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A-462-01

2002 CAF 384

Rémy Cartier (appelant)

c.

Procureur général du Canada (intimé)

Répertorié: Cartier c. Canada (Procureur général) (C.A.)

Cour d'appel, juges Décary, Létourneau et Pelletier, J.C.A.--Montréal, 16 septembre; Ottawa, 10 octobre 2002.

Libération conditionnelle -- Libération d'office -- Mise en liberté refusée au motif que la Commission était convaincue que l'appelant commettrait, avant l'expiration légale de sa peine, une infraction entraînant un dommage grave à une autre personne -- La norme de contrôle guidant la Section d'appel de la Commission est celle de la raisonnabilité -- Interprétation de l'art. 130(3)c) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition -- La protection de la société est le critère déterminant -- La décision de la Commission est raisonnable, inattaquable -- Les facteurs énoncés à l'art. 132(1)a), b), c) et d) de la Loi ne sont pas cumulatifs, bien que la Commission doive aborder chacun des facteurs qui y sont mentionnés.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Libération d'office refusée au motif que la Commission nationale des libérations conditionnelles était convaincue que l'appelant commettrait, avant l'expiration légale de sa peine, une infraction entraînant un dommage grave à une autre personne -- La norme de contrôle guidant la Section d'appel de la Commission est celle de la raisonnabilité -- Il est permis au juge de ne pas tenir compte d'une erreur de droit quand elle n'est pas déterminante ou quand il est convaincu que si le bon critère avait été appliqué, on en serait venu à la même conclusion -- Il était raisonnable pour la Commission d'être convaincue, après avoir jaugé tous les facteurs pertinents, que l'appelant commettrait un délit de violence causant un dommage grave à la victime.

Interprétation des lois -- Interprétation de l'art. 130(3)c) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition -- Libération d'office -- Mise en liberté refusée au motif que la Commission était convaincue que l'appelant commettrait, avant l'expiration légale de sa peine, une infraction entraînant un dommage grave à une autre personne -- Principes d'interprétation des lois bilingues -- Version anglaise préférée.

Avant la date de la libération d'office de l'appelant, la Commission nationale des libérations conditionnelles a examiné le dossier de l'appelant et a ordonné son maintien en incarcération jusqu'à l'expiration légale de sa peine. La Commission s'est dite convaincue que si l'appelant était libéré, il commettrait, avant l'expiration légale de sa peine, une infraction entraînant un dommage grave à une autre personne. La Section d'appel a rejeté l'appel de cette décision et le juge des requêtes a rejeté la demande de contrôle judiciaire de cette décision, adjugeant par erreur les dépens à l'intimé qui y avait expressément renoncé. Il s'agissait d'un appel de la décision du juge des requêtes. L'appelant reprochait au juge des requêtes d'avoir confondu les concepts de libération conditionnelle et de libération d'office; de s'être mépris sur le degré de conviction que devait atteindre la Commission dans son évaluation du risque; de n'avoir tenu compte que des facteurs défavorables au délinquant; et de n'être pas intervenu alors que la décision de la Commission était, selon lui, manifestement déraisonnable.

Arrêt: l'appel doit être accueilli seulement pour la correction de l'erreur relative à l'adjudication des dépens à l'intimé.

L'alinéa 147(5)a) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) exige que la section d'appel soit convaincue, avant de rendre une décision qui entraînerait la libération immédiate d'un délinquant, que la décision visée par l'appel ne pouvait raisonnablement être fondée en droit. Le législateur, encore que maladroitement, n'a fait que s'assurer que la Section d'appel, qu'elle confirme ou renverse une décision de la Commission, soit en tout temps guidée par la norme de la raisonnabilité. Le juge est théoriquement saisi d'une demande de contrôle judiciaire relative à la décision de la Section d'appel, mais lorsque celle-ci confirme la décision de la Commission, il est en réalité appelé à s'assurer, ultimement, de la légalité de cette dernière.

La comparaison que fait l'appelant entre un privilège (libération conditionnelle) et un droit (libération d'office) n'était pas très utile, puisque le droit à la libération d'office est susceptible d'être retiré par la Commission avant qu'il ne soit exercé. Il s'agit en ce sens d'un droit aléatoire, d'un droit qui n'est pas véritablement garanti. Par ailleurs, qu'il s'agisse de libération conditionnelle ou de libération d'office, quand vient le temps pour la Commission d'exercer son pouvoir discrétionnaire, c'est l'intérêt primordial de la société qui doit l'emporter sur l'intérêt du délinquant.

La Section d'appel peut s'être méprise sur le degré de «conviction» que devait atteindre la Commission dans son évaluation du risque. L'article 101 de la LSCMLC énonce les principes devant guider la Commission dans l'exécution de son mandat. Dans l'alinéa 101a), le législateur a eu l'intention de faire du critère de «la protection de la société» le critère «déterminant». À première vue, les mots «convaincue [. . .] qu'il commettra» dans la version française de l'article 130 de la Loi semblent exiger un degré de certitude plus élevé que celui qu'exigent les mots «satisfied that the offender is likely . . . to commit». Toutefois, les mots «qu'il commettra» sont moins percutants lorsque pris en contexte que lorsque pris isolément. Par ailleurs, l'emploi constant, dans le texte anglais, qu'il s'agisse de l'étude du cas par le Service en vertu de l'article 129 ou de l'examen du cas par la Commission en vertu de l'article 130, de l'expression «likely» ou «likelihood» conduit à la conclusion que c'est cette expression qui traduit le mieux l'intention du législateur. Il faut favoriser le sens qui se dégage du texte anglais, dont les termes sont constants, plutôt que celui, s'il en est un, qui se dégagerait du texte français, dont les termes sont inconsistants et contiennent à la limite des nuances qui en rendraient l'application difficile, sinon impossible. La version anglaise est claire, la version française ambiguë. La version anglaise a un sens restreint, qui peut comprendre le sens de la version française; la version française a un sens plus large, qui ne permet pas le sens de la version anglaise. Le sens commun aux deux versions est celui de la version anglaise. Toutefois, la Section d'appel a par erreur utilisé l'expression «convaincue qu'il y avait des motifs raisonnables de croire», soit les termes du paragraphe 129(2). Bien que le juge des requêtes ait interprété cela comme une mauvaise transcription des motifs de la Commission, on a tenu pour acquis, pour les fins du débat, que la Section d'appel avait appliqué le mauvais critère. De toute manière, il doit être permis à un juge de ne pas tenir compte d'une erreur de droit quand elle n'est pas déterminante ou quand il est convaincu que si le tribunal avait adopté le bon critère, il en serait venu à la même conclusion. Si le juge conclut que la légalité de la décision de la Commission est inattaquable, il serait futile de casser la décision de la Section d'appel pour cause d'erreur de droit et de lui retourner l'affaire pour nouvelle détermination, puisque la Section d'appel en arriverait alors, inéluctablement, à la même conclusion, mais cette fois pour de bons motifs.

La Commission avait des motifs sérieux pour conclure à la probabilité du risque et la Section d'appel, eût-elle appliqué le bon critère, n'aurait pu que rejeter l'appel tant la conclusion de la Commission était raisonnable, donc inattaquable. Puisque la Cour était autorisée à rendre le jugement que le juge des requêtes aurait dû rendre, la Cour était d'avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire pour le motif que l'erreur de droit commise par la Section d'appel n'est pas déterminante et ne vicie d'aucune manière la décision de la Commission.

En ce qui a trait aux facteurs à examiner, la Section d'appel a correctement statué que «les facteurs énumérés à l'article 132(1), paragraphes a), b), c) et d) de la Loi ne sont pas cumulatifs, bien que la Commission doive s'adresser à chacun des facteurs mentionnés audit article de la Loi». Cela décrit correctement ce que dit le paragraphe 132(1) et ce qu'a fait la Commission. Il se peut, par conséquent, que, dans un cas donné, la Commission conclue à la probabilité qu'une infraction soit commise même si elle est d'avis que l'un ou l'autre ou plusieurs ou même une majorité des facteurs sont favorables au délinquant.

En ce qui a trait au dernier argument selon lequel le juge des requêtes aurait dû conclure que la Section d'appel avait erré en ne qualifiant pas de manifestement déraisonnable la décision de la Commission, la norme applicable est celle de la raisonnabilité, une norme plus avantageuse pour le délinquant. Dans les circonstances, il était raisonnable pour la Commission de se dire convaincue, après avoir jaugé tous les facteurs qu'elle avait jugés pertinents, que l'appelant commettrait un délit de violence causant un dommage grave à la victime. Ni la Section d'appel ni le juge des requêtes n'ont erré en refusant d'intervenir.

L'appel devrait être accueilli, mais aux seules fins de radier de l'ordonnance du juge des requêtes les mots «avec dépens».

loi et règlements

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 100, 101, 127 (mod. par L.C. 1995, ch. 42, art. 41), 129(3) (mod., idem, art. 44), (10) (mod., idem), 130(3) (mod., idem, art. 45; 1998, ch. 35, art. 118), 132(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 42, art. 47), 146, 147(1), (4), (5).

jurisprudence

décisions appliquées:

Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; (1979), 105 D.L.R. (3d) 745; 50 C.C.C. (2d) 495; 16 C.R. (3d) 294; 30 N.R. 380; Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75; [1996] 3 W.W.R. 305; (1996), 70 B.C.A.C. 1; 45 C.R. (4th) 265; 115 W.A.C. 1; Schreiber c. Canada (Procureur général) (2002), 216 D.L.R (4th) 513; 167 C.C.C. (3d) 51; 22 C.P.C. (5th) 207; 292 N.R. 250; 164 O.A.C. 354 (C.S.C.); Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3; (1995), 122 D.L.R. (4th) 129; 26 Admin. L.R. (2d) 1; [1995] 2 C.N.L.R. 92; 177 N.R. 325; Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202; (1994), 115 Nfld. & P.E.I.R. 334; 111 D.L.R. (4th) 1; 360 A.P.R. 334; 21 Admin. L.R. (2d) 248; 163 N.R. 27; Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 135; 172 N.R. 308 (C.A.F.); Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 288 N.R. 48 (C.A.F.); Wihksne c. Canada (Procureur général) (2002), 20 C.C.E.L. (3d) 20 (C.A.F.); Rafuse c. Canada (Commission d'appel des pensions) (2002), 286 N.R. 385 (C.A.F.).

décisions citées:

Salariés de New Carlisle, Local 610 c. Radio CHNC Ltée (1985), 86 CLLC 16,009; 12 C.L.R.B. (N.S.) 112; 63 di 26 (C.C.R.T.); Re CC Chemicals Ltd., [1967] 2 O.R. 248; (1967), 63 D.L.R. (2d) 203; 52 C.P.R. 97 (C.A.); Sayle v. Jevco Insurance Co. (1985), 16 C.C.L.I. 309 (C.A.C.-B.); Magen David Adom canadien pour Israël c. M.R.N., 2002 CAF 323; [2002] A.C.F. no 1260 (C.A.) (QL).

doctrine

Black's Law Dictionary, 6th ed. St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1990, «satisfy».

Oxford English Dictionary, 2nd ed. Oxford: Clarendon Press, 1989, «likely», «satisfied».

Wade, H. W. R. Administrative Law, 6th ed. Oxford: Clarendon Press, 1988.

APPEL d'une décision de la Section de première instance (Cartier c. Canada (Procureur général) (2001), 208 F.T.R. 138) rejetant, avec dépens, une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles qui avait rejeté un appel d'une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles qui avait refusé d'accorder à l'appelant sa libération d'office. Appel accueilli seulement pour la correction de l'erreur relative à l'adjudication des dépens à l'intimé.

ont comparu:

Daniel Royer pour l'appelant.

Nadia Hudon pour l'intimé.

avocats inscrits au dossier:

Labelle, Boudrault, Côté & Associés, Montréal, pour l'appelant.

Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimé.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[1]Le juge Décary, J.C.A.: L'appelant purge depuis le 16 janvier 1990 une peine de 15 ans d'incarcération pour homicide involontaire. Conformément au calcul effectué en vertu de l'article 127 [mod. par L.C. 1995, ch. 42, art. 41] de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi), la date de libération d'office de l'appelant a été fixée au 13 février 2000. Toutefois, à la suite de l'examen du cas de l'appelant en prévision de sa libération d'office, la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission) ordonne le 12 janvier 2000 son maintien en incarcération et interdit sa mise en liberté avant l'expiration légale de sa peine, soit le 30 janvier 2005. La Commission s'est dite convaincue, en fin d'analyse, que si l'appelant était libéré, il commettrait, avant l'expiration légale de sa peine, une infraction entraînant un dommage grave à une autre personne.

[2]Le 8 mars 2000, l'appelant porte cette décision en appel devant la Section d'appel établie en vertu de l'article 146 de la Loi. Le 16 juin 2000, la Section d'appel rejette l'appel, se disant d'avis, en conclusion:

[. . .] que la décision rendue le 12 janvier 2000 est juste et raisonnable, qu'elle s'appuie sur de l'information pertinente, crédible et adéquate, qu'elle est conforme à la Loi et aux politiques de la Commission concernant l'interdiction de mise en liberté, et que la décision a été rendue dans le respect des principes de justice fondamentale.

[3]L'appelant dépose alors une demande de contrôle judiciaire, que rejette le juge Nadon, siégeant alors en Section de première instance ((2001), 208 F.T.R. 138). Dans son ordonnance, le juge Nadon a adjugé les dépens à l'intimé. Les parties conviennent qu'il y a eu méprise à cet égard puisque l'intimé avait expressément renoncé aux dépens lors de l'audience. L'appel devra donc être accueilli à tout le moins pour corriger cette erreur.

[4]L'appelant reproche essentiellement au juge Nadon 1) d'avoir confondu les concepts de libération conditionnelle et de libération d'office; 2) de s'être mépris sur le degré de «conviction» que devait atteindre la Commission dans son évaluation du risque; 3) de n'avoir tenu compte que des facteurs défavorables au délinquant; et 4) de n'être pas intervenu alors que la décision de la Commission était, selon lui, manifestement déraisonnable.

[5]Il sera utile, à ce stade, de reproduire certaines dispositions de la Loi [art. 129(3) (mod., par L.C. 1995, ch. 42, art. 44), a), b) (mod., idem), 130(3) (mod.,idem, art. 45; 1998, ch. 35, art. 118), 132(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 42, art. 47)]:

100. La mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d'une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois.

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l'exécution de leur mandat par les principes qui suivent:

a) la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas;

[. . .]

d) le règlement des cas doit, compte tenu de la protection de la société, être le moins restrictif possible;

[. . .]

127. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l'individu condamné ou transféré au pénitencier a le droit d'être mis en liberté à la date fixée conformément au présent article et de le demeurer jusqu'à l'expiration légale de sa peine.

[. . .]

129. [. . .]

(3) S'il a des motifs raisonnables de croire qu'un délinquant condamné à une peine d'au moins deux ans commettra, s'il est mis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, soit une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne, soit une infraction d'ordre sexuel à l'égard d'un enfant, soit une infraction grave en matière de drogue, le commissaire défère le cas au président de la Commission--et lui transmet tous les renseignements qui sont en la possession du Service et qui, à son avis, sont pertinents--le plus tôt possible après en être arrivé à cette conclusion et au plus tard six mois avant la date prévue pour la libération d'office; il peut cependant le faire moins de six mois avant cette date dans les cas suivants:

a) sa conclusion se fonde sur la conduite du délinquant ou sur des renseignements obtenus pendant ces six mois;

b) la date prévue pour la libération d'office du délinquant est, en raison de tout nouveau calcul de la durée de sa peine prévu à la présente loi, déjà passée ou tombe dans cette période de six mois.

[. . .]

130. [. . .]

(3) Au terme de l'examen, la Commission peut, par ordonnance, interdire la mise en liberté du délinquant avant l'expiration légale de sa peine autrement qu'en conformité avec le paragraphe (5) si elle est convaincue:

a) dans le cas où la peine d'emprisonnement comprend une peine infligée pour une infraction visée à l'annexe I, ou qui y est mentionnée et qui est punissable en vertu de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale, que le délinquant commettra, s'il est mis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, soit une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne, soit une infraction d'ordre sexuel à l'égard d'un enfant;

[. . .]

132. (1) Le Service et le commissaire, dans le cadre des examens et renvois prévus à l'article 129, ainsi que la Commission, pour décider de l'ordonnance à rendre en vertu de l'article 130 ou 131, prennent en compte tous les facteurs utiles pour évaluer le risque que le délinquant commette, avant l'expiration légale de sa peine, une infraction de nature à causer la mort ou un dommage grave à une autre personne, notamment:

a) un comportement violent persistant, attesté par divers éléments, en particulier:

(i) le nombre d'infractions antérieures ayant causé un dommage corporel ou moral,

(ii) la gravité de l'infraction pour laquelle le délinquant purge une peine d'emprisonnement,

(iii) l'existence de renseignements sûrs établissant que le délinquant a eu des difficultés à maîtriser ses impulsions violentes ou sexuelles au point de mettre en danger la sécurité d'autrui,

(iv) l'utilisation d'armes lors de la perpétration des infractions,

(v) les menaces explicites de recours à la violence,

(vi) le degré de brutalité dans la perpétration des infractions,

(vii) un degré élevé d'indifférence quant aux conséquences de ses actes sur autrui;

b) les rapports de médecins, de psychiatres ou de psychologues indiquant que, par suite d'une maladie physique ou mentale ou de troubles mentaux, il présente un tel risque;

c) l'existence de renseignements sûrs obligeant à conclure qu'il projette de commettre, avant l'expiration légale de sa peine, une infraction de nature à causer la mort ou un dommage grave à une autre personne;

d) l'existence de programmes de surveillance de nature à protéger suffisamment le public contre le risque que présenterait le délinquant jusqu'à l'expiration légale de sa peine.

[. . .]

147. (1) Le délinquant visé par une décision de la Commission peut interjeter appel auprès de la Section d'appel pour l'un ou plusieurs des motifs suivants:

a) la Commission a violé un principe de justice fondamentale;

b) elle a commis une erreur de droit en rendant sa décision;

c) elle a contrevenu aux directives établies aux termes du paragraphe 151(2) ou ne les a pas appliquées;

d) elle a fondé sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets;

e) elle a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou omis de l'exercer.

[. . .]

(4) Au terme de la révision, la Section d'appel peut rendre l'une des décisions suivantes:

a) confirmer la décision visée par l'appel;

b) confirmer la décision visée par l'appel, mais ordonner un réexamen du cas avant la date normalement prévue pour le prochain examen;

c) ordonner un réexamen du cas et ordonner que la décision reste en vigueur malgré la tenue du nouvel examen;

d) infirmer ou modifier la décision visée par l'appel.

(5) Si sa décision entraîne la libération immédiate du délinquant, la Section d'appel doit être convaincue, à la fois, que:

a) la décision visée par l'appel ne pouvait raisonnablement être fondée en droit, en vertu d'une politique de la Commission ou sur les renseignements dont celle-ci disposait au moment de l'examen du cas;

b) le retard apporté à la libération du délinquant serait inéquitable.

La norme de contrôle

[6]La Section d'appel est une créature hybride. Elle entend l'«appel» du délinquant et l'alinéa 147(4)d) lui permet d'infirmer ou de modifier la décision qu'a rendue la Commission à l'encontre de ce dernier. C'est là un pouvoir associé à un appel. Cependant, les motifs d'appel énumérés au paragraphe 147(1) sont essentiellement ceux associés au contrôle judiciaire et le paragraphe 147(4) emploie l'expression «au terme de la révision» (mon soulignement). Qui plus est, l'alinéa 147(5)a) vient réduire considérablement le pouvoir d'intervention de la Section d'appel, et du même coup renforcer considérablement le statut de la décision de la Commission, quand il exige de la Section d'appel qu'elle soit «convaincue», avant de rendre une décision «qui entraîne la libération immédiate du délinquant», que:

[. . .] la décision visée par l'appel ne pouvait raisonnablement être fondée en droit, en vertu d'une politique de la Commission ou sur les renseignements dont celle-ci disposait au moment de l'examen du cas.

[7]L'alinéa 147(5)a) est troublant, dans la mesure où il dicte une norme de contrôle qui ne s'applique, à toutes fins utiles, que lorsque la Section d'appel, en application de l'alinéa 147(4)d), infirme la décision de la Commission et permet la libération du délinquant. Quelle norme faut-il appliquer, comme en l'espèce, lorsque la Section d'appel confirme la décision de la Commission en application de l'alinéa 147(4)a)?

[8]L'alinéa 147(5)a) semble indiquer une intention du législateur de privilégier la décision de la Commission, bref de refuser la libération d'office dès que cette décision est raisonnablement fondée en droit et en fait. La Commission a droit à l'erreur, si cette erreur est raisonnable. La Section d'appel n'intervient que si l'erreur, de droit ou de fait, est déraisonnable. Je serais porté à croire qu'une erreur de droit de la Commission relativement à son degré de «conviction» quant à l'évaluation du risque d'une mise en liberté--une erreur qui est alléguée en l'espèce--serait une erreur déraisonnable par définition car elle touche la fonction même de la Commission.

[9]Si la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité lorsque la Section d'appel infirme la décision de la Commission, il me paraît improbable que le législateur ait voulu que la norme soit différente lorsque la Section d'appel confirme. Je crois que le législateur, encore que maladroitement, n'a fait que s'assurer à l'alinéa 147(5)a) que la Section d'appel soit en tout temps guidée par la norme de raisonnabilité.

[10]La situation inusitée dans laquelle se trouve la Section d'appel rend nécessaire une certaine prudence dans l'application des règles habituelles du droit administratif. Le juge est théoriquement saisi d'une demande de contrôle judiciaire relative à la décision de la Section d'appel, mais lorsque celle-ci confirme la décision de la Commission, il est en réalité appelé à s'assurer, ultimement, de la légalité de cette dernière.

Premier motif: libération conditionnelle et libération d'office

[11]Le procureur de l'appelant plaide que la libération conditionnelle est un privilège, alors que la libération d'office est un droit, et qu'il faut prendre garde d'appliquer à la seconde des principes dégagés par la jurisprudence à l'égard de la première.

[12]La libération d'office est un droit conféré par le paragraphe 127(1) «sous réserve des autres dispositions de la présente loi». Dans un cas comme celui de M. Cartier, l'article 129 impose au commissaire l'obligation, avant de permettre au délinquant d'exercer ce droit, de faire étudier le cas par le Service correctionnel du Canada, ce qui peut amener un renvoi à la Commission, laquelle pourra, après examen, «interdire la mise en liberté» (paragraphe 130(3)). Le droit à la libération d'office est donc un droit qui est susceptible d'être retiré par la Commission avant même qu'il ne soit exercé. Il s'agit en ce sens d'un droit aléatoire, d'un droit qui n'est pas véritablement garanti. La comparaison que fait l'appelant entre «privilège» et «droit» n'est pas très utile dans ce contexte.

[13]Par ailleurs, le Parlement a voulu que la libération conditionnelle et la libération d'office, où qu'elles se situent sur l'échelle droit-privilège, soient toutes deux régies par les mêmes principes directeurs énoncés aux articles 100 et 101. L'article 100 vise «la mise en liberté sous condition», une expression qui n'est pas définie mais qui ne peut s'entendre que des diverses formes de mise en liberté décrites dans la partie II de la Loi. Et l'article 101 vise de façon générale toute décision que prend la Commission. Aussi, qu'il s'agisse de libération conditionnelle ou de libération d'office, quand vient le temps pour la Commission d'exercer sa discrétion, c'est l'intérêt primordial de la société qui doit l'emporter sur l'intérêt du délinquant.

[14]Dans ses motifs, le juge de première instance a parfois utilisé l'expression «libération conditionnelle» alors qu'il traitait, plutôt, de libération d'office. C'est une erreur sans conséquence, qu'avait d'ailleurs commise devant lui le procureur d'alors de l'intimé, dans la mesure où il ressort de l'ensemble des motifs que le juge, s'il a confondu les termes, n'a aucunement confondu les concepts.

Second motif: le degré de «conviction»

[15]L'appelant prétend que tant la Section d'appel que le juge Nadon se sont mépris sur le degré de «conviction» que devait atteindre la Commission dans son évaluation du risque. La Section d'appel, notamment, aurait erré en employant les mots «convaincue qu'il y avait des motifs raisonnables de croire», alors que l'alinéa 130(3)c) de la Loi utilise les mots «convaincue [. . .] qu'il [le délinquant] commettra» (mes soulignements). Le juge Nadon aurait à son tour erré en référant, au paragraphe 30 de ses motifs, «à la conclusion qu'il existe un risque que le demandeur commette» [soulignement ajouté].

[16]Cet argument est intéressant de prime abord, mais il ne résiste pas à l'analyse dès lors qu'on tient compte du contexte et, notamment, du texte anglais de la Loi.

[17]Je mets à la suite les textes français et anglais de certaines dispositions:

129. [. . .]

(3) S'il a des motifs raisonnables de croire qu'un délinquant [. . .] commettra [. . .]

[. . .]

(10) [. . .] pour déterminer s'il existe des motifs raisonnables de croire que le délinquant commettra une infraction [. . .]

130. [. . .]

(3) [. . .] si elle est convaincue:

[. . .]

c) qu'il commettra [. . .]

[. . .]

132. (1) [. . .] prennent en compte tous les facteurs utiles pour évaluer le risque que le délinquant commette [. . .]

[18]Le procureur de l'appelant soutient que toute ambiguïté dans la Loi doit être résolue en faveur du délinquant et que le critère établi dans le texte français de l'article 130 («convaincue [. . .] qu'il commettra») est plus exigeant, donc plus favorable au délinquant, que celui établi dans le texte anglais («satisfied that the offender is likely . . . to commit»).

[19]La proposition selon laquelle la Loi, en cas d'ambiguïté, doit être interprétée en faveur du délinquant est exacte dans la mesure où elle signifie qu'une fois assurée la protection de la société, la Commission doit choisir, dans un cas donné, la solution qui entrave le moins la liberté du délinquant. Mais elle est inexacte dans la mesure où la Loi veut assurer au départ que la société soit protégée: s'il y a ambiguïté à ce niveau, elle jouera en faveur de l'intérêt public plutôt qu'en faveur de l'intérêt du délinquant. Je comprends en effet du paragraphe 101a) de la Loi que l'intention du Parlement est de faire du critère de «la protection de la société» le critère «le plus déterminant». Ce souci d'accorder priorité à la protection de la société se reflète aussi au paragraphe 101d) selon lequel «le règlement des cas doit, compte tenu de la protection de la société, être le moins restrictif possible» (mon soulignement).

[20]Dans Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, le juge Dickson [alors juge puîné] concluait qu'en évaluant l'obligation de peser l'intérêt public qui veut le maintien de la sécurité et de la sûreté de l'institution carcérale et l'intérêt représenté par la protection de la relation avocat-conseil, «la balance doit, en fin de compte, pencher en faveur de l'intérêt public» (à la page 840). Dans Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75, le juge Sopinka soulignait que: «L'intérêt primordial de la société l'emporte sur la protection de l'accusé visant à assurer la tenue d'un procès équitable» (à la page 92).

[21]À première vue, les mots «convaincue [. . .] qu'il commettra» semblent exiger un degré de certitude plus élevé que celui qu'exigent les mots «satisfied that the offender is likely . . . to commit». Et ce, non pas en raison de l'emploi des mots «convaincue» et «satisfied», lesquels véhiculent le même sens (voir Oxford English Dictionary, 2nd ed., 1989: «satisfied»: to convince; Black's Law Dictionary, 6th ed. 1990 «satisfy»: to convince; Salariés de New Carlisle, Local 610 c. Radio CHNC Ltée (1985), 86 CLLC 16,009 (C.C.R.T.)), mais en raison de l'emploi du temps futur, dans «qu'il commettra», qui suggère une quasi-certitude qui ne se retrouve pas dans «likely to commit», lesquels sont généralement interprétés comme signifiant «probably, in all probability» (voir Oxford English Dictionary, supra; Sayle v. Jevco Insurance Co. (1985), 16 C.C.L.I. 309 (C.A.C.-B.), à la page 310; Re CC Chemicals Ltd., [1967] 2 O.R. 248 (C.A.), aux pages 257-258).

[22]Il est acquis, ainsi que le rappelle le juge LeBel dans Schreiber c. Canada (Procureur général) (2002), 216 D.L.R. (4th) 513, au paragraphe 56, que:

Selon un principe d'interprétation des lois bilingues, lorsqu'une version est ambiguë tandis que l'autre est claire et sans équivoque, il faut privilégier a priori le sens commun aux deux versions [. . .]. De plus, lorsqu'une des deux versions possède un sens plus large que l'autre, le sens commun aux deux favorise le sens le plus restreint ou limité [. . .].

[23]Les mots «qu'il commettra» sont moins percutants lorsque pris en contexte que lorsque pris isolément. Ainsi, au paragraphe 132(1), quand le législateur décrit les «facteurs utiles» dont doit tenir compte la Commission lorsqu'elle exerce le pouvoir conféré par l'article 130, il s'exprime en termes de «risque que le délinquant commette», rendu en anglais, encore une fois, par «likelihood», le «risque» suggérant alors une probabilité plutôt qu'une quasi-certitude. De plus, quand le législateur a voulu exiger une quasi-certitude, il a employé des termes sans équivoque, comme à l'alinéa 132(1)c), «obligeant à conclure».

[24]Par ailleurs, l'emploi constant, dans le texte anglais, qu'il s'agisse de l'étude du cas par le Service en vertu de l'article 129 ou de l'examen du cas par la Commission en vertu de l'article 130, de l'expression «likely» ou «likelihood» m'amène à penser que c'est cette expression qui traduit le mieux l'intention du législateur. Il faut favoriser le sens qui se dégage du texte anglais, dont les termes sont constants, plutôt que celui, s'il en est un, qui se dégagerait du texte français, dont les termes sont inconsistants et contiennent à la limite des nuances qui en rendraient l'application difficile, sinon impossible.

[25]La version anglaise est claire, la version française ambiguë. La version anglaise a un sens restreint, qui peut comprendre le sens de la version française; la version française a un sens plus large, qui ne permet pas le sens de la version anglaise. Le sens commun aux deux versions est celui de la version anglaise.

[26]J'en viens ainsi à la conclusion que les mots «convaincue [. . .] qu'il commettra» signifient, à toutes fins utiles, «convaincue de la probabilité qu'il commette».

[27]Cela ne met pas fin au débat, dans la mesure où la Section d'appel a utilisé l'expression, que n'avait pas utilisée la Commission, «convaincue qu'il y avait des motifs raisonnables de croire». L'exigence de «motifs raisonnables de croire» est moindre, ainsi que l'a conclu le juge Nadon, que celle d'être «convaincue de la probabilité qu'il commette». La Section d'appel a utilisé des termes qui sont ceux, plutôt, du paragraphe 129(2).

[28]Le juge Nadon a reconnu cette erreur, mais il y a vu un problème de style plutôt qu'un problème de fond. Voici comment il s'est exprimé à ce sujet [aux paragraphes 35 à 37]:

Dans les deux cas, la référence au concept de «motifs raisonnables de croire» apparaît dans un contexte où la Section d'appel ne faisait que reprendre et expliquer les motifs de la CNLC. La Section d'appel n'indique à aucun moment que la CNLC a appliqué le mauvais test et il m'appert qu'elle ne cherchait pas non plus à modifier le test appliqué par la CNLC.

Bien qu'il s'agisse d'une erreur pour la Section d'appel de dire que la CNLC s'est dite «convaincue qu'il y avait des motifs raisonnables de croire» que le demandeur commettrait une infraction si libéré, il ne s'agit pas d'une erreur de droit dans le cadre de l'interprétation de la Loi, comme le suggère le demandeur. La Section d'appel ne fait que résumer la décision de la CNLC. Il s'agit tout simplement d'une mauvaise transcription des motifs de la CNLC qui, à mon avis, n'a aucun impact sur le critère légal à utiliser dans le cadre de l'alinéa 130(3)a) de la Loi ou sur la décision de la Section d'appel.

Conséquemment, puisque la CNLC a appliqué le test approprié lors de son évaluation de la preuve, je suis d'avis que les prétentions du demandeur doivent être rejetées.

[29]Le juge Nadon pouvait sans doute, dans l'exercice de sa discrétion, en arriver à cette interprétation des motifs de la Section d'appel. Vu, cependant, qu'il s'agit de déterminer si la Section d'appel a appliqué le bon critère légal, je préfère examiner l'argument de l'appelant en tenant pour acquis, pour les fins du débat, que la Section d'appel a appliqué le mauvais critère ou, à tout le moins, ne s'est pas vraiment interrogée sur la nature du critère applicable.

[30]Il est établi que «la réparation qu'une cour de justice peut accorder dans le cadre du contrôle judiciaire est essentiellement discrétionnaire» (juge en chef Lamer, Canadien Pacifique Ltée c. Bande Indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 30). Le juge en chef ajoutait, au paragraphe 31:

Le fait que le par. 18.1(3) [de la Loi sur la Cour fédérale] crée une faculté plutôt qu'une obligation conserve la nature discrétionnaire traditionnelle du contrôle judiciaire. En conséquence, les juges de la Section de première instance de la Cour fédérale [. . .] jouissent d'un pouvoir discrétionnaire pour déterminer s'il y a lieu à contrôle judiciaire.

Puis au paragraphe 39:

Les cours de justice procédant au contrôle judiciaire ne devraient pas prendre cette détermination discrétionnaire à la légère. Ce pouvoir discrétionnaire appartenait au juge Joyal et, à moins qu'il ait tenu compte de facteurs non pertinents, qu'il ait omis de prendre en considération des facteurs pertinents ou qu'il ait tiré une conclusion déraisonnable, sa décision doit être respectée. Comme l'a dit lord Diplock dans l'arrêt Hadmor Productions Ltd. c. Hamilton, [1982] 1 All E.R. 1042, à la p. 1046, une cour d'appel [traduction] «doit déférer à la décision prise par le juge dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire et ne doit pas modifier cette décision simplement parce que ses membres auraient exercé le pouvoir discrétionnaire différemment».

[31]Un des motifs qui peuvent amener un juge à ne pas accorder le remède demandé, quand bien même la décision sous contrôle serait révisable, est la futilité d'une reconsidération de ladite décision. Dans Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, à la page 228, le juge Iacobucci, au nom de la Cour, a cité avec approbation cet extrait du professeur Wade, Administrative Law (6e éd., 1988), à la page 535:

[traduction] On pourrait peut-être faire une distinction fondée sur la nature de la décision. Dans le cas d'un tribunal qui doit trancher selon le droit, il peut être justifiable d'ignorer un manquement à la justice naturelle lorsque le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir.

Le juge Iacobucci précisait, à la page 229, que ce motif de futilité revêtait un «caractère exceptionnel».

[32]Je reconnais d'emblée que dans Mobil Oil, supra, il s'agissait d'un cas de manquement à la justice naturelle et d'une affaire où la réponse à la question de droit en litige était «inéluctable» (à la page 228) quand bien même la partie aurait eu l'occasion de se faire entendre.

[33]Je ne vois pas pour autant d'obstacles à ce que le principe qui se dégage de Mobil Oil soit appliqué à d'autres types de situation. Le juge doit, bien sûr, agir avec une prudence extrême, pour éviter que le processus de contrôle de la légalité d'une décision ne se transforme en un processus de contrôle de son bien-fondé. Il me semble, cependant, que s'il est permis au juge d'ignorer un manquement à la justice naturelle quand le résultat est inévitable, il doit a fortiori lui être permis d'ignorer une erreur de droit quand elle n'est pas déterminante ou quand il est satisfait que si le tribunal avait adopté le bon critère, il en serait venu à la même conclusion. Je note que cette Cour a appliqué Mobil Oil à deux reprises au moins, dans Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 135 (F.C.A.), où le juge Stone a appliqué le principe de la futilité en expliquant que «Les paramètres à l'intérieur desquels la distinction proposée par le professeur Wade devrait s'appliquer doivent encore être déterminés» (au paragraphe 10), et dans Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 288 N.R. 48 (C.A.F.), où le juge Evans a rejeté une demande de contrôle judiciaire parce que «l'erreur commise par l'agente des visas a été sans conséquence sur le résultat de la demande de visa» (au paragraphe 6). Le juge Rothstein y a aussi fait référence, au paragraphe 88 de sa dissidence dans Magen David Adom canadien pour Israël c. M.R.N., 2002 CAF 323; [2002] A.C.F. no 1260 (C.A.) (QL).

[34]Tout récemment, aussi, dans Wihksne c. Canada (Procureur général), (2002), 20 C.C.E.L. (3d) 20; cette Cour annulait la décision d'un membre de la Commission d'appel des pensions qui avait refusé une permission d'appeler et retournait le dossier avec directive d'accueillir la permission puisque cette conclusion était, selon la Cour, incontournable. Dans Rafuse c. Canada (Commission d'appel des pensions) (2002), 286 N.R. 385 (C.A.), cette Cour avait également reconnu qu'elle était habilitée à rendre de telles ordonnances [au paragraphe 14] «dans les cas les plus clairs» («in the clearest of circumstances»).

[35]Le cas, en l'espèce, est particulier. L'erreur relative au critère applicable est commise au deuxième palier par la Section d'appel, elle n'est pas commise au premier palier par la Commission. En dépit de cette erreur, la Section d'appel a confirmé la décision de la Commission. Si le juge en vient à la conclusion que la légalité de la décision de la Commission est inattaquable, il serait futile de casser la décision de la Section d'appel pour cause d'erreur de droit et de lui retourner l'affaire pour nouvelle détermination, puisque la Section d'appel en arriverait alors, inéluctablement, à la même conclusion, mais cette fois pour de bons motifs.

[36]Pour les raisons que j'expose en examinant les troisième et quatrième arguments de l'appelant, la Commission avait des motifs sérieux pour conclure à la probabilité du risque et la Section d'appel, eût-elle appliqué le bon critère, n'aurait pu que rejeter l'appel tant la conclusion de la Commission était raisonnable, donc inattaquable. Dans les circonstances, le juge aurait pu rejeter la demande de contrôle judiciaire sans faire une entorse aux principes du droit administratif. Puisque je suis autorisé à rendre le jugement qu'il aurait dû rendre, j'aurais rejeté la demande de contrôle judiciaire pour le motif que l'erreur de droit commise par la Section d'appel n'est pas déterminante et ne vicie d'aucune manière la décision de la Commission.

[37]Finalement, l'appelant reproche au juge Nadon l'emploi des mots «à la conclusion qu'il existe un risque que le demandeur commette» au paragraphe 30 de ses motifs. Ce reproche est mal fondé, le juge n'ayant fait que reprendre à son compte les mots mêmes que le législateur emploie au paragraphe 132(1), lequel renvoie à l'examen fait par la Commission en vertu de l'article 130.

Troisième motif: les facteurs utiles

[38]L'appelant s'en prend à l'extrait du paragraphe 28 des motifs du juge de première instance:

Selon le demandeur, les facteurs énumérés au paragraphe 132(1) de la Loi devraient être évalués cumulativement, contrairement à ce que prétend la Section d'appel à la page 3 de sa décision. À mon avis, il n'y a aucun fondement à cet argument du demandeur. Tout d'abord, le vocabulaire du paragraphe 132(1) de la Loi n'appuie pas l'interprétation du demandeur. Les mots «tous les facteurs utiles» (je souligne) indiquent à mon avis que la CNLC doit seulement considérer les facteurs pertinents, que ce soit un ou plusieurs des facteurs énumérés au paragraphe 132(1) ou d'autres facteurs qui lui sont soumis et qu'elle considère utiles, et non tous les facteurs énumérés au paragraphe 132(1) de la Loi. De plus, le mot «notamment», qui sert d'introduction à l'énumération des facteurs, indique qu'il ne s'agit que d'exemples de facteurs utiles, et non que tous ces facteurs doivent être considérés par la CNLC.

[39]Or, ce paragraphe 28 doit être lu de concert avec le paragraphe 29:

Le demandeur ne soumet aucune jurisprudence à l'appui de son interprétation du paragraphe 132(1) de la Loi. Quant au défendeur, il indique que la décision du juge Noël dans l'affaire Knapp [Knapp c. Canada (Procureur général) (1997), 138 F.T.R. 201], supra, d'ailleurs confirmée par la Cour d'appel fédérale [(1998), 229 N.R. 22 (C.A.F.)], va directement à l'encontre de l'interprétation proposée par le demandeur. En effet, aux paragraphes 21 à 23 de sa décision, le juge Noël confirme l'interprétation suggérée par le vocabulaire du paragraphe 132(1) de la Loi:

À mon avis, ni le libellé de la disposition non plus que la façon dont la Commission l'interprète ne la rendent susceptible d'être contestée aux termes de l'article 7. L'article 132 de la Loi enjoint à la Commission de prendre en compte «tous les facteurs» utiles pour évaluer le risque de récidive, «notamment un comportement violent persistant, attesté par divers éléments». La disposition énumère ensuite différents éléments de preuve pouvant servir à établir l'existence d'un «comportement violent persistant».

Une simple lecture de la disposition indique que l'enquête doit porter principalement sur l'évaluation d'un «risque» et non sur la question de savoir si tous les facteurs ou quelques-uns d'entre eux sont présents. De plus, il est évident que la disposition ne renferme ni une énumération exhaustive de tous les facteurs utiles aux fins de cette évaluation ni une liste complète de tous les types d'éléments de preuve pouvant déterminer l'existence d'«un comportement violent persistant».

Ces caractéristiques ne rendent évidemment pas la disposition inopérante du fait qu'elle serait imprécise. La disposition en question encadre le débat d'une façon cohérente en renvoyant à certains critères. Elle permet également de tenir compte de tout autre facteur pertinent quant à la question de savoir si un délinquant risque de causer à nouveau la mort ou un dommage grave à une autre personne. Le législateur a ainsi reconnu qu'il est possible d'appliquer des facteurs non énumérés dans la disposition pour interpréter l'article 132 et, étant donné que la pertinence constitue la condition préalable à l'examen de tout pareil facteur, il n'y a pas lieu de dire que la disposition est imprécise sur le plan constitutionnel. [Je souligne.]

[40]Ce que le juge Nadon et, avant lui, le juge Noël, J.C.A. ont décidé, c'est tout simplement que la liste des «facteurs utiles» énumérés au paragraphe 132(1) n'est pas exhaustive, que cette liste n'est dressée qu'à titre d'exemples de ce que la Commission est appelée à considérer et que le rôle de la Commission est de soupeser les facteurs, pas de les additionner. Ces propos du juge Noël sont particulièrement pertinents:

Une simple lecture de la disposition indique que l'enquête doit porter principalement sur l'évaluation d'un «risque» et non sur la question de savoir si tous les facteurs ou quelques-uns d'entre eux sont présents.

[41]Aussi, lorsque la Section d'appel décide «que les facteurs énumérés à l'article 132(1), paragraphes a), b), c) et d) de la Loi ne sont pas cumulatifs, bien que la Commission doive s'adresser à chacun des facteurs mentionnés audit article de la Loi», elle décrit correctement ce que dit le paragraphe 132(1) et ce qu'a fait la Commission.

[42]Il se peut, par conséquent, et contrairement à ce que plaide l'appelant, que, dans un cas donné, la Commission conclue à la probabilité qu'une infraction soit commise même si elle est d'avis, par exemple, que l'un ou l'autre ou plusieurs ou même une majorité des facteurs utiles sont favorables au délinquant.

[43]Ce qui m'amène au dernier argument de l'appelant.

Quatrième motif: le caractère manifestement déraisonnable de la décision de la Commission

[44]Selon l'appelant, le juge aurait dû conclure que la Section d'appel avait erré en ne qualifiant pas de manifestement déraisonnable la décision de la Commission. Contrairement à l'appelant, j'ai conclu plus haut que la norme est celle de la raisonnabilité, une norme plus avantageuse pour le délinquant.

[45]La Section d'appel a constaté que les conclusions de fait auxquelles en était arrivée la Commission s'appuyaient sur des éléments de preuve. L'appelant a été incapable, si ce n'est par le biais d'affirmations non assermentées, de remettre en cause quelque conclusion de fait que ce soit.

[46]En ce qui a trait aux «facteurs utiles», la Commission a examiné avec beaucoup de minutie les facteurs mentionnés aux alinéas 132(1)a), b), c) et d). Il lui était loisible de voir un «comportement violent persistant» dans les agissements de M. Cartier depuis son incarcération (alinéa 132(1)a)). Le rapport psychologique déposé en preuve était accablant pour l'appelant (alinéa 132(1)b)). L'association de l'appelant à des groupes de motards rendait irréaliste la probabilité de protéger le public, et l'appelant lui-même, pendant sa période de remise en liberté (alinéa 132(1)d)). Seule jouait en faveur de l'appelant l'absence de renseignements sûrs indiquant que l'appelant projetait de commettre une infraction (alinéa 132(1)c)). Le procureur de l'appelant n'a pas prétendu que d'autres «facteurs utiles» avaient été passés sous silence par la Commission.

[47]Dans les circonstances, il était raisonnable pour la Commission de se dire convaincue, après avoir jaugé tous les facteurs qu'elle avait jugé utiles, que l'appelant commettrait un délit de violence causant un dommage grave à la victime. La Section d'appel n'a pas erré en refusant d'intervenir. Le juge Nadon non plus.

[48]L'appel devrait être accueilli, mais aux seules fins de radier de l'ordonnance du juge Nadon les mots «avec dépens».

[49]Le procureur général du Canada a demandé que les dépens soient adjugés en sa faveur. Étant donné que cet appel réussit sur la question des dépens et qu'il a permis de clarifier certaines dispositions de la Loi en cause, je ne crois pas qu'il soit opportun d'accéder à sa demande.

Le juge Létourneau, J.C.A.: Je suis d'accord.

Le juge Pelletier, J.C.A.: Je suis d'accord.

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