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IMM-1683-01

2002 CFPI 471

AB (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: AB c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge O'Keefe--Toronto, 24 janvier; Ottawa, 26 avril 2002.

Citoyenneté et Immigration -- Pratique en matière d'immigration -- Formulaire de renseignements personnels d'un réfugié au sens de la Convention contenant des renseignements confidentiels -- La Commission ne peut, sans son consentement, utiliser le FRP du demandeur aux fins d'une revendication du statut de réfugié qui semble similaire à la sienne -- La Loi sur la protection des renseignements personnels ne permet pas la communication des renseignements personnels du demandeur à un autre revendicateur du statut de réfugié dans les circonstances de l'espèce.

Protection des renseignements personnels -- L'art. 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne permet la communication de renseignements personnels qu'en conformité avec ce qu'il prévoit -- Formulaire de renseignements personnels d'un réfugié au sens de la Convention contenant des renseignements confidentiels -- La Commission ne peut, sans son consentement, utiliser le FRP du demandeur aux fins d'une revendication du statut de réfugié qui semble similaire à la sienne -- La Loi sur la protection des renseignements personnels ne permet pas la communication des renseignements personnels du demandeur à un autre revendicateur du statut de réfugié dans les circonstances de l'espèce.

Pratique -- Ordonnances de confidentialité -- La règle 151 des Règles de la Cour fédérale (1998) prévoit qu'une ordonnance de confidentialité peut être rendue relativement à des documents ou éléments matériels «qui seront déposés», et non qui ont déjà été déposés.

Le demandeur, un athlète bien en vue du Pérou (il était membre de l'équipe de lutte de ce pays) s'est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada. Lorsqu'un autre membre de l'équipe péruvienne de lutte a revendiqué le statut de réfugié, la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a fait savoir au demandeur qu'elle avait l'intention de communiquer des éléments provenant de son propre cas, notamment son Formulaire de renseignements personnels (FRP), la transcription de son audience, les motifs prononcés et les pièces présentées lors de celle-ci, et de les soumettre en preuve à l'audience relative à l'autre membre de l'équipe de lutte. Le demandeur s'est opposé à cette communication parce que celle-ci violerait son droit à la vie privée et mettrait sa famille vivant toujours au Pérou en danger. La Commission a néanmoins communiqué les renseignements. C'est cette décision qui faisait l'objet du présent contrôle judiciaire.

Il fallait déterminer si la décision de la Commission de communiquer les renseignements personnels concernant le demandeur était illégale en ce sens que la communication avait été faite à une fin et dans une mesure qui ne sont pas permises par la Loi sur la protection des renseignements personnels, et si la procédure suivie par la Commission pour décider si les éléments de preuve du demandeur seraient utilisés dans le cadre d'une autre audience relative au statut de réfugié était conforme aux principes de justice naturelle et à l'équité procédurale.

Jugement: la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

La requête préliminaire demandant à la Cour de rendre une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 des Règles de la Cour fédérale (1998) a été rejetée au motif que cette règle prévoit qu'une telle ordonnance peut être rendue uniquement à l'égard de documents ou éléments matériels «qui seront déposés». Or, en l'espèce, la requête a été présentée bien après le dépôt des documents. La Cour n'avait pas le pouvoir de rendre une telle ordonnance. De toutes façons, même si elle avait eu ce pouvoir, elle n'aurait pas rendu l'ordonnance parce que les documents figuraient dans le dossier public depuis des mois et les renseignements avaient été révélés au demandeur dans l'autre affaire.

La décision de la Commission de communiquer les renseignements personnels concernant le demandeur était illégale en ce sens que la communication a été faite à une fin et dans une mesure qui ne sont pas permises par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le FRP indique que les renseignements qu'il renferme peuvent servir de preuve lors d'audiences relatives à des revendications connexes, mais le demandeur y avait écrit que les demandes de communication seraient examinées au cas par cas, et qu'autrement le consentement était refusé.

Le contenu du dossier concernant la revendication du statut de réfugié du demandeur doit être considéré comme des renseignements personnels relevant d'une institution fédérale au sens du paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Par conséquent, à moins que le consentement de la personne concernée ne soit obtenu, l'un des alinéas du paragraphe 8(2) doit être invoqué pour justifier la communication. Pour ce qui est de l'usage compatible (alinéa 8(2)a)), la détermination du statut de réfugié d'un autre demandeur n'était pas compatible avec la détermination du statut de réfugié du demandeur en l'espèce. Aucun des autres alinéas ne s'appliquait pour justifier la communication.

Même si une décision sur ce point n'était pas nécessaire, la Commission s'est conformée à l'article 28 des Règles de la section du statut de réfugié et, de ce fait, aux principes de justice naturelle et à l'équité procédurale.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Déclaration universelle des droits de l'homme, Rés. AG 217 A (III), Doc. off. AG NU, 10 décembre 1948, art. 12.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 2, 3 «renseignements personnels» (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII), «responsable d'institution fédérale», 7, 8(1), (2)a),b), j),m).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 69(2) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 59), (3) (mod., idem), (3.1) (édicté, idem), 82.1(1) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 151.

Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93-45, art. 10(1), 22, 28.

jurisprudence

décision appliquée:

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Fazalbhoy (1999), 162 F.T.R. 57; 48 Imm. L.R. (2d) 222 (C.F. 1re inst.).

décisions citées:

Igbinosun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 87 F.T.R. 131 (C.F. 1re inst.); Rahman c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 2041 (1re inst.) (QL).

DEMANDE de contrôle judiciaire visant la décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de communiquer le Formulaire de renseignements personnels du demandeur et d'autres renseignements tirés de l'audition de sa revendication du statut de réfugié, et de les soumettre en preuve à l'audience relative à un autre revendicateur du statut de réfugié. Demande accueillie.

ont comparu:

Patricia Wells pour le demandeur.

Stephen H. Gold pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Patricia Wells, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]Le juge O'Keefe: Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications, visant la décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) (date de la décision non précisée), qui a été communiquée au demandeur par téléphone le 22 mars 2001, de divulguer le Formulaire de renseignements personnels de ce dernier, ainsi que la transcription de son audience, les motifs prononcés et les pièces présentées lors de celle-ci, et de les soumettre en preuve à l'audience concernant un autre revendicateur du statut de réfugié.

[2]Le demandeur prie la Cour:

1. d'annuler la décision de la Commission;

2. de déclarer que la décision de la Commission de divulguer les renseignements confidentiels le concernant est illégale;

3. d'interdire à la Commission de divulguer les renseignements confidentiels le concernant sans son consentement;

4. subsidiairement, d'interdire à la Commission de divulguer les renseignements confidentiels le concernant, sauf en conformité avec les directives que la Cour estime appropriées au regard de la procédure permettant de protéger la confidentialité de ces renseignements en conformité avec l'équité et la justice naturelle.

Contexte

[3]Le demandeur, AB, est un citoyen du Pérou.

[4]Le demandeur est un athlète bien en vue qui a représenté le Pérou dans un grand nombre d'événements sportifs internationaux, notamment aux Olympiques. Il est venu au Canada en 1999 avec l'équipe de lutte du Pérou pour participer aux Jeux panaméricains qui avaient lieu à Winnipeg. Il a revendiqué le statut de réfugié, invoquant sa crainte d'être persécuté par le gouvernement du Pérou.

[5]La Commission lui a reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention dans une décision motivée rendue le 28 janvier 2001.

[6]Un autre membre de l'équipe péruvienne de lutte participant aux même jeux, Luis Enrique Bazan Sale (Luis Bazan), a aussi revendiqué le statut de réfugié. Au moment de la demande, aucune décision n'avait encore été rendue sur cette revendication.

[7]Le demandeur prétend qu'il ne connaît pas bien Luis Bazan.

[8]Dans une lettre datée du 19 février 2001, la Commission a informé le demandeur qu'elle avait l'intention de communiquer, dans le cadre de l'audience de Luis Bazan, des éléments provenant de son propre cas, notamment son Formulaire de renseignements personnels, la transcription, les motifs et les pièces. Elle invitait le demandeur à lui faire savoir par écrit s'il s'opposait à cette divulgation.

[9]Le demandeur a fait part de son opposition à la communication de son dossier de réfugié dans des lettres datées du 6 mars 2001 et du 16 mars 2001.

[10]La lettre du 6 mars 2001 mentionne notamment ce qui suit:

[traduction] J'estime que la sécurité de mon client et de sa famille sera compromise si tous les renseignements que la Commission se propose de communiquer à M. Bazan lui sont effectivement communiqués. J'estime aussi que cette communication causera une injustice.

En ce qui concerne la sécurité, la Commission a déjà statué que mon client craint avec raison d'être persécuté dans son pays, d'où vient également M. Bazan. Elle a aussi considéré que mon client jouit d'une grande renommée dans ce pays, et la preuve a démontré que les médias s'intéressent beaucoup à sa situation au Canada. La Commission a fait remarquer que le gouvernement du Pérou considère mon client comme un sympathisant possible de la gauche et qu'il tolère les atteintes aux droits de la personne commises à l'endroit de ce genre d'individus. C'est pourquoi mon client est en danger au Pérou.

Il ressort de la preuve que la conjointe de fait et les enfants de mon client vivent toujours au Pérou et que les médias ont déjà commencé à les interroger afin d'en savoir plus au sujet de mon client.

Selon moi, la communication des renseignements confiden-tiels concernant le fondement de la revendication du statut de réfugié de mon client pourrait permettre aux médias et au gouvernement du Pérou de connaître ces renseignements, ce qui aura pour effet de mettre en danger la famille de mon client pour les mêmes raisons que celles qui ont amené la Commission à considérer que mon client était en danger.

En plus du danger de préjudice physique ou de harcèlement, la divulgation des renseignements de nature personnelle à une personne qui n'a pas de lien avec mon client et qui n'a elle-même aucune obligation d'en maintenir la confidentialité causera une injustice. Le droit à la vie privée et au respect de la vie privée est considéré comme un droit de «deuxième niveau» dans le cadre du droit des réfugiés (au même titre que le droit de ne pas faire l'objet d'une détention arbitraire).

[11]Malgré l'opposition du demandeur, la Commission a décidé de divulguer son Formulaire de renseignements personnels, la transcription de son audience, ainsi que les motifs qui y ont été prononcés et les pièces qui y ont été présentées, et de les soumettre en preuve à l'audience de Luis Bazan. Cette décision a été communiquée par téléphone au demandeur le 22 mars 2001.

[12]Le conseil du demandeur a écrit ce qui suit à la Commission le 4 avril 2001:

[traduction] J'ai demandé deux fois à la Commission de me transmettre les motifs de sa décision, mais en vain. Si la Commission a l'intention de communiquer à M. Bazan des renseignements concernant mon client avant que j'aie reçu les motifs, je demande à en être avisé afin que je puisse demander à la Cour de rendre l'injonction qui convient.

[13]Il appert que la Commission a déjà communiqué les renseignements à Luis Bazan.

[14]Dans une lettre adressée à la Cour le 20 avril 2001, la Commission a indiqué que, comme la loi ne l'obligeait pas à le faire, elle n'avait pas donné de motifs formels de sa décision de rejeter la demande visant à faire en sorte que les éléments confidentiels du dossier du demandeur ne soient pas soumis en preuve à l'audience de Luis Bazan. La lettre mentionnait ensuite que la note suivante figure au dossier:

[traduction] Les deux revendicateurs: 1) sont des lutteurs de la même équipe, 2) ont fréquenté la même école de 1995 à 1999, 3) ont fait défection au même endroit et au même moment, 4) craignent d'être persécutés à cause de leurs prétendus liens avec le Sentier lumineux, 5) suivaient leur entraînement au même centre, 6) ont voyagé aux mêmes dates, dans les mêmes endroits et avec les mêmes équipes, 7) font tous deux état, dans leur revendication, de leur présence à des rencontres d'étudiants. Par conséquent, leurs revendications «semblent être nettement liées».

Les prétentions du demandeur

[15]Le demandeur prétend que les tribunaux n'ont jamais eu à statuer sur le type de communication en cause en l'espèce.

[16]Il fait valoir que la Commission cherche à communiquer, sans son consentement, les renseignements personnels le concernant à un tiers (un revendicateur du statut de réfugié) qui n'est ni un ministère ou un fonctionnaire du gouvernement, ni une personne ou un organisme tenu de garder ces renseignements confidentiels.

[17]Selon le demandeur, la communication des renseignements personnels concernant un revendicateur à d'autres revendicateurs non seulement viole les droits du premier à la vie privée, mais pourrait aussi, en l'espèce, mettre le revendicateur et sa famille en danger si jamais des renseignements personnels de nature délicate étaient communiqués à des tiers, notamment aux médias, dans son pays d'origine.

[18]Le demandeur fait valoir qu'il n'a pas de lien avec Luis Bazan et qu'il connaît peu de choses de la vie privée de celui-ci. Par ailleurs, Luis Bazan ne lui a pas demandé de témoigner à l'audition de sa revendication.

[19]Le demandeur soutient qu'il s'attendait raisonnablement à ce que sa vie privée soit respectée lorsqu'il a communiqué les renseignements au soutien de sa revendication du statut de réfugié. Selon lui, la confidentialité des renseignements personnels concernant un revendicateur est la règle et la communication de renseignements confidentiels, l'exception.

[20]Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur de droit en décidant de divulguer les renseignements personnels le concernant et, plus précisément, qu'elle a commis une erreur dans son interprétation de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21.

[21]Le demandeur rappelle que les droits à la vie privée qui lui sont garantis par l'article 12 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, Nations Unies, résolution 217 A (III), 10 décembre 1948, sont en jeu. Cette disposition est reproduite par souci de commodité:

Article 12

Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.

[22]Le demandeur soutient que les droits qui lui sont garantis à l'article 7 de la Charte sont compromis. Par souci de commodité, l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], est reproduit ici:

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[23]Le demandeur soutient que l'alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée, doit être interprété de manière à protéger dans la plus grande mesure possible la confidentialité des renseignements personnels concernant une personne.

[24]Il soutient que les alinéas 8(2)c) à k) limitent la communication à certains tiers seulement, dont presque tous sont des institutions fédérales assujetties à des règles ayant pour objet de protéger la vie privée des personnes.

[25]Il soutient également que, sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée, la personne concernée par les renseignements n'a pas à démontrer que la communication envisagée pourrait causer un préjudice ou une injustice. Le droit à la vie privée doit plutôt être sauvegardé.

[26]Le demandeur fait valoir que, dans l'affaire Igbinosun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 87 F.T.R. 131 (C.F. 1re inst.), Mme le juge McGillis a statué que la divulgation du nom du revendicateur du statut de réfugié à un service de police étranger dans le but de vérifier s'il avait un casier judiciaire était un usage compatible avec les fins auxquelles les renseignements avaient été recueillis. Selon le demandeur, il est significatif qu'aucun renseignement personnel autre que le nom du revendicateur n'ait été divulgué au service de police. À son avis, la réponse de la Cour aurait été différente si le Formulaire de renseignements personnels du revendicateur avait été communiqué en entier au service de police.

[27]Le demandeur prétend que, même si la Commission était d'avis que certains renseignements contenus dans sa revendication du statut de réfugié étaient pertinents aux fins de la revendication de Luis Bazan, elle devait quand même suivre une procédure qui protège dans la plus grande mesure possible la confidentialité du demandeur.

Les prétentions du défendeur

[28]Le défendeur soutient que la situation personnelle et les antécédents du demandeur et de Luis Bazan, son coéquipier, se ressemblaient de façon saisissante. La Commission doit veiller à ce que ses décisions soient cohérentes et que tous les éléments de preuve pertinents soient pris en compte. Le défendeur prétend que l'utilisation des éléments de preuve du demandeur dans le cadre de l'audition de la revendication du statut de réfugié de son coéquipier était un «usage compatible» au sens de l'alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée. Par conséquent, le consentement du demandeur n'avait pas à être obtenu avant que les renseignements soient communiqués.

[29]Le défendeur soutient que l'alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée, confère à un tribunal le pouvoir de communiquer des renseignements personnels pour un usage compatible avec les fins auxquelles ils ont été recueillis. Selon lui, l'utilisation des éléments de preuve du demandeur dans le cadre de l'audition de la revendication du statut de réfugié de son coéquipier était un «usage compatible» au sens de cette disposition.

[30]Le défendeur soutient qu'il est indiqué dans le Formulaire de renseignements personnels que les renseignements fournis ne sont pas totalement confidentiels, et que le demandeur devait indiquer les raisons, le cas échéant, pour lesquelles il s'opposait à la communication du formulaire. Il rappelle que le demandeur n'a formulé aucune objection fondée sur les critères mentionnés concernant le danger ou une injustice.

[31]Le défendeur soutient qu'il ressort de la jurisprudence qu'une interprétation large et globale est donnée à l'expression «usage compatible» employée à l'alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée. Ainsi, dans l'affaire Rahman c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 2041 (1re inst.) (QL), au paragraphe 10, la Cour a dit que «[l]es fins auxquelles les renseignements ont été recueillis peuvent être rattachées à l'objet général de la loi sur l'immigration ou, plus précisément, aux fins auxquelles visent les décisions sur l'admissibilité et sur la revendication du statut de réfugié».

[32]Le défendeur fait valoir que, dans l'affaire Igbinosun, précitée, la Cour a statué, au paragraphe 6, que la communication avait été faite à un tiers en conformité avec l'alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée, parce que le demandeur avait fourni les renseignements «pour les fins de la procédure d'immigration» en général.

[33]Le défendeur soutient que, si on applique cette interprétation large, la section du statut de réfugié a fait un «usage compatible» des renseignements recueillis aux fins de l'audition de la revendication du demandeur lorsqu'elle les a utilisés dans le cadre de l'audience du coéquipier de celui-ci. Il fait valoir qu'il pourrait y avoir injustice si chaque revendication était considérée indépendamment des autres et qu'il convient qu'il ne puisse y avoir communication que dans les cas où les revendications sont étroitement liées.

[34]Le défendeur fait valoir que deux revendications aussi semblables que celles du demandeur et de son coéquipier devraient idéalement être traitées conjointement en conformité avec le paragraphe 10(1) des Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93-45. Selon lui, la présence de cette disposition dans les Règles est la preuve que la Commission peut tenir compte, en s'appuyant sur l'alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée, des éléments de preuve présentés dans d'autres revendications du statut de réfugié lorsque des revendications sont étroitement liées.

[35]Le défendeur fait valoir que le Commissaire à la protection de la vie privée a conclu que l'utilisation des renseignements personnels présentés au soutien d'une revendication pour statuer sur la revendication d'une autre personne constitue un usage compatible dans certaines circonstances.

[36]Le défendeur soutient que le paragraphe 69(3) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 59] de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2], confère à la Commission le pouvoir de prendre toute mesure nécessaire pour assurer la confidentialité des débats. Selon lui, ce n'est pas parce que la Commission a choisi de ne pas limiter la communication des renseignements personnels en l'espèce que la procédure est défectueuse.

[37]Le défendeur soutient que le demandeur a eu la possibilité de présenter des observations en conformité avec les principes de l'équité procédurale. Il fait valoir que le demandeur n'a pas démontré, en présentant des observations écrites à la Commission, que l'utilisation des renseignements personnels le concernant dans une autre audience relative au statut de réfugié mettrait une personne en danger ou causerait une injustice. En conséquence, les documents du demandeur ont déjà été communiqués à Luis Bazan.

[38]Le défendeur fait valoir que l'audience de Luis Bazan sera tenue à huis clos, de sorte que tout élément de preuve concernant le demandeur qui sera utilisé lors de cette audience ne sera pas rendu public.

[39]Le défendeur fait remarquer que le demandeur a lui-même rendu publics les renseignements personnels le concernant en déposant la présente demande de contrôle judiciaire sans demander que son dossier soit traité de manière confidentielle.

[40]Questions en litige

Je propose d'examiner les questions suivantes, telles qu'elles ont été formulées par le demandeur:

1. La décision de la Commission de communiquer les renseignements personnels concernant le demandeur est-elle illégale en ce sens que la communication a été faite à une fin et dans une mesure qui ne sont pas permises par la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée?

2. La procédure suivie par la Commission pour décider si les éléments de preuve du demandeur seraient utilisés dans le cadre d'une autre audience relative au statut de réfugié était-elle conforme aux principes de justice naturelle et à l'équité procédurale?

Dispositions législatives et réglementaires et règles pertinentes

[41]Les dispositions pertinentes de la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée, prévoient ce qui suit:

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en matière de protection des renseignements personnels relevant des institutions fédérales et de droit d'accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent.

3. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

[. . .]

«renseignements personnels» Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment:

a) les renseignements relatifs à sa race, à son origine nationale ou ethnique, à sa couleur, à sa religion, à son âge ou à sa situation de famille;.

b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;

c) tout numéro ou symbole, ou toute autre indication identificatrice, qui lui est propre;

d) son adresse, ses empreintes digitales ou son groupe sanguin;

e) ses opinions ou ses idées personnelles, à l'exclusion de celles qui portent sur un autre individu ou sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à octroyer à un autre individu par une institution fédérale, ou subdivision de celle-ci visée par règlement;

f) toute correspondance de nature, implicitement ou explicitement, privée ou confidentielle envoyée par lui à une institution fédérale, ainsi que les réponses de l'institution dans la mesure où elles révèlent le contenu de la correspondance de l'expéditeur;

g) les idées ou opinions d'autrui sur lui;

h) les idées ou opinions d'un autre individu qui portent sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à lui octroyer par une institution, ou subdivision de celle-ci, visée à l'alinéa e), à l'exclusion du nom de cet autre individu si ce nom est mentionné avec les idées ou opinions;

i) son nom lorsque celui-ci est mentionné avec d'autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet;

toutefois, il demeure entendu que, pour l'application des articles 7, 8 et 26, et de l'article 19 de la Loi sur l'accès à l'information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant:

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d'une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment:

(i) le fait même qu'il est ou a été employé par l'institution,

(ii) son titre et les adresses et numéro de téléphone de son lieu de travail,

(iii) la classification, l'éventail des salaires et les attributions de son poste,

(iv) son nom lorsque celui-ci figure sur un document qu'il a établi au cours de son emploi,

(v) les idées et opinions personnelles qu'il a exprimées au cours de son emploi;

k) un individu qui, au titre d'un contrat, assure ou a assuré la prestation de services à une institution fédérale et portant sur la nature de la prestation, notamment les conditions du contrat, le nom de l'individu ainsi que les idées et opinions personnelles qu'il a exprimées au cours de la prestation;

l) des avantages financiers facultatifs, notamment la délivrance d'un permis ou d'une licence accordés à un individu, y compris le nom de celui-ci et la nature précise de ces avantages;

m) un individu décédé depuis plus de vingt ans.

[. . .]

«responsable d'institution fédérale»

a) Le membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada sous l'autorité de qui est placé un ministère ou un département d'État;

b) la personne désignée par décret, conformément au présent alinéa, en qualité de responsable, pour l'application de la présente loi, d'une institution fédérale autre que celles mentionnées à l'alinéa a).

7. À défaut du consentement de l'individu concerné, les renseignements personnels relevant d'une institution fédérale ne peuvent servir à celle-ci:

a) qu'aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés par l'institution de même que pour les usages qui sont compatibles avec ces fins;

b) qu'aux fins auxquelles ils peuvent lui être communiqués en vertu du paragraphe 8(2).

8. (1) Les renseignements personnels qui relèvent d'une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l'individu qu'ils concernent, que conformément au présent article.

(2) Sous réserve d'autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d'une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants:

a) communication aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés par l'institution ou pour les usages qui sont compatibles avec ces fins;

b) communication aux fins qui sont conformes avec les lois fédérales ou ceux de leurs règlements qui autorisent cette communication;

[. . .]

j) communication à toute personne ou à tout organisme, pour des travaux de recherche ou de statistique, pourvu que soient réalisées les deux conditions suivantes:

(i) le responsable de l'institution est convaincu que les fins auxquelles les renseignements sont communiqués ne peuvent être normalement atteintes que si les renseigne-ments sont donnés sous une forme qui permette d'identifier l'individu qu'ils concernent,

(ii) la personne ou l'organisme s'engagent par écrit auprès du responsable de l'institution à s'abstenir de toute communication ultérieure des renseignements tant que leur forme risque vraisemblablement de permettre l'identification de l'individu qu'ils concernent;

[. . .]

m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l'avis du responsable de l'institution:

(i) des raisons d'intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée,

(ii) l'individu concerné en tirerait un avantage certain.

[42]Les dispositions pertinentes de la Loi sur l'immigration, précitée, prévoient ce qui suit [art. 69(2) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 59), (3.1) (édicté, idem), 82.1(1) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73)]:

69. (1) [. . .]

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (3.1), la section du statut tient ses séances à huis clos ou, sur demande en ce sens, en public, et dans la mesure du possible en présence de l'intéressé.

(3) S'il lui est démontré qu'il y a une sérieuse possibilité que la vie, la liberté ou la sécurité d'une personne soit mise en danger par la publicité des débats, la section du statut peut, sur demande en ce sens, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance qu'elle juge nécessaire pour en assurer la confidentialité.

(3.1) La section du statut peut aussi, si elle l'estime indiqué, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance qu'elle juge nécessaire pour assurer la confidentialité de la demande.

[. . .]

82.1 (1) La présentation d'une demande de contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur la Cour fédérale ne peut, pour ce qui est des décisions ou ordonnances rendues, des mesures prises ou de toute question soulevée dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d'application--règlements ou règles -- se faire qu'avec l'autorisation d'un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale.

[43]Les dispositions pertinentes des Règles de la section du statut de réfugié, précitées, prévoient ce qui suit:

10. (1) Un vice-président adjoint ou un membre coordon-nateur peut ordonner que deux ou plusieurs revendications ou demandes soient traitées conjointement, s'il estime qu'une telle mesure ne risque pas de causer d'injustice aux parties.

[. . .]

22. (1) La personne qui fait une demande en application du paragraphe 69(2) de la Loi la présente par écrit à la section du statut et la dépose au greffe.

(2) La section du statut notifie sans délai les parties de la demande visée au paragraphe (1).

(3) Toute demande faite, en application du paragraphe 69(3) de la Loi, en réponse à une demande visée au paragraphe (1) est présentée par écrit à la section du statut et déposée au greffe.

(4) Sous réserve de toute mesure prise ou de toute ordonnance rendue en application du paragraphe 69(3.1) de la Loi, la section du statut notifie sans délai la personne visée au paragraphe (1) et toutes les parties de la demande visée au paragraphe (3).

[. . . ]

28. (1) Toute demande d'une partie qui n'est pas prévue par les présentes règles est présentée à la section du statut par voie de requête, sauf si elle est présentée au cours d'une audience et que les membres décident d'une autre façon de procéder dans l'intérêt de la justice.

Analyse et décision

[44]Le demandeur a soulevé une question préliminaire au début de l'audience. Il a demandé à la Cour de rendre une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106], laquelle prévoit ce qui suit:

151. (1) La Cour peut, sur requête, ordonner que des documents ou éléments matériels qui seront déposés soient considérés comme confidentiels.

(2) Avant de rendre une ordonnance en application du paragraphe (1), la Cour doit être convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels comme confidentiels, étant donné l'intérêt du public à la publicité des débats judiciaires.

[45]Le demandeur sollicite une ordonnance portant que les dossiers de la Cour soient scellés dans la présente demande de contrôle judiciaire et que l'accès à ces dossiers soit interdit sans l'autorisation de la Cour. Il demande également que l'intitulé de la cause soit modifié de façon qu'il soit appelé «AB» lorsque la décision sera rendue.

[46]La demande de contrôle judiciaire a été déposée le 3 avril 2001. Le défendeur a fait remarquer que le demandeur avait lui-même rendu les renseignements publics en déposant la demande de contrôle judiciaire, à la suite de laquelle la Commission a déposé son dossier à la Cour. Ce dossier renferme les renseignements mêmes que le demandeur souhaite voir être considérés comme confidentiels. Le dossier a été déposé à la Cour le 23 novembre 2001. Dans son exposé des faits et du droit qu'il a déposé le 21 juin 2001, le défendeur a souligné que le demandeur avait lui-même rendu publics les renseignements personnels le concernant en déposant la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire. Le demandeur a déposé son affidavit au soutien de cette demande le 22 mai 2001. Son Formulaire de renseignements personnels, une copie de la transcription de l'audience de la Commission et une copie de la décision de celle-ci, soit la plus grande partie des renseignements que le demandeur souhaite voir être considérés comme confidentiels, étaient joints à l'affidavit à titre de pièces.

[47]J'estime qu'il m'est impossible de rendre une ordonnance en vertu de la règle 151 des Règles de la Cour fédérale (1998) car celle-ci me confère seulement le pouvoir de rendre une ordonnance de confidentialité à l'égard des documents ou éléments matériels «qui seront déposés». Or, les documents qu'on me demande de considérer comme confidentiels ont été déposés en mai et en novembre 2001. La requête en vue d'obtenir une ordonnance de confidentialité n'a été présentée qu'au moment de l'audience, le 24 janvier 2002. Par conséquent, cette requête est rejetée.

[48]De toutes façons, même si j'avais le pouvoir de rendre l'ordonnance de confidentialité, je ne serais pas disposé à le faire. Les documents qu'on voudrait considérer comme confidentiels figurent dans le dossier public depuis mai 2001, et les renseignements ont aussi été révélés au demandeur dans l'autre affaire. À mon avis, compte tenu des circonstances, une ordonnance de confidentialité ne devrait pas être rendue. Je fais mien le raisonnement adopté par M. le juge Gibson, de la Cour, dans l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Fazalbhoy (1999), 162 F.T.R. 57, où il a dit, au paragraphe 11:

Pour justifier une dérogation au principe de la publicité des débats judiciaires, et je suis convaincu que ce principe s'étend à la publicité et à l'accessibilité des dossiers de la Cour, la Règle 151(2) exige que la Cour soit convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels en question comme confidentiels. Le passage tiré de l'arrêt Pacific Press, précité, indique clairement que la partie qui demande la confidentialité, c'est-à-dire l'intimé en l'espèce, a un lourd fardeau à assumer. Je ne suis tout simplement pas convaincu que l'intimé s'est acquitté de ce fardeau d'après les faits dont je suis saisi. Tous les engagements de confidentialité donnés par la ministre ne lient pas la présente Cour. L'intimé n'a mentionné aucune raison spéciale pouvant justifier que les renseignements personnels qu'il a fournis soient considérés comme confidentiels dans les dossiers de la présente Cour. Le fait qu'il s'appuie sur les mots utilisés dans le formulaire mis à sa disposition et qu'il souhaite garder ses affaires privées et le fait que des renseignements le concernant se retrouvent devant la Cour sans qu'il l'ait demandé sont certes propres à attirer la sympathie de la Cour, mais ces considérations ne suffisent pas pour conclure qu'il s'est acquitté du fardeau qui lui incombait de justifier la délivrance d'une ordonnance de confidentialité.

[49]Je suis disposé cependant à ordonner que l'intitulé de la cause soit modifié de façon que le demandeur soit appelé «AB».

[50]Question no 1

La décision de la Commission de communiquer les renseignements personnels concernant le demandeur est-elle illégale en ce sens que la communication a été faite à une fin et dans une mesure qui ne sont pas permises par la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée?

Le défendeur a déposé en preuve, sous la cote A, l'affidavit de David Tyndale, qui comprenait une lettre du Commissaire à la protection de la vie privée. Cette lettre se lit en partie comme suit:

[traduction] On a fait remarquer aux plaignants qu'il s'agit seulement d'une reconnaissance du fait qu'il peut être approprié, dans certaines circonstances, d'utiliser les renseignements personnels concernant un réfugié. Il ne s'agissait certainement pas d'une reconnaissance générale visant tous les cas de réfugié. Comme vous le savez, chaque plainte déposée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui est reçue par le bureau est traitée en fonction de ses propres caractéristiques.

Par exemple, lors d'une enquête menée précédemment à la suite d'une plainte, le Commissaire à la protection de la vie privée a considéré que la production, par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, de renseignements personnels concernant une personne à l'audience sur le statut de réfugié d'une autre personne était un «usage compatible» au sens de l'alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels [citation de l'al. 8(2)a) omise]. Dans ce cas particulier, un revendicateur du statut de réfugié avait témoigné à sa propre audience sur le statut de réfugié, mais avait donné un témoignage contradictoire au sujet de son curriculum vitae lorsqu'il avait accepté de témoigner ensuite à une audience concernant une autre personne. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a produit son dossier en preuve lors de la deuxième audience dans le but d'attaquer sa crédibilité.

[51]L'exemple donné par le Commissaire à la protection de la vie privée montre que l'utilisation des renseignements personnels aux fins de démontrer que le témoignage donné par une personne qui agit comme témoin dans le cadre d'une audience du statut de réfugié ne correspond pas à celui qu'elle a donné à sa propre audience sur le statut de réfugié est un «usage compatible» au sens de l'alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée. Dans cette affaire, la personne concernée avait remis en question ses propres renseignements personnels lors de la deuxième audience lorsqu'elle avait témoigné au sujet des renseignements fournis lors de son audience (mais d'une manière contradictoire). Cette situation est nettement différente de celle dont je suis saisi, où le demandeur prétend connaître à peine l'autre revendicateur du statut de réfugié et n'a pas l'intention de participer à l'audience de ce dernier.

[52]Comme le Commissaire à la protection de la vie privée l'a reconnu, les alinéas 8(2)a) et b) ne visent certainement pas à permettre, de manière générale, la communication des renseignements personnels concernant des réfugiés dans toutes les audiences sur le statut de réfugié. En outre, chaque cas doit être examiné au fond.

[53]La remarque suivante figure sur la première page du Formulaire de renseignements personnels:

La nature confidentielle des renseignements figurant dans le présent formulaire est protégée par la législation fédérale. Les renseignements fournis peuvent uniquement être divulgués selon les conditions prescrites par la Loi.

La Section du statut de réfugié pourrait vous poser des questions concernant l'information que vous avez fournie dans le présent formulaire.

En outre, ce formulaire est les renseignements qu'il renferme peuvent servir de preuve aux audiences d'autres revendicateurs qui ont un lien avec vous ou dont la revendication semble être étroitement liée à la vôtre. Si vous avez une objection raisonnable à opposer à cette utilisation, veuillez l'indiquer ci-dessous (si vous n'avez pas suffisamment d'espace, veuillez continuer sur la page suivante). La Section du statut de réfugié s'efforcera alors de déterminer si, dans les circonstances, l'utilisation de votre formulaire ou des renseignements contenus dans celui-ci mettrait en danger la vie, la liberté ou la sécurité d'une personne, ou causerait vraisemblablement une injustice.

Le demandeur a écrit ce qui suit dans l'espace figurant sous cette remarque:

[traduction] Les demandes de communication seront examinées au cas par cas. Autrement, le consentement est refusé.

[54]Il ressort de la remarque figurant sur le Formulaire de renseignements personnels et de l'avis envoyé au demandeur que la Commission prendra en compte les objections à la communication des renseignements personnels si l'utilisation de ces renseignements:

1. soit mettrait en danger la vie, la liberté ou la sécurité d'une personne;

2. soit causerait vraisemblablement une injustice.

[55]Convient-il que la Commission ait recours à ce critère dans le cadre d'une requête fondée sur l'article 28 des Règles [Règles de la section du statut de réfugié] pour déterminer si elle peut utiliser des renseignements personnels concernant un revendicateur du statut de réfugié sans la permission de celui-ci?

[56]Le libellé du deuxième élément du critère de la Commission est semblable à celui du paragraphe 28(9) des Règles. L'article 28 ne fait pas expressément mention de la protection de la vie privée ou de la confidentialité des débats, mais il s'agit d'une disposition générale des Règles qui peut s'appliquer à cette situation. Quant au premier élément du critère, il ressemble au critère prévu au paragraphe 69(3) de la Loi sur l'immigration, précitée. Cette disposition se lit comme suit:

69. [. . .]

(3) S'il lui est démontré qu'il y a une sérieuse possibilité que la vie, la liberté ou la sécurité d'une personne soit mise en danger par la publicité des débats, la section du statut peut, sur demande en ce sens, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance qu'elle juge nécessaire pour en assurer la confidentialité.

[57]Bien que le critère prévu par le paragraphe 69(3) puisse aider la Commission à déterminer s'il y a lieu de divulguer des renseignements personnels tirés du dossier d'un revendicateur du statut de réfugié, cette disposition n'est pas directement applicable en l'espèce. Le paragraphe 69(3) prévoit un mécanisme permettant d'assurer la confidentialité des débats de la Commission lorsque ceux-ci ont lieu en public. En l'espèce toutefois, c'est la confidentialité du dossier d'un revendicateur du statut de réfugié après que la Commission a terminé les débats et a rendu une décision finale à l'égard de celui-ci qui est en cause. À mon avis, le paragraphe 69(3) n'est pas utile dans ce cas.

[58]L'article 28 des Règles confère à la Commission un vaste pouvoir discrétionnaire de prendre des décisions relatives à la détermination du statut de réfugié. Cependant, il n'est pas clair, à mon avis, que ce vaste pouvoir discrétionnaire devait permettre la communication de renseignements personnels qui seraient autrement protégés par la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée.

[59]Le préambule du paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée, est libellé comme suit:

8. (1) [. . .]

(2) Sous réserve d'autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d'une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants: [. . .]

[60]Je suis d'avis que le contenu du dossier concernant la revendication du statut de réfugié du demandeur doit être considéré comme des renseignements personnels relevant d'une institution fédérale. Par conséquent, à moins que le consentement de la personne concernée ne soit obtenu (comme l'exige le paragraphe 8(1)), l'un des alinéas du paragraphe 8(2) doit être invoqué pour justifier la communication. L'alinéa 8(2)a) prévoit ce qui suit:

8. (2) [. . .]

a) communication aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés par l'institution ou pour les usages qui sont compatibles avec ces fins;

[61]En l'espèce, les renseignements ont été recueillis aux fins de la détermination du statut de réfugié du demandeur. Pour que la communication des renseignements personnels concernant le demandeur soit justifiée en vertu de cette disposition, ces renseignements doivent être communiqués pour un usage compatible avec les fins auxquelles ils ont été recueillis. Je ne pense pas que la détermination du statut de réfugié de l'autre demandeur soit compatible avec la détermination du statut de réfugié du demandeur en l'espèce.

[62]L'alinéa 8(2)b) prévoit ce qui suit:

8. (2) [. . .]

b) communication aux fins qui sont conformes avec les lois fédérales ou ceux de leurs règlements qui autorisent cette communication;    

[63]L'avocate n'ayant pas porté à mon attention une loi fédérale ou un règlement pris en vertu d'une telle loi qui autorise la communication des renseignements personnels concernant le demandeur qui figurent dans son dossier de réfugié, l'alinéa 8(2)b) ne s'applique pas. Il a été indiqué précédemment que les dispositions des Règles de la section du statut de réfugié et de la Loi sur l'immigration, précitées, ont été prises en compte mais qu'elles n'autorisent pas la communication des renseignements personnels en cause en l'espèce.

[64]Les alinéas 8(2)c) à i) ne sont pas applicables en l'espèce. Quant à l'alinéa j), il prévoit ce qui suit:

8. (2) [. . .]

j) communication à toute personne ou à tout organisme, pour des travaux de recherche ou de statistique, pourvu que soient réalisées les deux conditions suivantes:

(i) le responsable de l'institution est convaincu que les fins auxquelles les renseignements sont communiqués ne peuvent être normalement atteintes que si les renseignements sont donnés sous une forme qui permette d'identifier l'individu qu'ils concernent,

(ii) la personne ou l'organisme s'engagent par écrit auprès du responsable de l'institution à s'abstenir de toute communication ultérieure des renseignements tant que leur forme risque vraisemblablement de permettre l'identification de l'individu qu'ils concernent;

[65]L'alinéa 8(2)j) ne s'applique pas non plus puisqu'il n'est pas question en l'espèce d'une communication pour des travaux de recherche ou de statistique. Le sous-alinéa 8(2)(j)(ii) est utile dans la mesure où il indique que la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée, accorde suffisamment de prix aux renseignements personnels pour justifier une protection pouvant prendre la forme d'un engagement écrit de s'abstenir de toute communication ultérieure.

[66]Finalement, l'alinéa 8(2)m) prévoit ce qui suit:

8. (2) [. . .]

m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l'avis du responsable de l'institution:

(i) des raisons d'intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée,

(ii) l'individu concerné en tirerait un avantage certain.

[67]Le sous-alinéa 8(2)m)(ii) ne s'applique pas en l'espèce puisque le demandeur ne tirerait aucun avantage certain de la communication de son dossier de réfugié à un autre revendicateur. Quant au sous-alinéa 8(2)m)(i), il s'appliquerait seulement si le responsable de l'institution était d'avis que des raisons d'intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée. Le responsable de l'institution est une expression définie dans la Loi sur la protection des renseignements personnels. Dans le cas présent, il s'agit du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration. Rien n'indique que celui-ci a soupesé les intérêts visés au sous-alinéa 8(2)m)(i), de sorte que cette disposition ne s'applique pas de manière à autoriser la communi-cation des renseignements personnels concernant le demandeur.

[68]J'en arrive donc à la conclusion que, dans les circonstances de l'espèce, la Loi sur la protection des renseignements personnels, précitée, ne permet pas à la Commission de divulguer à un autre revendicateur les renseignements personnels concernant le demandeur.

[69]Question no 2

La procédure suivie par la Commission pour décider si les éléments de preuve du demandeur seraient utilisés dans le cadre d'une autre audience relative au statut de réfugié était-elle conforme aux principes de justice naturelle et à l'équité procédurale?

Vu la réponse que j'ai donnée à la question no 1, il n'est pas nécessaire que je me prononce sur la question no 2. Je ferai cependant quelques brefs commentaires sur la procédure suivie par la Commission. Comme les Règles de la section du statut de réfugié ne prévoient pas de procédure pour la communication des renseignements personnels, c'est l'article 28 qui s'applique. Par souci de commodité, je reproduis les paragraphes 28(1) et (9):

28. (1) Toute demande d'une partie qui n'est pas prévue par les présentes règles est présentée à la section du statut par voie de requête, sauf si elle est présentée au cours d'une audience et que les membres décident d'une autre façon de procéder dans l'intérêt de la justice.

[. . .]

(9) La section du statut peut statuer sur la requête sans tenir d'audience si elle est convaincue qu'il ne risque pas d'en résulter d'injustice.

[70]Il me semble bien que la Commission s'est conformée à l'article 28 des Règles de la section du statut de réfugié et, de ce fait, aux principes de justice naturelle et à l'équité procédurale.

[71]La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la Commission de divulguer les renseignements confidentiels concernant le demandeur est annulée. La Cour déclare que la décision de la Commission de divulguer les renseignements confidentiels concernant le demandeur est illégale et qu'il est interdit à la Commission de divulguer d'autres renseignements confidentiels concernant le demandeur sans le consentement de celui-ci.

ORDONNANCE

[72]LA COUR ORDONNE:

1. La décision de la Commission de divulguer les renseignements confidentiels concernant le demandeur est annulée.

2. Il est déclaré que la décision de la Commission de divulguer les renseignements confidentiels concernant le demandeur est illégale.

3. Il est interdit à la Commission de divulguer d'autres renseignements confidentiels concernant le demandeur sans le consentement de celui-ci.

4. L'intitulé de la cause est modifié de façon que le demandeur soit appelé «AB».

5. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

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