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A-472-02

A-601-01

2003 CAF 160

Association des pilotes d'Air Canada (demanderesse)

c.

Association des pilotes de lignes aériennes et Air Canada (défenderesses)

et

Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada), section locale 1990 (intervenant)

et

TCA-Canada, section locale 2213 (intervenant)

Répertorié: Assoc. des pilotes d'Air Canada c. Assoc. des pilotes de lignes aériennes (C.A.)

Cour d'appel, juges Stone, Rothstein et Malone, J.C.A. --Toronto, 14 et 15 janvier; Ottawa, 27 mars 2003.

Relations du travail -- Fusion d'Air Canada et de Lignes aériennes Canadien International -- Date de l'intégration des listes d'ancienneté fixée par décision arbitrale -- Décision annulée par le CCRI -- Le syndicat des pilotes d'Air Canada demande à la Cour d'appel fédérale de rétablir la décision arbitrale -- Il allègue que la CCRI a outrepassé sa compétence en faisant abstraction d'un protocole signé par les syndicats, lequel établissait une procédure devant s'appliquer à l'intégration des listes d'ancienneté -- L'arbitre a conclu qu'il existait une disparité au plan économique entre les deux transporteurs, ainsi que des différences dans les tendances en matière d'embauche -- Ce déséquilibre rendait inéquitable une intégration «en fonction de la date d'embauche» -- Il a accordé aux pilotes d'Air Canada un traitement bonifié, leur employeur s'étant porté à la rescousse de Canadien -- Les pilotes d'Air Canada ont également été avantagés par certaines restrictions, désignées sous le nom d'«obstacles», telles des droits de postulation exclusifs à l'égard d'un certain gros porteur et une garantie de non-licenciement -- Le CCRI qui avait initialement confirmé que l'ancienneté des pilotes devait être établie en conformité avec la décision arbitrale a annulé sa propre décision après réexamen -- La nouvelle ordonnance correspondait au contexte factuel et juridique existant au moment où il y avait eu fusion des unités de négociation -- Le CCRI a statué que l'arbitre avait enfreint les dispositions du Code en accordant des avantages aux pilotes d'Air Canada -- Demande rejetée -- Le CCRI a, en vertu de l'art. 18 du Code, le pouvoir de déroger à toute partie du protocole -- Le protocole ne contient aucune entente expresse quant à la date de l'intégration des listes d'ancienneté -- Les tribunaux hésitent à aller au-delà du libellé d'une entente écrite à moins qu'il ne soit satisfait au critère de l'«observateur objectif» -- Aucun manquement à l'équité procédurale -- L'art. 44b) du Règlement confère au CCRI le pouvoir de réexaminer une décision lorsque les principes du Code ont été mal appliqués -- Il ne s'agissait pas d'un arbitrage d'intérêts avec latitude absolue laissée à l'arbitre; l'arbitrage devait plutôt s'appuyer sur les principes prévus au Code et était susceptible de réexamen par le CCRI -- Les art. 35 et 18.1 qui ont un objet remédiateur doivent être interprétés l'un en regard de l'autre -- L'approche «tout au vainqueur» n'est pas conforme à l'esprit de l'art. 18.1.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Certiorari -- Décision du Conseil canadien des relations industrielles -- Le CCRI, après réexamen, annule la décision arbitrale -- La question en litige porte sur l'intégration des listes d'ancienneté après la fusion des deux transporteurs aériens -- Norme de contrôle -- Application des principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) -- L'analyse vise à établir qui des tribunaux ou du CCRI doit rendre la décision finale, selon l'intention du législateur, pour trancher l'affaire -- Les décisions du CCRI sont protégées par une clause privative de large portée -- Tribunal spécialisé -- Les objectifs du Code canadien du travail constituent l'un des facteurs à prendre en compte -- Comme autre facteur, il y a la nature de la question en litige, soit celle de savoir si le CCRI avait compétence pour réviser une ordonnance antérieure, dans les limites de son cadre législatif et de son expérience -- La norme de contrôle applicable à la décision du CCRI est celle de la décision manifestement déraisonnable -- Le CCRI avait compétence pour déroger au protocole signé par les deux syndicats -- Le CCRI jouit en vertu du Règlement du pouvoir de réexaminer une décision lorsque les principes du Code ont été mal appliqués.

L'Association des pilotes d'Air Canada a demandé à la Cour d'appel fédérale d'annuler la décision du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) dans laquelle il a été précisé que la date de l'intégration des listes d'ancienneté après la fusion d'Air Canada et de Lignes aériennes Canadien International Ltée serait le 17 octobre 2000--soit la date à laquelle il avait ordonné le regroupement des unités de négociation. Une décision arbitrale antérieure avait fixé la date de l'intégration des listes au 4 janvier 2000, soit la date de la fusion. L'Association des pilotes d'Air Canada prie la Cour de rétablir la décision de l'arbitre. Elle allègue que le CCRI a outrepassé sa compétence en faisant abstraction de certaines dispositions d'une entente négociée entre elle-même et le syndicat représentant les pilotes de Lignes aériennes Canadien International Ltée (Canadien) et que la décision du CCRI était manifestement déraisonnable.

Le 3 août 2000, le CCRI a déclaré qu'Air Canada et Canadien étaient un employeur unique, en vertu de l'article 35 du Code canadien du travail, pour les fins de l'unité de négociation des pilotes. Cette déclaration a fait s'engager le processus d'établissement des unités habiles à négocier et relatif à des questions corrélatives, en vertu de l'article 18.1 du Code. Les syndicats représentant les deux groupes de pilotes avaient signé un protocole établissant une procédure devant s'appliquer à l'intégration des listes d'ancienneté. Conformément à ce protocole, un arbitre était choisi conjointement par les parties et investi de tous les pouvoirs du CCRI aux fins de l'intégration des listes d'ancienneté en application du Code. Le CCRI a approuvé la procédure d'intégration des listes d'ancienneté prévue par le protocole. Dans sa décision, l'arbitre n'a pas formulé spécifiquement les principes applicables au regroupement d'unités de négociation à la suite d'une déclaration d'employeur unique en vertu du Code, mais il a plutôt tiré une conclusion de fait quant à la disparité existant au plan économique entre les deux transporteurs. Cette conclusion constituait le principal fondement de la décision--tout comme la nécessité de protéger les employés d'Air Canada qui disposaient de garanties conventionnelles de non-licenciement dont la portée s'étendait jusqu'en juin 2005. La décision tenait compte, en outre, des différences existant dans les tendances en matière d'embauche: Canadien a cessé d'embaucher en 1990 et Air Canada, par contre, a connu une croissance sans précédent dans son effectif à partir de 1995. Au bout du compte, tous les pilotes de Canadien avaient été embauchés avant 1990, tandis que près de la moitié des pilotes d'Air Canada l'avaient été depuis 1995. Ce déséquilibre dans l'embauche rendait inéquitable une intégration «en fonction de la date d'embauche» et, par conséquent, l'arbitre a recouru à une approche fondée sur un ratio pour l'intégration des listes d'ancienneté. En outre, les pilotes d'Air Canada se sont vu accorder un ratio considérablement bonifié au motif qu'Air Canada s'était portée à la rescousse de Canadien et ont été avantagés par l'octroi de certaines restrictions, désignées sous le nom d'«obstacles», quant à l'application régulière de la liste d'ancienneté, notamment les droits de postulation exclusifs à l'égard d'un certain gros porteur et une garantie de non-licenciement.

Le CCRI a confirmé la décision de l'arbitre à l'égard de l'ancienneté des pilotes, mais le syndicat représentant les pilotes de Canadien a demandé un réexamen auquel le CCRI a consenti. Le syndicat des pilotes de Canadien n'a pas contesté la date du 4 janvier 2000 que l'arbitre avait choisi pour l'intégration des listes d'ancienneté. Le CCRI a statué que les circonstances antérieures au 4 janvier 2000 n'avaient pas un caractère déterminant, une convention collective conclue en mars 2000 ayant renforcé les droits des pilotes de Canadien. Ainsi, à la date de l'ordonnance prévoyant le regroupement, les droits des deux groupes de pilotes étaient fondamentalement les mêmes. Le 17 octobre 2000 correspondait bien dans les faits et au plan juridique au moment où il y avait véritablement eu fusion des unités de négociation. Avant cette date, les unités de négociation agissaient de manière indépendante et constituaient des entités distinctes. Le CCRI était d'avis que la date du 4 janvier 2000 (celle à laquelle les deux transporteurs ont commencé à exploiter des entreprises en commun) ne correspondait pas à la situation réelle au plan des relations industrielles, la fusion des deux entreprises n'ayant pas d'effet déterminant sur la fusion des unités de négociation. En fait, d'importantes modifications à la convention collective avaient été apportées de manière indépendante par chacune des unités après la fusion des entreprises mais avant celle des unités de négociation. Le CCRI a également statué que l'arbitre avait commis une erreur en intégrant les listes d'ancienneté selon une approche visant à favoriser les pilotes d'Air Canada, en violation du Code.

Arrêt: la demande doit être rejetée.

La première question à trancher est celle de la norme de contrôle appropriée. Les facteurs à prendre en considération sont ceux énoncés par la Cour suprême dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration). L'analyse vise à établir qui des tribunaux ou du CCRI doit rendre la décision finale, selon l'intention du législateur, pour trancher l'affaire. Les décisions du CCRI sont protégées par une clause privative que la Cour suprême a décrite à maintes reprises comme ayant une large portée, qui dénote la retenue dont le législateur désire qu'on fasse preuve à l'égard de ses décisions. En outre, le CCRI est un tribunal spécialisé qui est en meilleure situation que les tribunaux pour apprécier les intérêts des employeurs, des employés et des syndicats. Le troisième facteur à prendre en compte a trait aux objectifs du Code lesquels comprennent l'encouragement de la pratique des négociations collectives, le règlement positif des différends et de bonnes relations du travail qui servent l'intérêt du Canada. Le dernier facteur concerne la nature de la question en litige, en l'espèce, celle de savoir si le CCRI avait compétence pour réviser une ordonnance antérieure. Cela requiert d'interpréter et d'appliquer des dispositions interreliées du Code et du Règlement, lesquelles font partie du cadre législatif et de l'expérience du CCRI. Tous ces facteurs conduisent à conclure que la norme de contrôle applicable B la décision du CCRI est celle de la décision manifestement déraisonnable.

Le principal argument avancé par le syndicat des pilotes d'Air Canada était que, vu l'alinéa 18.1(2)a) du Code, le CCRI n'avait pas compétence pour déroger à quelque partie que ce soit du protocole. Il a fait valoir que le paragraphe 18.1(3) du Code prévoit les seules circonstances dans lesquelles le CCRI peut modifier une entente conclue par les parties: 1) lorsque le respect de délais est en cause ou; 2) lorsque l'entente ne permet pas d'établir des unités habiles à négocier collectivement. Mais le CCRI a eu recours à bon droit à l'article 18, lequel prévoit que «[l]e Conseil peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances».

Le protocole ne comportait, en fait, aucune entente quant à la date de l'intégration des listes d'ancienneté. Il reconnaissait simplement que les deux transporteurs aériens exploitaient des entreprises assujetties à un contrôle commun depuis le 4 janvier 2000. Nul ne pourrait dire non plus que cette date constituait un terme implicite du protocole. Les tribunaux hésitent à aller au-delà du libellé d'une entente écrite et n'imposeront pas un terme implicite à moins qu'il ne soit satisfait au critère de «l'observateur objectif»: le terme doit en être un dont les parties diraient, si on leur posait la question, qu'elles avaient évidemment tenu son inclusion pour acquise. À l'audience du CCRI d'octobre 2002, le syndicat des pilotes d'Air Canada a été invité à proposer une date d'intégration autre que le 17 octobre 2000, mais cette offre a été repoussée. Le syndicat ne pouvait pas maintenant avancer qu'il y avait eu manquement à l'équité procédurale à son endroit.

La demanderesse a également soutenu que le CCRI avait fait abstraction de l'entente des parties quant à l'arbitrage d'intérêts, en procédant au réexamen sur le fondement d'un arbitrage de droits. Le fait que le CCRI ait examiné les droits issus de convention collective respectifs des parties à la date de la fusion des unités de négociation ne veut pas dire qu'il considérait M. Mitchnick comme un arbitre de droits. Rien n'empêche les arbitres d'intérêts de se pencher sur les droits issus de convention collective existants. Finalement, il était du ressort du CCRI, conformément à l'alinéa 44b) du Règlement, de réexaminer une décision sur le fondement d'une mauvaise application des principes du Code. L'arbitre n'avait pas la liberté de choisir les principes qu'il voulait.

La demanderesse soutient également que l'article 44 du Règlement restreint les questions pouvant être soulevées dans le cadre d'une demande de réexamen, ce qui empêchait le CCRI de modifier la date de l'intégration des listes d'ancienneté. À la lecture de la décision du CCRI, il ressort clairement que celui-ci comprenait et a suivi les prescriptions de l'article 44 dans l'exercice de son pouvoir de procéder à un réexamen en vertu de l'article 18 du Code. Le CCRI n'a pas non plus commis d'erreur en ne faisant pas preuve de suffisamment de retenue face à M. Mitchnick qui agissait comme arbitre d'intérêts. Il ne s'agissait pas d'un arbitrage d'intérêts avec latitude absolue laissée à l'arbitre; l'arbitrage devait plutôt s'appuyer sur les principes prévus au Code et était susceptible de réexamen par le CCRI.

L'article 18.1 a été adopté à la suite des recommandations du Groupe de travail Sims, mis sur pied par le ministre du Travail en 1995, afin de conférer au CCRI le pouvoir de rendre les ordonnances corrélatives nécessaires pour rendre de nouveau efficace la négociation collective en cas de différends entre des unités de négociation ayant fait l'objet d'une fusion.

Le CCRI n'a pas fait erreur en concluant que les articles 35 et 18.1 devaient être interprétés l'un en regard de l'autre, et que leur objet, remédiateur, était de protéger les droits négociés et de favoriser de bonnes relations de travail. Le CCRI a de plus conclu que n'était pas conforme à l'esprit de l'article 18.1 une approche «tout au vainqueur» ayant pour effet d'avantager un groupe d'employés au détriment des autres. Il était loisible au CCRI de choisir le 17 octobre 2000 comme date de l'intégration des listes d'ancienneté, un choix qui tenait compte de la nécessité d'intégrer les listes d'ancienneté d'une manière conforme au régime établi par le Code pour la révision des unités de négociation, ainsi qu'aux réalités courantes des relations de travail.

lois et règlements

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 18, 18.1 (édicté par L.C. 1998, ch. 26, art. 7), 22 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 56), 35 (mod. par L.C. 1998, ch. 26, art. 17).

Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles, DORS/2001-520, art. 44.

jurisprudence

décisions suivies:

Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369; [1996] N.W.T.R. (2d) 1; (1996), 133 D.L.R. (4th) 129; 36 Admin. L.R. (2d) 1; 193 N.R. 81.

décisions citées:

Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations de travail), [1995] 1 R.C.S. 157; (1995), 121 D.L.R. (4th) 385; 177 N.R. 1; Syndicat international des débardeurs et magasiniers, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Prince Rupert Grain Ltd., [1996] 2 R.C.S. 432; (1996), 135 D.L.R. (4th) 385; 40 Admin. L.R. (2d) 1; Société hôtelière Canadien Pacifique Ltée c. Banque de Montréal, [1987] 1 R.C.S. 711; (1987), 40 D.L.R. (4th) 385; 41 C.C.L.T. 1; 77 N.R. 161; 21 O.A.C. 321; Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Masqui, [1995] 1 R.C.S. 3; (1995), 122 D.L.R. (4th) 129; 26 Admin. L.R. (2d) 1; [1995] 2 C.N.L.R. 92; 177 N.R. 325; VIA Rail Canada Inc. c. Cairns, [2001] 4 C.F. 139; (2001), 270 N.R. 237 (C.A.); Telus Advanced Communications, division de Telus Communications Inc. c. Syndicat des travailleurs en télécommunications (2002), 293 N.R. 364 (C.A.F.); United Electrical Workers, Local 512 and Tung-Sol of Canada Ltd. (Re) (1964), 15 L.A.C. 161 (C.C.R.T.); Air Canada (Re), [2000] CCRI no 79; [2000] D.C.C.R.I. no 33 (QL); Grasky (Re), [2001] CCRI no 115; [2001] D.C.C.R.I. no 10 (QL); Cairns (Re), [1999] CCRI no 35; [1999] D.C.C.R.I. no 35 (QL).

doctrine:

Canada. Groupe de travail aux fins de réviser la partie I du Code canadien du travail. Vers l'équilibre: Code canadien du travail, partie 1, révision. Ottawa: Travail Canada, 1996 (Président: Andrew C. L. Sims).

Fridman, G. H. L. The Law of Contract in Canada, 4th ed. Toronto: Carswell, 1999.

Demande de contrôle judiciaire à l'égard d'une ordonnance (Air Canada (Re), [2002] CCRI no 185; [2002] 2 D.C.C.R.I. no 31 (QL)) par laquelle le Conseil canadien des relations industrielles a annulé une décision arbitrale relative à l'intégration des listes d'ancienneté après la fusion d'Air Canada et de Lignes aériennes Canadien International. Demande rejetée.

ont comparu:

John P. Nelligan, c.r., Steven H. Waller, et Christopher Rootham pour la demanderesse.

Paul J. J. Cavalluzzo et Fay Faraday pour la défenderesse Association des pilotes de lignes aériennes.

Maryse Tremblay pour la défenderesse Air Canada.

Carolyn J. Askew pour l'intervenant Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada), section locale 1990.

Michael A. Church pour l'intervenant TCA-Canada, section locale 2213.

avocats inscrits au dossier:

Nelligan O'Brien Payne LLP, Ottawa, pour la demanderesse.

Cavalluzzo Hayes Shilton McIntyre & Cornish, Toronto, pour la défenderesse Association des pilotes de lignes aériennes.

Air Canada, St-Laurent, Québec, pour la défenderesse Air Canada.

Rush Crane Guenther, Vancouver, pour l'intervenant Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada), section locale 1990.

Caley & Wray, Toronto, pour l'intervenant TCA-Canada, section locale 2213.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Malone, J.C.A.:

Introduction

[1]Le différend à la base de la présente demande a trait à l'intégration des listes d'ancienneté s'appliquant aux pilotes d'Air Canada après la fusion de celle-ci et de Lignes aériennes Canadien International Ltée (Canadien). Par décision arbitrale datée du 31 mars 2001, la date de l'intégration des listes a été fixée au 4 janvier 2000, soit la date de la fusion. La décision arbitrale a été annulée par une ordonnance du Conseil canadien des relations industrielles (le CCRI ou Conseil) datée du 10 juillet 2002, et le Conseil a ordonné aux parties de négocier une nouvelle liste d'ancienneté (publié à [Air Canada (Re)], [2002] CCRI no 183; [2002] D.C.C.R.I. n 31 (QL)). Le Conseil a précisé que la date d'intégration des listes d'ancienneté devait être le 17 octobre 2000, soit la date à laquelle il avait ordonné le regroupement des unités de négociation.

[2]L'Association des pilotes d'Air Canada (l'APAC) demande maintenant à notre Cour d'annuler l'ordonnance du 10 juillet 2002 du CCRI, de rétablir la décision de l'arbitre et de fixer à nouveau au 4 janvier 2000 la date à laquelle les listes d'ancienneté devraient être intégrées.

[3]L'APAC demande cette mesure de redressement au motif que le Conseil a outrepassé sa compétence en faisant abstraction de dispositions expresses d'une entente librement négociée entre elle-même et l'Association des pilotes de lignes aériennes (ALPA), le syndicat représentant les pilotes canadiens, et datée du 29 juin 2000 (le protocole) et que, de plus, la décision du Conseil d'annuler la décision arbitrale était manifestement déraisonnable.

Les faits

[4]À compter du 4 janvier 2000, Air Canada et Canadien ont commencé à exploiter des entreprises associées, en attendant l'approbation officielle par les tribunaux de leur fusion projetée. Plusieurs mois plus tard, soit le 19 mai 2000, l'APAC a présenté une demande au Conseil visant à ce que Air Canada et Canadien soient déclarés être un employeur unique, en vertu de l'article 35 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, mod. par L.C. 1998, ch. 26, art. 17 (le Code).

[5]Avant le 4 janvier 2000, l'APAC représentait les pilotes travaillant pour Air Canada, et l'ALPA les pilotes travaillant pour Canadien. L'APAC et Air Canada avaient conclu une convention collective toujours en vigueur et, le 30 mars 2000, l'ALPA a conclu une nouvelle convention collective distincte avec Air Canada visant les anciens pilotes de Canadien et prévoyant pour eux, notamment, la parité salariale avec les pilotes d'Air Canada.

[6]Le 3 août 2000, le Conseil a déclaré qu'Air Canada et Canadien étaient un employeur unique, en vertu de l'article 35 du Code, pour les fins de l'unité de négociation des pilotes. Cette déclaration a fait s'engager le processus d'établissement des unités habiles à négocier et relatif à des questions corrélatives, en vertu de l'article 18.1 [édicté par L.C. 1998, ch. 26, art. 7] du Code. Voici le libellé de ces articles:

18.1 (1) Sur demande de l'employeur ou d'un agent négociateur, le Conseil peut réviser la structure des unités de négociation s'il est convaincu que les unités ne sont plus habiles à négocier collectivement.

(2) Dans le cas où, en vertu du paragraphe (1) ou des articles 35 ou 45, le Conseil révise la structure des unités de négociation:

a) il donne aux parties la possibilité de s'entendre, dans le délai qu'il juge raisonnable, sur la détermination des unités de négociation et le règlement des questions liées à la révision;

b) il peut rendre les ordonnances qu'il juge indiquées pour mettre en oeuvre l'entente.

(3) Si le Conseil est d'avis que l'entente conclue par les parties ne permet pas d'établir des unités habiles à négocier collectivement ou si certaines questions ne sont pas réglées avant l'expiration du délai qu'il juge raisonnable, il lui appartient de trancher toute question en suspens et de rendre les ordonnances qu'il estime indiquées dans les circonstances.

(4) Pour l'application du paragraphe (3), le Conseil peut:

a) déterminer quel syndicat sera l'agent négociateur des employés de chacune des unités de négociation définies à l'issue de la révision;

b) modifier l'ordonnance d'accréditation ou la description d'une unité de négociation dans une convention collective;

c) si plusieurs conventions collectives s'appliquent aux employés d'une unité de négociation, déterminer laquelle reste en vigueur;

d) apporter les modifications qu'il estime nécessaires aux dispositions de la convention collective qui portent sur la date d'expiration ou les droits d'ancienneté ou à toute autre disposition de même nature;

e) si les conditions visées aux alinéas 89(1)a) à d) ont été remplies à l'égard de certains des employés d'une unité de négociation, décider quelles conditions de travail leur sont applicables jusqu'à ce que l'unité devienne régie par une convention collective ou jusqu'à ce que les conditions visées à ces alinéas soient remplies à l'égard de l'unité;

f) autoriser l'une des parties à une convention collective à donner à l'autre partie un avis de négociation collective.

[. . .]

35. (1) Sur demande d'un syndicat ou d'un employeur concernés, le Conseil peut, par ordonnance, déclarer que, pour l'application de la présente partie, les entreprises fédérales associées ou connexes qui, selon lui, sont exploitées par plusieurs employeurs en assurant en commun le contrôle ou la direction constituent une entreprise unique et que ces employeurs constituent eux-mêmes un employeur unique. Il est tenu, avant de rendre l'ordonnance, de donner aux employeurs et aux syndicats concernés la possibilité de présenter des arguments.

(2) Lorsqu'il rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1), le Conseil peut décider si les employés en cause constituent une ou plusieurs unités habiles à négocier collectivement.

[7]En prévision de la déclaration d'employeur unique par le Conseil, l'APAC et l'ALPA ont signé un protocole qui établissait une procédure devant s'appliquer à l'intégration des listes d'ancienneté. Voici les dispositions pertinentes de ce protocole:

ATTENDU QUE

1.     L'APAC a saisi le Conseil canadien des relations industrielles («le CCRI») d'une demande «dossier 21177-C» («la demande») fondée sur les articles 35 et 18.1 du Code canadien du travail («le Code»);

2.     La demande vise à ce qu'il soit déclaré, aux termes de l'article 35, qu'Air Canada, Lignes aériennes Canadien International Ltée («LACI») et deux entreprises à dénomination numérique de l'Alberta constituent un employeur unique exploitant une entreprise de transport aérien de lignes principales unique en vertu du Code;

3.     La demande vise également à obtenir certaines réparations corrélatives en application de l'article 18.1, dont une ordonnance regroupant les deux unités et négociation des pilotes assurant le service de transport aérien de lignes principales à Air Canada et aux LACI en vue de constituer une seule unité de négociation habile à négocier collectivement;

4.     L'APAC et L'ALPA souhaitent accélérer le traitement de la demande, et s'entendent d'abord sur certaines questions lorsqu'il y va de leur intérêt mutuel, et en convenant ensuite d'une procédure qui permettra de régler de manière juste et rapide les autres questions sur lesquelles elles divergent d'opinion.

LES PARTIES CONVIENNENT DÈS LORS DE CE QUI SUIT:

1.     L'APAC et L'ALPA feront valoir ce qui suit dans les plaidoiries et les observations qu'elles présenteront relativement à la demande:

a)     Depuis le 4 janvier 2000, Air Canada et LACI exploitent des entreprises fédérales associées ou connexes assujetties à une direction ou un contrôle commun au sens de l'article 35;

b)     Le CCRI devrait exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 35 pour déclarer que, pour l'application de la Partie I du Code, Air Canada et LACI constituent un employeur unique exploitant une entreprise de transport aérien de lignes principales unique.

[. . .]

b)     Ces deux unités devraient être regroupées pour former une seule unité de négociation des pilotes de lignes principales à la date que déterminera le CCRI;

[. . .]

3.     Si le CCRI formule une déclaration d'employeur unique et qu'il conclut à la nécessité de regrouper les unités de négociation d'Air Canada et des Lignes aériennes Canadien, et à la condition qu'aucune entente ne soit intervenue entre l'APAC et l'ALPA relativement à l'intégration des listes d'ancienneté, l'APAC et l'ALPA adresseront conjointement une demande au Conseil pour qu'une liste d'ancienneté intégrée des pilotes d'Air Canada et des LACI soit établie conformément à la procédure décrite ci-après, en vertu de l'article 18.1 du Code:

a)     la question de l'intégration des deux listes d'ancienneté sera tranchée par un arbitre siégeant seul choisi conjointement par les parties, à savoir M. Morton Mitchnick;

b)     l'arbitre doit intégrer les listes d'ancienneté en s'appuyant sur les principes qu'il juge applicables au regroupement d'unité de négociation à la suite d'une déclaration d'employeur unique en vertu du Code;

c)     les parties peuvent présenter les observations de leur choix sur la question des principes applicables;

[. . .]

f)     le calendrier d'arbitrage et le déroulement de la procédure seront déterminés par l'arbitre après examen des observations et des ententes supplémentaires (le cas échéant) des parties;

g)     l'arbitre est investi de tous les pouvoirs du Conseil aux fins de l'intégration des listes d'ancienneté en application du Code;

h)     avant la production de la preuve à l'arbitrage, l'APAC et l'ALPA s'échangeront des renseignements détaillés au sujet des listes d'ancienneté des pilotes d'Air Canada et des LACI en vigueur en date du 3 janvier 2000. Les parties entameront immédiatement d'autres discussions pour préciser la nature et la forme particulière des renseignements à échanger;

i)     l'arbitre ne peut rendre une décision qui modifie l'ordre d'ancienneté relative des employés qui sont inscrits à bon droit sur la liste d'ancienneté de l'un ou l'autre des deux groupes de pilotes antérieurs;

j)     sous réserve des modalités énoncées au paragraphe suivant, la ou les décisions de l'arbitre sont finales et exécutoires pour l'APAC, l'ALPA, Air Canada, LACI et les pilotes d'Air Canada et des LACI;

k)     la ou les décisions de l'arbitre devront être incorporées dans la ou les ordonnances rendues par le Conseil sous le régime du paragraphe 18.1(2) du Code afin de mettre en oeuvre la présente entente des parties. Ces ordonnances du Conseil seront finales et pourront uniquement faire l'objet d'un réexamen par le Conseil ou d'un contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur la Cour fédérale.

4.     En ce qui concerne les autres questions découlant de la demande qui ne sont pas mentionnées dans les présentes, l'APAC et l'ALPA peuvent faire valoir les arguments de leur choix.

[8]Les parties ont demandé au Conseil d'approuver le protocole et, par ordonnance datée du 17 octobre 2000, le Conseil a approuvé l'existence d'une unité de négociation unique pour les pilotes, ainsi que la procédure d'intégration des listes d'ancienneté prévue à l'article 3 du protocole. Voici le passage pertinent de cette ordonnance:

ATTENDU QUE, à la suite de la déclaration d'employeur unique rendue par le Conseil le 3 août 2000, les parties en sont venues à une entente sur le fait que les deux unités pertinentes des pilotes, unités n 6857-U, émise le 14 novembre 1995 et no 7258-U, émise le 29 août 1997, ne sont plus habiles à négocier et qu'elles devraient être remplacées par une seule unité de négociation regroupée de pilotes chez l'employeur unique Air Canada récemment déclaré comme tel;

ET ATTENDU QUE l'Association des pilotes d'Air Canada (APAC) et l'Association des pilotes des lignes aériennes (ALPA), selon la clause 3 d'une entente en date du 29 juin 2000, se sont mises d'accord sur une méthode pour traiter toutes questions relatives à l'ancienneté qui pourrait en découler;

EN CONSÉQUENCE, le Conseil déclare qu'une seule unité de négociation regroupée de pilotes est l'unité habile à négocier chez l'employeur unique Air Canada récemment déclaré comme tel.

ET DE PLUS, le Conseil déclare en vertu de l'article 18.1 du Code canadien du travail qu'il approuve la méthode choisie pour traiter les questions relatives à l'ancienneté qui pourraient en découler telle qu'elle apparaît à la clause 3 de l'entente signée par l'APAC et l'ALPA le 29 juin 2000.

[9]Tel qu'il était prévu dans le protocole, c'est Morton G. Mitchnick, un arbitre d'expérience dans le domaine du travail, qui a procédé à l'arbitrage. La procédure suivie par l'arbitre Mitchnick faisait appel à la fois à des audiences, des observations des avocats, des présentations des comités de pilotes portant sur la fusion et des réunions avec des groupes de pilotes. M. Mitchnick a mené la procédure d'arbitrage en conformité avec le protocole et il a choisi le 4 janvier 2000, soit la date à laquelle les sociétés aériennes ont commencé à exploiter des entreprises associées, comme date devant servir aux fins de l'intégration des listes d'ancienneté.

[10]M. Mitchnick a rendu sa décision le 31 mars 2001. Bien qu'il ait tenu compte de certaines décisions arbitrales antérieures, il n'a pas formulé spécifiquement les principes applicables au regroupement d'unités de négociation à la suite d'une déclaration d'employeur unique en vertu du Code. La décision avait plutôt pour principal fondement une conclusion de fait quant à la disparité existant au plan économique entre Canadien et Air Canada le 4 janvier 2000, et reposait aussi sur la nécessité de protéger les employés d'Air Canada d'avant la fusion qui disposaient de garanties conventionnelles de «non-licenciement» dont la portée s'étendait jusqu'en juin 2005.

[11]La décision tenait compte, en outre, des différences existant dans les tendances en matière d'embauche d'Air Canada et de Canadien. L'embauche chez Canadien a pratiquement cessé à partir de 1990. Air Canada, par contre, a connu une croissance sans précédent, et de 1995 jusqu'à la date de la fusion, le nombre de ses pilotes a augmenté d'environ les deux tiers. Il en est donc résulté un déséquilibre de nature démographique, pratiquement tous les pilotes de Canadien ayant été embauchés au plus tard en 1990, et près de la moitié des pilotes d'Air Canada l'ayant été à partir de 1995. Ce déséquilibre dans l'embauche rendait inéquitable une intégration «en fonction de la date d'embauche» et, par conséquent, M. Mitchnick a recouru à une approche fondée sur un ratio pour l'intégration des listes d'ancienneté.

[12]M. Mitchnick a également recouru à un ratio variable par catégorie, tel que l'APAC l'avait proposé, en fonction duquel le ratio était considérablement bonifié pour les pilotes d'Air Canada au motif que celle-ci s'était portée à la rescousse de Canadien, et que l'intégration des listes d'ancienneté devait en tenir compte. Les anciens pilotes d'Air Canada ont également été avantagés par l'octroi d'un certain nombre de conditions ou restrictions, désignées sous le nom d'«obstacles», ayant un effet pour une durée de cinq ou de 10 ans sur l'application régulière de la liste d'ancienneté. Parmi ces «obstacles», il y avait des droits de postulation exclusifs accordés aux pilotes d'Air Canada à l'égard d'un certain gros porteur, une garantie de non-licenciement prévoyant qu'aucun pilote d'Air Canada embauché avant la fusion ne puisse être licencié avant que 422 anciens pilotes de Canadien l'aient été, ainsi qu'une protection spéciale prévoyant que les postes accordés à partir de la liste de postulations de l'hiver 2000 servent de fondement pour la première offre de postes à laquelle on procédera au moyen de la liste intégrée.

[13]Le 2 mai 2001, le Conseil a rendu une ordonnance confirmant que l'ancienneté des pilotes au sein de la nouvelle unité de négociation devait être établie en conformité avec la décision de l'arbitre Mitchnick.

[14]Le 11 mai 2001, l'ALPA a demandé le réexamen de l'ordonnance du 2 mai 2001 du Conseil, et le Conseil a annoncé par lettre le 14 août 2001 qu'il procéderait à un réexamen complet de la décision de l'arbitre Mitchnick. Le Conseil a tenu des audiences de réexamen jusqu'en janvier 2002. Lors des audiences, aucune partie n'a soutenu qu'on devrait se servir d'une autre date que le 4 janvier 2000 aux fins de l'intégration des listes d'ancienneté, et le recours à cette date par l'arbitre Mitchnick n'a pas été l'un des motifs de la demande de réexamen de l'ALPA.

[15]Le Conseil a rendu sa décision de réexamen de 91 pages le 10 juillet 2002. Le Conseil a principalement examiné si les principes appliqués par l'arbitre Mitchnick étaient conformes à l'esprit du Code, compte tenu du fait que l'intégration de l'unité de négociation faisait suite à une déclaration d'employeur unique en vertu de l'article 35 et à un regroupement subséquent des unités de négociation en vertu de l'article 18.1 du Code. Dans le cadre de son réexamen de la décision de l'arbitre Mitchnick, le Conseil a appliqué ses politiques, normes et pratiques courantes en la matière, tel que le prévoient l'article 18 du Code et l'article 44 du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles, DORS/2001-520 (le Règlement). Voici le libellé de ces articles 18 et 44:

[Le Code]

18. Le Conseil peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réinstruire une demande avant de rendre une ordonnance à son sujet.

[Le Règlement]

44. Les circonstances dans lesquelles une demande de réexamen peut être présentée au Conseil sur le fondement du pouvoir de réexamen que lui confère l'article 18 du Code comprennent les suivantes:

a) la survenance de faits nouveaux qui, s'ils avaient été portés à la connaissance du Conseil avant que celui-ci ne rende la décision ou l'ordonnance faisant l'objet d'un réexamen, l'auraient vraisemblablement amené à une conclusion différente;

b) la présence d'erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l'interprétation du Code donnée par le Conseil;

c) le non-respect par le Conseil d'un principe de justice naturelle;

d) toute décision rendue par un greffier aux termes de l'article 3.

[16]Le Conseil a statué qu'en regard de l'intégration des listes d'ancienneté en vertu du Code, son rôle consistait à protéger les droits négociés et à ne modifier les droits existants que dans la mesure requise pour obtenir un résultat juste et équitable. Le Conseil a statué qu'en l'espèce les circonstances antérieures au 4 janvier 2000 n'avaient pas un caractère déterminant, puisqu'une nouvelle convention collective conclue à la fin de mars 2000 avait renforcé les droits des pilotes de Canadien. Au moment de l'arbitrage et de son ordonnance du 17 octobre 2000 prévoyant le regroupement des unités de négociation, ainsi, les droits des deux groupes de pilotes étaient fondamentalement les mêmes. Le Conseil a par conséquent choisi le 17 octobre 2000, plutôt que le 4 janvier 2000, comme date à laquelle les listes d'ancienneté devaient être intégrées.

[17]Le Conseil a précisé que le 17 octobre 2000 correspondait bien dans les faits et au plan juridique au moment où il y avait véritablement eu fusion des unités de négociation. Avant cette date, les unités de négociation agissaient de manière indépendante et étaient légalement et dans les faits des entités distinctes. Le Conseil a déclaré que la date du 4 janvier 2000, soit celle à laquelle Canadien et Air Canada ont commencé à exploiter des entreprises en commun, ne correspondait pas à la situation réelle aux plans législatif et des relations industrielles, la fusion des deux entreprises n'ayant pas d'effet déterminant sur la fusion des unités de négociation. Il fallait recourir au 17 octobre 2000, la date de l'ordonnance regroupant les deux unités de négociation auparavant distinctes, à moins qu'il n'y ait des raisons valables d'ordonner le recours à une autre date. Jusqu'au 17 octobre 2000, chacune des deux unités a continué de façon distincte de représenter les employés qui en étaient membres, et a apporté d'importantes modifications à la convention collective de manière indépendante, après la fusion des entreprises mais avant celle des unités de négociation.

[18]Le Conseil a conclu que l'arbitre avait appliqué de manière erronée les articles 35 et 18.1 du Code. Il a conclu, en particulier, que sa décision était incompatible avec l'article 3 du protocole, qu'il n'avait pas utilisé et appliqué une approche remédiatrice pour intégrer les listes d'ancienneté tel que le Code le lui enjoignait, qu'il n'avait pas tenu suffisamment compte des facteurs économiques et qu'il n'avait pas expliqué ni justifié clairement selon quels fondements les catégories de ratios relatifs aux pilotes avaient été établies.

[19]Le Conseil a également statué que l'arbitre avait commis une erreur en intégrant les listes d'ancienneté selon une approche visant délibérément à privilégier ou favoriser les pilotes de l'APAC, en violation de l'esprit du Code. Le Conseil a infirmé la décision de l'arbitre Mitchnick, et a fixé le processus à suivre pour procéder à une nouvelle intégration des listes d'ancienneté en conformité avec les principes véritables du Code.

[20]À une audience du Conseil tenue le 3 octobre 2002 à la demande des parties pour que soit établi le nouveau processus, l'ALPA a accepté le 17 octobre 2000 comme date de l'intégration. Bien que le Conseil l'ait conviée à proposer une autre date, l'APAC n'en a proposé aucune.

Norme de contrôle judiciaire

[21]Une question à trancher d'entrée de jeu, c'est celle de la norme de contrôle que notre Cour doit appliquer à la décision du 10 juillet 2002 du Conseil. Cette norme doit être établie au moyen d'une analyse pragmatique et fonctionnelle tenant compte des facteurs énoncés par la Cour suprême du Canada dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 (Pushpanathan). Parmi ces facteurs, il y a la présence ou l'absence d'une clause privative, l'expertise du tribunal, les objectifs de la loi constitutive ainsi que la nature de la question à régler. Cette analyse vise à établir qui des tribunaux ou du Conseil doit rendre la décision finale, selon l'intention du législateur, pour trancher l'affaire (se reporter à Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157 (Société Radio-Canada), au paragraphe 30).

[22]Pour ce qui est du premier facteur, les paragraphes 22(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 56] et (2) constituent une clause privative qui protège les décisions du Conseil:

22. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, les ordonnances ou les décisions du Conseil sont définitives et ne sont susceptibles de contestation ou de révision par voie judiciaire que pour les motifs visés aux alinéas 18.1(4)a), b) ou e) de la Loi sur la Cour fédérale et dans le cadre de cette loi.

(2) Sauf exception prévue au paragraphe (1), l'action--décision, ordonnance ou procédure--du Conseil, dans la mesure où elle est censée s'exercer dans le cadre de la présente partie, ne peut, pour quelque motif, y compris celui de l'excès de pouvoir ou de l'incompétence à une étape quelconque de la procédure:

a) être contestée, révisée, empêchée ou limitée;

b) faire l'objet d'un recours judiciaire, notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto.

La Cour suprême du Canada a décrit à maintes reprises cette clause privative comme ayant une large portée, qui dénote la retenue dont le législateur désire qu'on fasse preuve à l'égard des décisions et ordonnances du Conseil (se reporter à Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369 (Royal Oak Mines), au paragraphe 36; et à Syndicat international des débardeurs et magasiniers, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Prince Rupert Grain Ltd., [1996] 2 R.C.S. 432 (Prince Rupert Grain), au paragraphe 42).

[23]En ce qui concerne le deuxième facteur, il est bien reconnu par la Cour suprême du Canada que le Conseil est un tribunal spécialisé qui est en meilleure situation que les tribunaux pour apprécier les intérêts des employeurs, des employés et des syndicats, et pour appliquer les dispositions du Code aux questions dont il est saisi (Société Radio-Canada, au paragraphe 53). Notre Cour, à son tour, a reconnu la compétence spécialisée du Conseil comme facteur justifiant qu'on fasse preuve de retenue à l'endroit de ses décisions (se reporter à VIA Rail Canada Inc. c. Cairns, [2001] 4 C.F. 139 (C.A.) (VIA Rail), aux paragraphes 30 à 32, et à Telus Advanced Communications, division de Telus Communications Inc. c. Syndicat des travailleurs en télécommunications (2002), 293 N.R. 364 (C.A.F.), aux paragraphes 39 à 43).

[24]Le troisième facteur de l'analyse, selon Pushpanathan, a trait aux objectifs du Code, et constitue un motif additionnel pour faire preuve de retenue à l'égard des décisions du Conseil. Le préambule du Code permet facilement d'en dégager les objectifs.

[25]Le juge Cory a fait remarquer ce qui suit, au paragraphe 73 de Royal Oak Mines:

Les objectifs du Code canadien du travail sont énoncés dans son préambule à la partie I. Parmi ceux-ci on compte a) celui de favoriser le bien-être de tous; b) l'encouragement de la pratique des libres négociations collectives; c) le règlement positif des différends; d) la liberté syndicale et la pratique des libres négociations collectives comme fondements de relations du travail fructueuses; e) de bonnes conditions de travail et de saines relations entre travailleurs et employeurs; f) de bonnes relations du travail qui servent l'intérêt du Canada en assurant à tous une juste part des fruits du progrès.

[26]Le dernier facteur de l'analyse, selon Pushpanathan, concerne la nature de la question en litige. En l'espèce, cette question est celle de savoir si le CCRI avait compétence pour réviser son ordonnance du 2 mai 2001 par laquelle il a confirmé la décision de l'arbitre Mitchnick. Cela requiert essentiellement d'interpréter et d'appliquer diverses dispositions interreliées du Code et du Règlement. C'est là le propre cadre législatif du CCRI, que celui-ci a eu de nombreuses occasions d'interpréter.

[27]Le Règlement sur le CCRI prévoit que le Conseil peut réexaminer ses propres ordonnances en présence d'erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l'interprétation du Code. En l'espèce, le Conseil devrait décider si l'ordonnance du 2 mai 2001 qui confirmait la décision de l'arbitre Mitchnick remettait sérieusement en question l'interprétation du Code, en ce qui a trait aux principes applicables à l'intégration d'unités de négociation et au traitement de droits existants issus d'une convention collective. Étant donné les compétences spécialisées du CCRI dans le domaine, j'estime qu'il s'agit là de questions que le législateur comptait laisser de son ressort plutôt que de les confier aux tribunaux.

[28]À mon avis, tous les facteurs susmentionnés conduisent à conclure que la norme de contrôle applicable à la décision du CCRI est celle de la décision manifestement déraisonnable.

Erreurs alléguées

[29]L'élément central de la demande de contrôle judiciaire de l'APAC, c'est sa prétention selon laquelle le Conseil n'avait pas compétence pour déroger à quelque partie que ce soit du protocole. Le fondement de cette prétention, c'est que le Conseil est lié par l'alinéa 18.1(2)a) du Code, dont voici le libellé:

18.1 [. . .]

(2) Dans le cas où, en vertu du paragraphe (1) ou des articles 35 ou 45, le Conseil révise la structure des unités de négociation:

a) il donne aux parties la possibilité de s'entendre, dans le délai qu'il juge raisonnable, sur la détermination des unités de négociation et le règlement des questions liées à la révision;

[30]L'argument de l'APAC, c'est que le paragraphe 18.1(3) du Code prévoit les seules circonstances dans lesquelles le Conseil peut modifier l'entente des parties ou y déroger, soit lorsque le respect de délais est en cause ou lorsque l'entente ne permet pas d'établir des unités habiles à négocier collectivement. Par souci de comodité, voici de nouveau le libellé du paragraphe 18.1(3):

18.1 [. . .]

(3) Si le Conseil est d'avis que l'entente conclue par les parties ne permet pas d'établir des unités habiles à négocier collectivement ou si certaines questions ne sont pas réglées avant l'expiration du délai qu'il juge raisonnable, il lui appartient de trancher toute question en suspens et de rendre les ordonnances qu'il estime indiquées dans les circonstances.

[31]Le protocole est une entente conclue entre les parties dans un délai raisonnable, aux termes de l'alinéa 18.1(2)a) du Code. À son tour, l'ordonnance du 2 mai 2001 du Conseil, qui mettait en oeuvre la décision de l'arbitre Mitchnick, a été valablement rendue en conformité avec l'alinéa 18.1(2)b). D'après mon analyse, toutefois, la demande de réexamen de l'ALPA ne tombe pas sous le coup du paragraphe 18.1(3), puisqu'elle ne soulève pas de question de respect de délais par les parties, ni de question quant à savoir si le protocole permet d'établir des unités habiles à négocier collectivement. Le Conseil, par conséquent, a eu recours à bon droit à l'article 18 du Code, les dispositions de longue date en matière de révision, pour procéder au réexamen de sa propre ordonnance du 2 mai 2001. Voici l'article 18 du Code:

18. Le Conseil peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réinstruire une demande avant de rendre une ordonnance à son sujet. [Je souligne.]

[32]L'APAC poursuit son argumentation en disant que, puisque le Conseil avait déjà convenu avec les parties qu'une unité unique serait habile à négocier collectivement, il était tenu en vertu de l'alinéa 18.1(2)a) de souscrire aux dispositions du protocole à l'égard de toute autre question. Plus spécifiquement, le Conseil aurait dérogé de trois manières au protocole: 1) en changeant unilatéralement, du 4 janvier 2000 au 17 octobre 2000, la date de l'intégration; 2) en recourant à des principes d'arbitrage fondés sur les droits, plutôt que sur les intérêts comme il avait été convenu; 3) en imposant ses propres principes en matière d'intégration, plutôt qu'en laissant M. Mitchnick s'appuyer sur les principes qu'il jugeait applicables, tel que le protocole le lui permettait.

[33]En ce qui concerne la date de la fusion d'Air Canada et de Canadien, il est manifeste qu'il n'y avait aucune entente expresse dans le protocole quant à la date de l'intégration des listes d'ancienneté. L'alinéa 1a) reconnaissait que, depuis le 4 janvier 2000, Air Canada et Canadien exploitaient des entreprises associées ou connexes assujetties à une direction ou un contrôle commun. Cela n'équivalait toutefois pas à une entente selon laquelle l'intégration des listes d'ancienneté devait se faire à la même date.

[34]L'alinéa 3h) du protocole prévoit un échange de renseignements au sujet des listes d'ancienneté des pilotes d'Air Canada et de Canadien en vigueur en date du 3 janvier 2000. Encore une fois, ce n'est pas là une entente expresse portant que la date de l'intégration des listes d'ancienneté devait être le 4 janvier 2000.

[35]Je ne crois pas non plus que le protocole comporte comme terme implicite une entente quant au fait que le 4 janvier 2000 doive être la date de l'intégration des listes d'ancienneté. Quand une entente est consignée par écrit, les tribunaux hésitent à aller au-delà de son libellé. Lorsque, comme en l'espèce, il faudrait se fonder sur l'intention présumée des parties pour dégager le terme implicite, celui-ci doit être nécessaire pour assurer à l'entente son efficacité commerciale, ou doit sinon satisfaire au critère de «l'observateur objectif». Pour satisfaire à ce critère, le terme doit en être un «dont les parties diraient, si on leur posait la question, qu'elles avaient évidemment tenu son inclusion pour acquise». (Voir Société hôtelière Canadien Pacifique Ltée c. Banque de Montréal, [1987] 1 R.C.S. 711, à la page 775.) Il faut une forte preuve pour qu'on puisse introduire un terme implicite (se reporter à Fridman, G. H. L., The Law of Contract in Canada, 4e éd. (Toronto: Carswell, 1999), à la page 501). En l'espèce, la preuve ne m'a pas convaincu que la date du 4 janvier 2000 constitue un terme implicite du protocole.

[36]À l'audience du Conseil du 3 octobre 2002, l'APAC a eu l'occasion de proposer une date d'intégration autre que le 17 octobre 2000. Il ressort manifestement de ses motifs que le Conseil était disposé à reconsidérer cette date; on y précisait en effet qu'on devait recourir à la date du 17 octobre 2000, à moins qu'il n'existe des raisons valables d'ordonner le recours à une autre. De fait, il est toujours loisible à l'APAC de proposer une nouvelle date au Conseil.

[37]Le défaut de faire valoir une nouvelle date à l'audience du 3 octobre 2002 du Conseil empêche maintenant l'APAC d'avancer tout argument voulant qu'elle se soit fondée à son détriment sur la conduite passée de l'ALPA, ou que le Conseil ait manqué à l'équité procédurale à son endroit en changeant unilatéralement de date sans l'aviser.

[38]Même si le Conseil avait commis une erreur en ne recourant pas à la date du 4 janvier 2000 aux fins de l'intégration des listes d'ancienneté, c'est là une des occasions où notre Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et refuser d'accorder la mesure de redressement sollicitée par le demandeur. Le motif en est qu'une autre mesure de redressement est disponible (voir Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 37), à savoir l'invitation faite par le Conseil de proposer le 3 octobre 2002 une autre date que le 17 octobre 2000 aux fins de l'intégration des listes d'ancienneté.

[39]La seconde question soulevée par l'APAC concerne le fait que, bien que les parties se soient entendues pour que les questions d'ancienneté soient réglées par arbitrage d'intérêts, le Conseil en a fait abstraction et a procédé à son réexamen en se fondant sur les droits issus de convention collective existants et en recourant à un arbitrage de droits.

[40]Le Conseil n'a pas fait abstraction de l'entente entre les parties portant que M. Mitchnick agisse comme arbitre d'intérêts. Le fait que le Conseil ait examiné les droits issus de convention collective respectifs des parties à la date de la fusion des unités de négociation ne veut pas dire qu'il considérait M. Mitchnick comme un arbitre de droits. D'ailleurs, rien n'exige que les arbitres d'intérêts partent à zéro ni ne les empêche de se pencher sur les droits issus de convention collective existants. Je ne puis déclarer que les méthodes et l'analyse auxquelles le Conseil a recouru lorsqu'il a réexaminé la décision de l'arbitre Mitchnick étaient manifestement déraison-nables.

[41]Pour ce qui est, finalement, de la question de savoir si le Conseil a commis une erreur en infirmant la décision de M. Mitchnick au motif que ce dernier avait appliqué des principes inappropriés, cela relève du mandat qui est conféré au Conseil par l'alinéa 44b) du Règlement. Le protocole n'accordait pas à M. Mitchnick la liberté de choisir et d'appliquer les principes qu'il voulait bien. Au contraire, les décisions à prendre par M. Mitchnick devaient clairement s'appuyer sur les principes applicables par suite d'une déclaration en vertu de l'article 35 du Code.

Retenue à l'égard d'une décision arbitrale

[42]L'APAC soutient que l'article 44 du Règlement restreint les questions pouvant être soulevées dans le cadre d'une demande de réexamen en vertu de l'article 18 du Code, ce qui empêche le Conseil de modifier la date du 4 janvier 2000 choisie par l'arbitre aux fins de l'intégration des listes d'ancienneté. L'article 44 prévoit ce qui suit:

44. Les circonstances dans lesquelles une demande de réexamen peut être présentée au Conseil sur le fondement du pouvoir de réexamen que lui confère l'article 18 du Code comprennent les suivantes:

a) la survenance de faits nouveaux qui, s'ils avaient été portés à la connaissance du Conseil avant que celui-ci ne rende la décision ou l'ordonnance faisant l'objet d'un réexamen, l'auraient vraisemblablement amené à une conclusion différente;

b) la présence d'erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l'interprétation du Code donnée par le Conseil;

c) le non-respect par le Conseil d'un principe de justice naturelle;

d) toute décision rendue par un greffier aux termes de l'article 3.

[43]Lorsqu'il procède à un réexamen en vertu de l'article 18 du Code, le Conseil doit le faire en conformité avec ses politiques, normes et pratiques ordinaires applicables au réexamen de ses propres ordonnances, selon ce que prévoient les lignes directrices énoncées à l'article 44 du Règlement. Le Conseil a reconnu ce principe aux paragraphes 24 et 25 de sa décision. En vertu de l'article 44, parmi les éléments que le Conseil doit prendre en compte, il y a la présence d'erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l'interprétation du Code. Il ressort clairement des paragraphes 24 et 25 de la décision du Conseil que celui-ci comprenait et a suivi les prescriptions de l'article 44.

[44]L'APAC a également soutenu que le Conseil a commis une erreur en ne faisant pas preuve de suffisamment de retenue face à M. Mitchnick qui agissait comme arbitre d'intérêts. Selon mon analyse, le Conseil n'a pas commis une telle erreur. Il ne s'agissait pas d'un arbitrage d'intérêts avec latitude absolue laissée à l'arbitre; l'arbitrage devait plutôt s'appuyer sur les principes prévus au Code et était susceptible de réexamen par le Conseil, tel qu'il était expressément déclaré dans le protocole.

La décision du Conseil est-elle manifestement déraisonnable?

[45]Je suis d'avis que la décision du Conseil n'est pas manifestement déraisonnable. Lorsqu'on procède à une révision en vertu du Code de l'intégration de listes d'ancienneté, on doit respecter les principes et objectifs qui sous-tendent le Code et les principes spécifiques qui découlent des articles 35 et 18.1, et on doit reconnaître l'importance du concept d'ancienneté dans le contexte des relations de travail au Canada.

[46]Tel qu'on l'a déjà signalé, le préambule du Code prévoit comme objectifs déterminants celui de favoriser des relations de travail fructueuses et empreintes de coopération, le règlement positif des différends et la stabilité des relations industrielles et celui d'assurer à tous les Canadiens une juste répartition des ressources. Le Conseil doit s'appuyer sur ces objectifs lorsqu'il applique et interprète l'ensemble des dispositions du Code, y compris ses articles 35 et 18.1. Il y a reconnaissance implicite par le législateur, lorsqu'il crée un tribunal spécialisé tel que le Conseil, que celui-ci est le meilleur juge de ce qui favorise l'atteinte de ces objectifs législatifs.

[47]En 1995, le ministre du Travail a mis sur pied le Groupe de travail Sims (Vers l'équilibre: Code canadien du travail, partie I, révision (1996) (Sims)), qui était constitué de spécialistes des relations du travail et qui devait procéder à une révision indépendante de la partie I du Code et recommander les modifications législatives jugées appropriées. On a donné suite à certaines modifications recommandées par le groupe de travail en adoptant l'article 18.1. Avant l'adoption de cet article, le Conseil n'avait pas expressément le pouvoir de régler les problèmes d'intégration de listes d'ancienneté soulevés par la fusion d'entreprises ou d'unités de négociation. On jugeait d'un mauvais oeil dans Sims cette absence de pouvoir exprès, parce qu'on laissait ainsi les employeurs et les syndicats se débrouiller seuls pour régler le problème de l'intégration des effectifs et des conventions collectives. On a conclu dans Sims que la fusion d'unités de négociation donnait lieu à d'importants différends entre les groupes précédemment distincts d'employés, et que négocier à nouveau la convention collective n'était pas un moyen efficace pour régler ces différends (Sims, aux pages 70 et 72). On recommandait ainsi dans Sims de modifier le Code afin de conférer au Conseil de larges pouvoirs lui permettant de rendre les ordonnances corrélatives appropriées pour rendre de nouveau efficace la négociation collective et l'administration des conventions, une fois effectué le processus de révision des unités de négociation.

[48]Par suite de cette recommandation, le législateur a adopté l'article 18.1 pour permettre aux parties de tenter de s'entendre d'abord entre elles pour régler les questions découlant d'une déclaration d'employeur unique.

[49]À mon avis, la décision du Conseil visée par la présente demande est tout à fait conforme à sa propre jurisprudence. (Voir United Electrical Workers, Local 512 and Tung-Sol of Canada Ltd. (Re) (1964), 15 L.A.C. 161 (C.C.R.T.), à la page 162; Air Canada (Re), [2000] CCRI no 79; [2000] D.C.C.R.I. no 33 (QL); Grasky (Re), [2001] CCRI no 115; [2001] D.C.C.R.I. no 10 (QL); Cairns (Re), [1999] CCRI no 35; [1999] D.C.C.R.I. no 35 (QL), confirmée par notre Cour dans VIA Rail, supra). Le Conseil a établi que les articles 35 et 18.1 devaient être interprétés l'un en regard de l'autre, et que leur objet, remédiateur, était de protéger les droits négociés et de favoriser de bonnes relations de travail. Le Conseil a conclu que n'était pas conforme à l'esprit de l'article 18.1 une approche «tout au vainqueur» ayant pour effet d'avantager un groupe d'employés au détriment des autres. Il a reconnu que les droits découlant d'une convention collective négociée devaient être protégés et préservés dans la mesure du possible, et n'être modifiés que dans la mesure nécessaire compte tenu de toutes les circonstances. Ces principes ayant été appliqués, la décision du Conseil n'est pas manifestement déraisonnable.

[50]Pour les motifs que j'ai déjà énoncés, le choix par le Conseil du 17 octobre 2000 comme date devant servir aux fins de l'intégration des listes d'ancienneté était une question qu'il lui était loisible de trancher en vertu de ses pouvoirs de révision et tel qu'il était prévu à l'alinéa 3k) du protocole. Lorsqu'il a choisi cette date, le Conseil s'est dit expressément conscient de la nécessité d'intégrer les listes d'ancienneté d'une manière conforme au régime établi par le Code pour la révision des unités de négociation, ainsi qu'aux réalités courantes des relations de travail. Au paragraphe 158 de ses motifs, le Conseil a fait remarquer ce qui suit:

La procédure de regroupement des unités de négociation fondée sur les articles 35 et 18.1 du Code doit refléter la réalité, soit qu'aux termes de l'article 35 du Code, il doit y avoir dépôt d'une demande, examen par le Conseil des observations des parties concernées à tout le moins, déclaration du Conseil et ensuite, aux termes de l'article 18.1, recherche d'une entente par les parties elles-mêmes pour régler les questions en litige et, finalement, décision du Conseil. Ces procédures doivent s'appuyer sur les dispositions législatives pertinentes, de même que sur les réalités des relations du travail, les faits et les circonstances qui existent véritablement.

[51]Le choix par le Conseil du 17 octobre 2000 comme date servant aux fins de l'intégration des listes d'ancienneté n'était pas manifestement déraisonnable.

[52]Je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire, les dépens étant adjugés à l'Association des pilotes de lignes aériennes défenderesse.

Le juge Stone, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Rothstein, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

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