes. Elle intervient, selon la jurisprudence, lorsqu'une même question a déjà été tranchée, que la décision judiciaire donnant lieu à l'irrecevabilité est finale et que les parties à la décision judiciaire ou leurs ayants droit sont les mêmes que les parties à l'instance où est soulevée la question de l'irrecevabilité (voir l'arrêt Carl Zeiss Stiftung c. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2), [1967] 1 A.C. 853, à la page 93, cité par le juge Dickson dans l'arrêt Angle, précité, à la page 254). [Non souligné dans l'original.]

L'irrecevabilité pour identité des causes d'action comprend l'essence de la défense de res judicata du demandeur fondée sur Grandview (Ville de) c. Doering, [1976] 2 R.C.S. 621, un arrêt de la Cour suprême du Canada portant sur l'irrecevabilité pour identité des causes d'action. Pour ce motif, la Cour traitera la défense de res judicata du demandeur comme une défense d'irrecevabilité pour identité des causes d'action.

[21]Le principe fondamental de l'irrecevabilité pour identité des causes d'action est que le demandeur doit soulever l'objet de toute l'affaire en rapport avec la cause d'action en une seule fois et une fois pour toutes, et tous les recours découlant de la cause d'action fondée sur l'objet: voir Donald J. Lange, The Doctrine of Res Judicata in Canada (Toronto: Butterworths, 2000), à la page 111. Le même principe s'applique aux défendeurs qui doivent soulever tous les moyens de défense fondés sur l'objet en une seule fois.

[22]Le demandeur fait valoir que le principe de l'autorité de la chose jugée empêche le ministre d'entreprendre une nouvelle enquête fondée sur un motif de non-admissibilité qui était connu au moment des instances antérieures, mais qui n'a pas été soulevé. Les avocats du demandeur ont demandé à l'arbitre de suspendre l'instance pour cette raison. L'arbitre a décidé que l'enquête pouvait se poursuivre parce que les allégations étaient différentes de celles soulevées dans les instances antérieures. Il a établi une distinction fondée sur la nature des catégories de personnes non admissibles et sur le fait que les deux instances antérieures avaient été instruites sous le régime des dispositions en vigueur avant les modifications.

[23]Même s'il est plutôt difficile d'établir la «cause d'action» exacte en l'espèce, celle-ci importe peu quant au résultat. La cause d'action dans les instances antérieures pouvait être interprétée de façon restrictive comme étant la non-admissibilité du demandeur en application des alinéas 19(1)e) et g). Cette approche a été adoptée par l'arbitre. La nouvelle cause d'action, à savoir si le demandeur appartient à la catégorie de personnes non admissibles visées à la division 19(1)f)(iii)(B), est différente de celle des instances antérieures et l'irrecevabilité pour identité des causes d'action ne lui ferait donc pas obstacle.

[24]Toutefois, même si la cause d'action des instances antérieures était interprétée largement, à savoir si le demandeur était une personne non admissible au Canada, l'irrecevabilité pour identité des causes d'action ne s'appliquerait toujours pas. Tel qu'il a été mentionné par la Cour d'appel fédérale dans la décision Apotex, précitée, l'irrecevabilité pour identité des causes d'action interdit à une personne d'intenter une action contre une autre personne dans le cas où la cause d'action a fait l'objet d'une décision finale d'un tribunal compétent. M. Al Yamani n'a jamais fait l'objet d'une décision finale à l'égard de sa non-admissibilité. La question de savoir si M. Al Yamani était une personne non admissible a fait l'objet de deux rapports du CSARS, mais la section d'arbitrage, l'organisme ayant autorité pour rendre une décision finale sur la non-admissibilité des personnes, n'en a jamais été saisie. Le rôle du CSARS consiste à faire une recommandation au gouverneur en conseil quant à la délivrance d'une attestation en application du paragraphe 40(1). Bien que deux enquêtes concernant le demandeur aient été entamées, celles-ci ont été interrompues à l'étape préliminaire par une demande de contrôle judiciaire du rapport pertinent du CSARS qui a été accueillie. Dans les affaires Al Yamani (no 2) et Al Yamani (no 3), la Cour n'a pas non plus prononcé de décision finale sur la non-admissibilité du demandeur. Il ressort clairement que la Cour a renvoyé l'affaire au CSARS à deux reprises pour un nouvel examen. Cette question n'a donc pas été tranchée de manière définitive et demeure ouverte.

[25]Par conséquent, la Cour estime que l'arbitre n'a pas fait erreur en concluant que la défense de res judicata ne faisait pas obstacle à la nouvelle enquête.

b)     Irrecevabilité pour identité des questions en litiges

[26]Dans la décision Apotex, précitée, la Cour d'appel fédérale a établi que l'irrecevabilité pour identité des questions en litige s'applique quand la même question a été tranchée dans une décision judiciaire intéressant les mêmes parties.

[27]Le demandeur soutient que l'irrecevabilité pour identité des questions en litige s'applique à la nouvelle enquête. Il prétend que cette fin de non-recevoir devrait empêcher la nouvelle enquête parce que la question en litige soulevée dans les allégations actuelles, à savoir si le demandeur est une personne non admissible du fait de sa participation aux activités du FPLP avant 1992, est la même que celle soulevée dans les instances antérieures. De l'avis du demandeur, la Cour a tranché de manière définitive dans Al Yamani (no 2) que son appartenance au FPLP dans le passé ne pouvait servir de fondement à une mesure de renvoi.

[28]Lord Guest a énoncé les trois conditions de l'irrecevabilité pour identité des questions en litige dans Carl Zeiss Stiftung v. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2), [1967] 1 A.C. 853 (H.L.), à la page 935. Voici ces trois conditions:

(i) la même question a déjà été tranchée;

(ii) la décision judiciaire donnant lieu à l'irrecevabilité était finale;

(iii) les parties à la décision judiciaire ou leurs ayants droit sont les mêmes personnes que les parties à l'instance où est soulevée la fin de non-recevoir.

Ces trois conditions ont été adoptées en droit canadien par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248 et ont été utilisées dans le domaine du droit de l'immigration par la Cour d'appel fédérale (voir Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chung, [1993] 2 C.F. 42. La décision d'un tribunal administratif peut être considérée comme une «décision judiciaire» donnant lieu à l'irrecevabilité pour identité des questions en litige dans une instance subséquente d'un autre tribunal administratif (voir Danyluk, précitée, aux paragraphes 21 et 22; et Canada (Procureur général) c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1991), 4 Admin. L.R. (2d) 251 (C.F. 1re inst.).

[29]L'irrecevabilité pour identité des questions en litige ne s'applique pas en l'espèce. Bien que la troisième condition du critère de common law soit réalisée, les deux premières conditions ne le sont pas. Le premier élément du critère n'est pas satisfait parce que l'enquête actuelle ne porte pas sur la même question que celle soulevée dans les instances antérieures. La question soulevée dans l'enquête actuelle consiste à déterminer si le demandeur est une personne visée à l'alinéa 27(1)a) et à la division 19(1)f)(iii)(B) en raison de son appartenance au FPLP avant 1992. Il ne s'agit pas de la même question que celle dont la Cour a été saisie dans Al Yamani (no 2). La question en litige dans cette dernière affaire portait sur la constitutionnalité de la partie de l'alinéa 19(1)g) qui rendait une personne non admissible en raison de son appartenance à une organisation susceptible de commettre des actes de violence. Le juge MacKay a explicitement limité sa décision à l'inconstitutionnalité de l'alinéa 19(1)g). Il a écrit aux pages 241 et 242 de la décision:

J'estime que le requérant n'a pas prouvé que les conclusions de fait ou les applications du droit du rapport du CSARS étaient erronées d'une façon qui justifierait l'intervention de la Cour. Le seul motif d'annulation de la conclusion du CSARS est le fait qu'elle s'appuie sur la partie de l'alinéa 19(1)g) dont j'estime qu'elle est inconstitutionnelle. C'est le comité lui-même qui est le mieux placé pour décider des méthodes d'enquête applicables au requérant une fois qu'il a reçu le rapport établi par les ministres concernés en vertu du paragraphe 39(2) de la Loi. En ce qui me concerne, les conclusions du rapport du 3 août 1993 tiennent, exception faite de celle qui établit que le requérant est visé par l'alinéa 19(1)g) dont j'estime qu'il est contraire à l'alinéa 2d) de la Charte et d'une manière qui ne peut se justifier par l'article premier. [Non souligné dans l'original.]

Le juge MacKay n'a pas écarté non plus la possibilité que l'appartenance du demandeur au FPLP dans le passé soit utilisée dans des procédures ultérieures pour justifier son renvoi en application d'une autre partie de l'article 19. Cela est démontré par l'énoncé suivant qui a été extrait de la page 241 de la décision:

Je suis par ailleurs d'avis que l'alinéa 19(1)g), dans la mesure où il renvoie à des personnes dont il y a «des motifs raisonnables, . . . qu'elles appartiennent à une organisation susceptible de commettre [des actes de violence]» («de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada»), enfreint l'alinéa 2d) de la Charte, qui garantit à chacun la liberté d'association. J'estime qu'il n'a pas été prouvé que la limitation de cette liberté en vertu de la partie incriminée de la disposition en cause est une limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. Je fais remarquer que cette décision ne concerne pas les autres catégories de personnes visées à l'alinéa 19(1)g) de la Loi. [Non souligné dans l'original.]

Dans cet énoncé, le juge MacKay a indiqué que le CSARS, ou le ministre, pouvait engager, à l'endroit de M. Al Yamani, de nouvelles procédures fondées sur les catégories de personnes non admissibles visées dans les autres parties de l'article 19. C'est précisément ce que le ministre a fait en l'espèce. La question soulevée dans la nouvelle enquête n'est pas la même que celle soulevée dans Al Yamani (no 2).

[30]En outre, les conclusions du juge MacKay relativement à la liberté d'association ne peuvent être appliquées à la division 19(1)f)(iii)(B) parce que celle-ci diffère en substance de l'ancien alinéa 19(1)g). L'alinéa 19(1)f) comprend maintenant une clause excluant de la non-admissibilité «les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national». Dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 208 D.L.R. (4th) 1 (C.S.C.), au paragraphe 110, la Cour suprême du Canada a affirmé que cette clause permet à un demandeur d'«établir que l'association avec le groupe terroriste qu'on lui reproche avait un caractère innocent» et conclu que la division 19(1)f)(iii)(B) ne viole pas les alinéas 2b) ou 2d) de la Charte.

[31]Le second élément du critère de l'irrecevabilité pour identité des questions en litige n'est pas satisfait parce que les décisions relatives aux instances antérieures n'étaient pas des décisions finales sur la non-admissibilité. Cette question a été abordée précédemment lorsqu'il a été décidé que l'irrecevabilité pour identité des causes d'action ne s'appliquait pas. Comme le critère en trois volets n'est pas satisfait, l'arbitre n'a pas commis d'erreur en rejetant la défense d'irrecevabilité pour identité des questions en litige du demandeur.

c)     Application de l'article 34

[32]Même s'il s'agissait d'un cas de chose jugée, l'article 34 de la Loi sur l'immigration écarte le principe de l'autorité de la chose jugée à l'égard des mesures prises en vertu de l'article 27 de la Loi. Voir Rabbat c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 46 (1re inst.); Cortez c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 74 F.T.R. 9 (C.F. 1re inst.); Halm c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] 1 C.F. 547 (1re inst.); et Yousif c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 167 F.T.R. 85 (C.F. 1re inst.).

[33]L'avocat du demandeur fait valoir que la Cour ne devrait pas appliquer l'article 34 parce que le nouveau rapport, quoique établi en vertu d'un article différent de la Loi, s'appuie sur le même ensemble de faits que les rapports à l'origine des instances antérieures. Il prétend que, dans les décisions précédentes touchant l'article 34, la Cour était aux prises avec soit un vice dans la première instance, soit une seconde enquête fondée sur un ensemble différent de faits, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

[34]La Cour a déjà décidé que l'article 34 s'applique aux procédures entamées en vertu d'un motif de non-admissibilité différent mais fondées sur le même ensemble de faits (voir la décision Cortez précitée). Les faits en l'espèce sont extrêmement similaires à ceux de l'affaire Cortez. Un rapport avait été produit en vertu de l'article 27, après la condamnation du demandeur pour conduite avec facultés affaiblies. Ce rapport était fondé sur la non-admissibilité par application des sous-alinéas 19(2)a)(i) et (ii), tels qu'ils étaient rédigés avant le 1er février 1993. L'arbitre avait conclu que l'allégation n'était pas valide parce que les sous-alinéas 19(2)a)(i) et (ii) établissaient à l'endroit du demandeur une distinction fondée sur l'âge, comme dans l'affaire Ruparel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 615 (1re inst.). Après l'entrée en vigueur des modifications, un nouveau rapport avait été produit en application de l'article 27, alléguant que le demandeur appartenait à une catégorie de personnes non admissibles en vertu du nouvel alinéa 19(2)a) au regard du même ensemble de faits. M. le juge Rouleau a conclu, à la page 13, que l'enquête pouvait se poursuivre parce que «l'article 34 exclut l'application du principe de l'autorité de la chose jugée dans le contexte précis de l'article 27 de la Loi».

[35]La présente affaire porte également sur une enquête fondée sur une nouvelle disposition de la Loi qui n'était pas en vigueur à l'époque de l'infraction et sur le même ensemble de faits que ceux allégués dans une enquête antérieure où la disposition en question a été jugée inconstitutionnelle. La Cour adopte le raisonnement du juge Rouleau et conclut que l'article 34 exclut l'application du principe de l'autorité de la chose jugée. L'arbitre n'a donc pas fait erreur en rejetant les défenses de res judicata et d'irrecevabilité pour identité des questions en litige du demandeur.

2.     Abus de procédure

Cinq facteurs

[36]Le demandeur soutient que l'arbitre a fait erreur en n'appliquant pas la doctrine d'abus de procédure de la common law pour suspendre l'instance. Il prétend que l'abus de procédure repose sur cinq facteurs:

1. l'enquête actuelle est fondée sur les mêmes faits que ceux des instances antérieures, à la seule différence que le paragraphe de la Loi n'est pas le même.

2. le ministre a choisi d'intenter en 1997 des procédures fondées sur la Loi en vigueur avant le 1er février 1993. La nouvelle enquête fondée sur les dispositions modifiées de la Loi, qu'il entreprend maintenant, constitue un abus de procédure, car il aurait pu faire ce choix en 1997.

3. le demandeur a déjà fait l'objet de deux procès sur la question et lui faire subir un autre procès est abusif.

4. les procédures traînent en longueur.

5. Bien que les allégations puissent paraître graves, après un examen objectif des faits, elles ne sont pas aussi graves qu'elles semblent l'être.

Le critère

[37]La Cour suprême du Canada a reconnu qu'il existe en common law un principe d'abus de procédure pouvant être invoqué pour demander la suspension d'une procédure administrative lorsque l'autorisation de continuer cette procédure serait abusive: voir Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.S.C. 307, aux paragraphes 116 et 117. Dans cet arrêt, M. le juge LeBel, dissident en partie, a expliqué le critère applicable en cas d'abus de procédure en droit administratif. Il a écrit au paragraphe 144 de la décision:

Lorsque nous nous demandons s'il y a eu abus de procédure selon le droit administratif, nous nous posons la même question fondamentale: un organisme administratif a-t-il traité des gens excessivement mal?

Après avoir examiné les cinq facteurs énumérés par le demandeur dans leur ensemble, la Cour conclut que M. Al Yamani n'a pas été traité «excessivement mal» et qu'il n'y a aucun abus de procédure.

Facteur 1

[38]En ce qui a trait au premier facteur énuméré par le demandeur, la Cour a décidé précédemment que le ministre a le droit de lancer une nouvelle enquête fondée sur les mêmes faits que ceux des instances antérieures, mais en application d'un paragraphe différent de la Loi.

Facteur 2

[39]Le deuxième facteur énoncé par le demandeur concerne la décision du ministre de procéder sur le fondement des dispositions en vigueur après les modifications, ce qu'il n'a pas fait en 1997. La Cour ne croit pas que le ministre ait fait, en 1997, un choix qui liait contestation sur le fondement des moyens de non-admissibilité existant avant les modifications et qui l'empêche maintenant d'invoquer la division 19(1)f)(iii)(B). Après la décision Al Yamani (no 2), l'affaire a été renvoyée au CSARS et l'audition a été recommencée. Le CSARS a encore procédé en tenant compte du rapport du ministre daté du 29 mai 1992. L'article 110 de la Loi modifiant la Loi sur l'immigration et d'autres lois en conséquence, précitée, prévoyait que les enquêtes ou audiences commencées en application de dispositions de la Loi sur l'immigration modifiées ou abrogées par les modifications étaient tenues, et les décisions auxquelles elles donnaient lieu étaient rendues, comme si ces dispositions n'avaient pas été modifiées ou abrogées. Conformément à cette disposition transitoire, le ministre était tenu de procéder sur le fondement des motifs de non-admissibilité existant avant les modifications devant le CSARS en 1997.

[40]Par suite de l'affaire Al Yamani (no 3), le ministre n'a pas délivré d'attestation de sécurité fondée sur le rapport du 29 mai 1992. Le dossier a plutôt été envoyé à Immigration Canada et un nouveau rapport et une directive d'enquête, s'appuyant sur les dispositions en vigueur après les modifications, ont été produits. Comme l'enquête actuelle n'est pas fondée sur le rapport produit avant les modifications, le ministre n'est pas tenu de continuer d'appliquer les dispositions en vigueur avant les modifications au cas de M. Al Yamani, comme l'article 110 le prévoit.

[41]Le ministre n'a pas non plus fait d'abus de procédure en ne soulevant pas, en 1997, les moyens de non-admissibilité en vigueur après les modifications. Dans la décision Halm, précitée, le demandeur a également allégué l'abus de procédure parce que le ministre se livrait à du «blocage» en avançant seulement certains moyens de non-admissibilité après l'annulation d'une ordonnance d'expulsion fondée sur des moyens invoqués antérieurement. M. le juge Rothstein a fait référence au champ d'application de l'article 34 en autorisant le ministre à entreprendre de nouvelles enquêtes et il a donné l'explication suivante à la page 570:

L'avocat du requérant soutient néanmoins que l'article 34 ne permet pas la tenue d'une seconde enquête lorsque les motifs justifiant la tenue de cette enquête étaient connus et qu'ils auraient pu être invoqués lors de la première enquête. Je ne vois cependant rien qui permette de conclure que l'article 34 ne s'applique pas en l'espèce. Cet article est libellé en termes généraux. Logiquement, l'argument du requérant signifie que, s'il existe des motifs d'expulsion qui sont connus mais qui ne sont pas invoqués par le ministre lors d'une enquête, l'article 34 ne permet pas de procéder à une autre enquête, et le Canada perd son droit d'expulser un étranger indésirable. Même l'avocat du requérant ne préconise pas un tel résultat.

En vertu de la Loi, le ministre peut se livrer à du «blocage» et il n'était pas tenu d'invoquer les moyens de non-admissibilité en vigueur après les modifications en 1997.

Facteurs 3 et 4

[42]Les troisième et quatrième facteurs énoncés par le demandeur, à savoir que la tenue d'une autre enquête était abusive et que les procédures traînaient en longueur, ne donnent pas lieu à un abus de procédure. Même si la durée et le nombre des procédures dans la présente affaire préoccupent la Cour, rien ne prouve que cette situation est attribuable à une période d'inactivité prolongée du défendeur. Le demandeur n'a pas non plus allégué que le défendeur agissait pour un motif inacceptable en commençant une autre enquête. Si les procédures durent depuis plus de 10 ans, c'est principalement parce que le demandeur a su utiliser avec succès les recours judiciaires dont il disposait. En lançant une nouvelle enquête, le ministre s'est consciencieusement conformé aux ordonnances précédentes de la Cour et il a agi dans les limites du pouvoir qui lui a été conféré par la Loi. Le délai, dans les circonstances, n'est pas un motif suffisant pour amener la Cour à conclure qu'il y a eu abus de procédure: voir Estrada c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1987), 8 F.T.R. 317 (C.F. 1re inst.), et la décision Yousif, précitée.

Facteur 5

[43]Même si, pris individuellement, les quatre facteurs précédents ne donnent pas lieu à de l'abus de procédure, la Cour reconnaît qu'ils doivent être considérés dans leur ensemble et conjointement avec la gravité des allégations à l'endroit du demandeur. La Cour suprême du Canada dans R. c. Keyowski, [1988] 1 R.C.S. 657 a établi que la gravité du crime allégué était un facteur devant être pris en considération pour trancher la question de l'abus de procédure dans un contexte de droit criminel. Dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, aux paragraphes 92 et 93, la Cour suprême du Canada devait décider si la suspension de l'instance était un recours approprié dans le cas d'une atteinte à l'indépendance judiciaire. En exposant les facteurs appropriés à prendre en considération pour autoriser une suspension de l'instance, la Cour a reconnu ce qui suit:

[. . .] qu'il peut y avoir des cas où il sera approprié de mettre en balance les intérêts que servirait la suspension des procédures et l'intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond. Naturellement, cela ne signifie pas qu'une préoccupation publique passagère puisse jamais l'emporter sur un acte apparenté à une conduite répréhensible grave. Au contraire, ce facteur ne fait que reconnaître que, dans certains cas, lorsqu'il n'est pas sûr que l'abus justifie la suspension des procédures, l'intérêt irrésistible de la société à ce qu'il y ait un débat sur le fond pourrait faire pencher la balance en faveur de la poursuite des procédures.

La Cour a refusé d'accorder la suspension des procédures dans Tobiass. L'un des motifs qu'elle a donnés est expliqué dans les termes suivants au paragraphe 109:

[. . .] l'intérêt de la société à ce que soit rendu un jugement définitif sur le fond est évident. Il est impératif que la vérité se manifeste. S'il n'est pas prouvé que les appelants ont fait les choses qu'on leur reproche, ils garderont leur citoyenneté. Mais si les actes allégués sont établis, en tout ou en partie, les mesures appropriées devront être prises. Ce qui est en jeu ici, si peu que ce soit, c'est la réputation du Canada en tant que membre solidaire de la communauté internationale. À notre avis, cette préoccupation est de la plus haute importance.

Conformément à ces directives de la Cour suprême du Canada, notre Cour doit considérer la gravité de l'allégation à la lumière de la réputation du Canada en tant que membre solidaire de la communauté internationale.

[44]Bien que les facteurs énumérés par le demandeur soient probants lorsqu'on les considère dans leur ensemble, suivant l'avis exprimé par la Cour suprême dans l'arrêt Tobiass, au paragraphe 107, l'intérêt qu'a la société à voir cette affaire aboutir «l'emporte sur la suspension des procédures». Le rapport du CSARS de 1997 mentionnait que le demandeur avait participé aux activités terroristes du FPLP, notamment l'attentat à la bombe contre un bureau d'Air Egypt en 1977 et que le FPLP était prêt à commettre des actes de violence au Canada si cela était nécessaire pour parvenir à ses fins. Si ces allégations s'avèrent exactes, elles constitueront des crimes d'une grave nature et des mesures appropriées devront être prises. Comme la Cour suprême du Canada l'a affirmé au paragraphe 3 de l'arrêt Suresh, précité, le terrorisme est un «fléau manifeste» et «[p]our exprimer la volonté des citoyens, les gouvernements ont besoin des outils juridiques propres à leur permettre de relever efficacement ce défi». Par ailleurs, si le demandeur n'a pas pris part aux activités de l'aile terroriste du FPLP, il aura la chance de démontrer à l'enquête qu'il est une personne dont l'admission «ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national» conformément à l'alinéa 19(1)f). S'il réussit à faire cette preuve, il conservera son statut de résident permanent.

[45]La Cour est d'avis que l'affaire devrait être autorisée à passer à l'étape de l'enquête. Il n'y a eu en l'espèce aucun abus de procédure. Le ministre s'est consciencieusement conformé aux dispositions de la Loi et aux ordonnances de la Cour dans Al Yamani (no 2) et Al Yamani (no 3) en lançant la nouvelle enquête.

3. Rétroactivité

[46]Le demandeur fait valoir que l'arbitre a commis une erreur de droit en concluant que les dispositions modifiées de la Loi (en date du 1er février 1993) s'appliquent à M. Al Yamani même si elles sont entrées en vigueur après son établissement à titre de résident permanent au Canada en 1985 et après la rupture de ses liens avec le FPLP en 1992.

[47]Mme le juge L'Heureux-Dubé, s'exprimant au nom de la Cour dans l'arrêt Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301, a réitéré le principe fondamental de l'interprétation des lois qui veut qu'en cas de confusion quant au sens d'une loi, celle-ci ne devrait pas être interprétée de manière à avoir un effet rétroactif. Toutefois, aux pages 317 à 319 de la décision, elle a affirmé que la présomption de non-rétroactivité ne s'applique pas si le but de la loi n'est pas de punir la personne en question mais de protéger le public. L'interprétation correcte à donner est qu'une loi n'a pas d'effet rétroactif si son but réel est prospectif et qu'elle vise à protéger le public dans l'avenir. Elle a dit à la page 320:

Elmer Driedger résume la question dans "Statutes: Retroactive, Retrospective Reflections" (1978), 56 R. du B. can. 264, à la p. 275:

[traduction] Finalement, il faut se tourner vers l'objet de la loi. Si l'intention est de punir ou de pénaliser une personne pour ce qu'elle a fait, la présomption joue, parce qu'une nouvelle conséquence se rattache à un événement antérieur. Toutefois, si la nouvelle punition ou peine est destinée à protéger le public, la présomption ne joue pas.

Une loi n'est pas non plus rétroactive simplement parce qu'elle anéantit des droits acquis tout en protégeant le public (voir E. A. Driedger, The Composition of Legislation. Legislative Forms and Precedents 2e éd. (Ottawa: ministère de la Justice, 1976), à la page 112). Même si, selon la règle générale, la Cour tentera de donner une interprétation qui porte le moins possible atteinte aux droits acquis, si la loi est claire et non ambiguë, elle s'appliquera suivant ses termes que les droits acquis soient touchés de manière préjudiciable ou non. (Voir Driedger, précité, à la page 107).

[48]Tel qu'il a été mentionné précédemment, ces dispositions visent à protéger le public dans l'avenir. En prévoyant qu'un résident permanent, comme M. Al Yamani, peut faire l'objet d'un rapport s'il appartient à une catégorie de personnes non admissibles visées à l'alinéa 27(1)a), qui intègre la nouvelle division 19(1)f)(iii)(B), à savoir «celles [les personnes] dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles [. . .] sont ou ont été membres d'une organisation [. . .] [qui] se livre ou s'est livrée [. . .] à des actes de terrorisme», la loi fait en sorte que le Canada protège le public des actes de terrorisme.

[49]Ni l'alinéa 27(1)a) ni la division 19(1)f)(iii)(B) ne s'appliquent de façon rétroactive. Le fait d'adopter une règle qui, dorénavant, exclurait des personnes du Canada en raison de leur conduite dans le passé ne signifie pas que la loi est appliquée rétroactivement: voir Rudolph c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 653 (C.A.), aux pages 657 et 658. M. le juge MacKay a appliqué ce principe dans McAllister c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] 2 C.F. 190 (1re inst.), au paragraphe 52, et conclu que la division 19(1)f)(iii)(B) n'a pas d'effet rétroactif lorsqu'elle est appliquée à des revendicateurs du statut de réfugié. De la même manière, la Cour conclut que la division 19(1)f)(iii)(B) n'a pas d'effet rétroactif lorsqu'elle est appliquée à des résidents permanents.

[50]La véritable question est de savoir si le droit acquis du demandeur de demeurer au Canada à titre de résident permanent peut être aboli pour des événements qui se sont produits avant l'entrée en vigueur des dispositions. Le libellé des dispositions pertinentes de la Loi est clair et sans ambiguïté. Lorsque l'alinéa 27(1)a) est lu conjointement avec la division 19(1)f)(iii)(B), leur libellé révèle que ces dispositions visent à couvrir les événements survenus avant leur entrée en vigueur. L'alinéa 27(1)a) est rédigé comme suit:

27. (1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas:

a) appartient à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c.2), d), e), f), g), k) ou l); [Non souligné dans l'original.]

L'alinéa 27(1)a) établit qu'un résident permanent peut faire l'objet d'un rapport s'il appartient actuellement à une catégorie de personnes non admissibles visées à la division 19(1)f)(iii)(B), qui est rédigée comme suit:

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible:

[. . .]

f) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles:

[. . .]

(iii) soit sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée:

[. . .]

(B) soit à des actes de terrorisme,

le présent alinéa ne visant toutefois pas les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national; [non souligné dans l'original.]

Les mots «soit sont ou ont été membres» indiquent que la personne en question appartient maintenant à une catégorie de personnes non admissibles visées à la division 19(1)f)(iii)(B) si à un moment ou un autre de sa vie elle a été membre d'une organisation terroriste. Il n'est pas nécessaire que la personne ait été membre de l'organisation à un certain moment après l'entrée en vigueur de cette disposition. Ces dispositions ont pour effet de retirer au demandeur son droit acquis d'être résident permanent au Canada. Par conséquent, le fait que le demandeur ait rompu les liens avec le FPLP avant l'entrée en vigueur des modifications n'est pas pertinent. La décision Cortez, précitée, présente une situation similaire touchant le paragraphe 19(2).

[51]Le demandeur a fait valoir que cette interprétation des articles 19 et 27 signifie qu'un demandeur pourrait se voir accorder le statut de résident permanent un jour seulement pour se le voir retirer un autre jour par une modification apportée aux lois de l'immigration. La Cour reconnaît que cela est possible. Néanmoins, compte tenu du fait que les résidents permanents ne jouissent pas d'un droit absolu de demeurer au Canada, le législateur fédéral a la prérogative d'adopter une politique d'immigration prescrivant les conditions auxquelles ceux-ci doivent satisfaire pour demeurer au Canada (voir Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711. Il n'échoit pas à la Cour de contester la décision du législateur de créer des nouveaux motifs de non-admissibilité qui peuvent avoir pour conséquence le renvoi de personnes ayant précédemment obtenu le statut de résident permanent dans ce pays.

[52]Par conséquent, l'arbitre a correctement interprété et appliqué les règles d'interprétation des lois quant à la rétroactivité.

DISPOSITIF

[53]Pour les motifs susmentionnés, la Cour rejette la présente demande et ordonne qu'il soit procédé à l'enquête. Les avocats disposent d'un délai de 10 jours pour proposer des questions graves de portée générale pour la certification. Par la suite, ils auront un autre délai de dix jours pour déposer leurs arguments en réponse aux questions proposées.

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